Par Eric
Zemmour Publié le 09/03/2018 à 08h00
CHRONIQUE - Pour Eric Zemmour, les électeurs des pays
européens donnent tout le temps tort aux formations politiques
immigrationnistes.
On se souvient de la boutade de Bill Clinton, à peine élu
président des États-Unis, en 1992, lancée à George Bush, qui se croyait assuré
de sa réélection, après sa campagne victorieuse en Irak: «L'économie, idiot!»
On pourrait aujourd'hui parodier la boutade clintonienne: «L'immigration,
idiot!»
En Italie après l'Allemagne, en Autriche après le Brexit : à
chaque fois, l'immigration s'impose
comme le thème majeur des élections. À chaque fois, elle déboulonne les
sortants et offre la victoire aux formations les plus déterminées à la
combattre. Merkel puis Renzi sont les grandes victimes, l'AFD puis la Ligue,
les grands vainqueurs.
«En Italie comme ailleurs, l'immigration s'impose chaque
fois comme le thème majeur des élections»
Nos médias expliquaient il y a peu que la coupure se situait
entre l'est et l'ouest de l'Europe, entre des sociétés encore archaïques qui
n'avaient pas de longue tradition démocratique, celles de l'Est, et les nôtres,
vieilles démocraties admirables, sociétés multiculturelles détachées de leurs
racines chrétiennes, États de droit impeccables.
Tout cela n'était qu'un mythe. Les élections en Europe de
l'Ouest prouvent que les peuples occidentaux sont d'accord avec les dirigeants
de l'Est. L'alliance est à portée de main. Ceux qui se lamentaient sur la
coupure du continent peuvent se consoler. Mais la réconciliation se fera sur le
dos des élites occidentales. Et sur leurs fameuses «valeurs» érigées en
principes fondateurs de l'Union.
» LIRE AUSSI - Législatives
en Italie: la défaite de Bruxelles
C'est là le nœud gordien de ce drame historique. La vague
migratoire inouïe que nous subissons n'est pas un effet secondaire de l'Union
européenne. Elle est la quintessence de son idéologie - on pourrait dire
de sa philosophie qui, hantée par le souvenir hitlérien, considère qu'une
nation ne repose plus sur un peuple ni sur une terre, mais sur des
valeurs ; que les frontières sont des barrières inutiles et même nuisibles
au commerce ; que les hommes sont interchangeables, simples producteurs et
consommateurs sans passé, racines ni identité ; que les États n'ont le
droit ni de repousser les étrangers qui viennent sur leur sol, ni de les
discriminer en conservant des privilèges (sociaux) à leurs nationaux, ni même
de les assimiler à la culture dominante de leur nation.
La rébellion des peuples
C'est ce qu'à Bruxelles on appelle avec emphase les sociétés
ouvertes et l'état de droit. On dit communément que l'Europe a laissé l'Italie
seule face à la vague migratoire qui déferle sur ses côtes. C'est pire que
cela. L'Europe, par la jurisprudence de ses juges, a obligé l'Italie à
accueillir tous ceux qui voulaient l'envahir, à sauver toutes les embarcations,
à la plus grande joie des passeurs, et lui a pratiquement interdit de les
renvoyer chez eux.
Cette révolte des peuples occidentaux, au cœur des pays
fondateurs de l'Union, menace l'Europe comme jamais. À Bruxelles, on doit
désormais choisir: défendre les fameuses «valeurs» ou subir les coups de bélier
des peuples. C'est une question de vie ou de mort. Pour l'Europe, mais aussi
pour les nations qui la composent. Lamartine disait: «Toutes les fois qu'une
théorie est en contradiction avec le salut d'une société, c'est que cette
théorie est fausse ; car la société est la vérité suprême.»
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Par Ivan
Rioufol
Publié le 08/03/2018 à 21h33
CHRONIQUE - La victoire en Italie des souverainistes et des
antisystème sanctionne l'obstination de l'Union européenne à ne pas entendre
les désirs des peuples.
