mardi 26 décembre 2017

Islamisme et politique 22.12.2017

Jérusalem : l'ONU condamne à une large majorité la décision américaine (21.12.2017)
Australie : une voiture fonce dans la foule à Melbourne (21.12.2017)
L'inquiétant essor de la cocaïne en France (19.12.2017)
L'Apocalypse : la guerre des étoiles selon saint Jean (21.12.2017)
L'Iran et l'Arabie saoudite se défient au Yémen (20.12.2017)
Paroles d'honneur, Leïla Slimani et Laetitia Coryn 
Après l'État islamique, un Noël d'espoir pour les chrétiens d'Orient (22.12.2017)
«Avec les musulmans, on ne peut pas seulement prendre un thé à la menthe en souriant» (22.12.2017)
À Mossoul, des églises souillées par Daech remises en état par des musulmans (22.12.2017)
Après Daech, le difficile retour des chrétiens irakiens de Ninive (22.12.2017)
De Bethléem à Jérusalem, dans le berceau du christianisme (22.12.2017)
Natacha Polony : «Noël, et paix dans la République» (22.12.2017)
Pierre Adrian : «À Noël, l'enfant que nous étions retrouve sa place» (22.12.2017)
Guillaume Tabard : «La laïcité “dépassionnée” de Macron» (22.12.2017)
Pierre Vermeren : «Le nouveau clergé dans la France du XXIe siècle» (20.12.2017)
Tony Meloto, le businessman philippin devenu bâtisseur de rêves (22.12.2017)
Libye : la France maintient l'objectif électoral de 2018 (22.12.2017)
Le djihadisme mis à nu (22.12.2017)


Jérusalem : l'ONU condamne à une large majorité la décision américaine (21.12.2017)
Par Le figaro.fr
Mis à jour le 21/12/2017 à 19h56 | Publié le 21/12/2017 à 09h47
VIDÉO - Les 193 pays composant l'Assemblée générale des Nations unies ont voté, ce jeudi, une résolution condamnant la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d'Israël.
L'Assemblée générale de l'ONU a voté jeudi pour la résolution condamnant la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale d'Israël. Sur les 193 pays membres, 128 ont voté pour cette résolution et neuf contre, 35 pays décidant de s'abstenir.
Après cette décision, les Palestiniens se sont félicités du soutien international. «Cette décision réaffirme que la juste cause des Palestiniens bénéficie du soutien du droit international. Nous allons poursuivre nos efforts à l'ONU et dans d'autres forums internationaux pour mettre fin à l'occupation (israélienne) et créer un État palestinien avec comme capitale Jérusalem-Est», a affirmé le porte-parole du président Mahmoud Abbas. «Cent vingt-huit voix contre neuf, c'est un revers cinglant pour les Etats-Unis d'Amérique, a renchérit l'ambassadeur palestinien aux Nations unies, Riyad Mansour.
Pour sa part, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou s'est déclaré satisfait du nombre de pays qui n'ont pas voté la résolution. «En Israël nous rejetons cette décision de l'ONU et réagissons avec satisfaction face au nombre important de pays qui n'ont pas voté en faveur de cette décision», a-t-il déclaré dans un communiqué.
«Les États-Unis se souviendront de cette journée qui les a vus cloués au pilori devant l'Assemblée générale pour le seul fait d'exercer notre droit de pays souverain»
Nikki Haley, ambassadrice américaine aux Nations unies
Ce vote intervient malgré les nouvelles menaces lancées par Washington ce jeudi. «Les États-Unis se souviendront de cette journée qui les a vus cloués au pilori devant l'Assemblée générale pour le seul fait d'exercer notre droit de pays souverain», a déclaré l'ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, avant le vote. «Nous nous en souviendrons quand on nous demandera encore une fois de verser la plus importante contribution» financière à l'ONU, a-t-elle lancé.
Avant le scrutin, le président américain Donald Trump avait menacé les pays qui iraient dans le sens de cette résolution. «Ils prennent des centaines de millions de dollars et même des milliards de dollars et, ensuite, ils votent contre nous», avait tempêté le président américain à la veille du vote. «Laissez-les voter contre nous, nous économiserons beaucoup, cela nous est égal.»
Les États-Unis avaient mis leur véto lundi lors du vote du Conseil de sécurité et l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, avait considéré ce vote comme «une insulte que nous n'oublierons pas». Les 14 autres membres du Conseil, dont la France, la Chine ou encore le Royaume-Uni, avaient voté en faveur de cette résolution.
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Australie : une voiture fonce dans la foule à Melbourne (21.12.2017)
Par Le figaro.fr
Mis à jour le 21/12/2017 à 12h44 | Publié le 21/12/2017 à 10h13
VIDÉO - Dix-neuf personnes ont été blessées, le conducteur a été arrêté. La police australienne évoque «un acte délibéré», mais, en l'état des investigations, sans lien avec le terrorisme.
Une voiture lancée dans la foule a fait dix-neuf blessés ce jeudi à Melbourne, deuxième ville d'Australie. Plusieurs se trouvent dans un état grave. Le conducteur a été arrêté et la police a annoncé que son acte était «délibéré». Une deuxième personne a été arrêtée sans que l'on sache pour le moment le rôle qu'elle a jouée ou si elle est directement impliquée dans l'événement. En cette période ponctuée de réguliers attentats, réalisés notamment par le biais de voitures-béliers, la course folle de cette voiture pose question.
La police a indiqué quelques heures après l'incident que le conducteur avait des problèmes mentaux et qu'il n'avait pas de lien avec le terrorisme. C'est un Australien de 32 ans d'origine afghane, connu des services de police et qui était consommateur de stupéfiants.
Le drame est survenu en fin d'après-midi, dans un quartier fréquenté de la ville. John, un témoin, a expliqué sur ABC Radio Melbourne avoir vu «arriver un SUV à vive allure. J'ai entendu la collision avec des gens qui portaient des sacs, et avec ce qui devait être des caddies, j'espère pas des poussettes. Je n'ai jamais rien vu de tel et je n'arrête pas de trembler.» Parmi les blessés se trouve un enfant, blessé à la tête et hospitalisé dans un état grave.
Appel à témoins
Sur Twitter, la police a lancé un appel à témoins. Elle invite la population à envoyer ses vidéos ou photos sur une plateforme spéciale.
Le premier ministre, Malcolm Turnbull, a tweeté un message pour expliquer que ses pensées allaient vers les victimes.
En janvier, une voiture avait délibérément foncé dans la foule dans le centre de Melbourne, faisant six morts. Au moment du drame, le conducteur, qui était soupçonné d'avoir poignardé son frère, était en train d'être pourchassé par la police.
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Pour Benoît Hamon, Emmanuel Macron s'est «vallsisé» (21.12.2017)
Par Marcelo Wesfreid
Mis à jour le 21/12/2017 à 15h22 | Publié le 21/12/2017 à 12h10
LE SCAN POLITIQUE - Dans une interview au Parisien, l'ancien candidat à la présidentielle tire à boulets rouges sur la politique migratoire du gouvernement.
Le serrage de vis du gouvernement en matière d'immigration n'a pas manqué de faire réagir à gauche. Dans une interview au Parisien , l'ancien candidat du PS à la présidentielle Benoît Hamon tacle le chef de l'État. Emmanuel «Macron a été vallsisé sur les questions d'immigration. Il faut reconnaître à Valls une honnêteté que Macron n'a pas. Valls a dénoncé la politique d'hospitalité à l'égard des migrants portée par Merkel. Macron, lui, l'applaudit et finalement fait du Valls». Dans la bouche du fondateur de Génération.s, la référence à son ancien rival de la primaire socialiste, qui ne l'avait pas soutenu à la présidentielle, est évidemment colorée très négativement.
«Ce que fait Macron, Sarkozy n'a même pas osé le faire», ajoute carrément Benoît Hamon. Lequel affirme que la politique du gouvernement est «malveillante à l'égard de ceux qui sont les plus vulnérables». Pour l'opposition, la circulaire du 12 décembre sur les patrouilles d'équipes d'agents préfectoraux dans les centres d'hébergement d'urgence et le projet de loi sur l'immigration de Gérard Collomb, qui sera examiné l'an prochain, offrent l'occasion de hausser le ton et d'afficher une opposition frontale, tant attendue par les militants de la gauche radicale.
Les sympathisants de gauche attendent des «idées»
Selon un sondage de l'institut Viavoice publié ce jeudi dans Libération ,46 % des Français et 79 % des sympathisants de gauche considèrent que les idées de gauche ne sont «pas suffisamment présentes dans le débat public». Dans cette dernière catégorie, 86 % des seconds les jugent «utiles au débat dans une démocratie comme la nôtre».
À la question qui incarne le mieux la gauche, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon obtient 48 % auprès des sympathisants de gauche. Et Benoît Hamon, 35 %.
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L'inquiétant essor de la cocaïne en France (19.12.2017)

Par Agnès Leclair
Mis à jour le 19/12/2017 à 19h57 | Publié le 19/12/2017 à 19h38
Alors que cette drogue est de plus en plus accessible, une étude décrit les techniques commerciales agressives des dealers et la consommation «décomplexée» des usagers.
Un produit plus pur, facile à commander sur téléphone portable, des dealers aux pratiques commerciales toujours plus agressives, des usagers décomplexés: telle est la toile de fond de l'intensification de la consommation de cocaïne en France.
La poudre blanche poursuit sa percée dans un contexte «d'accessibilité inédite», relève l'étude «Tendances récentes et nouvelles drogues» (Trend), publiée mardi par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Cette description de l'évolution du marché de la drogue en métropole sur l'année 2016 et le début de 2017 rappelle tout d'abord que le trafic s'est amplifié, notamment avec la montée en puissance de la filière Antilles-Guyane et par le biais de colis postaux ou de «mules» transportant le produit dans leur bagage ou in corpore.
«On assiste à des dons de produit ou des avances pour amorcer une consommation»
Agnès Cadet-Taïrou, médecin de santé publique et responsable de l'étude Trend
Dans ce contexte d'offre accrue, c'est un produit de moins en moins coupéqui envahit le marché français. «Les teneurs moyennes en principe actif des produits circulant en métropole sont en hausse sensible», souligne l'OFDT. «La cocaïne n'a plus une image de mauvaise qualité comme c'était le cas il y a quelques années, rebondit Agnès Cadet-Taïrou, médecin de santé publique et responsable de l'étude Trend. Du coup, l'intérêt des usagers est plus fort et sa “qualité” a donné une nouvelle impulsion au produit.»
Dans ce marché très concurrentiel pour les dealers, la vente de cocaïne peut aussi bien avoir lieu dans des bars, des clubs, des cités qu'en centre-ville, notamment à Bordeaux, Lille, Metz et Rennes, où les points de vente et les «plans» se sont multipliés. «Sur le site breton (…) et le site aquitain, les acheteurs potentiels sont désormais sollicités directement dans la rue, à proximité ou même à l'intérieur des bars», décrit l'étude. L'offre se fait même parfois «pressante», comme à Lille, où des vendeurs peuvent aller jusqu'à faire des «dons de produit ou des avances pour amorcer une consommation», décrit Agnès Cadet-Taïrou.
Offres promotionnelles
Au centre d'un mouvement de «modernisation de l'offre de drogues», la cocaïne peut également être commandée par téléphone portable, livrée à domicile ou en soirée. À Paris, l'OFDT souligne l'émergence des «cocaïne call centers», ces centres d'appels avec un numéro unique pour des consommateurs qui se font livrer le produit, ou encore de «drives» de cités, des points de vente pour ceux qui veulent acheter sans descendre de leur voiture. Désormais, les clients font aussi «couramment l'objet de relances et de SMS promotionnels». «Insérés», «festifs» ou au contraire «très précaires», le profil de ces derniers est très varié, une tendance observée depuis la seconde moitié des années 1990. Pourtant, le prix moyen du produit est de plus en plus élevé, soit 85 euros le gramme en 2016 contre 67 euros en 2010. «Les dealers s'adaptent aux clients les plus précaires en leur vendant de plus petites quantités, voire des doses à 10 ou 20 euros», rapporte la responsable de l'étude.
«Consommée dans des apéros»
Plus qu'une augmentation du nombre d'usagers (les derniers chiffres de l'OFDT les estiment à 450.000), l'essor de la cocaïne repose sur une multiplication des consommations, pointe enfin l'étude. «Ceux qui consommaient occasionnellement en prennent plus souvent, explique Agnès Cadet-Taïrou. La cocaïne n'est plus réservée au 31 décembre. Elle est aujourd'hui consommée dans des apéros, des soirées en semaine et de manière décomplexée.» Une consommation banalisée souvent accompagnée d'alcool. En août, une note de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) alertait d'un doublement des intoxications liées à la consommation de cocaïne en un an, susceptibles d'entraîner de graves complications cardiovasculaires, neurologiques et psychiatriques.
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L'Apocalypse : la guerre des étoiles selon saint Jean (21.12.2017)
Par Astrid de Larminat
Publié le 21/12/2017 à 07h00
BEAUX LIVRES - Illustrée par les chatoyantes tapisseries d'Angers, l'Apocalypse se lit comme une épopée.
Le récit de l'Apocalypse, attribué à l'apôtre Jean, semble étrange, voire effrayant, aux mentalités contemporaines. Et pourtant. Lorsqu'on le lit dans ce volume, illustré par la prodigieuse tapisserie d'Angers - six chapitres divisés en quelque quatre-vingts scènes -, on l'envisage sous un jour nouveau: comme une épopée dont Star Wars est une version moderne, celle de l'homme aux prises avec les puissances de l'univers, luttant pour ne pas tomber du côté obscur de la Force.
Au chapitre X de l'Apocalypse, un ange donne à Jean un petit livre: «Prends, et dévore-le ; il remplira tes entrailles d'amertume, mais dans ta bouche il sera doux comme le miel.» Paule Amblard, qui commente cet ouvrage avec limpidité, rigueur et élévation, a fait la même expérience. Elle reconnaît que travailler sur l'Apocalypse fut pour elle une épreuve: oui, ce livre «est doux comme le miel parce qu'il porte le message d'une libération» mais «amer aux entrailles car il nous confronte à nos ombres». Comme le dit Carl G. Jung dans Réponse à Job, l'Apocalypse avait montré avant la psychanalyse que l'homme porte en lui son propre pouvoir de destruction et que s'il ne connaît pas sa nature profonde, il ne peut  apprivoiser les forces qui l'habitent. Si ce texte a bien une dimension prophétique dans la mesure où il annonce l'avènement à la fin des temps d'une cité céleste d'où la nuit aura disparu et où l'arbre de vie sera rétabli, elle est aussi une description des turbulences de l'histoire humaine et de chaque histoire individuelle. «La prophétie de l'Apocalypse est un chemin de connaissance de soi. Elle concerne le cœur de l'homme, éclairant celui-ci sur ce qui l'égare et le détruit. Le récit guide vers une transformation profonde de l'être», dit encore Paule Amblard. «Il ne s'agit pas de comprendre l'Apocalypse, mais de se promener dedans», écrivait aussi Paul Claudel. Une promenade initiatique qu'on fait ici dans la compagnie rassurante de Jean, que la tapisserie d'Angers met en scène de façon très expressive dans ses tableaux.
Sixtine de laine

