C’est une vérité que l’on a un
peu oubliée : la France a gagné la guerre d’Algérie. C’est un élément essentiel
si l’on veut comprendre la déception des pieds noirs et des militaires en 1962,
à l’indépendance du pays : l’Algérie française a été abandonnée, alors que sur
le terrain, les indépendantistes algériens du Front de Libération Nationale
(FLN) étaient vaincus.
Comment la France a gagné cette guerre ?
Pourquoi a-t-elle tout de même perdu l’Algérie ? Explications.
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La guerre d’Algérie commence en
Novembre 1954, avec « la Toussaint Rouge » et la première vague
d’attentats organisés par le FLN. A Paris, le gouvernement tarde à prendre la
mesure de ce qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée. A partir
d’Août 1955, voyant que les populations musulmanes ne rejoignent pas sa cause,
le FLN change de stratégie : moins s’en prendre à l’armée française, mais
directement aux populations civiles européennes. Ce sera le massacre
de Philippeville et toute la région du Constantinois (dans l’ouest algérien).
Plus de 140 personnes massacrées, violées, éventrées, tuées à coup de pioche…
le plus jeune est un enfant de 5 mois.
Les autorités politiques et militaires françaises tombent dans le piège tendu par le FLN : Jacques Soustelle le très modéré gouverneur de l’Algérie, est traumatisé par ce massacre. De leur côté, les européens d’Algérie, les pieds-noirs, réclament vengeance. La répression commandée par Soustelle sera implacable, et l’armée française rase les villages arabes alentours. La répression fait des centaines de victimes. La spirale de la violence contre les civils vient de s’enclencher, comme le souhaitait le FLN. De fil en aiguille, il va pouvoir recueillir la sympathie des populations arabes du pays, qui sont majoritaires en Algérie.
En 1956, le chef du gouvernement
le socialiste Guy Mollet ordonne l’envoi du contingent et 400 000 hommes sont
finalement présents en Algérie dès le mois de juillet. En face, le FLN compte
30 000 partisans, et mise sur des actions de guérilla et de
terrorisme pour faire plier le pouvoir. Mais les militaires français ont appris
de leur échec en Indochine : de nouvelles stratégies, de nouveaux matériels
sont mobilisés.
L’armée française comprend
vite, à la différence des politiques, l’importance de la « conquête des
cœurs et des esprits ». L’immense majorité des populations arabes
n’a pas encore pris parti pour ou contre l’indépendance, et c’est elle qui faut
convaincre pour priver le FLN de recrues et de soutiens. Dès 1955 ont été
mises en place les Sections Administratives Spécialisées (SAS), dont l’unique
objectif est le développement économique, scolaire, médical, de l’arrière-pays
algérien. Dans les campagnes jusque-là isolées, des médecins militaires
auscultent les enfants, et les premières écoles ouvrent. Des puits sont creusés,
des routes sont construites. « Les militaires effectuent ce
travail de Samaritain avec une patience et le dévouement qui sont peut-être
leurs plus grands titre de gloire en Algérie », écrit Philippe
Herreman dans Le Monde du 24 juillet 1961. Et ce travail porte
ses fruits : ce contact permanent avec les populations complique la
propagande et le recrutement du FLN.
Simultanément à partir de
1957, l’armée française impose un véritable blocus aux indépendantistes
algériens pour les couper de leurs bases-arrières au Maroc, en Tunisie et en
Egypte. La marine arraisonne et contrôle tous les navires des côtes, et des
barrages quasi-impénétrables sont installés tout le long des frontières
tunisiennes et marocaines (les deux pays sont indépendants depuis 1956). Un
réseau électrifié et barbelé, le tout surveillé en permanence par plusieurs
dizaines de milliers de soldats français rend quasiment impossible toute
traversée de la frontière. Cette « bataille des frontières »
affaiblit durablement l’ALN (la branche armée du FLN).
Pendant ce temps, depuis Janvier
1957, les troupes d’élites parachutistes commandées par le général Massu
livrent la bataille d’Alger. Depuis un an, les attentats du FLN
frappent les cafés, les bars, les salles de théâtre et font régner la terreur
parmi la population européenne de la ville. « Les paras » quadrillent
la ville et ratissent « la Casbah » le quartier arabe. La
torture n’est pas étrangère aux bons résultats de l’armée française, mais en
quelques mois, les poseurs de bombes sont repérés et neutralisés. « La
bataille d’Alger » fera 3 000 morts environ, essentiellement chez les
partisans du FLN, mais les parachutistes finissent maîtres de la ville après
des mois de terreur. C’est une victoire éclatante pour les autorités
françaises.
Enfin, à partir de 1959, le
« plan Challe » (du nom du nouveau commandant supérieur interarmées
en Algérie, Maurice Challe) est mis en place : plusieurs vagues
d’opérations militaires ciblées sur tout le territoire se succèdent, et
finissent par mettre à genoux les derniers partisans de l’ALN. Les
« katibas » les bataillons de l’ALN, se rendent un par un.