C'est non. Une majorité d'Italiens, pays cofondateur de
l'Union européenne (UE), ne veut plus de cette machine à déraciner les
peuples. La
victoire, dimanche, des souverainistes et des antisystème (plus de
50 % des suffrages) donne un message clair : les intimidations des
moralistes ont vécu. Exit, le prêchi-prêcha de l'UE sur le vivre-ensemble, la
non-discrimination, l'accueil des «migrants». Exit, les anathèmes des
mondialistes contre les racistes, les xénophobes, les extrémistes ; bref,
contre ceux qui ne pensent pas correctement. Après les Anglais, Polonais,
Hongrois, Autrichiens, etc., les Italiens ont rappelé que l'immigration
massive était vécue comme une menace. Ils ne veulent plus de cette agression,
aggravée par la déstabilisation de la Libye: ce pays a jeté à la mer des
milliers de clandestins, parfois soutenus par des réseaux islamistes. Le procès
de l'UE, qui s'est construite sur l'ouverture des frontières, est ouvert.
Les immigrationnistes auraient tort de se rassurer en
regardant l'Allemagne. Certes, Angela
Merkel a sauvé sa place, grâce à l'accord de coalition renouvelé après
six mois de poussives tractations. Mais la folle décision de la chancelière,
responsable de l'entrée de plus d'un million de musulmans en 2015, a installé
une inquiétude ; elle explique son affaiblissement. Une même angoisse
existentielle relie l'ouest à l'est de l'Europe. L'AfD (Alternative pour
l'Allemagne), qui alerte sur l'invasion africaine et arabe, est devenue le
premier parti d'opposition. «Nous
sommes un parti libéral conservateur»,
assure Alice Weidel, présidente du groupe au Bundestag. En septembre, à
la Sorbonne, Emmanuel Macron s'en était pris aux «souverainistes de repli» et à
leurs «passions tristes». Depuis dimanche, il se retrouve isolé dans son projet
de «refondation» de l'UE. Même son clone italien, l'ex-chef du gouvernement
Matteo Renzi, a été remercié.
«La dynamique qui traverse l'Europe, mais aussi les
États-Unis, est identitaire. Le clivage est entre les mondialistes et les
souverainistes, les déracinés et les indigènes, les ”in“ et les ”out“»
S'il y a un «dégagisme», il
menace l'UE et ses porte-voix, parmi lesquels Macron prédomine. La
chute de Renzi, qui a quitté lundi la direction du Parti démocrate après sa
raclée aux législatives (18,7 % des voix), a valeur d'avertissement :
enfant chéri de l'EU et de ses valeurs d'humanitarisme et d'universalisme,
Renzi s'est heurté à l'incompréhension de ses compatriotes, également touchés
par le chômage. Le même sort attend-il Macron? Le chef de l'État s'est persuadé
que la question économique et sociale restait le moteur de l'histoire. Or cette
analyse parcellaire est fausse. La dynamique qui traverse l'Europe, mais aussi
les États-Unis, est identitaire. Le clivage est entre les mondialistes et les
souverainistes, les déracinés et les indigènes, les «in» et les «out».