- Crédits photo : Sébastien Soriano/Le Figaro
Historienne de l'art et spécialiste de la symbolique chrétienne médiévale, Paule Amblard retrace aussi la genèse de cet ouvrage d'art exceptionnel dont les dimensions - 775 mètres carrés - font une sorte de chapelle Sixtine de laine. Réalisée au XIVe siècle, époque de conflits et d'épouvantables épidémies - une personne sur trois est morte de la peste en France -, elle mobilisa plusieurs corps de métiers dirigés par un maître d'ouvrage pour tisser les «patrons» de l'artiste Hennequin de Bruges. Elle connut ensuite une destinée éprouvante, fut utilisée à la fin du XVIIIe comme bâche sur des chantiers ou dans des écuries, faillit disparaître avant d'être retrouvée au milieu du XIXe. La dernière restauration, en 1981, mit au jour l'envers spectaculaire de cette tapisserie qui avait été conçue pour pouvoir être vue sur ses deux faces: ainsi furent révélées ses couleurs originales, d'une vivacité insoupçonnée. C'est ce côté-là, invisible d'ordinaire, qui a été photographié dans ce volume. «Viens! Que celui qui entend dise: Viens! Et que l'homme assoiffé s'approche, que l'homme de désir reçoive l'eau de la vie gratuitement», dit la fin de l'Apocalypse. Cet ouvrage magnifique est une invitation à suivre l'appel.
«L'Apocalypse» de saint Jean, illustrée par la tapisserie d'Angers, Éditions Diane de Selliers, 404p., 65 €.
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L'Iran et l'Arabie saoudite se défient au Yémen (20.12.2017)
Par Georges Malbrunot
Mis à jour le 20/12/2017 à 20h22 | Publié le 20/12/2017 à 18h18
Pour la deuxième fois en deux mois, les rebelles houthistes, appuyés par Téhéran, ont tiré un missile sur Riyad, soutenu par Washington.
Est-ce un avertissement de l'Iran à l'Amérique de Donald Trump? Ou un nouvel épisode de la guerre menée par les rebelles yéménites houthistes contre leur voisin et ennemi saoudien? Pour la deuxième fois en deux mois, un missile balistique tiré par les houthistes, soutenus par Téhéran, a été intercepté mardi au-dessus de Riyad, la capitale de l'Arabie saoudite, principale alliée des États-Unis dans le Golfe. Il s'agit d'un nouveau tir «irano-houthiste», s'est empressé d'accuser Riyad. Il a été détruit dans le sud de la capitale, sans faire de victimes.
Alors que le tir du 4 novembre visait l'aéroport international, celui de mardi devait frapper le palais Yamama du roi Salmane, a affirmé la chaîne de télévision pro-houthiste al-Masirah. Mais contrairement au premier tir, le Pentagone s'est abstenu, cette fois, de montrer du doigt l'Iran. «Le ministère de la Défense a pris connaissance des récentes informations selon lesquelles les forces houthistes basées au Yémen ont tiré un missile balistique sur l'Arabie saoudite», a indiqué un de ses porte-parole.
L'Iran dément armer les rebelles

Un drone kamikaze de provenance iranienne utilisé par les rebelles houthistes. - Crédits photo : JIM WATSON/AFP
Une semaine après le premier tir de missile, le Pentagone avait déclassifié des informations et, pour faire montrer la pression sur Téhéran, Nikki Haley, l'ambassadrice américaine à l'ONU, s'était déplacée dans une base américaine près de Washington pour exposer des restes d'un missile Qiam de fabrication iranienne, selon les États-Unis, et de trois autres armes livrées par l'Iran à leurs alliés yéménites. Mais la démonstration n'avait pas convaincu.
Interrogés par le New York Times, des experts militaires ont reconnu être incapables de savoir quand ces pièces avaient été livrées aux houthistes, et même pour certaines d'entre elles quand elles avaient été utilisées. Il ne fait guère de doute que, comme l'avait affirmé Emmanuel Macron à Riyad début novembre, le premier missile tiré par les houthistes était iranien. Mais le flou persiste sur la date à laquelle les armes auraient été réceptionnées - avant ou après l'embargo décrété par l'ONU sur les livraisons d'armes aux insurgés yéménites.
En réponse, l'Iran a «fermement» démenti les accusations saoudiennes et américaines. «Nous n'avons aucune relation d'armement avec le Yémen», a affirmé mercredi Bahram Ghassemi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Téhéran. Selon lui, le «blocus», imposé par l'Arabie et ses alliés arabes engagés militairement au Yémen contre les houthistes, rendait de toute façon impossible toute livraison d'armes.
Faible présence du Hezbollah
Au lendemain du second tir de missile, et contrairement à ce qu'elle avait fait début novembre, la coalition arabe, qui contrôle l'espace aérien yéménite et l'accès à ses ports, a maintenu ouvert le port de Hodeïda, sur la mer Rouge, pour un mois. Cette fermeture des ports et aéroports avait causé des pénuries alimentaires dans un pays ravagé par une guerre qui a fait plus de dix mille morts et deux millions de déplacés, alors qu'une épidémie de choléra a affecté un million de personnes.

Un module de guidage de roquette Qiam. - Crédits photo : Cliff Owen/AP
«Ces tirs de missiles sont des avertissements lancés par l'Iran pour dire aux États-Unis que s'ils continuent leurs menaces leurs bases militaires dans le Golfe seront des cibles», confie un diplomate arabe. En général, l'Iran répond aux menaces de manière asymétrique en actionnant ses relais au Moyen-Orient.
Au Yémen, outre les houthistes, Téhéran disposerait d'une douzaine de conseillers militaires dépêchés par son allié libanais, le Hezbollah, selon les services de renseignements français. «Ce n'est pas beaucoup, précise-t-on à l'Élysée, c'est pourquoi nous pensons que c'est un dossier sur lequel l'Iran et le Hezbollah pourraient faire des gestes vis-à-vis de l'Arabie.» À Paris, on reconnaît que le Yémen n'est pas stratégique pour l'Iran, contrairement à l'Irak, la Syrie et le Liban.
D'autres estiment qu'à travers ces tirs répétés les houthistes cherchent à forcer Riyad à un compromis. Et ce au moment où les Saoudiens viennent de perdre l'ancien président yéménite, Ali Abdallah Saleh, tué par ses ex-alliés houthistes alors qu'il venait d'appeler au compromis avec l'Arabie. Depuis ce revers, Riyad a accentué les bombardements contre le fief des houthistes dans le nord du Yémen, faisant 136 morts civils entre le 6 et le 16 décembre, selon l'ONU.

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Paroles d'honneur, Leïla Slimani et Laetitia Coryn 
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- Crédits photo : Les Arènes BD
Leïla Slimani a décliné en bande dessinée son livre choc Sexe et Mensonges, recueil de témoignages poignants qui illustrent la dure condition des femmes au Maroc. Dans Paroles d'honneur, la dessinatrice Laetitia Coryn donne corps aux paroles et met en scène une réalité âpre dont le lecteur ne sort pas indemne.
Face à l'écrivain d'autres femmes se sont laissées aller à la confidence. La jeune franco maghrébine a alors recueilli les témoignages déchirants, parfois sanglants, de ces femmes qui ont vécu leur sexualité dans le drame, entre viols, avortements clandestins, suicides, rejet de la famille ou lynchages. Le dessin de Laetitia Coryn rend couleurs et dignité aux corps et aux âmes meurtries de ses héroïnes. Ni voyeurisme ni ambiance sordide ne transparaissent. Sous le crayon de la dessinatrice, ces terribles histoires se nimbent de pudeur
Les Arènes BD, 20 euros.

Après l'État islamique, un Noël d'espoir pour les chrétiens d'Orient (22.12.2017)
Par Jean-Marie Guénois
Publié le 22/12/2017 à 19h57
INFOGRAPHIE - Six mois après la reprise de Mossoul, des milliers de familles irakiennes, exilées par la guerre, sont rentrées pour commémorer la Nativité, malgré l'incertitude qui plane sur leur avenir.
Y aura-t-il un Noël de paix pour les chrétiens d'Orient? Un front s'apaise du côté de Daech. En Irak notamment, où les chrétiens de la ville de Qaraqosh sont par exemple revenus, pelles et pioches à la main, pour reconstruire leur ville pilonnée et pillée par les troupes islamistes. De même à Alep, en Syrie, où la communauté chrétienne est déjà dans le rebond après le drame, souvent main dans la main avec les musulmans. Et ainsi de tous ces petits villages chrétiens qui se relèvent d'une extinction programmée.
Quelque chose de cette présence millénaire renaît donc en ce premier Noël «après Daech» - si l'on peut dire - sans aucun romantisme ni tendresse, mais dans l'âpreté du dénuement des petits matins crus d'après-guerre qui sentent encore les bombes. Au reste, une visite du côté des statistiques tempère tout optimisme. La longue crise irakienne, doublée de la guerre sainte de l'État islamique, assortie de l'explosion de la Syrie - pour ne retenir que quelques chapitres d'une histoire très complexe - a contribué à faire fuir près de la moitié des chrétiens d'Irak et de Syrie… Beaucoup, partis loin, ne reviendront plus, même si le Liban et la Jordanie débordent de réfugiés musulmans et chrétiens syriens prêts à rentrer dès que la paix poindra.

Nouveau front
Un front s'apaise donc mais un autre rougeoie soudain à Jérusalem où les ruelles de braise sont toujours prêtes à s'enflammer. Il implique, cette fois, les trois grandes religions, juive, chrétienne et musulmane, à propos du statut même de la cité sainte.
Les déclarations du président américain Donald Trump, le 6 décembre, ont soufflé le chaud sur cette ville de moins d'un million d'habitants, mais qui vaut un trésor pour la moitié des habitants de la planète. Près de 4 milliards d'humains se sentent concernés au titre de l'une des trois grandes confessions religieuses, dites «du Livre».
Le froid soufflé par l'ONU, le 21 décembre, qui a rejeté à une large majorité le projet de reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par le président américain, n'a pas pour autant calmé les esprits.
La veille, le 20 décembre, à Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa, administrateur apostolique du patriarcat latin de Jérusalem, donnait une idée de cette tension potentielle. Cet Italien d'origine réside dans cette ville. C'est l'homme clé de l'Église catholique dans cette région parce que ce franciscain fut pendant douze ans le custode de Terre sainte. Donc en charge de la préservation des lieux saints pour le compte de Rome, mais également responsable de l'application du «statu quo» sur la Ville sainte. Et ce sage prélat avait critiqué la motion américaine sur Jérusalem.
L'urbi et orbi du pape François très attendu
«Nous pensons, avait-il déclaré à propos de l'initiative de Donald Trump, que toute solution unilatérale ne saurait être considérée comme une solution. Les décisions unilatérales qui modifient la configuration actuelle de la ville n'apporteront pas de bénéfices, mais seulement de nouvelles tensions et elles enlèveront la possibilité de rétablir la paix. Jérusalem est un trésor de toute l'humanité. Toute revendication exclusive, qu'elle soit politique ou religieuse, est contraire à la logique de la ville».
Dans ce contexte, le message de Noël, urbi et orbi du pape François, lundi 25 décembre, est attendu par beaucoup de chrétiens mais pas seulement. Parmi le tour d'horizon des points sensibles du globe, le Pape devrait évoquer en Mondovision, depuis le balcon de la basilique Saint-Pierre, la question de Jérusalem. Le 6 décembre, à ce propos, François avait prévenu: «Je ne peux taire ma profonde préoccupation pour la situation qui s'est créée ces derniers jours et, en même temps, j'adresse un appel afin que chacun s'engage à respecter le statu quo de la ville, en conformité avec les pertinentes résolutions des Nations unies».

