samedi 28 avril 2018

Islamisme et politique 26.04.2018


Évasion manquée de la princesse Latifa : l'affaire rebondit au Luxembourg (25.04.2018)
Turquie: manifestation pour la liberté de la presse (26.04.2018)
Espagne: 5 hommes condamnés pour agressions sexuelles (26.04.2018)
Soudan du Sud: 10 travailleurs humanitaires portés disparus
Découverte de cinq charniers dans l'est de la RDC (26.04.2018)
Arabie saoudite: 48 exécutions depuis le début de l'année (26.04.2018)
Gunther Jikeli : « L’antisémitisme parmi les musulmans se manifeste au-delà des islamistes radicaux » (24.04.2018)
«Le plan banlieue, c'est déshabiller la France périphérique pour habiller celle qui vit de l'autre côté du périph'» (27.04.2018)

Sonia Mabrouk, femme de combat contre l'horreur de l'islamisme (27.04.2018)
Les bonnes feuilles du roman de Sonia Mabrouk sur les enfants français du djihad (27.04.2018)
Sonia Mabrouk : «Les enfants du djihad, victimes innocentes ou bombes à retardement ?» (22.08.2017)
Mabrouk, Slimani, Guirous, Bougrab : ces femmes contre les dérives de l'islam (19.09.2017)
Les réfugiés palestiniens de Gaza rêvent toujours d'un «retour» (27.04.2018)
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Éric Zemmour: «La leçon de la monarchie anglaise» (27.04.2018)
Emmanuel Macron : «L'Europe… ce vieux continent de petits-bourgeois» (27.04.2018)
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Interdiction de la circoncision : «Il ne faut pas faire d'amalgame avec l'excision» (27.04.2018)
Andrew Sheng: «L'Occident n'a pas d'idées pour gérer les enjeux essentiels» (27.04.2018)
L'élection turque motivée par une économie en surchauffe (27.04.2018)
Des Chinois auraient été agressés au Printemps, ils crient au racisme et appellent au boycott (27.04.2018)
Machiavel est-il machiavélique ? (26.04.2018)

Évasion manquée de la princesse Latifa : l'affaire rebondit au Luxembourg (25.04.2018)

Par Amel Charrouf
Mis à jour le 25/04/2018 à 12h54 | Publié le 25/04/2018 à 12h07
Un Français, complice de la tentative de fuite de son pays de la princesse Latifa, fille de l'émir de Dubaï, a été arrêté. L'organisateur de l'expédition, Hervé Jaubert, contredit la version de l'affaire fournie par les autorités émiraties.
L'évasion de la princesse Latifa Al Maktoum n'a pas encore livré tous ses secrets. C'est encore - après l'ex-agent secret Hervé Jaubert - un Français qui est mêlé à cette affaire rocambolesque. Christian Elombo, âgé de 40 ans, est professeur de fitness et d'art martiaux. Il a été arrêté à Oman au début du mois de mars à la demande des Émirats arabes unis peu de temps après que sheikha Latifa s'est échappée. Il est accusé d'avoir transporté la princesse hors des frontières des Émirats afin de l'aider à s'enfuir. Mais Oman a choisi de rejeter la demande d'extradition émanant de Dubaï et Christian Elombo a été libéré et autorisé à rentrer chez lui. Le 5 avril, il a pu ainsi rejoindre le Luxembourg où il a été, à nouveau, interpellé pour kidnapping via un mandat d'arrêt international délivré par Interpol.
La justice luxembourgeoise a précisé que les Émirats arabes unis disposaient d'un délai maximum de 45 jours à compter de son arrestation pour déposer une demande d'extradition par voie diplomatique. Dubaï devra fournir des preuves tangibles pour étayer sa requête. Les documents devront être rédigés en allemand ou en français, avec une description détaillée des faits. La chambre du conseil de la cour d'appel donnera ensuite un avis motivé au ministre de la Justice luxembourgeoise, Félix Braz. Ce dernier est le seul décideur de l'extradition.
Maltraitance
Christian Elombo se serait porté au secours de la princesse Latifa pour mettre fin à ses souffrances et à sa détresse morale. «Chris est un bon garçon, il est fier d'être français et de servir son pays. Il ne regarde jamais le poids, l'âge, le handicap, la couleur ou la nationalité et aime tout le monde, en regardant toujours ce qui est bon chez les gens et en essayant de voir les bonnes choses dans chaque situation», a expliqué sa famille dans un communiqué diffusé par l'ONG Deteined in Dubaï qui soutient la princesse émiratie.
Cheikha Latifa, une des filles de l'émir de Dubaï, cheikh Mohammed ben Rashid Al-Maktoum, était apparue dans une vidéo sur YouTube en mars pour annoncer son «évasion» de son pays où elle dit avoir été maltraitée par son père et les autorités locales. Elle se plaignait d'avoir été séquestrée et d'avoir subi divers abus. Un document tourné avant l'arraisonnement du yacht à bord duquel elle avait pris la fuite en compagnie d'une amie finlandaise et de l'ex-agent secret français et homme d'affaires Hervé Jaubert a été mis en ligne après l'échec de son échappée. Le bateau avait été pris d'assaut le 4 mars au large des côtes indiennes par des commandos armés.
La princesse «va bien»
Selon une source proche du gouvernement de Dubaï, citée le 17 avril par l'AFP, le sort de la princesse serait une «affaire privée» qui a été «exploitée» par une «bande d'escrocs» et par le Qatar, grand rival des Émirats dans le Golfe. La princesse a été «ramenée» auprès de sa famille et «va bien» poursuivait cette source rompant le silence des autorités locales autour d'une affaire qui embarrasse la famille de l'émir.
Une version évidemment contestée par Hervé Jaubert, le maître d'œuvre de la tentative d'évasion. Selon lui, les dernières déclarations anonymes du gouvernement emirati sont contraires à la vérité. «La vidéo de la princesse Latifa reste une preuve de son évasion de plein gré», affirme-t-il au Figaro. Il revient également sur le sort réservé à Latifa. Pour lui, «la seule façon de vérifier si la princesse est heureuse parmi les siens est de lui permettre de faire une déclaration télévisée depuis un pays libre et sans contrainte». Il ajoute: «Je sais pour connaître Latifa que si elle était libre elle communiquerait avec Tina (son amie finlandaise, NDLR) et moi, or ce n'est pas le cas».

Turquie: manifestation pour la liberté de la presse (26.04.2018)

Par Le Figaro.fr avec AFP
Mis à jour le 26/04/2018 à 16h55 | Publié le 26/04/2018 à 16h42
Tout juste remis en liberté après plus de 500 jours de détention, le patron du quotidien d'opposition turc Cumhuriyet, dont plusieurs collaborateurs ont été condamnés à des peines de prison, a participé aujourd'hui à Istanbul à une manifestation pour la liberté de la presse.
Dans un verdict rendu hier soir 14 collaborateurs de Cumhuriyet (un quotidien critique du président Recep Tayyip Erdogan) ont été condamnés à des peines de prison allant de deux ans et demi et plus de huit ans pour aide à des "organisations terroristes", sans être écroués dans l'attente des procédures d'appel.
Le patron du journal, Akin Atalay a été condamné à sept ans et demi de prison, mais remis en liberté sous contrôle judiciaire en attendant l'issue de l'appel. Quelques heures après sa sortie de prison dans la nuit de hier à aujourd'hui, M. Atalay a participé à une manifestation pour la justice et la liberté de la presse à Istanbul. "Je suis actuellement libre, mais ce n'est pas terminé", a-t-il dit à l'AFP. "Nous serons de plus en plus nombreux.". 
"Honte à la justice" titrait Cumhuriyet en une aujourd'hui, affirmant que le verdict à l'encontre de ses journalistes resterait comme une "tache sombre" dans l'histoire. Akin Atalay est arrivé aujourd'hui dans les locaux de Cumhuriyet sous haute protection. Une immense banderole avec sa photographie et l'inscription "Tu n'es pas seul", y avait été déployée. "Nous ne succomberons pas à la peur", a-t-il déclaré à ses collègues qui l'ont accueilli en chantant.
"C'est difficile de faire du journalisme en Turquie", a déploré l'un des journalistes du quotidien, Mert Gumus, interrogé par l'AFP. "Nous travaillons sous pression et dans des conditions difficiles. Mais lorsque nos collègues étaient derrière les barreaux, nous devions être responsables et travailler encore plus pour combler le vide".
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Espagne: 5 hommes condamnés pour agressions sexuelles (26.04.2018)

Par Le Figaro.fr avec Reuters
Mis à jour le 26/04/2018 à 16h13 | Publié le 26/04/2018 à 16h09
La justice espagnole a condamné jeudi pour "agressions sexuelles" cinq hommes qui étaient poursuivis pour viol en réunion lors des fêtes de la San Fermin à Pampelune en 2016. Les cinq hommes, dont un ancien policier et un ancien militaire, étaient accusés d'avoir violé à tour de rôle une jeune Madrilène âgée de 18 ans à l'époque.
L'accusation de viol en réunion n'a pas été retenue par le tribunal qui a seulement jugé les cinq prévenus coupables d'agression sexuelle, un crime moins grave selon le code pénal espagnol. Les faits se sont déroulés lors des fêtes de San Fermin, en juillet 2016, qui réunissent chaque année plus d'un million de personnes pendant neuf jours à Pampelune, dans le nord de l'Espagne.
Ils ont chacun écopé d'une peine de neuf ans de prison et à verser une compensation financière de 50.000 euros à la victime. Le parquet avait requis des peines de plus de 20 ans de prison pour chacun d'entre eux. Des vidéos retrouvées dans les téléphones des accusés, des tests ADN et des témoignages ont été utilisés comme preuves lors du procès. Selon la défense, il s'agissait d'un rapport sexuel consenti en groupe.
En réaction au verdict de la justice espagnole, des groupes féministes ont prévu des manifestations dans plusieurs villes du pays, notamment devant le ministère de la Justice à Madrid. "Si cinq personnes qui s'en prennent à une fille n'est pas une agression, la question est de savoir ce qui ne va pas dans notre code pénal ?", commente dans le quotidien El Pais l'ancienne secrétaire d'Etat à l'Egalité Soledad Murillo. La police nationale a également affiché son soutien envers la victime, écrivant sur Twitter "Non c'est non - nous sommes avec vous".
Le Figaro.fr avec Reuters
Flash Actu

Soudan du Sud: 10 travailleurs humanitaires portés disparus

Par Le Figaro.fr avec Reuters
Mis à jour le 26/04/2018 à 15h51 | Publié le 26/04/2018 à 15h46
Dix travailleurs humanitaires, tous sud-soudanais, sont portés disparus au Soudan du Sud, a annoncé aujourd'hui Alain Noudehou, coordinateur des opérations humanitaires des Nations unies dans ce pays. On est sans nouvelles d'eux depuis hier matin, alors qu'ils se dirigeaient en convoi vers la ville de Tore, en provenance de Yei, dans l'Etat d'Equatoria-Central.
"Nous sommes très inquiets (...) et nous cherchons à avoir des renseignements sur le sort de ces travailleurs humanitaires", a déclaré Alain Noudehou. Lam Paul Gabriel, porte-parole adjoint du groupe rebelle SPLA-IO a dit avoir été informé des disparitions et avoir ordonné une enquête. Deux d'entre eux travaillent pour l'Unicef, une pour le bureau de coordination des affaires humanitaires de l'Onu (OCHA), une pour l'Organisation de développement du Soudan du Sud, deux pour le groupe ACROSS, trois pour Plan International et une pour Action Africa Help.
Depuis 2013, un conflit oppose au Soudan du Sud les partisans du président Salva Kiir à ceux de son ancien vice-président Riek Machar. Les affrontements ont fait des dizaines de milliers de morts, dont près de cent travailleurs humanitaires.  Cette semaine, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a annoncé son retrait de la ville de Leer, où un de ses postes a essuyé des tirs. Le personnel a été évacué vers Juba, la capitale.

Le Figaro.fr avec Reuters

Découverte de cinq charniers dans l'est de la RDC (26.04.2018)

Par Le Figaro.fr avec Reuters
Mis à jour le 26/04/2018 à 14h27 | Publié le 26/04/2018 à 14h14
Des membres du Haut Commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR) ont découvert cinq charniers humains dans la province d'Ituri dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) où des violences ethniques ont fait au moins 263 morts, indique la mission de maintien de la paix, la Monuc.
Les affrontements qui opposent depuis le mois de décembre des tribus pastorales Lendu et des éleveurs Hema sont à l'origine d'une grave crise des réfugiés dans la région. Ces violences ne sont pas cantonnées à l'est de la RDC, elles touchent également l'Ouganda, le Rwanda et le Burundi, trois Etats voisins.
Elles se sont exacerbées depuis que le président Joseph Kabila a refusé de quitter ses fonctions à la fin de son mandat en décembre 2016. Les attaques, principalement menées par les Lendu, ont contraint 60.000 personnes à se réfugier en Ouganda en traversant le lac Albert et l'Onu s'attend à voir arriver 200.000 personnes supplémentaires par cette voie cette année.
Les enquêteurs du HCR n'ont pas donné de précisions sur les charniers qu'ils ont découverts mais ont indiqué qu'environ 120 villages et localités avaient été pillées ou détruites entre la fin décembre et la mi-mars.
Le Figaro.fr avec Reuters

Arabie saoudite: 48 exécutions depuis le début de l'année (26.04.2018)

Par Le Figaro.fr avec AFP
Mis à jour le 26/04/2018 à 11h03 | Publié le 26/04/2018 à 10h17
L'Arabie saoudite a exécuté 48 personnes lors des quatre premiers mois de l'année, la moitié pour des affaires de drogue, a indiqué Human Rights Watch (HRW), exhortant le royaume à améliorer son système judiciaire, "connu pour son iniquité".
"Beaucoup plus de gens condamnés pour des affaires de drogue demeurent dans les couloirs de la mort suite à des condamnations par le système judiciaire pénal", écrit l'ONG basée à New York dans un rapport publié hier soir. Le royaume compte l'un des taux d'exécutions les plus élevés au monde.
Il est régi par une version rigoriste de la charia, la loi islamique, et applique la peine capitale dans des affaires de terrorisme, de meurtre, de viol, de vol à main armée et de trafic de drogue. Des experts des droits de l'Homme tire régulièrement la sonnette d'alarme sur le manque d'équité des procès dans ce pays. Les autorités invoquent elles la dissuasion pour justifier la peine de mort. "C'est déjà terrible que l'Arabie saoudite exécute autant de gens, mais en plus nombre d'entre eux n'ont pas commis de crimes violents", déplore Sarah Leah Whitson, responsable Moyen-Orient et Afrique Nord à HRW.
En 2017, près de 150 personnes ont été exécutées dans le royaume, qui a recours aux décapitations à l'aide d'un sabre pour les mises à mort. Dans une interview ce mois avec Time Magazine, le prince héritier Mohammed ben Salmane a suggéré que son pays pourrait changer les peines de mort en prison à vie dans certains cas, à l'exception des affaires d'homicide.
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Gunther Jikeli : « L’antisémitisme parmi les musulmans se manifeste au-delà des islamistes radicaux » (24.04.2018)
La haine des juifs n’est pas propre aux musulmans, mais elle est particulièrement répandue chez les Français de cette confession, explique l’universitaire Gunther Jikeli en s’appuyant sur plusieurs études, dans une tribune au « Monde ».
LE MONDE | 24.04.2018 à 11h08 • Mis à jour le 24.04.2018 à 11h17 | Par Gunther Jikeli (Professeur associé à l’université de l’Indiana (Indiana))
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Marche blanche pour l'octogénaire juive Mireille Knoll assassinée dans son appartement parisien. À Paris, mercredi 28 mars 2018 - 2018©Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE
[Fin mars, Mireille Knoll, 85 ans, qui avait échappé à la rafle du Vél’d’Hiv, a été retrouvée assassinée dans son appartement à Paris. Deux hommes ont été mis en examen pour « homicide volontaire » à caractère antisémite et « vol aggravé ». Cette affaire a relancé le débat sur le rôle de l’islam dans la propagation d’une nouvelle haine des juifs. Le 22 avril, Le Parisien publiait une tribune signée par plusieurs centaines de personnalités inquiètes de la montée d’un « antisémitisme musulman », qui provoquerait « une épuration ethnique à bas bruit » dans certains endroits d’Ile-de-France. Les auteurs demandent que « soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques » musulmanes « les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ». Le manifeste, rédigé par Philippe Val, compte notamment parmi les signataires Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Boualem Sansal, Antoine Compagnon, Charles Aznavour et Gérard Depardieu.]
Tribune. Le malaise grandit face à la montée de l’antisémitisme et notamment de l’antisémitisme musulman. Le terme même d’antisémitisme musulman est contesté en dépit du fait que depuis plusieurs années il existe des indications claires que la haine antijuive est particulièrement répandue en France – et ailleurs – parmi les musulmans. Cela ne signifie pas que tous les musulmans sont antisémites ou que les incidents antisémites soient le fait des seuls musulmans, ce qui serait loin de la vérité. L’antisémitisme reste répandu parmi l’important électorat du Front national et dans l’extrême gauche « anti-impérialiste ». Il existe en outre quelques complotistes tordus tels que Dieudonné qui ont construit leur popularité en tant qu’antisémites professionnels.
Mais le fait que l’antisémitisme soit particulièrement répandu parmi les musulmans n’en reste pas moins une évidence écrasante. Ce fait est étayé par de nombreuses études, enquêtes et...

