Conspirationnisme: Thierry
Meyssan, le maître à fausser (17.04.2015)
Par Boris Thiolay,
publié le 17/04/2015 à 19:46
Avec son livre niant la
responsabilité d'Al-Qaïda dans les attentats du 11 septembre 2001, ce Français
est devenu une figure clef des complotistes. Depuis, établi en Syrie, il
accable "l'Occident et les sionistes" de tous les maux.
La vérité est ailleurs. Il le
proclame à la face du monde: l'actualité internationale et son cortège de
drames n'ont rien à voir avec ce qu'en disent les médias occidentaux. La tuerie de Charlie Hebdo, par exemple. Elle "n'a
pas de lien avec l'idéologie djihadiste [...]. Ses commanditaires les plus
probables sont à Washington". La preuve? "Les assaillants n'étaient
pas vêtus à la mode des djihadistes, mais comme des commandos militaires."
CQFD. De même, les combattants de Daech (organisation de l'Etat islamique) "ont été formés par
les Etats-Unis [...], mais aussi par des Français, de la Légion
étrangère". Rien d'extraordinaire, quand on sait qu'"Al-Qaeda assure
la sécurité de l'Etat d'Israël face à la Syrie"... Ceux qui ne le croient
pas sont manipulés par la "propagande impérialiste états-unienne et
sioniste"...
Notre dossier sur le complotisme
>>> Enquête sur la folie des complots
>>> Le complotisme ou la défaite des journalistes
>>> Quand les politiques croient au complot
>>> Pierre-André Taguieff: "Trop d'info crée le complot"
>>> Enquête sur la folie des complots
>>> Le complotisme ou la défaite des journalistes
>>> Quand les politiques croient au complot
>>> Pierre-André Taguieff: "Trop d'info crée le complot"
Voilà près de quinze ans que le
Français Thierry Meyssan récite son credo: les Etats-Unis, l'Organisation du
traité de l'Atlantique Nord (Otan) et Israël mènent un complot à l'échelle mondiale pour asservir
les pays "non alignés" - Syrie, Iran et Venezuela en tête. Pour tenter de le démontrer, tous
les moyens sont bons. Plus c'est gros, plus ça passe. En 2002, Thierry Meyssan
lance un bobard ahurissant: dans son livre L'Effroyable Imposture,
il affirme que les attentats du 11 septembre 2001 sont en réalité une
manipulation d'"une faction du complexe militaro-industriel
américain". Selon lui, aucun avion ne s'est écrasé sur le Pentagone ce
jour-là. Cette thèse absurde rencontre aussitôt un écho international.
Depuis lors, Meyssan, ex-militant
de la liberté d'expression, est devenu l'un des chefs de file mondiaux du
complotisme. Etabli à Damas, il est aujourd'hui, à 57 ans, à la tête d'une
véritable entreprise de désinformation, mise au service de la propagande de
régimes autoritaires et de dictatures. Incroyable destin pour cet homme qui a
eu plusieurs vies, et autant d'engagements.
"Il voulait bénéficier de
financements étrangers"
Thierry Meyssan est né le 18 mai
1957 à Talence (Gironde), dans une famille bourgeoise catholique. Son père
travaille au côté de Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux et Premier
ministre (1969-1972). Sa mère dirige les oeuvres interdiocésaines en Aquitaine.
Le jeune Meyssan entame des études de théologie avant d'opter pour Sciences po, dont il n'obtiendra pas le diplôme. Il
appartient aussi au Renouveau charismatique, mouvement catholique qui met en
valeur les dons de "guérison" et de "prophétie". A 19 ans,
le jeune homme se marie. Mais, dans les années 1980, sa vie prend une autre
direction. Meyssan est maintenant libre-penseur et clame son homosexualité. Il
obtient du Vatican l'annulation de son mariage religieux, un fait rare. L'homme
milite pour les droits des homosexuels, s'investit dans la lutte contre le
sida, s'essaie au journalisme. En 1993, le voici secrétaire national du Parti
radical de gauche (PRG). "Il était très actif et avait un carnet
d'adresses bien rempli. Son ambition était de faire une carrière
politique", affirme un de ses anciens compagnons de route. L'année
suivante, Thierry Meyssan fonde le Réseau Voltaire pour défendre la liberté
d'expression et la laïcité. Des cadres de partis de gauche (Verts, PCF, PRG) et
de syndicats siègent au conseil d'administration. Philippe Val y
représente... Charlie Hebdo. Au
quotidien, le Réseau Voltaire, qui multiplie les révélations sur les filières
d'extrême droite, est constitué d'un duo: Thierry Meyssan et son compagnon,
Serge M., seul salarié de l'association, à 8000 francs par mois.