» LIRE AUSSI - «Législatives
en Italie: la défaite de Bruxelles»
Il suffit d'écouter les représentants de l'UE dénoncer le
«populisme», refrain repris par le chœur médiatique, pour mesurer le mal dont
souffre cette Europe mal pensée et mal dirigée : elle ne veut entendre le peuple
qu'à la condition qu'il file doux. Est «populiste» celui qui s'oppose à
l'idéologie bruxelloise, à ses lubies postnationales et multiculturelles. Les
caricatures et les injures qui pleuvent sur ceux qui protestent sont des
procédés de régimes agonisants, incapables de susciter l'adhésion des gens. Il
est probable que les attaques des eurocrates en sursis et de leurs suiveurs
vont se faire encore plus violentes. Des commentateurs ne craignent pas
d'annoncer, ici et là en Europe, le retour du néonazisme ou du néofascisme. En
réalité, les peuples insultés ne sont coupables de rien, sinon de vouloir
reprendre leur destin en main. Serait-il devenu dangereux de se dire attaché à
sa nation, à sa culture, à ses frontières? L'UE en est convaincue…
Convergence avec la Ligue arabe
Il serait temps de s'alarmer des compromissions de l'UE avec
ce monde islamique qui la manipule. La politique pro-arabe, généralisée par
l'Union après 1973 sous la pression de la crise pétrolière, explique le choix
de s'ouvrir à la civilisation musulmane pour s'attirer ses faveurs. Or celle-ci
vient grossir les contre-sociétés au cœur des nations ouvertes. Quand Matteo
Salvini, le leader de la Ligue qui revendique la direction du gouvernement
italien, déclare: «Je suis un ami et un frère d'Israël», celui qui est présenté
par les médias comme un extrémiste de droite invite à regarder de près la
politique extérieure de l'UE: son parti pris anti-israélien a fait dire à
Federica Mogherini, parlant au nom de l'UE le 27 février, que l'Europe
avait avec la Ligue arabe «une convergence complète d'objectifs» sur la relance
du processus de paix. La décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem
comme capitale d'Israël a été critiquée. Cette soumission s'ajoute à celles
déjà actées dans le cadre du «Dialogue euro-arabe». Mais ces concessions ont
conduit à rendre l'islam politique intouchable. Le loup est présenté comme un agneau.
«Les peuples insultés ne sont coupables de rien, sinon de
vouloir reprendre leur destin en main»
C'est sous l'influence de la Coopération euro-arabe, depuis
longtemps dénoncée par l'essayiste Bat Ye'or, que des pays d'Europe se sont
pliés aux exigences islamiques. Comme le rappelle Pierre Rehov (FigaroVox), la
Suède a pris la tête de cette capitulation: elle voit par exemple une
«incitation à la haine» dans l'utilisation du terme «terrorisme islamique». Le
journaliste allemand Michael Stürzenberger a été condamné à six mois de prison
et 100 heures de travaux d'intérêt général par le tribunal de Munich pour
avoir publié sur sa page Facebook une photo du grand mufti al-Husseini en
compagnie d'Hitler ; le journaliste a été déclaré coupable «d'incitation à
la haine envers l'islam». En France, Marine Le Pen vient d'être mise en examen
pour avoir diffusé sur Twitter des photos d'exactions de l'État islamique.
L'assassinat de Sarah
Halimi, défenestrée en avril 2017 à Paris par un musulman hurlant
«Allah akbar», a été occulté avant que la justice n'accepte de reconnaître,
onze mois après, l'évidence de l'acte antisémite…
Ne pas stigmatiser
Mercredi, au
dîner du Conseil représentatif des institutions juives (Crif), le chef
de l'État a répété que le choix de Jérusalem comme capitale était «une
véritable erreur de Trump». S'il a évidemment dénoncé l'antisémitisme en
France, il l'a présenté comme une «résurgence», se gardant de parler de
l'antisémitisme musulman. Surtout, ne pas stigmatiser l'islam ou le Coran. Les
consignes de l'UE ont été bien comprises.
En fait, c'est l'utopie d'un monde sans frontière qui
rencontre son échec. À la claque italienne s'ajoute celle de Trump, qui menace
de relancer le protectionnisme économique. Un autre monde se profile. L'EU va
devoir s'y plier.
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Législatives
en Italie : la défaite de Bruxelles (06.03.2018)
Par Paul
Sugy
Publié le 06/03/2018 à 11h12
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Christophe Bouillaud voit dans les
élections italiennes de dimanche la confirmation d'un mouvement général de
rejet, par les périphéries européennes, des mesures d'austérité budgétaire et
de la politique migratoire de Bruxelles. Avec Matteo Renzi, c'est aussi toute
la social-démocratie qui est mise en échec.
Ancien élève de l'École normale supérieure, Christophe
Bouillaud est professeur agrégé de science politique à l'Institut d'études
politiques de Grenoble depuis 1999 et agrégé de sciences sociales. Il est
spécialiste de la politique italienne.