«Le plan banlieue, c'est déshabiller la France périphérique pour habiller celle qui vit de l'autre côté du périph'» (27.04.2018)

Par Alexandre Devecchio
Publié le 27/04/2018 à 18h37
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Guillaume Bigot regrette que le plan Borloo, faute de diagnostiquer le problème culturel et sécuritaire que posent les banlieues, ne consiste selon lui qu'à «aligner des milliards». Au détriment de la France rurale, moins bruyante mais tout aussi souffrante.


- Crédits photo : Denis ALLARD/REA/Denis ALLARD/REA
Membre des Orwelliens, chroniqueur sur France Libre TV et sur BFMbusiness, Guillaume Bigot est essayiste. Il a notamment coécrit avec Stéphane Berthomet Le Jour où la France Tremblera. Terrorisme islamique: les vrais risques pour l'Heaxgone (Ramsay, 2006).

Le plan Borloo a-t-il vraiment tout faux?
Cet inventaire à la Prévert qui reflète la bonne volonté, le volontarisme mais aussi l'imagination brouillonne de son auteur est une énumération de contre-sens à la mode: aider les femmes (alors que ce sont les jeunes adultes masculins qui échouent et versent parfois dans la délinquance), investir dans le numérique (alors que les banlieues sont bien reliées aux réseaux haut débit, contrairement au reste du territoire), encourager les grands-frères (alors qu'ils sont soit impuissants, soit complices d'une minorité agissante), encourager les banlieusards à aller vers l'autre… D'abord le pays, dans toutes ses composantes, y compris nos concitoyens qui habitent dans les fameux quartiers, ne supporte plus que l'on opère des différences et que l'on exalte la diversité. L'époque n'est plus à Touche pas à mon pote, elle serait plutôt à Touche pas à mon peuple! Ce dont ont envie les habitants des cités, c'est de sentir qu'ils font partie intégrante de la nation et non pas, une fois de plus, d'être pointés du doigt, même si c'est pour reconnaître leurs difficultés. Il faut mentionner aussi d'ailleurs ce gadget délirant mais hautement révélateur qu'est cette «académie des leaders». Pourquoi créer une grande école réservée aux banlieusards, alors qu'il faudrait aider les jeunes issus de tous les milieux défavorisés à intégrer les grandes écoles de la République? N'est-ce pas le meilleur moyen de tomber dans la stigmatisation que l'on dénonce par ailleurs?
Bref, ce n'est pas en versant 48 milliards de plus dans le tonneau des danaïdes des cités que l'on va résoudre le malaise bien réel de ces territoires.
En fait, Borloo commence par rappeler que Borloo a échoué mais qu'il serait scandaleux de ne pas continuer à faire du Borloo.
Le plan d'urgence pour les banlieues proposé par le maire de Valenciennes serait donc intégralement à jeter aux orties?
De quel plan banlieue voulez-vous parler? Du dernier, ou des innombrables qui se sont succédé depuis les années 80 et dont l'un d'eux portait déjà la signature de Jean-Louis Borloo? Pour expliquer que cette politique dite de la ville a échoué, on souligne que des dizaines de milliards ont déjà été dépensés depuis quarante ans. Erreur de calcul. Si l'on fait l'addition des sommes déversés dans les diverses politiques de rénovation urbaine ciblant les banlieues, on avoisine les cent milliards. Or le rapport Borloo lui-même commence par dresser un bilan des plus sévères concernant les effets de telles mesures: pauvreté, chômage de masse, échec scolaire, insécurité et communautarisme. En fait, Borloo commence par rappeler que Borloo a échoué mais qu'il serait scandaleux de ne pas continuer à faire du Borloo: on rêve!
Alors que les politiques de tout bord se piquent de vouloir contrôler l'efficacité des dépenses publiques, ces aides pourtant si onéreuses à destination des quartiers sensibles, personne n'a jusqu'ici songé à mesurer leur performance. Sans doute car l'inefficacité de telles politiques se vérifie à l'œil nu.
Les plans d'aide aux banlieues n'auraient donc eu aucun effet?
Il est toujours utile de développer et d'entretenir les infrastructures publiques, de maintenir et de moderniser les services publics et d'investir dans l'éducation par exemple mais ce n'est pas cet effort louable qui cassera les ghettos. De plus, et c'est là où le bât blesse avec le plan Borloo, ce n'est pas dans les banlieues que ces investissements sont le plus indispensables.
De l'aveu même de l'ancien ministre de la ville, 6 millions de Français sont visés, donc moins de 10 % de la population. Il y a mille et une zones en France dans lesquelles l'exclusion objective mais aussi l'assignation territoriale à résidence sont bien plus fortes qu'en banlieue (mesurée par une moindre mobilité sociale, une plus forte autocensure, un plus fort taux de chômage et une moins bonne couverture réseau, numérique ou de transport). Ce sont ces zones qui forment le véritable angle mort des politiques publiques. Or, elles ne pèsent pas 10 % mais 60 % de la population! Le plan d'aide spécifique à la France périphérique que le gouvernement projette d'actionner injectera un peu plus d'un milliard dans 222 centres-villes en voie de paupérisation. Un milliard pour 60 % des Français contre dix milliards pour 10 %, la comparaison est cruelle.
Mais alors, qui veut-on aider en injectant 48 milliards d'euros en 5 ans dans les quartiers sensibles?
D'abord les familles qui bénéficient du regroupement familial (100 000 / an) et les clandestins (de 100 000 à 350 000 / an d'après le Ministère de l'Intérieur) qui remplacent les banlieusards d'hier dans les cités-dortoirs. Bien sûr, il existe une fierté légitime à venir de ces quartiers populaires, mais cessons d'être tartuffe: j'y ai moi-même grandi et j'aime les cités mais je n'ai aucune envie d'y élever mes enfants. Or, comme l'a impeccablement démontré le géographe Jean-Christophe Guilly dans ses travaux, les banlieues ne sont pas des ghettos mais des sas, des points de passage. Les émeutiers des années 80 ont plus de soixante ans aujourd'hui et la majeure partie d'entre eux n'habite plus dans les «quartiers».
Les émeutiers des années 80 ont plus de soixante ans aujourd'hui et la majeure partie d'entre eux n'habite plus dans les « quartiers ».
Le plan Borloo est d'abord une aide aux primo-arrivants mais aussi, et c'est là le plus grave, cette aide est envisagée parce que ma «cité va craquer» comme dirait l'autre. À l'insécurité qui règne dans les zones dites sensibles et dont on ne rappellera jamais assez qu'elle vise d'abord ses propres habitants, s'ajoutent épisodiquement des émeutes. Tout cela fait désordre, alors on injecte quelques dizaines de milliards pour éteindre l'incendie.
Si l'on vous suit, le plan Borloo viendrait donc récompenser la délinquance qui sévit dans les quartiers sensibles?
En tout cas, alors que ce gouvernement est favorable une politique macro-économique restrictive, qu'il n'y a plus d'argent pour la police ou pour les hôpitaux, que l'on ferme les bureaux de poste et les lignes de train, on trouve 48 milliards pour les banlieues, quelle justice sociale!
Ironie de l'histoire et de l'étymologie, la banlieue est justement le lieu du ban, l'endroit où le seigneur moyenâgeux rendait la justice. Mais les temps ont bien changé depuis l'époque où Saint-Denis formait le barycentre symbolique et spirituel du pouvoir français.
Le problème de la banlieue est double et n'est pas d'abord économique ou social. Le plan Borloo passe totalement à côté des racines du mal. Le premier problème, et de loin le plus grave, est la criminalité qui gangrène ces territoires. Celle-ci est structurée autour du trafic de drogue qui fait vivre, au-delà des dealers, les familles et le voisinage, en soutenant l'économie locale. Ce business est certes entre les mains d'une minorité de caïds mais il a pris une ampleur énorme. On n'en finira pas avec le malaise des banlieues sans démanteler cette économie parallèle. Et ceux qui espèrent que le périph' nous protégera de cette insécurité galopante en seront pour leurs frais. Le second problème découle du premier, c'est la mentalité sécessionniste qui sévit chez certains jeunes hommes (des jeunes adultes mais aussi des adolescents et des enfants). Cette mentalité n'est, fort heureusement, nullement partagée par la grande majorité des habitants des banlieues qui subissent de plein fouet l'incivilité, l'insécurité au quotidien.
En quoi consiste cette mentalité sécessionniste qui anime certains jeunes qui campent aux pieds des barres d'immeuble?
Cette mentalité, je la connais bien. C'est un cocktail très dangereux voire explosif composé de trois ingrédients: un tiers de mentalité «Scarface», un tiers de revendication islamiste (type Tariq Ramadan au mieux et Daech au pire) et un tiers de ressentiment «indigéniste» pour reprendre le très paradoxal label dont les militants du racisme anti-blanc se sont affublés. Le côté Scarface, no limit et «tout, tout de suite» est la version gangstérisée de l'idéal du capitaliste néo-soixante-huitard décomplexé: jouir sans entrave avec du fric, des grosses cylindrées et des «putes». Et ceux qui se mettent en travers de ma route, je les bute. . Enfin, au nom des crimes commis par la France coloniale, les enfants et petits-enfants de l'empire détiendraient une créance à faire valoir contre les descendants des esclavagistes et des colonisateurs. La richesse de la métropole aurait été accumulée sur le dos des dominés. En parlant d'apartheid, Borloo joue avec le feu car il accrédite cette thèse mensongère et inique suivant laquelle les banlieues seraient peuplées de victimes détestées et rejetées par le reste de la population. C'est pourtant l'inverse que l'on observe au sein d'une minorité radicale qui ne veut pas faire peuple avec les Français.
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Sonia Mabrouk, femme de combat contre l'horreur de l'islamisme (27.04.2018)
Par Vincent Tremolet de Villers
Mis à jour le 27/04/2018 à 13h56 | Publié le 27/04/2018 à 06h00
PORTRAIT - La journaliste franco-tunisienne publie un roman sur les enfants français du djihad. Une fiction pour dire une réalité : l'horreur de l'islamisme que cette musulmane affronte avec un courage qui force le respect.
En son cœur sommeille l'inquiétude. En apparence, Sonia Mabrouk - port altier, sourire vif - ne montre rien. A la radio, sa voix - empathique et discrètement autoritaire - ne s'élève jamais. Rigoureuse, appréciée, elle va de succès en succès et pourrait se contenter de l'air tiède de la mode. De propos convenables en postures convenues, elle se hisserait au premier rang du consensus médiatique. Dire ce qu'il faut dire, quand il faut le dire, et le reste viendrait par surcroît. Pourtant, compliments, influence, audience et vernissages n'étanchent pas sa soif. L'enfant de Tunis qui sautait sur les genoux de Bourguiba (son grand-père Mongi Mabrouk était l'un de ses compagnons de route), qui courait chez sa grand-mère au milieu des cris et des couleurs du quartier de La Goulette, a grandi au cœur de la Tunisie moderne. Aux premières loges de la comédie humaine, elle n'est dupe de rien mais continue de croire à ces choses étranges que sont la politique et le journalisme. Le roman qu'elle publie est à l'intersection des deux. L'enfant de djihadiste qui revient sur notre territoire en est la figure centrale. On appelle ça un «lionceau». Mais nous ne sommes pas dans Walt Disney. La journaliste apaisante y dévoile une inquiétude obsédante: celle d'une guerre qui se prolongerait interminablement sur notre territoire.
Sonia Mabrouk? C'est «Shéhérazade au pays de Descartes», explique Charles Villeneuve, «grande voix» qui, avec la bande des anciens d'Europe 1, partage chaque dimanche le plateau avec elle. «L'Orient qui se plierait aux règles d'une école militaire», poursuit-il. Rappelons aux esprits étourdis que Shéhérazade n'est pas une danseuse du ventre mais une tête politique, un esprit ingénieux et redoutable. Dans sa généalogie littéraire, Sonia Mabrouk place volontiers, entre Aragon et Kundera, Les Mille et Une Nuits. Militaire? Tout en maîtrise, la journaliste montre, c'est indéniable, une discipline de fer. Celle qui a enseigné pendant quatre ans à l'IHEC de Carthage a une trajectoire spectaculaire. Elle commence dans le journalisme à Jeune Afrique, où apparaissent très vite de grandes dispositions pour le métier. Jean-Pierre Elkabbach la repère et trouve chez elle toutes les qualités d'une grande: «Le sang-froid, la culture qui empêche de sursauter au moindre événement comme s'il était sans précédent, l'art de la préparation et de l'improvisation.» Elle entre à Public Sénat. Et l'éminent interviewer de conclure: «C'est l'une des meilleures journalistes françaises.» Europe 1 le dimanche, CNews tous les jours, la jeune femme arpente d'un pas élégant et assuré les allées du pouvoir, qu'il soit médiatique, politique ou culturel. Tout Paris la célèbre, son nom circule pour les «tranches» les plus prestigieuses de la radio ou de la télévision. Ambitieuse, sans nul doute, compétente certainement.
«Elle ne montre jamais son pouvoir, ce qu'elle cherche, c'est une forme de pouvoir invisible»
Jean-Marie Rouart, académicien
Les grands entretiens qu'elle fit des années durant sur Public Sénat et maintenant sur CNews en témoignent. Elle y reçoit des politiques mais préfère la liberté de ton des philosophes, intellectuels ou écrivains. Eux-mêmes en redemandent ; l'académicien Jean-Marie Rouart: «C'est une extraordinaire intelligence, une intelligence au laser. Elle vous interroge avec beaucoup de précision et d'intensité, mais bien malin celui qui sait ce qu'elle pense. Elle ne montre jamais son pouvoir, ce qu'elle cherche, c'est une forme de pouvoir invisible.» L'essayiste Malika Sorel: «Sonia Mabrouk ne transforme pas son plateau en ring de boxe. Sans complaisance mais sans malveillance, elle laisse l'invité déployer son point de vue, ce qui est de plus en plus rare à la télévision.» Le sociologue Jean-Pierre Le Goff (volontiers critique sur les facilités et les médiocrités de la télévision): «Elle est très courageuse. Elle a une certaine idée de la France et de la République.» Le philosophe Alain Finkielkraut, qui apprécie chez elle «sa résistance au politiquement correct» et «le soin» avec lequel elle prépare ses émissions, cherche le mot, hésite et finalement le trouve: elle est… «craquante».«Craquante!» Et l'on entend encore Jean d'Ormesson s'enthousiasmer pour cette journaliste «épatante»!
«L'islam de nos grands-parents a perdu»
Discrète, pudique jusqu'à l'opacité, Sonia Mabrouk fuit le people comme d'autres le peuple. Franco-Tunisienne, musulmane, cette femme n'emprunte jamais le pont aux ânes victimaire. Si elle n'a pas la culture du manifeste elle sait pourtant quand l'actualité l'exige, hausser le ton. Ce peut être un tweet en pleine querelle autour du burkini - «Derrière le burkini, il y a surtout l'idéologie wahhabite et sa propagande» - qui lui vaut d'être traitée d'islamophobe. Une colère froide à la télévision - à Marwan Muhammad, directeur du CCIF, elle lance sur le plateau de Thierry Ardisson: «Vous êtes une imposture! Vous ne représentez rien!» Une tribune dans Le Figaro après l'épisode de Kasserine en décembre 2016: «Des djihadistes avaient voulu prendre ce village de l'arrière-pays tunisien et des femmes, voilées ou non, les ont repoussés aux cris de “Vive la Tunisie” et “Terroristes dehors”.» Une sainte révolte qui lui inspira son premier livre, Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion), un dialogue avec sa grand-mère Delenda. Un ouvrage charmant et profond où deux générations se répondent par-delà la Méditerranée. Une conversation qui illustre aussi le propos de Malek Chebel: «L'islam de nos grands-parents a perdu.»
«Seule la fiction permet de faire entendre les voix secrètes qui nous hantent»
Sonia Mabrouk
Chaque soir, quand s'éteignent les écrans et les jingles des radios, la journaliste écrit ce que fut sa journée. C'est un cérémonial. Ces derniers mois, jusqu'à une heure avancée de la nuit, elle a plongé sa plume dans la plaie la plus vive de notre temps: ces enfants de Français partis faire le djihad et qui ont grandi à l'ombre du drapeau noir du califat. Une enquête de plusieurs mois qui l'a menée des services sociaux aux services secrets, d'un prêtre spécialisé dans ces cas extrêmes aux imams enfiévrés qui regardent ces enfants comme de futurs «martyrs», des cités anonymes aux bureaux du pouvoir. Elle a vu les parents et grands-parents des «lionceaux» mais les documents, les photos d'enfants avec kalach, les certificats glaçants de l'Etat islamique n'épuisent pas un sujet qui concentre de façon incandescente le malheur Français.
Comment trancher ce nœud où s'entremêlent l'enfance, pays de l'innocence, l'islamisme, terreau barbare et meurtrier, et la République française tour à tour considérée comme structure protectrice ou adversaire à abattre? Comment dissimuler le malaise d'une nation qui invoque ses principes pour mieux renforcer ceux qui veulent les détruire? «Seule la fiction permet de faire entendre les voix secrètes qui nous hantent», explique-t-elle. Le dialogue intérieur d'une journaliste et celui d'une revenante du djihad ne se documentent pas. C'est donc un roman que publie Sonia Mabrouk.
Le corps-à-corps est aussi un combat d'âmes
Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. Certes, les critiques littéraires - c'est leur métier - relèveront çà et là une naïveté d'expression, une facilité narrative, mais l'ensemble est fort comme l'alcool que boit secrètement son héroïne, saisissant comme le plus réaliste des tableaux. Jamais l'écrivain ne se dérobe. Elle n'évite aucun des tabous contemporains: les germes de violence dans l'islam, la volonté de conquête des djihadistes, le relativisme occidental, les églises qui se vident et les mosquées qui sont pleines, l'aveuglement technocratique d'un pouvoir dépassé. L'affrontement qu'elle décrit n'est pas seulement politique, idéologique, policier. Face au malheur des temps, le corps-à-corps est aussi un combat d'âmes. Evoquant la figure d'Arnaud Beltrame, Sonia Mabrouk se demande si le choc des civilisations n'est pas d'abord une lutte «spirituelle». Son roman s'élève à cette altitude.
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Vincent Tremolet de Villers