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Rédacteur en chef,
chargé des religions
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«Avec les musulmans, on ne peut pas seulement prendre un thé à la menthe en souriant» (22.12.2017)

Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 23/12/2017 à 11h06 | Publié le 22/12/2017 à 19h04
INTERVIEW - Pour Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l'Œuvre d'Orient et acteur engagé dans la cause des chrétiens d'Orient, la reconstruction ne se fera qu'au travers d'un dialogue construit avec les musulmans.
LE FIGARO. - Ce Noël après Daech marque-t-il une libération pour les chrétiens d'Orient?

- Crédits photo : LOIC VENANCE/AFP
Pascal GOLLNISCH. -Daech a perdu son territoire: c'est une victoire, mais aussi une libération. Il faut le dire, car Daech aurait dû être chassé de ces territoires depuis longtemps. Un territoire signifie imposer un impôt révolutionnaire sur la population et vendre du pétrole et des céréales à travers la Turquie. Cela rapporte beaucoup d'argent. Cela voulait dire également attirer des djihadistes dans des camps d'entraînement, importer des armes et des munitions, toujours par la Turquie… C'était, enfin, mener une guerre médiatique par des communiqués que l'Occident attendait pour confirmer la signature d'attentats!
Tout n'est pas réglé pour autant…
«Daech, si l'on ne fait rien, va resurgir au Sinaï et en Afghanistan et dans le sud des Philippines»
La clandestinité dans laquelle vit Daech le rend encore nuisible, mais la perte de territoire est le signal de son échec. Le califat s'est effondré. C'est capital, car c'est un coup porté au moral des terroristes, qui suivent un chef quand il est victorieux. Daech, si l'on ne fait rien, va resurgir au Sinaï et en Afghanistan et dans le sud des Philippines. De même, le 17 décembre, une église catholique au Pakistan a subi un terrible attentat, revendiqué par Daech. Le combat continue, car il y a aussi al-Qaida, al-Nosra, qui se distingue de Daech par des querelles de petits chefs mais dont l'idéologie et les modalités d'action sont identiques.
Quel bilan tirez-vous pour les chrétiens?
C'est un drame et une épreuve terrible. Ce sont des villes démolies, des économies effondrées, des morts, des blessés, un exil considérable: entre 500.000 et 1 million de personnes sont parties. Certains pour l'Australie, d'autres pour l'Europe - essentiellement en Suède et en Allemagne, très peu en France - ou le Canada et l'Amérique latine. D'autres chrétiens se sont réfugiés en Turquie, au Liban et en Jordanie. Si la guerre s'arrête en Syrie, ce qui n'est pas encore le cas, ils rentreront. Et il le faut, car le Liban se trouve fragilisé avec 1,5 million de réfugiés syriens! Mais on ne retrouvera jamais les chiffres des chrétiens d'avant la guerre. La Syrie et l'Irak, depuis le début de l'invasion américaine, ont perdu la moitié de leur population chrétienne…
«On ne retrouvera jamais les chiffres des chrétiens d'avant la guerre. La Syrie et l'Irak, depuis le début de l'invasion américaine, ont perdu la moitié de leur ­population chrétienne…»
Vous arrivez de Syrie. Les chrétiens sont stimulés, ou anéantis, après l'épreuve?
À Alep et à Damas, en Syrie, au Kurdistan, dans le nord de l'Irak, la population chrétienne relève les manches. En revanche, à Homs, en Syrie, et à Bagdad, capitale irakienne, la population me semble plus accablée. J'ai vu une incroyable résilience à Alep. Cette ville a une tradition industrieuse et une bourgeoisie active. Elle est déjà dans la reconstruction! Et ce sont les femmes qui ont pris les choses en mains!
J'ai rencontré une jeune fille chrétienne de 25 ans, qui connaît donc la guerre depuis sept  ans, me disant: «Je me suis accrochée à Alep depuis le début de la guerre. Il n'est pas question que je m'en aille, je veux reconstruire cette ville, mais nous ne pouvons pas créer ici un ghetto chrétien. Je reconstruis donc avec les musulmans qui veulent travailler avec nous.» Résultat: elle a ouvert un centre social qui accueille des femmes chrétiennes et musulmanes pour les aider à rebondir. Elle m'a vraiment bluffé!
Chrétiens et musulmans sont-ils irréconciliables après cette déchirure?
Ce sera difficile. La cassure est forte, notamment avec les musulmans qui se sont engagés. Mais les chrétiens savent que beaucoup de musulmans ont subi tout cela. La souffrance est donc commune. Tous ont conscience qu'il faut trouver un chemin pour reconstruire ensemble, mais pas dans une confiance naïve spontanée.
Après les attentats en Europe, beaucoup doutent de cette confiance…
Sur l'islam et l'immigration en Europe, il faut que nous trouvions la capacité de parler sans tabou. Ces questions sont sensibles, mais le pire serait de ne pas oser parler. Le refoulement de ces sujets serait lourd de violences possibles. Il y a en effet des questions à poser sur l'islam aux musulmans, et pas seulement prendre un thé à la menthe en souriant.
«Pourquoi n'y a-t-il pas de lieux de culte chrétiens en Arabie saoudite, alors que 2 millions de chrétiens y vivent ?»
Quoi en particulier?
Il faut que les musulmans clarifient exactement ce qu'est l'islam. Et je n'ai aucun scrupule à poser une série de questions: dans certains pays, des chrétiens sont condamnés à mort pour blasphème, comme Asia Bibi au Pakistan. Je souhaite demander à mes amis musulmans: «Chers musulmans de France, êtes-vous prêts à venir avec moi au Pakistan pour la libérer?»
Autre question: quel est l'état du droit au Moyen-Orient? Pourquoi n'y a-t-il pas de lieux de culte chrétiens en Arabie saoudite, alors que 2 millions de chrétiens y vivent? C'est inacceptable, et ce droit fait partie de la charte des Nations unies. Expliquez-nous pourquoi les droits de l'homme ne pourraient pas exister en Arabie saoudite? On ne demande pas d'église à La Mecque ; il y a des mosquées à Rome. En quoi des églises en Arabie saoudite empêcheraient le pèlerinage à La Mecque ou à Médine? Parler est l'intérêt bien compris de tous. La frustration du silence porte préjudice à l'islam.
Mais comment faire concrètement?
J'ai le projet de mettre en place une sorte d'observatoire international. En établissant les faits indiscutables, il prendra note des atteintes au droit que subissent les chrétiens et soulèvera les questions juridiques sous-jacentes. Cela nous permettra de pouvoir interpeller les responsables musulmans en Europe pour nous aider à avancer dans la reconnaissance d'un certain nombre de droits. On les connaît bien: des femmes musulmanes ne peuvent pas épouser un chrétien, des musulmans ne peuvent pas se convertir au christianisme… Des religieux chrétiens ne peuvent pas avoir de visa pour l'Iran. Des Iraniens, devenus chrétiens, peuvent se retrouver en prison…

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À Mossoul, des églises souillées par Daech remises en état par des musulmans (22.12.2017)

Par Inès Daif
Mis à jour le 22/12/2017 à 20h23 | Publié le 22/12/2017 à 18h46
REPORTAGE - S'il est difficile de connaître le nombre de chrétiens retournés à Mossoul depuis la libération de la ville, des groupes civils sunnites s'organisent pour y contribuer.
À Mossoul
Sur la route de Mossoul Ouest, un chauffeur chrétien s'arrête pour faire une course sans s'attarder. «Nous sommes de passage, nous ne sommes pas revenus habiter ici, la situation n'est pas stable, nous nous rendons à Bashiqa pour visiter des proches», explique le conducteur pressé. Il est difficile de connaître le nombre de chrétiens retournés à Mossoul depuis la libération de la ville. Les prélats comme les organismes venant en aide à la minorité chrétienne ne se coordonnent pas sur le nombre de retours. Les évaluations oscillent entre 10 et 60 familles à Mossoul Est.
«On veut le retour de toutes les communautés qui sont le reflet de Mossoul et de l'Irak. On veut aider tout le monde sans distinction de confession»
Osama (HumanRights United Organization)
Les chrétiens étaient près de 10.000, dispersés entre les quartiers d'Alzehours et de Dargazliya, autour d'une trentaine d'églises, avant la date fatidique du 10 juillet 2017. Dès le 17 juillet, Daech les obligeait à une conversion forcée ou au paiement de l'impôt dévolu aux «infidèles». Une grande vague d'exode avait déjà touché la ville après l'invasion américaine de 2003.
Aujourd'hui, des groupes civils sunnites, tels que Nineveh Peace ou encore Mosul Peace, s'organisent pour contribuer au retour des chrétiens de Mossoul. De jeunes volontaires, comme Osama, liés à des ONG (HumanRights United Organization) ont lancé un mouvement d'entraide en direction des autres confessions et minorités. «On veut le retour de toutes les communautés qui sont le reflet de Mossoul et de l'Irak. On veut aider tout le monde sans distinction de confession», explique Osama qui gère 25 bénévoles. «On prévoit des mécanismes d'apaisement et de coexistence fraternelle pour rassurer les chrétiens et leur permettre un retour.»
Accord tacite
Ces volontaires ont déjà nettoyé deux églises, celle du Saint-Coeur à Telkeyf, et à Mossoul-Est, celle de la Vierge Marie. «On essaie d'effacer le noir peinturluré par Daech sur les visages saints et aussi les inscriptions. On a pu retrouver des livres bibliques», dit Osama. Le voisin, qui garde l'église, ajoute: «On habite souvent les maisons des chrétiens pour protéger leurs biens en attendant qu'ils rentrent. Le père Thabet m'a confié la clé de l'église vu que j'habite en face». Le prélat encourage cette dynamique: «Les groupes de volontaires civils musulmans veulent montrer au peuple irakien et à la communauté internationale que tous les habitants de Mossoul n'acceptent pas la mentalité de l'État islamique. Ça a démarré lorsqu'ils ont décidé de nettoyer en premier lieu le monastère Saint-Georges de Mossoul.»

Intérieur de l'église Taytanic à Mossoul Est. - Crédits photo : Quentin Bruno/Quentin Bruno pour le Figaro
«Cette église, c'est comme une mosquée, on ne voit pas de différence, c'est le même dieu»
Abida, habitante de Mossoul
Plusieurs églises de Mossoul Est profitent de ce mécanisme. Ainsi, l'église Taytanic connaît un accord tacite entre le clergé et trois familles de réfugiés de confessions musulmanes. «Je nettoie tous les jours depuis 7 mois minutieusement et en échange le clergé me laisse rester à l'abri de l'hiver avec mes quatre enfants. Je veux rester jusqu'à ce que les chrétiens reviennent, car les pechmergas kurdes m'ont détruit ma maison à Zummar», témoigne Abida.
«Je suis heureuse d'aider les chrétiens, ce sont de bonnes personnes et nous avons vécu la même souffrance. Ils font partie intégrante de Mossoul. Cette église, c'est comme une mosquée, on ne voit pas de différence, c'est le même dieu», confie-t-elle.
«Je veux rester jusqu'à ce que les chrétiens reviennent, car les pechmergas kurdes ont détruit ma maison à Zummar»
Abida, habitante de Mossoul
Mais dans la partie ouest de la ville, le temps est suspendu. L'église dominicaine al-Saham, dans la vieille ville, est ensevelie sous les gravats et endommagée. On trouve dans la cour des gilets de petites tailles, sans doute usités par les enfants soldats des Lionceaux du Califat. Ils jouxtent de très anciennes décorations de Noël. Devant l'Église chaldéenne d'Um al-Mauna, des cadavres de Daech gisent toujours sur le sol.
Pour l'archevêque de Kirkouk, Yousif Thomas Mirkis, il ne faut pas oublier que «ce sont les sunnites de Mossoul qui ont vécu les plus grosses atrocités, et ont été les premières victimes de Daech». «Un responsable des affaires religieuses m'a confié que dans la région de Mossoul 350 imams ont été tués», explique-t-il.
Des femmes musulmanes devant l'église Taytanic à Mossoul Est. - Crédits photo : Quentin Bruno/Quentin Bruno pour le Figaro
«Toutes les maisons des alentours sont des maisons de chrétiens, ils font des allers-retours, pour les meubles ou le travail, mais je pense qu'ils ont peur, je ne sais pas s'ils reviendront un jour»
Aziza, habitante du quartier Hay al-Muhandiseen
Aux alentours de FarukStreet, ou encore dans le quartier Hay al-Muhandiseen, un quartier à majorité chrétienne, les voisins sunnites qui parfois occupent les maisons des chrétiens par le biais d'un accord de protections immobilières sont unanimes. «Toutes les maisons des alentours sont des maisons de chrétiens, ils font des allers-retours, pour les meubles ou le travail, mais je pense qu'ils ont peur, je ne sais pas s'ils reviendront un jour», confie une vieille femme musulmane, Aziza.
Une autre réfugiée sunnite témoigne: «Des chrétiens me prêtent la maison que je garde avec mes 6 enfants car la mienne est totalement détruite de l'autre côté de la rive. J'aimerais qu'ils reviennent, ils avaient des magasins, ce qui amenait de la vie».
En attendant, un groupe d'étudiants chrétiens et musulmans a été à l'initiative d'une messe symbolique à Mar Paulus (Mossoul Est), pour le 24 décembre. Louis Raphael Ier Sako, patriarche de l'Église catholique chaldéenne, et Mgr Petros Moshe, archevêque syro-catholique de Mossoul, officieront communément dans l'église qui est actuellement nettoyée par ces étudiants.