FIGAROVOX.- À l'heure qu'il est, on ne sait pas encore
quel camp sera véritablement le vainqueur des élections en Italie. Mais on
connaît au moins le nom des perdants: Matteo Renzi, et avec lui l'Union
européenne et la social-démocratie…
Christophe BOUILLAUD.- Oui, vous avez
entièrement raison là-dessus: le Parti démocrate a largement perdu l'élection,
et avec lui tous les petits partis centristes, incapables de dépasser à eux
tous la barre des 5 %. Et c'est clair et net: l'électorat italien a refusé
l'Union européenne, et la politique économique qu'elle a imposée à Matteo
Renzi. Celui-ci a échoué, alors même que la relance économique qu'il avait
promise commençait à poindre ; le hic, c'est que la faiblesse de la politique
de redistribution a empêché tout l'électorat du Sud du pays de profiter des
retombées de ce regain.
L'électorat italien a refusé l'Union européenne, et la
politique économique qu'elle a imposée à Matteo Renzi
En outre, Matteo Renzi connaît là un échec personnel, qui
vient sanctionner sa manière de gouverner: il a tenté d'imposer au parti
démocrate un leadership plutôt de droite, à la façon de Berlusconi: il a fait
cavalier seul. Cela n'a pas plu aux petits chefs du parti, qui sont partis dans
leur coin pour fonder un autre organe politique dont le nom était justement
«Libres et égaux», et ce n'est pas un hasard! C'est une référence évidemment à
la Constitution italienne, mais également un désaveu du modèle de gouvernance
imposé par Renzi. Il a manqué aux démocrates un jeu collectif, car Matteo Renzi
s'est comporté comme un prince entouré de courtisans, à mille lieues du modèle
traditionnel des socio-démocrates en Europe, et aussi de tous les partis de
l'arc constitutionnel de la Ière République (1946-1992) dont est issu l'actuel
Parti démocrate. Or ces partis (communistes, démocrates-chrétiens, socialistes,
etc.) avaient toujours refusé de se donner des chefs autocratiques à cause de
la mémoire du fascisme contre lequel ils avaient tous lutté de 1922 à 1945.
La ressemblance entre Matteo Renzi et Emmanuel Macron est
assez frappante de ce point de vue: même ligne politique, et même propension à
vouloir s'imposer comme l'unique leader de leur courant… La chute de l'un
est-elle un mauvais signal pour l'autre?
La différence tout de même, c'est qu'Emmanuel Macron est à
la tête d'un parti qu'il a lui-même créé et dont pour le moment aucune
dissidence crédible ne peut émerger! En revanche, là où la chute de Matteo
Renzi est un mauvais signal pour Emmanuel Macron, c'est du point de vue
économique: les Italiens ont exprimé un rejet massif des politiques
d'austérité, et ont censuré les partis qui n'avaient que ce modèle à leur
vendre. Si Emmanuel Macron persiste lui-même dans cette voie, à savoir
d'imposer l'austérité, il y a fort à parier qu'il finisse par connaître de
sérieux revers électoraux. Idem pour la libéralisation du marché du travail,
dont les résultats en Italie ont été médiocres et qui a fortement accentué le
mécontentement des électeurs.
Quels sont les points majeurs de désaccord entre le
peuple italien et la politique de Bruxelles?
J'en vois principalement deux, et un troisième plus
anecdotique. Mais tout d'abord, c'est une fois de plus l'austérité qui a été
massivement rejetée par les Italiens. Ils se sont prononcés contre une
politique conduite en fonction des critères de Maastricht, c'est-à-dire le
plafonnement à 3 % du déficit budgétaire annuel, qui ont conduit Matteo Renzi à
mener une politique très stricte avec un faible nombre d'investissements
publics. Les électeurs italiens, eux, souhaitent des investissements publics
plus nombreux et de plus grande envergure, tout en augmentant la redistribution
des revenus, et en limitant si possible la fiscalité. Il y a donc un vrai
conflit entre la politique économique de rigueur budgétaire qu'exige Bruxelles,
et qui a été conduite dans le pays depuis l'arrivée au pouvoir de Mario Monti
en 2011, et leurs attentes. D'ailleurs, les grands journaux italiens, pourtant
favorables à l'Union européenne, n'ont pas manqué de relever l'incompatibilité
entre les promesses électorales de tous les partis importants et même du Parti
démocrate de Matteo Renzi lui-même, et les normes dictées par l'UE.