Les bonnes feuilles du roman de Sonia Mabrouk sur les enfants français du djihad (27.04.2018)
Par Le figaro.fr
Publié le 27/04/2018 à 06h01
EXCLUSIF - L'héroïne, journaliste, enquête sur les revenants de Daech. Elle rencontre Amra, une convertie, mère d'un tout jeune fils. Leur confrontation est un précipité du malaise français. Extraits.
Lena, en dialoguant avec Amra, une revenante du djihad, prend la mesure du déni occidental sur le sujet.
Elle a constaté aussi combien cette stratégie d'omerta avait gagné l'Occident, notamment la France où certains intellectuels refusent de voir un lien entre religion et terrorisme islamiste, et tendent, ainsi, un piège aux modernisateurs de cette religion qu'elle aime en elle-même. Lena, du reste, en veut à l'«intelligentsia» qui se drape de valeurs humanistes mais étouffe un débat à ses yeux salutaire. «Nos rues sont parsemées de militaires tandis que nos esprits sont faibles», pense-t-elle, inquiète d'une sorte de désarmement moral et intellectuel. Elle qui est allée sur le terrain a vu les ravages de l'intégrisme, les libertés rognées puis volées aux peuples, et en particulier aux femmes, ne comprend pas ni ne supporte la bien-pensance qui, sous couvert de légitime antiracisme, gagne du terrain en imposant un prêt-à-penser mortifère.
Dans un dialogue intense où chacune se dévoile, Amra, revenante de Syrie, fait sa profession de foi islamiste.
Dites-moi en quoi vous croyez? Hein? En quoi? Vous doutez de tout, même de vous. A l'inverse, l'islam est sûr de lui. Vous allez voir qu'il va gagner et s'étendre partout. L'islam est beaucoup plus sûr que votre christianisme, qui recule. Votre société est à bout de souffle, le déclin à vos portes. Tout s'effondre. Votre civilisation pourrit par la tête, comme le poisson. Et sera très vite remplacée. Vos églises sont vides. Vides! On en arrivera à les récupérer pour les transformer en mosquées, ces mosquées pas assez nombreuses pour nos pratiquants. Votre culture s'éteint, votre spiritualité se disloque, vos traditions disparaissent petit à petit. J'ai lu tout ça en prison. Je me suis beaucoup renseignée. Je sais que l'Islam va grandir et conquérir de plus en plus de terres, de cœurs et d'esprits. Nous ferons plein d'enfants qui porteront notre religion avec fierté, comme un étendard. Et peut-être même, un jour, y aura-t-il en France un vrai et grand parti politique pour nous défendre. Un parti musulman, pour nous. Vous finirez d'ailleurs par vous convertir aussi… L'Occident chrétien sera absorbé, lui qui est à vendre, puisque tout y est achetable. Vos idéaux, vos principes, vos terres, vous les bradez. Ici, chacun ne pense qu'à lui, qu'à sa petite personne. Chacun chez soi, chacun pour soi. La grande différence entre vous et beaucoup de musulmans, c'est que, nous, nous sommes prêts à mourir pour nos idées, pour Dieu. En soldats de la cause. Les vôtres se cachent derrière des écrans, bombardent depuis des avions ultrasophistiqués et ne mettront jamais un pied sur une terre ennemie car ils ont déjà peur. Peur de la défaite, de l'enlisement, de l'humiliation. Dans cette guerre asymétrique, vous serez les vaincus de l'Histoire, de la grande histoire. Je ne parle pas de ce qui se passe en ce moment en Syrie ou en Irak, je parle du temps long… A la fin, l'armée la plus puissante au monde ne pourra plus rien… Rien.
Dans un dialogue avec Malafraie, l'homme qui lui a commandé son enquête sur le djihad, Lena expose le dilemme provoqué par la question des enfants.
Quel âge a-t-il?
- Sept ans, je crois. On parle d'environ quatre cent soixante mineurs français comme lui dans la jungle syro-irakienne. Certains sont déjà revenus en France. A peu près une cinquantaine. Pour ceux encore là-bas, le risque est grand de mourir dans un attentat-suicide puisque, comme il ne reste plus rien du califat, les djihadistes peuvent essayer de s'en servir. A mon avis, mieux vaut les savoir là-bas que les avoir, ici, en France!
- Vous ne pouvez pas dire ça, Malafraie! Ce sont des enfants. Les enfants n'ont pas choisi le combat de leurs parents!
- Je vous arrête, Lena. Vous faites fausse route. Il s'agit certes d'enfants, mais biberonnés au djihadisme et à l'ultra-violence. Eux ont fait l'école de la mort, éduqués par des islamistes qui ont instillé leur mode de pensée dans leurs esprits. Ces enfants sont dressés pour tuer. Regardez cette photo, regardez ce regard froid. Ils ont subi un lavage de cerveau. On sait qu'un grand nombre de ces gamins rêvent de mourir en martyrs. Imaginez: comment pourrait-il en être autrement puisqu'on leur promet des jouets au paradis ou d'y retrouver leurs parents décédés. D'après différents experts, il existe même un contingent d'enfants soldats prêts à poursuivre la lutte partout, alors que Daech a perdu sur le terrain. Qui ont décapité un ours en peluche afin d'apprendre à décapiter un otage, un ennemi, un mécréant, c'est-à-dire vous ou moi. Les services de renseignement assurent qu'il s'agit, pour la plupart, de bombes à retardement ; des enfants, bien sûr, mais potentiellement très dangereux!
- Des bombes à retardement? Vous y allez fort. Ils le deviendront si on les laisse sur place et les abandonne à leurs monstres! Vous vous rendez compte de ce que vous avancez? On ne peut pas décréter qu'ils sont irrécupérables et d'avance baisser les bras. La guerre est finie là-bas. Ces enfants doivent revenir chez eux, retourner à l'école. Et chez eux, c'est ici, c'est la France. Il est de notre responsabilité et de la responsabilité de l'Etat français de…
- Oh, oh! On n'a strictement aucune responsabilité dans cette affaire, qu'est-ce que vous racontez! Vous me décevez, Lena, on s'éloigne de notre sujet. Moi, je n'en ai rien à foutre de ce gamin. […] Ces gamins, ils viennent pour tuer les nôtres, et vous croyez que je vais m'apitoyer sur leur sort? On ne sait déjà pas comment déradicaliser un adulte, alors un enfant… je vous raconte pas le bordel que ça donnera! Le petit, là, le fils d'Amra, peu importe son âge, il est sûrement embrigadé. Prêt à tuer. Regardez encore une fois cette photo, qu'est-ce que vous voyez, hein? Dites-moi ce que vous voyez? Regardez-la bien, cette foutue photo!
- Un enfant! Je vois un enfant déguisé en tueur avec une kalach beaucoup trop grande pour lui…
- Vous le faites exprès ou quoi? C'est tout sauf un gamin normal. Si vous étiez otage, il aurait tranché votre gorge…
Lena découvre une note blanche des services de renseignement intitulée «La France au défi des lionceaux du djihad».
«Ces enfants sont entraînés pour tuer. Daech les a programmés militairement et idéologiquement pour être la prochaine génération de terroristes en Europe et, plus singulièrement, en France. Leur retour représente un danger imminent pour le pays. Si notre politique pénale actuelle permet de judiciariser toute personne adulte revenant du territoire irako-syrien, nous sommes démunis face aux enfants. Mis à part un suivi psychologique et le placement en foyer ou en famille d'accueil, nous n'avons pas les moyens de suivre et d'évaluer leur dangerosité. Défaite sur le terrain militaire, l'organisation terroriste mise sur cette nouvelle génération pour semer le chaos et la terreur dans l'avenir. Les djihadistes veulent mettre en place leur propre projet Lebensborn - créé par les nazis pour avoir une “race pure” - et se sont inscrits dans une démarche de long terme. Ils voient sur cinq, voire dix ans. Dans un tel contexte, le retour des familles sur le sol français n'est pas une option souhaitable. Les mères sont tout autant engagées dans l'idéologie djihadiste que leurs maris. Leur neutralisation pourrait s'imposer dans certains cas lors d'opérations homo *. Nous avons, à ce sujet, un accord tacite avec les Irakiens. Quant aux enfants, leur insertion dans la société posera d'immenses problèmes. Ils doivent donc être traités dans le même cadre que leurs parents. Leur retour est déconseillé.»
L'enfant du djihad rappelle à Lena l'enfant qu'elle était, une petite Française à l'éducation chrétienne.
A mesure qu'elle approche de Zaïm, les photos de l'enfant, kalachnikov à la main, envahissent son cerveau. Et si la barbarie, les actes de violence semblaient une routine normale pour ce lionceau? Comment réagira-t-il, une fois seul avec elle? De quelle manière le prendre en charge? A-t-il déjà participé à des combats ou, pire, des exécutions? Quels genres? Décapitations? Tortures? L'apparente innocence qui illumine son visage dissimule-t-elle un être sauvage, violent, irrécupérable? Tourments des interrogations mâtinées de peur. Mais, malgré les doutes, une conviction l'anime: la seule solution est de le sauver. Si on ne fait rien, ce gamin - et d'autres - appartiendra à la prochaine génération de terroristes. Et de se raccrocher à l'espoir que la vie, plus forte que les pulsions de mort, saura apaiser le garçon, éradiquer le lavage de cerveau pratiqué sur son esprit malléable car si jeune. Sa propre mère - pourquoi songer à elle maintenant? - n'insistait-elle pas toujours sur les notions de pardon et de rédemption? «Ce sont les fondements de notre foi chrétienne», répétait-elle quand elle était enfant. Ajoutant: «La vie de Jésus a valeur de rédemption. Le fils de Dieu s'est fait homme pour racheter les péchés du monde. A travers la Résurrection du Christ, Dieu a fait triompher l'amour sur la haine.»
Les lionceaux sont-ils des menaces ou des victimes? Nouveau dialogue, nouveau dilemme.
- Dans les camps pour lionceaux, les islamistes ont identifié les enfants les plus réceptifs à leur endoctrinement et les plus aguerris aux combats. A Raqqa ou à Suluk, les plus résistants ont été initiés au maniement des armes. Ils ont eu, aussi, un apprentissage militaire avec ceinture d'explosifs et grenades dans les poches. Ces recrues sélectionnées sont appelées les élus de Daech. Un cercle restreint de gamins ayant montré, prouvé, manifesté un tel degré de violence que les djihadistes les considèrent - et en ont fait - leurs héritiers. Avec une mission simple: prolonger le projet de djihad. Zaïm fait partie de ce cénacle. Il est le continuateur de l'œuvre mortifère de l'organisation terroriste Etat islamique en Syrie mais aussi à l'étranger, dont, notamment, la France. Autrement dit, chez nous.
- Vous… vous ne pouvez pas en être sûr. Ce n'est qu'un enfant de sept ans. Sept ans. Vous ignorez ce qu'il a subi. Au camp d'Aïn Issa, il a vécu dans des conditions terribles. Terribles. Que j'ai vues de mes yeux. Il n'a pas choisi cette vie, il n'est l'élu de rien du tout!
- Je comprends que vous soyez choquée. Il n'empêche que c'est la réalité, Lena. Cet enfant est peut-être une victime pour vous, mais pour la collectivité, il représente une menace réelle. Nous avons obtenu des témoignages concordants d'enfants yézidis se trouvant dans le même camp que Zaïm. Et tous décrivent un petit garçon fortement embrigadé. L'idéologie djihadiste lui a été enseignée très tôt afin qu'il incarne la future génération de Daech et en reprenne un jour le flambeau. Les terroristes ont institutionnalisé le recrutement de ces enfants. Et les ont façonnés à leur main. Dans sa tête, le gamin a intégré la banalité de l'atrocité. En apparence, c'est un petit comme les autres, sauf que tout a été pensé pour que Zaïm oublie l'innocence de l'enfance et sa propre famille. Tout a été pensé pour qu'il devienne une bombe à retardement chargée d'exploser un jour, de préférence sur le sol européen, en tuant le maximum d'innocents!
- C'est impossible! Il ne peut avoir tout oublié…
Lena prend la mesure de la dimension du combat qui oppose l'Occident à l'islamisme. Il ne s'agit pas d'un choc de civilisation mais d'un choc de spiritualité.

Dans son cœur sommeille la vengeance, de Sonia Mabrouk (Plon, 288 p., 19 €) sera en librairie le 3 mai. - Crédits photo : ,
En cet instant incandescent qui lui fait toucher du doigt la puissance de l'héritage judéo-chrétien, où tout est spiritualité et transcendance, elle retrouve le sens de sa civilisation. […] Tout n'est pas voué à l'échec. Les églises se vident, mais les croyances restent, persistent, se transmettent à travers les siècles et les générations. L'héritage français vacille sous les coups de boutoir mais il ne cède pas. Les valeurs chrétiennes sont malmenées par certains, mais elles continuent d'éclairer la majorité. Une permanence qu'elle ressent au plus profond de sa chair, au tréfonds de son âme. Comme un chuchotis qui circule dans ses oreilles, elle entend maintenant la voix de sa mère, tellement fière de sa fille enfin détachée de son obstiné refus de toute transcendance. Peut-on recevoir la grâce sans avoir complètement la foi? Lena ne cherche pas de réponse. Elle sait juste ne plus être condamnée à errer. A ce moment précis, elle se sent profondément française et chrétienne.
* Opérations homicides, dans le vocabulaire militaire.
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Sonia Mabrouk : «Les enfants du djihad, victimes innocentes ou bombes à retardement ?» (22.08.2017)

Par Vincent Tremolet de Villers
Publié le 22/09/2017 à 09h00
ENTRETIEN - La journaliste enquête depuis des mois sur un phénomène tabou : les enfants du djihad. Une plongée glaçante où se mêlent la barbarie de l'Etat islamique, l'innocence des enfants et la naïveté de notre société. Son roman devrait sortir au printemps. Elle dévoile le fruit de ses travaux au Figaro Magazine.