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Après Daech, le difficile retour des chrétiens irakiens de Ninive (22.12.2017)
Par Inès Daif
Mis à jour le 22/12/2017 à 18h51 | Publié le 22/12/2017 à 18h43
REPORTAGE - Pris en tenailles dans le conflit entre Kurdes et Irakiens, les chrétiens craignent  une hégémonie des chiites et de leurs milices.
Telskuf et Batnaya. Les deux villages limitrophes de la plaine de Ninive, à majorité chrétienne, délivrés de la servitude de Daech fin 2016, sont le reflet des tensions entre le gouvernement kurde et le gouvernement irakien provoquées par le référendum d'indépendance kurde de septembre. Ces troubles freinent le retour des populations déplacées et le travail des entreprises de reconstruction dans les territoires disputés entre Erbil et Bagdad. Depuis le 24 octobre, ces localités sont séparées par un mur invisible. Batnaya a été récupérée par les forces irakiennes, tandis que Telskuf demeure kurde. Cette dernière a été transformée en zone impénétrable, tenue d'une main de fer par les autorités kurdes. Quelque 850 habitants sont revenus au compte-gouttes depuis janvier, après l'éviction de Daech. Mais nombre d'entre eux sont une nouvelle fois partis vers al-Qosh et Dahuk, leurs villes de refuge lors de l'arrivée de Daech en août 2014. «On vit avec les sacs ficelés par crainte d'un nouvel affrontement. Si l'on fuit tous, on perd tout à nouveau», témoigne, attristé, Aram, qui est, lui, demeuré sur place. Esteban, son fils de 19 ans, ne peut pas se rendre à l'université de Mossoul. Avec le nouveau découpage territorial, la route directe est inaccessible. Le seul espoir à l'approche de Noël serait, selon cet habitant, «une autodétermination de la plaine de Ninive». «Je ne suis pas pour cette mainmise du gouvernement kurde, ni pour celle d'ailleurs du gouvernement irakien. Maintenant, je crains une nouvelle phase d'arabisation comme sous Saddam», explique-t-il.
À quelques ruelles de là, son voisin, un enseignant originaire de Batnaya, élève seul ses deux enfants. «Je commençais la réhabilitation de ma maison», explique Karam. «Aujourd'hui, je suis bloqué par l'instabilité de la région, et je ne peux plus me rendre à Batnaya», déplore-t-il. «Avec le conflit entre les deux forces, on ne peut pas envisager ce qui va advenir. En dehors d'un avenir sombre», ajoute-t-il.
«Toutes les minorités, kakaïes, chrétiennes, yazidies, souffrent des tensions politiques dues au pétrole ; l'instabilité provient de cette manne», soupire frère Gabriel, un prêtre qui vient en aide à la population. «On ne veut plus du jeu entre les forces militarisées, celles des milices, même celles issues de la communauté chrétienne comme les NPU. On souhaite la civilisation!»
Quelques kilomètres séparent Telskuf de la porte d'al-Qosh, ville du prophète Nahum, jamais pénétrée par l'État islamique, et sous tutelle du Kurdistan irakien depuis 2014. Le maire, Faiz Abed Jahwareh, a été destitué et remplacé par un représentant du PDK, le parti du pouvoir en place dans la région. Des manifestations ont éclaté. Dans le bureau du Mouvement assyrien, Athra, son responsable, explique: «L'accord tacite était que les habitants votent majoritairement oui à l'indépendance du Kurdistan. Et en échange nous pourrions avoir un territoire géré par les minorités assyriennes, kakaïes, yazidies, arabes. Or le remplacement du maire est illégal et arbitraire.»
La mésentente kurdo-irakienne se ressent également à Qaraqosh, ville emblématique des chrétiens d'Irak. Sur la «frontière» des tractopelles déblayent à l'aube un monticule de terre constitué la veille au niveau du check-point tenu par les pechmergas. Il jouxte celui, sommaire, tenu par les miliciens irakiens al-Hachd al-Chaabi. Plus loin, il y a celui de l'armée irakienne, qui contrôle cette partie de la plaine. À l'église Saint-Paul, le bureau des reconstructions attire les chrétiens souhaitant revenir. «Nous avons dû faire de nouveaux plans cadastraux, affirme le père Abou Georges, car les archives ont été pillées et brûlées par Daech. Des ingénieurs et un architecte préparent les devis. Les financements proviennent de neuf ONG. On a démarré par la réhabilitation des bâtisses les moins endommagées.»
«Les Shabaks sont soutenus par les al-Chaabi, financés par l'Iran et par des partis chiites irakiens comme le Parti islamique Dawa. Et pour moi Daech et al-Chaabi, c'est identique»
Jameel, un écrivain ancien membre de la milice chrétienne NPU.
Pour l'instant, 20 000 personnes sont rentrées. Les autres hésitent encore, ou sont parties à l'étranger. «Il est incommode d'être au cœur des nouveaux conflits. Pour le moment nous sommes sous l'égide du gouvernement irakien. Nous avons notre propre milice, les NPU, qui nous protège, mais ses membres sont rémunérés une misère par le gouvernement», précise l'archevêque syro-catholique Petros Mouché. Le prélat a pris la décision temporaire d'interdire l'achat de terrain à des non-natifs de Qaraqosh. Quelques échauffourées ont débuté. «De jeunes étudiants chiites originaires du sud de l'Irak, de la nouvelle université de Qaraqosh, ont manifesté, car ils n'ont pas accès à des logements ici», affirme l'archevêque. Le général Najim al-Jibouri, grand acteur de la bataille de Mossoul, «est venu remettre de l'ordre», poursuit-il. Petros Mouché fait partie du Comité de reconstruction du Ninive, une instance qui se veut au-dessus des mésententes entre les clergés. «Le tableau économique est sombre», dit-il. «Le gouvernement irakien ne donne rien. La police n'est plus payée depuis six mois. Qaraqosh semble être la plus stable, mais il faut rester prudent, tout en étant fraternels et pacifiques. Nos voisins sunnites restés sous Daech sont pour certains des repentis.»
Qaraqosh semble être la plus stable, mais il faut rester prudent, tout en étant fraternels et pacifiques. Nos voisins sunnites restés sous Daech sont pour certains des repentis»
Pétros Mouché, archevêque syro-catholique de Qaraqosh
L'avancée du chiisme dans la plaine est l'autre grande préoccupation des chrétiens. Les griefs se portent sur la milice, à majorité chiite al-Hachd al-Chaabi, et sa volonté de contrôle de la société et des territoires. Sur un mur d'une maison de Bartalla, près de Qaraqosh, une inscription prévient que «Bartalla appartient aux Shabaks (une minorité chiite NDLR)». Un désir d'hégémonie qui ralentit le retour des habitants, et attise les inquiétudes. «Les Shabaks sont soutenus par les al-Chaabi, financés par l'Iran et par des partis chiites irakiens comme le Parti islamique Dawa. Et pour moi Daech et al-Chaabi, c'est identique», s'énerve Jameel, un écrivain ancien membre de la milice chrétienne NPU.
Retour à Qaraqosh. Les devantures des magasins sont décorées pour Noël. Certains de ces lieux étaient des ateliers de confection de mines sous Daech. «Certes 250 magasins ont ouvert en six mois. Mais beaucoup de commerçants veulent repartir à cause de l'insécurité. Certains ont été menacés avec des armes, les Shabaks voulaient s'approprier les maisons», explique un boutiquier. «On a peur des miliciens al-Chaabi. Ils veulent prendre le pouvoir. Nous craignons pour nos biens, on ne voudrait que la présence de l'armée irakienne», ajoute-t-il. Une voiture de Shabak passe, son visage se crispe. Il a peur.

Noël à Qaraqosh pour des familles rentrées de France
Depuis les années 1970 près d'un million de chrétiens d'Irak ont pris  le chemin de l'exode. L'hémorragie  a connu un pic en 2003. L'implantation de Daech sur les territoires de la plaine de Ninive en 2014 a suspendu la phase de rémission. Or, à l'approche de Noël, un vent d'espoir souffle sur Qaraqosh, première ville chrétienne d'Irak.  Un mécanisme de retour s'est engagé, et une dizaine de familles chrétiennes expatriées en France ont pu regagner leurs maisons pour les fêtes. Athim, couturier, est rentré il y a trois semaines de Compiègne avec  ses enfants. «On est revenus car ma mère est souffrante. Je devais être présent pour la soutenir durant les festivités», explique-t-il.  Il constate, «En France on avait tout. Je travaillais dans le bâtiment,  et le diocèse de Compiègne nous avait fourni un appartement. Aujourd'hui,  je reprends mon travail de couturier. Pour l'instant ça nous convient, même si j'aimerais que mes enfants étudient plus tard en France». Issam a regagné la ville fin juin, investi d'une motivation d'aide à la réhabilitation de sa communauté. «Je me présente  à l'élection(pour l'Union démocratique syriaque) de sous-préfet organisée par le Conseil d'al-Hamdaniya, et qui se tiendra après Noël à Qaraqosh. Nous sommes 13 chrétiens et 2 musulmans en lice». «Dès la libération  j'ai souhaité retrouver mes racines. J'habitais à Lille avec ma famille,  dans d'agréables conditions. Mais je souhaite servir le peuple chrétien ainsi que l'Irak. Il est important de contribuer  à une phase de retour pour endiguer  le processus d'exil et entamer celui  de la reconstruction», affirme-t-il.

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De Bethléem à Jérusalem, dans le berceau du christianisme (22.12.2017)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 22/12/2017 à 08h00 | Publié le 21/12/2017 à 20h20
RÉCIT - Le parcours de Jésus peut être retracé depuis la basilique de la Nativité à Bethléem jusqu'au Saint-Sépulcre, au cœur de la vieille ville de Jérusalem. Des lieux saints où s'exprime toute la ferveur des croyants.
Il n'est pas lieu sur terre qui réunisse trois sanctuaires religieux incandescents d'aussi près. Ainsi de la vieille ville de Jérusalem. Le mur des Lamentations ne jouxte-t-il pas l'Esplanade des mosquées à un demi-kilomètre seulement du Saint-Sépulcre? Les arcanes millénaires de cette cité matrice de l'humanité semblent imbibés des mystères de foi juive, chrétienne et musulmane. Non comme des vestiges archéologiques inanimés, mais à la manière tellurique, en sanctuaires vibrants, brûlants, surchauffés. Comme si les fondations de cette ville sainte, une tête d'épingle sur la carte du monde, étaient métaphysiques. Comme si le ciel y avait donné rendez-vous à la terre.

Le cœur du cœur du christianisme repose dans un tombeau vide, celui du Christ à Jérusalem. L'ample basilique du Saint-Sépulcre abrite une minuscule chapelle, l'édicule, sépulture du Christ selon la tradition. - Crédits photo : GALI TIBBON/AFP
Tout se résume donc ici, l'espace, le temps, les cultures, les religions mais avec une spécificité chrétienne profonde. Cette différence fit tourner les talons à beaucoup de disciples du Christ qui avaient pourtant, de son vivant, expérimenté des miracles: l'idée impensable qu'un homme de chair et d'os - se prétendant «fils de Dieu» - meure comme un supplicié sur une croix. Et ressuscite d'entre les morts…
Cet impensable anime pourtant la foi de 2 milliards 420 millions de chrétiens dans le monde. Quelques millions d'entre eux se pressent chaque année dans la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem. Depuis le IVe siècle, elle abrite à la fois le lieu du calvaire mais aussi celui du tombeau.
On y entre par une vieille porte dont la clé est confiée depuis des siècles à deux familles musulmanes, les Nuseibeh et les Judeh. La vieille serrure est actionnée à 4 heures du matin. A droite, des escaliers étroits donnent accès à une chapelle supérieure. Son autel repose sur ce qui resterait du lieu même du calvaire, une tradition peu remise en cause.
Ce monticule est couvert de marbre sauf en son sommet. On y contemple la roche blonde mais il ne faut pas traîner. Le flux des pèlerins est tel que l'on vous bouscule. Les confessions chrétiennes se disputent - parfois violemment - l'espace et le temps. Messes et offices, selon les différents rituels chrétiens, sont strictement minutés par tranche de demi-heure. Pas une minute de plus!
C'est toute la grandeur et la petitesse humaine de ce sanctuaire chrétien multiconfessionnel. Et la déception pour beaucoup venus se recueillir là où le Christ aurait poussé son dernier souffle. L'ambiance de prière y est intense. Tous cherchent l'Esprit Saint. Mais l'atmosphère est oppressante. Il faut parfois se frayer avec fermeté une voie dans la foule. On respire mal, encens, cire brûlée et… sueurs s'entremêlent.
«L'incarnation» - cette différence chrétienne comparée aux autres religions - va encore se préciser une fois redescendu de cette chapelle monticule. Il faut poursuivre dans le même édifice, à 40 mètres de là, vers «l'édicule». C'est une mini-chapelle fermée avec son petit dôme, véritable petite église dans une grande église. Elle est sise au centre de l'immense rotonde bâtie par l'empereur Constantin pour protéger l'un des joyaux du christianisme, le tombeau vide du Christ.

