Évasion manquée de la princesse Latifa : l'affaire rebondit au Luxembourg
(25.04.2018)
Turquie: manifestation pour la liberté de la presse (26.04.2018)
Espagne: 5 hommes condamnés pour agressions sexuelles (26.04.2018)
Soudan du Sud: 10 travailleurs humanitaires portés disparus
Découverte de cinq charniers dans l'est de la RDC (26.04.2018)
Arabie saoudite: 48 exécutions depuis le début de l'année (26.04.2018)
Gunther
Jikeli : « L’antisémitisme parmi les musulmans se manifeste au-delà
des islamistes radicaux » (24.04.2018)
«Le plan banlieue, c'est déshabiller la France périphérique pour habiller
celle qui vit de l'autre côté du périph'» (27.04.2018)
Sonia Mabrouk, femme de combat contre l'horreur de l'islamisme
(27.04.2018)
Les bonnes feuilles du roman de Sonia Mabrouk sur les enfants français du
djihad (27.04.2018)
Sonia Mabrouk : «Les enfants du djihad, victimes innocentes ou
bombes à retardement ?» (22.08.2017)
Mabrouk, Slimani, Guirous, Bougrab : ces femmes contre les dérives
de l'islam (19.09.2017)
Les réfugiés palestiniens de Gaza rêvent toujours d'un «retour»
(27.04.2018)
Israël s'inquiète de la livraison de S-300 russes à la Syrie (26.04.2018)
Natacha Polony : «Veuillez cacher cet antisémitisme…» (27.04.2018)
Pourquoi les riches votent à gauche : Thomas Frank et le «progressisme de
limousine» (27.04.2018)
Jean Sévillia : «Aux heures sombres de la Révolution» (27.04.2018)
Éric Zemmour: «La leçon de la monarchie anglaise» (27.04.2018)
Emmanuel Macron : «L'Europe… ce vieux continent de petits-bourgeois»
(27.04.2018)
L'Islande voudrait interdire la circoncision (27.04.2018)
Interdiction de la circoncision : «Il ne faut pas faire d'amalgame
avec l'excision» (27.04.2018)
Andrew Sheng: «L'Occident n'a pas d'idées pour gérer les enjeux
essentiels» (27.04.2018)
L'élection turque motivée par une économie en surchauffe (27.04.2018)
Des Chinois auraient été agressés au Printemps, ils crient au racisme et
appellent au boycott (27.04.2018)
Machiavel est-il machiavélique ? (26.04.2018)
Évasion manquée de la princesse Latifa : l'affaire rebondit
au Luxembourg (25.04.2018)
Un Français, complice de la
tentative de fuite de son pays de la princesse Latifa, fille de l'émir de
Dubaï, a été arrêté. L'organisateur de l'expédition, Hervé Jaubert, contredit
la version de l'affaire fournie par les autorités émiraties.
L'évasion de la princesse Latifa
Al Maktoum n'a pas encore livré tous ses secrets. C'est encore - après
l'ex-agent secret Hervé Jaubert - un Français qui est mêlé à cette affaire
rocambolesque. Christian Elombo, âgé de 40 ans, est professeur de fitness et
d'art martiaux. Il a été arrêté à Oman au début du mois de mars à la demande
des Émirats arabes unis peu de temps après que sheikha Latifa s'est échappée.
Il est accusé d'avoir transporté la princesse hors des frontières des Émirats
afin de l'aider à s'enfuir. Mais Oman a choisi de rejeter la demande
d'extradition émanant de Dubaï et Christian Elombo a été libéré et autorisé à
rentrer chez lui. Le 5 avril, il a pu ainsi rejoindre le Luxembourg où il a
été, à nouveau, interpellé pour kidnapping via un mandat d'arrêt international
délivré par Interpol.
La justice luxembourgeoise a
précisé que les Émirats arabes unis disposaient d'un délai maximum de 45 jours
à compter de son arrestation pour déposer une demande d'extradition par voie
diplomatique. Dubaï devra fournir des preuves tangibles pour étayer sa requête.
Les documents devront être rédigés en allemand ou en français, avec une
description détaillée des faits. La chambre du conseil de la cour d'appel
donnera ensuite un avis motivé au ministre de la Justice luxembourgeoise, Félix
Braz. Ce dernier est le seul décideur de l'extradition.
Maltraitance
Christian Elombo se serait porté
au secours de la princesse Latifa pour mettre fin à ses souffrances et à sa
détresse morale. «Chris est un bon garçon, il est fier d'être français et de
servir son pays. Il ne regarde jamais le poids, l'âge, le handicap, la couleur
ou la nationalité et aime tout le monde, en regardant toujours ce qui est bon
chez les gens et en essayant de voir les bonnes choses dans chaque situation»,
a expliqué sa famille dans un communiqué diffusé par l'ONG Deteined in Dubaï qui soutient la princesse
émiratie.
Cheikha Latifa, une des filles de
l'émir de Dubaï, cheikh Mohammed ben Rashid Al-Maktoum, était apparue
dans une
vidéo sur YouTube en mars pour annoncer son «évasion» de son pays
où elle dit avoir été maltraitée par son père et les autorités locales. Elle se
plaignait d'avoir été séquestrée et d'avoir subi divers abus. Un document
tourné avant l'arraisonnement du yacht à bord duquel elle avait pris la fuite
en compagnie d'une amie finlandaise et de l'ex-agent secret français et homme
d'affaires Hervé Jaubert a été mis en ligne après l'échec de son échappée. Le
bateau avait été pris d'assaut le 4 mars au large des côtes indiennes par des
commandos armés.
La princesse «va bien»
Selon une source proche du
gouvernement de Dubaï, citée le 17 avril par l'AFP, le
sort de la princesse serait une «affaire privée» qui a été
«exploitée» par une «bande d'escrocs» et par le Qatar, grand rival des Émirats
dans le Golfe. La princesse a été «ramenée» auprès de sa famille et «va bien»
poursuivait cette source rompant le silence des autorités locales autour d'une
affaire qui embarrasse la famille de l'émir.
Une version évidemment contestée
par Hervé Jaubert, le maître d'œuvre de la tentative d'évasion. Selon lui, les
dernières déclarations anonymes du gouvernement emirati sont contraires à la
vérité. «La vidéo de la princesse Latifa reste une preuve de son évasion de
plein gré», affirme-t-il au Figaro. Il revient également sur le
sort réservé à Latifa. Pour lui, «la seule façon de vérifier si la princesse
est heureuse parmi les siens est de lui permettre de faire une déclaration
télévisée depuis un pays libre et sans contrainte». Il ajoute: «Je sais pour
connaître Latifa que si elle était libre elle communiquerait avec Tina (son
amie finlandaise, NDLR) et moi, or ce n'est pas le cas».
Turquie: manifestation pour la liberté de la presse
(26.04.2018)
Tout juste remis en liberté après
plus de 500 jours de détention, le patron du quotidien d'opposition turc Cumhuriyet,
dont plusieurs collaborateurs ont été condamnés à des peines de prison, a participé
aujourd'hui à Istanbul à une manifestation pour la liberté de la presse.
Dans un verdict rendu hier
soir 14 collaborateurs de Cumhuriyet (un
quotidien critique du président Recep Tayyip Erdogan) ont été
condamnés à des peines de prison allant de deux ans et demi et plus de huit ans
pour aide à des "organisations terroristes", sans être écroués dans
l'attente des procédures d'appel.
Le patron du journal, Akin Atalay
a été condamné à sept ans et demi de prison, mais remis en liberté sous
contrôle judiciaire en attendant l'issue de l'appel. Quelques heures après sa
sortie de prison dans la nuit de hier à aujourd'hui, M. Atalay a participé à
une manifestation pour la justice et la liberté de la presse à Istanbul.
"Je suis actuellement libre, mais ce n'est pas terminé", a-t-il dit à
l'AFP. "Nous serons de plus en plus nombreux.".
"Honte à la justice"
titrait Cumhuriyet en une aujourd'hui, affirmant que le
verdict à l'encontre de ses journalistes resterait comme une "tache
sombre" dans l'histoire. Akin Atalay est arrivé aujourd'hui dans les
locaux de Cumhuriyet sous haute protection. Une immense banderole avec sa
photographie et l'inscription "Tu n'es pas seul", y avait été
déployée. "Nous ne succomberons pas à la peur", a-t-il déclaré à ses
collègues qui l'ont accueilli en chantant.
"C'est difficile de faire du
journalisme en Turquie", a déploré l'un des journalistes du quotidien,
Mert Gumus, interrogé par l'AFP. "Nous travaillons sous pression et dans
des conditions difficiles. Mais lorsque nos collègues étaient derrière les
barreaux, nous devions être responsables et travailler encore plus pour combler
le vide".
LIRE AUSSI -
Espagne: 5 hommes condamnés pour agressions sexuelles
(26.04.2018)
La justice espagnole a condamné
jeudi pour "agressions sexuelles" cinq hommes qui étaient poursuivis
pour viol en réunion lors des fêtes de la San Fermin à Pampelune en 2016. Les
cinq hommes, dont un ancien policier et un ancien militaire, étaient accusés
d'avoir violé à tour de rôle une jeune Madrilène âgée de 18 ans à l'époque.
» LIRE AUSSI - Espagne:
agressions sexuelles aux fêtes de la San Fermin
L'accusation de viol en réunion
n'a pas été retenue par le tribunal qui a seulement jugé les cinq prévenus
coupables d'agression sexuelle, un crime moins grave selon le code pénal
espagnol. Les faits se sont déroulés lors des fêtes de San Fermin, en juillet
2016, qui réunissent chaque année plus d'un million de personnes pendant neuf
jours à Pampelune, dans le nord de l'Espagne.
Ils ont chacun écopé d'une peine
de neuf ans de prison et à verser une compensation financière de 50.000 euros à
la victime. Le parquet avait requis des peines de plus de 20 ans de prison pour
chacun d'entre eux. Des vidéos retrouvées dans les téléphones des accusés, des
tests ADN et des témoignages ont été utilisés comme preuves lors du procès.
Selon la défense, il s'agissait d'un rapport sexuel consenti en groupe.
» LIRE AUSSI - Viols
en Suède : un festival interdit aux hommes en 2018
En réaction au verdict de la
justice espagnole, des groupes féministes ont prévu des manifestations dans
plusieurs villes du pays, notamment devant le ministère de la Justice à Madrid.
"Si cinq personnes qui s'en prennent à une fille n'est pas une agression,
la question est de savoir ce qui ne va pas dans notre code pénal ?",
commente dans le quotidien El Pais l'ancienne secrétaire d'Etat à l'Egalité
Soledad Murillo. La police nationale a également affiché son soutien envers la
victime, écrivant sur Twitter "Non c'est non - nous sommes avec
vous".
Le Figaro.fr avec Reuters
Flash Actu
- Autriche:
perquisitions chez membres d'un groupe identitaire
- Equateur:
2 ministres démissionnent face aux violences à la frontière colombienne
- Espagne:
le fondateur d'El Pais en quitte la présidence après 42 ans
- NDDL:
des riverains de l'aéroport de Nantes bloquent un accès au périphérique
Soudan du Sud: 10 travailleurs humanitaires portés disparus
Par Le Figaro.fr avec Reuters
Mis à jour le 26/04/2018 à 15h51
Mis à jour le 26/04/2018 à 15h51
Dix
travailleurs humanitaires, tous sud-soudanais, sont portés disparus au Soudan
du Sud, a annoncé aujourd'hui Alain Noudehou, coordinateur des opérations
humanitaires des Nations unies dans ce pays. On est sans nouvelles d'eux depuis
hier matin, alors qu'ils se dirigeaient en convoi vers la ville de Tore, en
provenance de Yei, dans l'Etat d'Equatoria-Central.
"Nous
sommes très inquiets (...) et nous cherchons à avoir des renseignements sur le
sort de ces travailleurs humanitaires", a déclaré Alain Noudehou. Lam Paul
Gabriel, porte-parole adjoint du groupe rebelle SPLA-IO a dit avoir été
informé des disparitions et avoir ordonné une enquête. Deux d'entre
eux travaillent pour l'Unicef, une pour le bureau de coordination des
affaires humanitaires de l'Onu (OCHA), une pour l'Organisation de développement
du Soudan du Sud, deux pour le groupe ACROSS, trois pour Plan International et
une pour Action Africa Help.
Depuis 2013,
un conflit oppose au Soudan du Sud les partisans du président Salva Kiir à ceux
de son ancien vice-président Riek Machar. Les affrontements ont fait des
dizaines de milliers de morts, dont près de cent travailleurs
humanitaires. Cette semaine, le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR) a annoncé son retrait de la ville de Leer, où un de ses postes a essuyé
des tirs. Le personnel a été évacué vers Juba, la capitale.
Le
Figaro.fr avec Reuters
Découverte de cinq charniers dans l'est de la RDC
(26.04.2018)
Des membres du Haut Commissariat
de l'Onu pour les réfugiés (HCR) ont découvert cinq charniers humains dans la
province d'Ituri dans l'est de la République
démocratique du Congo (RDC) où des violences ethniques ont fait au
moins 263 morts, indique la mission de maintien de la paix, la Monuc.
Les affrontements qui opposent
depuis le mois de décembre des tribus pastorales Lendu et des éleveurs Hema
sont à l'origine d'une grave crise des réfugiés dans la région. Ces violences
ne sont pas cantonnées à l'est de la RDC, elles touchent également l'Ouganda,
le Rwanda et le Burundi, trois Etats voisins.
Elles se sont exacerbées depuis
que le président Joseph Kabila a refusé de quitter ses fonctions à la fin de
son mandat en décembre 2016. Les attaques, principalement menées par les Lendu,
ont contraint 60.000 personnes à se réfugier en Ouganda en traversant le lac
Albert et l'Onu s'attend à voir arriver 200.000 personnes supplémentaires par
cette voie cette année.
Les enquêteurs du HCR n'ont pas
donné de précisions sur les charniers qu'ils ont découverts mais ont indiqué
qu'environ 120 villages et localités avaient été pillées ou détruites entre la
fin décembre et la mi-mars.
» LIRE AUSSI : Renaud
Girard : «Kabila, un danger au cœur de l'Afrique»
Le Figaro.fr avec Reuters
Arabie saoudite: 48 exécutions depuis le début de l'année
(26.04.2018)
L'Arabie saoudite a exécuté 48
personnes lors des quatre premiers mois de l'année, la moitié pour des affaires
de drogue, a indiqué Human Rights Watch (HRW), exhortant le royaume à améliorer
son système judiciaire, "connu pour son iniquité".
"Beaucoup plus de gens
condamnés pour des affaires de drogue demeurent dans les couloirs de la mort
suite à des condamnations par le système judiciaire pénal", écrit l'ONG
basée à New York dans un rapport publié hier soir. Le royaume compte l'un
des taux d'exécutions les plus élevés au monde.
» LIRE AUSSI - Peine
de mort: le long chemin vers l'abolition
Il est régi par une version
rigoriste de la charia, la loi islamique, et applique la peine capitale dans
des affaires de terrorisme, de meurtre, de viol, de vol à main armée et de
trafic de drogue. Des experts des droits de l'Homme tire régulièrement la
sonnette d'alarme sur le manque d'équité des procès dans ce pays. Les autorités
invoquent elles la dissuasion pour justifier la peine de mort. "C'est déjà
terrible que l'Arabie saoudite exécute autant de gens, mais en plus nombre
d'entre eux n'ont pas commis de crimes violents", déplore Sarah Leah
Whitson, responsable Moyen-Orient et Afrique Nord à HRW.
En 2017, près de 150 personnes
ont été exécutées dans le royaume, qui a recours aux décapitations à l'aide
d'un sabre pour les mises à mort. Dans une interview ce mois avec Time
Magazine, le prince héritier Mohammed ben Salmane a suggéré que son pays
pourrait changer les peines de mort en prison à vie dans certains cas, à
l'exception des affaires d'homicide.
LIRE AUSSI :
Gunther Jikeli :
« L’antisémitisme parmi les musulmans se manifeste au-delà des islamistes
radicaux » (24.04.2018)
La haine des juifs n’est pas
propre aux musulmans, mais elle est particulièrement répandue chez les Français
de cette confession, explique l’universitaire Gunther Jikeli en s’appuyant sur
plusieurs études, dans une tribune au « Monde ».
LE MONDE | 24.04.2018 à
11h08 • Mis à jour le 24.04.2018 à 11h17 | Par Gunther
Jikeli (Professeur associé à l’université de l’Indiana (Indiana))
Abonnez vous à partir de
1 € Réagir Ajouter
Partager (639)Tweeter
Marche blanche pour l'octogénaire
juive Mireille Knoll assassinée dans son appartement parisien. À Paris,
mercredi 28 mars 2018 - 2018©Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le
Monde JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE
[Fin mars, Mireille Knoll, 85
ans, qui avait échappé à la rafle du Vél’d’Hiv, a été retrouvée assassinée dans
son appartement à Paris. Deux hommes ont été mis en examen pour « homicide
volontaire » à caractère antisémite et « vol aggravé ». Cette
affaire a relancé le débat sur le rôle de l’islam dans la propagation d’une
nouvelle haine des juifs. Le 22 avril, Le Parisien publiait une tribune
signée par plusieurs centaines de personnalités inquiètes de la montée d’un
« antisémitisme musulman », qui provoquerait « une épuration
ethnique à bas bruit » dans certains endroits d’Ile-de-France. Les auteurs
demandent que « soient frappés d’obsolescence par les autorités
théologiques » musulmanes « les versets du Coran appelant au meurtre
et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ». Le
manifeste, rédigé par Philippe Val, compte notamment parmi les signataires
Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve, Boualem Sansal, Antoine
Compagnon, Charles Aznavour et Gérard Depardieu.]
Tribune. Le malaise
grandit face à la montée de l’antisémitisme et notamment de l’antisémitisme
musulman. Le terme même d’antisémitisme musulman est contesté en dépit du fait
que depuis plusieurs années il existe des indications claires que la haine
antijuive est particulièrement répandue en France – et ailleurs – parmi les musulmans.