Militairement, en 1959,
l’armée française est totalement maîtresse de l’Algérie. Pourquoi et comment
l’Algérie est-elle donc devenue indépendante ?
Les indépendantistes n’ont pas
gagné la guerre, mais ils ont gagné la bataille de la reconnaissance et de la
médiatisation. Depuis 1954, la France ne cesse de marteler que les affaires
algériennes, sont des affaires intérieures, et ne regardent pas les autres
pays. Mais cette position est de plus en plus difficile à tenir. A
l’échelle internationale, le FLN dispose du soutien des nouveaux pays
décolonisés, notamment des voisins arabes marocains, tunisiens, libyens et
surtout égyptiens. Si la branche « militaire » du FLN est en
Algérie, la branche « politique » de l’organisation se trouve à
l’étranger, à Tripoli et au Caire. Nasser, le dirigeant égyptien, soutient
diplomatiquement et financièrement le FLN, et l’intervention de la France en
1956 pour le canal de Suez aux côté de la Grande-Bretagne et Israël est
essentiellement motivée par la volonté d’affaiblir « le Raïs » pour
qu’il cesse de soutenir les indépendantistes algériens. Ces derniers mènent une
campagne de communication efficace, s’attirant la sympathie des puissances du
« Tiers Monde » : la conférence de Brioni en 1956, réunissant
Tito, Nasser et Nehru, condamne officiellement la politique algérienne de la
France. Les américains et les soviétiques de leur côté, soutiennent à demi-mot
une indépendance algérienne, chacune des deux superpuissances espérant faire du
nouvel Etat un nouvel allié.
Alors que le FLN perd
militairement, il emporte la bataille politique dans les ambassades, les
chancelleries, et même à l’ONU. A partir de 1958, des motions de
reconnaissance de l’Algérie sont soumises au vote lors des Assemblées générales
des Nations Unies. Plus la crise algérienne dure, plus elle isole la France sur
la scène internationale.
Et en France justement, le FLN
a su joindre à sa cause toute l’intelligentsia des années 50. Le monde
culturel, littéraire, artistique s’est rapidement rallié à la cause de
l’Algérie indépendante. Compagnons de route du Parti Communiste pour la
plupart, les intellectuels dénoncent la torture en Algérie et les exactions de
l’armée française, se gardant bien de parler des massacres commis par le FLN
depuis 1954. Deux exemples illustrent cette quasi hégémonie culturelle et
médiatique des partisans français du FLN. D’abord, la fameuse phrase d’Albert
Camus, lui-même pied-noir, prononcée en décembre 1957 après l’obtention du prix
Nobel de Littérature : « J’ai toujours condamné la terreur. Je dois
condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger
par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la
justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.» Pourtant
partisan de la paix et d’une égalité des droits entre arabes et européens en
Algérie, Albert Camus paiera cher cette déclaration. Il subira les
attaques véhémentes et l’ostracisation de toute la classe (ou plutôt « la
caste ») intellectuelle française. Le fils d’une femme de ménage d’Alger
subira un procès en lutte des classes instruit par le grand bourgeois Sartre,
ironie de l’Histoire.
Second exemple : en 1960,
« le manifeste de 121 » est très largement repris et commenté par la
presse. Signé par de grands noms, comme Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre ou
Françoise Sagan, le texte affirme « le droit à l’insoumission » pour
les militaires engagés en Algérie. Par contre « la réponse » à ce
manifeste, signée par des grandes plumes de droite, comme Roger Nimier, Antoine
Blondin, Michel Déon, passe quasiment inaperçu.
Dans les années 50 en France,
le soutien à la cause du FLN est une condition quasi indispensable pour assurer
une carrière dans le monde intellectuel et culturel. Cette hégémonie
médiatique a probablement joué à un grand rôle pour convaincre les français
d’abandonner le département d’Algérie.
Car dès la fin des années 50, une
part croissante de l’opinion française exprime sa volonté d’une Algérie
indépendante. Plusieurs facteurs explicatifs : nous l’avons vu, la
prédominance dans le combat des idées de la gauche et des communistes
favorables aux FLN a probablement influencé les consciences. A titre d’exemple,
la torture par l’armée française fait grand bruit, mais les attentats aveugles
sur les populations civiles européennes ou les massacres des villages arabes
hostiles au FLN sont moins relayés dans la presse métropolitaine. Second
facteur, et non des moindres : l’accession à la société de consommation.