A Jérusalem, la foi chrétienne visite des lieux historiquement habités par le Christ et parfois les pierres parlent aux âmes en prière. - Crédits photo : GALI TIBBON
Là aussi, les divergences archéologiques sont mineures quant à l'authenticité du lieu. La restauration récente a même confirmé qu'il se situe bel et bien dans un ancien cimetière juif. Il faut prendre son mal en patience pour y entrer. S'enrouler dans une interminable queue où la langue la plus entendue est le russe car ce lieu, plus que chez les catholiques, est vénéré par les orthodoxes russes. On pénètre finalement sous une voûte de marbre. Vient un étroit goulet qui donne accès au saint des saints, le lieu du tombeau du Christ selon la tradition. Seules trois personnes peuvent s'y tenir. Il est couvert de marbre mais il est évocateur pour le croyant comme pour le non-croyant. Ce serait donc là, protégé par cette basilique du Saint-Sépulcre, que tout s'est terminé pour la vie terrestre du Christ.
Sauf que la tradition chrétienne maintient que le Christ est «ressuscité» des morts. Qu'il serait «monté aux cieux» et qu'il aurait envoyé «l'Esprit Saint» à ses disciples réunis au Cénacle le jour de la Pentecôte. Jour considéré comme le début de l'Eglise chrétienne. Notamment chez les protestants qui accordent une place majeure à l'inspiration du «Saint-Esprit», lien spirituel direct entre l'homme et Dieu.
Pour entrer dans ce Cénacle, il faut marcher vers le sud de la vieille ville de Jérusalem à travers le quartier arménien et sortir de l'ancienne enceinte par la porte de Sion. Un texte du IVe siècle assure qu'une église chrétienne fut édifiée là dès l'an 135 en mémoire de la Pentecôte. Rien ne permet de l'assurer avec certitude mais les franciscains ont restauré ce bâtiment en 1335. Il reproduit une «chambre haute» où les apôtres se cachaient, terrassés par la peur, avant l'effusion de l'Esprit Saint. Une pièce qui aurait aussi abrité la Cène avec l'instauration, par le Christ, de l'Eucharistie.
Benoît XVI y médita longuement en mai 2009. L'ambiance architecturale moyenâgeuse est très harmonique. Elle n'est pas de l'époque christique mais elle peut parler à l'âme du chercheur de Dieu. D'autant que, dans la pièce du rez-de-chaussée, les juifs revendiquent la tombe de David, qui fut un temps une mosquée! Jérusalem, décidément, et ses empilements mystiques. Les voies de Dieu sont vraiment impénétrables…
Bethléem, séparée mais vivante
Mais si tout s'est terminé pour le Christ dans cette ville tombeau et si l'Eglise chrétienne y a pris son envol sous toutes ses formes, il faut néanmoins quitter cette cité parfois enivrante pour aller où tout a commencé, à Bethléem. Toujours vers le sud. Se heurter puis passer «le mur de séparation» contre lequel le pape François avait posé sa tête en prière silencieuse, comme pour l'abattre, en mai 2014.
Entrer dans Bethléem, la séparée mais la vivante. La ville est construite autour de la place de la Mangeoire. On accède par un minuscule portillon à l'épaisse basilique de la Nativité, sans doute la plus ancienne église chrétienne du monde en activité. Descendre alors dans la crypte croulante de marbres de lumignons… Et trouver, à même le sol, une large étoile d'une désarmante simplicité. Là, serait né le Christ. Un soir de Noël, le premier d'une histoire extraordinaire.

Un prêtre célèbre la messe dans la crypte de la basilique de la Nativité à Bethléem. Au fond, près de la religieuse à genoux, une étoile au sol indique l'endroit où le Christ serait né. - Crédits photo : THOMAS GOISQUE/Le Figaro Magazine
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Natacha Polony : «Noël, et paix dans la République» (22.12.2017)

Par Natacha Polony
Publié le 22/12/2017 à 19h48
CHRONIQUE - L'«esprit de Noël» du monde actuel n'a plus rien à voir avec le symbole d'espérance qu'il était à l'origine. La laïcité, conçue aujourd'hui sous l'angle libéral, s'abîme dans le consumérisme festif et le «respect dû aux individus».
De l'autre côté de la planète, dans cette Chine qui marie sans complexe communisme et capitalisme, les nouvelles classes supérieures urbaines se mettent à fêter Noël, avec force guirlandes et paquets cadeau. Une communion planétaire dans le nouvel «esprit de Noël», au moment où l'Occident adopte progressivement, avec une prudence compassée, le vocable «fêtes de fin d'année», pour ne vexer personne. L'humanité se rassemble, non dans le symbole oublié d'un Dieu s'incarnant dans la fragilité d'un enfant, mais dans l'effervescence du consumérisme festif. Tel est la nouvelle transcendance, la seule, croit-on, à pouvoir abolir les clivages et les haines: celle du divin marché.
Le premier ministre répondait cette semaine à l'hebdomadaire La VieIl confiait avoir été baptisé à sa demande à l'âge de dix ans, il expliquait n'être plus croyant mais «respecter ceux qui croient» et cultiver «une vraie révérence pour le sacré» dont l'humanité «ne peut se départir complètement». Autant de réflexions en demi-teinte, sans la plus petite ébauche d'analyse de ces enjeux qui pourtant surgissent dans les écoles ou les mairies, autour d'une statue ou dans une rue transformée en salle de prière, et qui font du débat public un champ de mines. Mais le plus frappant est dans cette insistance, qu'il partage avec le chef de l'État, à n'aborder la laïcité que sous l'angle de la liberté, régulée par une règle de droit, la loi de séparation des Églises et de l'État. Une loi qui «permet à la liberté individuelle de s'épanouir».
L'anthropologie libérale aboutit à laisser la puissance publique totalement démunie face à ces croyants qui revendiquent la liberté de manifester leur foi même dans sa dimension la plus sectaire
Un tel credo méconnaît une des conséquences les plus évidentes du libéralisme tel que le développent les sociétés contemporaines. L'anthropologie libérale, qui ne conçoit la société que comme une somme d'individus dont les éventuels intérêts divergents sont régulés par le droit et le marché, en dehors de toute définition de valeurs communes ou même d'une mémoire partagée, aboutit à laisser la puissance publique totalement démunie face à ces croyants qui revendiquent la liberté de manifester leur foi même dans sa dimension la plus sectaire, au nom du respect de leurs droits individuels.
Le meilleur exemple est dans les manifestations de ces croyances au sein de l'école, où des élèves refusent certains enseignements. Le ministre de l'Éducation nationale, bien sûr, a prévu des «unités laïcité», censée rappeler aux professeurs en déshérence leur rôle de représentant de l'institution. Mais des voix se sont aussitôt élevées pour mettre en garde contre les risques de «stigmatisation» et d'«islamophobie». Ce qui devrait inciter notre bienveillant premier ministre à réfléchir avec un peu plus d'acuité sur les rapports complexes entre respect des individus et rôle de l'école républicaine.
Le sociologue Gérald Bronner le rappelait dans un excellent texte publié dans Le Point, il est des campus américains qui usent du «trigger warning», un avertissement aux étudiants pour leur signifier que les contenus de certains cours pourraient les choquer. La démocratie libérale à l'américaine, en érigeant le «respect des individus» en valeur suprême, rend impossible toute transmission apaisée de savoirs universels. L'école ne peut donc y être qu'un développement des compétences des élèves, vidé de tout contenu apte à les sortir de leur possible obscurantisme. C'est cette évolution que connaît depuis quelques décennies l'école française, dont on a peu à peu évacué les savoirs universels et la raison, pour n'y cultiver que les capacités à s'exprimer et l'épanouissement personnel.
La démocratie libérale à l'américaine, en érigeant le «respect des individus» en valeur suprême, rend impossible toute transmission apaisée de savoirs universels
Le premier ministre se dit favorable à un enseignement du fait religieux à l'école. Cela s'appelle un cours d'histoire. Un cours qui puisse expliquer aux élèves que la nature du christianisme a changé quand il est devenu religion officielle de l'empire romain, que le Coran n'est pas incréé mais qu'il a fallu deux siècles d'exégèse pour en établir le texte précis, qui relève donc d'une interprétation. Un cours qui fasse comprendre ce qu'a pu être un Occident dans lequel la religion imprégnait chaque vie, et pesait sur les destins. Un cours qui raconte comment l'homme a peu à peu appris à se penser en dehors des catégories du divin, et comment l'humanisme et les Lumières ont peu à peu dessiné la possibilité d'une foi en l'homme et en la raison, comme instrument de l'émancipation individuelle et collective.
La laïcité s'abîme désormais dans le consumérisme festif et le «respect dû aux individus». Nul ne se souvient plus de cet incroyable moment de trêve que constituait Noël, comme symbole de l'espérance. Mais nul ne comprend plus non plus que la République française a placé son espérance en l'homme, tiré de l'obscurantisme par le savoir et la curiosité au monde.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 23/12/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Pierre Adrian : «À Noël, l'enfant que nous étions retrouve sa place» (22.12.2017)
Par Pierre Adrian
Publié le 22/12/2017 à 18h15
TRIBUNE - Auteur de Des âmes simples (prix Roger Nimier 2017), le jeune romancier livre une réflexion très personnelle sur l'esprit de Noël.
LE FIGARO: «C'est une inondation, Noël, et c'est un éboulement», écrivait Philippe Muray. Dans une société déchristianisée comme la nôtre, Noël peut-il avoir encore un autre sens que celui d'une fête consumériste?
Pierre ADRIAN. - Ce n'est pas la surconsommation qui gêne tant. Mais bien plutôt ce qu'elle entraîne: le néant. Je crois que certains athées respectent bien plus la fête de Noël que les croyants. Car ils croient fermement en cette fête familiale, ils vivent ces retrouvailles avec enthousiasme. Elle compte pour eux. Le risque de la «fête consumériste», c'est l'apathie. Voilà ce qui nous guette trop souvent: être blasé. Et c'est la grande lutte du chrétien à Noël. J'aime beaucoup ce poème de Marie Noël dans Le Rosaire des joies :
«Maisons, toutes, apprenez
A ne pas être tant pleines. Gardez pour Dieu nouveau-né
Qu'un pas obscur vous amène, Gardez un vide, un endroit
En vous derrière la fête, Un peu de silence étroit
Pour que dedans Il s'arrête
Au lieu de passer tout droit,
Gardez un petit espace,
Ô maison, pour Dieu qui passe.»
C'est une chance de connaître le mystère de Noël. Il faut préserver en nous cet «endroit». Être un croyant blasé, c'est se comporter comme un enfant gâté.
Sommes-nous encore des êtres religieux?
Oui, je crois que nous sommes encore des êtres religieux. Profondément. Mais nous ne vivons pas l'émotion, le sentiment religieux lors des fêtes de Noël ou de Pâques. Ou alors de moins en moins. J'ai l'impression que l'intimité a pris la première place. On ressent l'émotion religieuse et son besoin lors d'un deuil, d'une épreuve dans la vie. Ou au contraire, lorsqu'on vit un moment de grâce: une rencontre avec un être aimé, la visite d'une église vide, la beauté supérieure d'un Christ en croix, d'une Vierge à l'Enfant. La nature, lorsqu'elle est silence et paix. C'est une réalité sans doute un peu triste, mais nombreux sont ceux qui comme moi ne ressentent pas la présence de Dieu à Noël. L'abondance de consommation dont vous parlez est une des causes. Pas seulement. Il y a une difficulté spirituelle pendant les fêtes religieuses. Certains croyants détestent les dimanches. Alors Noël…
On ne dit plus «Joyeux Noël»mais «Bonnes fêtes»
J'étais il y a quelques jours en Italie, à Bologne. Dans cette ville «rouge», historiquement communiste, vous trouviez partout dans la rue des affiches pour le concert de Noël. Il n'y avait pas une église qui ne vous invite au sien. Sur la Piazza Verdi, devant les murs couverts des slogans d'étudiants d'extrême gauche, j'ai même vu un groupe de prière chanter, sans que cela ne gêne personne. Plus loin, c'était une paroisse qui, en pleine rue, proposait du vin chaud. C'est comme si le rite de Noël n'avait jamais été remplacé, justement, dans un pays dont on dit qu'il n'a plus la foi. Mais le rite est là, «l'objet» tient. Et le Natale catholique a toute sa place. J'ai donc trouvé la différence avec la France assez flagrante, c'est vrai. D'ailleurs, je crois que le «Bonnes fêtes» n'existe pas en italien. On m'a toujours dit «Buon Natale»!
On dit aussi que c'est la «nuit de la paix» ou la «fête de la famille». L'exacerbation de cette fête de fin d'année n'est-elle pas le revers enjoué et illusoire de la solitude et de la violence qui caractérisent parfois nos sociétés occidentales?
«On meurt de solitude, et ce ne sont pas les slogans qui cacheront cette misère.»
Je vous donne un exemple qui va d'abord vous sembler très lointain. Je vais beaucoup dans les stades de football. Et ce sont des lieux de profond décalage, des représentations de notre monde. Avant les matchs, l'UEFA et les ligues nationales vous abreuvent de slogans: «No to Racism», «luttons contre la xénophobie», «stop aux discriminations». Ils envoient ça sur les écrans géants, et les joueurs participent à la campagne de prévention à travers des clips, etc. Tout le monde se donne bonne conscience alors qu'à cinquante mètres, dans les tribunes populaires, vous entendrez des cris de singe, des insultes, vous verrez la violence.
On s'éloigne de Noël, pardon. Pourtant, le paradoxe entre la réalité et le discours, disons «officiel», est le même. Car c'est pendant votre «nuit de la paix» qu'on brûle les voitures. C'est au cours de la «fête des familles» qu'on enregistre les plus forts taux de suicide. On meurt de solitude, et ce ne sont pas les slogans qui cacheront cette misère. Pour reprendre l'image du stade, il y a plusieurs Noël: celui de la tribune présidentielle, des loges VIP, qui se fête en champagne cravate. Et le Noël des tribunes populaires, qui est simplement une nuit de plus à passer, froide et cafardeuse comme jamais.
Dans votre roman, Des âmes simples, vous évoquez la vie d'un vieux prêtre dans les Pyrénées et racontez le Noël que vous avez passé en sa compagnie. Noël doit-il être selon vous cette occasion de retrouver une «âme simple»?
Le monastère de Pierre, dans la vallée d'Aspe, c'est l'étable du XXIe siècle. Et j'y ai vécu un de mes plus beaux Noël. On est encore dans le poème de Marie Noël:
«Entre là qui veut. Les fous
Les rôdeurs, les rien qui vaille,
Les faiseurs de mauvais coups
Par terre ont usé la paille
Et laissé dedans leurs poux.»
Voilà, c'est aussi ça, la petite église de Sarrance. La simplicité d'une porte ouverte.
Cette simplicité a-t-elle à voiravec l'esprit d'enfance?
Noël est cette fête cruelle qui, pour beaucoup, nous éloigne chaque année un peu plus de l'enfance. Beaucoup se disent: il y a ces émerveillements que je ne retrouverai plus: les quatre bougies qu'on allumait une à une, chaque dimanche de l'Avent. La confection de la crèche un mercredi après-midi. La promesse de longues vacances. Le petit Jésus que j'installais dans la crèche au retour de la messe de minuit…
«La simplicité de l'enfance protège l'homme. Peut-être Noël doit-il être un moment de grâce où l'enfant que nous étions retrouve un temps sa place.»
L'adulte que l'on devient ne cherche plus à retrouver ces joies-là. Ou souhaite les vivre par procuration avec ses propres enfants. Pourtant, il reste «l'esprit», oui. L'esprit d'enfance exacerbé lors de la magie de Noël. Dans ses Papiers collés, Georges Perros écrit: «L'enfance ne peut plus être en nous, mais constituer une espèce de périphérie, de corps extérieur. L'enfance va protéger l'homme.» La simplicité de l'enfance protège l'homme. Peut-être Noël doit-il être un moment de grâce où l'enfant que nous étions retrouve un temps sa place.
Pensons aussi aux mots de la mère prieure, agonisante, dans lesDialogues des Carmélites de Bernanos: «Une fois sorti de l'enfance, il faut très longtemps pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit, on retrouve une autre aurore. Suis-je redevenue enfant?...»
Ce cri au moment de la mort est déchirant. Dans les heures exceptionnelles de notre vie, il faut revenir à l'enfance. Oui, pour que chaque Noël reste une exception, redevenons enfant.

