dimanche 5 mai 2019

La France aurait-elle gagné la guerre d’Algérie ?



C’est une vérité que l’on a un peu oubliée : la France a gagné la guerre d’Algérie. C’est un élément essentiel si l’on veut comprendre la déception des pieds noirs et des militaires en 1962, à l’indépendance du pays : l’Algérie française a été abandonnée, alors que sur le terrain, les indépendantistes algériens du Front de Libération Nationale (FLN) étaient vaincus. 

Comment la France a gagné cette guerre ? Pourquoi a-t-elle tout de même perdu l’Algérie ? Explications.































La guerre d’Algérie commence en Novembre 1954, avec « la Toussaint Rouge » et la première vague d’attentats organisés par le FLN. A Paris, le gouvernement tarde à prendre la mesure de ce qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée. A partir d’Août 1955, voyant que les populations musulmanes ne rejoignent pas sa cause, le FLN change de stratégie : moins s’en prendre à l’armée française, mais directement aux populations civiles européennes. Ce sera le massacre de Philippeville et toute la région du Constantinois (dans l’ouest algérien). Plus de 140 personnes massacrées, violées, éventrées, tuées à coup de pioche… le plus jeune est un enfant de 5 mois.

Les  autorités politiques et militaires françaises tombent dans le piège tendu par le FLN : Jacques Soustelle le très modéré gouverneur de l’Algérie, est traumatisé par ce massacre. De leur côté, les européens d’Algérie, les pieds-noirs, réclament vengeance. La répression commandée par Soustelle sera implacable, et l’armée française rase les villages arabes alentours. La répression fait des centaines de victimes. La spirale de la violence contre les civils vient de s’enclencher, comme le souhaitait le FLN. De fil en aiguille, il va pouvoir recueillir la sympathie des populations arabes du pays, qui sont majoritaires en Algérie.

En 1956, le chef du gouvernement le socialiste Guy Mollet ordonne l’envoi du contingent et 400 000 hommes sont finalement présents en Algérie dès le mois de juillet. En face, le FLN compte 30 000 partisans, et mise sur des actions de guérilla et de terrorisme pour faire plier le pouvoir. Mais les militaires français ont appris de leur échec en Indochine : de nouvelles stratégies, de nouveaux matériels sont mobilisés.

L’armée française comprend vite, à la différence des politiques, l’importance de la « conquête des cœurs et des esprits ». L’immense majorité des populations arabes n’a pas encore pris parti pour ou contre l’indépendance, et c’est elle qui faut convaincre pour priver le FLN de recrues et de soutiens. Dès 1955 ont été mises en place les Sections Administratives Spécialisées (SAS), dont l’unique objectif est le développement économique, scolaire, médical, de l’arrière-pays algérien. Dans les campagnes jusque-là isolées, des médecins militaires auscultent les enfants, et les premières écoles ouvrent. Des puits sont creusés, des routes sont construites. « Les militaires effectuent ce travail de Samaritain avec une patience et le dévouement qui sont peut-être leurs plus grands titre de gloire en Algérie », écrit Philippe Herreman dans Le Monde du 24 juillet 1961. Et ce travail porte ses fruits : ce contact permanent avec les populations complique la propagande et le recrutement du FLN.
Simultanément à partir de 1957, l’armée française impose un véritable blocus aux indépendantistes algériens pour les couper de leurs bases-arrières au Maroc, en Tunisie et en Egypte. La marine arraisonne et contrôle tous les navires des côtes, et des barrages quasi-impénétrables sont installés tout le long des frontières tunisiennes et marocaines (les deux pays sont indépendants depuis 1956). Un réseau électrifié et barbelé, le tout surveillé en permanence par plusieurs dizaines de milliers de soldats français rend quasiment impossible toute traversée de la frontière. Cette « bataille des frontières » affaiblit durablement l’ALN (la branche armée du FLN).

Pendant ce temps, depuis Janvier 1957, les troupes d’élites parachutistes commandées par le général Massu livrent la bataille d’Alger. Depuis un an, les attentats du FLN frappent les cafés, les bars, les salles de théâtre et font régner la terreur parmi la population européenne de la ville. « Les paras » quadrillent la ville et ratissent « la Casbah »  le quartier arabe. La torture n’est pas étrangère aux bons résultats de l’armée française, mais en quelques mois, les poseurs de bombes sont repérés et neutralisés. « La bataille d’Alger » fera 3 000 morts environ, essentiellement chez les partisans du FLN, mais les parachutistes finissent maîtres de la ville après des mois de terreur. C’est une victoire éclatante pour les autorités françaises.