Le fonctionnement actuel de l'Union européenne est
largement défavorable aux pays méditerranéens comme l'Italie ou la Grèce.
Il y a ensuite la question migratoire, seconde raison du
désaveu massif de l'Union européenne par les Italiens. Ceux-ci ont
l'impression, et à juste titre, d'avoir été laissés seuls face à l'immigration.
En effet, le maintien en vigueur du règlement de Dublin qui détermine les
responsabilités des Etats-membres en matière de demandes d'asile permet aux
pays limitrophes de l'Italie de fermer leurs frontières, et les clandestins qui
arrivent sur les côtes italiennes doivent faire leur demande d'asile en Italie.
En somme, le fonctionnement actuel de l'Union européenne est largement
défavorable aux pays méditerranéens comme l'Italie ou la Grèce. Et les Italiens
en veulent d'autant plus à la France, mais aussi au Royaume-Uni, qu'ils leur
reprochent d'avoir déstabilisé la Lybie et ensuite la Syrie, précipitant ainsi
une crise migratoire dont ils refusent aujourd'hui d'assumer les conséquences,
pour des raisons de politique intérieure.
Enfin, bien des Italiens sont déçus pour ne pas dire plus de
voir que la corruption des grands partis européistes est toujours d'actualité,
et n'a jamais été condamnée par les autorités européennes. Bruxelles perd là
une part de sa légitimité, car l'Europe devait améliorer la gouvernance
italienne et moderniser la vie politique. Cette promesse-là aussi, l'Union
européenne n'a pas su la tenir: la politique italienne est toujours aussi
navrante qu'auparavant. Je ne crois pas par exemple que l'accueil fait par
Jean-Claude Juncker en tant que Président de la Commission à un Silvio Berlusconi,
pourtant définitivement condamné, ait été une bonne chose pour l'image de
l'Europe en Italie.
Ces élections confirment-elles que les eurosceptiques
sont en train s'imposer de part et d'autre de l'Europe?
Il est indéniable en effet qu'il y a actuellement une forte
poussée de l'euroscepticisme dans l'Union. Celui-ci provient des périphéries,
aux marges de pays qui ont délaissé une partie de leurs territoires: le Sud de
l'Italie, le Nord de l'Angleterre, l'Est de l'Allemagne et de la Pologne… Ces
territoires sont ceux qui ont été touchés de plein fouet par les vagues
d'austérité partout en Europe. En réalité, pour unifier une zone économique
tout en conservant un équilibre entre les territoires, il aurait davantage
fallu faire des transferts de richesses depuis les centres de ce nouvel espace
économique vers les territoires marginaux. Et cela, l'Union européenne le sait
au moins depuis les années 1980, au cours desquelles elle a mis en place des
politiques de cohésion en faveur de l'Espagne et du Portugal. Mais
l'insuffisance de ces transferts fait qu'aujourd'hui, en Italie comme ailleurs,
les eurosceptiques ont le vent en poupe et n'ont jamais été si proches du
pouvoir… quand ils ne l'ont pas déjà conquis.
Justement, le Mouvement 5 Étoiles est devenu le premier
parti du pays, en arrivant en tête des élections avec 32 % des voix. Le Front
national avait connu une percée similaire en 2014, arrivant en tête des
élections européennes. Pourtant, cela ne lui a pas suffi pour prendre l'Élysée…
le M5S a-t-il malgré tout ses chances pour arriver au gouvernement?