L’Algérie coûte cher, en argent et en hommes. Et à l’aube de la société de
la consommation, le français ne vibre plus à l’idée d’une grande nation
française qui s’étend jusqu’au Sahara (« la Méditerranée traverse la
France comme la Seine traverse Paris », « La France, de
Dunkerque à Tamanrasset » disait-on alors). Chaque
famille à un fils ou un neveu militaire Algérie, et les français ne veulent
plus mourir pour la France. Après deux guerres mondiales et une guerre en
Indochine, les français ne veulent plus faire la guerre, ils veulent jouir des
nouveaux plaisirs matériels qui s’offrent à eux. Ce changement d’état d’esprit
de la population, certes marginal et subjectif, est cependant essentiel. Le
1er Juillet 1962, lors du référendum sur les accords d’Evian, les français de
métropole sont appelés à s’exprimer sur la voie de l’auto-détermination de
l’Algérie choisie par le Général de Gaulle. Neuf français sur dix approuvent
cette voie, celle de l’indépendance de l’Algérie. Une écrasante
majorité, inimaginable quelques décennies plus tôt : la société à évolué,
les sacrifices qu’elle est prête à consentir aussi.
Enfin, si l’Algérie accède à
l’indépendance malgré les revers militaires à répétition du FLN, c’est aussi et
avant tout un choix du Général de Gaulle. Arrivé au pouvoir en 1958
grâce au soutien des partisans de l’Algérie Française, ce dernier choisit
rapidement de traiter avec le FLN « politique » réfugié au Caire et à
Tripoli. Alors qu’il multiplie les déclarations pour rassurer les pieds-noirs,
les arabes favorables à la France et les militaires (comme à Saïda en Août 1959
« Moi vivant, le drapeau vert et blanc du FLN ne flottera jamais sur
Alger »), De Gaulle se prépare à lâcher l’Algérie. Le 16 septembre
1959, lors d’un discours radiotélévisé annonçant son intention d’organiser un
référendum sur l’auto-détermination de l’Algérie, le chef de l’État révèle sa
volonté d’abandonner l’Algérie française. Comment un militaire, un patriote,
attaché à l’intégrité du territoire national (n’est-ce pas le sens même de la
France Libre de 1940 ?) qui écrivait encore dix ans plus tôt en 1947 « la
France, quoi qu’il arrive, n’abandonnera pas l’Algérie » a-t-il pu se
rallier à cette opinion ?
Deux explications : la
première, nous l’avons vu, l’Algérie est un gouffre financier, et
un boulet pour la France. Celui qui tenait l’Algérie Française pour « une
ruineuse utopie » a très vite saisi que la France ne saurait devenir
une grande puissance économique si elle gardait l’Algérie. L’Histoire lui a
donné raison, car la France connaît une accélération de sa croissance et les
français une amélioration importante de leur niveau de vie, dès les années
soixante. Deuxième raison que les gaullistes se gardent bien souvent de
rappeler : un motif ethnique, racial et démographique. Pour de
Gaulle et ses partisans, si l’Algérie reste française, la France finira
algérienne : « Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre.
Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les
Arabes sont les Arabes, les Français sont les Français. Vous croyez que
le corps français peut absorber dix millions de Musulmans, qui demain seront
peut-être vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisons
l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés
comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole,
alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé? Mon village ne
s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! »
(Propos rapportés par Alain Peyrefitte). Des propos similaires à ceux qu’il
tient au chef de file du groupe gaulliste à l’Assemblée Nationale en 1960,
Raymond Schmittlein : « Il est impossible d’accueillir au
Palais-Bourbon cent vingt députés algériens. ». Les partisans de
l’Algérie française ne cessaient de défendre « l’intégration » c’est
à dire faire des arabes des citoyens à part entière. Pour de Gaulle, ce projet
politique était à la fois utopique (« l’huile et le vinaigre ») et
dangereux, du fait de la force démographique des arabes d’Algérie. La
croissance de la population arabe ne cessait en effet de croître. Raisons
économiques, raisons démographiques : voilà pourquoi De Gaulle a
choisi la voie de l’Algérie indépendante. Au prix de milliers de pieds-noirs et
de harkis massacrés ou déplacés.
La France et son armée ont donc
bel et bien triomphé en Algérie, terrassant les forces de guérilla du FLN dans
les campagnes, et ses poseurs de bombes à Alger et à Oran. Mais simultanément,
les indépendantistes algériens ont compris que la guerre se jouait autant sur
le terrain que dans les journaux et dans les ambassades étrangères. Les
français de leur côté, en avaient assez de l’Algérie, de ses morts et de son
coût, tandis que de Gaulle n’avait qu’un souhait : entériner un divorce à
l’amiable entre les deux rives de la Méditerranée.
Robin Padilla
– MARTIN CLAUDE, HISTOIRE
DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE, PARIS, 1979.
– DARD OLIVIER, HISTOIRE DE L’OAS, PARIS, 2005.
– LE MIRE HENRI, HISTOIRE
MILITAIRE DE LA GUERRE D’ALGÉRIE, PARIS, 2000.
– LEFEUVRE DANIEL, POUR EN
FINIR AVEC LA REPENTANCE COLONIALE, PARIS, 2006.
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