"Meyssan avait un fond
paranoïaque, se souvient Yves Frémion, ancien vice-président du Réseau Voltaire
et ex-élu Vert. Régulièrement, il racontait les tentatives d'assassinat
auxquelles il avait soi-disant échappé... Ensuite, il a "pété les
plombs" par autoritarisme." Son glissement de la gauche vers la
mouvance rouge-brun, l'antiaméricanisme et l'antisionisme virulents, prend une
tournure publique en septembre 2001. Dès le lendemain des attentats, Thierry
Meyssan met en doute leur réalité. Six mois plus tard, il publie L'Effroyable
Imposture. Succès immédiat: vendu à 250 000 exemplaires, le livre est
traduit en 26 langues. Mais ses élucubrations suscitent aussi un énorme tollé.
Les membres du Réseau Voltaire finissent par prendre leurs distances.
"Rapidement, Meyssan a été approché par des gens travaillant pour un état
du Proche-Orient, relate Yves Frémion. Ils lui ont livré clefs en main des
documents censés démontrer que le Pentagone avait été frappé par un missile
américain..." L'association explose en février 2005. "Il voulait
modifier les statuts pour créer des sociétés et bénéficier du financement de
pays étrangers, raconte Gilles Alfonsi, qui représentait alors le Parti
communiste au sein du réseau. Le conseil d'administration était noyauté par ses
nouvelles connaissances, notamment un pseudo-scientifique qui avait nié
l'existence des chambres à gaz lors du procès [du négationniste] Robert
Faurisson."
Il relaie désormais la propagande
du régime de Bachar el-Assad
En 2006, Thierry Meyssan effectue
un premier voyage au Liban et en Syrie, peu après des attaques israéliennes contre les bases
du Hezbollah. Il est l'invité de ce dernier et du régime de
Damas. Deux ans plus tard, pour échapper à un invraisemblable
"contrat" que Nicolas Sarkozy - "élu grâce à la CIA" -
aurait mis sur sa tête, l'amateur de complots s'installe à Damas, dans le
quartier des ambassades. Il devient un expert habilité auprès d'une cohorte de
médias "antioccidentaux" ou "antisionistes": chaînes télé
du Hezbollah et du régime iranien, RT (ex-Russia Today, pro-Kremlin), radios et
quotidiens syriens... Le site Internet du Réseau Voltaire international
revendique 760 00 visiteurs uniques par mois. Le véritable ordre de grandeur se
situe plutôt autour de 20 000 à 30 000.
Cependant, il est traduit en 16
langues. Ce qui nécessite d'importants moyens financiers et humains. Lesquels?
Les indices affleurent. A Damas, Thierry Meyssan forme des cadres du régime au
sein de l'institut de recherche politique Syria Al-Ghad (Syrie Demain). Le
vice-président du Réseau, Issa el-Ayoubi, est un cadre du Parti social
nationaliste syrien, formation d'inspiration nazie créée dans les années 1930.
"Thierry Meyssan a choisi de s'allier avec les pires antisémites tout en
se gardant de manier lui-même cette rhétorique, poursuit Gilles Alfonsi. Voilà
toute la malignité et la perversité de son discours."
Depuis le déclenchement de la
guerre civile syrienne, en 2011, notre "journaliste en exil" assure,
en vidéo, le service après-vente de la propagande du régime de Bachar el-Assad. Le message est simple: la Syrie est victime
d'un terrible complot mêlant l'Occident, Israël et Daech... Thierry Meyssan
n'est jamais à court d'explications, même s'il doit les trouver par-delà les
frontières du réel. En revanche, bien que sollicité à plusieurs reprises par
courrier électronique, il n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien.
Ses idées discutées chez Soral et
Dieudonné
Depuis la tuerie de Charlie
Hebdo, il semble de nouveau s'intéresser à la politique française. Le
faussaire est apparemment satisfait que ses idées soient discutées au sein du
groupuscule Réconciliation nationale, fondé par Dieudonné et Alain Soral, polémiste qui se définit lui-même
comme "national-socialiste français". "Cette formation entend
réunir des citoyens d'origines politiques différentes, y compris des personnes
ayant milité à l'extrême droite antisémite", écrit le Réseau Voltaire. La
vérité surgit parfois là où on ne l'attend pas...
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