Je crois qu'il existe des différences significatives entre
le M5S et le Front national. D'abord, les élections d'hier en Italie étaient
des élections législatives, et la très forte poussée du Mouvement 5 Étoiles est
bien plus significative que le succès électoral du Front national aux
européennes, car le M5S s'implante ici durablement au cœur de la vie politique
du pays, au cœur des deux Chambres du Parlement, comme il le fait déjà depuis
son premier triomphe électoral de 2013. Cet usage des outils du parlementarisme
et de la vie politique ordinaire a été d'autant plus facile qu'il n'est pas
ostracisé comme peut l'être le FN. Le M5S a parfois fait des happenings dans
l'enceinte parlementaire, mais il a aussi travaillé ses dossiers. Malgré la
défection d'une partie de ses députés et sénateurs élus en 2013, il a donc pu
jouer pleinement son rôle d'opposition tout au long de la législature, et de
fait, il a tenu le choc et ne s'est pas ridiculisé, ce qui n'allait pas de soi
pour un parti de jeunes amateurs, ignares en vie parlementaire. Cette
normalisation explique sans doute qu'il se soit donc maintenu électoralement,
et qu'il ait même largement confirmé ses bons résultats dans le Sud du pays. Il
est aujourd'hui en Italie la seule forme d'alternative «anti-système» de
création récente qui existe encore: par un phénomène darwinien, tous les autres
mouvements qui ont essayé de se placer sur ce créneau ont périclité. Ainsi, le
M5S qui représentait-il y a peu un quart des électeurs, obtient maintenant un
tiers des voix. Cela va renforcer encore sa présence au Parlement, où, même
s'il était relégué dans l'opposition, il pourra s'exercer encore plus à une vie
parlementaire approfondie, mener un travail d'opposition plus sérieux que celui
du FN qui n'a pas eu de groupe à l'Assemblée depuis 1986-88. Tout se passe en
effet comme si le M5S n'avait cessé de se professionnaliser depuis cinq ans,
tandis que dans le même temps, le FN n'a pas réussi à sortir de son
amateurisme.
Le seul moment où il faudra vraiment une majorité claire
au Parlement, ce sera en novembre au moment du vote du budget.
Pour le reste, l'issue politique en terme gouvernemental de
ces élections est aujourd'hui très incertaine et nul ne peut se risquer à des
pronostics. Ce qui est certain, c'est que le M5S va revendiquer son droit à
former un gouvernement, et, s'il n'y parvient pas, il en rejettera la faute sur
les autres partis, ce qui peut lui valoir des scores encore meilleurs aux
prochaines élections éventuellement organisées dans quelques mois. S'il arrive
au gouvernement, il voudra prendre des mesures dont certaines sont peut-être
moins radicales que ce que les commentateurs politiques laissent parfois
entendre: dans des domaines comme l'écologie par exemple, le M5S est somme
toute assez consensuel. Par contre, il faut bien se rendre compte que ni la
Ligue de Matteo Salvini, ni le M5S n'iront gouverner l'Italie sans imposer une
forme de rupture nette avec toute la période commencée avec l'arrivée en
novembre 2011 aux affaires de Mario Monti. Celle-ci apparaît d'ailleurs avec le
recul comme le moment clé de l'Italie contemporaine, avec l'échec économique
qu'elle a induit aux yeux d'une majorité d'Italiens, et aussi avec la perte de
légitimité de l'idée même de «gouvernement technique». C'est d'ailleurs ce qui
rend la situation politique compliquée: personne ne veut du retour d'un
«technicien» à la tête du gouvernement italien, alors que, depuis les années
1990, ce fut la solution classique de décantation en cas de blocage
parlementaire.
À présent, je crois que rien ne presse vraiment, car le
gouvernement Gentiloni peut très bien se maintenir encore un moment pour
expédier les affaires courantes: à vrai dire, le seul moment où il faudra
vraiment qu'une majorité claire se constitue dans les deux chambres du
Parlement, ce sera en novembre au moment du vote du budget. C'est donc la date
butoir, et d'ici là, il y a tout le temps pour mener les négociations… et même
pour revoter une nouvelle fois ce printemps ou au début de l'été, ce qui serait
un autre coup de tonnerre dans le contexte italien.
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