Cela ne signifie pas que tous les musulmans sont antisémites ou que les
incidents antisémites soient le fait des seuls musulmans, ce qui serait loin de
la vérité. L’antisémitisme reste répandu parmi l’important électorat du Front
national et dans l’extrême gauche « anti-impérialiste ». Il existe en
outre quelques complotistes tordus tels que Dieudonné qui ont construit leur
popularité en tant qu’antisémites professionnels.
Mais le fait que l’antisémitisme
soit particulièrement répandu parmi les musulmans n’en reste pas moins une
évidence écrasante. Ce fait est étayé par de nombreuses études, enquêtes et...
«Le plan banlieue, c'est déshabiller la France périphérique
pour habiller celle qui vit de l'autre côté du périph'» (27.04.2018)
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Guillaume
Bigot regrette que le plan Borloo, faute de diagnostiquer le problème culturel
et sécuritaire que posent les banlieues, ne consiste selon lui qu'à «aligner
des milliards». Au détriment de la France rurale, moins bruyante mais tout
aussi souffrante.
- Crédits photo : Denis ALLARD/REA/Denis
ALLARD/REA
Membre des Orwelliens, chroniqueur
sur France Libre TV et sur BFMbusiness, Guillaume Bigot est essayiste. Il a
notamment coécrit avec Stéphane Berthomet Le Jour où la France
Tremblera. Terrorisme islamique: les vrais risques pour l'Heaxgone (Ramsay,
2006).
Le plan Borloo a-t-il vraiment
tout faux?
Cet inventaire à la Prévert qui
reflète la bonne volonté, le volontarisme mais aussi l'imagination brouillonne
de son auteur est une énumération de contre-sens à la mode: aider les femmes
(alors que ce sont les jeunes adultes masculins qui échouent et versent parfois
dans la délinquance), investir dans le numérique (alors que les banlieues sont
bien reliées aux réseaux haut débit, contrairement au reste du territoire),
encourager les grands-frères (alors qu'ils sont soit impuissants, soit
complices d'une minorité agissante), encourager les banlieusards à aller vers
l'autre… D'abord le pays, dans toutes ses composantes, y compris nos
concitoyens qui habitent dans les fameux quartiers, ne supporte plus que l'on
opère des différences et que l'on exalte la diversité. L'époque n'est plus
à Touche pas à mon pote, elle serait plutôt à Touche pas à
mon peuple! Ce dont ont envie les habitants des cités, c'est de sentir
qu'ils font partie intégrante de la nation et non pas, une fois de plus, d'être
pointés du doigt, même si c'est pour reconnaître leurs difficultés. Il faut
mentionner aussi d'ailleurs ce gadget délirant mais hautement révélateur qu'est
cette «académie des leaders». Pourquoi créer une grande école réservée aux
banlieusards, alors qu'il faudrait aider les jeunes issus de tous les milieux
défavorisés à intégrer les grandes écoles de la République? N'est-ce pas le
meilleur moyen de tomber dans la stigmatisation que l'on dénonce par ailleurs?
Bref, ce n'est pas en versant 48
milliards de plus dans le tonneau des danaïdes des cités que l'on va résoudre
le malaise bien réel de ces territoires.
En fait, Borloo commence par
rappeler que Borloo a échoué mais qu'il serait scandaleux de ne pas continuer à
faire du Borloo.
Le plan d'urgence pour les banlieues
proposé par le maire de Valenciennes serait donc intégralement à jeter aux
orties?
De quel plan banlieue voulez-vous
parler? Du dernier, ou des innombrables qui se sont succédé depuis les années
80 et dont l'un d'eux portait déjà la signature de Jean-Louis Borloo? Pour
expliquer que cette politique dite de la ville a échoué, on souligne que des
dizaines de milliards ont déjà été dépensés depuis quarante ans. Erreur de
calcul. Si l'on fait l'addition des sommes déversés dans les diverses politiques
de rénovation urbaine ciblant les banlieues, on avoisine les cent milliards. Or
le rapport Borloo lui-même commence par dresser un bilan des plus sévères
concernant les effets de telles mesures: pauvreté, chômage de masse, échec
scolaire, insécurité et communautarisme. En fait, Borloo commence par rappeler
que Borloo a échoué mais qu'il serait scandaleux de ne pas continuer à faire du
Borloo: on rêve!
Alors que les politiques de tout
bord se piquent de vouloir contrôler l'efficacité des dépenses publiques, ces
aides pourtant si onéreuses à destination des quartiers sensibles, personne n'a
jusqu'ici songé à mesurer leur performance. Sans doute car l'inefficacité de
telles politiques se vérifie à l'œil nu.
Les plans d'aide aux banlieues
n'auraient donc eu aucun effet?
Il est toujours utile de
développer et d'entretenir les infrastructures publiques, de maintenir et de
moderniser les services publics et d'investir dans l'éducation par exemple mais
ce n'est pas cet effort louable qui cassera les ghettos. De plus, et c'est là
où le bât blesse avec le plan Borloo, ce n'est pas dans les banlieues que ces
investissements sont le plus indispensables.
De l'aveu même de l'ancien
ministre de la ville, 6 millions de Français sont visés, donc moins de 10 % de
la population. Il y a mille et une zones en France dans lesquelles l'exclusion
objective mais aussi l'assignation territoriale à résidence sont bien plus
fortes qu'en banlieue (mesurée par une moindre mobilité sociale, une plus forte
autocensure, un plus fort taux de chômage et une moins bonne couverture réseau,
numérique ou de transport). Ce sont ces zones qui forment le véritable angle
mort des politiques publiques. Or, elles ne pèsent pas 10 % mais 60 % de la
population! Le plan d'aide spécifique à la France périphérique que le
gouvernement projette d'actionner injectera un peu plus d'un milliard dans 222
centres-villes en voie de paupérisation. Un milliard pour 60 % des Français
contre dix milliards pour 10 %, la comparaison est cruelle.
Mais alors, qui veut-on aider
en injectant 48 milliards d'euros en 5 ans dans les quartiers sensibles?
D'abord les familles qui
bénéficient du regroupement familial (100 000 / an) et les clandestins (de 100
000 à 350 000 / an d'après le Ministère de l'Intérieur) qui remplacent les banlieusards
d'hier dans les cités-dortoirs. Bien sûr, il existe une fierté légitime à venir
de ces quartiers populaires, mais cessons d'être tartuffe: j'y ai moi-même
grandi et j'aime les cités mais je n'ai aucune envie d'y élever mes enfants.
Or, comme l'a impeccablement démontré le géographe Jean-Christophe Guilly dans
ses travaux, les banlieues ne sont pas des ghettos mais des sas, des points de
passage. Les émeutiers des années 80 ont plus de soixante ans aujourd'hui et la
majeure partie d'entre eux n'habite plus dans les «quartiers».
Les émeutiers des années 80
ont plus de soixante ans aujourd'hui et la majeure partie d'entre eux n'habite
plus dans les « quartiers ».
Le plan Borloo est d'abord une
aide aux primo-arrivants mais aussi, et c'est là le plus grave, cette aide est
envisagée parce que ma «cité va craquer» comme dirait l'autre. À l'insécurité
qui règne dans les zones dites sensibles et dont on ne rappellera jamais assez
qu'elle vise d'abord ses propres habitants, s'ajoutent épisodiquement des émeutes.
Tout cela fait désordre, alors on injecte quelques dizaines de milliards pour
éteindre l'incendie.
Si l'on vous suit, le plan
Borloo viendrait donc récompenser la délinquance qui sévit dans les quartiers
sensibles?
En tout cas, alors que ce
gouvernement est favorable une politique macro-économique restrictive, qu'il
n'y a plus d'argent pour la police ou pour les hôpitaux, que l'on ferme les
bureaux de poste et les lignes de train, on trouve 48 milliards pour les
banlieues, quelle justice sociale!
Ironie de l'histoire et de
l'étymologie, la banlieue est justement le lieu du ban, l'endroit où le
seigneur moyenâgeux rendait la justice. Mais les temps ont bien changé depuis
l'époque où Saint-Denis formait le barycentre symbolique et spirituel du
pouvoir français.
Le problème de la banlieue est
double et n'est pas d'abord économique ou social. Le plan Borloo passe
totalement à côté des racines du mal. Le premier problème, et de loin le plus
grave, est la criminalité qui gangrène ces territoires. Celle-ci est structurée
autour du trafic de drogue qui fait vivre, au-delà des dealers, les familles et
le voisinage, en soutenant l'économie locale. Ce business est certes entre les
mains d'une minorité de caïds mais il a pris une ampleur énorme. On n'en finira
pas avec le malaise des banlieues sans démanteler cette économie parallèle. Et
ceux qui espèrent que le périph' nous protégera de cette insécurité galopante
en seront pour leurs frais. Le second problème découle du premier, c'est la
mentalité sécessionniste qui sévit chez certains jeunes hommes (des jeunes
adultes mais aussi des adolescents et des enfants). Cette mentalité n'est, fort
heureusement, nullement partagée par la grande majorité des habitants des
banlieues qui subissent de plein fouet l'incivilité, l'insécurité au quotidien.
En quoi consiste cette
mentalité sécessionniste qui anime certains jeunes qui campent aux pieds des
barres d'immeuble?
Cette mentalité, je la connais
bien. C'est un cocktail très dangereux voire explosif composé de trois
ingrédients: un tiers de mentalité «Scarface», un tiers de revendication
islamiste (type Tariq Ramadan au mieux et Daech au pire) et un tiers de
ressentiment «indigéniste» pour reprendre le très paradoxal label dont les
militants du racisme anti-blanc se sont affublés. Le côté Scarface, no
limit et «tout, tout de suite» est la version gangstérisée de l'idéal
du capitaliste néo-soixante-huitard décomplexé: jouir sans entrave avec du
fric, des grosses cylindrées et des «putes». Et ceux qui se mettent en travers
de ma route, je les bute. . Enfin, au nom des crimes commis par la France
coloniale, les enfants et petits-enfants de l'empire détiendraient une créance
à faire valoir contre les descendants des esclavagistes et des colonisateurs.
La richesse de la métropole aurait été accumulée sur le dos des dominés. En
parlant d'apartheid, Borloo joue avec le feu car il accrédite cette thèse
mensongère et inique suivant laquelle les banlieues seraient peuplées de
victimes détestées et rejetées par le reste de la population. C'est pourtant
l'inverse que l'on observe au sein d'une minorité radicale qui ne veut pas
faire peuple avec les Français.
La rédaction vous
conseille :
- Tapie,
Valenciennes, banlieues... les mille vies de Jean-Louis Borloo
- Xavier
Lemoine: «Je ne juge pas un plan banlieues sur les milliards débloqués»
- Islamisation,
délinquance, trafics: ce qui se passe vraiment dans les banlieues
394 abonnés
Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
Ses derniers articles
- «Le
plan banlieue, c'est déshabiller la France périphérique pour habiller
celle qui vit de l'autre côté du périph'»
- Pourquoi
les riches votent à gauche : Thomas Frank et le «progressisme de
limousine»
- Thomas
Frank : « Je ne sais plus quoi penser de Donald Trump, idiot ou
génie absolu ? »
Sur le même sujet
Sonia Mabrouk, femme de combat contre l'horreur de
l'islamisme (27.04.2018)
PORTRAIT - La journaliste
franco-tunisienne publie un roman sur les enfants français du djihad. Une
fiction pour dire une réalité : l'horreur de l'islamisme que cette musulmane
affronte avec un courage qui force le respect.
En son cœur sommeille
l'inquiétude. En apparence, Sonia Mabrouk - port altier, sourire vif - ne
montre rien. A la radio, sa voix - empathique et discrètement autoritaire - ne
s'élève jamais. Rigoureuse, appréciée, elle va de succès en succès et pourrait
se contenter de l'air tiède de la mode. De propos convenables en postures
convenues, elle se hisserait au premier rang du consensus médiatique. Dire ce
qu'il faut dire, quand il faut le dire, et le reste viendrait par surcroît.
Pourtant, compliments, influence, audience et vernissages n'étanchent pas sa
soif. L'enfant de Tunis qui sautait sur les genoux de Bourguiba (son grand-père
Mongi Mabrouk était l'un de ses compagnons de route), qui courait chez sa
grand-mère au milieu des cris et des couleurs du quartier de La Goulette, a
grandi au cœur de la Tunisie moderne. Aux premières loges de la comédie
humaine, elle n'est dupe de rien mais continue de croire à ces choses étranges
que sont la politique et le journalisme. Le roman qu'elle publie est à
l'intersection des deux. L'enfant de djihadiste qui revient sur notre
territoire en est la figure centrale. On
appelle ça un «lionceau». Mais nous ne sommes pas dans Walt Disney. La
journaliste apaisante y dévoile une inquiétude obsédante: celle d'une guerre qui
se prolongerait interminablement sur notre territoire.
Sonia Mabrouk? C'est «Shéhérazade
au pays de Descartes», explique Charles Villeneuve, «grande voix» qui, avec la
bande des anciens d'Europe 1, partage chaque dimanche le plateau avec elle.
«L'Orient qui se plierait aux règles d'une école militaire», poursuit-il.
Rappelons aux esprits étourdis que Shéhérazade n'est pas une danseuse du ventre
mais une tête politique, un esprit ingénieux et redoutable. Dans sa généalogie
littéraire, Sonia Mabrouk place volontiers, entre Aragon et Kundera, Les
Mille et Une Nuits. Militaire? Tout en maîtrise, la journaliste montre,
c'est indéniable, une discipline de fer. Celle qui a enseigné pendant quatre
ans à l'IHEC de Carthage a une trajectoire spectaculaire. Elle commence dans le
journalisme à Jeune Afrique, où apparaissent très vite de grandes
dispositions pour le métier. Jean-Pierre Elkabbach la repère et trouve chez
elle toutes les qualités d'une grande: «Le sang-froid, la culture qui empêche
de sursauter au moindre événement comme s'il était sans précédent, l'art de la
préparation et de l'improvisation.» Elle entre à Public Sénat. Et l'éminent
interviewer de conclure: «C'est l'une des meilleures journalistes françaises.»
Europe 1 le dimanche, CNews tous les jours, la jeune femme arpente d'un pas
élégant et assuré les allées du pouvoir, qu'il soit médiatique, politique ou
culturel. Tout Paris la célèbre, son nom circule pour les «tranches» les plus
prestigieuses de la radio ou de la télévision. Ambitieuse, sans nul doute, compétente
certainement.
«Elle ne montre jamais son
pouvoir, ce qu'elle cherche, c'est une forme de pouvoir invisible»
Jean-Marie Rouart, académicien
Les grands entretiens qu'elle fit
des années durant sur Public Sénat et maintenant sur CNews en témoignent. Elle
y reçoit des politiques mais préfère la liberté de ton des philosophes,
intellectuels ou écrivains. Eux-mêmes en redemandent ; l'académicien
Jean-Marie Rouart: «C'est une extraordinaire intelligence, une
intelligence au laser. Elle vous interroge avec beaucoup de précision et
d'intensité, mais bien malin celui qui sait ce qu'elle pense. Elle ne montre
jamais son pouvoir, ce qu'elle cherche, c'est une forme de pouvoir
invisible.» L'essayiste
Malika Sorel: «Sonia Mabrouk ne transforme pas son plateau en ring de
boxe. Sans complaisance mais sans malveillance, elle laisse l'invité déployer
son point de vue, ce qui est de plus en plus rare à la télévision.» Le
sociologue Jean-Pierre Le Goff (volontiers critique sur les
facilités et les médiocrités de la télévision): «Elle est très courageuse. Elle
a une certaine idée de la France et de la République.» Le
philosophe Alain Finkielkraut, qui apprécie chez elle «sa résistance au
politiquement correct» et «le soin» avec lequel elle prépare ses émissions,
cherche le mot, hésite et finalement le trouve: elle est…
«craquante».«Craquante!» Et l'on entend encore Jean d'Ormesson s'enthousiasmer
pour cette journaliste «épatante»!
«L'islam de nos grands-parents
a perdu»
Discrète, pudique jusqu'à
l'opacité, Sonia Mabrouk fuit le people comme d'autres le peuple.
Franco-Tunisienne, musulmane, cette femme n'emprunte jamais le pont aux ânes
victimaire. Si elle n'a pas la culture du manifeste elle sait pourtant quand
l'actualité l'exige, hausser le ton. Ce peut être un tweet en pleine querelle
autour du burkini - «Derrière le burkini, il y a surtout l'idéologie wahhabite
et sa propagande» - qui lui vaut d'être traitée d'islamophobe. Une colère
froide à la télévision - à Marwan
Muhammad, directeur du CCIF, elle lance sur le plateau de Thierry
Ardisson: «Vous êtes une imposture! Vous ne représentez rien!» Une tribune
dans Le Figaro après l'épisode de Kasserine en
décembre 2016: «Des djihadistes avaient voulu prendre ce village de
l'arrière-pays tunisien et des femmes, voilées ou non, les ont repoussés aux
cris de “Vive la Tunisie” et “Terroristes dehors”.» Une sainte révolte qui lui
inspira son premier livre, Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion),
un dialogue avec sa grand-mère Delenda. Un ouvrage charmant et profond où deux
générations se répondent par-delà la Méditerranée. Une conversation qui
illustre aussi le
propos de Malek Chebel: «L'islam
de nos grands-parents a perdu.»
«Seule la fiction permet de
faire entendre les voix secrètes qui nous hantent»
Sonia Mabrouk
Chaque soir, quand s'éteignent
les écrans et les jingles des radios, la journaliste écrit ce que fut sa
journée. C'est un cérémonial. Ces derniers mois, jusqu'à une heure avancée de
la nuit, elle a plongé sa plume dans la plaie la plus vive de notre temps: ces
enfants de Français partis faire le djihad et qui ont grandi à l'ombre du
drapeau noir du califat. Une enquête de plusieurs mois qui l'a menée des services
sociaux aux services secrets, d'un prêtre spécialisé dans ces cas extrêmes aux
imams enfiévrés qui regardent ces enfants comme de futurs «martyrs», des cités
anonymes aux bureaux du pouvoir. Elle a vu les parents et grands-parents des
«lionceaux» mais les documents, les photos d'enfants avec kalach, les
certificats glaçants de l'Etat islamique n'épuisent pas un sujet qui concentre
de façon incandescente le malheur Français.