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Guillaume Tabard : «La laïcité “dépassionnée” de Macron» (22.12.2017)
Par Guillaume Tabard
Mis à jour le 22/12/2017 à 20h34 | Publié le 22/12/2017 à 19h15
CONTRE-POINT - Le président, qui a reçu jeudi les représentants de six religions pratiquées en France, voit les religions comme des «partenaires» et pas comme des «adversaires».
À quoi reconnaît-on un intégriste de la laïcité?  Il ne supporte pas que  le mot se voie accoler  un quelconque adjectif. Même positif: laïcité ouverte, positive, apaisée, constructive? C'est déjà trop, déjà suspect de complaisance à l'égard de religions. «La laïcité, point», tranche ainsi la secrétaire d'État Marlène Schiappa dans un livre à paraître en janvier. Cette laïcité, érigée en dogme contre les dogmes, n'est pas celle d'Emmanuel Macron, qui a reçu jeudi les représentants de six religions pratiquées en France. Dans un esprit d'écoute et de dialogue qui révulse quelques élus du Parti radical pour qui  «le principe même de cette rencontre» est une violation de la loi de 1905.
 «L'État est laïque, la société ne l'est pas»
Emmanuel Macron
«L'État est laïque, la société ne l'est pas.» Le chef de l'État a rappelé ce constat. Un constat d'évidence pourtant contesté par tous ceux pour qui toute prétention à parler en tant que croyant est déjà une pression intolérable. Macron, lui, voit les religions comme  des «partenaires» et pas comme des «adversaires». Partisan  d'une laïcité «dépassionnée», d'après l'un des participants, Mgr Pascal Delannoy, il s'inquiète plutôt de sa «radicalisation», selon une formule rapportée  par le grand rabbin Haïm Korsia.
Les sujets ne manquent pas qui permettront de vérifier  cette capacité d'écoute de voix qui viennent parfois déranger un discours dominant.  Sur la PMA, avec la révision  des lois de bioéthique, sur la fin de vie (euthanasie, suicide assisté),  avec une proposition de loi débattue en février, ou encore sur l'accueil des migrants, avec le projet de loi Collomb.
«Laïcité positive»
Au fond, Emmanuel Macron n'est pas si éloigné de la «laïcité positive» prônée par Nicolas Sarkozy. On se souvient  de la polémique sur le discours  du Latran où Sarkozy assurait: «Jamais l'instituteur ne remplacera le prêtre, le pasteur ou le rabbin.» «Je ne vous dirai pas que la politique a une prééminence sur vous»,  a dit Macron aux protestants lors  du 500e anniversaire de la Réforme. Dans les deux cas, le simple rappel de la légitimité d'autres sphères que celle de l'autorité politique. Ces deux présidents-là, en tout cas, se distinguent de la laïcité de méfiance ou d'incompréhension portée par Jacques Chirac et François Hollande.
Emmanuel Macron est désormais attendu sur un grand discours théorisant sa conception de la laïcité. Il va au-devant de critiques tant il est devenu fréquent de considérer la laïcité non comme un cadre neutre garantissant la pluralité  des convictions mais comme porteuse d'une «vérité» républicaine et devenant une religion de substitution obligatoire.
En voulant pérenniser une instance de dialogue avec toutes les religions - une idée  de Gérard Collomb -, il favorise cette confiance mutuelle. Mais le revers de la méthode est peut-être de noyer les questions spécifiques posées à l'islam. Poser la question de la laïcité en général, c'est parfois masquer la différence de nature entre des pressions ou des menaces islamistes et des questions posées à la société par d'autres religions.

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Pierre Vermeren : «Le nouveau clergé dans la France du XXIe siècle» (20.12.2017)
Par Pierre Vermeren
Mis à jour le 20/12/2017 à 22h31 | Publié le 20/12/2017 à 22h02
L'affaiblissement de la fonction d'encadrement du clergé catholique ne signifie pas que la France ait cessé d'être une société cléricale, argumente l'historien*.
En cette veille de Noël, on aurait tort d'oublier que la France fut pendant plus de mille ans une société cléricale. On entend par là une société hiérarchisée, organisée par un principe d'autorité et de soumission à une norme centralisée, forgée, interprétée et diffusée par l'ensemble des clercs.
Pour donner une idée des enjeux historiques afférents à cet héritage, mentionnons le fait qu'au XXe siècle, le communisme s'est développé et a pris racine dans les seules sociétés cléricales, qu'elles soient catholiques, orthodoxes, chiites, mandarinales ou juives. Les juifs du monde arabe, par exemple, ont été à l'origine de la fondation de partis communistes dans les pays du Maghreb et en Égypte. En revanche, nulle part, dans les sociétés protestantes, hindoues ou sunnites, le communisme ne s'est enraciné ni n'a pris le pouvoir. L'imprégnation cléricale n'est donc pas un phénomène à prendre à la légère, même si son empreinte et son étreinte se sont fortement relâchées sur les sociétés occidentales.
Durant ce long millénaire clérical, l'Église de France a exercé un quasi-monopole dans la direction des consciences, tant auprès des classes dirigeantes que des sociétés rurales (soit 90 % de la population jusqu'au XVIIIe siècle, et près de la moitié jusqu'aux années 1950). La Révolution et la politique expresse de déchristianisation conduite par Paris à partir de 1793 sont loin d'avoir eu les effets escomptés. Ainsi, le clergé de France compte 220.000 clercs dans les années 1870, soit 50.000 de plus qu'en 1789, et encore 206.000 en 1962 (dont 41.000 prêtres).
La puissance du clergé a en revanche beaucoup diminué depuis les années 1960, tout comme celle du communisme d'ailleurs.
À cette date et depuis le XIXe siècle, la France est la première puissance missionnaire catholique du monde par le nombre de religieux expatriés (jusqu'à 70 % d'entre eux), illustration d'une des facettes de l'universalisme français.
La puissance du clergé a en revanche beaucoup diminué depuis les années 1960, tout comme celle du communisme d'ailleurs. Don Camillo et Peppone étaient devenus les deux faces d'une même médaille. Mais on penserait à tort que les effets du cléricalisme se sont volatilisés d'un coup, y compris dans notre société technologique, médiatique et de «communication».
Comment et où observer les héritages de ce long magistère? Comment ont été redistribuées les fonctions cléricales: direction de conscience, magistère moral et spirituel, confession, éducation, soins aux malades, orphelins et pauvres? Ou, dit autrement, où se nichent aujourd'hui les quelques centaines de milliers de Français qui auraient appartenu au clergé il y a cinquante, cent cinquante ou cinq cents ans?
Commençons par les fonctions sacramentelle et spirituelle, qui constituent le reliquat laissé au clergé traditionnel. Elles sont assurées par un clergé vieilli et réduit à 42.000 membres en 2015 (dont 10 % de prêtres étrangers). Mais cela reste assez considérable comparé par exemple aux 1800 imams (à plus de 80 % étrangers). En fait, c'est l'ensemble des fonctions cléricales ou assimilées qui se sont effondrées dans les diverses confessions.
Maintenant que l'immense majorité du peuple n'est plus haranguée en chair chaque dimanche, on peut estimer, une fois les intellectuels et les écrivains remis à leur juste et modeste place, que les journalistes, les polygraphes et tout un peuple de communicants, a pris le relais dans la fonction tribunitienne. La tendance s'effrite avec l'Internet, puisque chacun peut émettre des contenus pour tous, et d'abord pour soi. Mais les Français demeurent soucieux, en tant que vieilles ouailles, de savoir ce qu'il faut penser de la politique, de la famille, mais aussi des romans, des films et de l'art en général.
Un haut clergé de grands éditorialistes, dans les médias audiovisuels ou les magazines féminins, délivre chaque semaine son imprimatur (nihil obstat) sur telle ou telle œuvre d'art - pour les films dans «Le masque et la plume» à l'heure des Complies, ou dans Télérama pour la majorité des enseignants. La mise à l'index, fréquente en cas de déviation hors des chemins balisés, est aussi efficace auprès de la bourgeoisie provinciale qu'elle le fut jadis Claude Lelouch en a fait l'expérience. Son cinéma est-il trop populaire pour être agréé?
Le modèle des «bonnes sœurs» a été remplacé par le modèle des «femmes libérées»
Quant à la presse dite féminine, elle n'est pas avare de prescriptions morales d'un nouveau genre. Depuis quelques décennies, ses recommandations sont la figure inversée de ce que furent les prescriptions cléricales: le modèle des «bonnes sœurs» a été remplacé par le modèle des «femmes libérées». Un exemple: à la promotion de l'abstinence jadis a succédé la promotion d'une sexualité affichée et militante, soutenue par une industrie toujours plus puissante. Ce clergé inversé exerce un magistère tout aussi normatif que le précédent.
Un substantiel profit matériel
Les grandes fonctions sociales, enfin, ont été accaparées par l'État. La dîme en vigueur sous l'Ancien Régime, soit 10 % du PIB, a été captée par le corps médical et les hôpitaux (250 milliards d'euros, soit 350 fois le budget de l'Église aujourd'hui). Le soin des corps a supplanté celui des âmes, mais un nouveau haut clergé en tire toujours un substantiel profit matériel. Pour le remède des «âmes», psychologues, psychiatres et psychanalystes se meuvent avec aisance dans une société longtemps habituée à la confession. Leur rôle croissant dans la direction de conscience, y compris par revues, livres et presse interposés, est notable.
Ces mêmes hôpitaux, encore peuplés de religieuses et d'infirmières en habit dans les années 1950, ont fait place à un personnel dévoué d'infirmières et d'agents civils - le plus souvent des femmes - qui travaillent en silence au bien de leur prochain. Leurs modestes salaires ne sont pas exempts d'une forme de gratuité. Enfin, les bonnes sœurs modernes s'incarnent plus que d'autres dans la figure de l'assistante sociale, chargée d'adoucir les maux très rudes d'une société qui ploie sous le joug d'une «modernisation» dure avec les faibles. Quant à la charité, rebaptisée solidarité, elle perpétue chaque hiver ses soupes populaires.
Enfin, la fonction enseignante n'échappe pas non plus à sa tradition cléricale. Si les classes préparatoires sont toujours les petits séminaires des temps modernes, le corps enseignant demeure mû par une vive conscience morale: comment, sinon, accepter un travail consciencieux et solitaire, exercé dans des conditions bien plus difficiles que naguère, dans un milieu professionnel infantilisant, et pour des salaires relatifs divisés par deux en quarante ans? Les professeurs sont d'anciens bons élèves, ayant (presque) fait vœu d'obéissance, et les établissements scolaires sont remplis de célibataires rangés qui ne sont pas sans évoquer les religieux et religieuses d'il y a peu.
À n'en pas douter, la nouvelle France n'est pas encore exempte de son passé.
* Ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé et docteur en histoire, Pierre Vermeren est universitaire.