Enfin, à partir de 1959, le « plan Challe » (du nom du nouveau commandant supérieur interarmées en Algérie, Maurice Challe) est mis en place : plusieurs vagues d’opérations militaires ciblées sur tout le territoire se succèdent, et finissent par mettre à genoux les derniers partisans de l’ALN. Les « katibas » les bataillons de l’ALN, se rendent un par un.

Militairement, en 1959, l’armée française est totalement maîtresse de l’Algérie. Pourquoi et comment l’Algérie est-elle donc devenue indépendante ?

Les indépendantistes n’ont pas gagné la guerre, mais ils ont gagné la bataille de la reconnaissance et de la médiatisation. Depuis 1954, la France ne cesse de marteler que les affaires algériennes, sont des affaires intérieures, et ne regardent pas les autres pays. Mais cette position est de plus en plus difficile à tenir. A l’échelle internationale, le FLN dispose du soutien des nouveaux pays décolonisés, notamment des voisins arabes marocains, tunisiens, libyens et surtout égyptiens. Si la branche « militaire » du FLN est en Algérie, la branche « politique » de l’organisation se trouve à l’étranger, à Tripoli et au Caire. Nasser, le dirigeant égyptien, soutient diplomatiquement et financièrement le FLN, et l’intervention de la France en 1956 pour le canal de Suez aux côté de la Grande-Bretagne et Israël est essentiellement motivée par la volonté d’affaiblir « le Raïs » pour qu’il cesse de soutenir les indépendantistes algériens. Ces derniers mènent une campagne de communication efficace, s’attirant la sympathie des puissances du « Tiers Monde » : la conférence de Brioni en 1956, réunissant Tito, Nasser et Nehru, condamne officiellement la politique algérienne de la France. Les américains et les soviétiques de leur côté, soutiennent à demi-mot une indépendance algérienne, chacune des deux superpuissances espérant faire du nouvel Etat un nouvel allié.

Alors que le FLN perd militairement, il emporte la bataille politique dans les ambassades, les chancelleries, et même à l’ONU. A partir de 1958, des motions de reconnaissance de l’Algérie sont soumises au vote lors des Assemblées générales des Nations Unies. Plus la crise algérienne dure, plus elle isole la France sur la scène internationale.

Et en France justement, le FLN a su joindre à sa cause toute l’intelligentsia des années 50. Le monde culturel, littéraire, artistique s’est rapidement rallié à la cause de l’Algérie indépendante. Compagnons de route du Parti Communiste pour la plupart, les intellectuels dénoncent la torture en Algérie et les exactions de l’armée française, se gardant bien de parler des massacres commis par le FLN depuis 1954. Deux exemples illustrent cette quasi hégémonie culturelle et médiatique des partisans français du FLN. D’abord, la fameuse phrase d’Albert Camus, lui-même pied-noir, prononcée en décembre 1957 après l’obtention du prix Nobel de Littérature : « J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.» Pourtant partisan de la paix et d’une égalité des droits entre arabes et européens en Algérie, Albert Camus paiera cher cette déclaration. Il subira les attaques véhémentes et l’ostracisation de toute la classe (ou plutôt « la caste ») intellectuelle française. Le fils d’une femme de ménage d’Alger subira un procès en lutte des classes instruit par le grand bourgeois Sartre, ironie de l’Histoire.

Second exemple : en 1960, « le manifeste de 121 » est très largement repris et commenté par la presse. Signé par de grands noms, comme Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre ou Françoise Sagan, le texte affirme « le droit à l’insoumission » pour les militaires engagés en Algérie. Par contre « la réponse » à ce manifeste, signée par des grandes plumes de droite, comme Roger Nimier, Antoine Blondin, Michel Déon, passe quasiment inaperçu.

Dans les années 50 en France, le soutien à la cause du FLN est une condition quasi indispensable pour assurer une carrière dans le monde intellectuel et culturel. Cette hégémonie médiatique a probablement joué à un grand rôle pour convaincre les français d’abandonner le département d’Algérie.