Comment trancher ce nœud où
s'entremêlent l'enfance, pays de l'innocence, l'islamisme, terreau barbare et
meurtrier, et la République française tour à tour considérée comme structure
protectrice ou adversaire à abattre? Comment dissimuler le malaise d'une nation
qui invoque ses principes pour mieux renforcer ceux qui veulent les détruire?
«Seule la fiction permet de faire entendre les voix secrètes qui nous hantent»,
explique-t-elle. Le dialogue intérieur d'une journaliste et celui d'une
revenante du djihad ne se documentent pas. C'est donc un roman que publie Sonia
Mabrouk.
Le corps-à-corps est aussi un
combat d'âmes
Pour un coup d'essai, c'est un
coup de maître. Certes, les critiques littéraires - c'est leur métier -
relèveront çà et là une naïveté d'expression, une facilité narrative, mais
l'ensemble est fort comme l'alcool que boit secrètement son héroïne, saisissant
comme le plus réaliste des tableaux. Jamais l'écrivain ne se dérobe. Elle
n'évite aucun des tabous contemporains: les germes de violence dans l'islam, la
volonté de conquête des djihadistes, le relativisme occidental, les églises qui
se vident et les mosquées qui sont pleines, l'aveuglement technocratique d'un
pouvoir dépassé. L'affrontement qu'elle décrit n'est pas seulement politique,
idéologique, policier. Face au malheur des temps, le corps-à-corps est aussi un
combat d'âmes. Evoquant la
figure d'Arnaud Beltrame, Sonia Mabrouk se demande si le choc des
civilisations n'est pas d'abord une lutte «spirituelle». Son roman s'élève à
cette altitude.
La rédaction vous
conseille :
- Sonia
Mabrouk: «Il m'arrive d'être traitée d'islamophobe»
- Sonia
Mabrouk: «Les enfants du djihad, victimes innocentes ou bombes à
retardement?»
- Sonia
Mabrouk: «Terrorisme islamiste: le paradoxe de la Tunisie»
- Mabrouk,
Slimani, Guirous, Bougrab: ces femmes contre les dérives de l'islam
Vincent Tremolet de Villers
Les bonnes feuilles du roman de Sonia Mabrouk sur les enfants
français du djihad (27.04.2018)
EXCLUSIF - L'héroïne,
journaliste, enquête sur les revenants de Daech. Elle rencontre Amra, une
convertie, mère d'un tout jeune fils. Leur confrontation est un précipité du
malaise français. Extraits.
Lena, en dialoguant avec Amra,
une revenante du djihad, prend la mesure du déni occidental sur le sujet.
Elle a constaté aussi combien
cette stratégie d'omerta avait gagné l'Occident, notamment la France où
certains intellectuels refusent de voir un lien entre religion et terrorisme
islamiste, et tendent, ainsi, un piège aux modernisateurs de cette religion
qu'elle aime en elle-même. Lena, du reste, en veut à l'«intelligentsia» qui se drape
de valeurs humanistes mais étouffe un débat à ses yeux salutaire. «Nos rues
sont parsemées de militaires tandis que nos esprits sont faibles»,
pense-t-elle, inquiète d'une sorte de désarmement moral et intellectuel. Elle
qui est allée sur le terrain a vu les ravages de l'intégrisme, les libertés
rognées puis volées aux peuples, et en particulier aux femmes, ne comprend pas
ni ne supporte la bien-pensance qui, sous couvert de légitime antiracisme,
gagne du terrain en imposant un prêt-à-penser mortifère.
Dans un dialogue intense où
chacune se dévoile, Amra, revenante de Syrie, fait sa profession de foi
islamiste.
Dites-moi en quoi vous croyez?
Hein? En quoi? Vous doutez de tout, même de vous. A l'inverse, l'islam est sûr
de lui. Vous allez voir qu'il va gagner et s'étendre partout. L'islam est
beaucoup plus sûr que votre christianisme, qui recule. Votre société est à bout
de souffle, le déclin à vos portes. Tout s'effondre. Votre civilisation pourrit
par la tête, comme le poisson. Et sera très vite remplacée. Vos églises sont
vides. Vides! On en arrivera à les récupérer pour les transformer en mosquées,
ces mosquées pas assez nombreuses pour nos pratiquants. Votre culture s'éteint,
votre spiritualité se disloque, vos traditions disparaissent petit à petit.
J'ai lu tout ça en prison. Je me suis beaucoup renseignée. Je sais que l'Islam
va grandir et conquérir de plus en plus de terres, de cœurs et d'esprits. Nous
ferons plein d'enfants qui porteront notre religion avec fierté, comme un
étendard. Et peut-être même, un jour, y aura-t-il en France un vrai et grand
parti politique pour nous défendre. Un parti musulman, pour nous. Vous finirez
d'ailleurs par vous convertir aussi… L'Occident chrétien sera absorbé, lui qui
est à vendre, puisque tout y est achetable. Vos idéaux, vos principes, vos
terres, vous les bradez. Ici, chacun ne pense qu'à lui, qu'à sa petite
personne. Chacun chez soi, chacun pour soi. La grande différence entre vous et
beaucoup de musulmans, c'est que, nous, nous sommes prêts à mourir pour nos
idées, pour Dieu. En soldats de la cause. Les vôtres se cachent derrière des
écrans, bombardent depuis des avions ultrasophistiqués et ne mettront jamais un
pied sur une terre ennemie car ils ont déjà peur. Peur de la défaite, de
l'enlisement, de l'humiliation. Dans cette guerre asymétrique, vous serez les
vaincus de l'Histoire, de la grande histoire. Je ne parle pas de ce qui se
passe en ce moment en Syrie ou en Irak, je parle du temps long… A la fin,
l'armée la plus puissante au monde ne pourra plus rien… Rien.
Dans un dialogue avec
Malafraie, l'homme qui lui a commandé son enquête sur le djihad, Lena expose le
dilemme provoqué par la question des enfants.
Quel âge a-t-il?
- Sept ans, je crois. On parle
d'environ quatre cent soixante mineurs français comme lui dans la jungle
syro-irakienne. Certains sont déjà revenus en France. A peu près une
cinquantaine. Pour ceux encore là-bas, le risque est grand de mourir dans un
attentat-suicide puisque, comme il ne reste plus rien du califat, les
djihadistes peuvent essayer de s'en servir. A mon avis, mieux vaut les savoir
là-bas que les avoir, ici, en France!
- Vous ne pouvez pas dire ça,
Malafraie! Ce sont des enfants. Les enfants n'ont pas choisi le combat de leurs
parents!
- Je vous arrête, Lena. Vous
faites fausse route. Il s'agit certes d'enfants, mais biberonnés au djihadisme
et à l'ultra-violence. Eux ont fait l'école de la mort, éduqués par des
islamistes qui ont instillé leur mode de pensée dans leurs esprits. Ces enfants
sont dressés pour tuer. Regardez cette photo, regardez ce regard froid. Ils ont
subi un lavage de cerveau. On sait qu'un grand nombre de ces gamins rêvent de
mourir en martyrs. Imaginez: comment pourrait-il en être autrement puisqu'on
leur promet des jouets au paradis ou d'y retrouver leurs parents décédés.
D'après différents experts, il existe même un contingent d'enfants soldats
prêts à poursuivre la lutte partout, alors que Daech a perdu sur le terrain.
Qui ont décapité un ours en peluche afin d'apprendre à décapiter un otage, un
ennemi, un mécréant, c'est-à-dire vous ou moi. Les services de renseignement
assurent qu'il s'agit, pour la plupart, de bombes à retardement ; des
enfants, bien sûr, mais potentiellement très dangereux!
- Des bombes à retardement? Vous
y allez fort. Ils le deviendront si on les laisse sur place et les abandonne à
leurs monstres! Vous vous rendez compte de ce que vous avancez? On ne peut pas
décréter qu'ils sont irrécupérables et d'avance baisser les bras. La guerre est
finie là-bas. Ces enfants doivent revenir chez eux, retourner à l'école. Et
chez eux, c'est ici, c'est la France. Il est de notre responsabilité et de la
responsabilité de l'Etat français de…
- Oh, oh! On n'a strictement
aucune responsabilité dans cette affaire, qu'est-ce que vous racontez! Vous me
décevez, Lena, on s'éloigne de notre sujet. Moi, je n'en ai rien à foutre de ce
gamin. […] Ces gamins, ils viennent pour tuer les nôtres, et vous croyez que je
vais m'apitoyer sur leur sort? On ne sait déjà pas comment déradicaliser un
adulte, alors un enfant… je vous raconte pas le bordel que ça donnera! Le
petit, là, le fils d'Amra, peu importe son âge, il est sûrement embrigadé. Prêt
à tuer. Regardez encore une fois cette photo, qu'est-ce que vous voyez, hein?
Dites-moi ce que vous voyez? Regardez-la bien, cette foutue photo!
- Un enfant! Je vois un enfant
déguisé en tueur avec une kalach beaucoup trop grande pour lui…
- Vous le faites exprès ou quoi?
C'est tout sauf un gamin normal. Si vous étiez otage, il aurait tranché votre
gorge…
Lena découvre une note blanche
des services de renseignement intitulée «La France au défi des lionceaux du
djihad».
«Ces enfants sont entraînés pour
tuer. Daech les a programmés militairement et idéologiquement pour être la
prochaine génération de terroristes en Europe et, plus singulièrement, en
France. Leur retour représente un danger imminent pour le pays. Si notre
politique pénale actuelle permet de judiciariser toute personne adulte revenant
du territoire irako-syrien, nous sommes démunis face aux enfants. Mis à part un
suivi psychologique et le placement en foyer ou en famille d'accueil, nous
n'avons pas les moyens de suivre et d'évaluer leur dangerosité. Défaite sur le
terrain militaire, l'organisation terroriste mise sur cette nouvelle génération
pour semer le chaos et la terreur dans l'avenir. Les djihadistes veulent mettre
en place leur propre projet Lebensborn - créé par les nazis pour avoir une
“race pure” - et se sont inscrits dans une démarche de long terme. Ils voient
sur cinq, voire dix ans. Dans un tel contexte, le retour des familles sur le
sol français n'est pas une option souhaitable. Les mères sont tout autant
engagées dans l'idéologie djihadiste que leurs maris. Leur neutralisation
pourrait s'imposer dans certains cas lors d'opérations homo *. Nous avons,
à ce sujet, un accord tacite avec les Irakiens. Quant aux enfants, leur
insertion dans la société posera d'immenses problèmes. Ils doivent donc être
traités dans le même cadre que leurs parents. Leur retour est déconseillé.»
L'enfant du djihad rappelle à
Lena l'enfant qu'elle était, une petite Française à l'éducation chrétienne.
A mesure qu'elle approche de
Zaïm, les photos de l'enfant, kalachnikov à la main, envahissent son cerveau.
Et si la barbarie, les actes de violence semblaient une routine normale pour ce
lionceau? Comment réagira-t-il, une fois seul avec elle? De quelle manière le
prendre en charge? A-t-il déjà participé à des combats ou, pire, des
exécutions? Quels genres? Décapitations? Tortures? L'apparente innocence qui
illumine son visage dissimule-t-elle un être sauvage, violent, irrécupérable?
Tourments des interrogations mâtinées de peur. Mais, malgré les doutes, une
conviction l'anime: la seule solution est de le sauver. Si on ne fait rien, ce
gamin - et d'autres - appartiendra à la prochaine génération de terroristes. Et
de se raccrocher à l'espoir que la vie, plus forte que les pulsions de mort,
saura apaiser le garçon, éradiquer le lavage de cerveau pratiqué sur son esprit
malléable car si jeune. Sa propre mère - pourquoi songer à elle maintenant? -
n'insistait-elle pas toujours sur les notions de pardon et de rédemption? «Ce
sont les fondements de notre foi chrétienne», répétait-elle quand elle était
enfant. Ajoutant: «La vie de Jésus a valeur de rédemption. Le fils de Dieu
s'est fait homme pour racheter les péchés du monde. A travers la Résurrection
du Christ, Dieu a fait triompher l'amour sur la haine.»
Les lionceaux sont-ils des
menaces ou des victimes? Nouveau dialogue, nouveau dilemme.
- Dans les camps pour lionceaux,
les islamistes ont identifié les enfants les plus réceptifs à leur
endoctrinement et les plus aguerris aux combats. A Raqqa ou à Suluk, les plus
résistants ont été initiés au maniement des armes. Ils ont eu, aussi, un
apprentissage militaire avec ceinture d'explosifs et grenades dans les poches.
Ces recrues sélectionnées sont appelées les élus de Daech. Un cercle restreint
de gamins ayant montré, prouvé, manifesté un tel degré de violence que les
djihadistes les considèrent - et en ont fait - leurs héritiers. Avec une
mission simple: prolonger le projet de djihad. Zaïm fait partie de ce cénacle.
Il est le continuateur de l'œuvre mortifère de l'organisation terroriste Etat
islamique en Syrie mais aussi à l'étranger, dont, notamment, la France.
Autrement dit, chez nous.
- Vous… vous ne pouvez pas en
être sûr. Ce n'est qu'un enfant de sept ans. Sept ans. Vous ignorez ce qu'il a
subi. Au camp d'Aïn Issa, il a vécu dans des conditions terribles. Terribles.
Que j'ai vues de mes yeux. Il n'a pas choisi cette vie, il n'est l'élu de rien du
tout!
- Je comprends que vous soyez
choquée. Il n'empêche que c'est la réalité, Lena. Cet enfant est peut-être une
victime pour vous, mais pour la collectivité, il représente une menace réelle.
Nous avons obtenu des témoignages concordants d'enfants yézidis se trouvant
dans le même camp que Zaïm. Et tous décrivent un petit garçon fortement
embrigadé. L'idéologie djihadiste lui a été enseignée très tôt afin qu'il
incarne la future génération de Daech et en reprenne un jour le flambeau. Les
terroristes ont institutionnalisé le recrutement de ces enfants. Et les ont
façonnés à leur main. Dans sa tête, le gamin a intégré la banalité de
l'atrocité. En apparence, c'est un petit comme les autres, sauf que tout a été
pensé pour que Zaïm oublie l'innocence de l'enfance et sa propre famille. Tout
a été pensé pour qu'il devienne une bombe à retardement chargée d'exploser un
jour, de préférence sur le sol européen, en tuant le maximum d'innocents!
- C'est impossible! Il ne peut
avoir tout oublié…
Lena prend la mesure de la
dimension du combat qui oppose l'Occident à l'islamisme. Il ne s'agit pas d'un
choc de civilisation mais d'un choc de spiritualité.
Dans son cœur sommeille la
vengeance, de Sonia Mabrouk (Plon, 288 p., 19 €) sera en
librairie le 3 mai. - Crédits photo : ,
En cet instant incandescent qui
lui fait toucher du doigt la puissance de l'héritage judéo-chrétien, où tout
est spiritualité et transcendance, elle retrouve le sens de sa civilisation.
[…] Tout n'est pas voué à l'échec. Les églises se vident, mais les croyances
restent, persistent, se transmettent à travers les siècles et les générations.
L'héritage français vacille sous les coups de boutoir mais il ne cède pas. Les
valeurs chrétiennes sont malmenées par certains, mais elles continuent
d'éclairer la majorité. Une permanence qu'elle ressent au plus profond de sa
chair, au tréfonds de son âme. Comme un chuchotis qui circule dans ses
oreilles, elle entend maintenant la voix de sa mère, tellement fière de sa
fille enfin détachée de son obstiné refus de toute transcendance. Peut-on
recevoir la grâce sans avoir complètement la foi? Lena ne cherche pas de
réponse. Elle sait juste ne plus être condamnée à errer. A ce moment précis,
elle se sent profondément française et chrétienne.
* Opérations homicides,
dans le vocabulaire militaire.
La rédaction vous
conseille :
- Sonia
Mabrouk: «Les enfants du djihad, victimes innocentes ou bombes à
retardement?»
- Les
témoignages glaçants des enfants soldats de l'État islamique
- Les
terrifiants récits des «lionceaux» de l'État islamique
- Que
faire des enfants soldats de Daech de retour en France?
Sonia Mabrouk : «Les enfants du djihad, victimes
innocentes ou bombes à retardement ?» (22.08.2017)
ENTRETIEN - La
journaliste enquête depuis des mois sur un phénomène tabou : les enfants
du djihad. Une plongée glaçante où se mêlent la barbarie de l'Etat islamique,
l'innocence des enfants et la naïveté de notre société. Son roman devrait
sortir au printemps. Elle dévoile le fruit de ses travaux au Figaro
Magazine.
Sonia Mabrouk. - Crédits
photo : Stéphan Gladieu pour le Figaro Magazine
Le jour, Sonia Mabrouk anime des
émissions de télévision (CNews) ou de radio (Europe 1) ; la nuit, à sa
table de travail, elle écrit son journal. C'est un rituel. Pas un soir sans
prise de notes. Après le succès de son premier essai Le monde ne tourne
pas rond, ma petite-fille (Flammarion), l'enfant de Tunis a choisi la
forme romanesque pour aborder une tragédie française, celle des«lionceaux»,
ces enfants partis en Syrie avec leurs parents et qui reviennent
semaine après semaine sur notre territoire. Un sujet terrible qu'elle aborde
sans crainte avec la volonté farouche de dévoiler les vérités même les plus
désagréables. Cette journaliste qui parle clair ne craint pas d'avancer par
vent contraire. Elle
a connu, de polémique autour du burkini en une de Charlie
Hebdo, les
menaces de l'islamosphère et les critiques de certaines féministes.
Esprit libre dans un univers de plus en plus standardisé, elle continue de
croire que la réalité, même la plus inquiétante, est le premier terrain du
journaliste.
