dimanche 5 mai 2019

La France s’est-elle enrichie grâce à la colonisation algérienne ?



Si la guerre d’Algérie a longtemps été un tabou dans la société française, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Documentaires, célébrations officielles, ouvrages en pagaille… profitant justement de son aura de « sujet interdit », l’Algérie française et la guerre d’Algérie sont désormais un thème porteur et qui fait vendre. Une diffusion et une vulgarisation de l’Histoire logiquement bienvenue. Pourquoi écrire un article sur le sujet dans ce cas ? Une lecture particulière, voire partiale, des événements d’Algérie s’est peu à peu imposée dans le débat public et l’imaginaire collectif. Dans le champ universitaire, une « BenjaminStoratisation » du sujet a eu lieu. Benjamin Stora, avec son talent d’historien mais aussi de « bon client des médias » a su imposer sa grille de lecture et ses références à une large partie du débat public sur la guerre d’Algérie. Ses thèses historiques sont devenues vérités bibliques, ses affirmations ont désormais valeurs d’Évangiles.




































Plus gênant, une certaine vision de la colonisation s’est diffusée dans les médias : celle d’une France impérialiste, ferment de tous les totalitarismes et coupable de tous les maux africains d’hier et d’aujourd’hui. Cette idéologie, celle des « Indigènes de la République », était très en vogue dans une certaine gauche au début des années 2000, et ressurgit de temps à autre, comme une crise d’acné.
Sur le plan politique, la culture littéraire et historique ayant disparue au sommet de l’État à la mort de François Mitterrand, les hommes politiques et leurs communicants se contentent de placer leurs pas (et leurs mots) dans ceux de la vulgate dominante. Moins il y a de polémiques, mieux on se porte, surtout sur ce sujet épineux.

Cet article a une ambition modeste : tordre le coup à trois idées reçues sur la guerre d’Algérie. Il repose sur les travaux et les ouvrages de plusieurs historiens, qui à la différence de beaucoup d’autres, ne prennent pas leur expérience personnelle pour vérité historique. Le choix des auteurs n’est pas un choix politique ou idéologique, mais un choix méthodologique : ceux qui basent leurs analyses sur le travail des archives, les archives, rien que les archives. Chiffres, témoignages, lettres, rapports comptables… voilà de quoi disséquer convenablement une vérité historique.

  • La France se serait enrichie grâce à la colonisation de l’Algérie
  • La France aurait perdu la guerre d’Algérie
  • La cause de l’Algérie française aurait été une cause d’extrême-droite


La France s’est-elle enrichie grâce à la colonisation algérienne ?

« De toutes les entreprises de l’État, la colonisation est celle qui coûte le plus cher et celle qui rapporte le moins »,  écrivait l’économiste belge Gustave de Molinari au début du siècle dernier. Il avait raison, et l’Algérie ne dérogeait évidemment pas à la règle. L’Algérie à même été un boulet pour l’économie française.

Les arguments pour légitimer la politique coloniale étaient multiples. Un mélange de prestige, d’idéologie (dans le cas français, répandre celle des Lumières issue de la Révolution), de géopolitique et d’économie. Les républicains de gauche comme Jules Ferry ne tarissaient pas d’éloge sur les perspectives économiques réjouissantes que proposait l’aventure coloniale. Celle-ci devait fournir à la France de nouveaux produits, de nouveaux consommateurs, bref, un nouveau dynamisme. Il n’en a rien été.


Un premier chiffre éloquent : en 1959, toutes dépenses confondues, l’Algérie engloutissait à elle seule 20% du budget de l’Etat français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Education nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce. Un gouffre, un tonneau des Danaïdes. Pourquoi l’Algérie coûtait aussi cher ? Première explication, l’action de la France en Algérie a permis de considérablement réduire la mortalité infantile et d’accroître l’espérance de vie des populations arabes. Le taux d’accroissement de la population monte jusqu’à 3% à partir de 1945. Mais l’Algérie n’était pas « le pays de cocagne » que mythifiaient les pieds-noirs et les colonialistes. Les productions agricoles et industrielles de l’Algérie étaient largement insuffisantes pour les populations locales, et l’État français est contraint d’exporter massivement (aux frais du contribuable) des produits agricoles (même de l’huile d’olive!) et des produits manufacturés.

Pour comprendre pourquoi l’Algérie était un boulet pour l’économie française, il faut rentrer dans le détail.