Sonia Mabrouk. - Crédits photo : Stéphan Gladieu pour le Figaro Magazine
Le jour, Sonia Mabrouk anime des émissions de télévision (CNews) ou de radio (Europe 1) ; la nuit, à sa table de travail, elle écrit son journal. C'est un rituel. Pas un soir sans prise de notes. Après le succès de son premier essai Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion), l'enfant de Tunis a choisi la forme romanesque pour aborder une tragédie française, celle des«lionceaux», ces enfants partis en Syrie avec leurs parents et qui reviennent semaine après semaine sur notre territoire. Un sujet terrible qu'elle aborde sans crainte avec la volonté farouche de dévoiler les vérités même les plus désagréables. Cette journaliste qui parle clair ne craint pas d'avancer par vent contraire. Elle a connu, de polémique autour du burkini en une de Charlie Hebdo, les menaces de l'islamosphère et les critiques de certaines féministes. Esprit libre dans un univers de plus en plus standardisé, elle continue de croire que la réalité, même la plus inquiétante, est le premier terrain du journaliste.
FIGARO MAGAZINE. - Vous préparez un roman sur les enfants du djihad…
Sonia MABROUK. - J'ai choisi d'écrire un roman pour éviter de parler du haut de ce prétendu magistère médiatique. La fiction permet beaucoup de choses. L'auteur se dégage pour laisser la place à son propos, pour inciter à la réflexion sur l'Homme, sur la violence qui marque parfois à jamais la mémoire de l'enfant. Le roman sur lequel je travaille est un roman d'actualité, qui permet d'aborder une réalité augmentée. A travers mes personnages, je peux aller très loin sur des situations extrêmement dures où se mêlent des sentiments violents et contraires. Les enfants du djihad sont un tabou, un impensé. Le simple fait de l'évoquer provoque la gêne, la crainte ou la défiance. C'est pourtant une réalité qui concerne toute la communauté nationale en France, mais aussi d'autres pays, comme la Tunisie. Il y a environ 460 Français mineurs qui sont nés ou ont vécu en Syrie. Rien n'a été anticipé pour les accueillir, les surveiller, les insérer dans la société. Actuellement, il y a en France une cinquantaine d'enfants âgés de quelques mois à quelques années, dont les parents sont majoritairement placés en détention ou ont été tués dans la guerre contre Daech. Ces enfants sont français. Vous imaginez les questions éthiques, politiques, judiciaires que leur retour soulève. Le phénomène est inédit. Sans doute le point le plus sensible du malaise identitaire que révèle l'engagement de jeunes Français contre leur propre pays.
Que faire de ces enfants?
Trois possibilités se présentent. La première: les familles d'accueil. Cette option est insatisfaisante car elle peut mettre en danger toute la famille qui accueille l'enfant libéré des griffes de Daech. La deuxième: un placement en foyer. Quelques cas pratiques montrent que, très vite, l'enfant du djihad est perçu comme un caïd dominant les autres. Troisième possibilité, plus rare: le restituer aux grands-parents. Dans ce cas, il faut être sûr que cet environnement familial n'est pas en lien avec l'islam radical. Le doute subsiste toujours. C'est d'ailleurs perçu comme une injustice par les grands-parents, mais aux yeux des services de renseignement, la famille élargie fait partie du problème.
Il n'y a donc pas de solution satisfaisante. Pour mon enquête, j'ai rencontré des avocats, des familles, des grands-parents, des membres de la lutte antiterroriste, des prêtres. Tous sont préoccupés par l'enjeu considérable que représentent ceux que l'Etat islamique appelle «les lionceaux».
Le terrible paradoxe dans lequel ces enfants sont enfermés est le suivant: ce sont des victimes (ils n'ont pas choisi le combat de leurs parents). Malgré tout, ils représentent une menace puisqu'ils ont été biberonnés au djihad et parfois à l'hyperviolence.
Par exemple?
J'ai rencontré, chez un avocat, une grand-mère dont le fils est mort à Raqqa et dont la petite-fille vit encore dans ce qu'il reste de territoire tenu par Daech.
«Si on ne fait rien, c'est une bombe à retardement»
Elle m'a montré des photos de sa petite-fille. C'est une enfant de 4 ans intégralement voilée, en burqa. Je lui ai demandé si elle avait gardé le contact. Elle m'a répondu qu'elle l'avait parfois au téléphone. L'enfant n'a qu'un seul mot à la bouche, soufflé par les adultes: «djihad, djihad, djihad». Cette grand-mère se bat pour récupérer sa petite-fille. Elle ne cache pas son inquiétude. Elle m'a confié: «Si on ne fait rien, c'est une bombe à retardement.» Une partie de ces enfants a connu de près la «mythologie du djihad», l'incitation au martyre les poursuivra sans doute et, malheureusement, il y a des relais en France sur internet ou dans certains groupes radicaux pour entretenir cette mythologie.
Les services secrets sont sur les dents?
Ils font leur travail: ils sont dans l'anticipation. Cela fait longtemps qu'ils ont alerté les pouvoirs publics. Ils sont aussi dans une forme de schizophrénie, considérant ces lionceaux comme des enfants, mais aussi comme une menace pour la communauté nationale. Ils savent comment gérer un «revenant» adulte. C'est une autre affaire avec un gamin qui n'a pas choisi de naître au milieu de cette idéologie.
Faut-il déradicaliser?
La déradicalisation est un leurre. Les centres que l'on a ouverts et fermés en ont été la preuve. Le seul bénéfice a concerné les «déradicalisateurs», qui ont profité de cette aubaine pour trouver une raison sociale et parfois des revenus lucratifs. Mon inquiétude est qu'il se passe la même chose avec les lionceaux, que l'on voie une génération spontanée de spécialistes de l'enfance venir expliquer ce qu'il faut faire pour les mêmes résultats que les centres de déradicalisation. Nous aurons le choix entre les escrocs et les amateurs. Ces «sachants» ne sauront pas répondre à la question centrale: les lionceaux doivent-ils être traités comme des enfants soldats ou comme des enfants endoctrinés imbibés d'une idéologie mortifère?
Les services sociaux sont désemparés…
Les services d'aide à la protection de l'enfance ne peuvent pas tout gérer. Le président de la République a récemment demandé un grand plan sur le sujet. Il y a une prise de conscience. La partie sera rude. Un prêtre, qui s'occupe des enfants yézidis, et qui a eu affaire à certains lionceaux, confie qu'une part d'entre eux sera très difficilement réinsérable. Autre exemple éloquent: j'ai vu un père qui souhaite récupérer ses enfants partis en Syrie avec leur mère. Il est désespéré. Mais pour les services sociaux, ces parents font partie du problème. Ils ne sont pas considérés comme victimes. Pourquoi ont-ils laissé leurs enfants partir? se demandent nos forces de sécurité. C'est un nœud où se mêlent l'islamisme radical, la force du clan, l'omerta, et beaucoup de souffrance. Personne ne veut trancher.
Que nous révèle ce tabou?
Le déni dans lequel nous sommes plongés sur cette question de l'islamisme radical et du terrorisme. On ne veut pas voir une réalité criante. Notre société du pathos ne veut pas choquer parce qu'il s'agit d'enfants, donc d'innocents, et préfère noyer le poisson. Il faut ouvrir les yeux sur ce terrible défi. La vraie interrogation se résume en une formule: «Djihadiste un jour, djihadiste toujours?» Est-ce vrai ou faux? La question se pose malheureusement pour ces enfants qui ont toute une vie devant eux.
«Je veux de la poudre et des balles»
Soixante ou soixante-dix ans. Ils ne sont même pas comme les enfants du IIIe Reich en 1945, puisque ces derniers grandissaient sans possibilité de renaissance du nazisme. Le régime était mort et enterré. Le terrorisme islamique, lui, ne cesse de muter, et il y a en France des quartiers, des groupes radicaux, où ce combat est considéré comme glorieux. Même si leurs parents ont pris part à une lutte criminelle et barbare, ils peuvent vivre hantés par la revanche. Souvenez-vous du poème de Victor Hugo sur l'enfant grec après le passage de Turcs qui ont tout détruit. «Que veux-tu? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux?» lui demande-t-on. Et l'enfant de répondre: «Je veux de la poudre et des balles.» Comment ne pas envisager ce désir de vengeance? La question est légitime. Malgré tout, on ne peut pas les condamner à vie parce qu'ils sont nés ou ont grandi en Syrie!
La société a-t-elle commis une faute pour en arriver là?
L'explication sociale ne tient pas la route. Les parents de ces enfants ne vivent pas tous, comme on veut bien nous le faire croire, dans la pauvreté et l'exclusion. Il faut définitivement sortir de cette culture de l'excuse si l'on veut affronter avec justesse cette situation extraordinairement sensible. Regarder la réalité en face, même terrible, même tragique.
Il y a six mois, vous avez publié Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille qui a rencontré un grand succès. Depuis, les livres de femmes confrontées à l'islam se multiplient. Comment expliquer ce phénomène?
Au départ, je devais écrire un essai évoquant les sujets qui traversent le livre: la condition des femmes en terre d'Islam, le regard croisé des deux rives de la Méditerranée, la menace terroriste. J'ai choisi une autre forme: celle du dialogue avec ma grand-mère. J'ai réalisé qu'elle avait sans doute plus de choses à dire qu'une journaliste qui s'essaierait à aborder des questions aussi graves. L'accueil qu'a reçu mon livre a confirmé cette intuition: nous croyons exercer une forme de magistère, mais sur les thèmes qui hantent l'inconscient collectif, notre premier devoir n'est pas de prendre la parole, mais de la donner à ceux qui parleront en vérité, sans les précautions oratoires et les tics médiatiques propres à notre profession.
Nous ne sommes pas des clercs : quelle est notre légitimité pour leur prêcher le bien et le mal ?
Si ce livre a eu un impact, c'est par la parole de ma grand-mère qui, en Tunisie, ou tout au moins dans son quartier, est devenue un personnage. C'est l'une de mes grandes fiertés. Sa parole a plus de force que la mienne. En ce sens, l'ouvrage de Leïla Slimani (Sexe et mensonges. La vie sexuelle au Maroc , Les Arènes) est un modèle parce qu'il ne se contente pas d'accumuler les considérations de l'auteur, mais il fait parler celles qui sont concernées au premier chef par la question de la sexualité au Maroc. L'expression d'une expérience vécue, d'une perception réelle donne une force inégalable au texte. En ce qui concerne mon livre, ma grand-mère en est vraiment la figure centrale. Dans Le Premier Homme, Albert Camus veut donner la parole aux «siens». Très modestement, à ma toute petite mesure, j'ai voulu faire de même. Ma grand-mère ne donne pas de leçons, elle expose ce qu'elle voit, et c'est cette simplicité d'évocation et de propos qui a rencontré un très fort écho. Les lecteurs sont las qu'on leur fasse la leçon. Nous ne sommes pas des clercs: quelle est notre légitimité pour leur prêcher le bien et le mal?
La parole des journalistes est dévitalisée?
Elle est malheureusement trop souvent standardisée. Nous avons le réflexe de nous engager dans tel ou tel combat, mais notre rôle est plus profond, il nous rend responsables des sujets que nous avons choisi d'aborder.