FIGARO MAGAZINE. - Vous
préparez un roman sur les enfants du djihad…
Sonia MABROUK. - J'ai
choisi d'écrire un roman pour éviter de parler du haut de ce prétendu magistère
médiatique. La fiction permet beaucoup de choses. L'auteur se dégage pour
laisser la place à son propos, pour inciter à la réflexion sur l'Homme, sur la
violence qui marque parfois à jamais la mémoire de l'enfant. Le roman sur
lequel je travaille est un roman d'actualité, qui permet d'aborder une réalité
augmentée. A travers mes personnages, je peux aller très loin sur des
situations extrêmement dures où se mêlent des sentiments violents et
contraires. Les enfants du djihad sont un tabou, un impensé. Le simple fait de
l'évoquer provoque la gêne, la crainte ou la défiance. C'est pourtant une
réalité qui concerne toute la communauté nationale en France, mais aussi
d'autres pays, comme la Tunisie. Il
y a environ 460 Français mineurs qui sont nés ou ont vécu en Syrie.
Rien n'a été anticipé
pour les accueillir, les surveiller, les insérer dans la société.
Actuellement, il y a en France une cinquantaine d'enfants âgés de quelques mois
à quelques années, dont les parents sont majoritairement placés en détention ou
ont été tués dans la guerre contre Daech. Ces enfants sont français. Vous
imaginez les questions éthiques, politiques, judiciaires que leur retour
soulève. Le phénomène est inédit. Sans doute le point le plus sensible du
malaise identitaire que révèle l'engagement de jeunes Français contre leur
propre pays.
Que faire de ces enfants?
Trois possibilités se présentent.
La première: les familles d'accueil. Cette option est insatisfaisante car elle
peut mettre en danger toute la famille qui accueille l'enfant libéré des
griffes de Daech. La deuxième: un placement en foyer. Quelques cas pratiques
montrent que, très vite, l'enfant du djihad est perçu comme un caïd dominant
les autres. Troisième possibilité, plus rare: le restituer aux grands-parents.
Dans ce cas, il faut être sûr que cet environnement familial n'est pas en lien
avec l'islam radical. Le doute subsiste toujours. C'est d'ailleurs perçu comme
une injustice par les grands-parents, mais aux yeux des services de
renseignement, la famille élargie fait partie du problème.
Il n'y a donc pas de solution
satisfaisante. Pour mon enquête, j'ai rencontré des avocats, des familles, des
grands-parents, des membres de la lutte antiterroriste, des prêtres. Tous sont
préoccupés par l'enjeu considérable que représentent ceux que l'Etat islamique
appelle «les lionceaux».
Le terrible paradoxe dans lequel
ces enfants sont enfermés est le suivant: ce
sont des victimes (ils n'ont pas choisi le combat de leurs parents).
Malgré tout, ils représentent une menace puisqu'ils ont été biberonnés au
djihad et parfois à l'hyperviolence.
Par exemple?
J'ai rencontré, chez un avocat,
une grand-mère dont le fils est mort à Raqqa et dont la petite-fille vit encore
dans ce qu'il reste de territoire tenu par Daech.
«Si on ne fait rien, c'est une
bombe à retardement»
Elle m'a montré des photos de sa
petite-fille. C'est une enfant de 4 ans intégralement voilée, en burqa. Je
lui ai demandé si elle avait gardé le contact. Elle m'a répondu qu'elle l'avait
parfois au téléphone. L'enfant n'a qu'un seul mot à la bouche, soufflé par les
adultes: «djihad, djihad, djihad». Cette grand-mère se bat pour récupérer sa
petite-fille. Elle ne cache pas son inquiétude. Elle m'a confié: «Si on ne fait
rien, c'est une bombe à retardement.» Une partie de ces enfants a connu de près
la «mythologie du djihad», l'incitation au martyre les poursuivra sans doute
et, malheureusement, il y a des relais en France sur internet ou dans certains
groupes radicaux pour entretenir cette mythologie.
Les services secrets sont sur
les dents?
Ils font leur travail: ils sont
dans l'anticipation. Cela fait longtemps qu'ils ont alerté les pouvoirs
publics. Ils sont aussi dans une forme de schizophrénie, considérant ces
lionceaux comme des enfants, mais aussi comme une menace pour la communauté
nationale. Ils savent comment gérer un
«revenant» adulte. C'est une autre affaire avec un gamin qui n'a pas
choisi de naître au milieu de cette idéologie.
Faut-il déradicaliser?
La
déradicalisation est un leurre. Les centres que
l'on a ouverts et fermés en ont été la preuve. Le seul bénéfice a
concerné les «déradicalisateurs», qui ont profité de cette aubaine pour trouver
une raison sociale et parfois des revenus lucratifs. Mon inquiétude est qu'il
se passe la même chose avec les lionceaux, que l'on voie une génération
spontanée de spécialistes de l'enfance venir expliquer ce qu'il faut faire pour
les mêmes résultats que les centres de déradicalisation. Nous aurons le choix
entre les escrocs et les amateurs. Ces «sachants» ne sauront pas répondre à la
question centrale: les lionceaux doivent-ils être traités comme des enfants soldats
ou comme des enfants endoctrinés imbibés d'une idéologie mortifère?
Les services sociaux sont
désemparés…
Les services d'aide à la
protection de l'enfance ne peuvent pas tout gérer. Le président de la
République a récemment demandé un grand plan sur le sujet. Il y a une prise de
conscience. La partie sera rude. Un prêtre, qui s'occupe des enfants yézidis,
et qui a eu affaire à certains lionceaux, confie qu'une part d'entre eux sera
très difficilement réinsérable. Autre exemple éloquent: j'ai vu un père qui
souhaite récupérer ses enfants partis en Syrie avec leur mère. Il est
désespéré. Mais pour les services sociaux, ces parents font partie du problème.
Ils ne sont pas considérés comme victimes. Pourquoi ont-ils laissé leurs
enfants partir? se demandent nos forces de sécurité. C'est un nœud où se mêlent
l'islamisme radical, la force du clan, l'omerta, et beaucoup de souffrance.
Personne ne veut trancher.
Que nous révèle ce tabou?
Le déni dans lequel nous sommes
plongés sur cette question de l'islamisme radical et du terrorisme. On ne veut
pas voir une réalité criante. Notre société du pathos ne veut pas choquer parce
qu'il s'agit d'enfants, donc d'innocents, et préfère noyer le poisson. Il faut
ouvrir les yeux sur ce terrible défi. La vraie interrogation se résume en une
formule: «Djihadiste un jour, djihadiste toujours?» Est-ce vrai ou faux? La
question se pose malheureusement pour ces enfants qui ont toute une vie devant
eux.
«Je veux de la poudre et des
balles»
Soixante ou soixante-dix ans. Ils
ne sont même pas comme les enfants du IIIe Reich en 1945, puisque ces
derniers grandissaient sans possibilité de renaissance du nazisme. Le régime
était mort et enterré. Le terrorisme islamique, lui, ne cesse de muter, et il y
a en France des quartiers, des groupes radicaux, où ce combat est considéré
comme glorieux. Même si leurs parents ont pris part à une lutte criminelle et
barbare, ils peuvent vivre hantés par la revanche. Souvenez-vous du poème de
Victor Hugo sur l'enfant grec après le passage de Turcs qui ont tout détruit.
«Que veux-tu? fleur, beau fruit, ou l'oiseau merveilleux?» lui demande-t-on. Et
l'enfant de répondre: «Je veux de la poudre et des balles.» Comment ne pas
envisager ce désir de vengeance? La question est légitime. Malgré tout, on ne
peut pas les condamner à vie parce qu'ils sont nés ou ont grandi en Syrie!
La société a-t-elle commis une
faute pour en arriver là?
L'explication sociale ne tient
pas la route. Les parents de ces enfants ne vivent pas tous, comme on veut bien
nous le faire croire, dans la pauvreté et l'exclusion. Il faut définitivement
sortir de cette culture de l'excuse si l'on veut affronter avec justesse cette
situation extraordinairement sensible. Regarder la réalité en face, même
terrible, même tragique.
Il y a six mois, vous avez
publié Le monde ne tourne pas rond, ma petite-fille qui a rencontré un grand
succès. Depuis, les livres de femmes confrontées à l'islam se multiplient.
Comment expliquer ce phénomène?
Au départ, je devais écrire un
essai évoquant les sujets qui traversent le livre: la condition des femmes en
terre d'Islam, le regard croisé des deux rives de la Méditerranée, la menace
terroriste. J'ai choisi une autre forme: celle du dialogue avec ma grand-mère.
J'ai réalisé qu'elle avait sans doute plus de choses à dire qu'une journaliste
qui s'essaierait à aborder des questions aussi graves. L'accueil qu'a reçu mon
livre a confirmé cette intuition: nous croyons exercer une forme de magistère,
mais sur les thèmes qui hantent l'inconscient collectif, notre premier devoir
n'est pas de prendre la parole, mais de la donner à ceux qui parleront en
vérité, sans les précautions oratoires et les tics médiatiques propres à notre
profession.
Nous ne sommes pas des
clercs : quelle est notre légitimité pour leur prêcher le bien et le mal ?
Si ce livre a eu un impact, c'est
par la parole de ma grand-mère qui, en Tunisie, ou tout au moins dans son
quartier, est devenue un personnage. C'est l'une de mes grandes fiertés. Sa
parole a plus de force que la mienne. En ce sens, l'ouvrage
de Leïla Slimani (Sexe
et mensonges. La vie sexuelle au Maroc , Les
Arènes) est un modèle parce qu'il ne se contente pas d'accumuler
les considérations de l'auteur, mais il fait parler celles qui sont concernées
au premier chef par la question de la sexualité au Maroc. L'expression d'une
expérience vécue, d'une perception réelle donne une force inégalable au texte.
En ce qui concerne mon livre, ma grand-mère en est vraiment la figure centrale.
Dans Le Premier Homme, Albert Camus veut donner la parole aux
«siens». Très modestement, à ma toute petite mesure, j'ai voulu faire de même.
Ma grand-mère ne donne pas de leçons, elle expose ce qu'elle voit, et c'est
cette simplicité d'évocation et de propos qui a rencontré un très fort écho.
Les lecteurs sont las qu'on leur fasse la leçon. Nous ne sommes pas des clercs:
quelle est notre légitimité pour leur prêcher le bien et le mal?
La parole des journalistes est
dévitalisée?
Elle est malheureusement trop
souvent standardisée. Nous avons le réflexe de nous engager dans tel ou tel
combat, mais notre rôle est plus profond, il nous rend responsables des sujets
que nous avons choisi d'aborder.
Le monde tourne pas rond,ma
petite-fille,de Sonia Mabrouk, Flammarion, 200 p., 19 €. - Crédits photo :
,
Il faut décrire ce que l'on voit,
ce que l'on découvre, mais il nous faut aussi être les porte-voix de ceux que
l'on n'entend pas, ceux qui n'ont ni micro ni tribune. Le prisme médiatique est
souvent réducteur. C'est ce qui explique la défiance importante de l'opinion
publique vis-à-vis des médias.
Les femmes sont en première
ligne face à l'islam radical?
Ce
sont des femmes, en effet, qui abordent ces sujets sensibles parce que nous
sommes les premières à les ressentir dans notre chair. Si nos parcours
peuvent nous éloigner de ces problèmes, nous les avons vécus et nous
connaissons celles qui les vivent encore. Nous avons une lourde responsabilité
et nous rencontrons plus souvent des détracteurs que des soutiens. De nombreux
mouvements soi-disant féministes restent indifférents à ces combats. Certains
se sont même montrés hostiles au nom de l'intersectionnalité, l'idée que toutes
les victimes doivent se rejoindre. Nos combats ne correspondent pas à leur
grille de lecture du monde, où l'Occident est coupable et l'immigré, forcément
victime. Mais disons que c'est mieux ainsi. Elles poursuivent leur combat, nous
menons le nôtre.
La rédaction vous
conseille :
- Les
récits effroyables des esclaves de l'État islamique
- L'immigration
et l'islam crispent de plus en plus les Français
- Céline
Pina: «La leçon de liberté des Algériennes en bikini»
Vincent Tremolet de Villers
- Daniel
Leconte : «Entre nos héros et les leurs, il faut choisir»
- À
Lunel, une poche de radicalisation persistante
- L'imam
Bassam Ayachi, figure de l'islamisme belge, écroué en France
- Terrorisme
: la compagne de Radouane Lakdim mise en examen
Thématique : Djihad
Vox Societe
- L'écriture,
la mort, les médias, la politique : les confidences du philosophe Michel
Onfray
- Natacha
Polony : «Veuillez cacher cet antisémitisme…»
- Éditorial
: «L'essentiel pour les banlieues»
- Faut-il
avoir peur du transhumanisme ?
Mabrouk, Slimani, Guirous, Bougrab : ces femmes contre
les dérives de l'islam (19.09.2017)
ENQUÊTE - Elles sont jeunes,
musulmanes. Françaises, nées en France ou pas. Et elles ont décidé, chacune à
sa façon, d'écrire afin de dénoncer les dérives de l'islam. Plus qu'un
phénomène éditorial, un engagement qui leur vaut pour certaines d'être
insultées, menacées, poursuivies en justice, voire traitées d'islamophobes.
Il
y a Leïla Slimani qui vient, après son prix Goncourt, de publier un livreSexe
et Mensonges . La
vie sexuelle au Maroc (Les Arènes) ainsi qu'une BD sur la difficulté d'être
femme au Maroc, manière détournée de remettre en cause, à travers le
patriarcat, le poids de la religion dans la société marocaine. Il y a Jeannette
Bougrab, combattante de la laïcité, qui vient d'écrire, depuis la
Finlande, Lettre d'exil. La barbarie et nous (Les
éditions du Cerf). Il y a aussi Lydia Guirous qui s'apprête à publier «Ça n'a
rien à voir avec l'islam?» Face à l'islamisme, réveillons-nous, réveillez-vous!
(Plon), parce qu'elle ne supportait plus d'entendre, attentat après attentat et
alors que les revendications communautaristes gagnent du terrain, que «cela n'a
rien à voir avec l'islam». Il y a aussi la journaliste Sonia Mabrouk qui a
publié, avant l'été, un livre de conversation avec sa grand-mère tunisienne:Le
monde ne tourne pas rond, ma petite-fille (Flammarion,
mars 2017), où elle évoque pêle-mêle l'école, la culture et le déclin de
l'islam sécularisé.
Ce sont des jeunes femmes
françaises originaires d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Des femmes
musulmanes, en pointe dans la lutte contre l'islam radical.
Leur point commun? Ce sont des
jeunes femmes françaises originaires d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc. Des
femmes musulmanes, en pointe dans la lutte contre l'islam radical. Chacune à sa
manière: frontale ou plus douce. Mais désireuses de perpétuer l'islam de leurs
grands-parents et de leurs parents. Des jeunes femmes courageuses en tout cas.
Qui reçoivent des menaces, se font insulter, traiter d'islamophobes ou se font
traîner en justice par des mouvements comme Les Indigènes
de la République
Lâcheté et la complicité
Avant elles, d'autres, des
pionnières, ont mis en garde. En France et à l'étranger. Taslima Nasreen bien
sûr, «la Salman Rushdie bangladaise». Chahdortt
Djavann, auteur, en 2003, de Bas
les voiles! D'autres encore, plus ou moins connues. Un filon
éditorial porteur? Bien plus que cela. On ne peut pas, en effet, reprocher à
ces femmes d'épouser cette cause par opportunisme. Jeannette Bougrab, qui a
décidé de vivre en Finlande, après l'attentat de Charlie Hebdo et la
mort de celui qu'elle aimait (le dessinateur Charb) en janvier 2015,
dénonce depuis des années la montée du radicalisme musulman. Après Ma
République se meurt et Maudites, cette fille de harkis,
ancienne ministre et ancienne présidente de la Halde, a décidé de reprendre la
plume. Parce qu'elle est en colère. Indignée par ce que Michel Houellebecq
décrivait dans son livre Soumission et qu'elle voit déjà à
l'œuvre: la lâcheté et la complicité face aux islamistes. Dans son dernier
livre qui vient de paraître, elle entend parler comme «une Française, arabe et
musulmane, excédée d'entendre autour d'elle que sa culture est pure tolérance,
alors que la violence y est omniprésente» et qu'elle en vient «à nier les
femmes et à instrumentaliser les enfants.»
«Je suis docteur en droit,
maître de conférences, j'ai été ministre, j'ai 44 ans, mais une partie de
ma famille me considère comme une traînée. Je peux recevoir des coups»
Jeannette Bougrab
Elle s'exprime aussi comme une
fille marquée par le souvenir de sa mère, interdite d'école et mariée de force
alors qu'elle était enfant, et qui lui a assuré avant de mourir que son combat
était juste. Elle n'en croit pas ses yeux quand elle voit que pendant qu'en
Arabie saoudite ou en Iran certains risquent leur vie pour imposer la laïcité
et combattre le port du voile, en France, on ne prend pas la mesure du danger:
«Certains manifestent pour avoir le burkini, Sciences Po a organisé une journée
du hidjab tandis que Kamel Daoud - qui est, selon moi, comme Boualem Sansal, un
nouveau Voltaire - se fait attaquer par des tribunes dans Le Monde!»
De passage à Paris, l'ancienne ministre ne cache pas son inquiétude face à
cette internationale djihadiste qui s'étend. Elle martèle son credo: «Le seul
moyen de s'en sortir, c'est d'aller au bout de la sécularisation.»
Convaincue que les femmes ont un
rôle à jouer, Jeannette Bougrab estime cependant qu'il faut aussi convaincre
les hommes, «les éduquer, les mobiliser». Un objectif parfois difficile à
atteindre. Elle le sait, elle dont une partie de sa famille ne lui parle plus,
elle qui a connu la violence. «Je suis docteur en droit, maître de conférences,
j'ai été ministre, j'ai 44 ans, mais une partie de ma famille me considère
comme une traînée. Je peux recevoir des coups.» Dans ce contexte, avoue-t-elle
dans un souffle, «donner du sens à ma vie, c'est aussi une manière de me sauver
moi-même.»