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Tony Meloto, le businessman philippin devenu bâtisseur de rêves (22.12.2017)

Par Aude Raux
Mis à jour le 22/12/2017 à 14h58 | Publié le 22/12/2017 à 14h43
REPORTAGE - Alors que le président des Philippines, Rodrigo Duterte, mène une guerre sanglante contre les trafiquants de drogue, ce chef d'entreprise a choisi une autre arme pour combattre l'extrême pauvreté qui gangrène son pays : le social business.
Le voilà. Au milieu de maisons multicolores, il est là. Entouré de ceux qu'il a rendus dignes. Ses yeux se ferment. Un instant. Le temps de se plonger dans son passé. Ses souvenirs ont la teinte sombre des tôles ondulées: «Autrefois, Bagong Silang était un bidonville insalubre de Manille, peuplé de criminels et de dealers de drogue. Nous avons mis un terme à la spirale d'extrême pauvreté et de violence grâce au pouvoir de la présence.»
Si le poids des années a voûté la silhouette et blanchi les cheveux de Tony Meloto, son optimisme est toujours aussi radical. Aujourd'hui âgé de 67 ans, ce Philippin est l'inventeur d'un innovant modèle de développement économique. Il rassemble en bâtissant des ponts entre pauvres et riches, nationaux et Occidentaux, ruraux et urbains, catholiques et musulmans. Son approche holistique a été récompensée par de nombreuses distinctions et lui a valu d'intervenir dans les grands forums économiques mondiaux, comme Davos.
Ancien directeur des achats chez Procter & Gamble aux Philippines, puis créateur et chef d'entreprise, celui que l'on surnomme avec respect Tito Tony (Oncle Tony) a fondé, en 2003, l'ONG Gawad Kalinga (GK). En tagalog, la langue officielle de ce pays d'Asie du Sud-Est, ces mots signifient «prendre soin». Avec le sens de la formule qui le caractérise, il dit: «Je suis passé par l'enfer pour inventer un paradis.» Il y a vingt ans, il vivait avec sa femme dans une belle propriété derrière de hauts murs protecteurs. Leurs enfants suivaient des études dans des écoles huppées accompagnés de leurs gardes du corps. «J'avais travaillé dur pour nous fabriquer cette bulle, mais j'ai pris conscience que dans un océan d'insécurité, ma famille était une proie. A mi-chemin du voyage de ma vie, si j'avais atteint mes ambitions, je me sentais tel un bagage vide.»
«Je suis passé par l'enfer pour inventer un paradis»
Tony Meloto
En quête de sens, Tony Meloto s'engage dans l'association catholique Couples for Christ et s'immerge dans le plus grand bidonville de Manille: Bagong Silang. Faisant sienne la maxime de Gandhi: «Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde.» Pendant trois mois, dès 5 heures du matin, il vient partager un café et des moments de vie avec les plus démunis: «Je voulais me reconnecter à eux, percer l'origine de leur misère. J'ai compris qu'aucun être humain ne naît criminel, mais à vivre dans de telles zones de non-droit, comment mener une existence digne, comment respecter la loi?» Peu à peu, Tony Meloto gagne leur confiance. L'été 1996, il organise un camp pour les jeunes. Anthony Addura est l'un d'eux. Sur sa peau, le tatouage d'une croix qu'enlace un dragon. Son père est sans emploi, sa mère lave des vêtements pour subvenir aux besoins de ses cinq enfants. Cent vingt-six autres jeunes y participent, attirés par la nourriture gratuite, la musique, la danse. La plupart sont enrôlés dans des gangs, tel Anthony Addura qui, du haut de ses 14 ans, arrive armé: «Tito Tony nous a permis d'avoir des rêves. Alors, à sa demande, on a rendu les armes et on a pactisé avec le gang ennemi.» A la fin du camp d'été, Tony Meloto, fils d'instituteurs publics, lui propose de retourner à l'école. Grâce à une bourse, Anthony Addura suit des études d'informatique et de management. Aujourd'hui, il travaille à plein temps pour GK dont il s'est fait tatouer le leitmotiv: «Walang iwanan», soit «N'abandonner personne».

Le leitmotiv de Gawad Kalinga: “N'abandonner personne”. - Crédits photo : Laurent Weyl / Argos / Pictureta
Le bâtisseur de rêves lance, dans la foulée, son premier chantier solidaire: la construction d'une salle polyvalente. «Les hommes sont souvent source de dysfonctionnements dans la société, voilà pourquoi je voulais les impliquer», raconte Tony Meloto. Puis, en 1999, la première maison d'une longue série est érigée au milieu de Bagong Silang. La famille d'Anthony Addura s'y installe. Pour la première fois de leur vie, ils ont une adresse postale et sont enracinés dans un lieu dont personne ne pourra les déloger. Dans les rues alentour, désormais propres et bordées de verdure, les enfants jouent en sécurité et les voisins s'entraident.
Chaîne de solidarité
À ce jour, plus de 250.000 Philippins bénéficient, gratuitement, d'un foyer coloré. Et, par ricochet, près d'un million de personnes sont impactées par Gawad Kalinga. L'écosystème de l'ONG repose sur une chaîne de solidarité que Dan Bercasio, coordinateur de chantiers, résume ainsi: «Des propriétaires terriens offrent des emplacements ; les entreprises partenaires financent le matériel ; les bénéficiaires et les bénévoles construisent les maisons sous la houlette de professionnels ; enfin, le gouvernement local aménage les services publics: routes, canalisations, etc.» Les maisons, dont le coût à l'unité est de 2 800 euros, sont déployées à travers les Philippines, majoritairement à la campagne, comme à New Washington sur l'île de Panay.

Les plus démunis vivaient dans des abris de fortune. Ils sont désormais relogés dans des habitations décentes. - Crédits photo : Laurent Weyl / Argos / Pictureta
Dos au Pacifique, Mélanie Miaral, 50 ans, regarde le ciel tourmenté de nuages. Sur son visage, les sillages creusés par une vie passée au bord d'un océan de plus en plus menaçant. En novembre 2013, sa cabane en bambou a été emportée par le typhon Haiyan. Echouées sur le rivage, les ruines du phare en béton, vestiges de la violence des vents. «Depuis que j'ai été relogée, avec ma famille, dans une maison en dur parmi la communauté Gawad Kalinga, à 500 mètres à l'abri dans les terres, je dors enfin la nuit.» Son foyer en dur a été construit, au printemps 2014, sur le même modèle que les autres: une surface moyenne de 20 mètres carrés au sol - qui peut être doublée d'un étage - équipée de WC, avec eau courante et électricité. Sans oublier un petit jardin dans lequel les pêcheurs du village sont encouragés à planter un potager.
Les bénéficiaires des maisons Gawad Kalinga doivent participer aux chantiers. «Le travail paraît plus léger quand on transpire ensemble pour construire notre futur», dit l'un d'eux. Un futur cimenté par les valeurs universelles que prône l'ONG: l'honnêteté, la solidarité envers ses voisins, le respect de la famille, ou encore la persévérance. Autant de valeurs que les leaders - des volontaires parmi les bénéficiaires - veillent à faire perdurer dans les communautés, notamment via des formations. Si donner une maison aux plus pauvres d'entre les pauvres est la mission de base de GK, Luis Oquiñena, directeur exécutif, rappelle qu'«il s'agit de bâtir des communautés autonomes et durables. C'est ce qu'on appelle le “bayanihan”: l'esprit de solidarité.»
En témoigne le Bayani Challenge. Ce «défi des héros» se tient chaque printemps à travers le pays pour créer un mouvement national de solidarité avec les plus défavorisés. Près de Bacolod, capitale de la province du Negros occidental, Luis Oquiñena organise une session de cinq jours. Deux longues files indiennes d'environ 400 bénévoles font circuler pots de peinture, briques et seaux d'eau afin d'aider à la construction de maisons Gawad Kalinga. Au milieu d'elles, Tony Meloto, galvanisé par l'énergie qui se dégage de la foule en transe et les haut-parleurs au puissant volume.
«N'est-ce pas scandaleux que notre pays qui compte tant de fervents catholiques, soit aussi corrompu et inégalitaire ? Cessons de faire la charité. Désormais, j'ai foi en… l'action»
Tony Meloto
Cet élan solidaire dépasse les frontières. Parmi les entreprises étrangères qui financent directement les communautés: l'anglo-néerlandais Shell, le coréen Hyundai, l'américain Microsoft. Et, du côté de l'Hexagone: Air France-KLM, ou encore Schneider Electric. Mais, dans le premier Etat catholique d'Asie (1), certaines de ces entreprises ne sont pas en odeur de sainteté, tel Pfizer qui produit des préservatifs. Critiquée pour ne pas avoir condamné la contraception, Gawad Kalinga, branche sociale de Couples for Christ, se sépare de sa tutelle en 2009. Tony Meloto confie: «Je me suis réinventé au contact des pauvres. J'étais un missionnaire, mais on ne peut pas prêcher à des personnes affamées. N'est-ce pas scandaleux que notre pays qui compte tant de fervents catholiques, soit aussi corrompu et inégalitaire? Cessons de faire la charité. Désormais, j'ai foi en… l'action.»
Le business plan, élaboré par Tony Meloto pour en finir avec l'extrême pauvreté, repose sur la trinité suivante: donner un toit, essaimer l'esprit de solidarité et développer l'entrepreneuriat social. Comme il le souligne, «pour voir grand, il faut nous appuyer sur les entrepreneurs sociaux. Il s'agit non pas de chercher le profit maximum, mais le profit optimum. Les entreprises doivent tenir compte de leurs répercussions sociales et environnementales.» Pour relever ce pari, il a fondé, en 2010, la Ferme enchantée, un incubateur d'entrepreneuriat social dédié au secteur agricole. Situé dans la campagne de la province de Bulacan, près de Manille, cet éden se déploie autour d'un village Gawad Kalinga. L'objectif vise à implanter 25 Fermes enchantées afin de promouvoir des emplois dans l'agriculture. Sur une surface de 37 hectares d'abondance, les citadins hors sol se reconnectent à la terre nourricière. Un jardin potager, bordé par les manguiers et les cocotiers, regorge de tomates, laitues et piments croquants en cette saison des pluies.
Tony Meloto séjourne trois jours par semaine à la Ferme enchantée. Levé à 5 heures, il contemple les étendues vertes qui, bientôt, se métamorphoseront en rizières ou jardins aromatiques. Un champ de possibles s'ouvre à lui: «L'agriculture est l'avenir de notre nation. Un quart des Philippins ne mangent pas à leur faim alors que nous avons 12 millions d'hectares de terres fertiles inexploitées.»
Dans son sillon, Vincent Jhunieal Tatel. À 17 ans, il étudie à la School for Experiential & Entrepreneurial Development (SEED), cette école qui, implantée à la Ferme enchantée, permet aux jeunes défavorisés de se former à l'entrepreneuriat social: «Grâce à GK, j'ai pu devenir une meilleure version de moi. Je viens d'être diplômé de la première promotion SEED. Et, l'été dernier, en partenariat avec Louis Faure, on a démarré un élevage de poulets en plein air, sans antibiotiques.» Étudiant à HEC, Louis Faure est arrivé en août 2014 pour une année de césure qu'il a prolongée de douze mois: «J'ai trouvé un lieu qui rassemble ce dont j'ai besoin pour vivre.» Un lieu dans lequel ce Parisien de 24 ans se reconnecte à lui-même, aux autres et à la nature. Prenant conscience que tout est lié.

Même les étudiants des écoles françaises les plus réputées suivent le sillon écologique creusé par Tony Meloto. Ici, Louis Faure, un élève de HEC désireux de se reconnecter à la terre nourricière. - Crédits photo : Laurent Weyl / Argos / Pictureta
«En France, on nous enseigne à tout calculer, particulièrement les risques, mais jamais à lâcher prise»
Louis Faure, étudiant de HEC en césure
De plus en plus d'étudiants, majoritairement des Français des grandes écoles - Essec ou Polytechnique - viennent en stage à la Ferme enchantée, attirés par l'esprit «Let's do it» qu'essaime Tony Meloto. «En France, regrette Louis Faure, on nous enseigne à tout calculer, particulièrement les risques, mais jamais à lâcher prise. Ici, on apprend par l'expérience et le ressenti.» Avec Vincent Jhunieal Tatel, ils élèvent aujourd'hui 850 poulets de race locale qu'ils livrent à la classe aisée de Manille devenue soucieuse de sa santé.
Jusqu'à présent, une trentaine de projets d'entrepreneuriat social ont vu le jour, bénéficiant de la renommée de la «marque» Gawad Kalinga. Parmi lesquels, Plush and Play. Cette entreprise de peluches à l'effigie de fruits et légumes, qui emploie une trentaine de couturières du village GK et des alentours, est l'initiative d'un jeune Français, Fabien Courteille. Autres exemples: Bayani Brew, un thé frais concocté à partir d'ingrédients endémiques achetés à un juste prix aux fermiers, ou encore CalaBoo Creamery, spécialisé dans les produits laitiers de buffle d'eau. La majorité de ces projets sont portés par des Philippins désireux de mettre du sens dans leur vie professionnelle et de retourner à leurs racines. Comme Franco Romualdez. Descendant d'une famille fortunée - son grand-père était ambassadeur à Madrid -, le jeune homme avait un avenir tout tracé dans une multinationale étrangère, jusqu'à ce qu'il assiste à une conférence de Tony Meloto: «J'ai été soufflé. Les riches Philippins considèrent la pauvreté comme un problème insoluble, mais lui nous montre qu'il y a des solutions. Je voulais prendre part au changement de mon pays.» Et tous de citer en exemple Human Nature, un business social dirigé par Dylan Wilk.