Le monde tourne pas rond,ma petite-fille,de Sonia Mabrouk, Flammarion, 200 p., 19 €. - Crédits photo : ,
Il faut décrire ce que l'on voit, ce que l'on découvre, mais il nous faut aussi être les porte-voix de ceux que l'on n'entend pas, ceux qui n'ont ni micro ni tribune. Le prisme médiatique est souvent réducteur. C'est ce qui explique la défiance importante de l'opinion publique vis-à-vis des médias.
Les femmes sont en première ligne face à l'islam radical?
Ce sont des femmes, en effet, qui abordent ces sujets sensibles parce que nous sommes les premières à les ressentir dans notre chair. Si nos parcours peuvent nous éloigner de ces problèmes, nous les avons vécus et nous connaissons celles qui les vivent encore. Nous avons une lourde responsabilité et nous rencontrons plus souvent des détracteurs que des soutiens. De nombreux mouvements soi-disant féministes restent indifférents à ces combats. Certains se sont même montrés hostiles au nom de l'intersectionnalité, l'idée que toutes les victimes doivent se rejoindre. Nos combats ne correspondent pas à leur grille de lecture du monde, où l'Occident est coupable et l'immigré, forcément victime. Mais disons que c'est mieux ainsi. Elles poursuivent leur combat, nous menons le nôtre.
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Thématique : Djihad  
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Mabrouk, Slimani, Guirous, Bougrab : ces femmes contre les dérives de l'islam (19.09.2017)
Par Anne Fulda
Mis à jour le 19/09/2017 à 22h57 | Publié le 19/09/2017 à 18h58
ENQUÊTE - Elles sont jeunes, musulmanes. Françaises, nées en France ou pas. Et elles ont décidé, chacune à sa façon, d'écrire afin de dénoncer les dérives de l'islam. Plus qu'un phénomène éditorial, un engagement qui leur vaut pour certaines d'être insultées, menacées, poursuivies en justice, voire traitées d'islamophobes.
Il y a Leïla Slimani qui vient, après son prix Goncourt, de publier un livreSexe et Mensonges . La vie sexuelle au Maroc (Les Arènes) ainsi qu'une BD sur la difficulté d'être femme au Maroc, manière détournée de remettre en cause, à travers le patriarcat, le poids de la religion dans la société marocaine. Il y a Jeannette Bougrab, combattante de la laïcité, qui vient d'écrire, depuis la Finlande, Lettre d'exilLa barbarie et nous (Les éditions du Cerf). Il y a aussi Lydia Guirous qui s'apprête à publier «Ça n'a rien à voir avec l'islam?» Face à l'islamisme, réveillons-nous, réveillez-vous! (Plon), parce qu'elle ne supportait plus d'entendre, attentat après attentat et alors que les revendications communautaristes gagnent du terrain, que «cela n'a rien à voir avec l'islam». Il y a aussi la journaliste Sonia Mabrouk qui a publié, avant l'été, un livre de conversation avec sa grand-mère tunisienne:Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion, mars 2017), où elle évoque pêle-mêle l'école, la culture et le déclin de l'islam sécularisé.
Ce sont des jeunes femmes françaises originaires d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Des femmes musulmanes, en pointe dans la lutte contre l'islam radical.
Leur point commun? Ce sont des jeunes femmes françaises originaires d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Des femmes musulmanes, en pointe dans la lutte contre l'islam radical. Chacune à sa manière: frontale ou plus douce. Mais désireuses de perpétuer l'islam de leurs grands-parents et de leurs parents. Des jeunes femmes courageuses en tout cas. Qui reçoivent des menaces, se font insulter, traiter d'islamophobes ou se font traîner en justice par des mouvements comme Les Indigènes de la République
Lâcheté et la complicité
Avant elles, d'autres, des pionnières, ont mis en garde. En France et à l'étranger. Taslima Nasreen bien sûr, «la Salman Rushdie bangladaise». Chahdortt Djavann, auteur, en 2003, de Bas les voiles! D'autres encore, plus ou moins connues. Un filon éditorial porteur? Bien plus que cela. On ne peut pas, en effet, reprocher à ces femmes d'épouser cette cause par opportunisme. Jeannette Bougrab, qui a décidé de vivre en Finlande, après l'attentat de Charlie Hebdo et la mort de celui qu'elle aimait (le dessinateur Charb) en janvier 2015, dénonce depuis des années la montée du radicalisme musulman. Après Ma République se meurt et Maudites, cette fille de harkis, ancienne ministre et ancienne présidente de la Halde, a décidé de reprendre la plume. Parce qu'elle est en colère. Indignée par ce que Michel Houellebecq décrivait dans son livre Soumission et qu'elle voit déjà à l'œuvre: la lâcheté et la complicité face aux islamistes. Dans son dernier livre qui vient de paraître, elle entend parler comme «une Française, arabe et musulmane, excédée d'entendre autour d'elle que sa culture est pure tolérance, alors que la violence y est omniprésente» et qu'elle en vient «à nier les femmes et à instrumentaliser les enfants.»
«Je suis docteur en droit, maître de conférences, j'ai été ministre, j'ai 44 ans, mais une partie de ma famille me considère comme une traînée. Je peux recevoir des coups»
Jeannette Bougrab
Elle s'exprime aussi comme une fille marquée par le souvenir de sa mère, interdite d'école et mariée de force alors qu'elle était enfant, et qui lui a assuré avant de mourir que son combat était juste. Elle n'en croit pas ses yeux quand elle voit que pendant qu'en Arabie saoudite ou en Iran certains risquent leur vie pour imposer la laïcité et combattre le port du voile, en France, on ne prend pas la mesure du danger: «Certains manifestent pour avoir le burkini, Sciences Po a organisé une journée du hidjab tandis que Kamel Daoud - qui est, selon moi, comme Boualem Sansal, un nouveau Voltaire - se fait attaquer par des tribunes dans Le Monde!» De passage à Paris, l'ancienne ministre ne cache pas son inquiétude face à cette internationale djihadiste qui s'étend. Elle martèle son credo: «Le seul moyen de s'en sortir, c'est d'aller au bout de la sécularisation.»
Convaincue que les femmes ont un rôle à jouer, Jeannette Bougrab estime cependant qu'il faut aussi convaincre les hommes, «les éduquer, les mobiliser». Un objectif parfois difficile à atteindre. Elle le sait, elle dont une partie de sa famille ne lui parle plus, elle qui a connu la violence. «Je suis docteur en droit, maître de conférences, j'ai été ministre, j'ai 44 ans, mais une partie de ma famille me considère comme une traînée. Je peux recevoir des coups.» Dans ce contexte, avoue-t-elle dans un souffle, «donner du sens à ma vie, c'est aussi une manière de me sauver moi-même.»
Le rejet du modèle occidental
Lydia Guirous, éphémère porte-parole des Républicains, ne mâche pas non plus ses mots. Née en Algérie, marquée par le souvenir de ses cousines qui allaient à l'université «la peur au ventre» et par l'assassinat, en 1997, de cette jeune étudiante, Amel Zenoun, égorgée dans un bus parce qu'elle fréquentait l'université, elle souligne avec inquiétude que, désormais, la radicalisation touche en France les générations les plus jeunes: des petites filles voilées et élevées dans le rejet du modèle occidental. Relevant l'infiltration grandissante des islamistes dans les partis politiques, les syndicats, les médias, les centres de loisirs et même l'Éducation nationale, elle s'avoue guère optimiste en évoquant ces quartiers «où Noël ne se fête plus - on ne prononce même plus le nom, on dit Léon - et où une petite fille peut se faire attaquer verbalement parce que sa mère n'est pas voilée. On tergiverse toujours. On est toujours dans les accommodements. Or l'intransigeance doit être du côté de la République. C'est aux musulmans de s'adapter et non pas à la société française», assure-t-elle. Avouant ne «plus reconnaître la religion de ses parents», elle appelle au sursaut, exhorte la République française à «ne pas céder aux pleureuses communautaristes qui veulent la dénaturer».
«Les femmes musulmanes éprises de liberté, laïques et républicaines ont le devoir d'enclencher un mouvement de libération de la parole et de résistance civile
Jeannette Bougrab
Ayant reçu des menaces de mort, victime de harcèlement sur les réseaux sociaux, la jeune femme pense que c'est aux musulmans et aux responsables religieux de prendre les choses en main. Mais la révolution, selon elle, viendra avant tout des femmes: «Elles sont plus pragmatiques et sentent l'urgence car elles sont en première ligne. Ce sont elles qui sont condamnées à l'enfermement au nom d'une sacro-sainte pudeur ; ce sont elles qui sont les premières «victimes des obscurantistes.» Et d'ajouter: «C'est une vraie forme de guerre qui va se faire sur le long terme. Les femmes musulmanes éprises de liberté, laïques et républicaines ont le devoir d'enclencher un mouvement de libération de la parole et de résistance civile, mais la présence de tous est nécessaire, tant l'islamisme est un danger, qui plane sur le monde entier, pour tous les enfants, toutes les femmes et tous les démocrates.»
La journaliste Sonia Mabrouk, dont le livre paru il y a quelques mois évoque notamment l'évolution de la condition des femmes en Tunisie à travers un dialogue avec sa grand-mère musulmane, fait partie, elle aussi, de ces vigies qui entendent empêcher l'islam radical de l'emporter. Admirative du travail de Leïla Slimani - qu'elle a connue du temps où elles étaient toutes deux journalistes à Jeune Afrique -, elle apprécie que l'auteur du Goncourt ait choisi dans son dernier livre de «donner la parole à d'autres femmes». «Je pense que si on profite de son soi-disant magistère pour dire ce que l'on pense, on est moins entendu.» En clair, pour que les mises en garde de ces femmes écrivains soient efficaces, il faut aussi se poser la question de la portée du message qu'elles véhiculent. Des femmes éduquées et perçues comme privilégiées sont-elles les meilleurs vecteurs pour convaincre ou mettre en garde les femmes issues de milieux populaires qui sont les premières victimes de l'islam radical? C'est pour cela que cette journaliste, qui se dit croyante et vit parfaitement sa religion dans le cadre des lois de la République, a choisi le biais de la fiction pour son prochain livre: «Pour ne pas être dans l'opposition frontale qui peut être contre-productive.» «J'ai évolué, je reviens souvent en Tunisie et je ne veux pas que la distance se creuse. Le risque, c'est qu'en prenant des positions pavloviennes, notre voix ne porte plus. C'est comme un tableau, si à un moment vous ne jetez que du noir sur la toile, cela ne va plus. Il faut mettre des nuances. On ne peut pas uniquement être dans la colère. Sinon, cela devient un fonds de commerce, un piège. On y est un peu.»
 «C'est important, il faut réfléchir au-delà de la dénonciation. Et avec des hommes»
Sonia Mabrouk
Selon elle, s'en prendre en bloc au monde musulman peut être contre-productif: «On tombe dans une forme de surenchère, dans une parole crue qui n'atteint pas forcément son but.» Pour autant, la journaliste, qui estime avoir une responsabilité, n'entend nullement arrêter le combat légué notamment par sa grand-mère. «C'est important, il faut réfléchir au-delà de la dénonciation. Et avec des hommes», dit-elle, en rappelant qu'en Tunisie les grandes avancées concernant le droit des femmes ont été faites par un homme, Bourguiba. «Le courage aujourd'hui, c'est la nuance.»
C'est visiblement le choix qu'a fait Leïla Slimani. Lors de la publication de son premier roman, Dans le jardin de l'ogre(Gallimard), certains s'étaient étonnés qu'une Marocaine puisse écrire un livre aussi «libre et sexuel» qui racontait l'histoire d'une femme souffrant d'addiction au sexe. C'est à cette occasion, qu'en marge d'une tournée au Maroc, elle a rencontré beaucoup de jeunes femmes ayant soif d'échanger sur le sujet. Elle a voulu livrer cette parole brute dans son dernier livre. «En me racontant leur vie, en acceptant de briser des tabous, toutes ces femmes m'ont en tout cas signifié une chose: leur vie a de l'importance. Elles comptent et doivent compter. À travers leurs confidences, elles ont voulu sortir, pour quelques heures au moins, de leur isolement et inviter les autres femmes à prendre conscience du fait qu'elles ne sont pas seules. C'est en cela que cette parole est politique, engagée, émancipatrice.» Une manière pour l'auteur de Chanson doucede «retrouver le moyen de peser sur une culture qui est l'otage des religieux et du patriarcat.»

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Les réfugiés palestiniens de Gaza rêvent toujours d'un «retour» (27.04.2018)
Par Cyrille Louis
Mis à jour le 27/04/2018 à 22h02 | Publié le 27/04/2018 à 18h38
REPORTAGE - Ils se mobilisent depuis le 30 mars pour réclamer le droit de retourner sur leurs terres qu'ils ont fuies voilà soixante-dix ans. Leur «retour», plaide la grande majorité des Israéliens, mettrait aussitôt fin au caractère juif du pays.
Envoyé spécial à Gaza

La «grande marche du retour», il en a à peine entendu parler. À 90 ans, Mohammed al-Touman n'a plus guère la force de quitter sa petite chambre plongée dans la pénombre. Vêtu d'une galabieh noire, la tête enveloppée dans un châle et le visage mangé par sa barbe blanche, le vieux réfugié attend la fin entouré de sa nombreuse famille. D'une main tremblante, il énumère: neuf enfants, une quarantaine de petits-enfants, et puis cette nouvelle génération dont il a fini par perdre le compte. Tous sont nés dans la bande de Gaza et la plupart n'en sont jamais sortis. Mais chacun, assure-t-il, sait que le berceau du clan al-Touman se trouve ailleurs.
«Jamais je n'aurais imaginé passer ici le reste de ma vie. À l'époque, chacun était convaincu que les Juifs seraient vaincus en quelques jours tout au plus…»
Mohammed al-Touman, 90 ans
Un jour d'octobre 1948, alors que la rumeur annonçait l'avancée imminente des troupes israéliennes, Mohammed et une dizaine de ses proches quittèrent leur village d'Isdoud pour se réfugier quelques dizaines de kilomètres plus au sud. Une fois arrivés à Khan Younès, une localité de la bande côtière, ils furent installés dans des tentes aménagées à la hâte pour les réfugiés de cette première guerre israélo-arabe. Contrairement à tant d'autres familles qui conservent jusqu'à ce jour la clé de leur maison abandonnée, eux sont partis les mains vides. «Jamais je n'aurais imaginé passer ici le reste de ma vie, dit-il en promenant un regard désolé sur les murs peints à la chaux et le toit en tôle de sa modeste demeure. À l'époque, chacun était convaincu que les Juifs seraient vaincus en quelques jours tout au plus…»
Le sort des réfugiés palestiniens, relégué au second plan par la signature des accords d'Oslo (1993), est depuis le 30 mars au cœur de larges rassemblements dans la bande de Gaza. Massés le long de la frontière avec Israël, des milliers de manifestants invoquent chaque vendredi leur «droit au retour». Ils se disent prêts à franchir la clôture pour «regagner (leurs) terres», le 15 mai, à l'occasion des commémorations de la «Nakba» (la «catastrophe» jadis vécue par les Palestiniens). L'État hébreu, jugeant sa souveraineté menacée et invoquant l'attitude menaçante de certains manifestants, n'a pas hésité à ouvrir le feu. Une quarantaine de Palestiniens ont déjà été tués et plus de 1.700 ont été blessés par balles.
Ils sont plus de 5 millions
Les participants rappellent que la résolution 194, adoptée le 11 décembre 1948 par le Conseil de sécurité de l'ONU, prévoyait le «retour» des 700.000 réfugiés qui avaient pris la fuite ou furent chassés de leurs villages quelques semaines plus tôt. Mais les dirigeants israéliens ont toujours jugé ce texte inacceptable. Leur statut se transmettant de génération en génération, les Nations unies recensent aujourd'hui plus de 5 millions de réfugiés palestiniens établis à Gaza, en Cisjordanie, et dans les pays voisins. Leur «retour», plaide la grande majorité des Israéliens, mettrait aussitôt fin au caractère juif du pays.
Turkey al-Touman, 67 ans, ne nie pas que ses revendications constituent pour l'État hébreu une menace existentielle. Le rêve de «retourner» à Isdoud lui a été inoculé par son père, Mohammed, qui l'a plusieurs fois emmené visiter les décombres du village. C'était à la fin des années 70, à une époque où les Palestiniens de Gaza circulaient à peu près librement en Israël. «La maison familiale avait été rasée, raconte-t-il, mais il restait encore les ruines d'un café, de l'école et de trois mausolées.»
«Ce n'est que vers le milieu des années 90, lorsque l'armée s'est mise à multiplier les checkpoints autour de Gaza, que nous avons mesuré notre erreur. Mais il était trop tard : nos terres étaient devenues inaccessibles»
Turkey al-Touman, 67 ans
Non loin de ces vestiges, la ville israélienne d'Ashdod est alors en pleine construction. «J'y ai travaillé en tant qu'ouvrier sur plusieurs chantiers», raconte Turkey, comme s'il s'agissait là de la chose la plus naturelle du monde. Face au silence de son auditoire, il ajoute: «C'est une période où nous étions assez inconscients. La loi israélienne nous interdisait de retourner nous établir à Isdoud, alors on s'est plus ou moins résignés parce que le besoin de nourrir notre famille passait avant celui de retrouver nos racines. Ce n'est que vers le milieu des années 90, lorsque l'armée s'est mise à multiplier les checkpoints autour de la bande de Gaza, que nous avons mesuré notre erreur. Mais il était trop tard: nos terres étaient devenues inaccessibles.»
La famille al-Touman, tout comme de nombreux réfugiés de la bande de Gaza, éprouve à cette époque des sentiments mélangés. D'un côté on peine à admettre que Yasser Arafat, après avoir si longtemps promis de reconquérir par les armes les territoires perdus en 1948, ait reconnu le droit à l'existence d'Israël. De l'autre, on observe avec une fierté incrédule les honneurs rendus au vieux chef palestinien au moment des accords d'Oslo. La pelouse de la Maison-Blanche, le prix Nobel de la paix, le retour triomphal à Gaza… «Avec ces images, nous avons repris espoir. Arafat allait bâtir un État, qu'il pourrait ensuite utiliser pour obtenir le retour des réfugiés sur leurs terres», se souvient Turkey al-Touman.
L'Autorité palestinienne accusée d'avoir bradé leurs droits
Mais le vent d'optimisme retombe vite. Les dirigeants de la nouvelle Autorité, engagés dans des négociations serrées avec Israël, concentrent leurs efforts sur le tracé des futures frontières et le statut de Jérusalem. On comprend alors - mais cela ne sera jamais dit ainsi - que la direction palestinienne s'apprête à transiger sur les droits des réfugiés. Des solutions «créatives» sont examinées sous l'égide des États-Unis, qui proposent la réinstallation en Israël d'un nombre symbolique de Palestiniens ainsi que l'indemnisation de ceux qui ne seront pas autorisés à revenir. Arafat hésite, les négociations capotent. Le Hamas, créé au début de la première intifada, n'en accusera pas moins l'Autorité palestinienne d'avoir voulu brader les droits des réfugiés.
Vingt ans plus tard, c'est avec une détermination intacte que les différents membres du clan al-Touman défendent leur «droit au retour». Mais ils n'emploient pas tout à fait, d'une génération à l'autre, les mêmes mots ni les mêmes intonations. Ayman, le fils de Turkey, parle d'une demande «sacrée et intangible» tout en concédant que l'objectif est hors d'atteinte - du moins à court terme. Âgé de 43 ans, il a porté l'uniforme de la police palestinienne jusqu'à sa mise au chômage technique lors de la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, en 2007. Contrairement à son père, qui appelle aujourd'hui encore à «reprendre par la force ce qui a été enlevé par la force», Ayman al-Touman rejette la lutte armée. Après trois guerres meurtrières en une décennie, il ne croit plus à la possibilité de faire reculer Israël par les armes. «Je mise davantage sur la diplomatie», dit le quadragénaire, qui explique s'être converti par réalisme à la solution des deux États et sèche un peu lorsqu'on lui demande comment celle-ci permettra de réaliser les aspirations des réfugiés. «Les temps changent, interrompt Turkey, comme gêné pour son fils. Lorsque je me suis marié, mon père m'a interdit de faire construire une maison à Gaza car on allait bientôt rentrer à Isdoud. Mais quand Ayman, il y a quelques années, m'a fait la même demande, je me suis dit: à quoi bon l'en empêcher?»
«Les Israéliens ont pensé que nos grands-parents allaient mourir, et que nous finirions par oublier. Mais nous allons leur montrer qu'ils se sont trompés»
Des adolescents gazaouis participant à la « marche du retour »
Mohammed, 18 ans, est pour l'heure le dernier de la lignée. Un jeune Palestinien comme tant d'autres qui a arrêté l'école en première, n'a pas de travail et n'est jamais sorti de Gaza. Du village d'Isdoud, il ne sait pas grand-chose. «Mon grand-père m'en parle parfois, mais j'ai du mal à me le représenter», avoue l'adolescent, qui cherche ses mots et évoque «de vieilles maisons en pierre». Turkey al-Touman, une fois de plus, tente d'expliquer. «Quand j'étais enfant, mon père réunissait régulièrement des anciens du village pour évoquer la vie quotidienne, les travaux des champs… Mais, avec le temps, les souvenirs commencent à se faire moins précis.»
Depuis le 30 mars, c'est notamment pour contrer cet oubli que les réfugiés de Gaza participent nombreux à la «marche du retour». La réduction de l'enveloppe versée par les États-Unis à l'agence de l'ONU en charge des réfugiés palestiniens (Unrwa) et des rumeurs prêtant à Donald Trump le projet de réinstaller cette population dans le désert du Sinaï semblent les avoir convaincus qu'il y avait urgence. Dans les campements situés aux abords de la frontière, des adolescents scandent sans relâche: «Les Israéliens ont pensé que nos grands-parents allaient mourir, et que nous finirions par oublier. Mais nous allons leur montrer qu'ils se sont trompés.»
Dans le camp de réfugiés de Khan Younès, le vieux Mohammed al-Touman compte parmi les derniers témoins d'un temps révolu. Lorsque les mots lui manquent, il fouille dans sa poche et en exhume un document de papier jauni par les ans. La carte d'identité, délivrée en 1948 par l'administration britannique, porte le numéro 369 et précise que cet ouvrier aux cheveux noirs, aux yeux marron et à la complexion élancée résidait dans le village d'Isdoud. «Nous étions heureux et vivions confortablement sur nos terres, alors qu'ici nous sommes devenus des mendiants.» Perclus de fatigue, il dit cependant croire que tout n'est pas perdu. «Un cabanon à Isdoud, soupire-t-il, me rendrait plus heureux qu'un palais à Gaza.»

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Israël s'inquiète de la livraison de S-300 russes à la Syrie (26.04.2018)
Par Cyrille Louis et Service InfographieMis à jour le 26/04/2018 à 19h24 | Publié le 26/04/2018 à 19h06
INFOGRAPHIE - Les systèmes de défense antiaérienne seraient destinés à protéger les forces iraniennes présentes en Syrie de frappes préventives de l'aviation israélienne.
Correspondant à Jérusalem
Les dirigeants israéliens ont accueilli la nouvelle avec une nervosité mal contenue. Selon le lieutenant-général Sergueï Roudskoï, chef de la principale direction opérationnelle de l'état-major russe, Moscou va fournir «très prochainement» un nouveau système de défense antiaérienne à l'armée de Bachar el-Assad. Cette livraison semble avoir été décidée en réponse aux frappes menées par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, le 14 avril dernier, contre plusieurs sites militaires syriens. Le journal Kommersant, citant une source informée, annonçait dès mardi le transfert imminent de batteries S-300 et évoquait des conséquences «catastrophiques pour toutes les parties» en cas de frappes de l'État hébreu contre ces installations. Avigdor Lieberman, le ministre israélien de la Défense, a de son côté prévenu: «Si ces systèmes d'armes russes sont utilisés contre nous en Syrie, nous les détruirons.»
La livraison d'un tel dispositif à l'armée syrienne, déjà envisagée par le passé, avait été plusieurs fois ajournée à la demande d'Israël. Les batteries S-300, développées à la fin des années 1970 mais régulièrement modernisées depuis lors, «sont plus précises, plus efficaces et ont une portée bien supérieure aux systèmes dont le régime de Bachar el-Assad dispose à l'heure actuelle», résume Assaf Orion, ancien général de brigade et chercheur à l'Institut israélien d'études pour la sécurité nationale. Il ajoute: «Leur déploiement va inévitablement limiter la marge de manœuvre de notre armée de l'air dans le ciel de la Syrie et du Liban - même si celle-ci a par le passé montré sa capacité à déjouer ce genre de dispositifs.» Une situation d'autant plus complexe que les nouvelles batteries seront, au moins dans un premier temps, opérées par des militaires russes dont l'armée israélienne ne voudra sans doute pas prendre le risque de faire des victimes collatérales.
«Les Russes voient bien que le conflit de plus en plus ouvert entre Israël et l'Iran met en péril leurs efforts pour stabiliser le gouvernement d'el-Assad»
Ofer Zalzberg, analyste au centre de réflexion International Crisis Group
L'État hébreu, qui indique avoir frappé plus d'une centaine de convois et de dépôts d'armes destinés au Hezbollah depuis début 2013, jouissait jusqu'à présent d'une grande liberté d'action. La Russie, engagée depuis septembre 2015 dans une opération de sauvetage de Bachar el-Assad, a en effet longtemps choisi de détourner le regard. Mais elle a récemment changé de ton lorsque l'aviation israélienne s'est mise à attaquer des bases militaires iraniennes sur le sol syrien. Lundi 9 avril, Moscou l'a pour la première fois publiquement mise en cause après qu'une frappe contre une base située entre Homs et Palmyre a fait quatorze morts dont sept membres des gardiens de la révolution. Lors d'un échange téléphonique organisé depuis lors, Vladimir Poutine a prié Benyamin Nétanyahou de «s'abstenir de toute action déstabilisatrice». Mais les dirigeants israéliens restent déterminés à empêcher une implantation durable de l'Iran à leur frontière nord, et ce quel qu'en soit le prix.
Une partie des commentateurs a interprété la livraison annoncée de batteries S-300 à la Syrie comme le signe que Moscou s'apprête à prendre parti contre l'État hébreu. Ofer Zalzberg, analyste au centre de réflexion International Crisis Group, estime pour sa part que «les Russes sont surtout en train de redéfinir les règles du face-à-face entre Israéliens et Iraniens en Syrie». «Ils voient bien, détaille-t-il, que le conflit de plus en plus ouvert entre ces deux puissances est en train de mettre en péril leurs efforts pour stabiliser le gouvernement de Bachar el-Assad, et c'est sans doute pour prévenir une escalade qu'ils cherchent à tracer des limites. D'un côté, ils viennent de faire savoir qu'ils refuseront la création d'un port iranien à Tartous. De l'autre, il est possible qu'ils s'apprêtent à renforcer la protection de certains sites iraniens contre d'éventuelles frappes israéliennes.»

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Natacha Polony : «Veuillez cacher cet antisémitisme…» (27.04.2018)
Par Natacha Polony
Mis à jour le 27/04/2018 à 19h20 | Publié le 27/04/2018 à 17h35
CHRONIQUE - La seule importation du conflit entre Israël et la Palestine ne suffit pas à raconter ce qui se passe en France et dans le monde. La gangrène d'un islamisme qui impose partout une lecture littéraliste du Coran ne peut pas être évacuée si facilement.
«Injuste et délirant.» Ainsi le recteur de la Grande Mosquée a-t-il qualifié le manifeste contre l'antisémitisme signé pourtant par des personnalités aussi diverses que François Pinault, Dominique Perben ou François Berléand. Tous ces gens ne seraient-ils que des inconscients incapables de déceler l'intention perverse cachée dans ce texte? Ou bien seraient-ils eux-mêmes coupables de nourrir quelque intention malveillante à l'égard d'une religion de paix et de ses croyants, qu'on voudrait implicitement exclure de la communauté nationale?
Tel est bien le nœud du problème: à chaque fois que des voix s'élèvent, les plus diverses possible, pour tenter de sortir du déni, de nommer enfin l'innommable et de poser les bases d'un rassemblement, de doctes esprits s'emploient à vider le message de sa substance et à détourner le débat. Michel Wieviorka parle d'un manifeste «partiel et partial»: un antisémitisme «connu depuis un bon quart de siècle» et «déjà dénoncé d'abondance». Circulez, il n'y a rien à voir, ni surtout à dire. Puisqu'on en a déjà parlé, n'est-ce pas, on ne va pas y revenir… D'autant qu'à nommer cet antisémitisme islamiste, on en oublierait l'antisémitisme traditionnel européen… Comprenez, le véritable danger en France, c'est la republication de Céline et Maurras. Mohamed Merah avait trop lu Rebatet.
On peut ne pas juger indispensable la publication des pamphlets antisémites de Céline et, pour autant, voir dans les arguments de Michel Wieviorka une brillante façon de noyer le poisson. La même dont use Emmanuel Macron, qui, depuis les États-Unis, a déclaré qu'«il y a deux racines de ce nouvel antisémitisme. La première est liée à l'importation du conflit entre Israël et la Palestine (…). La deuxième racine est une sorte d'ancien antisémitisme français, qui existait au début du siècle et qui reprend de l'ampleur».
Cette chronique alerte depuis des années contre la résurgence de l'antisémitisme, contre les «mort aux Juifs!» entendus dans les rues de Paris et contre la jonction, réalisée lors de la manifestation «Jour de colère» le 26 janvier 2014, entre un antisémitisme d'extrême droite, version soralienne, et un antisémitisme d'extrême gauche, camouflée derrière l'antisionisme. Mais la réponse présidentielle est un peu courte. Ou plutôt, elle cherche délibérément à construire un balancement qui n'existe pas en France pour mieux escamoter le débat lancé par le Manifeste de Philippe Val.
Et l'on aimerait entendre des voix s'élever contre la politique insupportable, mais aussi suicidaire, de la droite israélienne, qui grignote les Territoires palestiniens
On ne peut, bien sûr, négliger le fait que le conflit israélo-palestinien constitue dans le monde un abcès de fixation. Et l'on aimerait entendre des voix s'élever contre la politique insupportable, mais aussi suicidaire, de la droite israélienne, qui grignote les Territoires palestiniens jusqu'à rendre impossible désormais une solution à deux États. Suicidaire, car Israël, avec des citoyens de seconde zone, ne serait plus l'État démocratique de ses origines. Il fut un temps, au début des années 2000, où des intellectuels français faisaient vivre sur ce sujet un indispensable débat. Leur silence laisse croire à une unanimité qui nourrit le ressentiment et repousse l'antisionisme dans les franges de l'antisémitisme.
Pour autant, la seule «importation du conflit entre Israël et la Palestine» ne suffit pas à raconter ce qui se passe en France et dans le monde. La gangrène d'un islamisme qui impose partout une lecture littéraliste du Coran - et c'est bien la lettre du Coran, n'en déplaise à Dalil Boubakeur, mais aussi la Sîra et les hadiths, toute la tradition autour de la vie de Mahomet, qui servent de prétexte aux islamistes - ne peut pas être évacuée si facilement. Moins encore quand l'État qui porte cette vision et finance ses sectateurs, l'Arabie saoudite, noue une alliance dangereuse avec les États-Unis et Israël, et veut entraîner la France dans la dénonciation de l'accord nucléaire avec l'Iran. Mais ce qui se joue dans nos banlieues, et dans la tête de ceux qui basculent dans le délire antisémite, qu'il s'agisse d'assassiner une vieille dame ou de massacrer des enfants de 3 ans devant leur école, n'est qu'en partie déterminé par ces facteurs.
Le ressentiment, la frustration qui voient se coaguler antisémitisme et haine de la France germent dans des esprits culturellement en jachère, livrés à cet obscurantisme contre lequel se sont élevées les Lumières. Le Manifeste contre l'antisémitisme ne prétend nullement, comme s'en émeuvent 30 imams qui ont réagi dans Le Monde , que seul un musulman qui s'éloignerait de sa religion pourrait être pacifiste. En revanche, il appartient à l'école - et, dans l'idéal, aux représentants des religions - d'enseigner la différence entre l'ordre des croyances et celui des savoirs. De quoi permettre à un jeune musulman de ne pas considérer comme une vérité le caractère incréé du Coran, et donc d'entrer dans une forme de distance qui articule l'identité du citoyen et celle du croyant. Les imams français n'ont visiblement pas encore envie d'affronter ces difficultés. L'école non plus, quand le président lui-même y prône «la bienveillance et l'ouverture» plutôt que le savoir et l'exigence. Les intellectuels encore moins, dont la grande angoisse est de passer pour islamophobes. Continuons donc de débattre de la réédition de Céline ou de l'antisémitisme en Hongrie, jusqu'au prochain drame.

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Pourquoi les riches votent à gauche : Thomas Frank et le «progressisme de limousine» (27.04.2018)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 27/04/2018 à 12h02 | Publié le 27/04/2018 à 09h15
Pourquoi les riches votent-ils à gauche ? C'est la question à laquelle répond l'intellectuel américain dans un essai drôle et savant.

- Crédits photo : presse
C'était en 2008. Obama s'apprêtait à entrer à la Maison-Blanche et personne ne pouvait imaginer qu'une décennie plus tard Donald Trump serait son successeur. Sauf peut-être Thomas Frank! Dans un livre aujourd'hui devenu culte, Pourquoi les pauvres votent à droite, l'essayiste montrait l'émergence d'une nouvelle droite «populiste», douée pour capter la colère des classes populaires contre les élites. P ourquoi les riches votent à gauche * se situe dans le prolongement de cet ouvrage de référence et se révèle tout aussi incisif. L'auteur, pourtant marqué à gauche, y dépeint avec une ironie féroce l'hypocrisie et la condescendance du «progressisme de limousine» : cette gauche caviar, incarnée par Hillary Clinton, qui a beaucoup de compassion pour les personnes malheureuses qui sont loin, mais se pince le nez devant ce qu'elle considère comme le «panier des déplorables» - les électeurs de Trump-.
Chez Frank, le sarcasme n'exclut pas la profondeur historique et la puissance d'analyse. L'auteur décrit le mariage entre le politiquement correct et l'argent, les diplômés de Harvard et les financiers de Wall Street, les hipsters de la Silicon Valley et les technocrates de Washington, le cool et le capitalisme. Ou comment les clercs démocrates ont troqué les cols bleus contre les cols blancs, le gouvernement du peuple contre celui des experts.
Adieu New Deal et lutte des classes
Pour les socialistes français, il y a eu le tournant de la rigueur en 1983. Pour les démocrates américains, le basculement s'opère dès 1971. Il est théorisé par le stratège démocrate Frederick Dutton dans son manifeste Changing Sources of Power, qui n'est pas s'en rappeler le rapport Terra Nova. Dutton est convaincu que la société industrielle va céder la place à l'«économie de la connaissance». Et que le parti doit s'adapter en transformant sa base électorale: liquider les ouvriers et les syndicats au profit de la nouvelle classe des «professionnels» éduqués (jeunes diplômés, cadres, etc.), censés représenter le progrès et la modernité. Adieu New Deal et lutte des classes, bienvenue aux néolibéraux et à l'idéologie managériale.
La boucle est bouclée : les riches votent à gauche et les pauvres à droite
Pour Thomas Frank, ce réalignement stratégique est aussi lié à un mépris culturel d'une partie des élites démocrates pour les catégories populaires jugées pas assez raffinées. Après bien des revers électoraux, ce changement de cap se concrétise avec la présidence de Bill Clinton (1993-2001). Le président démocrate fera ce que même Reagan n'avait jamais osé faire: signature du traité de libre-échange de l'Alena qui facilite les délocalisations vers le Mexique, politique d'austérité au nom de la réduction des déficits, dérégulation de l'électricité et des télécommunications. Jusqu'au bout, Clinton sera le fossoyeur de l'héritage de Roosevelt. Sa «dernière grande œuvre», la déréglementation bancaire, conduira en 2008 à la plus grande crise depuis 1929. En 2016, les «ouvriers blancs» prendront enfin leur revanche sur les Clinton en votant massivement pour le protectionniste Trump. La boucle est bouclée: les riches votent à gauche et les pauvres à droite. Mais, conclut Thomas Frank, personne ne défend plus réellement les gens ordinaires.
Pourquoi les riches votent à gauche, de Thomas Frank, Agone, 25 €
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Jean Sévillia : «Aux heures sombres de la Révolution» (27.04.2018)
Par Jean Sévillia
Publié le 27/04/2018 à 07h30
CHRONIQUE - Pourquoi le rêve démocratique de 1789 a-t-il débouché en 1793 sur la dictature d'une minorité et un régime de Terreur ?
Des massacres de septembre 1792 à la loi de juin 1794 instituant la Grande Terreur, la France a vécu deux années de violence extrême, gouvernée par une minorité qui s'appuyait sur la rue. Pourquoi est-on passé de l'espérance démocratique de 1789 à la dictature de 1793? Le sang qui a coulé dès juillet 1789 ne relevait-il pas déjà de la Terreur? Cette dernière s'est-elle close avec la chute de Robespierre à l'été 1794? Où classer, alors, les poussées de fièvre du Directoire, jusqu'en 1799? Peut-on, en définitive, démêler la Révolution de la Terreur?

- Crédits photo : ,
Répondant à ces questions, Timothy Tackett, professeur à l'université de Californie, décrit le processus révolutionnaire dans un ouvrage qui recourt à des correspondances inédites à partir desquelles est restituée la vision des acteurs de l'époque (1). Dans la grande querelle entre les spécialistes qui expliquent la Terreur par l'idéologie et le mécanisme révolutionnaires et ceux qui y voient un enchaînement de circonstances, Tackett se situe du deuxième côté, mais, contrairement à tant d'autres, sans absoudre l'inexcusable. D'après l'historien américain, c'est tout à la fois la guerre intérieure et extérieure, mais aussi le poids des rumeurs ou la paranoïa du Comité de salut public, qui voyait des complots partout, qui ont déchaîné les forces ayant ensanglanté le pays au prix de 40.000 victimes, guerres de Vendée non comprises.

- Crédits photo : ,
En 1978, dans Penser la Révolution françaiseFrançois Furet avait ressuscité la figure d'un historien - tué au front en 1916 - qui n'était plus guère lu: Augustin Cochin. Ses écrits, réédités à cette occasion, n'étaient plus disponibles. Saluons donc ce précieux volume précédé d'une savoureuse préface de Patrice Gueniffey et d'une utile introduction à l'œuvre de Cochin par Denis Sureau (2). Autant historien que sociologue, Cochin avait montré que les clubs révolutionnaires, ancêtres des partis contemporains, avaient introduit dans le jeu politique des structures qui, derrière le paravent de la liberté de pensée, dissimulaient la soumission de l'individu à une autorité inavouée et à des idées préfabriquées. Une pensée critique et forte sur les origines de la démocratie mordene.
(1) Anatomie de la Terreur, de Timothy Tackett, Seuil, 480 p., 26 €.
(2) La Machine révolutionnaire, d'Augustin Cochin, préface de Patrice Gueniffey, Tallandier, 686 p., 29,90 €.
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Éric Zemmour: «La leçon de la monarchie anglaise» (27.04.2018)
Par Eric Zemmour
Publié le 27/04/2018 à 08h00
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Après la tempête Diana, la famille royale britannique a choisi de renouer avec ses valeurs traditionnelles. Depuis, elle n'a jamais été aussi populaire. Y compris en République française.
Il est né le divin enfant! Le troisième! Et un garçon, encore! La passion médiatique et populaire que suscite la naissance des enfants royaux d'Angleterre est un mystère à élucider. A une époque où les rois sont considérés comme des pantins inutiles et ridicules, traces d'un passé révolu, pourquoi s'intéresser à une monarchie millénaire? A une époque où toute marque de hiérarchie et de verticalité est systématiquement couverte de sarcasmes ou d'insultes, comment peut-on exalter une supériorité qui ne doit rien au mérite et tout à la naissance? A une époque où les femmes sont louées pour ce qu'elles font et méprisées pour ce qu'elles sont, comment peut-on passer en boucle le sourire au demeurant charmant d'une princesse dont le seul exploit est d'avoir donné des héritiers au trône?
La France est particulièrement touchée par ce mystère d'une passion incoercible pour ce qu'elle est censée abhorrer. La France républicaine qui ne se remet pas - et ne se pardonne pas? - d'avoir coupé la tête de son roi. La France républicaine à vocation monarchique face à la monarchie anglaise à vocation républicaine. Il manque un roi à la République, avait dit de Gaulle, qui a remplacé l'huile sainte du sacre par le suffrage universel. Il manque un roi, a constaté Macron quand Hollande était président, et qui, depuis, surjoue, en acteur consommé, le rôle de monarque. La monarchie anglaise a depuis longtemps renoncé à la réalité du pouvoir pour sauvegarder son trône. Charles X, déjà, disait: «Si être roi, c'est faire comme mon cousin d'Angleterre, je préfère couper du bois.» Mais le «cousin» a su, à ce prix, incarner les traditions séculaires et l'unité de la nation. Ce n'est pas rien.
«Le miracle a eu lieu [...] grâce à une nouvelle génération, enfants des baby-boomers, soucieux de remettre en ordre ce que leurs parents avaient dévasté.»
Il y a quelques décennies, on a pensé la monarchie britannique condamnée. Non pas à cause des menées des opposants républicains qui n'ont jamais compté que pour du beurre, mais minée de l'intérieur. La génération des Beatles et des Rolling Stones avait fait des émules au sein même de la famille royale. Ils multipliaient les adultères (tradition monarchique), mais aussi les ruptures et divorces (shocking!). De la princesse Anne à Diana, jusqu'au prince Charles, l'individu roi et la religion de l'amour étaient sur le point de subvertir et de détruire la monarchie anglaise et la religion anglicane.
Et puis, après que la tempête Diana fut sur le point de tout emporter, le miracle a eu lieu: non pas grâce au caractère admirable de la reine mère, mais grâce à une nouvelle génération, enfants des baby-boomers, soucieux de remettre en ordre ce que leurs parents avaient dévasté. Une nouvelle génération qui se complaît - avec un rare goût de la mise en scène médiatique et des affaires - dans les valeurs traditionnelles de la famille et de la patrie. Le rétablissement passa par une alliance de la monarchie avec les classes moyennes et populaires - incarnées parfaitement par les sœurs Middleton - qui, contrairement aux classes supérieures, n'avaient pas renoncé à la nation britannique et aux traditions. Une belle leçon de conservatisme donnée par les plus jeunes à leurs aînés.
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Emmanuel Macron : «L'Europe… ce vieux continent de petits-bourgeois» (27.04.2018)
Par Arthur Berdah
Mis à jour le 27/04/2018 à 19h38 | Publié le 27/04/2018 à 18h16
Dans une interview accordée à La Nouvelle Revue française, le président français ne mâche pas ses mots vis-à-vis de l'Europe, à l'heure où Angela Merkel semble affaiblie et que le chef de l'État espère reprendre l'ascendant sur le couple franco-allemand.
Il y avait déjà eu les «somnambules». Voilà désormais les «petits-bourgeois». Dans une interview accordée à La Nouvelle Revue française il y a plus de deux mois (le 12 février dernier), qui sera publiée le 3 mai et dont des extraits ont été dévoilés vendredi par Le Monde, Emmanuel Macron ne mâche pas ses mots vis-à-vis de l'Europe. «Ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s'invite», met en garde le président.
«Notre paysage familier est en train de changer profondément sous l'effet de phénomènes multiples, implacables, radicaux»
Emmanuel Macron
En réalité, le raisonnement qu'il développe ensuite fait écho à celui qu'il a toujours tenu, et qui consiste à dire que la génération actuelle ne doit pas se reposer sur les lauriers acquis de longue lutte par ses aïeux. «Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c'est que l'histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. L'Europe ne sera plus protégée comme elle l'a été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale», explique-t-il ainsi, jugeant que «notre paysage familier est en train de changer profondément sous l'effet de phénomènes multiples, implacables, radicaux». En témoigne, à ses yeux, la montée des populismes chez plusieurs de nos voisins.
Dans l'entourage du chef de l'État, on assume la forme du propos pour le moins tranchant, mais on préfère s'attarder sur le fond. «Le débat n'est pas sur la violence des mots mais sur la justesse de la formule», estime le porte-parole de l'Élysée, Bruno Roger-Petit. Selon lui, l'interview «ne vise pas les partenaires européens mais la façon commune dont on passe à côté de l'Histoire en Europe». «Il faut que l'Europe retrouve sa grande ambition et qu'elle ne se contente pas d'être une société de consommation qui se croit apaisée et protégée des bouleversements du monde», exhorte le conseiller.
Ringardiser l'«ancien monde»
Même explication du côté d'un ministre très proche d'Emmanuel Macron, qui précise toutefois n'avoir «pas encore lu» l'entretien. «Le président vise les “assis”, ceux qui ont un statut, qui sont en situation de rente ou de monopole… Bref, c'est l'idée de la “société de l'immobilité” qu'il faut voir derrière ses mots», décrypte-t-il.
«Le président vise les “assis”, ceux qui ont un statut, qui sont en situation de rente ou de monopole… Bref, c'est l'idée de la “société de l'immobilité” qu'il faut voir derrière ses mots»
Bruno Roger-Petit, porte-parole de l'Élysée
Même si toutes les voix officielles affirment que les relations entre Paris et Berlin sont au beau fixe, il est pourtant difficile de ne pas interpréter cette sortie comme une tentative supplémentaire de s'emparer du leadership en Europe. À l'heure où la chancelière Angela Merkel (qui commence son quatrième et dernier mandat) semble affaiblie, le jeune président français espère reprendre l'ascendant sur le couple franco-allemand et s'imposer sur la scène internationale. Pour ce faire, il semble avoir décidé d'appliquer à l'Europe la même méthode que celle qui lui a permis de fracturer le paysage politique français: incarner la fraîcheur du «nouveau monde» afin de ringardiser l'«ancien monde».
L'objectif d'Emmanuel Macron est clair: il s'agit de remporter les prochaines élections européennes, qui auront lieu en mai 2019, et d'implanter son parti à Bruxelles. Un scrutin qui aura valeur de test pour le fondateur d'En marche!… Le président voit grand. Il envisage même d'enrôler le réalisateur allemand Wim Wenders pour mener campagne avec lui. Reste à savoir comment ce clin d'œil sera perçu outre-Rhin.
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33Commentaires

Soun-Lu
Les hauts fonctionnaires qui s'octroient sana fondement juridique (Cour des Comptes ) des primes exorbitantes et le personnel politique ne sont - ils pas des petits bourgeois. Petits bourgeois qui ont mis la France sur la paille pour longtemps ?


L'Islande voudrait interdire la circoncision (27.04.2018)

Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 27/04/2018 à 17h37 | Publié le 27/04/2018 à 17h15
La proposition de loi assimilant l'opération à une mutilation soulève une indignation internationale, surtout dans la communauté juive.
 La circoncision est vieille comme le monde. Selon la tradition biblique, Abraham l'institua, au commandement de Dieu, comme signe de l'alliance avec l'humanité. Signe religieux, elle est pratiquée dans le judaïsme, après autorisation d'un médecin, huit jours après la naissance d'un garçon. Dans l'islam, elle se pratique systématiquement mais pas après l'âge de treize ans. Elle peut aussi être décidée pour des raisons médicales ou culturelles, comme aux États-Unis où 60 % des hommes seraient concernés. À l'échelle de la planète, un tiers des hommes seraient circoncis. Respecté, cet acte est rarement remis en question. Dans le judaïsme, il est très encadré. Les péritomistes («mohalim» en hébreu) qui le pratiquent sont spécialement formés pour éviter tout problème d'hygiène en particulier. Il s'agit de couper le prépuce, fine peau qui recouvre le gland du pénis. En Israël, la formation des mohalim est certifiée par le ministère de la Santé.
Mais en Occident, une tendance récente viserait à associer la circoncision à une mutilation, au même titre que l'excisionL'Allemagne avait été saisie par cette question en 2012. Le Bundestag a fini par confirmer l'autorisation de la circoncision à une écrasante majorité.
L'Islande a relancé le débat en octobre 2017, en faisant adopter en première lecture à l'assemblée une proposition de loi assimilant la circoncision à une mutilation
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est, elle aussi, emparée du débat en 2015 à la suite du rapport Rupprecht, une députée européenne qui cherchait à la qualifier de mutilation au même titre que l'excision qui consiste pourtant à retirer le clitoris aux filles. Là aussi, le Conseil de l'Europe, soucieux de préserver la liberté religieuse, a tranché par une résolution qui autorisait la circoncision. Mais à trois conditions: qu'elle soit accomplie par des personnes dûment formées, dans un cadre d'hygiène strict, avec des parents décideurs mais bien informés.
Curieusement, un pays non membre de l'Union européenne, peu concerné par la présence juive ou musulmane, mais membre du Conseil de l'Europe, l'Islande, a relancé le débat en octobre 2017, en faisant adopter en première lecture à l'assemblée une proposition de loi assimilant la circoncision à une mutilation. Un des partis qui pousse cette idée s'appelle les «intactivistes»… Ils militent pour la préservation absolue du corps humain.
Une série de réactions
La nouvelle a instantanément déclenché une série de réactions. Aux États-Unis, le Congrès américain a envoyé une lettre très nette à l'ambassadeur d'Islande à Washington. Si l'Islande persistait, une batterie de plaintes serait déposée devant la Cour européenne des droits de l'homme pour atteinte à la liberté religieuse.
L'Islande a d'ores et déjà senti le danger. Le ministère des Affaires étrangères vient d'écrire une lettre au Parlement pour mettre en garde contre les conséquences possibles d'isolement international. Le 17 avril, une conférence internationale réunissant des personnalités religieuses et médicales internationales s'est tenue à Reykjavik, la capitale, pour mieux informer sur la nature de la circoncision. Dans ce pays de 335.000 habitants, la population juive est estimée à… 250 personnes. Quant aux musulmans, ils sont 1500.
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Interdiction de la circoncision : «Il ne faut pas faire d'amalgame avec l'excision» (27.04.2018)
Par Jean-Marie Guénois
Mis à jour le 27/04/2018 à 21h38 | Publié le 27/04/2018 à 19h00
INTERVIEW - Moché Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens, réagit au projet de loi de l'Islande, qui associerait cette opération à une mutilation.
Moché Lewin a participé le 17 avril à la conférence internationale de Reykjavik contre l'interdiction de la circoncision.
LE FIGARO.- Les juifs sont peu nombreux en Islande. Pourquoi un tel projet?
Moché LEWIN. - C'est étrange! Jamais l'Europe n'avait connu une telle proposition de loi… Mais ce débat, très actif actuellement au Danemark, est récurrent. Que le débat existe ne nous choque pas. C'est normal et cela appartient à la vie démocratique des pays. En revanche, ce qui ne va pas, est l'amalgame qui est fait entre la circoncision - un acte religieux sans effet sur l'exercice sexuel - et l'excision chez les filles qui a des conséquences mutilantes très graves. En aucun cas, on ne peut assimiler circoncision et excision. Or ce projet de loi réduit ces deux actes à une mutilation.
«La circoncision est un acte religieux, intime et discret, mais il revêt une très haute signification»
Moché Lewin
Pourquoi la circoncision est-elle si importante pour le judaïsme?
La circoncision est intrinsèque au judaïsme. Elle remonte à Abraham et elle est le signe de l'alliance divine avec l'homme. Cela touche donc le judaïsme au plus profond de sa foi, c'est une part de l'identité juive. La circoncision est un acte religieux, intime et discret, mais il revêt une très haute signification.
Pourquoi une telle polémique internationale?
La Conférence des rabbins européens a aussitôt réagi, tout comme le gouvernement américain. La Conférence des Églises européennes s'est aussi investie pour organiser la conférence internationale à Reykjavik. Même si nous venons d'apprendre que la proposition de loi vient d'être transférée du Parlement au gouvernement - ce qui signifierait l'abandon pressenti de cette loi, soit une très bonne nouvelle! - le plus inquiétant demeure. Cette initiative pourrait nourrir l'actuelle montée d'un nouvel antisémitisme en Europe. La communauté juive devrait-elle en conclure qu'elle n'aurait plus sa place en Europe? Cela, nous ne nous y résoudrons jamais.

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Rédacteur en chef,
chargé des religions
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Andrew Sheng: «L'Occident n'a pas d'idées pour gérer les enjeux essentiels» (27.04.2018)
Par Fabrice Nodé-Langlois
Mis à jour le 27/04/2018 à 20h13 | Publié le 27/04/2018 à 19h40
INTERVIEW - L'économiste, ancien banquier central, juge la théorie économique dépassée par les grands défis structurels du siècle.
Ancien régulateur de la banque centrale de Malaisie puis de l'autorité des marchés de Hongkong passé aussi par la Banque mondiale, l'économiste Andrew Sheng dénonce les lacunes de l'économie de marché occidentale. Il était l'un des conférenciers du forum Ambrosetti au début du mois, à la Villa d'Este, sur les rives du lac de Côme, en Italie.
LE FIGARO. - L'Occident n'est pas armé pour gérer les enjeux structurels du siècle, dites-vous. Pourquoi?
Andrew SHENG. - Il y a une vraie différence de ce que j'appelle la «carte mentale», entre l'Occident et l'Asie. À l'Ouest, on privilégie les réglages de précision, la politique monétaire, par exemple, ou les ajustements budgétaires mais on ne s'attaque pas aux grands problèmes structurels, les inégalités sociales, l'évolution démographique, le changement climatiqueou le développement des nouvelles technologies. Or, le traitement de ces problèmes se comptera en décennies. Les Chinois et les Indiens pensent à l'échelle des décennies. Cela me rappelle une anecdote… Quand on demandait au premier ministre chinois Zhou Enlai: «Quelles sont les conséquences de la Révolution française?», il répondait: «Il est encore trop tôt pour le savoir.»
«Le capitalisme financier a notamment créé d'immenses inégalités. Il faut une approche holistique pour embrasser tous les grands enjeux»
Andrew Sheng
Vous estimez que les Chinois et les Indiens partagent cette vision à long terme, pourtant leurs régimes politiques sont très différents…
Je suis un disciple de Pierre Bourdieu, qui parle de capital social, d'habitus. Je crois que, si vous comprenez ces concepts, vous avez un meilleur modèle pour saisir le monde. À l'inverse, selon ce qu'on appelle le «consensus de Washington», l'économie de marché libérale engendre l'équilibre général. Or, dans les faits, on constate qu'on s'éloigne de l'équilibre, dans beaucoup de domaines. Parce que le capitalisme financier a notamment créé d'immenses inégalités. Il faut une approche holistique pour embrasser tous les grands enjeux. En Occident, quand on a mal à la tête, on prend une aspirine. Mais le mal de tête vient peut-être d'un autre organe, c'est cela que j'appelle l'approche holistique.
«Dans la philosophie chinoise, si l'homme détruit la nature, il se détruit lui-même. Les Chinois l'avaient oublié en se convertissant au capitalisme. Mais la Chine est en train d'y revenir»
Andrew Sheng
Vous n'avez pas répondu sur la différence des régimes chinois et indiens…
Ces deux pays ont en commun d'avoir des philosophies très profondes. Et ils ont aussi tous deux de très grandes bureaucraties. N'oubliez pas que l'effectif du parti communiste chinois, c'est la population de la France! Si l'on n'a pas ces éléments à l'esprit, on ne comprend pas comment ces pays fonctionnent. Cela dit, le communisme n'est pas une invention chinoise, il est venu d'Europe, de France, et s'est inséré dans le confucianisme. Dans la philosophie chinoise, si l'homme détruit la nature, il se détruit lui-même. Les Chinois l'avaient oublié en se convertissant au capitalisme. Mais la Chine est en train d'y revenir.
Vous êtes un Chinois de Malaisie, formé en Angleterre. Comment vous définissez-vous?
J'ai étudié à l'université de Bristol. Mon père a été formé à Lyon et à Charleroi, en Belgique. Je suis un pur produit de l'éducation occidentale. Par la suite, j'ai été banquier central en Malaisie, j'ai travaillé à la Banque mondiale, puis à Hongkong. Je me suis rendu compte que le système de valeurs occidental ne permet pas de gérer les grands problèmes structurels. Il ne s'attaque qu'aux problèmes superficiels.
«Je ne dis pas que la vision eurocentrée n'est pas la bonne, mais elle n'est pas adaptée au monde entier»
Andrew Sheng
Il ne distingue pas le signal profond du bruit ambiant. Le bruit, c'est par exemple le populisme. Mais celui-ci provient des très fortes inégalités qu'a creusées le capitalisme. Le modèle d'économie de marché libérale est dépassé. Par exemple, il appréhende très mal la question fondamentale du changement climatique. L'Occident n'a pas d'idées nouvelles pour gérer les enjeux essentiels.
Alors quelles sont les solutions?
Pour résoudre des problèmes à long terme, il faut de la stabilité politique, il faut de la continuité à la tête des États. Quand vous avez un plan pour cinq ans et que votre successeur fait le contraire de vous, vous revenez à la case départ.
Donc, pour vous, les démocraties occidentales ne sont pas efficaces?
Peut-être conviennent-elles à l'Occident, mais peut-être pas à tous. Je ne dis pas que la vision eurocentrée n'est pas la bonne, mais elle n'est pas adaptée au monde entier. En Asie, on ne croit pas tant à la théorie qu'en l'expérience.
«En Chine, la banque sert l'économie réelle, et non l'inverse comme trop souvent en Occident»
Andrew Sheng
La dette chinoise qui inquiète beaucoup, le FMI notamment, est-ce un vrai problème? De court terme ou de long terme?
La dette chinoise est détenue par les Chinois et la Chine est un créancier net. En Chine, la dette provient beaucoup des banques publiques qui prêtent aux entreprises publiques. La main droite prête à la main gauche, ce n'est donc pas un grand problème. En outre, quand l'emprunt sert à construire des infrastructures, des routes, des voies ferrées, des réseaux de téléphone, tout le monde est gagnant. En Chine, la banque sert l'économie réelle, et non l'inverse comme trop souvent en Occident.
Vous insistez beaucoup sur les inégalités. Elles se creusent en Inde, en Chine. Sont-elles des bombes à retardement?
Je crois que les gens acceptent les inégalités lorsqu'elles viennent de la créativité, de la création d'entreprise. En revanche, quand elles sont creusées par la corruption, la prédation, ou la confiscation de la loi au service d'une élite, elles deviennent insupportables. Marie-Antoinette disait qu'il n'y avait qu'à distribuer de la brioche au peuple. Je crois qu'aujourd'hui, l'élite est toujours aveugle à la colère du peuple.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 28/04/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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L'élection turque motivée par une économie en surchauffe (27.04.2018)
Par Delphine Minoui
Mis à jour le 27/04/2018 à 18h48 | Publié le 27/04/2018 à 18h12
Erdogan, qui redoute un retournement de la croissance, a avancé d'un an et demi le scrutin présidentiel.
Et si le facteur économique était le principal déclencheur des élections anticipées? Il y a dix jours, le président turc Recep Tayyip Erdogan a créé la surprise en annonçant la tenue du scrutin présidentiel et législatif le 24 juin - soit près d'un an et demi avant la date initialement fixée. Ses détracteurs y voient une manœuvre politique visant à empêcher l'opposition de s'organiser.
De l'avis des observateurs, c'est l'économie qui a surtout motivé le gouvernement à passer à l'action. Une perception partagée par un grand nombre de Turcs: selon un sondage de l'Institut Mediar, 45 % des personnes interrogées voient dans la dégradation financière du pays la principale raison de leur convocation prématurée aux urnes. «Ce n'est pas une coïncidence si l'annonce a été faite quelques jours avant l'augmentation, mercredi 25 avril, des taux d'intérêt par la Banque centrale. Cette mesure, qui vise à juguler l'inflation, va affecter les foyers. De toute évidence, Erdogan a voulu agir au plus vite avant que l'économie, d'apparence robuste, ne s'effondre», observe Atilla Yesilada, spécialiste de la Turquie chez GlobalSource Partners à Istanbul.
«Les Turcs vont voter avec leurs portefeuilles, prévient-il. Et ce n'est pas un bon signe pour l'AKP»
Atilla Yesilada, spécialiste de la Turquie chez GlobalSource Partners
La croissance économique a longtemps fait le succès d'Erdogan et de son parti islamo-conservateur, l'AKP, au pouvoir depuis quinze ans. Lorsque l'AKP fait sa percée, en 2002, la Turquie est endettée et se trouve sous un plan de redressement du Fonds monétaire international. Depuis, elle a remboursé ses emprunts et s'est imposée comme la 17e puissance économique mondiale. Rattrapée par le conflit syrien et minée par une dérive autoritaire qui s'est accélérée après le putsch raté de juillet 2016, la Turquie d'aujourd'hui ne jouit néanmoins plus de la même stabilité qu'avant. Le tourisme a chuté. Les investisseurs étrangers sont plus frileux. Et les Turcs plus prudents. Il n'empêche: en 2017, le pays a pu se targuer d'être l'une des économies les plus dynamiques des pays du G20, avec 7 % de croissance. Un succès favorisé par la forte consommation des ménages et de l'investissement privé, tirés par des baisses d'impôts et une hausse du crédit. Le gouvernement s'est également lancé dans de vastes projets d'infrastructure: nouvelles autoroutes, nouveau pont, nouvel aéroport, qui doit ouvrir à la fin de l'année à Istanbul, nouveau canal qui doit être creusé parallèlement au Bosphore… Une frénésie qui dope le secteur du bâtiment mais demeure artificielle.
Chute de confiance
«Certains de ces projets semblent plus guidés par une volonté du gouvernement d'afficher son dynamisme que par les besoins réels du pays», souffle un analyste turc, qui préfère taire son nom. De plus, si les chiffres de croissance sont encourageants, ils n'ont pas permis de tempérer les inquiétudes concernant la santé sous-jacente de l'économie, marquée par une inflation à deux chiffres, un large déficit du compte courant et une devise affaiblie par des dettes d'entreprises privées. «À cela s'ajoutent d'autres signaux inquiétants, comme ces informations selon lesquelles deux grosses entreprises turques se sont lancées dans des restructurations financières», constate pour sa part l'économiste Atilla Yesilada.
«Certains de ces projets semblent plus guidés par une volonté du gouvernement d'afficher son dynamisme que par les besoins réels du pays»
Un analyste turc
D'après certains médias, le Groupe Dogus, qui détient notamment la banque Garanti et Yildiz Holding, propriétaire de la chocolaterie Godiva, aurait demandé une restructuration financière de plusieurs milliards de dollars.
Pour nombre d'experts, ces facteurs ne sont pourtant pas encore assez marqués pour mettre en danger Erdogan et sa formation politique. Atilla Yesilada en est moins certain. «Les Turcs vont voter avec leurs portefeuilles, prévient-il. Et ce n'est pas un bon signe pour l'AKP. Car la confiance des hommes d'affaires, nombreux à l'avoir longtemps soutenu, a chuté. Il y a aussi toutes ces entreprises qui font face à des retards de paiement. De manière générale, les gens sont inquiets.»

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Journaliste
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Des Chinois auraient été agressés au Printemps, ils crient au racisme et appellent au boycott (27.04.2018)
Par Antoine Garbay et AFP agencePublié le 27/04/2018 à 19h53
Un incident au grand magasin Printemps à Paris, où des clients chinois auraient, selon eux, été pris à partie, a enflammé le web chinois, poussant la marque de luxe Balenciaga à présenter des excuses.
Scandale pour la clientèle chinoise, qui estime être victime de racisme. Des médias officiels chinois se sont fait l'écho d'un incident survenu au magasin Printemps à Paris, rapporté sur la messagerie WeChat par un internaute se disant être un témoin de la scène. D'après ce compte rendu, repris sans réelle vérification par le quotidien étatique Global Times, une cliente chinoise qui faisait la queue mercredi au Printemps à l'entrée d'un espace Balenciaga s'est insurgée contre des personnes doublant la file d'attente, tandis que son fils venu à sa défense aurait été frappé à terre. Des clients chinois qui s'indignaient de la scène auraient alors été priés par un employé de la marque «de quitter les lieux», selon la même source. Des médias chinois diffusaient une copie d'écran du message WeChat original, des photos et une vidéo censées montrer l'incident. Images dont personne n'a pu vérifier l'authenticité...
Un manque de preuve qui n'empêche pas les Chinois de réagir au quart de tour. Le sujet figurait vendredi matin parmi les sujets les plus discutés sur le «Twitter chinois» Weibo, où il a suscité un déluge de commentaires furieux. Il n'a pas fallu attendre bien longtemps avant que des internautes dénoncent le «racisme» dont auraient été victimes les clients chinois, tandis que se propageait un mot-dièse (consulté 23 millions de fois vendredi) appelant au boycott de Balenciaga.
«Les chaussures de Balenciaga sont belles, mais un tel épisode ouvre les yeux. #Boycott de Balenciaga qui discrimine les Chinois», notait un internaute dans un microblog.
«Qu'est-ce qui vous donne ce sens de supériorité? Est-ce que les Chinois ne gagnent pas assez d'argent? Vous pouvez dire au revoir au marché chinois», fulminait un autre.
Une clientèle que les marques de luxe ne veulent pas perdre
Face à ces réactions aussi rapides que lapidaires, Balenciaga, marque du groupe de luxe Kering, ainsi que le Printemps ont présenté jeudi des excuses contrites, en mandarin et en anglais, sur leurs comptes officiels Weibo respectifs. «Balenciaga regrette l'incident qui a eu lieu (mercredi) dans un grand magasin parisien», «s'excuse sincèrement auprès des clients affectés et réaffirme son engagement de respecter chaque client de façon égale», a indiqué la marque de luxe. «Nous regrettons profondément l'altercation (...), qui est en stricte contradiction avec l'expérience que nous nous engageons à proposer à nos clients», renchérissait le Printemps, offrant ses «excuses aux clients chinois impliqués» et promettant des «formations supplémentaires» pour ses employés.
La clientèle chinoise, nombreuse et très dépensière, est cruciale pour l'industrie française du luxe, comme pour les grands magasins parisiens, très appréciés des touristes du géant asiatique.
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Machiavel est-il machiavélique ? (26.04.2018)

Par Paul-François Paoli
Mis à jour le 26/04/2018 à 13h57 | Publié le 26/04/2018 à 07h00
RÉCIT - Un ouvrage sur la philosophie politique du penseur italien tente de répondre à cette question.
Machiavel a tout à la fois très bonne et très mauvaise réputation. Très bonne parce qu'il est un penseur incontournable d'une science politique qu'il a contribué à fonder au XVIe siècle, très mauvaise parce qu'il aurait ouvert les vannes de l'immoralisme dans le domaine de l'idéologie.
Machiavélique, machiavélien: ces mots parlent d'eux-mêmes et il n'est sans doute pas un hasard que son œuvre ait servi d'alibi à Mussolini, qui s'en revendiquait ouvertement, ou à Staline, qui l'avait lue. Pour certains, la cause est entendue: si Machiavel a pu inspirer des chefs d'État totalitaires, c'est que sa pensée est profondément marquée du sceau de la perversité morale et intellectuelle.
Philosophe, auteur de plusieurs essais remarqués, Philippe Bénéton reprend cette antienne en l'étayant par une relecture de l'œuvre qui a ses mérites. On peut lire son essai un crayon à la main car il a pour principe de nous replonger dans de grands textes, ceux du Prince et des Discours sur la première décade de Tite Live, où Machiavel développe sa pensée dans le contexte agité des guerres d'Italie et des luttes de pouvoir à Florence.
Pour Philippe Bénéton, Machiavel est un génie de la rhétorique mais c'est aussi un héritier des sophistes, ces philosophes dont les discours sont autant d'artifices. Il lui reproche de légitimer la cruauté ou la violence en politique, rompant ainsi avec la tradition classique qui, aussi bien chez Aristote que chez Cicéron, fait du Bien commun la finalité de l'ordre social.
S'inspirant de la célèbre lecture du philosophe Léo Strauss, qui voit en Machiavel le créateur d'une philosophie politique moderne qui a renoncé à l'idée de Vertu, il lui fait grief d'avoir développé une anthropologie négative où l'homme apparaît sous un jour néfaste. Selon Machiavel, les hommes «sont mauvais sans savoir l'être jusqu'au bout… inconsistants, crédules, pusillanimes et malléables. La nature humaine n'est pas faite d'une étoffe bien solide. C'est pourquoi l'action politique est en mesure de lui donner forme», écrit Bénéton en songeant peut-être à Mussolini qui se référait à cet aspect de la pensée de Machiavel qui justifie la violence du Prince appelé à gouverner et donc à dominer.
Les mains sales

- Crédits photo : Cerf
On ne peut donner tout à fait tort à l'analyse de Bénéton, qui est évidemment loin d'être nouvelle. Mais en quoi résout-elle l'équation que nous pose, aujourd'hui encore, Machiavel? Ce dernier ne justifie pas le mal ou la cruauté en soi, il considère que la politique obéit à d'autres lois que la morale. Comme l'écrit Pierre Manent qui a, lui aussi, beaucoup commenté l'œuvre du Florentin: «Machiavel ne confond pas le Bien et le Mal. Il ne cherche pas à annuler cette distinction. Mais il s'efforce d'encourager les hommes à se préparer à faire le Mal, à “entrer au mal” comme il le dit, lorsque c'est nécessaire» (1).
Autrement dit, la politique consiste aussi à se salir les mains si les circonstances l'exigent. Si l'on est chrétien, à l'instar de Philippe Bénéton ou de Pierre Manent, cette perspective est inacceptable. Pourtant qu'ont fait d'autre à leur manière de Gaulle et Churchill dans des circonstances historiques qui, à leurs yeux, exigeaient d'enfreindre la morale commune? Churchill n'a-t-il pas tressé des lauriers à Staline sans lequel les alliés n'auraient pas pu vaincre Hitler? De Gaulle ne s'est-il pas dédit durant la guerre d'Algérie? Lui qui, en 1959, déclarait «moi vivant jamais le drapeau du FLN ne flottera sur Alger», n'a-t-il pas transgressé ses engagements pour des raisons qu'il estimait supérieures?
Toute la question est là: jusqu'à quel point certains hommes supérieurs ont-ils le droit d'enfreindre la morale dite ordinaire? Si Machiavel reste si actuel, c'est que l'équation qu'il a posée n'est pas aisément soluble. Ou comme le disait Péguy: «Le kantisme a les mains pures, mais il n'a pas de main.»
(1) «Les Métamorphoses de la cité. Essai sur la dynamique de l'Occident» (Flammarion).
«Niccolo Massimo: essai sur l'art d'écrire de Machiavel», de Philippe Bénéton, Cerf, 395 p., 24 €.

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