Le rejet du modèle occidental
Lydia Guirous, éphémère
porte-parole des Républicains, ne mâche pas non plus ses mots. Née en Algérie,
marquée par le souvenir de ses cousines qui allaient à l'université «la peur au
ventre» et par l'assassinat, en 1997, de cette jeune étudiante, Amel Zenoun,
égorgée dans un bus parce qu'elle fréquentait l'université, elle souligne avec
inquiétude que, désormais, la radicalisation touche en France les générations
les plus jeunes: des petites filles voilées et élevées dans le rejet du modèle
occidental. Relevant l'infiltration grandissante des islamistes dans les partis
politiques, les syndicats, les médias, les centres de loisirs et même
l'Éducation nationale, elle s'avoue guère optimiste en évoquant ces quartiers
«où Noël ne se fête plus - on ne prononce même plus le nom, on dit Léon - et où
une petite fille peut se faire attaquer verbalement parce que sa mère n'est pas
voilée. On tergiverse toujours. On est toujours dans les accommodements. Or
l'intransigeance doit être du côté de la République. C'est aux musulmans de
s'adapter et non pas à la société française», assure-t-elle. Avouant ne «plus
reconnaître la religion de ses parents», elle appelle au sursaut, exhorte la
République française à «ne pas céder aux pleureuses communautaristes qui
veulent la dénaturer».
«Les femmes musulmanes éprises
de liberté, laïques et républicaines ont le devoir d'enclencher un mouvement de
libération de la parole et de résistance civile
Jeannette Bougrab
Ayant reçu des menaces de mort,
victime de harcèlement sur les réseaux sociaux, la jeune femme pense que c'est
aux musulmans et aux responsables religieux de prendre les choses en main. Mais
la révolution, selon elle, viendra avant tout des femmes: «Elles sont plus
pragmatiques et sentent l'urgence car elles sont en première ligne. Ce sont
elles qui sont condamnées à l'enfermement au nom d'une sacro-sainte
pudeur ; ce sont elles qui sont les premières «victimes des
obscurantistes.» Et d'ajouter: «C'est une vraie forme de guerre qui va se faire
sur le long terme. Les femmes musulmanes éprises de liberté, laïques et
républicaines ont le devoir d'enclencher un mouvement de libération de la
parole et de résistance civile, mais la présence de tous est nécessaire, tant
l'islamisme est un danger, qui plane sur le monde entier, pour tous les
enfants, toutes les femmes et tous les démocrates.»
La journaliste Sonia Mabrouk, dont
le livre paru il y a quelques mois évoque notamment l'évolution de la condition
des femmes en Tunisie à travers un dialogue avec sa grand-mère musulmane, fait
partie, elle aussi, de ces vigies qui entendent empêcher l'islam radical de
l'emporter. Admirative du travail de Leïla Slimani - qu'elle a connue du temps
où elles étaient toutes deux journalistes à Jeune Afrique -, elle apprécie que
l'auteur du Goncourt ait choisi dans son dernier livre de «donner
la parole à d'autres femmes». «Je pense que si on profite de son
soi-disant magistère pour dire ce que l'on pense, on est moins entendu.» En
clair, pour que les mises en garde de ces femmes écrivains soient efficaces, il
faut aussi se poser la question de la portée du message qu'elles véhiculent.
Des femmes éduquées et perçues comme privilégiées sont-elles les meilleurs
vecteurs pour convaincre ou mettre en garde les femmes issues de milieux
populaires qui sont les premières victimes de l'islam radical? C'est pour cela
que cette journaliste, qui se dit croyante et vit parfaitement sa religion dans
le cadre des lois de la République, a choisi le biais de la fiction pour son
prochain livre: «Pour ne pas être dans l'opposition frontale qui peut être contre-productive.»
«J'ai évolué, je reviens souvent en Tunisie et je ne veux pas que la distance
se creuse. Le risque, c'est qu'en prenant des positions pavloviennes, notre
voix ne porte plus. C'est comme un tableau, si à un moment vous ne jetez que du
noir sur la toile, cela ne va plus. Il faut mettre des nuances. On ne peut pas
uniquement être dans la colère. Sinon, cela devient un fonds de commerce, un
piège. On y est un peu.»
«C'est important, il faut
réfléchir au-delà de la dénonciation. Et avec des hommes»
Sonia Mabrouk
Selon elle, s'en prendre en bloc
au monde musulman peut être contre-productif: «On tombe dans une forme de
surenchère, dans une parole crue qui n'atteint pas forcément son but.» Pour
autant, la journaliste, qui estime avoir une responsabilité, n'entend nullement
arrêter le combat légué notamment par sa grand-mère. «C'est important, il faut
réfléchir au-delà de la dénonciation. Et avec des hommes», dit-elle, en
rappelant qu'en Tunisie les grandes avancées concernant le droit des femmes ont
été faites par un homme, Bourguiba. «Le courage aujourd'hui, c'est la nuance.»
C'est visiblement le choix qu'a
fait Leïla Slimani. Lors de la publication de son premier roman, Dans
le jardin de l'ogre(Gallimard), certains s'étaient étonnés qu'une Marocaine
puisse écrire un livre aussi «libre et sexuel» qui racontait l'histoire d'une
femme souffrant d'addiction au sexe. C'est à cette occasion, qu'en marge d'une
tournée au Maroc, elle a rencontré beaucoup de jeunes femmes ayant soif
d'échanger sur le sujet. Elle a voulu livrer cette parole brute dans son
dernier livre. «En me racontant leur vie, en acceptant de briser des tabous,
toutes ces femmes m'ont en tout cas signifié une chose: leur vie a de
l'importance. Elles comptent et doivent compter. À travers leurs confidences,
elles ont voulu sortir, pour quelques heures au moins, de leur isolement et
inviter les autres femmes à prendre conscience du fait qu'elles ne sont pas
seules. C'est en cela que cette parole est politique, engagée, émancipatrice.»
Une manière pour l'auteur de Chanson doucede «retrouver le moyen de
peser sur une culture qui est l'otage des religieux et du patriarcat.»
La rédaction vous
conseille :
- Michel
Maffesoli: «La fin d'un monde n'est pas la fin du monde»
- Zineb
El Rhazoui: pourquoi l'islamisme est un totalitarisme
- Jeannette
Bougrab, la dérangeante
Les réfugiés palestiniens de Gaza rêvent toujours d'un
«retour» (27.04.2018)
REPORTAGE - Ils se mobilisent
depuis le 30 mars pour réclamer le droit de retourner sur leurs terres
qu'ils ont fuies voilà soixante-dix ans. Leur «retour», plaide la grande
majorité des Israéliens, mettrait aussitôt fin au caractère juif du pays.
Envoyé spécial à Gaza
La «grande marche du retour», il
en a à peine entendu parler. À 90 ans, Mohammed al-Touman n'a plus guère
la force de quitter sa petite chambre plongée dans la pénombre. Vêtu d'une
galabieh noire, la tête enveloppée dans un châle et le visage mangé par sa
barbe blanche, le vieux réfugié attend la fin entouré de sa nombreuse famille.
D'une main tremblante, il énumère: neuf enfants, une quarantaine de petits-enfants,
et puis cette nouvelle génération dont il a fini par perdre le compte. Tous
sont nés dans la bande de Gaza et la plupart n'en sont jamais sortis. Mais
chacun, assure-t-il, sait que le berceau du clan al-Touman se trouve ailleurs.
«Jamais je n'aurais imaginé
passer ici le reste de ma vie. À l'époque, chacun était convaincu que les Juifs
seraient vaincus en quelques jours tout au plus…»
Mohammed al-Touman, 90 ans
Un jour d'octobre 1948,
alors que la rumeur annonçait l'avancée imminente des troupes israéliennes,
Mohammed et une dizaine de ses proches quittèrent leur village d'Isdoud pour se
réfugier quelques dizaines de kilomètres plus au sud. Une fois arrivés à Khan
Younès, une localité de la bande côtière, ils furent installés dans des tentes aménagées
à la hâte pour les réfugiés de cette première guerre israélo-arabe.
Contrairement à tant d'autres familles qui conservent jusqu'à ce jour la clé de
leur maison abandonnée, eux sont partis les mains vides. «Jamais je n'aurais
imaginé passer ici le reste de ma vie, dit-il en promenant un regard désolé sur
les murs peints à la chaux et le toit en tôle de sa modeste demeure. À
l'époque, chacun était convaincu que les Juifs seraient vaincus en quelques
jours tout au plus…»
Le sort des réfugiés palestiniens,
relégué au second plan par la signature des accords d'Oslo (1993), est depuis
le 30 mars au cœur de larges
rassemblements dans la bande de Gaza. Massés le long de la frontière
avec Israël, des milliers de manifestants invoquent chaque vendredi leur «droit
au retour». Ils se disent prêts à franchir la clôture pour «regagner (leurs)
terres», le 15 mai, à l'occasion des commémorations de la «Nakba» (la
«catastrophe» jadis vécue par les Palestiniens). L'État hébreu, jugeant sa
souveraineté menacée et invoquant l'attitude menaçante de certains
manifestants, n'a pas hésité à ouvrir le feu. Une quarantaine de Palestiniens ont
déjà été tués et plus de 1.700 ont été blessés par balles.
Ils sont plus de 5 millions
Les participants rappellent que
la résolution 194, adoptée le 11 décembre 1948 par le Conseil de sécurité de
l'ONU, prévoyait le «retour» des 700.000 réfugiés qui avaient pris la
fuite ou furent chassés de leurs villages quelques semaines plus tôt. Mais les
dirigeants israéliens ont toujours jugé ce texte inacceptable. Leur statut se
transmettant de génération en génération, les Nations unies recensent
aujourd'hui plus de 5 millions de réfugiés palestiniens établis à Gaza, en
Cisjordanie, et dans les pays voisins. Leur «retour», plaide la grande majorité
des Israéliens, mettrait aussitôt fin au caractère juif du pays.
Turkey al-Touman, 67 ans, ne
nie pas que ses revendications constituent pour l'État hébreu une menace
existentielle. Le rêve de «retourner» à Isdoud lui a été inoculé par son père,
Mohammed, qui l'a plusieurs fois emmené visiter les décombres du village.
C'était à la fin des années 70, à une époque où les Palestiniens de Gaza
circulaient à peu près librement en Israël. «La maison familiale avait été
rasée, raconte-t-il, mais il restait encore les ruines d'un café, de l'école et
de trois mausolées.»
«Ce n'est que vers le milieu
des années 90, lorsque l'armée s'est mise à multiplier les checkpoints autour
de Gaza, que nous avons mesuré notre erreur. Mais il était trop tard : nos
terres étaient devenues inaccessibles»
Turkey al-Touman, 67 ans
Non loin de ces vestiges, la
ville israélienne d'Ashdod est alors en pleine construction. «J'y ai travaillé
en tant qu'ouvrier sur plusieurs chantiers», raconte Turkey, comme s'il
s'agissait là de la chose la plus naturelle du monde. Face au silence de son
auditoire, il ajoute: «C'est une période où nous étions assez inconscients. La
loi israélienne nous interdisait de retourner nous établir à Isdoud, alors on s'est
plus ou moins résignés parce que le besoin de nourrir notre famille passait
avant celui de retrouver nos racines. Ce n'est que vers le milieu des années
90, lorsque l'armée s'est mise à multiplier les checkpoints autour de la bande
de Gaza, que nous avons mesuré notre erreur. Mais il était trop tard: nos
terres étaient devenues inaccessibles.»
» LIRE AUSSI - Les
accords d'Oslo ou l'impossible État palestinien
La famille al-Touman, tout comme
de nombreux réfugiés de la bande de Gaza, éprouve à cette époque des sentiments
mélangés. D'un côté on peine à admettre que Yasser Arafat, après avoir si
longtemps promis de reconquérir par les armes les territoires perdus en 1948,
ait reconnu le droit à l'existence d'Israël. De l'autre, on observe avec une
fierté incrédule les honneurs rendus au vieux chef palestinien au moment des
accords d'Oslo. La pelouse de la Maison-Blanche, le prix Nobel de la paix, le
retour triomphal à Gaza… «Avec ces images, nous avons repris espoir. Arafat
allait bâtir un État, qu'il pourrait ensuite utiliser pour obtenir le retour
des réfugiés sur leurs terres», se souvient Turkey al-Touman.
L'Autorité palestinienne
accusée d'avoir bradé leurs droits
Mais le vent d'optimisme retombe
vite. Les dirigeants de la nouvelle Autorité, engagés dans des négociations
serrées avec Israël, concentrent leurs efforts sur le tracé des futures
frontières et le statut de Jérusalem. On comprend alors - mais cela ne sera
jamais dit ainsi - que la direction palestinienne s'apprête à transiger sur les
droits des réfugiés. Des solutions «créatives» sont examinées sous l'égide des
États-Unis, qui proposent la réinstallation en Israël d'un nombre symbolique de
Palestiniens ainsi que l'indemnisation de ceux qui ne seront pas autorisés à
revenir. Arafat hésite, les négociations capotent. Le Hamas, créé au début de
la première intifada, n'en accusera pas moins l'Autorité palestinienne d'avoir
voulu brader les droits des réfugiés.
Vingt ans plus tard, c'est avec
une détermination intacte que les différents membres du clan al-Touman
défendent leur «droit au retour». Mais ils n'emploient pas tout à fait, d'une
génération à l'autre, les mêmes mots ni les mêmes intonations. Ayman, le fils
de Turkey, parle d'une demande «sacrée et intangible» tout en concédant que
l'objectif est hors d'atteinte - du moins à court terme. Âgé de 43 ans, il
a porté l'uniforme de la police palestinienne jusqu'à sa mise au chômage
technique lors de la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, en 2007. Contrairement à
son père, qui appelle aujourd'hui encore à «reprendre par la force ce qui a été
enlevé par la force», Ayman al-Touman rejette la lutte armée. Après trois
guerres meurtrières en une décennie, il ne croit plus à la possibilité de faire
reculer Israël par les armes. «Je mise davantage sur la diplomatie», dit le
quadragénaire, qui explique s'être converti par réalisme à la solution des deux
États et sèche un peu lorsqu'on lui demande comment celle-ci permettra de
réaliser les aspirations des réfugiés. «Les temps changent, interrompt Turkey,
comme gêné pour son fils. Lorsque je me suis marié, mon père m'a interdit de
faire construire une maison à Gaza car on allait bientôt rentrer à Isdoud. Mais
quand Ayman, il y a quelques années, m'a fait la même demande, je me suis dit:
à quoi bon l'en empêcher?»
«Les Israéliens ont pensé que
nos grands-parents allaient mourir, et que nous finirions par oublier. Mais nous
allons leur montrer qu'ils se sont trompés»
Des adolescents gazaouis
participant à la « marche du retour »
Mohammed, 18 ans, est pour
l'heure le dernier de la lignée. Un jeune Palestinien comme tant d'autres qui a
arrêté l'école en première, n'a pas de travail et n'est jamais sorti de Gaza.
Du village d'Isdoud, il ne sait pas grand-chose. «Mon grand-père m'en parle
parfois, mais j'ai du mal à me le représenter», avoue l'adolescent, qui cherche
ses mots et évoque «de vieilles maisons en pierre». Turkey al-Touman, une fois
de plus, tente d'expliquer. «Quand j'étais enfant, mon père réunissait
régulièrement des anciens du village pour évoquer la vie quotidienne, les
travaux des champs… Mais, avec le temps, les souvenirs commencent à se faire
moins précis.»
Depuis le 30 mars, c'est
notamment pour contrer cet oubli que les réfugiés de Gaza participent nombreux
à la «marche du retour». La
réduction de l'enveloppe versée par les États-Unis à l'agence de l'ONU en
charge des réfugiés palestiniens (Unrwa) et des rumeurs prêtant à
Donald Trump le projet de réinstaller cette population dans le désert du Sinaï
semblent les avoir convaincus qu'il y avait urgence. Dans les campements situés
aux abords de la frontière, des adolescents scandent sans relâche: «Les
Israéliens ont pensé que nos grands-parents allaient mourir, et que nous
finirions par oublier. Mais nous allons leur montrer qu'ils se sont trompés.»
Dans le camp de réfugiés de Khan
Younès, le vieux Mohammed al-Touman compte parmi les derniers témoins d'un
temps révolu. Lorsque les mots lui manquent, il fouille dans sa poche et en
exhume un document de papier jauni par les ans. La carte d'identité, délivrée
en 1948 par l'administration britannique, porte le numéro 369 et précise que
cet ouvrier aux cheveux noirs, aux yeux marron et à la complexion élancée
résidait dans le village d'Isdoud. «Nous étions heureux et vivions
confortablement sur nos terres, alors qu'ici nous sommes devenus des
mendiants.» Perclus de fatigue, il dit cependant croire que tout n'est pas
perdu. «Un cabanon à Isdoud, soupire-t-il, me rendrait plus heureux qu'un
palais à Gaza.»
La rédaction vous
conseille :
- À
Gaza, la contestation s'enracine devant la frontière
- Israël
bloque le transfert des Palestiniens blessés à Gaza
- À
Gaza, le virage tactique du Hamas
Israël s'inquiète de la livraison de S-300 russes à la Syrie
(26.04.2018)
Par Cyrille
Louis et Service
InfographieMis à jour le 26/04/2018 à 19h24 | Publié le 26/04/2018 à
19h06
INFOGRAPHIE - Les systèmes de
défense antiaérienne seraient destinés à protéger les forces iraniennes
présentes en Syrie de frappes préventives de l'aviation israélienne.
Correspondant à Jérusalem
Les dirigeants israéliens ont
accueilli la nouvelle avec une nervosité mal contenue. Selon le
lieutenant-général Sergueï Roudskoï, chef de la principale direction
opérationnelle de l'état-major russe, Moscou va fournir «très prochainement» un
nouveau système de défense antiaérienne à l'armée de Bachar el-Assad. Cette
livraison semble avoir été décidée en réponse aux
frappes menées par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, le
14 avril dernier, contre plusieurs sites militaires syriens. Le
journal Kommersant, citant une source informée, annonçait dès mardi
le transfert imminent de batteries S-300 et évoquait des conséquences
«catastrophiques pour toutes les parties» en cas de frappes de l'État hébreu
contre ces installations. Avigdor Lieberman, le ministre israélien de la
Défense, a de son côté prévenu: «Si ces systèmes d'armes russes sont utilisés
contre nous en Syrie, nous les détruirons.»