Car dès la fin des années 50, une part croissante de l’opinion française exprime sa volonté d’une Algérie indépendante. Plusieurs facteurs explicatifs : nous l’avons vu, la prédominance dans le combat des idées de la gauche et des communistes favorables aux FLN a probablement influencé les consciences. A titre d’exemple, la torture par l’armée française fait grand bruit, mais les attentats aveugles sur les populations civiles européennes ou les massacres des villages arabes hostiles au FLN sont moins relayés dans la presse métropolitaine. Second facteur, et non des moindres : l’accession à la société de consommation. L’Algérie coûte cher, en argent et en hommes. Et à l’aube de la société de la consommation, le français ne vibre plus à l’idée d’une grande nation française qui s’étend jusqu’au Sahara (« la Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris »,  « La France, de Dunkerque à Tamanrasset » disait-on alors). Chaque famille à un fils ou un neveu militaire Algérie, et les français ne veulent plus mourir pour la France. Après deux guerres mondiales et une guerre en Indochine, les français ne veulent plus faire la guerre, ils veulent jouir des nouveaux plaisirs matériels qui s’offrent à eux. Ce changement d’état d’esprit de la population, certes marginal et subjectif, est cependant essentiel. Le 1er Juillet 1962, lors du référendum sur les accords d’Evian, les français de métropole sont appelés à s’exprimer sur la voie de l’auto-détermination de l’Algérie choisie par le Général de Gaulle. Neuf français sur dix approuvent cette voie, celle de l’indépendance de l’Algérie. Une écrasante majorité, inimaginable quelques décennies plus tôt : la société à évolué, les sacrifices qu’elle est prête à consentir aussi.

Enfin, si l’Algérie accède à l’indépendance malgré les revers militaires à répétition du FLN, c’est aussi et avant tout un choix du Général de Gaulle. Arrivé au pouvoir en 1958 grâce au soutien des partisans de l’Algérie Française, ce dernier choisit rapidement de traiter avec le FLN « politique » réfugié au Caire et à Tripoli. Alors qu’il multiplie les déclarations pour rassurer les pieds-noirs, les arabes favorables à la France et les militaires (comme à Saïda en Août 1959 « Moi vivant, le drapeau vert et blanc du FLN ne flottera jamais sur Alger »), De Gaulle se prépare à lâcher l’Algérie. Le 16 septembre 1959, lors d’un discours radiotélévisé annonçant son intention d’organiser un référendum sur l’auto-détermination de l’Algérie, le chef de l’État révèle sa volonté d’abandonner l’Algérie française. Comment un militaire, un patriote, attaché à l’intégrité du territoire national (n’est-ce pas le sens même de la France Libre de 1940 ?) qui écrivait encore dix ans plus tôt en 1947 « la France, quoi qu’il arrive, n’abandonnera pas l’Algérie » a-t-il pu se rallier à cette opinion ?

Deux explications : la première, nous l’avons vu, l’Algérie est un gouffre financier, et un boulet pour la France. Celui qui tenait l’Algérie Française pour « une ruineuse utopie » a très vite saisi que la France ne saurait devenir une grande puissance économique si elle gardait l’Algérie. L’Histoire lui a donné raison, car la France connaît une accélération de sa croissance et les français une amélioration importante de leur niveau de vie, dès les années soixante. Deuxième raison que les gaullistes se gardent bien souvent de rappeler : un motif ethnique, racial et démographique. Pour de Gaulle et ses partisans, si l’Algérie reste française, la France finira algérienne : « Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont les Arabes, les Français sont les Français.  Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de Musulmans, qui demain seront peut-être vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées ! » (Propos rapportés par Alain Peyrefitte). Des propos similaires à ceux qu’il tient au chef de file du groupe gaulliste à l’Assemblée Nationale en 1960, Raymond Schmittlein : « Il est impossible d’accueillir au Palais-Bourbon cent vingt députés algériens. ». Les partisans de l’Algérie française ne cessaient de défendre « l’intégration » c’est à dire faire des arabes des citoyens à part entière. Pour de Gaulle, ce projet politique était à la fois utopique (« l’huile et le vinaigre ») et dangereux, du fait de la force démographique des arabes d’Algérie. La croissance de la population arabe ne cessait en effet de croître. Raisons économiques, raisons démographiques : voilà pourquoi De Gaulle a choisi la voie de l’Algérie indépendante. Au prix de milliers de pieds-noirs et de harkis massacrés ou déplacés.

La France et son armée ont donc bel et bien triomphé en Algérie, terrassant les forces de guérilla du FLN dans les campagnes, et ses poseurs de bombes à Alger et à Oran. Mais simultanément, les indépendantistes algériens ont compris que la guerre se jouait autant sur le terrain que dans les journaux et dans les ambassades étrangères. Les français de leur côté, en avaient assez de l’Algérie, de ses morts et de son coût, tandis que de Gaulle n’avait qu’un souhait : entériner un divorce à l’amiable entre les deux rives de la Méditerranée.

Robin Padilla

– MARTIN CLAUDE, HISTOIRE DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE, PARIS, 1979.
– DARD OLIVIER, HISTOIRE DE L’OAS, PARIS, 2005.
– LE MIRE HENRI, HISTOIRE MILITAIRE DE LA GUERRE D’ALGÉRIE, PARIS, 2000.
– LEFEUVRE DANIEL, POUR EN FINIR AVEC LA REPENTANCE COLONIALE, PARIS, 2006.

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