Au centre, le millionnaire britannique Dylan Wilk, à l'initiative de Human Nature. - Crédits photo : Laurent Weyl / Argos / Pictureta
Après avoir lancé, à 20 ans, son entreprise de jeux vidéo, Gameplay.com, ce Britannique est devenu millionnaire: «Je connaissais le succès, pourtant je ne contribuais en rien à l'amélioration de la société. Je pouvais tout m'offrir, matériellement, mais je n'étais pas heureux. Je confondais plaisir et bonheur. J'ai alors voyagé à la quête d'ONG fiables que j'aurais financées, jusqu'à ce que je découvre Gawad Kalinga.» Lorsqu'il signe un chèque de 100.000 dollars à Tony Meloto, celui-ci refuse et lui rétorque qu'«il y a davantage dans son cœur que dans son portefeuille». De retour au Royaume-Uni, Dylan Wilk regarde d'un autre œil sa collection de Ferrari et de BMW, adoptant une nouvelle unité de compte: «Je me demandais combien de maisons Gawad Kalinga pouvait construire pour le prix d'une voiture. J'étais tombé amoureux de ce pays, de ses habitants si bienveillants et, surtout, de la fille de Tony Meloto. Eux, me rendaient heureux.»
En 2003, il s'installe aux Philippines et se marie. Quand son épouse, Anna, et sa belle-sœur, Camille Meloto, lui proposent de monter une entreprise sociale dans les cosmétiques naturels, Dylan Wilk décline: «J'avais peur de réveiller mon côté obscur de businessman avide.» Mais il ne résiste pas à leur argument d'«utiliser la puissance commerciale d'une entreprise pour lutter contre la pauvreté». En 2008, ils s'associent pour créer Human Nature. Leur slogan: «pro-Philippines, pro-pauvres et pro-environnement». Les matières premières sont ainsi cultivées, localement, sans produits chimiques. Les paysans sont rémunérés de façon équitable. La moitié des 370 employés viennent des communautés GK des bidonvilles (2) de Manille. Ils bénéficient de la sécurité de l'emploi, d'une couverture santé et leur paie est 70 % plus élevée que le salaire minimum. Ce qui n'empêche pas Human Nature de faire du profit.
À la tête, avec son épouse, d'une famille transcontinentale déjà nombreuse (cinq enfants et neuf petits-enfants), Tony Meloto l'élargit au reste du monde: «À partir du moment où vous considérez l'autre comme partie intégrante de votre famille biologique, vous pouvez assurer à vos enfants un avenir de paix.»
En savoir plus: Gk-france.fr
(1) 80 % des 103 millions de Philippins sont catholiques.
(2) 40 % des habitants de Manille vivent dans un bidonville.
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Libye : la France maintient l'objectif électoral de 2018 (22.12.2017)
Par Thierry Portes
Mis à jour le 22/12/2017 à 20h03 | Publié le 22/12/2017 à 19h11
VIDÉO - Jean-Yves Le Drian se veut confiant après ses rencontres avec le premier ministre al-Sarraj et le maréchal Haftar.
Envoyé spécial à Tripoli et Benghazi
Sans un empêchement de dernière minute, Jean-Yves Le Drian se serait rendu avant le 17 décembre en Libye, et peut-être aurait-il pu éviter que le maréchal Khalifa Haftar dénonce les accords de Skhirat, par lesquels la communauté internationale entend sortir ce pays du chaos. Mais ces accords ayant été originellement adoptés pour deux ans, Haftar, qui n'a eu de cesse de les contester, n'a pas manqué, le 17, de «célébrer» cet anniversaire. Mes «forces armées ne suivront que les ordres du peuple libyen», a-t-il déclaré, en annonçant qu'il se moquerait des avis des autorités civiles libyennes, jusqu'à ce que celles-ci soient démocratiquement désignées par les électeurs.
Le ministre français des Affaires étrangères, finalement arrivé le 21 en Libye, a passé cette journée à tenter de raccommoder le processus de paix, tantôt encourageant, tantôt apaisant, les deux acteurs autour desquels la communauté internationale espère organiser des élections en 2018. C'est ce qui a été décidé à la rencontre organisée en juillet par le président Macron à La Celle-Saint-Cloud et validé ensuite à l'ONU par toutes les puissances investies dans le dossier libyen.
D'un côté donc, à Tripoli, il y a Fayez al-Sarraj, qui tire sa légitimité des accords de Skhirat, et de l'autre côté, à Benghazi, quelque mille kilomètres plus à l'est, le maréchal Haftar, qui a fondé l'Armée nationale libyenne. Les deux hommes, en tous points dissemblables, ne se font aucune confiance, et entretiennent chacun à l'égard de l'autre des appréhensions, voire plus.
Jean-Yves Le Drian a d'abord rendu visite à Fayez al-Sarraj, un chef d'entreprise plutôt amène, parlant anglais, qui connaît les manières occidentales. L'homme à la moustache poivre et sel, protégé par des miliciens aux tenues disparates à l'image du chaos sécuritaire prévalant à Tripoli, est claquemuré dans le bâtiment dévolu au premier ministre depuis l'ère Kadhafi. C'est en ces mêmes lieux que les autorités tout juste victorieuses du tyran organisaient à l'automne 2011 des conférences de presse, annonçant des élections générales, la réconciliation, la paix et la prospérité qui en découleraient. Le pays en est toujours au même point, si ce n'est qu'à Tripoli les milices ayant combattu les forces kadhafistes ont cédé à une logique mafieuse, multipliant la nuit les car-jackings et enlèvements, tandis que la population vit sans le sou entre les coupures d'eau et d'électricité. Au sortir de cet entretien, le ministre français s'est satisfait d'avoir constaté «une convergence de vues totale» avec Fayez al-Sarraj «sur l'agenda et la volonté d'aller vite» vers des élections générales.
Pour accéder au maréchal Haftar, il faut encore passer plusieurs barrages, portes et portiques, au milieu d'une foultitude de militaires vêtus d'uniformes semblables et impeccables
Il fallait ensuite vérifier que le maréchal Haftar était dans les mêmes dispositions et que les mots avaient dépassé sa pensée quand il avait dénoncé les accords de Skhirat. L'homme à la moustache noire est, lui, claquemuré sur sa base militaire d'al-Rajma, à l'est de Benghazi. De l'aéroport de la ville, une route spéciale à l'opposé du terminal mène, en dix minutes, à travers une plaine occupée par des serres et quelques cultures au plateau sur lequel est installée cette base. À mesure que l'on monte, la route est plus sinueuse entre les champs caillouteux parsemés d'arbres, et les postes militaires deviennent plus fréquents. Puis les dos d'ânes, les chicanes, les herses et les murs d'enceintes se multiplient. Pour accéder au maréchal Haftar, il faut encore passer plusieurs barrages, portes et portiques, au milieu d'une foultitude de militaires vêtus d'uniformes semblables et impeccables. Après son rendez-vous, Jean-Yves Le Drian s'est dit rassuré: le maréchal Haftar «soutient le processus électoral, mais veut qu'il soit transparent et irréprochable». «Nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais je suis assez optimiste», a dit le ministre en réaffirmant que l'objectif demeure bien des élections générales au printemps 2018, pour mettre fin aux deux gouvernements et deux Parlements actuels.
Ghassan Salamé, l'émissaire spécial de l'ONU pour la Libye, a d'ici là prévu d'organiser en février une conférence nationale où seraient élaborés la loi électorale, une ébauche de Constitution, et surtout où serait vérifié que le plus grand nombre d'acteurs s'engagent à participer et respecter le résultat des élections. Il ne faudrait pas que l'équilibre entre les différentes forces militaires soit rompu et que de nouveaux combats mettent à mal ce processus. La tâche est ardue. Et il restera au final à convaincre les Libyens de se rendre aux urnes, pour la troisième fois depuis la révolution de 2011, alors que les deux premiers scrutins n'ont aucunement stabilisé leur pays.

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Le djihadisme mis à nu (22.12.2017)
Par Charles Jaigu
Mis à jour le 22/12/2017 à 15h07 | Publié le 22/12/2017 à 08h44
Dans son ouvrage Djihadisme : le retour du sacrifice, le professeur Jacob ­Rogozinski décortique le fanatisme islamiste et parvient à dépasser la thèse du voyou frustré et celle du terrorisme politique.
Au fil des attentats suicides de ce début de millénaire, depuis les tours jumelles jusqu'aux Eglises coptes dans le Sinaï en passant par le Bataclan et la Promenade des Anglais, le phénomène a progressivement fait l'objet d'exégèses de plus en plus fines, mais aussi, forcément, de débats contradictoires sur la véritable nature du djihadisme. Il fallait un philosophe aguerri pour aller jusqu'au bout de ce débat. Et c'est ce qu'a fait Jacob Rogozinski, professeur à l'université de Strasbourg, dans un remarquable petit livre intitulé Djihadisme: le retour du sacrifice *.
Toute vraie foi est ­radicale, sans pour autant engendrer le désir de semer la mort
Il y a du René Girard dans ce texte très dense, habité par une authentique démarche herméneutique, qui tente de comprendre le retour du sacrifice religieux dans nos sociétés sécularisées. L'auteur commence par dire tout ce que le djihadisme n'est pas. Il disqualifie d'emblée les thèses venues du postmarxisme (Alain Badiou) autant que de l'école libérale (Olivier Roy): les djihadistes ne sont pas seulement de minables voyous frustrés de ne pouvoir accéder aux voluptés que l'Occident offre à ses citoyens consommateurs. Ils ne sont pas de simples terroristes non plus, au service d'une stratégie politique, comme le furent les Palestiniens, les sionistes, les Arméniens, les anarchistes, assumant une violence au nom d'une fin qui la justifierait.
Certes, la terreur stratégique fait aussi partie du djihad, car elle favorise la montée aux extrêmes, et peut déclencher la guerre civile entre les mécréants et les purs, comme le rappelle souvent Gilles Kepel, autre expert de ce débat, mais, écrit l'auteur, «ce n'est pas le dernier mot du projet djihadiste». Il ne suffit pas non plus d'en faire des croyants «radicalisés», car toute vraie foi est radicale, sans pour autant engendrer le désir de semer la mort.
Rogozinski préfère l'idée de messianisme fanatisé, cette «exaltation qui défigure une croyance» et amène un homme, par une série de transformations intérieures, à «se choisir une tout autre existence, comme s'il devait s'arracher à ce qu'il était précédemment, afin de renaître comme un homme nouveau». L'engagement djihadiste est bien «une conversion». L'analyse sociologique ne peut rendre compte de ce moment où un individu décide de se donner l'illusion d'une liberté qui le délivre de tout ce qui l'enchaînait. Le djihadisme n'est pas non plus réductible à une pathologie mentale ou un dérangement de l'esprit, encore moins une forme de nihilisme.
Sa logique est religieuse et suit des schémas d'identification qui sont inscrits dans les textes de l'islam. Ce n'est pas la fascination pour le néant qui ravit le djihadiste, mais un projet d'émancipation, un arrachement à la désolation spirituelle du monde, au discrédit de la politique qui ne peut rien pour le transformer. L'islam est une religion du salut, comme le judaïsme et le christianisme avant lui, et l'affect fondamental qui l'anime est l'espérance d'un monde d'égalité et de justice. Le djihad spirituel propose l'accès à une communauté des croyants réincorporés les uns aux autres après l'explosion.
L'islam devient un pôle d'identification pour les humiliés, les exploités et les exclus
Mais l'auteur ne s'arrête pas là. Il montre bien que l'islam aujourd'hui fournit mieux que tout autre le récit d'une vengeance des humiliés: «L'événement messianique implique une rupture totale, c'est aussi un moment d'inversion des injustices: les derniers deviennent soudain les premiers.» Il décrit justement ce «complexe d'Ismaël» hérité d'une très ancienne tradition, assimilant l'islam à Ismaël, ce frère aîné et bâtard, déshérité et banni par son père Jacob, qui lui préfère Isaac, son fils légitime et fondateur du judaïsme.
Dès lors, l'islam devient un pôle d'identification pour les humiliés, les exploités et les exclus. «C'est la rivalité pour le privilège de l'élection divine qui produit l'envie et la haine à l'égard des monothéismes antérieurs.» Rogozinski fait un rêve œcuménique pour sortir de cette impasse dans laquelle s'enferme le fanatisme islamique - et avant lui d'autres fanatismes juifs ou chrétiens. Il lui propose d'accepter un «partage de la promesse» de l'élection divine entre les trois monothéismes, qui sont, selon lui, «trois attestations différentes d'une même vérité». C'est un rêve, admet-il, car la croyance dans le «Coran incréé» donne à ce texte une valeur d'absolu, «quand la Torah et les Évangiles se présentent seulement comme des œuvres humaines inspirées par Dieu».
Le fanatisme est-il inhérent au messianisme des musulmans, des chrétiens et des juifs? Oui, chez ceux pour qui l'Un exclut le multiple. Les fanatiques devraient méditer cette maxime de Rumi, l'un des mystiques de l'Islam, que cite l'auteur: «La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve.»
*Djihadisme: le retour du sacrifice, Desclée de Brouwer, 257 p., 18,90 €.
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