La livraison d'un tel dispositif
à l'armée syrienne, déjà envisagée par le passé, avait été plusieurs fois
ajournée à la demande d'Israël. Les batteries S-300, développées à la fin des
années 1970 mais régulièrement modernisées depuis lors, «sont plus précises,
plus efficaces et ont une portée bien supérieure aux systèmes dont le régime de
Bachar el-Assad dispose à l'heure actuelle», résume Assaf Orion, ancien général
de brigade et chercheur à l'Institut israélien d'études pour la sécurité
nationale. Il ajoute: «Leur déploiement va inévitablement limiter la marge de
manœuvre de notre armée de l'air dans le ciel de la Syrie et du Liban - même si
celle-ci a par le passé montré sa capacité à déjouer ce genre de dispositifs.»
Une situation d'autant plus complexe que les nouvelles batteries seront, au
moins dans un premier temps, opérées par des militaires russes dont l'armée
israélienne ne voudra sans doute pas prendre le risque de faire des victimes
collatérales.
«Les Russes voient bien que le
conflit de plus en plus ouvert entre Israël et l'Iran met en péril leurs
efforts pour stabiliser le gouvernement d'el-Assad»
Ofer Zalzberg, analyste au centre
de réflexion International Crisis Group
L'État hébreu, qui indique avoir
frappé plus d'une centaine de convois et de dépôts d'armes destinés au
Hezbollah depuis début 2013, jouissait jusqu'à présent d'une grande liberté
d'action. La Russie, engagée depuis septembre 2015 dans une opération de
sauvetage de Bachar el-Assad, a en effet longtemps choisi de détourner le
regard. Mais elle a récemment changé de ton lorsque l'aviation israélienne
s'est mise à attaquer des bases militaires iraniennes sur le sol syrien. Lundi
9 avril, Moscou l'a pour la première fois publiquement mise en cause après
qu'une frappe
contre une base située entre Homs et Palmyre a fait quatorze morts
dont sept membres des gardiens de la révolution. Lors d'un échange téléphonique
organisé depuis lors, Vladimir Poutine a prié Benyamin Nétanyahou de
«s'abstenir de toute action déstabilisatrice». Mais les dirigeants israéliens
restent déterminés à empêcher une implantation durable de l'Iran à leur
frontière nord, et ce quel qu'en soit le prix.
Une partie des commentateurs a
interprété la livraison annoncée de batteries S-300 à la Syrie comme le signe
que Moscou s'apprête à prendre parti contre l'État hébreu. Ofer Zalzberg,
analyste au centre de réflexion International Crisis Group, estime pour sa part
que «les Russes sont surtout en train de redéfinir les règles du face-à-face
entre Israéliens et Iraniens en Syrie». «Ils voient bien, détaille-t-il, que le
conflit de plus en plus ouvert entre ces deux puissances est en train de mettre
en péril leurs efforts pour stabiliser le gouvernement de Bachar el-Assad, et
c'est sans doute pour prévenir une escalade qu'ils cherchent à tracer des
limites. D'un côté, ils viennent de faire savoir qu'ils refuseront la création
d'un port iranien à Tartous. De l'autre, il est possible qu'ils s'apprêtent à
renforcer la protection de certains sites iraniens contre d'éventuelles frappes
israéliennes.»
La rédaction vous
conseille :
- Ces
mercenaires russes qui meurent pour la Syrie
- Israël
observe avec prudence les frappes en Syrie
- Israël
pris dans l'engrenage syrien
Natacha Polony : «Veuillez cacher cet antisémitisme…»
(27.04.2018)
CHRONIQUE - La seule importation
du conflit entre Israël et la Palestine ne suffit pas à raconter ce qui se
passe en France et dans le monde. La gangrène d'un islamisme qui impose partout
une lecture littéraliste du Coran ne peut pas être évacuée si facilement.
«Injuste
et délirant.» Ainsi le recteur de la Grande Mosquée a-t-il
qualifié le manifeste
contre l'antisémitisme signé pourtant par des personnalités aussi
diverses que François Pinault, Dominique Perben ou François Berléand. Tous ces
gens ne seraient-ils que des inconscients incapables de déceler l'intention
perverse cachée dans ce texte? Ou bien seraient-ils eux-mêmes coupables de
nourrir quelque intention malveillante à l'égard d'une religion de paix et de
ses croyants, qu'on voudrait implicitement exclure de la communauté nationale?
Tel est bien le nœud du problème:
à chaque fois que des voix s'élèvent, les plus diverses possible, pour tenter
de sortir du déni, de nommer enfin l'innommable et de poser les bases d'un
rassemblement, de doctes esprits s'emploient à vider le message de sa substance
et à détourner le débat. Michel Wieviorka parle d'un manifeste «partiel et
partial»: un antisémitisme «connu depuis un bon quart de siècle» et «déjà
dénoncé d'abondance». Circulez, il n'y a rien à voir, ni surtout à dire.
Puisqu'on en a déjà parlé, n'est-ce pas, on ne va pas y revenir… D'autant qu'à
nommer cet antisémitisme islamiste, on en oublierait l'antisémitisme
traditionnel européen… Comprenez, le véritable danger en France, c'est la republication
de Céline et Maurras. Mohamed Merah avait trop lu Rebatet.
On peut ne pas juger
indispensable la publication des pamphlets antisémites de Céline et, pour
autant, voir dans les arguments de Michel Wieviorka une brillante façon de
noyer le poisson. La même dont use Emmanuel Macron, qui, depuis les États-Unis,
a déclaré qu'«il y a deux racines de ce nouvel antisémitisme. La première est
liée à l'importation du conflit entre Israël et la Palestine (…). La deuxième
racine est une sorte d'ancien antisémitisme français, qui existait au début du
siècle et qui reprend de l'ampleur».
Cette chronique alerte depuis des
années contre la résurgence de l'antisémitisme, contre les «mort aux Juifs!»
entendus dans les rues de Paris et contre la jonction, réalisée lors de la
manifestation «Jour de colère» le 26 janvier 2014, entre un antisémitisme
d'extrême droite, version soralienne, et un antisémitisme d'extrême gauche,
camouflée derrière l'antisionisme. Mais la réponse présidentielle est un peu
courte. Ou plutôt, elle cherche délibérément à construire un balancement qui
n'existe pas en France pour mieux escamoter le débat lancé par le Manifeste de
Philippe Val.
Et l'on aimerait entendre des
voix s'élever contre la politique insupportable, mais aussi suicidaire, de la
droite israélienne, qui grignote les Territoires palestiniens
On ne peut, bien sûr, négliger le
fait que le conflit israélo-palestinien constitue dans le monde un abcès de
fixation. Et l'on aimerait entendre des voix s'élever contre la politique
insupportable, mais aussi suicidaire, de la droite israélienne, qui
grignote les Territoires palestiniens jusqu'à rendre impossible
désormais une solution à deux États. Suicidaire, car Israël, avec des citoyens
de seconde zone, ne serait plus l'État démocratique de ses origines. Il fut un
temps, au début des années 2000, où des intellectuels français faisaient vivre
sur ce sujet un indispensable débat. Leur silence laisse croire à une unanimité
qui nourrit le ressentiment et repousse l'antisionisme dans les franges de
l'antisémitisme.
Pour autant, la seule
«importation du conflit entre Israël et la Palestine» ne suffit pas à raconter
ce qui se passe en France et dans le monde. La gangrène d'un islamisme qui
impose partout une lecture littéraliste du Coran - et c'est bien la lettre du
Coran, n'en déplaise à Dalil Boubakeur, mais aussi la Sîra et les hadiths,
toute la tradition autour de la vie de Mahomet, qui servent de prétexte aux
islamistes - ne peut pas être évacuée si facilement. Moins encore quand l'État
qui porte cette vision et finance ses sectateurs, l'Arabie saoudite, noue une
alliance dangereuse avec les États-Unis et Israël, et veut entraîner la France
dans la dénonciation de l'accord nucléaire avec l'Iran. Mais ce qui se joue
dans nos banlieues, et dans la tête de ceux qui basculent dans le délire
antisémite, qu'il s'agisse d'assassiner
une vieille dame ou de massacrer des enfants de 3 ans devant
leur école, n'est qu'en partie déterminé par ces facteurs.
Le ressentiment, la frustration
qui voient se coaguler antisémitisme et haine de la France germent dans des
esprits culturellement en jachère, livrés à cet obscurantisme contre lequel se
sont élevées les Lumières. Le Manifeste contre l'antisémitisme ne prétend
nullement, comme s'en émeuvent 30 imams qui ont réagi dans Le Monde ,
que seul un musulman qui s'éloignerait de sa religion pourrait être pacifiste.
En revanche, il appartient à l'école - et, dans l'idéal, aux représentants des
religions - d'enseigner la différence entre l'ordre des croyances et celui des
savoirs. De quoi permettre à un jeune musulman de ne pas considérer comme une
vérité le caractère incréé du Coran, et donc d'entrer dans une forme de
distance qui articule l'identité du citoyen et celle du croyant. Les imams
français n'ont visiblement pas encore envie d'affronter ces difficultés. L'école
non plus, quand le président lui-même y prône «la bienveillance et l'ouverture»
plutôt que le savoir et l'exigence. Les intellectuels encore moins, dont la
grande angoisse est de passer pour islamophobes. Continuons donc de débattre de
la réédition de Céline ou de l'antisémitisme en Hongrie, jusqu'au prochain
drame.
La rédaction vous
conseille :
- Tribune
des 300 contre l'antisémitisme, tribune des 30 imams: le décryptage de
Céline Pina
- Un
nouvel antisémitisme met à l'épreuve la mémoire allemande
1464 abonnés
Journaliste
Ses derniers articles
- Natacha
Polony : «Veuillez cacher cet antisémitisme…»
- Natacha
Polony : «La vraie révolution sera paysanne»
- Natacha
Polony : «Macron ou les leurres du bougisme»
Pourquoi les riches votent à gauche : Thomas Frank et le
«progressisme de limousine» (27.04.2018)
Pourquoi les riches votent-ils à
gauche ? C'est la question à laquelle répond l'intellectuel américain dans
un essai drôle et savant.
- Crédits photo : presse
C'était en 2008. Obama
s'apprêtait à entrer à la Maison-Blanche et personne ne pouvait imaginer qu'une
décennie plus tard Donald Trump serait son successeur. Sauf peut-être Thomas
Frank! Dans un livre aujourd'hui devenu culte, Pourquoi les
pauvres votent à droite, l'essayiste montrait l'émergence d'une nouvelle
droite «populiste», douée pour capter la colère des classes populaires contre
les élites. P ourquoi
les riches votent à gauche * se situe dans le prolongement de
cet ouvrage de référence et se révèle tout aussi incisif. L'auteur, pourtant
marqué à gauche, y dépeint avec une ironie féroce l'hypocrisie et la
condescendance du «progressisme de limousine» : cette gauche caviar,
incarnée par Hillary Clinton, qui a beaucoup de compassion pour les personnes
malheureuses qui sont loin, mais se pince le nez devant ce qu'elle considère
comme le «panier
des déplorables» - les électeurs de Trump-.
Chez Frank, le sarcasme n'exclut
pas la profondeur historique et la puissance d'analyse. L'auteur décrit le
mariage entre le politiquement correct et l'argent, les diplômés de Harvard et
les financiers de Wall Street, les hipsters de la Silicon Valley et les
technocrates de Washington, le cool et le capitalisme. Ou comment les clercs
démocrates ont troqué les cols bleus contre les cols blancs, le gouvernement du
peuple contre celui des experts.
Adieu New Deal et lutte des
classes
Pour les socialistes français, il
y a eu le tournant de la rigueur en 1983. Pour les démocrates américains, le
basculement s'opère dès 1971. Il est théorisé par le stratège démocrate
Frederick Dutton dans son manifeste Changing Sources of Power, qui
n'est pas s'en rappeler le rapport
Terra Nova. Dutton est convaincu que la société industrielle va céder
la place à l'«économie de la connaissance». Et que le parti doit s'adapter en
transformant sa base électorale: liquider les ouvriers et les syndicats au
profit de la nouvelle classe des «professionnels» éduqués (jeunes diplômés,
cadres, etc.), censés représenter le progrès et la modernité. Adieu New
Deal et lutte des classes, bienvenue aux néolibéraux et à l'idéologie
managériale.
La boucle est bouclée :
les riches votent à gauche et les pauvres à droite
Pour Thomas Frank, ce
réalignement stratégique est aussi lié à un mépris culturel d'une partie des
élites démocrates pour les catégories populaires jugées pas assez raffinées.
Après bien des revers électoraux, ce changement de cap se concrétise avec la
présidence de Bill Clinton (1993-2001). Le président démocrate
fera ce que même Reagan n'avait jamais osé faire: signature du traité de
libre-échange de l'Alena qui
facilite les délocalisations vers le Mexique, politique d'austérité au nom de
la réduction des déficits, dérégulation de l'électricité et des
télécommunications. Jusqu'au bout, Clinton sera le fossoyeur de l'héritage de
Roosevelt. Sa «dernière grande œuvre», la déréglementation bancaire,
conduira en
2008 à la plus grande crise depuis 1929. En 2016, les «ouvriers blancs»
prendront enfin leur revanche sur les Clinton en votant massivement pour le
protectionniste Trump. La boucle est bouclée: les riches votent à gauche et les
pauvres à droite. Mais, conclut Thomas Frank, personne ne défend plus
réellement les gens ordinaires.
* Pourquoi les riches
votent à gauche, de Thomas Frank, Agone, 25 €
La rédaction vous
conseille :
- «Orwell
reprochait à la gauche petite bourgeoise son mépris implicite des classes
populaires»
- Thomas
Frank: «La droite est douée pour prétendre représenter l'Américain moyen»
- Donald
Trump à la Maison-Blanche: pourquoi ce qui paraissait invraisemblable est
arrivé
- «Orwell
reprochait à la gauche petite bourgeoise son mépris implicite des classes
populaires»
394 abonnés
Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
Ses derniers articles
- «Le
plan banlieue, c'est déshabiller la France périphérique pour habiller
celle qui vit de l'autre côté du périph'»
- Pourquoi
les riches votent à gauche : Thomas Frank et le «progressisme de
limousine»
- Thomas
Frank : « Je ne sais plus quoi penser de Donald Trump, idiot ou
génie absolu ? »
Jean Sévillia : «Aux heures sombres de la Révolution»
(27.04.2018)
CHRONIQUE - Pourquoi le rêve
démocratique de 1789 a-t-il débouché en 1793 sur la dictature d'une minorité et
un régime de Terreur ?
Des massacres de
septembre 1792 à la loi de juin 1794 instituant la Grande Terreur, la
France a vécu deux années de violence extrême, gouvernée par une minorité qui
s'appuyait sur la rue. Pourquoi est-on passé de l'espérance démocratique de
1789 à la dictature de 1793? Le sang qui a coulé dès juillet 1789 ne
relevait-il pas déjà de la Terreur? Cette dernière s'est-elle close avec la chute
de Robespierre à
l'été 1794? Où classer, alors, les poussées de fièvre du Directoire, jusqu'en
1799? Peut-on, en définitive, démêler la Révolution de la Terreur?
- Crédits photo : ,
Répondant à ces questions,
Timothy Tackett, professeur à l'université de Californie, décrit le processus
révolutionnaire dans un ouvrage qui recourt à des correspondances inédites à
partir desquelles est restituée la vision des acteurs de l'époque (1). Dans la
grande querelle entre les spécialistes qui expliquent la Terreur par
l'idéologie et le mécanisme révolutionnaires et ceux qui y voient un
enchaînement de circonstances, Tackett se situe du deuxième côté, mais,
contrairement à tant d'autres, sans absoudre l'inexcusable. D'après l'historien
américain, c'est tout à la fois la guerre intérieure et extérieure, mais aussi
le poids des rumeurs ou la paranoïa du Comité de salut public, qui voyait des
complots partout, qui ont déchaîné les forces ayant ensanglanté le pays au prix
de 40.000 victimes, guerres de Vendée non comprises.
- Crédits photo : ,
En 1978, dans Penser la
Révolution française, François
Furet avait ressuscité la figure d'un historien - tué au front en
1916 - qui n'était plus guère lu: Augustin Cochin. Ses écrits, réédités à cette
occasion, n'étaient plus disponibles. Saluons donc ce précieux volume précédé
d'une savoureuse préface de Patrice
Gueniffey et d'une utile introduction à l'œuvre de Cochin par
Denis Sureau (2). Autant historien que sociologue, Cochin avait montré que les
clubs révolutionnaires, ancêtres des partis contemporains, avaient introduit
dans le jeu politique des structures qui, derrière le paravent de la liberté de
pensée, dissimulaient la soumission de l'individu à une autorité inavouée et à
des idées préfabriquées. Une pensée critique et forte sur les origines de la
démocratie mordene.
(1) Anatomie de la
Terreur, de Timothy Tackett, Seuil, 480 p., 26 €.
(2) La Machine
révolutionnaire, d'Augustin Cochin, préface de Patrice Gueniffey,
Tallandier, 686 p., 29,90 €.
La rédaction vous
conseille :
- Nouvelle
histoire de la révolution française, d'Annie Jourdan: le fantôme de
Robespierre
- Gueniffey:
«Robespierre incarne d'une façon chimiquement pure l'idée de la table
rase»
- Danton
et Robespierre, les frères ennemis de la Révolution
- Dominique
Reynié: «Robespierre aurait été validé par la Haute autorité pour la
transparence»
54 abonnés
Journaliste
Ses derniers articles
- Jean
Sévillia : «Aux heures sombres de la Révolution»
- Jean
Sévillia : «L'utopie de la Renaissance»
- Jean-Christian
Petitfils : «La vertu de l'histoire de France est de montrer que notre
pays a connu pire»
Éric Zemmour: «La leçon de la monarchie anglaise»
(27.04.2018)
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Après la
tempête Diana, la famille royale britannique a choisi de renouer avec ses
valeurs traditionnelles. Depuis, elle n'a jamais été aussi populaire. Y compris
en République française.