Il est nécessaire, au préalable, de distinguer le secteur public du secteur privé. En ce qui concerne l’État français (donc le contribuable) celui-ci n’aura de cesse de compenser une économie coloniale amorphe, non compétitive et sous perfusion des compensations financières de l’État. Car de 1900 à 1962, le solde commercial des colonies n’est excédentaire qu’une année sur trois avec la métropole, et une seule année (en 1926) avec l’étranger ! Comme le montre Daniel Lefeuvre, les colonies importent beaucoup, exportent peu : « au total, les déficits commerciaux cumulés s’élèvent à 44 milliards de franc-or », soit… trois fois ce que la France a touché des États-Unis durant le plan Marshall après 1945.  Dans ces conditions, n’importe quelle économie, et par découlement, n’importe quel État, finirait par faire faillite. Pas les colonies, dont l’État français, chaque année, règle l’ardoise. De plus, la France accorde une part importante de sa richesse à l’aide au développement de ses colonies : 2,1% du PNB en 1957, loin des 0,7% du PIB que les pays développés s’étaient engagés à consacrer aux « pays du Sud » dans les années 70.

Pour le secteur privé, certaines entreprises vont faire fortune, surtout au début : La compagnie des mines d’Ouasta, Charbonnages de Tankin… Pour certains auteurs, les choses sont claires : « les horribles capitalistes se sont enrichis sur le dos des colonies ! ». Oui et non. Comme le montre l’historien Jacques Marseille, la mortalité des entreprises coloniales est particulièrement élevée : 38% d’entre elles mettent la clef sous la porte rapidement, dont une entreprise minière sur deux ! La rentabilité est souvent faible pour les entreprises qui tentent l’aventure coloniale : difficulté d’approvisionnement, surestimation des bénéfices escomptés, sous-estimations des coûts…

L’Algérie, comme toutes les autres colonies, a été un gouffre pour l’État français et le contribuable. Pour le secteur privé, la réalité était bien en deçà des attentes des entreprises, et seulement un nombre réduit d’entre elles ont donc réussi se développer au-delà de la Méditerranée.

Mais le pétrole me direz-vous ? Les premiers puits ont été découverts tardivement, en 1956, au cœur du Sahara. Dans les premiers mois, la France s’imagine qu’elle va pouvoir bientôt assurer son indépendance énergétique. Mais l’euphorie laisse vite place à la déception. Le pétrole algérien est un pétrole de mauvaise qualité. Il ne correspond pas « aux fuels dont l’industrie française a besoin », déclare même le ministre du Sahara à la commission des finances de l’Assemblée Nationale en 1959. L’atout du pétrole algérien, c’est sa proximité avec l’Europe. Avantage rapidement réduit à néant, puisque au même moment en Libye, un pétrole de meilleur qualité et plus facilement extractible est découvert. Enfin, le pétrole algérien est particulièrement cher à produire, jusqu’à 1,80$ le baril contre 0,80$ au Moyen-Orient. Pour développer tout de même l’Algérie, le gouvernement de De Gaulle met en place à partir de 1960 une politique particulièrement protectionniste, obligeant les entreprises pétrolières françaises ou étrangères qui souhaitent opérer en France à acheter une partie de leurs ressources en Algérie. Bref, pour le pétrole comme pour le reste du secteur économique, l’Algérie s’est avérée être un joli miroir aux alouettes.

L’Algérie a été un boulet de l’économie française, et ceci explique en partie le positionnement du général de Gaulle pour son indépendance. Les puissances européennes colonisatrices ont rapidement conscience que leurs empires faisaient peser un poids considérable sur leur budgets nationaux, mais elles imaginaient que les colonies permettaient à leurs économies de compter sur un marché intérieur plus important (plus de consommateurs) et d’avoir accès à certains produits (cacao, café, coton). Mais à la fin de la seconde guerre mondiale, ces derniers mythes s’effondrent. Les Européens prennent conscience que leurs colonies les contraignent souvent à acheter des denrées plus chères que le prix du marché mondial. Par exemple, pour soutenir ses colonies, la France achète du riz de Madagascar, du coton d’Algérie… se privant d’autres fournisseurs étrangers, moins chers. Avec ce protectionnisme en faveur de leurs colonies, les économies européennes se tirent une balle dans le pied.

En 1949, l’Indonésie se libère des Pays-Bas et acquiert son indépendance. Libérée de ce poids, la Hollande va connaître une croissance phénoménale, une augmentation du PIB de près de 22% entre 1950 et 1955. « L’exemple hollandais » va devenir un cas d’école, comme preuve supplémentaire aux yeux des Européens que leurs colonies représentent un handicap plus qu’un atout. De Gaulle le sait, et l’Histoire lui donnera raison. Alors que la croissance de l’économie française tourne autour de 3% dans les années 50, elle double à partir de 1962… À partir de l’Indépendance algérienne.

L’Algérie Française rapportait peu et coûtait cher. Trop cher. C’est ce qui a causé sa perte.

Robin Padilla

Sources :
– MARSEILLE Jacques, Empire colonial et capitalisme français histoire d’un divorce, Paris, 2005.
– 
MARTIN Claude, Histoire de l’Algérie française, Paris, 1979.
– 
LEFEUVRE Daniel, Pour en finir avec la repentance coloniale, Paris, 2006.


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