Il est né le
divin enfant! Le troisième! Et un garçon, encore! La
passion médiatique et populaire que suscite la naissance des
enfants royaux d'Angleterre est un mystère à élucider. A une époque où les rois
sont considérés comme des pantins inutiles et ridicules, traces d'un passé
révolu, pourquoi s'intéresser à une monarchie millénaire? A une époque où toute
marque de hiérarchie et de verticalité est systématiquement couverte de
sarcasmes ou d'insultes, comment peut-on exalter une supériorité qui ne doit
rien au mérite et tout à la naissance? A une époque où les femmes sont
louées pour ce qu'elles font et méprisées pour ce qu'elles sont, comment
peut-on passer en boucle le sourire au demeurant charmant d'une princesse dont
le seul exploit est d'avoir donné des héritiers au trône?
La France est particulièrement
touchée par ce mystère d'une passion incoercible pour ce qu'elle est censée
abhorrer. La France républicaine qui ne se remet pas - et ne se pardonne pas? -
d'avoir coupé la tête de son roi. La France républicaine à vocation monarchique
face à la monarchie anglaise à vocation républicaine. Il manque un roi à la
République, avait dit de Gaulle, qui a remplacé l'huile sainte du sacre par le
suffrage universel. Il manque un roi, a constaté Macron quand Hollande était
président, et qui, depuis, surjoue, en acteur consommé, le rôle de monarque. La
monarchie anglaise a depuis longtemps renoncé à la réalité du pouvoir pour
sauvegarder son trône. Charles X,
déjà, disait: «Si être roi, c'est faire comme mon cousin d'Angleterre, je
préfère couper du bois.» Mais le «cousin» a su, à ce prix, incarner les
traditions séculaires et l'unité de la nation. Ce n'est pas rien.
«Le miracle a eu lieu [...]
grâce à une nouvelle génération, enfants des baby-boomers, soucieux de remettre
en ordre ce que leurs parents avaient dévasté.»
Il y a quelques décennies, on a
pensé la monarchie britannique condamnée. Non pas à cause des menées des
opposants républicains qui n'ont jamais compté que pour du beurre, mais minée
de l'intérieur. La génération des Beatles et des Rolling Stones avait fait des
émules au sein même de la famille royale. Ils multipliaient les adultères
(tradition monarchique), mais aussi les ruptures et divorces (shocking!). De la
princesse Anne à Diana, jusqu'au prince Charles, l'individu roi et la religion
de l'amour étaient sur le point de subvertir et de détruire la monarchie
anglaise et la religion anglicane.
Et puis, après que la tempête
Diana fut sur le point de tout emporter, le miracle a eu lieu: non pas grâce au
caractère admirable de la reine mère, mais grâce à une nouvelle génération,
enfants des baby-boomers, soucieux de remettre en ordre ce que leurs parents
avaient dévasté. Une nouvelle génération qui se complaît - avec un rare goût de
la mise en scène médiatique et des affaires - dans les valeurs traditionnelles
de la famille et de la patrie. Le rétablissement passa par une alliance de la
monarchie avec les classes moyennes et populaires - incarnées parfaitement par
les sœurs Middleton - qui, contrairement aux classes supérieures, n'avaient pas
renoncé à la nation britannique et aux traditions. Une belle leçon de
conservatisme donnée par les plus jeunes à leurs aînés.
La rédaction vous
conseille :
- Comment
Elizabeth II a réinventé la monarchie britannique
- Diana,
la revanche posthume de la «princesse du peuple»
Journaliste, chroniqueur
Ses derniers articles
- Éric
Zemmour: «La leçon de la monarchie anglaise»
- Éric
Zemmour : «Une cible nommée Donald Trump»
- Éric
Zemmour: «Marx (Karl), entre célébration et parodie»
Emmanuel Macron : «L'Europe… ce vieux continent de
petits-bourgeois» (27.04.2018)
Dans une interview accordée
à La Nouvelle Revue française, le président français ne mâche pas
ses mots vis-à-vis de l'Europe, à l'heure où Angela Merkel semble affaiblie et
que le chef de l'État espère reprendre l'ascendant sur le couple
franco-allemand.
Il y avait déjà eu les
«somnambules». Voilà désormais les «petits-bourgeois». Dans une interview
accordée à La Nouvelle Revue française il y a plus de deux
mois (le 12 février dernier), qui sera publiée le 3 mai et dont des
extraits ont été dévoilés vendredi par Le Monde, Emmanuel Macron ne
mâche pas ses mots vis-à-vis de l'Europe. «Ce vieux continent de
petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel entre dans une
nouvelle aventure où le tragique s'invite», met en garde le président.
«Notre paysage familier est en
train de changer profondément sous l'effet de phénomènes multiples,
implacables, radicaux»
Emmanuel Macron
En réalité, le raisonnement qu'il
développe ensuite fait écho à celui qu'il a toujours tenu, et qui consiste à
dire que la génération actuelle ne doit pas se reposer sur les lauriers acquis
de longue lutte par ses aïeux. «Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c'est
que l'histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. L'Europe ne sera
plus protégée comme elle l'a été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale»,
explique-t-il ainsi, jugeant que «notre paysage familier est en train de
changer profondément sous l'effet de phénomènes multiples, implacables,
radicaux». En témoigne, à ses yeux, la montée des populismes chez plusieurs de
nos voisins.
» LIRE AUSSI - Réformer
l'Europe: le rêve évanoui d'Emmanuel Macron?
Dans l'entourage du chef de
l'État, on assume la forme du propos pour le moins tranchant, mais on préfère
s'attarder sur le fond. «Le débat n'est pas sur la violence des mots mais sur
la justesse de la formule», estime le porte-parole de l'Élysée, Bruno
Roger-Petit. Selon lui, l'interview «ne vise pas les partenaires européens mais
la façon commune dont on passe à côté de l'Histoire en Europe». «Il faut que
l'Europe retrouve sa grande ambition et qu'elle ne se contente pas d'être une
société de consommation qui se croit apaisée et protégée des bouleversements du
monde», exhorte le conseiller.
Ringardiser l'«ancien monde»
Même explication du côté d'un
ministre très proche d'Emmanuel Macron, qui précise toutefois n'avoir «pas
encore lu» l'entretien. «Le président vise les “assis”, ceux qui ont un statut,
qui sont en situation de rente ou de monopole… Bref, c'est l'idée de la
“société de l'immobilité” qu'il faut voir derrière ses mots», décrypte-t-il.
«Le président vise les
“assis”, ceux qui ont un statut, qui sont en situation de rente ou de monopole…
Bref, c'est l'idée de la “société de l'immobilité” qu'il faut voir derrière ses
mots»
Bruno Roger-Petit, porte-parole
de l'Élysée
Même si toutes les voix
officielles affirment que les relations entre Paris et Berlin sont au beau
fixe, il est pourtant difficile de ne pas interpréter cette sortie comme une
tentative supplémentaire de s'emparer du leadership en Europe. À l'heure où la
chancelière Angela
Merkel (qui commence son quatrième et dernier mandat) semble affaiblie, le
jeune président français espère reprendre l'ascendant sur le
couple franco-allemand et s'imposer
sur la scène internationale. Pour ce faire, il semble avoir décidé
d'appliquer à l'Europe la même méthode que celle qui lui a permis de fracturer
le paysage politique français: incarner la fraîcheur du «nouveau monde» afin de
ringardiser l'«ancien monde».
» LIRE AUSSI - Macron
et Merkel s'engagent à refonder l'Union européenne
L'objectif d'Emmanuel Macron est
clair: il s'agit de remporter les prochaines élections européennes, qui auront
lieu en mai 2019, et d'implanter son parti à Bruxelles. Un scrutin qui aura
valeur de test pour le fondateur d'En marche!… Le président voit grand. Il
envisage même d'enrôler le
réalisateur allemand Wim Wenders pour mener campagne avec lui.
Reste à savoir comment ce clin d'œil sera perçu outre-Rhin.
La rédaction vous
conseille :
- Macron
et Merkel à la recherche d'une volonté commune pour l'Europe
- États-Unis:
Merkel contrainte d'adopter un profil bas, après la visite de Macron
- Pour
Hollande, Macron est «le président des très riches»
Twitter @arthurberdah
Ses derniers articles
- Emmanuel
Macron en quête de résultats à l'étranger
- Emmanuel
Macron : «L'Europe… ce vieux continent de petits-bourgeois»
- Macron
«passif» avec Trump : Griveaux dénonce la «touche d'homophobie» de
Hollande
Sur le même sujet
- Au
Panthéon, la mise en scène millimétrée d'Emmanuel Macron
- Emmanuel
Macron en quête de résultats à l'étranger
- Macron
assume «totalement» la «verticalité» du pouvoir présidentiel
- La
valse des directeurs se poursuit au ministère de la Culture
Thématique : Emmanuel Macron
Politique
- Au
Panthéon, la mise en scène millimétrée d'Emmanuel Macron
- Le
plan Borloo pour les banlieues accueilli froidement
- Emmanuel
Macron en quête de résultats à l'étranger
- Emmanuel
Macron : «L'Europe… ce vieux continent de petits-bourgeois»
Réagir à cet article
Pour commenter cet article,
complétez votre profil public.
Il vous permet de :
- commenter et recommander les articles
- suivre les journalistes et thématiques qui vous
intéressent
33Commentaires
Soun-Lu
Les hauts fonctionnaires qui
s'octroient sana fondement juridique (Cour des Comptes ) des primes
exorbitantes et le personnel politique ne sont - ils pas des petits bourgeois.
Petits bourgeois qui ont mis la France sur la paille pour longtemps ?
L'Islande voudrait interdire la circoncision (27.04.2018)
La proposition de loi assimilant
l'opération à une mutilation soulève une indignation internationale, surtout
dans la communauté juive.
La circoncision est
vieille comme le monde. Selon la tradition biblique, Abraham l'institua, au
commandement de Dieu, comme signe de l'alliance avec l'humanité. Signe
religieux, elle est pratiquée dans le judaïsme, après autorisation d'un
médecin, huit jours après la naissance d'un garçon. Dans l'islam, elle se
pratique systématiquement mais pas après l'âge de treize ans. Elle peut aussi
être décidée pour des raisons médicales ou culturelles, comme aux États-Unis où
60 % des hommes seraient concernés. À l'échelle de la planète, un tiers
des hommes seraient circoncis. Respecté, cet acte est rarement remis en
question. Dans le judaïsme, il est très encadré. Les péritomistes («mohalim» en
hébreu) qui le pratiquent sont spécialement formés pour éviter tout problème
d'hygiène en particulier. Il s'agit de couper le prépuce, fine peau qui
recouvre le gland du pénis. En Israël, la formation des mohalim est certifiée
par le ministère de la Santé.
Mais en Occident, une tendance
récente viserait à associer la circoncision à une mutilation, au même titre que
l'excision. L'Allemagne
avait été saisie par cette question en 2012. Le Bundestag a fini
par confirmer l'autorisation de la circoncision à une écrasante majorité.
L'Islande a relancé le débat
en octobre 2017, en faisant adopter en première lecture à l'assemblée une
proposition de loi assimilant la circoncision à une mutilation
L'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe s'est, elle aussi, emparée du débat en 2015 à la suite
du rapport
Rupprecht, une députée européenne qui cherchait à la qualifier
de mutilation au même titre que l'excision qui consiste pourtant à retirer le
clitoris aux filles. Là aussi, le Conseil de l'Europe, soucieux de préserver la
liberté religieuse, a tranché par une résolution qui autorisait la
circoncision. Mais à trois conditions: qu'elle soit accomplie par des personnes
dûment formées, dans un cadre d'hygiène strict, avec des parents décideurs mais
bien informés.
Curieusement, un pays non membre
de l'Union européenne, peu concerné par la présence juive ou musulmane, mais
membre du Conseil de l'Europe, l'Islande, a relancé le débat en
octobre 2017, en faisant adopter en première lecture à l'assemblée une
proposition de loi assimilant la circoncision à une mutilation. Un des partis
qui pousse cette idée s'appelle les «intactivistes»… Ils militent pour la préservation
absolue du corps humain.
Une série de réactions
La nouvelle a instantanément
déclenché une série de réactions. Aux États-Unis, le Congrès américain a envoyé
une lettre très nette à l'ambassadeur d'Islande à Washington. Si l'Islande
persistait, une batterie de plaintes serait déposée devant la Cour européenne
des droits de l'homme pour atteinte à la liberté religieuse.
L'Islande a d'ores et déjà senti
le danger. Le ministère des Affaires étrangères vient d'écrire une lettre au
Parlement pour mettre en garde contre les conséquences possibles d'isolement
international. Le 17 avril, une conférence internationale réunissant des
personnalités religieuses et médicales internationales s'est tenue à Reykjavik,
la capitale, pour mieux informer sur la nature de la circoncision. Dans ce pays
de 335.000 habitants, la population juive est estimée à… 250 personnes. Quant
aux musulmans, ils sont 1500.
La rédaction vous
conseille :
- L'Islande pourrait interdire la circoncision à but non
médical
- États-Unis: tollé après une proposition pour autoriser des
mini-excisions
- Pas moins de plaisir chez les hommes circoncis
Interdiction de la circoncision : «Il ne faut pas faire
d'amalgame avec l'excision» (27.04.2018)
INTERVIEW - Moché Lewin,
vice-président de la Conférence des rabbins européens, réagit au projet de loi
de l'Islande, qui associerait cette opération à une mutilation.
Moché Lewin a participé le
17 avril à la conférence internationale de Reykjavik contre l'interdiction
de la circoncision.
LE FIGARO.- Les juifs sont peu
nombreux en Islande. Pourquoi un tel projet?
Moché LEWIN. - C'est
étrange! Jamais l'Europe n'avait connu une telle proposition de loi… Mais ce
débat, très actif actuellement au Danemark, est récurrent. Que le débat existe
ne nous choque pas. C'est normal et cela appartient à la vie démocratique des
pays. En revanche, ce qui ne va pas, est l'amalgame qui est fait entre la circoncision -
un acte religieux sans effet sur l'exercice sexuel - et l'excision
chez les filles qui a des conséquences mutilantes très graves.
En aucun cas, on ne peut assimiler circoncision et excision. Or ce projet de
loi réduit ces deux actes à une mutilation.
«La circoncision est un acte
religieux, intime et discret, mais il revêt une très haute signification»
Moché Lewin
Pourquoi la circoncision
est-elle si importante pour le judaïsme?
La circoncision est intrinsèque
au judaïsme. Elle remonte à Abraham et elle est le signe de l'alliance divine
avec l'homme. Cela touche donc le judaïsme au plus profond de sa foi, c'est une
part de l'identité juive. La circoncision est un acte religieux, intime et
discret, mais il revêt une très haute signification.
Pourquoi une telle polémique
internationale?
La Conférence des rabbins
européens a aussitôt réagi, tout comme le gouvernement américain. La Conférence
des Églises européennes s'est aussi investie pour organiser la conférence
internationale à Reykjavik. Même si nous venons d'apprendre que la proposition
de loi vient d'être transférée du Parlement au gouvernement - ce qui
signifierait l'abandon pressenti de cette loi, soit une très bonne nouvelle! -
le plus inquiétant demeure. Cette initiative pourrait nourrir l'actuelle montée
d'un nouvel antisémitisme en Europe. La communauté juive devrait-elle en
conclure qu'elle n'aurait plus sa place en Europe? Cela, nous ne nous y
résoudrons jamais.
La rédaction vous
conseille :
- L'Islande voudrait interdire la circoncision
- L'Islande pourrait interdire la circoncision à but non
médical
- États-Unis: tollé après une proposition pour autoriser des
mini-excisions
Rédacteur en chef,
chargé des religions
Ses derniers articles
- Circoncision : « Il ne faut pas faire d'amalgame
avec l'excision »
- Mgr Benoist de Sinety, prélat entier
- L'Islande voudrait interdire la circoncision
Andrew Sheng: «L'Occident n'a pas d'idées pour gérer les
enjeux essentiels» (27.04.2018)
INTERVIEW - L'économiste, ancien
banquier central, juge la théorie économique dépassée par les grands défis
structurels du siècle.
Ancien régulateur de la banque
centrale de Malaisie puis de l'autorité des marchés de Hongkong passé aussi par
la Banque mondiale, l'économiste Andrew Sheng dénonce les lacunes de l'économie
de marché occidentale. Il était l'un des conférenciers du forum Ambrosetti au
début du mois, à la Villa d'Este, sur les rives du lac de Côme, en Italie.
LE FIGARO. - L'Occident n'est
pas armé pour gérer les enjeux structurels du siècle, dites-vous. Pourquoi?
Andrew SHENG. - Il y
a une vraie différence de ce que j'appelle la «carte mentale», entre l'Occident
et l'Asie. À l'Ouest, on privilégie les réglages de précision, la
politique monétaire, par exemple, ou les ajustements budgétaires mais
on ne s'attaque pas aux grands problèmes structurels, les
inégalités sociales, l'évolution
démographique, le
changement climatiqueou le développement des nouvelles
technologies. Or, le traitement de ces problèmes se comptera en décennies. Les
Chinois et les Indiens pensent à l'échelle des décennies. Cela me rappelle une
anecdote… Quand on demandait au premier ministre chinois Zhou Enlai: «Quelles
sont les conséquences de la Révolution française?», il répondait: «Il est
encore trop tôt pour le savoir.»
«Le capitalisme financier a
notamment créé d'immenses inégalités. Il faut une approche holistique pour
embrasser tous les grands enjeux»
Andrew Sheng
Vous estimez que les Chinois
et les Indiens partagent cette vision à long terme, pourtant leurs régimes
politiques sont très différents…
Je suis un disciple de Pierre
Bourdieu, qui parle de capital social, d'habitus. Je crois que, si vous
comprenez ces concepts, vous avez un meilleur modèle pour saisir le monde. À
l'inverse, selon ce qu'on appelle le «consensus de Washington», l'économie de
marché libérale engendre l'équilibre général. Or, dans les faits, on constate
qu'on s'éloigne de l'équilibre, dans beaucoup de domaines. Parce que le
capitalisme financier a notamment créé d'immenses inégalités. Il faut une
approche holistique pour embrasser tous les grands enjeux. En Occident, quand
on a mal à la tête, on prend une aspirine. Mais le mal de tête vient peut-être
d'un autre organe, c'est cela que j'appelle l'approche holistique.
«Dans la philosophie chinoise,
si l'homme détruit la nature, il se détruit lui-même. Les Chinois l'avaient
oublié en se convertissant au capitalisme. Mais la Chine est en train d'y
revenir»
Andrew Sheng
Vous n'avez pas répondu sur la
différence des régimes chinois et indiens…
Ces deux pays ont en commun
d'avoir des philosophies très profondes. Et ils ont aussi tous deux de très
grandes bureaucraties. N'oubliez pas que l'effectif du parti communiste
chinois, c'est la population de la France! Si l'on n'a pas ces éléments à
l'esprit, on ne comprend pas comment ces pays fonctionnent. Cela dit, le
communisme n'est pas une invention chinoise, il est venu d'Europe, de France,
et s'est inséré dans le confucianisme. Dans la philosophie chinoise, si l'homme
détruit la nature, il se détruit lui-même. Les Chinois l'avaient oublié en se
convertissant au capitalisme. Mais la Chine est en train d'y revenir.
Vous êtes un Chinois de
Malaisie, formé en Angleterre. Comment vous définissez-vous?
J'ai étudié à l'université de
Bristol. Mon père a été formé à Lyon et à Charleroi, en Belgique. Je suis un
pur produit de l'éducation occidentale. Par la suite, j'ai été banquier central
en Malaisie, j'ai travaillé à la Banque mondiale, puis à Hongkong. Je me suis
rendu compte que le système de valeurs occidental ne permet pas de gérer les
grands problèmes structurels. Il ne s'attaque qu'aux problèmes superficiels.
«Je ne dis pas que la vision
eurocentrée n'est pas la bonne, mais elle n'est pas adaptée au monde entier»
Andrew Sheng
Il ne distingue pas le signal
profond du bruit ambiant. Le bruit, c'est par exemple le populisme. Mais
celui-ci provient des très fortes inégalités qu'a creusées le capitalisme. Le
modèle d'économie de marché libérale est dépassé. Par exemple, il appréhende
très mal la question fondamentale du changement climatique. L'Occident n'a pas
d'idées nouvelles pour gérer les enjeux essentiels.
Alors quelles sont les solutions?
Pour résoudre des problèmes à
long terme, il faut de la stabilité politique, il faut de la continuité à la
tête des États. Quand vous avez un plan pour cinq ans et que votre
successeur fait le contraire de vous, vous revenez à la case départ.
» LIRE AUSSI - En
Chine, «le modèle économique change lentement»
Donc, pour vous, les
démocraties occidentales ne sont pas efficaces?
Peut-être conviennent-elles à
l'Occident, mais peut-être pas à tous. Je ne dis pas que la vision eurocentrée
n'est pas la bonne, mais elle n'est pas adaptée au monde entier. En Asie, on ne
croit pas tant à la théorie qu'en l'expérience.
«En Chine, la banque sert
l'économie réelle, et non l'inverse comme trop souvent en Occident»
Andrew Sheng
La dette chinoise qui inquiète
beaucoup, le FMI notamment, est-ce un vrai problème? De court terme ou de long
terme?
La dette
chinoise est détenue par les Chinois et la Chine est un
créancier net. En Chine, la dette provient beaucoup des banques publiques qui
prêtent aux entreprises publiques. La main droite prête à la main gauche, ce
n'est donc pas un grand problème. En outre, quand l'emprunt sert à construire
des infrastructures, des routes, des voies ferrées, des réseaux de téléphone,
tout le monde est gagnant. En Chine, la banque sert l'économie réelle, et non
l'inverse comme trop souvent en Occident.
Vous insistez beaucoup sur les
inégalités. Elles se creusent en Inde, en Chine. Sont-elles des bombes à
retardement?
Je crois que les gens acceptent
les inégalités lorsqu'elles viennent de la créativité, de la création
d'entreprise. En revanche, quand elles sont creusées par la corruption, la
prédation, ou la confiscation de la loi au service d'une élite, elles
deviennent insupportables. Marie-Antoinette disait
qu'il n'y avait qu'à distribuer de la brioche au peuple. Je crois qu'aujourd'hui,
l'élite est toujours aveugle à la colère du peuple.
Cet article est publié dans
l'édition du Figaro du 28/04/2018. Accédez
à sa version PDF en cliquant ici
La rédaction vous
conseille :
- Les USA refusent le statut d'économie de marché à la Chine
- Le FMI cloue au pilori les dettes américaine et chinoise
- La Chine, premier marché mondial pour le véhicule
électrique
L'élection turque motivée par une économie en surchauffe
(27.04.2018)
Erdogan, qui redoute un
retournement de la croissance, a avancé d'un an et demi le scrutin
présidentiel.
Et si le facteur économique était
le principal déclencheur des élections anticipées? Il y a dix jours, le
président turc Recep Tayyip Erdogan a créé la surprise en
annonçant la tenue du scrutin présidentiel et législatif le
24 juin - soit près d'un an et demi avant la date initialement
fixée. Ses
détracteurs y voient une manœuvre politique visant à
empêcher l'opposition de s'organiser.
De l'avis des observateurs, c'est
l'économie qui a surtout motivé le gouvernement à passer à l'action. Une
perception partagée par un grand nombre de Turcs: selon un sondage de
l'Institut Mediar, 45 % des personnes interrogées voient dans la
dégradation financière du pays la principale raison de leur convocation
prématurée aux urnes. «Ce n'est pas une coïncidence si l'annonce a été faite
quelques jours avant l'augmentation, mercredi 25 avril, des taux d'intérêt
par la Banque centrale. Cette mesure, qui vise à juguler l'inflation, va
affecter les foyers. De toute évidence, Erdogan a voulu agir au plus vite avant
que l'économie, d'apparence robuste, ne s'effondre», observe Atilla Yesilada,
spécialiste de la Turquie chez GlobalSource Partners à Istanbul.
» LIRE AUSSI - Turquie:
Erdogan, président tout-puissant
«Les Turcs vont voter avec
leurs portefeuilles, prévient-il. Et ce n'est pas un bon signe pour l'AKP»
Atilla Yesilada, spécialiste de
la Turquie chez GlobalSource Partners
La croissance économique a
longtemps fait le succès d'Erdogan et de son parti islamo-conservateur, l'AKP,
au pouvoir depuis quinze ans. Lorsque l'AKP fait sa percée, en 2002, la Turquie
est endettée et se trouve sous un plan de redressement du Fonds monétaire
international. Depuis, elle a remboursé ses emprunts et s'est imposée comme la
17e puissance économique mondiale. Rattrapée par le conflit syrien et minée
par une
dérive autoritaire qui s'est accélérée après le
putsch raté de juillet 2016, la Turquie d'aujourd'hui ne
jouit néanmoins plus de la même stabilité qu'avant. Le
tourisme a chuté. Les investisseurs étrangers sont plus frileux.
Et les Turcs plus prudents. Il n'empêche: en 2017, le pays a pu se targuer
d'être l'une des économies les plus dynamiques des pays du G20, avec 7 %
de croissance. Un succès favorisé par la forte consommation des ménages et de
l'investissement privé, tirés par des baisses d'impôts et une hausse du crédit.
Le gouvernement s'est également lancé dans de vastes projets d'infrastructure:
nouvelles autoroutes, nouveau pont, nouvel aéroport, qui doit ouvrir à la fin
de l'année à Istanbul, nouveau canal qui doit être creusé parallèlement au
Bosphore… Une frénésie qui dope le secteur du bâtiment mais demeure
artificielle.
Chute de confiance
«Certains de ces projets semblent
plus guidés par une volonté du gouvernement d'afficher son dynamisme que par
les besoins réels du pays», souffle un analyste turc, qui préfère taire son
nom. De plus, si les chiffres de croissance sont encourageants, ils n'ont pas
permis de tempérer les inquiétudes concernant la santé sous-jacente de
l'économie, marquée par une inflation à deux chiffres, un large déficit du
compte courant et une devise affaiblie par des dettes d'entreprises privées. «À
cela s'ajoutent d'autres signaux inquiétants, comme ces informations selon
lesquelles deux grosses entreprises turques se sont lancées dans des
restructurations financières», constate pour sa part l'économiste Atilla
Yesilada.
«Certains de ces projets
semblent plus guidés par une volonté du gouvernement d'afficher son dynamisme
que par les besoins réels du pays»
Un analyste turc
D'après certains médias, le
Groupe Dogus, qui détient notamment la banque Garanti et Yildiz Holding,
propriétaire de la chocolaterie Godiva, aurait demandé une restructuration
financière de plusieurs milliards de dollars.
Pour nombre d'experts, ces
facteurs ne sont pourtant pas encore assez marqués pour mettre en danger
Erdogan et sa formation politique. Atilla Yesilada en est moins certain. «Les
Turcs vont voter avec leurs portefeuilles, prévient-il. Et ce n'est pas un bon
signe pour l'AKP. Car la confiance des hommes d'affaires, nombreux à l'avoir
longtemps soutenu, a chuté. Il y a aussi toutes ces entreprises qui font face à
des retards de paiement. De manière générale, les gens sont inquiets.»
La rédaction vous
conseille :
- Les tensions avec l'Allemagne déteignent sur l'économie
turque
- Aux portes de la Syrie, la ville turque de Gaziantep veut
séduire les investisseurs
- Turquie: ceux qui résistent encore à Erdogan
- Erdogan handicapé par le ralentissement de l'économie
turque
Journaliste
Ses derniers articles
- L'élection turque motivée par une économie en surchauffe
- Turquie : prison ferme pour les journalistes de
Cumhuriyet
- Erdogan convoque des élections anticipées
Des Chinois auraient été agressés au Printemps, ils crient au
racisme et appellent au boycott (27.04.2018)
Par Antoine
Garbay et AFP agencePublié le 27/04/2018 à 19h53
Un incident au grand magasin
Printemps à Paris, où des clients chinois auraient, selon eux, été pris à
partie, a enflammé le web chinois, poussant la marque de luxe Balenciaga à
présenter des excuses.
Scandale pour la clientèle
chinoise, qui estime être victime de racisme. Des médias officiels chinois se
sont fait l'écho d'un incident survenu au magasin Printemps à Paris, rapporté
sur la messagerie WeChat par un internaute se disant être un témoin de la
scène. D'après ce compte rendu, repris sans réelle vérification par le
quotidien étatique Global Times, une cliente chinoise qui faisait la queue
mercredi au Printemps à l'entrée d'un espace Balenciaga s'est insurgée contre
des personnes doublant la file d'attente, tandis que son fils venu à sa défense
aurait été frappé à terre. Des clients chinois qui s'indignaient de la scène
auraient alors été priés par un employé de la marque «de quitter les lieux»,
selon la même source. Des médias chinois diffusaient une copie d'écran du message
WeChat original, des photos et une vidéo censées montrer l'incident. Images
dont personne n'a pu vérifier l'authenticité...
» LIRE AUSSI - «Le
modèle chinois, c'est l‘apologie de la dictature»
Un manque de preuve qui n'empêche
pas les Chinois de réagir au quart de tour. Le sujet figurait vendredi matin
parmi les sujets les plus discutés sur le «Twitter chinois» Weibo, où il a suscité
un déluge de commentaires furieux. Il n'a pas fallu attendre bien longtemps
avant que des internautes dénoncent le «racisme» dont auraient été victimes les
clients chinois, tandis que se propageait un mot-dièse (consulté 23 millions de
fois vendredi) appelant au boycott de Balenciaga.
«Les chaussures de Balenciaga
sont belles, mais un tel épisode ouvre les yeux. #Boycott de Balenciaga qui
discrimine les Chinois», notait un internaute dans un microblog.
«Qu'est-ce qui vous donne ce sens
de supériorité? Est-ce que les Chinois ne gagnent pas assez d'argent? Vous
pouvez dire au revoir au marché chinois», fulminait un autre.
Une clientèle que les marques
de luxe ne veulent pas perdre
Face à ces réactions aussi
rapides que lapidaires, Balenciaga, marque du groupe de luxe Kering, ainsi que
le Printemps ont présenté jeudi des excuses contrites, en mandarin et en
anglais, sur leurs comptes officiels Weibo respectifs. «Balenciaga regrette
l'incident qui a eu lieu (mercredi) dans un grand magasin parisien», «s'excuse
sincèrement auprès des clients affectés et réaffirme son engagement de
respecter chaque client de façon égale», a indiqué la marque de luxe. «Nous
regrettons profondément l'altercation (...), qui est en stricte contradiction
avec l'expérience que nous nous engageons à proposer à nos clients»,
renchérissait le Printemps, offrant ses «excuses aux clients chinois impliqués»
et promettant des «formations supplémentaires» pour ses employés.
» LIRE AUSSI - Le
luxe rebondit grâce aux clients chinois
La clientèle chinoise, nombreuse
et très dépensière, est cruciale pour l'industrie française du luxe, comme pour
les grands magasins parisiens, très appréciés des touristes du géant asiatique.
La rédaction vous
conseille :
- Les investissements chinois en Europe ont reculé en 2017
- Du vin bordelais vendu sur WeChat par d'anciens acteurs
chinois
- Europe: le Parlement veut renforcer le contrôle des
investissements chinois
- Dans la peau d'un touriste chinois
Machiavel est-il machiavélique ? (26.04.2018)
RÉCIT - Un ouvrage sur la
philosophie politique du penseur italien tente de répondre à cette question.
Machiavel a
tout à la fois très bonne et très mauvaise réputation. Très bonne parce
qu'il est un penseur incontournable d'une science politique qu'il a contribué à
fonder au XVIe siècle, très mauvaise parce qu'il aurait ouvert les vannes
de l'immoralisme dans le domaine de l'idéologie.
Machiavélique, machiavélien: ces
mots parlent d'eux-mêmes et il n'est sans doute pas un hasard que son œuvre ait
servi d'alibi à Mussolini, qui s'en revendiquait ouvertement, ou à Staline, qui
l'avait lue. Pour certains, la cause est entendue: si Machiavel a pu inspirer
des chefs d'État totalitaires, c'est que sa pensée est profondément marquée du
sceau de la perversité morale et intellectuelle.
Philosophe, auteur de plusieurs
essais remarqués, Philippe Bénéton reprend cette antienne en l'étayant par une
relecture de l'œuvre qui a ses mérites. On peut lire son essai un crayon à la
main car il a pour principe de nous replonger dans de grands textes, ceux
du Prince et des Discours sur la première décade de
Tite Live, où Machiavel développe sa pensée dans le contexte agité des
guerres d'Italie et des luttes de pouvoir à Florence.
Pour Philippe
Bénéton, Machiavel est un génie de la rhétorique mais c'est
aussi un héritier des sophistes, ces philosophes dont les discours sont autant
d'artifices. Il lui reproche de légitimer la cruauté ou la violence en
politique, rompant ainsi avec la tradition classique qui, aussi bien chez
Aristote que chez Cicéron, fait du Bien commun la finalité de l'ordre
social.
S'inspirant de la célèbre lecture
du philosophe Léo Strauss, qui voit en Machiavel le créateur d'une philosophie
politique moderne qui a renoncé à l'idée de Vertu, il lui fait grief d'avoir
développé une anthropologie négative où l'homme apparaît sous un jour néfaste.
Selon Machiavel, les hommes «sont mauvais sans savoir l'être jusqu'au bout…
inconsistants, crédules, pusillanimes et malléables. La nature humaine n'est
pas faite d'une étoffe bien solide. C'est pourquoi l'action politique est en
mesure de lui donner forme», écrit Bénéton en songeant peut-être à Mussolini
qui se référait à cet aspect de la pensée de Machiavel qui justifie la violence
du Prince appelé à gouverner et donc à dominer.
Les mains sales
- Crédits photo : Cerf
On ne peut donner tout à fait
tort à l'analyse de Bénéton, qui est évidemment loin d'être nouvelle. Mais en
quoi résout-elle l'équation que nous pose, aujourd'hui encore, Machiavel? Ce
dernier ne justifie pas le mal ou la cruauté en soi, il considère que la
politique obéit à d'autres lois que la morale. Comme l'écrit Pierre Manent qui
a, lui aussi, beaucoup commenté l'œuvre du Florentin: «Machiavel ne confond pas
le Bien et le Mal. Il ne cherche pas à annuler cette distinction. Mais il
s'efforce d'encourager les hommes à se préparer à faire le Mal, à “entrer au
mal” comme il le dit, lorsque c'est nécessaire» (1).
Autrement dit, la politique
consiste aussi à se salir les mains si les circonstances l'exigent. Si l'on est
chrétien, à l'instar de Philippe Bénéton ou de Pierre Manent, cette perspective
est inacceptable. Pourtant qu'ont fait d'autre à leur manière de Gaulle et
Churchill dans des circonstances historiques qui, à leurs yeux, exigeaient
d'enfreindre la morale commune? Churchill n'a-t-il pas tressé des lauriers à
Staline sans lequel les alliés n'auraient pas pu vaincre Hitler? De Gaulle ne
s'est-il pas dédit durant la guerre d'Algérie? Lui qui, en 1959, déclarait «moi
vivant jamais le drapeau du FLN ne flottera sur Alger», n'a-t-il pas
transgressé ses engagements pour des raisons qu'il estimait supérieures?
Toute la question est là: jusqu'à
quel point certains hommes supérieurs ont-ils le droit d'enfreindre la morale
dite ordinaire? Si Machiavel reste si actuel, c'est que l'équation qu'il a
posée n'est pas aisément soluble. Ou comme le disait Péguy: «Le kantisme a
les mains pures, mais il n'a pas de main.»
(1) «Les Métamorphoses de la
cité. Essai sur la dynamique de l'Occident» (Flammarion).
«Niccolo Massimo: essai sur
l'art d'écrire de Machiavel», de Philippe Bénéton, Cerf, 395 p., 24 €.
La rédaction vous
conseille :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire