Coralie
Delaume analyse les raisons de la fracture qu'elle observe entre les «élites»,
une classe minoritaire de privilégiés, et la masse qui n'a pas accès aux études
prestigieuses ou qui n'a pas son mot à dire dans les orientations économiques
de l'Union européenne.
Coralie Delaume est essayiste,
co-auteur de La
fin de l'Union européenne(Michalon, 2017) et animatrice du site L'arène nue.
La Révolte des élites et la
trahison de la démocratie est le titre d'un livre du sociologue
américain Christopher Lasch, publié à titre posthume en 1995. Bien sûr,
l'ouvrage analysait l'Amérique de son temps. Pourtant, il s'applique
parfaitement à la France et à l'Europe d'aujourd'hui, dont il semble avoir
anticipé l'évolution des classes favorisées avec une acuité visionnaire.
Le livre pose l'hypothèse que ce
n'est plus la «révolte des masses» qui menace désormais la vie démocratique,
mais la coupure de plus en plus prononcée entre le peuple et les «élites». Une
coupure tant économique et matérielle qu'éducative et intellectuelle, dont
résulte le repli sur eux-mêmes des privilégiés. Ces derniers ne parlent plus
qu'à leurs pareils, c'est-à-dire non seulement à ceux qui bénéficient d'un même
niveau de richesses, mais également à ceux qui partagent le même niveau
d'instruction. Ils adorent mettre en scène leur pouvoir et le font de mille
façons: exhibition des signes extérieurs de richesse, bien sûr, mais également
- et de plus en plus - de leur patrimoine culturel. Le discours, ahurissant de
cuistrerie, du président Macron sur l'intelligence artificielle (29 mars 2018)
en est un exemple qui confine au grotesque. En revanche, ils n'assument plus
que de mauvaise grâce les charges et responsabilités qui devraient leur
incomber, et préfèrent le service de leur intérêt bien compris à celui d'un
«intérêt général», dont ils ne conçoivent même plus qu'il pût exister.
Vingt ans après Lasch, le
phénomène du séparatisme élitaire qu'il voyait poindre dans son pays vient de
faire l'objet, pour la France cette fois, d'une étude chiffrée. Jérôme Fourquet
a en effet publié, pour le compte de la Fondation Jean Jaurès, une note au
titre évocateur: «1985-2017, quand les classes favorisées ont fait sécession».
Il y explique notamment que la cohésion de la société française «est
mise à mal aujourd'hui par un processus presque invisible à l'œil nu, mais
néanmoins lourd de conséquences: un séparatisme social qui concerne toute une
partie de la frange supérieure de la société, les occasions de contacts et
d'interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population
étant en effet de moins en moins nombreuses».
Le dépérissement du cadre
national permet aux « élites » de vivre de plus en plus dans une sorte
d'alter-monde en suspension.
Le sondeur illustre ensuite. Il
note que le cœur des grandes villes est massivement investi par les cadres,
certains centres urbains leur tenant désormais lieu de ghettos dorés. Les CSP+
sont ainsi passés de 25 % à 46 % de la population parisienne en 30 ans,
cependant que le pourcentage des ouvriers a décru, passant de 18 % à 7 %.
Fourquet analyse ensuite la désertion de l'enseignement public et la
scolarisation massive des enfants de cadres dans le privé, le séparatisme
électoral des plus aisés ou, pour les cas extrêmes, l'exil fiscal, ce dernier
signant le refus d'une partie de la population de financer le fonctionnement la
collectivité dans son ensemble. Pour l'auteur de l'étude, nous faisons face à
l'«autonomisation d'une partie des catégories les plus favorisées, qui se
sentent de moins en moins liées par un destin commun au reste de la
collectivité nationale». On voit en effet combien le phénomène est lié au
dépérissement du cadre national, dépérissement qui permet aux «élites» de vivre
de plus en plus dans une sorte d'alter-monde en suspension, cependant que les
autres sont rivés à un ici-bas qui commence à se changer en friche, et finira
par se muer en jungle.
Jérôme Fourquet n'est pas le
premier à faire ce constat. L'anthropologue Emmanuel Todd l'a fait également,
et donne dans son dernier ouvrage (Où en sommes nous, Seuil, 2017) une
explication convaincante. Pour lui, c'est la fracture éducative qui est en
cause, le développement de l'éducation supérieure ayant eu un effet pervers
inattendu en tronçonnant le corps social en deux catégories de personnes: les
éduqués supérieurs et les autres. Alors que la massification des éducations
primaire et secondaire avait contribué à égaliser le niveau éducatif général et
favorisé l'épanouissement de la démocratie, c'est à l'inverse qu'on assiste
aujourd'hui. La raison en est simple: l'éducation supérieure ne s'est pas
(encore?) généralisée. «L'accès universel à l'instruction primaire puis
secondaire avait nourri un subconscient social égalitaire ; le plafonnement de
l'éducation supérieure a engendré, (...) un subconscient social inégalitaire»,
énonce le chercheur.
De ce «subconscient
inégalitaire», on perçoit chaque jour les effets. On constate que ne se
mélangent plus guère ces éduqués supérieurs contents d'eux, étrangement persuadés
de ne rien devoir qu'à leur talent. De toute façon, ils sont suffisamment
nombreux pour pouvoir fonctionner en circuit fermé et pour ne plus avoir à
s'adresser qu'aux autres «manipulateurs de symboles», ainsi que l'économiste
Robert Reich qualifiait les gagnants de la mondialisation, ces diplômés,
plurilingues, mobiles, à l'aise dans le domaine de la communication et qui font
l'opinion. Car ce sont eux, bien sûr, qui tiennent les plumes et parlent dans
les micros. Ils nous font partager leur manière propre d'appréhender la masse
des «gens qui ne sont rien» comme dirait Macron, autrement dit des gens qui ne
sont pas comme eux. Ils nous les peignent comme frileux, «réacs», hostiles de
façon primitive et irrationnelle aux réformes ainsi qu'à tout type changement.
Ils nous expliquent que s'ils votent «populiste», c'est parce qu'ils sont
xénophobes, et que s'ils votent mal aux référendums c'est parce qu'ils ne
comprennent pas les questions. Peut-être cette partition de la société
devrait-elle nous conduire à reconsidérer le contour des classes sociales? Si
celles-ci existent encore (et c'est évidemment le cas) la sécession des
«élites» n'est pas seulement le fait des «riches» et des propriétaires des
moyens de productions. Elle est également celui des détenteurs d'un capital
éducatif et culturel, lequel s'hérite de plus en plus d'ailleurs, sur fond de
destruction de l'école publique et de dégraissage perpétuel du «Mammouth».
Le dégraissage concerne
d'ailleurs l'ensemble de l'appareil d'État et des services publics, ceux-ci
ayant le tort de présenter des vertus égalisatrices qui entravent le
séparatisme élitaire. Pour leur régler leur compte, les pays européens membres
de l'UE ont inventé un prétexte ingénieux et unique au monde: la nécessite de
respecter les «critères de convergence» de Maastricht. Notamment celui des 3 %
de déficit public, et c'est en son nom que les gouvernements détruisent ou
vendent tout le patrimoine collectif. La France vient d'ailleurs de passer sous
la barre fatidique (2,6 % pour 2017), avant même d'avoir fini de brader la
SNCF.
La construction européenne est
un formidable outil de déresponsabilisation des « élites » nationales.
D'une manière générale, la
construction européenne est un formidable outil de déresponsabilisation des
«élites» nationales, notamment des élites politiques. Celles-ci, toutes ointes
qu'elles sont de la légitimité offerte par le suffrage universel, n'en assument
pas pour autant les vraies charges. La capacité à faire les grands choix a été
massivement transférée au niveau supranational, qui lui ne rend pas de comptes.
Les dirigeants de la Banque centrale européenne ne rendent pas de compte pour
la politique monétaire qu'ils conduisent. La Commission de Bruxelles ne risque
pas d'affronter une grève pour s'être mêlée d'un peu trop près, dans le cadre
du «Semestre européen», du contenu des budgets des États membres. La Cour de
justice de l'UE ne risque pas la sanction des citoyens (de quel État au
demeurant?) pour les jurisprudences de dérégulation économique qu'elle pond à
la chaîne. De toute façon, en «constitutionnalisant» les traités européens de
sa propre initiative via des arrêts datant des années 1960, la Cour a très tôt
permis que ces traités et tous les éléments de politique économique qu'ils
contiennent, se situent au-dessus des lois dans la hiérarchie des normes des
États-membres. C'est-à-dire hors de portée des Parlements, donc des électeurs.
La manière dont est organisée
l'UE a pour effet de décorréler les élections (qui ont lieu au niveau national)
et la prise de décision (qui se fait à l'échelon supranational), ce qui en fait
une véritable machine de défilement au service «d'élites» politiques en rupture
de ban avec leurs nations d'origines - et qui ressemblent bien plus à une
oligarchie qu'à une véritable élite désormais. Par ailleurs, l'UE offre de
multiples possibilités d'évitement fiscal grâce à ses paradis fiscaux intégrés
(Irlande, Luxembourg...). Enfin, la libre circulation du capital et du travail
dans le Marché unique contribue à mettre les deux en concurrence au profit du
plus mobile et du rapide (le capital) et au détriment du plus sédentaire (le
travail). Le tout pour la grande joie des catégories possédantes, cette fois.
Dans ce cadre, il n'est pas
étonnant qu'un politiste spécialisé sur les questions européennes tel le
Bulgare Ivan Krastev, consacre de longues pages de son dernier ouvrage (Le
destin de l'Europe, Premier Parallèle, 2017), à décrire le phénomène de
sécession des classes dirigeantes à l'échelle continentale. «Les élites
aristocratiques traditionnelles avaient des devoirs et des responsabilités, et
leur éducation les préparait à se montrer à leur hauteur», écrit-il. «En
comparaison, les nouvelles élites sont formées pour gouverner mais sont tout
sauf prêtes au sacrifice». Pas même au sacrifice financier, aurait-il pu
ajouter, en tout cas de moins en moins puisque l'optimisation fiscale est
devenue l'un des sports phares de notre époque. Puis Krastev d'ajouter: «La
nature et la convertibilité des compétences des nouvelles élites les affranchissent
très concrètement de leur propre nation. Elles ne dépendent pas des systèmes
éducatifs publics nationaux (leurs enfants étudient dans les établissements
privés) ni des systèmes de protection sociale nationaux (elles peuvent se
permettre les meilleurs établissements hospitaliers). Elles ont perdu la
capacité de partager les passions et les émotions de leur communauté».
En même temps que l'on «
dépasse » les nations et que l'on détruit l'État, c'est la démocratie qu'on
abolit.
Dès lors, la montée de ce qu'on
appelle «les populismes» correspondrait avant tout à une quête de loyauté.
D'ailleurs, le discours «souverainiste» ou anti-mondialisation desdits
«populistes» est probablement l'une des clés de leur succès. Il correspond à un
désir de plus en plus profond, de la part des peuples, de «rapatrier» leurs
classes dirigeantes, afin qu'elles ne se défilent plus. Afin qu'il redevienne
possible d'exiger qu'elles assument leurs devoirs autant qu'elles jouissent de
leurs droits, et qu'elles rendent à la collectivité une part au moins de ce
qu'elles ont reçu, c'est-à-dire beaucoup (sécurité des biens et des personnes,
système de santé, système éducatif, etc.). Enfin et concernant le personnel
politique, son «rapatriement» et le fait de refaire coïncider les mandats
nationaux avec la conduite effective des politiques, est le seul moyen de
rendre à nouveau possible l'exercice d'un contrôle démocratique normal.
Cela est-il possible? Le moins
que l'on puisse dire est que pour l'heure, on n'en prend pas le chemin. À
l'inverse et jour après jour, en même temps que l'on «dépasse» les nations et
que l'on détruit l'État, c'est la démocratie qu'on abolit.
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Elisabeth Lévy : «Les Français veulent qu'on leur parle de la France !» (08.04.2017)
Par Alexandre
Devecchio
Mis à jour le 08/04/2017 à 20h27 | Publié le 08/04/2017 à 20h24
Mis à jour le 08/04/2017 à 20h27 | Publié le 08/04/2017 à 20h24
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN -
Elisabeth Lévy a répondu à nos question à l'occasion de la sortie du dernier
numéro de Causeur consacréà l'élection présidentielle. Elle
invite les candidats à répondre à la question : «qu'est-ce qu'être Français ?».
Élisabeth Lévy est journaliste et
directrice de la rédaction de Causeur. Dans le dernier numéro Parlez-nous
de la France, les candidats à la présidentielle répondent aux questions de
la rédaction sur l'identité, la laïcité et la nation.
La dernière une de Causeur s'adresse
aux candidats à la présidentielles et s'intitule: «Parlez-nous de la France!».
Le sous-titre est: «Identité, laïcité, nation: les candidats répondent». N'en
avez-vous pas marre de parler d'identité?
Un peu, si! Mais que faut-il
faire? Feriez-vous partie de ces gens, fort nombreux, qui pensent que l'on
résout les problèmes en les taisant? Cela fait dix ans que, malgré les
sommations de ne pas en parler, la question identitaire revient sans cesse par
la fenêtre. Rappelez-vous le vacarme suscité par le débat de Nicolas Sarkozy et
Eric Besson, mais aussi par L'Identité malheureuse, le beau livre
inquiet d'Alain Finkielkraut que ses ennemis, enragés, tentèrent de faire
passer pour un brulôt crypto-lepéniste. Il y a eu aussi nombre de livres pour
expliquer qu'il n'y avait pas de problème, sinon ceux qui voyaient un problème.
On a annoncé que les années 30 étaient de retour, pas à cause de l'islamisme
mais à cause de l'islamophobie. Il est vrai que Georges Bensoussan et Pascal
Bruckner, pour citer les derniers qui ont été poursuivis - et relaxés pour
l'instant -, menacent plus la société que les futurs frères Kouachi qui
grandissent à l'ombre de notre complaisance (raison pour laquelle le Parquet a
fait appel de la relaxe de Bensoussan). Bref, il n'y a pas d'autre sujet qui
rende d'éminents éditorialistes aussi dingues, stupides et malveillants.
Oui, mais il y en a d'autres
que ça rend obsessionnels….
Si on pense que le problème
existe, il est normal d'être obsédé parce qu'il n'a pas de solution simple et
qu'il engage notre avenir. De plus, il n'est pas question seulement d'une
bataille d'idées, mais de la réalité que connaissent nombre de Français qui ne
vivent pas à l'abri d'invisibles barrières culturelles. Le choc des
civilisations s'est invité dans nos vies bien avant les attentats, lorsque nous
avons progressivement découvert qu'une fraction, certes minoritaire mais non
négligeable, de nos compatriotes musulmans détestaient notre pays et nos mœurs
qu'ils jugent dissolues ou dépravées, qu'ils refusaient, en vrac, la liberté
d'expression, la laïcité, la mixité, mais aussi les grandes œuvres de la
littérature ou de la peinture françaises. Bref, tout ce qu'on appelle une
culture. Or, à en juger par la lettre lénifiante dans laquelle le CFCM explique
à tous les candidats que tous les musulmans aiment la République, la laïcité et
la France, et leur demande en conséquence de lutter contre les discriminations
et stigmatisations (fléaux qu'il faut évidemment combattre sans relâche), les
instances supposées représentatives de l'islam de France n'ont pas pris la
mesure de la situation. Au lieu de se lancer dans une reconquête culturelle,
ils recensent les torts qui leur ont été ou qui pourraient leur être faits.
C'est peut-être une réussite de l'assimilation…Heureusement, beaucoup de
musulmans du coin de la rue sont beaucoup plus lucides que leurs représentants.
Donc, si je vous suis, la
question identitaire se résume à l'islam?
Evidemment pas! Cependant, si
elle se repose aujourd'hui à nouveaux frais, c'est bien parce que les flux
migratoires du demi-siècle écoulé ont changé le visage de la France, notamment
en y installant durablement une importante minorité musulmane. On peut
s'émerveiller de ce changement, mais il est difficile de le nier dans le même
mouvement. Aujourd'hui, le séparatisme islamiste est le ferment le plus visible
de la crise, mais il est loin d'être le seul. Ce qui est en jeu, c'est
précisément notre culture commune, ce qui fait de nous un peuple, ce qui nous
entraîne dans une même direction. On dirait que l'un de nos derniers traits
communs est notre capacité à nous plaindre. Nous sommes devenus susceptibles et
pleurnichards. Certes, les raisons de détester le présent et de craindre
l'avenir sont légion, nous les évoquons abondamment, trop, pensent certains.
Mais il y a aussi le sentiment croissant que nous ne vivons pas tous sur la
même planète. Si on superpose toutes les barrières (culturelles, religieuses,
idéologiques, économiques, géographiques, sans oublier l'orientation sexuelle
et l'allergie au gluten) qui nous séparent de nos compatriotes, on se dit que
notre société n'a jamais été aussi fracturée en communautés, chapelles et
clientèles qui se rencontrent de moins en moins. D'où l'impression d'une campagne
doublement saucissonnée: en grandes thématiques, abordées comme des têtes de
chapitre de manuels scolaires, et en morceaux de peuple que chaque candidat
s'attache à séduire et à rassurer, servant peut-être à chacun, finalement, le
seul langage qu'il peut entendre, celui de ses petits et grands malheurs. On
critique abondamment les candidats, mais la grande question qu'on leur adresse,
c'est: que vas-tu faire pour moi? Être français ne peut pas se résumer à une
plainte.
Il nous faudrait un Chateaubriand.
Et un Tocqueville.
Faut-il absolument définir ce
qu'est être français? Pourquoi ne pas se contenter de l'être?
Il me semble que le besoin de se
définir est inhérent aux collectivités humaines. Pour que vous acceptiez de
payer ma retraite, et je compte bien sur vous!, il faut que nous ayons le
sentiment d'être embarqués dans le même bateau. D'aucuns vous diront que le
bateau c'est l'espèce humaine, mais toute l'existence concrète prouve que nous
avons besoin d'autres appartenances. Cela dit, je vous concède que de
l'existence concrète, de l'être-français au ras des paquerettes, il n'en est
guère plus question. Comme disait Gombrowicz à propos de la littérature, dans
un passage du Journal que Muray adorait, cette campagne
«manque singulièrement de pantalons et de téléphones», mais aussi de paysages,
de rues, de visages, de morts, de noms. Quand ils parlent de la France, même
dans les colonnes de Causeur, les candidats ont du mal à quitter
les sommets de l'abstraction et de la proclamation pour nous faire voir,
entendre ou sentir notre pays et sa drôle d'humeur. Il nous faudrait un
Chateaubriand. Et un Tocqueville. Quoi qu'il en soit, au moment où nous nous
apprêtons à désigner celui ou celle qui sera pendant cinq ans le garant de
l'unité nationale, faisons au moins semblant de croire que ça a de l'importance
et que nous ne choisissons ni un chef de service ni l'adjoint de madame Merkel.
Tout le monde se réjouit de ce que la question identitaire n'ait pas plombé la
campagne: ainsi la proposition de Marine Le Pen d'interdire tout signe
religieux dans l'espace public n'a-t-elle pas suscité l'ombre d'un débat. Au
pays des Lumières, on élude les questions qui fâchent, et il faut en plus
applaudir parce que les délicates narines de la gauche neu-neu auront été
épargnées!
La course folle à la
compétitivité pour rattraper les Allemands, puis les Polonais, puis les
Chinois… , n'est pas un horizon enviable. Ni un programme de civilisation.
Si la question identitaire a
été relativement absente, c'est peut-être que les Français ont d'autres
préoccupations à commencer par celle de l'emploi? La question de l'identité
doit-elle vraiment être détachée de la question économique?
Nous vivons sous la coupe
terrible d'un économisme légitimé par les sondages: la première préoccupation
des Français, c'est l'emploi, etc…Peut-être. Mais cela ne devrait pas dispenser
de nous interroger sur notre avenir comme nation et sur la société dans
laquelle nous voulons vivre. Un signe devrait nous alerter: il est très peu
question de l'Ecole et toujours sous l'angle de son adaptation aux besoins de
nos entreprises. Bon sang, la langue française est en danger en France, cela
mérite mieux que des pétitions de principe! Comment voulez-vous que des enfants
deviennent de bons citoyens s'ils n'ont pas les moyens intellectuels de se
représenter le monde dans lequel ils vivent? Cela dit, vous avez raison,
l'économie et l'identitaire sont intriqués: les centres commerciaux qui
défigurent nos campagnes et vident les centres des petites villes qui
incarnaient la douceur française, sont aussi une menace contre notre identité,
de même que les usines qui quittent notre territoire pendant que nos placards
s'emplissent de produits low cost. Bien sûr, tous les candidats abordent ces
questions dans leurs discours. Mais dans les médias, l'économique et
l'identitaire sont traités sur le même mode, celui du banc d'essai. On compare
des listes de mesures baptisées projets parce c'est plus moderne que
programmes, on s'envoie des taux de cotisation et des points de PIB à la tête.
La politique n'est pas un questionnaire à choix multiple et tout cela ne dit
pas à la France périphérique ce que l'on fera pour dompter cette mondialisation
dont elle pressent qu'elle tourne très bien sans elle. Sur ce point, le
discours de Fillon apporte aussi peu de réponses que celui de Macron. La course
folle à la compétitivité pour rattraper les Allemands, puis les Polonais, puis
les Chinois… , n'est pas un horizon enviable. Ni un programme de civilisation.
Mais il a été question de tout
cela, notamment lors du débat de BFM…
Des monologues de 1 minute 30,
prononcés sous une surveillance tatillonne et entrelardés de quelques «grand
moments de télévision», comme dit Jean-Michel Aphatie quand la bassesse et la
haine peuvent s'exprimer sans fard, ne constituent pas plus un débat digne de
ce nom que les éructations d'un auteur de mauvais livres. Le SAV de BFM qui, pendant
quarante-huit heures, nous a vanté un débat «historique» et «incisif» qui avait
certainement fait basculer l'élection m'aura au moins fait bien marrer. Comme
la consœur qui, dès mercredi matin, claironnait que, «heureusement, grâce à
Philippe Poutou, on avait parlé des affaires». Contrairement à Christine Angot,
je sais que beaucoup de Français ne pensent pas comme moi mais comme cette
consoeur. Eh bien, ils confondent jeux du cirque et information.
Le succès de Macron dans les
sondages, qui est plutôt un adepte de la mondialisation heureuse, ne
démontre-t-il que Causeur s'est trompé en axant sa ligne
éditoriale sur les questions liées à l'immigration, l'intégration ou l'islam?
Il y a des gagnants dans la
mondialisation : ils ont des raisons de la trouver plutôt heureuse. Donc de
voter Macron.
Savez-vous que Causeur ne
se présente pas à l'élection présidentielle? Par ailleurs, ce n'est pas notre
ligne éditoriale qui est axée sur ces questions, c'est la réalité. Or, elles
engagent l'avenir de notre pays et on aimerait que nos gouvernants s'attèlent
au problème. Nous publions un reportage sur la situation à Bagnolet où des
salafistes ont désormais pignon sur rue. Et il y a des dizaines de Bagnolet,
donc oui, nous en parlons et nous le faisons d'autant plus que beaucoup de gens
ne veulent pas croire à la gravité de la situation. Venons-en au succès
d'Emmanuel Macron: si la France est, schématiquement, divisée en quatre
sensibilités, Emmanuel Macron incarne seulement l'une d'elles, comme Fillon au
demeurant. En tout cas, ce serait lui faire injure, ainsi qu'à ses électeurs,
d'affirmer que leur vote s'explique exclusivement par leurs intérêts, pendant
que d'autres, eux, auraient des valeurs. Ceci étant, il y a des gagnants dans
la mondialisation: ils ont des raisons de la trouver plutôt heureuse. Donc de
voter Macron. Du reste, s'ils sont gagnants ce n'est pas seulement à la
roulette de la chance et de l'origine: c'est aussi par leur talent et leur
travail…N'empêche: à Vierzon, où Daoud Boughezala a exploré un centre-ville en
voie de désertification, les bienfaits de la mondialisation sont moins
éclatants qu'à Lyon. Par ailleurs, au-delà du vote Macron, il y a en France des
partisans d'un multiculturalisme assumé. C'est une opinion légitime, mais
franchement, ils n'ont pas besoin de Causeur pour défendre
leur point de vue, ils ont toute la presse Pigasse, des Inrocks au Monde en
passant par l'Obs et Télérama. Remarquez, ils
devraient lire Causeur pour, comme le recommandait Montaigne,
«frotter leurs cervelles contre celle d'austruy». Passons.
Quelles sont les autres
raisons du succès de Macron?
Je crois que beaucoup de gens
sont sensibles à l'idée de réconciliation qu'il met en avant, à une forme d'optimisme
ou de renouveau qu'il veut incarner et aussi à cette idée qu'il fera de la
politique autrement. De la politique sans poignées de mains et mensonges,
reniements et ralliements, coups tordus et autres combines? Laissez-moi rire.
Cependant, il faut reconnaître qu'il a bravé l'interdit de l'apostasie
politique qui régnait dans son camp et obligeait tout reniement à se parer des
habits de la fidélité. Plus besoin de faire semblant d'être «de gauche». L'idée
qu'un bout de gauche pourrait s'entendre avec un bout de droite dynamite le
premier article de la foi qui affirmait que la gauche, c'est le bien.
« Christine Angot n'a pas de
câble. C'est même ce qui la définit. Rien ne l'arrête, rien ne la retient, elle
ne connaît ni hésitation ni inhibition.»
Alain Finkielkraut
Dans ce numéro, vous accusez
les médias. Ont-ils volé l'élection présidentielle en mettant le projecteur sur
les affaires?
Le spectacle de journalistes
déplorant que l'affaire Fillon les avait empêchés de parler du fond était
franchement cocasse. On tremble en imaginant les pressions qu'ils ont subies
pour noircir autant de pages et occuper autant d'heures avec ces vulgaires
histoires d'argent au détriment du fond qui les passionnait tant. Plus
sérieusement, les journalistes adorent se présenter comme des remparts de la
démocratie. Et il ne leur traverse pas l'idée qu'en piétinant les principes les
plus élémentaires de notre Etat de droit - secret de l'instruction, présomption
d'innocence et plus que tout, procès contradictoire¬ -, ce sont eux qui
contribuent à l'affaiblir, cette démocratie? Le problème n'est évidemment pas
que les médias aient parlé des affaires Fillon, mais qu'ils l'aient jugé et
condamné à l'unanimité et sans procès. Ce n'est pas pour rien que le Talmud
prescrit, en cas de condamnation à mort unanime, que l'accusé soit relâché.
Mais comme l'a martelé Christine Angot, dans L'Émission politique du
23 mars, sous le regard, ébahi ou ravi on ne sait, de David Pujadas, avec de
tels salauds on ne dialogue pas, on cogne. Et on se lève en ricanant de leurs
prétendues souffrances: pour souffrir, il faudrait qu'il ait une âme. Ce permis
de haïr, délivré par un (mauvais) écrivain de renom avec la complicité du
service public de l'audiovisuel à moins que ce ne soit l'inverse, avait de quoi
glacer les âmes les mieux trempées. Comme l'écrit Alain Finkielkraut dans Causeur,
Christine Angot n'a pas pété un câble: «Christine Angot n'a pas de câble. C'est
même ce qui la définit. Rien ne l'arrête, rien ne la retient, elle ne connaît
ni hésitation ni inhibition. Poussée par le sentiment, l'émotion, ou l'idée
fixe qui l'habitent, elle fonce tête baissée sans le moindre égard pour tout ce
qu'elle supprime et brise.» Or, avec Jean-Michel Aphatie, un bonne partie de la
profession s'est pâmée. Si c'est cela la démocratie, je ne suis pas sûre d'être
démocrate.
Mais vous admettez que la
presse devait parler des affaires…
Une écrasante majorité des
journalistes qui ont couvert cette affaire étaient sincèrement indignés et,
n'écoutant que cette indignation et rien d'autre, ils s'indignent encore quand
on suggère qu'elle n'est pas sortie par hasard et qu'on leur met sous le nez
les coïncidences troublantes qui émaillent la procédure judiciaire ou encore
les liens entre le Parquet financier, l'Elysée et certains journalistes. Secret
des sources! Soudainement, les grands investigateurs, les adeptes de la
transparence pour tous sauf pour eux ont des pudeurs de jeunes filles d'avant.
Quiconque prétend qu'il y a un cuisinier derrière cette drôle de tambouille
suscite les ricanements de ceux à qui, habituellement, on ne la fait pas.
Complotiste! Populiste! Au passage, ce vocable, déjà fort utile pour
disqualifier le populo, permettra désormais d'interdire toute question sur le
travail des juges et des journalistes. Il serait populiste, donc, de se
demander si des magistrats ont placé le candidat de la première force
d'opposition sur écoutes. Populiste, encore, de s'interroger sur la provenance
des informations de la presse ou ses méthodes d'investigation. Et c'est pour ne
pas nourrir l'hydre populiste que les trois auteurs de Bienvenue place
Beauvau ont sabordé leur livre en expliquant qu'ils n'avaient pas
écrit ce qu'ils avaient écrit, à savoir que de nombreux fils menaient des
affaires qui ont empoisonné la vie de Nicolas Sarkozy jusqu'à l'Élysée. Certes,
il n'est pas question de l'affaire Fillon qui a éclaté après l'impression de
l'ouvrage mais on voit mal pourquoi les canaux qui ont fonctionné jusque-là
auraient été soudainement fermés.
Désolée mais la réforme du
collège de Najat Vallaud-Belkacem aura fait bien plus de mal à la France que
les salaires de madame Fillon.
Cela ne traduit-il pas une
demande légitime de probité des Français? A défaut d'être efficace les
politiques sont-ils désormais obligés d'être honnête?
Arrêtons de voir l'existence en
blanc et noir et de nous croire plus vertueux que tout le monde. Arrêtons,
d'ailleurs, cet incessant et stérile concours de vertu. L'indélicatesse,
l'inconscience, la désinvolture, sont certes fort répréhensibles, mais nous nous
en rendons tous coupables à un moment où à un autre. Je crois que c'est André
Comte-Sponville qui a dit dans vos colonnes que la morale, c'est ce qu'on
s'applique d'abord à soi-même. Mes confrères devraient méditer cette belle
idée. De plus, même en morale, il y a des degrés, des manquements plus ou moins
graves et je le répète au risque d'énerver nombre de lecteurs: ceux que l'on
reproche à Fillon ne m'empêchent pas de dormir. Ce qui me parait bien plus
détestable, et qui d'ailleurs constitue une forme chimiquement pure de
populisme, c'est d'entretenir le ressentiment des gens en leur répétant toute
la journée: vous êtes dans la mouise? C'est à cause des ces salauds - ou plutôt
de ce salaud - qui s'en mettent plein les poches pendant que vous trimez. Désolée
mais la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem aura fait bien plus de mal
à la France que les salaires de madame Fillon.
Reconnaissez que Fillon a
commis une erreur en prenant une posture morale …
Une bourde magistrale doublée
d'une faute à l'égard de Nicolas Sarkozy. Est-ce pendable? C'est aux électeurs
de le dire, pas aux journalistes, ni aux juges!
Jean-Luc Mélenchon a une
relation avec l'histoire de France... Pour tout vous dire, quand j'entends ces
discours, j'ai envie d'être de gauche
Que pensez-vous de la campagne
de Jean-Luc Mélenchon, qui évoque la nation et même «la patrie» sans pour
autant cliver sur les questions d'islam et d'immigration …
Evidemment, puisqu'il n'en parle
pas, sinon pour dénoncer l'islamophobie et les méchants populistes! Cela dit,
Jean-Luc Mélenchon a une relation avec l'histoire de France, avec une histoire
certes un peu hémiplégique, mais qui reste charnelle. Pour tout vous dire,
quand j'entends ces discours, j'ai envie d'être de gauche et de rejoindre, moi
aussi, le camp des insoumis. Mais je me rappelle le slogan qu'il affectionnait
hier: qu'ils en aillent tous! Je n'aime pas ce dégagisme revendiqué et par
ailleurs, sur les questions identitaires, je crains que le discours républicain
soit l'emballage de l'abandon. Après le ralliement de Valls à Macron, la gauche
républicaine, que Le Point avait baptisée la gauche
Finkielkraut, n'existe plus. C'est bien regrettable.
Pour ce numéro, vous avez
interrogé quatre des principaux candidats à l'élection présidentielle? Qu'en
retenez-vous? Quelles ont les différentes visions qui s'affrontent dans cette
élection?
D'abord, nous en avons interrogé
six, mais Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ne nous ont pas répondu. Nous
publions donc les réponses de Nicolas Dupont-Aignan, François Fillon, Marine Le
Pen et Emmanuel Macron. Et, sauf pour le premier, ce sont des entretiens
réalisés par écrit ce qui interdit d'asticoter l'interlocuteur et de pointer
ses contradictions, les lecteurs les pointeront. Bien sûr, chacun tente de
rassurer le lecteur/électeur sur ses points faibles: le terranovisme pour
Macron, la mondialisation pour Fillon et l'autoritarisme pour Le Pen. C'est de
bonne guerre. Ce qui m'a frappée, ce ne sont pas les différences mais les
convergences: tous parlent de la fierté d'être français, qu'il faut retrouver,
de la langue française qu'il faut défendre, et même Emmanuel Macron, qui a
répondu personnellement, ce dont je le remercie, «fait du Causeur» en
proclamant que «la France n'est pas et ne sera jamais une nation
multicuturelle». Fort bien mais alors pourquoi diable est-il allé, à Marseille,
draguer les communautés? Alors ne mentons pas: on reste sur sa faim. Mais au moins
nous avons pris date et nous aurons des engagements à leur opposer.
Vous notez que tous en
appellent à la fierté nationale … Est-ce le signe, malgré tout, d'un
basculement idéologique?
Je crois plutôt qu'il n'y a
jamais eu de basculement dans l'autre sens et qu'une majorité de Français de
toutes origines et opinions n'ont jamais cessé d'être fiers de leur pays en
dépit du fait qu'une partie de ses élites se plait à le dénigrer et à énumérer
sans cesse la litanie de ses crimes. Alors, on peut tirer deux conclusions de
cette campagne très tricolore. Soit ceux qui aspirent à nous gouverner ont pris
bonne note de cette aspiration à rester un peuple, de notre besoin de
continuité historique et ils veulent essayer d'y répondre, auquel cas Marine Le
Pen a du souci à se faire ; soit ils font semblant, et nous jouent l'air qu'on
veut entendre le temps des festivités électorales. En ce cas, même si on est
bon public et même bonnes poires, le «bluff républicain», comme disait le
regretté Philippe Cohen, finira par ne plus marcher. Et le vote, c'est encore
pire que les manifs étudiantes. Une fois que le coup est parti, il n'y a
vraiment pas moyen de remettre le dentifrice dans le tube!
Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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politique
Jean Pierre Le Goff : «L'impuissance politique est enrobée dans les bons sentiments» (25.03.2016)
Mis à jour le 29/03/2016 à 13h12 | Publié le 25/03/2016 à 20h39
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN -
Terrorisme, révolte dans la jeunesse, campagne antiraciste absurde, Europe
impuissante, le titre du dernier livre de Jean-Pierre Le Goff, Malaise
dans la démocratie, est plus que jamais approprié à la situation actuelle.
Le sociologue et philosophe fait le point pour FigaroVox.
Jean-Pierre Le Goff est un
philosophe, écrivain et sociologue français. Son dernier livre Malaise dans la démocratie vient de paraître
chez Stock
LE FIGARO. - Remaniement
ministériel digne d'une farce, débat sur la loi travail qui contredit
totalement le programme du candidat Hollande en 2012, négociations avec la
Turquie sur la crise des migrants: le titre de votre livre, Malaise
dans la démocratie, n'a jamais semblé aussi approprié ….
Jean-Pierre LE GOFF. - De
quelque côté que l'on se tourne, c'est l'impression de confusion et de
délitement qui domine avec le sentiment d'impuissance des États à s'attaquer
aux causes des maux dont ils déplorent les effets. On réagit au plus vite pour
essayer tant bien que mal de gérer des problèmes qui s'emballent: lutte contre
le terrorisme, flux de migrants, Union européenne à la dérive, chiffres du
chômage…, tout en ayant en vue des échéances électorales qui se rapprochent à
grands pas.
Chaque jour nous confronte à la
vision d'un pays désorienté, d'une Union européenne à la dérive et d'un monde
livré au chaos. Les images du flot de réfugiés et de migrants bloqués aux
frontières criant leur colère renforcent l'angoisse des peuples européens: pour
ces migrants l'Europe est une terre promise quoiqu'il en soit du chômage, des
différences de culture et des mœurs ; réfugiés politiques et migrants
économiques se mélangent dans la plus grande confusion, sans parler des
terroristes islamistes qui peuvent profiter de l'occasion. Les grands discours
généraux sur la lutte contre la xénophobie, l'islamophobie, le racisme…, les
leçons de morale données aux peuples européens qui craignent de voir à terme
leur pays et leur culture s'en aller à vau l'eau n'y changeront rien. L'accord
passé avec la Turquie d'Erdogan restera dans les annales comme un marchandage
déshonorant impliquant des milliards d'euros, la possible dispense de visas
d'entrée en Europe pour les citoyens turcs, la reprise des promesses de
l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne… pour des mesures dont la mise
en œuvre et l'efficacité restent largement aléatoires. Face à l'urgence,
dira-t-on, il ne convient pas de faire la fine bouche, l'Union européenne fait
ce qu'elle peut en essayant de gérer tant bien que mal une situation qui paraît
devenue immaîtrisable. Il n'empêche: l'irresponsabilité et les revirements de
la chancelière allemande, les déclarations hautaines et méprisantes d'Erdogan
envers l'Europe, son rapport pour le moins ambigu aux islamistes, sa répression
contre les kurdes et les opposants… sont autant de réalités que tous les
discours embarrassés des responsables de l'Union européenne ne peuvent effacer.
En octobre 2015 au Zénith à Strasbourg, les partisans d'Erdogan vivant en
Europe, hommes et femmes séparés, après une prière collective menée par un iman
venu de Turquie, ont écouté et applaudi à tout rompre son discours guerrier
contres ses opposants et ses propos méprisant sur l'Europe dénoncée et huée par
la salle parce qu'elle prétendrait donner des leçons. L'Europe serait affectée
par la xénophobie, l'islamophobie et le racisme, tandis que la Turquie serait
le «défenseur de la vraie civilisation». De tels propos tenus en France et sur
le sol européen auraient provoqué l'indignation et la réprimande en d'autres
temps. Comment ne pas se sentir humilié et continuer de croire à l'Europe quand
la France et les autres pays européens ont largement fait silence face à de tels
propos?
La présidence de François
Hollande représente le summum du pouvoir incohérent et informe qui ne date pas
d'aujourd'hui.
La politique intérieure
française ne semble pas plus sortie de ce que vous appelez la «démocratie de
l'informe»…
La présidence de François
Hollande représente le summum du pouvoir incohérent et informe qui ne date pas
d'aujourd'hui. La façon dont on prépare et multiplie les lois, dont on avance
et on recule au gré des pressions des uns et des autres, pour aboutir à des
«synthèses» alambiquées qui finissent par mécontenter tout le monde constitue
une sorte de modèle-type d'une «gouvernance» post-moderne qui navigue à courte
vue au gré des évolutions, des événements et des groupes de pression. . La
concertation, la démocratie participative, la recherche d'un compromis
acceptable… ont bon dos pour masquer l'absence de tout projet clair et
cohérent. La loi El Khomri qui a, entre autres, pour objectif de faciliter la
négociation a comme caractéristique paradoxale d'avoir été préparée sans
consultation avec les organisations syndicales, avec menace plus ou moins
claire d'utiliser le 49-3, avant de revenir en arrière, pour aboutir à une
«simplification» du code du travail qui risque d'être des plus complexes… Au
bout du compte, tout le monde est mécontent ou insatisfait, sauf le
gouvernement. Quant au projet sur la destitution de la nationalité et la
réforme de la Constitution, sa nécessité et son utilité ne vont nullement de
soi au regard de textes de loi déjà existants et à la mentalité djihadiste qui
se fiche pas mal de se savoir français ou non. N'importe comment, on ne voit
pas comment elle pourrait aboutir. L'opinion finit par ne plus comprendre au
juste de quoi il est question et pourquoi on a consacré tant de temps, de
débats et de polémiques pour aboutir à retirer les projets en question ou à de
piètres résultats. D'où l'impression justifiée d'une politique qui fait
beaucoup de bruit pour pas grand chose («Tout ça pour ça!) et dont le rapport
avec la réalité du pays et les préoccupations des citoyens ordinaires est de
plus problématique.
En même temps, on continue la
communication personnalisée, en essayant tant bien que mal de revaloriser son
image dans un souci électoraliste dont les enjeux donnent une certaine idée de
l'état de la politique: qui donc sera présent au second tour des élections
présidentielles face à la candidate du Front national? Vaste débat de
prospective chez les spécialistes, proportionnel à l'état de désorientation et
de désespérance d'un pays qui ne sait plus qui il est et où il va.
Le «président normal» s'efforce
d'incarner la fonction présidentielle dans une situation qui semble devenue
immaîtrisable, tout en se livrant à quelques selfies lors de ses déplacements
et des confidences dans des journaux branchés. Le citoyen ordinaire pourra
ainsi connaître en lisant le magazine Elle quelques
informations sur la famille du président, sur sa vie avec Ségolène Royal où il
faisait les courses ou la cuisine, s'occupait de enfants, tout en regrettant de
n'en avoir pas fait davantage… De tels propos suffiront-ils à rassurer les
français sur les compétences du Président à diriger le pays? Les féministes
toujours avides d'autocritique publique dans les médias, peuvent-elles se
contenter de tels propos? Dans tous les cas, dans la perspective de l'échéance
serrée qui s'annonce, il n'y a pas de petits profits électoraux. Comment dans
ces conditions, ne pas désespérer de la politique?
Une police de la pensée et de
la parole a accusé systématiquement nombre d'intellectuels et de journalistes
d'« islamophobie »
Après la France, c'est le
Belgique qui a été touchée par le terrorisme. Cela traduit-il une extrême
faiblesse des Etats européens…
Oui, mais la lutte contre le
terrorisme islamiste radical n'est pas une mince affaire qu'on peut régler
rapidement, d'autant plus que depuis des années on a dénié ou sous-estimé
l'influence de l'islamisme radical, les prêches haineux dans les mosquées, le
nombre de départs pour le djihad… par peur de discriminer nos compatriotes de
confession musulmane, en même temps on n'a pas voulu froisser nos liens avec
les pays arabes qui prônent le salafisme et avec qui on entretient des liens
commerciaux. Pour avoir la paix dans certains territoires abandonnés de la
République, on a laissé se développer le communautarisme islamiste avec ses
discriminations et ses pressions vis-à-vis des femmes, ses dénonciations des
républicains laïcs, des «traîtres» et des «collabeurs»… Au nom de la lutte
contre l'islamophobie, tout un courant intellectuel gauchisant a pris le relais
accusant la République, la laïcité et notre propre histoire de tous les maux,
renforçant le sentiment victimaire et le ressentiment existant chez une partie
de nos compatriotes musulmans. Une police de la pensée et de la parole a accusé
systématiquement nombre d'intellectuels et de journalistes d'«islamophobie»,
faisant pression et rendant plus difficile toute critique, toute réflexion et
débat sur l'islam et son adaptation difficile à la civilisation européenne,
réflexion et débat indispensables à son intégration. Dans ce domaine comme dans
beaucoup d'autres, on paie une politique de l'autruche qui ne date pas
d'aujourd'hui alliée à une mentalité angélique et pacifique qui dénie le choc
des cultures et des civilisations, et ne veut pas avoir d'ennemis. Malgré tous
les efforts des bien-pensants pour dénier ou sous-estimer ces problèmes, il est
plus difficile aujourd'hui de «remettre le couvercle» sur ces questions comme
on l'a fait depuis des années.
C'est une mentalité nouvelle
qui a vu le jour pour qui la démocratie est devenue synonyme de relativisme
culturel, la nation de xénophobie et de racisme, l'Europe et l'Occident étant
eux-mêmes considérés, peu ou prou, comme les responsables de tous les maux de
l'humanité.
Comment peut-on sortir d'une
telle situation?
On ne s'en sortira pas avec le
rappel de valeurs générales et généreuses et de bons sentiments, mais tout
d'abord, comme cela a déjà été dit, par des moyens de police et militaires qui
doivent frapper comme il se doit les ennemis qui veulent nous détruire. C'est
la crédibilté de l'État détenteur de la violence légitime et assurant la
sécurité des citoyens qui est en question. On a compris (tardivement) qu'on ne
pouvait traiter le Ministère de la défense comme les autres en le soumettant à
des restrictions budgétaires drastiques, même si on peut estimer qu'on est loin
du compte pour faire face aux menaces dans un monde des plus chaotiques. Mais
pour que l'État puisse effectivement jouer son rôle, il faut qu'existe en même
temps une opinion publique qui le soutienne fermement dans la répression
nécessaire dans le cadre de l'État de droit. Les demandes d'engagement dans
l'armée et la police de la part des jeunes générations traduisent de ce point
de vue une nouvelle dynamique qui rompt clairement avec la dépréciation dont
ces deux institutions ont fait l'objet depuis près d'un demi-siècle.
Mais dans la jeunesse comme dans
d'autres catégories de la population, existent des fractures sociales et
culturelles symptomatiques des difficultés à affronter le terrorisme islamique
et la guerre. Je suis frappé de ce point de vue par des similitudes existant
entre les réactions aux attentats islamistes à Bruxelles et à Paris. Dans les
deux cas, les attentats ont produit des effets de sidération et donné lieu à un
même type d'expression publique de l'émotion et de la douleur: on allume des
bougies, on se tient par la main, on dessine des cœurs, on chante la chanson
Imagine de John Lenon célébrant la paix et la fraternité universelle alors que
viennent d'être commis des massacres de masse. Ces réactions émotionnelles
expriment une sorte de catharsis nécessaire face au terrorisme et à la
barbarie, l'indignation et la douleur d'un peuple qui pleure ses morts et
proclame son refus du terrorisme. En même temps, l'unité et la solidarité ne
peuvent seulement s'exprimer dans l'émotion et à la douleur partagées. Si nous
voulons faire face et combattre efficacement nos ennemis, il s'agit de
comprendre comment de tels actes ont été rendus possibles et le fanatisme
islamiste qui leur est inhérent En d'autres termes, le terrorisme et
l'islamisme radical n'ont pas surgi de nulle part et force est de reconnaître
que ceux qui commettent ces actes barbares sont des citoyens des pays
européens. Voilà ce qui est peut-être le plus difficile à admettre parce que
cette question nous renvoie aux faiblesses internes des démocraties
européennes, au refus d'affronter des réalités dérangeantes en essayant tant
bien que mal de les masquer, comme pour mieux se rassurer en se croyant à
l'abri des désordres du monde.
Manuel Valls vient d'appeler
clairement les pays de l'Union européenne à en finir avec l'angélisme. Il est
temps. Mais encore s'agit-il en même temps de comprendre pourquoi et comment un
tel déni des réalités et un tel angélisme ont pu se développer depuis des
années. Comme je le souligne dans mon livre, cela pose le problème du
bouleversement du terreau éducatif et sociétal des démocraties européennes,
bouleversement qui a abouti à la dépréciation de leur propre histoire et à la
mésestime d'elles-mêmes, au profit d'un multiculturalisme invertébré et
sentimental qui a le plus grand mal à reconnaître qu'existe une pluralité des
peuples et des civilisations. C'est une mentalité nouvelle qui a vu le jour
pour qui la démocratie est devenue synonyme de relativisme culturel, la nation
de xénophobie et de racisme, l'Europe et l'Occident étant eux-mêmes considérés,
peu ou prou, comme les responsables de tous les maux de l'humanité. Les
guerres, les totalitarismes et la shoah, le colonialisme… se sont trouvés
intégrés dans un récit de plus en plus dépréciatif de notre histoire et la
critique salutaire de l'ethocentrisme européen a versé dans un règlement de
compte qui n'en finit pas. En contrepoint, les autres peuples du monde peuvent
être considérés comme porteurs de vertus qui nous font défaut. La façon dont
aujourd'hui on considère les «peuples premiers» comme des écologistes avant
l'heure, voire porteurs de spiritualités indispensables à notre bien-être, est
particulièrement révélatrice du grand retournement qui s'est opéré dans notre
rapport aux autres peuples du monde.
C'est précisément cette nouvelle
mentalité qui s'est trouvée percutée et désarçonnée par le terrorisme
islamique, sans pour autant être en mesure de comprendre ce qui est arrivé,
parce que cette mentalité s'est formée dans une époque où la France et les
sociétés démocratiques européennes se sont déconnectées de l'histoire et du
tragique qui lui est inhérent.
On a l'impression à chaque
fois de toucher le fond, avant que de nouveaux faits délétères enfoncent un peu
plus le pays dans la spirale du délitement et de la mésestime de soi.
«Tout ce qui était n'est
plus, tout ce qui sera n'est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de
nos maux.», écrit Musset en 1836. En 2016, on a également le sentiment
d'assister à la fin d'un monde…
Nous vivons la fin d'un cycle
historique où nombre de schémas de pensée et de façon de faire de la politique
se décomposent à grande vitesse avec le sentiment partagé par beaucoup que
cette période de décomposition n'en finit pas de finir. C'est toute une façon
de faire de la politique au gré des évolutions, sans stratégie et sans vision,
dans une logique de réactivité et d'adaptation à courte vue qui est en
question. Le déni du réel, la réactivité et la fuite en avant s'accompagnent
d'un discours victimaire et compassionnel qui enrobe l'impuissance politique
dans des valeurs généreuses et des bons sentiments, en essayant de cette
manière compassée et compassionnelle d'incarner l'unité d'un pays désorienté et
morcelé. La réactivité et la compassion dominent sur fond d'impuissance de
proclamation insipide des grands principes, de coups de menton, d'indignation
surjouée et de petits calculs électoraux. Au vu de tout cela, les citoyens
ordinaires ont des raisons de ne plus croire à la capacité du politique à agir
sur le réel et redonner confiance dans l'avenir. Face à un État incohérent qui
navigue à vue, dit une chose et son contraire, avance et recule au gré des
groupes de pression et des clientèles électorales, les citoyens désorientés
perdent confiance dans la politique, se replient sur leurs réseaux et leurs
communautés d'appartenance dans une logique de repli sécuritaire et de défenses
de leurs propres intérêts catégoriels.
Dans le même temps, affaires,
scandales, discours incohérents, démagogie et reculades, dénonciations en tout
genre s'affichent dans les médias et les réseaux sociaux… Le lynchage
médiatique dans les réseaux sociaux est devenu un sport national, le coupable
est dénoncé et jugé avant même l'instruction, laquelle peut désormais se
dérouler à livre ouvert dans les journaux. Sous les oripeaux de la «démocratie
participative» et de la transparence, la mentalité «sans culotte» a gagné du
terrain. Il ne sert à rien de dénoncer l'extrême droite et le «populisme» tant
qu'on continuera de dénier les réalités délétères qu'ils savent exploiter à
leur manière. On a l'impression à chaque fois de toucher le fond, avant que de
nouveaux faits délétères enfoncent un peu plus le pays dans la spirale du
délitement et de la mésestime de soi. Ce n'est pas seulement une question de
«popularité» mesurée à l'aide de multiples sondages qui est en question. C'est
le lien de confiance avec l'État et une bonne partie des élites qui est rompu
entraînant la méfiance et la suspicion dans une optique victimaire empreinte de
ressentiment.
On assiste bien à la fin d'un
monde avec des risques de conflits ethniques et de violences, une accentuation
du chaos. Dans ces conditions, l'appel à l'optimisme, à la «mondialisation
heureuse» a des accents de méthode Coué tant que ne sont pas clairement
reconnues la gravité de la situation et les impasses auxquelles ont conduit une
politique de l'autruche et de la fuite en avant qui n'appartient pas
spécifiquement à un camp. Les politiques ne peuvent évacuer la question de la
part de responsabilité qui leur incombe dans cette période critique de
l'histoire que nous traversons. C'est l'une des conditions pour regagner la
confiance du pays et des peuples européens et entamer une reconstruction qui
tire les leçons d'une période dont on pourra dire qu'elle est vraiment terminée
quand une nouvelle dynamique politique et historique verra le jour. Sans tout
attendre du politique, les échéances présidentielles peuvent en être
l'occasion, si les politiques parviennent à mettre fin à leur lutte intestine
et leur bataille d'ego pour répondre aux exigences qu'implique l'état du pays
et du monde. Les citoyens jugeront sur pièces.
Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Jacques Sapir : «L'Europe fédérale est une illusion propagée par des élites retranchées à Bruxelles» (29.01.2016)
Mis à jour le 31/01/2016 à 09h53 | Publié le 29/01/2016 à 12h46
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN
- Dans Souveraineté, démocratie, laïcité, l'économiste
Jacques Sapir estime que les positions du Front national rejoignent sur
certains points celles de la gauche radicale. Pour FigaroVox, il en précise
aussi les divergences fondamentales.
Jacques Sapir dirige le groupe
de recherche Irses à la FMSH, et coorganise avec l'Institut de prévision de
l'économie nationale (IPEN-ASR) le séminaire franco-russe sur les problèmes
financiers et monétaires du développement de la Russie. Vous pouvez lire ses
chroniques sur son blog RussEurope.
Son livre Souveraineté,
démocratie, laïcité vient de paraître chez Michalon.
LE FIGARO-. En août dernier,
dans un entretien au FigaroVox,
vous appeliez à la constitution d'un Front de libération nationale allant du
Front de gauche au FN. Cela avait déclenché une tempête médiatique. Cinq mois
plus tard vous persistez à travers votre dernier livreSouveraineté,
Démocratie, Laïcité …
Jacques SAPIR-. Il ne
s'agit pas de «persister» mais de faire une analyse de la situation. Et
celle-ci n'a pas changé depuis août 2015. Elle a même, en un sens, empiré.
L'idée d'un Front de Libération Nationale qui permette aux Français, mais aussi
aux Italiens ou aux Espagnols ou aux Grecs de se libérer de l'Union européenne
reste le cadre de réflexion prioritaire. D'ailleurs Pablo Iglésias, le
dirigeant de PODEMOS, lors du discours qu'il a prononcé comme candidat du
groupe de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) à la présidence du Parlement
européen le 30 juin 2014, a utilisé ces termes: «La démocratie, en Europe, a
été victime d'une dérive autoritaire, (…) nos pays sont devenus des
quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n'a élus
sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale
et politique de nos sociétés». Voilà qui justifie pleinement l'idée de
Fronts de Libération Nationale. Maintenant, il faut rappeler que cette idée
n'est pas de moi, mais de Stefano Fassina.
Par ailleurs vous dites «allant
du Front de gauche au FN» et vous oubliez que j'y avais mis des conditions,
ne serait-ce que par les mots «à terme» et l'emploi du conditionnel. Et, sur ce
point non plus, rien n'a changé. Le Front national n'a toujours pas évolué sur
des points qui me semblent essentiels, comme la division du salariat (qui en
période de crise et de chômage de masse aura des conséquences désastreuses tant
pour les travailleurs français que pour les étrangers) qu'implique la «préférence
nationale» dans les emplois du secteur marchand, ou sur son rapport à la
laïcité et à l'Islam. La balle est donc dans son camp. On a même vu apparaître,
chez certains de ses dirigeants, de nouveaux thèmes qui posent problème, comme
les positions de Mme Marion Maréchal-Le Pen sur l'avortement. Une clarification
sur l'ensemble de ces points est nécessaire.
En fait, les positions de type
« identitaires » que certains défendent sont quant à elles parfaitement
cohérentes avec une certaine vision de l'Union européenne et de l'euro.
D'ailleurs, si vous lisez le
livre que je viens de publier, vous verrez très clairement quels sont les
points qui me semblent faire partage entre divers discours, que ce soit sur la
laïcité ou que ce soit sur ce qui constitue le peuple français. Eric Zemmour ne
s'y est pas trompé d'ailleurs, il
a réagi vivement sur certains points de ce livre. Si la question de la
souveraineté est essentielle, et cela je l'ai affirmé depuis des années, cette
question implique d'avoir une pensée claire sur ce qui constitue le peuple et
sur les conditions politiques de son unité. En fait, les positions de type «identitaires»
que certains défendent sont - quant à elles - parfaitement cohérentes avec une
certaine vision de l'Union européenne et de l'euro. En un sens, elles
constituent même LA cohérence profonde de l'attachement politique à la monnaie
unique à travers la construction de ce mythe d'un «peuple européen» que l'on ne
peut définir hors de toute historicisation et de toute politique que comme
«blanc» et comme «chrétien». En réalité, la critique que j'articule depuis des
années contre l'euro et contre les dérives anti-démocratiques de l'Union
européenne est aussi une critique contre les fondements identitaires de ces
institutions. En effet, soit l'euro et l'UE sont des constructions sans
discours idéologique, et on sait que sur le plan purement technique ces
constructions ne résistent pas à la critique, soit elles doivent se doter d'une
traduction idéologique, et la seule qui leur corresponde est le discours
identitaire.
Les résultats des régionales
vous donnent-ils raison? Comment les analysez-vous?
Les élections régionales ont
montré que le Front national continuait ses progrès, que le Parti dit
socialiste continuait de baisser et que ceux qui se font appeler «Les
Républicains» avaient du mal à convaincre. Mais, en même temps, ces élections
ont confirmé que le Front national faisait peur moins en raison de son
programme que de ce que l'on suppose de son programme, et qu'un certain type de
discours, justement ce discours «identitaire», choquait profondément les
français qui sont viscéralement attachés à une conception politique du peuple
et de la Nation. C'est d'ailleurs l'une des idées centrales de mon dernier
livre. Et je la relie à l'importance de la notion de souveraineté.
Il est vrai qu'aujourd'hui il
y a une tendance spontanée dans les sociétés occidentales à abolir la frontière
entre sphère privée et vie publique.
Comprendre l'importance de cette
notion, ce que j'argumente dans Souveraineté, Démocratie, Laïcité,
implique de comprendre que le peuple est une construction à la fois historique
ET politique. Ce n'est pas par hasard que Jean Bodin, l'un des grands
théoriciens de la souveraineté, fut aussi l'auteur de l'Heptaplomeres qui
est le livre fondateur de la tradition de la laïcité française. Quand il écrit,
lui le fervent catholique, qu'il «n'est pas nécessaire que le roi soit
catholique même s'il est souhaitable qu'il le soit» il nous dit, dans le
même mouvement à la fois quelle est son opinion privée (de catholique) et
quelle est son opinion de grand serviteur de l'État. Ceci est un point
fondamental. C'est celui de la distinction entre le monde des valeurs qui ne
relève que de la conscience individuelle et celui des principes qui sont des
règles partagées avec autrui et sur lesquels se fondent les relations
politiques qui constituent les bases des sociétés. L'un des points centraux de
mon livre est que, justement, cette distinction - que recouvre celle entre
sphère privée et vie publique - est fondamentale pour l'existence de la
démocratie. Il est vrai qu'aujourd'hui il y a une tendance spontanée dans les
sociétés occidentales à abolir la frontière entre sphère privée et vie
publique. Cette tendance se manifeste d'ailleurs par l'envahissement de la vie
publique par la sphère privée à travers, entre autres exemples, la mode des
selfies. Mais, il est important de dire - ce que je fais dans mon livre - le
caractère profondément mortifère pour la , mais aussi pour la société, de cet
envahissement, de dire que la confusion qui en résulte entre les valeurs et les
principes présage de le fin des institutions politiques fondamentales
auxquelles tout citoyen d'un pays libre se doit d'être attaché, et de lutter
pour l'existence d'une distinction claire entre la sphère privée et la vie
publique.
Vous dénoncez les propositions
du FN qui seraient, selon vous, liées à un prisme religieux. Les liens d'une
partie de l'extrême gauche et même de la gauche avec des mouvements
antirépublicains et/ou liés à l'islam radical, comme le révèle encore la
récente polémique sur l'Observatoire de la laïcité, ne sont-ils pas plus inquiétants
que la volonté de Marion Le Pen de lutter contre la banalisation de
l'avortement?
Ces phénomènes ne s'opposent pas
mais sont convergents. Il convient de les dénoncer d'une égale manière. D'une
part nous avons le discours que tient Mme Marion Le Pen et qui constitue
l'exemple type de confusion entre les valeurs et les principes. Nous avons
aussi les propos de M. David Rachline, élu du Front national, qui s'oppose à la
construction de mosquées. C'est une attitude stupide. Autant l'État doit se
préoccuper des conditions de financement par l'étranger des mosquées, des
discours tenus par les prédicateurs quand ils mettent en cause la paix civile,
autant le droit pour des croyants de construire des lieux de culte ne saurait
être remis en cause. L'attitude de Monsieur Rachline est stupide car
l'interdiction de construction des mosquées aboutira à la naissance d'un «islam
des caves» entièrement livré au fanatisme de prédicateurs sectaires.
Mais, d'autre part, nous avons
aussi un discours «de gauche» sur l'islamophobie, qui est tout aussi
condamnable, et tout aussi stupide. A vouloir en effet combattre une soi-disant
«islamophobie» on peut aussi préparer le terrain à une mise hors débat de
l'Islam et des autres religions. Et là, c'est une erreur grave, dont les conséquences
pourraient être terribles. Elle signe une capitulation intellectuelle en rase
campagne par rapport à nos principes fondateurs. C'est ce que j'écris dans mon
livre Souveraineté, Démocratie, Laïcité. Non que l'Islam soit pire ou meilleur
qu'une autre religion. Mais il faut ici affirmer que toute religion relève du
monde des idées et des représentations. C'est, au sens premier du terme, une
idéologie. A ce titre, toute religion est critiquable et doit pouvoir être
soumise à la critique et à l'interprétation. Cette interprétation, de plus, n'a
pas à être limitée aux seuls croyants. Le droit de dire du mal (ou du bien) du
Coran comme de la Bible, de la Thora comme des Evangiles, est un droit
inaliénable sans lequel il ne saurait y avoir de libre débat. Un croyant doit
accepter de voir sa foi soumise à la critique s'il veut vivre au sein d'un
peuple libre et s'il veut que ce peuple libre l'accepte en son sein. Ce qui est
par contre scandaleux, et ceci doit être justement réprimé par des lois, c'est
de réduire un être humain à sa religion. C'est ce à quoi s'emploient cependant
les fanatiques de tout bord et c'est cela qui nous sépare radicalement de leur
mode de pensée. Il est effectivement tragique de des gens se prétendant «de
gauche» donnent ici la main au fanatisme. Il est triste de voir une partie de
la «gauche» suivre en réalité les fondamentalistes religieux sur le chemin de
la réduction d'un homme à ses croyances.
Marc Bloch écrivait dans
l'Etrange défaite: «Il est deux catégories de Français qui ne comprendront
jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre
de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération».
Vous vous montrer sceptique quant aux «racines chrétiennes de l'Europe». Ne
peut-on pas être parfaitement laïque et même adhérer à la mystique républicaine
tout en reconnaissant que la France n'est pas née en 1789?
Ce que je récuse c'est la
réduction des « racines européennes » aux seules racines chrétiennes.
Ces racines existent, mais elles
ne sont pas les seules. Ce que je récuse c'est la réduction des «racines
européennes» aux seules racines chrétiennes. Bien entendu, la France ne date
pas de 1789. De même, l'idée d'un «bien commun» est antérieure à la Révolution
française. Dans mon livre, je retrace la généalogie de ces notions, je montre
ce qu'elles doivent au pouvoir royal, à des mythes fondateur comme celui de
Jeanne d'Arc, à des penseurs chrétiens, comme Tertullien et Augustin, mais
aussi ce qu'elles doivent au monde grec et au monde romain. Les apports du
christianisme ont été importants, que l'on pense au nominalisme, mais ils n'ont
pas été les seuls. La volonté de réduire l'histoire des notions et leur
généalogie aux seuls apports chrétiens mutile et défigure ces notions.
Beaucoup de militants de la
Manif pour tous ont manifesté contre la loi Taubira, non pas seulement pour des
raisons religieuses, mais parce que celle-ci ouvrait la voie à la
marchandisation de la vie et du corps faisant tomber une ultime frontière.
Auriez-vous pu vous retrouver dans ce combat qui apparaît finalement assez
antilibéral?
J'ai toujours fait une
distinction nette entre les droits civiles (comme ceux qu'entraînent le
mariage) et la question de la marchandisation du corps qui est implicite dans
la question de la Gestion pour Autrui (GPA). La GPA ouvre une brèche importante
dans le principe de non-marchandisation du corps, et c'est pourquoi je la
refuse, que ce soit pour des couples homosexuels ou hétérosexuels. Par contre,
la généralisation du mariage aboutit à considérer que nous avons tous, et ce
quelle que soit notre «orientation sexuelle», les mêmes droits. En ce qui
concerne «la Manif pour tous», je suis parfaitement conscient que de nombreux
militants ne se mobilisaient que contre le principe de la GPA. Mais, faute
d'avoir tenu un discours suffisamment clair, ce mouvement a pu être récupéré en
partie par des extrémistes homophobes. Quels que soient mes doutes personnels
sur la formule dite du «mariage pour tous», et il est possible qu'une meilleure
formule ait pu être l'extension du mécanisme juridique du PACS, le principe de
l'égalité des droits l'a emporté. Et cette décision de principe je l'approuve.
Mais, il faut maintenant dire très clairement qu'il n'est pas question que la
France cède et reconnaisse, du moins dans le droit, la GPA. Car, si l'on cède
sur ce principe viendra rapidement ensuite celui de la légalisation du trafic
d'organes. Toute société a besoin de tabous. Je pense que la question de la
marchandisation des corps est un tabou essentiel.
D'une part, on a voulu étendre
des droits alors que d'autre, comme la liberté pour une femme de choisir ou non
d'avoir un enfant est de plus en plus contestée dans les faits.
Mais, on peut avoir une lecture
complémentaire à cette question. D'une part, on a voulu étendre des droits
alors que d'autre, comme la liberté pour une femme de choisir ou non d'avoir un
enfant est de plus en plus contestée dans les faits. Il ne faut pas l'ignorer:
la loi sur la contraception et l'avortement est de plus en plus ouvertement
remise en cause. Or, cette loi est un élément fondamental, sur lequel il ne
faut pas transiger, de l'égalité entre les femmes et les hommes. Est-ce que
cela ne voudrait pas dire que les initiateurs du «mariage pour tous» étaient
plus intéressés par une mesure largement symbolique au détriment de l'exercice
réel d'un droit existant? D'autre part, on constate qu'à propos de la loi sur
le «mariage pour tous» on a assisté à une confusion entre le monde des valeurs
et celui des principes. Cette confusion, initiée entre autres par la fondation
Terra Nova, a été reprise par certains des partisans de la «Manif pour tous».
J'analyse dans mon ouvrage Souveraineté, Démocratie, Laïcité cette
confusion comme une régression de la démocratie, car elle aboutit à la négation
du principe de séparation entre sphère privée et vie publique.
Plus que les fameuses
questions de société que vous dénoncez, ce sont surtout les positions
économiques du FN, notamment la sortie de l'euro, qui semblent constituer un
plafond de verre …
Je n'y crois pas un instant. Dans
tous les pays où le débat sur la sortie de l'euro à pu avoir lieu, que ce soit
en Grèce ou en Italie, on constate au contraire un basculement de l'opinion en
faveur de la sortie hors du carcan de la monnaie unique. Le problème, pour le
Front national, est plus de mettre son discours économique totalement en
cohérence avec l'idée d'une sortie de l'euro. Ce que les électeurs ressentent,
et ils n'ont pas tort, c'est la présence d'incohérences discursives dans le
discours économique du Front national. S'il y a un plafond de verre, et ce
soi-disant plafond semble se déplacer d'élection en élection, il provient donc
bien plus de l'incohérence d'un discours qui n'assume pas toutes les
conséquences de sa revendication d'une souveraineté monétaire en matière
d'organisation de l'économie. Mais, aller jusqu'au bout de la logique
impliquera de rompre complètement avec le discours hérité du passé. Et en
particulier, d'avoir une position claire sur la «préférence nationale» dans le
domaine du travail.
Une majorité de Français
restent effrayés par la fin de la monnaie unique. Comment les convaincre?
Si les français sont effrayés, il
faut bien dire que tout est fait actuellement pour les effrayer. On ne compte
plus les déclarations à l'emporte pièce, que ce soient celles de hiérarques du
parti dit socialiste ou des amis de Monsieur Sarkozy, qui ne sont faites que
dans le but d'effrayer le chaland. A cela il ne peut y avoir qu'u
Les Français ont tout à gagner
d'une dissolution de l'euro.
n seul remède, c'est le débat
démocratique. Dans ce débat, on pourra montrer pourquoi l'euro provoque
aujourd'hui une crise à l'échelle du continent européen, pourquoi les solutions
que l'on veut y apporter ne sont pas viables, et pourquoi les Français ont tout
à gagner d'une dissolution de l'euro. Dans ce débat, les Français pourront
mesurer le nombre d'économistes qui se sont prononcés contre l'euro. Ils
pourront voir que la rigueur intellectuelle et l'honnêteté sont du côté des
opposants à l'euro et que les partisans de la monnaie unique n'ont que la peur
comme argument. Les partisans de l'euro sont enfermés dans un discours de
nature religieuse, voire sectaire, qui leur impose de présenter la fin de
l'euro comme l'équivalent d'une mort. Ce discours ne pourrait résister à un
débat réel. Mais c'est aussi pourquoi je pense l'élite actuellement au pouvoir,
qu'elle soit celle dite «socialiste» ou qu'elle soit celle que l'on trouve chez
certains ex-UMP, ne veut sous aucun prétexte d'un débat démocratique sur
l'euro.
Avous lire la crise
existentielle que traverse la France est uniquement économique et politique...
Je n'ai jamais dit cela. Mais je
pense que les dimensions économiques et politiques de la crise française,
dimensions que je suis mieux à même par ma formation de comprendre et de
maîtriser, sont certainement déterminantes aujourd'hui. En tant qu'économistes,
je m'exprime sur les problèmes économistes en premier lieu. Cela ne veut pas
dire que j'ignore les autres. Il y a une dimension culturelle dans cette crise.
D'ailleurs, la défense de la culture est devenue une nouvelle bataille. Mais,
comment ne pas voir qu'une partie de la désastreuse réforme du collège, réforme
qui va en réalité accroître les écarts sociaux et culturels au nom d'une vision
réductrice de l'égalité, est aussi dictée par la volonté de réduire à tout prix
les «coûts» de l'enseignement? Cette réforme a été commandée par Bercy. Le
ministère des Finances préfère priver les élèves de l'accès à la culture plutôt
que de faire la chasse à la fraude fiscale. C'est aussi une réalité, et une
réalité économique celle-là.
Que faites-vous des facteurs
culturels de la crise?
Il y a aussi, très clairement,
une dimension culturelle à la crise que nous vivons. Les attaques contre la
culture, que ce soit à travers l'apprentissage des langues, dont on sait par
ailleurs le caractère essentiel pour la maîtrise de la langue française, ou à
travers les attaques contre l'apprentissage du latin, ont pour effet de
détruire le socle commun de culture politique qui unit la société. Être
français, cela n'est pas uniquement le fait d'observer les lois. C'est aussi
partager une histoire, une littérature, des références communes. L'accès de
tous à la culture est une condition essentielle à la construction de la culture
politique qui nous unit. Or, cette réforme va, en réalité, aggraver les inégalités
territoriales et sociales quant à l'accès à la culture. Il faut noter que Mme
Vallaud-Belkacem, revenant sur sa décision initiale, a décidé de rétablir
certaines des classes bilingues. Mais, elle a décidé de la faire massivement
sur Paris et parcimonieusement dans le Nord de la France ou dans le Midi. Il
est certes vrai que Mesdames et Messieurs les ministres ont des enfants
scolarisés essentiellement en région parisienne…
La politique de la ministre
actuelle est dans le direct prolongement de celle de Luc Chatel. Le fait, ici,
est avéré : chaque attaque contre l'enseignement, chaque réforme qui prive les
enfants d'un accès égal à l'histoire, à la littérature, à la culture, participe
en réalité du mouvement de déconstruction des bases de notre société.
Les attaques actuelles sont dans
le direct prolongement de la politique mise en œuvre par Luc Chatel, le
calamiteux ministre de l'Éducation nationale sous la présidence de Nicolas
Sarkozy. Rappelons que ce triste sire avait voulu supprimer l'enseignement de
l'histoire dans les terminales scientifiques, provoquant une levée - justifiée
- de boucliers à laquelle j'avais apporté ma modeste contribution. La politique
de la ministre actuelle est dans le direct prolongement de celle de Luc Chatel.
Le fait, ici, est avéré: chaque attaque contre l'enseignement, chaque réforme
qui prive les enfants d'un accès égal à l'histoire, à la littérature, à la
culture, participe en réalité du mouvement de déconstruction des bases de notre
société. C'est une politique qui prépare la guerre civile.
En 2002, Jean-Pierre
Chevènement avait tenté d'unir en vain les Républicains des deux rives. Et en
2005, la victoire du non contre le traité constitutionnel n'a débouché sur
aucune union. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui?
Effectivement, nous avons eu deux
événements importants, le premier avec l'échec - il faut appeler les choses par
leur nom - de la candidature de Jean-Pierre Chevènement et le second avec le
succès du «non» lors du référendum de 2005 suivi du déni de démocratie constitué
par le traité de Lisbonne fin 2007, qui ont profondément marqué ce que l'on
appelle le «camp souverainiste». Je pense, par ailleurs, qu'il vaut mieux
appeler ce camp le camp des démocrates car qui fut en cause, que ce soit en
2002 ou en 2005, était l'idée même de démocratie. Pourtant, et il faut le
reconnaître, ce camp des démocrates a subi deux défaites, l'une nette lors de
l'élection présidentielle et l'autre, plus diffuse, avec le traité de Lisbonne
survenant après la victoire du «non» au référendum de 2005.
Par rapport à ces situations, il
y a de nos jours un grand changement. Il provient de l'expérience accumulée.
Certains avaient voté «non» tout en se réclamant d'une «Europe fédérale». Il
est aujourd'hui clair que cette «Europe fédérale» est une illusion, et que
cette illusion ne sert que les intérêts - eux bien réels - des européistes
retranchés à Bruxelles et ailleurs. Mais, il provient aussi de la prise de
conscience en raison du cynisme et de l'impudence déployés par ces mêmes
européistes lors de la crise avec la Grèce au premier semestre 2015 que les
intérêts des peuples européens sont contradictoires avec des institutions comme
l'euro et comme l'Union européenne. Alors, bien entendu, on peut regretter que
cette prise de conscience se traduise par la montée du Front national tel qu'il
est actuellement. Mais, cette prise de conscience, qui d'ailleurs se manifeste
par l'écart de plus en plus grand des électeurs que ce soit en Italie ou en
Grande-Bretagne, ou encore au Pays-Bas et au Danemark, avec les idées mises en
avant par la Commission européenne, est un fait majeur de la situation
politique actuelle. On comprend que le gouvernement français fait tout ce qui
est en son pouvoir pour que ceci n'éclate pas au grand jour, mais dans de
nombreux pays les eurosceptiques sont désormais majoritaires. Ceci se constate
par le rejet dans un nombre croissant de pays des «accords de Schengen». En
France, cela peut se voir au sein de l'opinion publique par un refus très net
du fameux «Traité transatlantique» ou TAFTA. De ce point de vue, un des ultimes
marqueurs de l'état de la démocratie en France sera dans quelle condition le
gouvernement actuel tentera de faire avaliser ce traité par une population qui
le refuse dans sa grande majorité.
Après l'entretien au FigaroVox,
vous avez reçu le soutien de beaucoup de militants du Front de gauche. Pour
autant, Jean-Luc Mélenchon et surtout le PCF sont-ils prêts à suivre leur base?
Distinguons ici Jean-Luc
Mélenchon de la direction du PCF. Cette dernière ne pense plus, et cela depuis
des années, qu'à sauver des sièges, des prébendes et des avantages, quitte à
tenir un discours dont l'incohérence totale saute désormais aux yeux. Il n'y a
qu'à comparer le discours que tient aujourd'hui M. Laurent, discours qui est en
apparence très critique par rapport à M. Hollande et à son gouvernement, et les
positions politiques du PCF qui in fine se traduiront toujours par une alliance
sans principes avec le parti dit socialiste, pour le mesurer. Ce double langage
a achevé de discréditer le PCF. De nombreux cadres intermédiaires de ce parti
le sentent et l'expriment, mais ils ne sont plus écoutés par la direction.
Le cas de Jean-Luc Mélenchon est
plus complexe, et de ce fait plus intéressant. Je pense que Jean-Luc Mélenchon
a compris le piège que représente l'euro pour les positions politiques qu'il
défend, et qu'il l'a compris au moins depuis l'été 2013. Son problème a été
double. D'une part, comment tenir un discours cohérent sur l'Euro sans rompre
avec le Parti Communiste qui, pour des raisons essentiellement clientélistes
s'est rallié au principe de la monnaie unique. D'autre part, comment concilier
un point de vue «souverainiste» avec les positions traditionnellement
«internationalistes» qui étaient celles du PG. Le premier problème est en voie
de résolution en raison de l'éclatement de fait du Front de Gauche. La
responsabilité de cet éclatement repose aujourd'hui sur la direction du PCF
pour l'essentiel. Mais, le second problème reste posé. Tant que le Parti de
Gauche n'aura pas compris que l'internationalisme n'est pas un «a-nationalisme»
mais qu'il constitue en réalité une forme particulière de coopération entre des
Nations existantes (d'où d'ailleurs le terme d'internationalisme) où les
peuples prennent le dessus sur les élites pour faire en sorte que les intérêts
de chacun soient respectés, il ne pourra trouver de solution à ce problème.
Rappelons nous la formule de Jaurès: «Un peu d'internationalisme éloigne de
la patrie ; beaucoup d'internationalisme y ramène». Mais, cette formule a
aussi une suite: «Un peu de patriotisme éloigne de l'Internationale ;
beaucoup de patriotisme y ramène». Cela signifie que l'on doit combiner la
patrie et l'internationalisme. Jaurès, qui était titulaire d'une thèse en
philosophie, sous la direction de Lucien Herr, était certainement le dirigeant
du mouvement socialiste français qui maîtrisait le mieux la dialectique.
L'incapacité dans laquelle Mélenchon s'est trouvé d'articuler ces deux notions
explique les incohérences de la ligne du Parti de Gauche, incohérences qui lui
ont coûté très cher électoralement.
Le tragique dans cette
situation est que Jean-Luc Mélenchon est certainement l'un des dirigeants de
gauche qui comprend le mieux la dynamique historique de ces questions, mais
qu'il est aujourd'hui largement prisonnier du discours qu'il a et il faut le
reconnaître lui-même contribué à propager.
Le tragique dans cette situation
est que Jean-Luc Mélenchon est certainement l'un des dirigeants de gauche qui
comprend le mieux la dynamique historique de ces questions, mais qu'il est
aujourd'hui largement prisonnier du discours qu'il a - et il faut le
reconnaître - lui-même contribué à propager. Jean-Luc Mélenchon a un dernier
rendez-vous avec l'histoire et il nous faut espérer qu'il saura se montrer à la
hauteur. Il lui faudra écouter ses militants et sympathisants, qui eux sont
profondément convaincus que la lutte pour la souveraineté est aujourd'hui le
chemin du progrès social et de la paix entre les peuples, plus que les autres
dirigeants du Parti de Gauche.
Selon vous, la mise en place
de l'état d'urgence a constitué un tournant historique, «un moment
souverainiste». Cependant la promesse de François Hollande de «fermer les
frontières» au soir du 13 novembre a fait long feu…
Il faut ici distinguer ce qui
constitue ce «moment souverainiste» des mesures concrètes qui ont été prises
face aux événements. Il y a un «moment souverainiste» en cela que même un
dirigeant politique comme François Hollande, qui est si éloigné de la notion de
souveraineté et si attaché aux institutions européennes, n'a pu faire autrement
que de faire un acte de souveraineté. Quand il a décrété l'état d'urgence il a
agi de manière souveraine. Il n'est pas allé demander la permission à Bruxelles
ou Berlin. Cela, les Français le ressentent profondément et ils comprennent
instinctivement les implications de ce «moment souverainiste». Après, nous
devons constater les incohérences de son action politique, incohérences qui ne
sont pas nouvelles, et qui tiennent tout autant à la désorganisation de
l'appareil gouvernemental, à son gout pour la «communication» qu'à son
caractère (n'est-il pas l'homme de la synthèse?), et mesurer les risques que
ces incohérences font courir aux français.
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politique
Philippe de Villiers : «Le pouvoir n'a plus de pouvoir : c'est une clownerie» (16.10.2015)
Par Alexandre
Devecchio et Eléonore
de VulpillièresMis à jour le 19/10/2015 à 16h12 | Publié le 16/10/2015
à 20h22
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Trois
semaines après leur sortie, les mémoires politiques de Philippe de Villiers
écrasent les autres livres politiques de la rentrée, sans pourtant faire naître
chez lui la tentation du retour. Explications.
Philippe de Villiers est le
créateur du Puy du Fou et
le fondateur du Mouvement pour la France. Il s'est présenté aux élections
présidentielles françaises de 1995 et de 2007. Il est également écrivain. Son
dernier livre Le moment est venu de dire ce que j'ai vu est
paru le 1er octobre 2015 aux éditions Albin Michel.
LE FIGARO. - Votre livre est
un triomphe public qui rappelle un peu celui du Suicide français d'Eric
Zemmour. Comment l'expliquez-vous? Ces succès d'édition cachent-ils un
phénomène de société?
Philippe DE VILLIERS. -
Cette lame de fond s'explique par l'immense désarroi des Français lucides,
désemparés, submergés par un sentiment de dépossession d'eux-mêmes et qui
craignent le pire. Mais le désarroi n'est pas une explication suffisante, il y
a aussi une soif de connaître, depuis la coulisse, les cheminements et
officines qui nous ont conduits au désastre. Beaucoup de gens veulent savoir
comment ont été descellées les pierres d'angle, comment la machine à décerveler
les pensées justes a procédé pour vitrifier les esprits libres, comment se sont
imposées la terreur et la haine de soi jusqu'à faire perdre à la France son âme
et à la mettre en danger de mort.
Mon livre est un témoignage qui
propose plusieurs clés de compréhension. Ma conscience civique s'est éveillée
en mai 1968. J'ai vu derrière le grand chambardement, se profiler le boboïsme,
l'idéologie en fusion du bourgeois-bohème, libéral-libertaire. J'ai connu de
l'intérieur le creuset de l'ENA, cette couveuse à crânes d'œuf qui fabrique en
série les «ingénieurs sociaux». J'ai regardé comment le système produisait des
poulets de batterie hors sol à la Juppé-Fabius, choisissant au hasard leur
emballage de sortie, leur étiquette. J'ai vu comment la grande broyeuse à
apparatchiks confisquait les talents et les passait au micro-ondes pour qu'ils
soient, comme la viande attendrie, aseptisés et nourris à la pensée
chloroforme.
Les hasards de la vie m'ont amené
à côtoyer dans leur intimité les grands fauves, Giscard, Mitterrand, Chirac,
puis les lapins-tambours Duracell et ludions électroniques du Sarkhollande, qui
clignotent comme des néons. J'ai vu comment ils pirouettent et toupillent non
plus au service de la France, mais «de leur parcours», en pratiquant
l'hédonisme politicien. Tous ces gens propres sur eux plaisaient à M. Bertin de
Ingres et à la bourgeoisie française qui se voulait «anationale» comme le
disait de Gaulle. Ils promenaient leurs accents de gravité, ils savaient poser
la main sur le cœur, ils portaient le costume trois-pièces du VIIème arrondissement
des assureurs qui rassurent. En fait ils ont coulé la France, c'étaient des
naufrageurs en cravate.
Ce succès ne vous donne-t-il
pas envie de remonter sur le ring politique?
Je n'en ai pas envie et cela me
paraît, dans les circonstances actuelles, inutile. En effet, nous ne sommes
plus dans un système démocratique, nous avons basculé dans un système
oligarchique protégé par une médiacaste mondialiste: la potestas est
partie à Bruxelles et à Washington et l'auctoritaschez Ruquier.
Impossible de survivre plus de cinq minutes quand on joue au rodéo de la vérité
dans cette cabine de maquillage: on vous déstabilise, on vous déséquilibre, on
vous peinturlure en paria, on vous rend grotesque, et vous terminez dans la
sciure sous les sifflets playback. Seule la parole agréée est filtrée par le
tamis idéologique de la pensée conforme.
Les hommes politiques ont
encore aujourd'hui le culot d'expliquer aux Français ce qu'ils feront demain,
alors qu'ils savent parfaitement qu'ils n'ont plus le pouvoir.
Aujourd'hui, pour faire de la
politique, il faut avoir beaucoup d'argent pour acheter les sondages, car ils
sont prescripteurs et structurent l'offre. Et il faut accepter de participer au
simulacre, au risque d'y perdre son honneur.
Les hommes politiques ont encore
aujourd'hui le culot d'expliquer aux Français ce qu'ils feront demain, alors
qu'ils savent parfaitement qu'ils n'ont plus le pouvoir. Or quand le pouvoir
n'a plus le pouvoir, la parole n'est plus que gesticulatoire ; c'est une
clownerie. Hollande, c'est René Coty avec son pot de fleurs dans les bras qui
se produit au Plus Grand Cabaret du monde de Patrick Sébastien. Du pot de
fleurs sort un bouquet d'étoiles, les étoiles du drapeau américain.
Ma parole d'homme politique était
suspecte quand j'avais des mandats. Maintenant que je ne quémande plus de
picotin de popularité, elle est écoutée et enfin reçue comme authentique.
Si vous êtes un homme politique
et que vous voulez avoir de l'influence, quittez donc la scène politique,
remontez sur l'Aventin et alors, vous serez entendu. C'est dire à quel point le
système politique est en voie de décomposition puisque toute parole publique
sur fond de mandat est discréditée. Les hommes politiques pratiquent tous
ensemble et en même temps le «mentir vrai» d'Aragon: «Moins il y aura de
frontières, plus il y aura de sécurité. Plus il y aura de mosquées, moins il y
aura d'islamistes. Plus il y aura de migrants, moins il y aura de chômeurs.
Plus on aidera al-Qaida en Syrie et les «salafistes modérés» - Laurent Fabius disait
il y a encore un an d'al-Nosra qu' « elle
faisait du bon boulot » - plus vite se réglera le conflit
syrien. Etc.». A force de proférer ce genre de paradoxes ludiques, les hommes
politiques ont changé de catégorie, dans l'esprit public. Ils sont passés à la
rubrique «comédie-spectacle» où s'affichent Brutus et Yago.
Vous-même n'avez-vous pas
participé à ce système? Pourquoi avez-vous rejoint Nicolas Sarkozy en 2009?
Non, je ne l'ai pas rejoint. J'ai
commencé ma vie politique dans la partitocratique classique. Où j'ai fait très
vite entendre ma différence. Marie-France Garaud m'avait prévenu très tôt: «Méfiez-vous,
car ce système est une sorte de manège avec des forces centripètes et des
forces centrifuges. Quand on s'éloigne du centre, on est irrémédiablement
aspiré à l'extérieur, dans les marges.» J'en suis sorti au bout de deux ans
seulement à la suite de mon combat contre la corruption et le traité de
Maastricht. J'ai alors guerroyé de l'extérieur pendant des années. En 1995, je
me suis présenté à l'élection présidentielle contre Jacques Chirac et Edouard
Balladur. En 1999, avec Charles Pasqua, nous avons affronté le RPR aux
Européennes. En 2007, je me suis porté candidat contre Nicolas Sarkozy. A un
moment donné, je me suis dit qu'en concluant une paix des braves avec lui, je
serais peut-être plus efficace. Mais quand j'ai vu de près durant quelques mois
ce qu'était le cloaque Sarkozy-Fillon, j'ai pris les jambes à mon cou et me
suis éloigné de la piscine sanguinolente où les caïmans se mangent entre eux.
Aujourd'hui, la parole
politique n'a plus de crédit, à l'inverse de la parole métapolitique, guettée,
sollicitée.
Peu d'hommes politiques quittent
la scène. Je suis parti car, à force de croiser le mensonge, on finit par se
sentir contaminé, on a l'âme blessée, et on devient, à son corps défendant, une
sorte de mensonge ambulant par omission. Dans la tradition française,
immémoriale, le pouvoir est un service, pas une consommation. Du premier au
dernier jour, la politique ne peut être que sacrificielle. Quand on sert son
pays, à quelque époque que ce soit, on fait le sacrifice de sa vie. Ma famille
a payé l'impôt du sang depuis 1066. C'est avec cette idée que je suis entré en
politique et que j'en suis sorti. Aujourd'hui, la parole politique n'a plus de
crédit, à l'inverse de la parole métapolitique, guettée, sollicitée.
Face à ce discrédit de la
politique, certains imaginent des scénarios improbables comme la candidature
d'Éric Zemmour à la présidentielle soulevée par Geoffroy Lejeune dans son
livre, Une élection ordinaire. Croyez-vous à ce type d'hypothèse?
Tout est possible aujourd'hui. En
additionnant vingt Fabius, trente Juppé et cinquante Fillon, on ne ferait pas
un seul Zemmour, c'est-à-dire un homme cultivé et courageux! Avec cent poulets
de batterie, on ne fera jamais un coq gaulois. Eric Zemmour est un ami. Et en
tant qu'ami, je lui souhaite de rejoindre le statut de Raymond Aron plutôt que
monter dans le train des petits Deschanel qui s'en vont errer dans les rues de
Bruxelles, à la quête de leurs consignes.
Votre livre ausculte quarante
ans de décomposition du système politique. Comment en est-on arrivé-là?
Je me souviens de cet apologue
d'un vieux paysan qui était mon voisin et qui me conseilla un jour: «Philippe,
quand on est dans l'obscurité, au bord de l'abîme, dans une maison qui
s'effondre, la sagesse consiste à chercher les murs porteurs.» Les murs
porteurs de la maison France ont été abattus les uns après les autres: le
caractère sacré de la vie, la filiation comme repère, la nation comme héritage,
la frontière comme ancrage et le rêve français comme fenêtre sur le monde.
La France est en train de
mourir parce qu'elle est en même temps submergée de l'extérieur et effondrée de
l'intérieur.
La France est en train de mourir
parce qu'elle est en même temps submergée de l'extérieur et effondrée de
l'intérieur. Cela me rappelle une conversation en 2000 avec Soljenitsyne qui me
confia ceci: «Derrière le rideau de fer, les peuples souffraient mais ils
ont sauvé leur âme. Ils ont connu l'ablation de la souveraineté, celle que
Brejnev qualifiait de «limitée», mais ils n'ont jamais perdu leur identité».
La Pologne est demeurée elle-même
et la Hongrie aussi. Elles sont restées, malgré le goulag, des terres
chrétiennes. Les résistants, les refuzniks ont jalousement veillé sur cette
petite demeure invisible qui se trouve au cœur de chaque peuple, qu'on appelle
l'âme d'un peuple. Quand le mur de Berlin est tombé, ces pays ont recouvré leur
souveraineté ; ils ont pu se refaire parce qu'ils avaient préservé leur
identité. Or ajoute Soljenitsyne, «vous, les Européens, vous vous trouvez dans
un gouffre profond, vous vivez une éclipse de l'intelligence. Vos hommes
politiques sont en train d'abattre et de transférer la souveraineté de la
France en même temps qu'ils sont en train d'en dissoudre l'identité.»
Vous expliquez que les
Français n'accordent plus de crédit à la parole politique car ils ont le
sentiment que le pouvoir a été transféré à Bruxelles. Quelle a été l'influence
de l'Europe dans cette évolution?
Elle a été la matrice de la
déconstruction des patries charnelles. Du traité de Maastricht est sortie la
grande fracture entre le souverainisme et le mondialisme. Cette ablation de
souveraineté au profit de Bruxelles, Francfort et Washington a généré une
nouvelle espèce d'animal à sang froid, le manchot cul-de-jatte. Les politiciens
qui nous gouvernent n'ont plus ni bras ni jambes et nous disent que la France
va encore courir le 100mètres. A grand renfort d'intellectuels de la trempe de
BHL, la France est devenue le seul pays au monde que nous n'avons pas le droit
d'aimer.
A grand renfort
d'intellectuels de la trempe de BHL, la France est devenue le seul pays au
monde que nous n'avons pas le droit d'aimer.
La France qui, selon lui, ne
devrait plus exister car elle charrie des vomissures barbares ; il faut qu'elle
batte sa coulpe car elle est une tache ignominieuse sur la carte métaphysique
des points précieux de la planète. Cette idéologie relayée par l'école, devenue
un «lieu de vie», a privé les petits Français de leur France. Nous n'avons plus
le droit de parler des Gaulois, de commémorer la mort de Saint Louis, de parler
de Jeanne d'Arc, ni d'évoquer Napoléon autrement qu'à travers Trafalgar. Le
seul droit qui nous reste est celui de faire passer les Français pour des
collabos de la Deuxième guerre mondiale, des terroristes en Indochine et des
tortionnaires en Algérie. Voilà l'image de la France que véhiculent l'école et
les médias. Un pays qui perd sa souveraineté et son identité est voué à la
disparition. Mais tout peut se rétablir. En effet, le mur de Maastricht, ce mur
du mensonge, va tomber.
Le projet véritable de l'UE
était d'abolir les nations pour installer en leur lieu et place un marché
planétaire de masse qui viendrait un jour faire la jonction avec le marché
américain : c'était l'idée de Jean Monnet.
Le rêve européen des élites
post-nationales, le rêve d'une fusion des nations européennes s'est évanoui
dans le cœur des peuples. Il s'est désintégré parce qu'il était tramé dans un
tissu de mensonges: la prospérité, la sécurité, la puissance, la protection.
Aujourd'hui, les Français constatent qu'on leur a menti en leur promettant un
super-État, une super-puissance. Derrière cette architecture apolitique, il
s'agissait bien de détruire les vieilles nations d'Europe mais il n'y avait
aucunement l'idée d'en faire naître une nouvelle. Le projet véritable était
d'abolir les nations pour installer en leur lieu et place un marché planétaire
de masse qui viendrait un jour faire la jonction avec le marché américain:
c'était l'idée de Jean Monnet.
L'histoire de cette utopie
politique est celle de la rencontre de Monnet et des démocrates-chrétiens de
l'Europe de l'après-guerre. Monnet, salarié de la banque Lazard, un Américain
dans l'âme, était le factotum de l'Amérique. Les Américains lui ont demandé de
créer ce «machin» pour affaiblir définitivement les Européens et profiter de la
culpabilité européenne après la guerre. Monnet a eu l'intelligence diabolique
de s'allier avec les démocrates-chrétiens, Gasperi, Schuman et Adenauer, pour
concocter son projet. L'homme qui était à l'initiative de la Commission
trilatérale née en 1973 - commission qui avait pour objet de réunir les deux
libéralismes, le libéralisme économique et le libéralisme sociétal - , a
proposé aux idiots utiles social-sacristains, en contrepartie, un symbole, le
drapeau. «J'aurai le contenu, et vous le symbole», leur a-t-il dit. Les
trois grandes consciences, ces trois grands naïfs, sont revenus dans une nappe
d'encens vers leurs cléricatures en mettant en avant la conquête du drapeau, la
couronne mariale. De ce troc est né un grand malentendu: toute la bourgeoisie
anationale fait la génuflexion oblique du dévôt pressé devant les gnomes de
Bruxelles parce que la couronne mariale est sur le drapeau. Cette Europe qui
finance les LGBT et la Gay Pride, qui célèbre Conchita Wurst la femme à barbe,
est censée incarner le progrès parce qu'elle affiche les étoiles à la Madone.
Elle demeure la ligne de mire de la bourgeoisie française cosmopolite, qui
folâtre dans le «cercle de la raison» circonscrit par MM. Minc et Attali.
L'Europe dont rêvaient les
démocrates-chrétiens est-elle vraiment celle de Maastricht et Schengen?
Bien sûr que non. Beaucoup de
chrétiens ont pensé que les portes de Maastricht ouvraient sur la terre de
promission. Ceux-là identifient l'universalisme chrétien au dépassement des
nations qui seraient un obstacle à la fraternité cosmique. Dans les grands
textes bibliques, il y a une harmonie qu'on retrouve chez Aristote et Saint
Thomas, entre l'accueil de l'autre et l'enracinement. Le droit d'aimer ses
paysages n'est pas un égoïsme mais une oblation, on a le droit de construire là
où on a vécu et de transmettre à ses enfants ce que l'on a aimé. Nous sommes
comme les plantes, nous avons besoin d'humus et de lumière. C'est le droit
naturel.
En mariant les deux impératifs,
la charité individuelle se concilie avec la nécessité de garder ses racines.
Quand on entend aujourd'hui des autorités morales et spirituelles qui sont
prêtes à vider l'Orient de toute sa population, à déporter les chrétiens
d'Orient qui sont chez eux depuis 2000 ans, bien avant l'islam et les nouvelles
nations que sont le Liban et la Syrie, on est pris de vertige. Tous ces
chrétiens qui expliquent que la société multiculturelle va nous permettre
d'organiser une coexistence harmonieuse avec des religions qui ne sont pas les
nôtre sont irréfléchis. Ils ont perdu le fil de l'unité du vivant. Existe-t-il
à travers l'histoire un seul exemple d'une société dans laquelle l'islam a fait
irruption sans être conquérant? Quand j'étais à Sciences-Po, les professeurs
nous serinaient que le Liban était un modèle de coexistence harmonieuse, un
«paradis terrestre». Depuis 1975, on a vu ce qu'il est advenu de cette société
multiculturelle. Existe-t-il des sociétés multiculturelles qui ne soient pas
multi-conflictuelles? Aucune.
Cette Europe qui est confrontée
à la double crise des migrants et de l'euro est-elle condamnée?
Regardons ce qui s'est passé en
Russie: pendant la période du goulag, tout le monde là-bas était désespéré,
persuadé que l'âme russe était perdue à tout jamais. Quand le rideau de fer est
tombé, on a vu réapparaître les «forces morales», retrouvé les valeurs
civiques, spirituelles, patriotiques comme si le soviétisme n'avait été qu'une
parenthèse de l'Histoire. Nous retrouverons cela chez nous quand le mur de
Maastricht tombera. Ce jour est imminent.
Aujourd'hui, les voies d'eau
se multiplient sur le Titanic des eurocrates.
Un pays qui a perdu ses contours
perd en même temps ses conteurs. Mais quand il retrouve ses contours, le rêve
revient. Les pierres se remettent à parler. Les âmes expirantes se remettent à
chanter.
Aujourd'hui, les voies d'eau se
multiplient sur le Titanic des eurocrates. A chaque fois, on voit Juncker, en
grand calfateur, essayer de poser des éponges goudronnées, entouré de ses
commissaires au charisme de serpillière. Les trous dans la coque se multiplient
pendant que les politiciens continuent leur partie de bridge sur le pont du
Titanic.
L'euro est mort à Athènes, il est
comme un canard dans une basse-cour auquel on aurait coupé la tête et qui,
parce qu'il court encore, donne l'impression d'être toujours vivant. Schengen
est mort à Berlin: Merkel a donné le coup de grâce puisqu'en rétablissant ses
frontières, elle a violé l'article 26 du règlement de 2006 du traité de
Schengen, ce qu'on nous cache. Quant à la convergence culturelle de l'Europe
qui devait naître de la construction européenne, elle est morte à Budapest.
Aujourd'hui on a deux Europe ; celle qui se définit comme chrétienne à l'Est,
et la multiculturelle à l'Ouest qui a renié ses racines chrétiennes, qui ferme
la porte à Dieu pour mieux l'ouvrir à Allah. L'Angleterre enfin, dont André
Siegfried disait «C'est une île. J'ai terminé» en commençant son cours à
Sciences-Po», retrouve ses vieux réflexes: le Brexit n'est pas une probabilité,
mais une certitude.
Dans votre livre, face à cette
Europe «hors-sol», vous proposez de restaurer nos «attachements vitaux». De
quoi s'agit-il exactement?
De ce qui nous rattache à nos
lignées obscures, à nos souvenirs, à nos paysages intimes. Le temps de l'homme
désinstitué va finir. On a fabriqué un homme hors-sol, nomade en ses demeures
et en ses sentiments. Dans les écoles de commerce, on adjure les étudiants de
préparer leur mobilité, qui consiste à quitter son patron au bout de deux ans
pour en trouver un autre. C'est la dissociation de la carrière et de la vie,
c'est-à-dire de la fidélité. La mobilité porte en elle la volatilité. Il y a un
lien entre la mobilité du travailleur et la financiarisation de l'économie,
devenue purement spéculative et qui met les nouveaux prolétaires sous la férule
d'un capitalisme sans entrailles.
Poutine m'a confié un jour
qu'un des éléments qui divisaient le monde aujourd'hui était la conception de
l'économie. D'un côté l'économie spéculative à l'américaine, détachée du réel,
de l'autre l'économie réelle, fondée sur les biens matériels et la production
effective.
Poutine m'a confié un jour qu'un
des éléments qui divisaient le monde aujourd'hui était la conception de
l'économie. D'un côté l'économie spéculative à l'américaine, détachée du réel,
de l'autre l'économie réelle, fondée sur les biens matériels et la production
effective. Cette économie spéculative met l'homme dans une bulle. Mais c'est
une bulle de savon.
Vous ne semblez néanmoins plus
croire dans la politique classique. Comment peut-on faire de la politique
autrement?
En créant des isolats de
résistance, des petites sociétés parallèles. Si on veut demain stopper la
décomposition, et faire repartir la France, il faudra rebâtir les murs
porteurs. Je raconte dans mon livre les dernières confidences de Soljenitsyne.
Il pensait qu'un jour, de la grande catacombe sortiraient de petites lucioles,
portées par des dissidents: «Chez nous, les dissidents étaient des jeunes
gens qui portaient sous leur pèlerine des samizdats - des analyses critiques du
système soviétique. Aujourd'hui les dissidents sont à l'Est, ils vont passer à
l'Ouest.» Ils auront deux qualités originales qui les sortiront du lot: le
courage et la lucidité. Le courage car ils franchiront le périmètre sanitaire
des mots autorisés, ils se moqueront de la judiciarisation des pensées et des
arrière-pensées, et accepteront d'aller en prison. Ce seront des objecteurs de
conscience. Ils refuseront de payer l'impôt pour des choses qui paraissent
contraires à leur ressort vital. Au début, les prisons seront pleines, mais au
bout d'un moment, les murs des prisons s'écrouleront, comme s'écroulera le mur
de Maastricht. Ce seront des franchisseurs de lignes rouges. Ils oseront dire:
«un enfant est le fruit d'un amour entre un homme et une femme», phrase
extrêmement dangereuse à prononcer en ce moment. Les laïcards ont inventé un
modèle de disparition à l'échéance de deux ou trois générations puisqu'ils
organisent leur propre stérilisation. La gestation pour autrui dans les
cliniques indiennes et américaines ne suffira pas à produire des enfants pour
cette société hermaphrodite. Dire cela aujourd'hui, c'est prendre un risque.
Dans quelques années, des centaines de milliers de personnes le diront aussi,
par la nécessité de survie de la société. Il y aura partout des isolats de la
transmission.
Les mouvements issus de la
société civile - Manif pour tous, mais aussi les Bonnets rouges ou plus
récemment la colère des paysans ou des policiers - peuvent-ils se traduire
politiquement. Comment?
Je me souviens de Georges
Pompidou qui était venu, rue Saint-Guillaume, à l'occasion du centenaire de
Sciences Po en 1972. Bouffi de cortisone, se sachant condamné, il parlait de la
nécessaire indépendance de la France. Les étudiants auraient voulu qu'il leur
parlât de Jean-Jacques Servan-Schreiber et du Défi américain, le
livre en vogue à l'époque. C'est à ce moment-là que le professeur Raphaël
Hadas-Lebel a inventé l'expression de «classe politique», un concept qui
n'existait pas auparavant. Les Français toutes catégories confondues, surtout
les plus humbles, après avoir espéré, se sont aperçus qu'il y avait donc une
«classe politique» répondant aux consignes d'une super-classe invisible,
mondialisée, qui profite du système pour écraser les gens, spécialement les
plus modestes. C'est cette classe politique qui organise, sur notre territoire,
le grand Kosovo. C'est elle qui prépare l'invasion migratoire. C'est elle qui
travaille à la désintégration de la France, elle qui installe la mixité
sociale, les HLM de l'immigration dans les petites communes pour remplacer le
peuple français par un autre. Les paysans, les artisans, les policiers, les
petites gens, la France des bistrots se révolteront. J'appelle à cette révolte.
Bientôt il faudra cesser de payer l'impôt car il ne faut plus être les idiots
utiles de ce système mortifère.
C'est le but de mon livre: le
moment est venu pour les Français de se rebeller contre cette classe politique
qui vit entre elle de façon endogamique - avec les journalistes français. Ils
pensent les mêmes choses, travaillent ensemble, rêvent ensemble, et vivent
ensemble.
Au moment du 11 janvier,
certains observateurs ont parlé de sursaut. Qu'en pensez-vous?
Ils savourent avec un plaisir
de gourmets l'idée exotique selon laquelle la France pourrait devenir la fille
aînée de l'islam.
Le 11 janvier a été détourné de
son libellé populaire. Dès le 12, toutes nos élites mondialisées islamophiles
ont expliqué que les premières victimes des attentats étaient les musulmans.
Les salauds à éradiquer étaient les «islamophobes». A partir de ce moment-là,
on a installé la dhimmitude de l'esprit ; il s'agissait d'une inversion
logique. Quand l'islamisme frappe, nos élites prennent des mesures pour lutter
contre l'islamophobie. Ils sont pétris d'un droit-de-l'hommisme abstrait, et
suivent à la lettre les instructions des Plenel de service qui veulent faire
disparaître la France des clochers. Ils savourent avec un plaisir de gourmets
l'idée exotique selon laquelle la France pourrait devenir la fille aînée de
l'islam. Nos élites sont en voie de houellebecquisation. La France de demain
verra monter le face-à-face terrible des dissidents qui vont émerger et se
battre à mains nues et les dhimmis qui sont des collabos. Les dissidents
n'acceptent ni l'ablation de nos pouvoirs, ni le changement de peuple, car ils
veulent protéger ce qui reste de gaulois au sens du roman national des hussards
noirs de la République. Les dhimmis sont doublement soumis, d'une part à
l'américanisation du monde - ils préparent en douce le Traité transatlantique,
et d'autre part à l'islamisation de l'Europe. Nos élites mondialisées
retrouvent de l'excitation à l'idée de recevoir le fouet de Big Other, un peu rude
mais décapant et qui les sort de l'asthénie sexuelle ambiante. Ils sont dans le
même état d'esprit que les clercs de Constantinople, le 28 mai 1453 - veille de
sa chute - qui se rendront compte le 30 qu'il est trop tard. Ainsi l'hédonisme
consumériste va finir sa trajectoire en venant, par une sorte de ruse
hypnotique, se fondre dans son exact contraire.
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Macron : «Je travaille avec Donald Trump car nous sommes au service de nos pays» (20.04.2018)
- Mis à jour le 21/04/2018 à 19:13
- Publié le 20/04/2018 à 11:45
LE SCAN POLITIQUE - Le chef de
l'État a accordé vendredi un entretien à la chaîne américaine conservatrice Fox
News. La séquence, diffusée dimanche, doit lancer sa visite d'État aux
États-Unis, où il s'envolera lundi soir.
Il veut continuer de casser les codes.
À quelques jours de sa vite d'État outre-Atlantique, Emmanuel Macron a accordé
une interview à la chaîne conservatrice Fox News. L'entretien, qui a été
enregistré ce vendredi à l'Élysée, sera diffusé dimanche sur les télévisions
américaines. «Il y a une volonté de s'adresser à tous les capteurs de la
société américaine. En l'occurrence ce sera principalement l'électorat de
Donald Trump», décrypte un conseiller auprès du Figaro.
Dans cette interview dont des
extraits ont déjà été publiés, Emmanuel Macron confie «ne jamais se demander»
si le président Trump achèvera son mandat. «Je travaille avec lui car nous
sommes tous les deux au service de nos pays», justifie, en anglais, le chef de
l'Etat français.
Au cours de cet entretien, Macron
refuse de commenter certaines controverses entourant Trump, notamment l'enquête
sur l'ingérence russe dans l'élection de 2016 qui pèse sur la présidence du
milliardaire. «Ce n'est pas à moi de juger ou, d'une certaine façon,
d'expliquer à votre peuple ce que devrait être votre président», affirme
Macron.
«Une première interview avait
été accordée en septembre dernier à CNN International, en marge
de l'Assemblée générale de l'ONU, et une autre à CBS en décembre, en marge du
One Planet Summit. Il faut un peu de rotation», indique l'entourage de Macron,
sans ignorer que le choix de cette chaîne controversée pourrait faire couler
beaucoup d'encre... Surtout depuis l'épisode des «no-go zones», qui avait poussé Anne Hidalgo à
porter plainte.
Ce qu'attend Macron de sa
visite aux États-Unis
Le président français entame ce
lundi une visite d'État de trois jours. Une première pour un dirigeant étranger
sous l'ère Trump. Isabelle Lasserre, spécialiste Diplomatie au Figaro, détaille
les priorités de Paris pour cette visite.
Macron va s'exprimer en
anglais devant le Congrès
Emmanuel Macron, qui doit
s'envoler lundi soir, va passer trois jours aux États-Unis. Il sera le premier
président à effectuer une visite d'État outre-Atlantique depuis l'élection de
Donald Trump. Accompagné de son épouse, la première dame Brigitte Macron, le
chef de l'État devrait offrir à son homologue américain un jeune plant de chêne
symbolisant la force des relations entre les deux pays, selon Fox News.
Le chef de l'État français
entamera son voyage par un dîner privé avec le couple présidentiel américain à
Mount Vernon, la demeure historique de George Washington.
Mardi matin, le locataire de
l'Élysée s'entretiendra à la Maison-Blanche avec son homologue, avant de se
rendre au département d'État pour un déjeuner avec le vice-président Mike
Pence. Là, il assistera à une cérémonie militaire au cimetière d'Arlington,
avant un dîner d'État à la Maison-Blanche. Mercredi, enfin, il s'exprimera en anglais devant le Congrès, pendant une
trentaine de minutes, pour y évoquer les «valeurs» et la démocratie.
L'après-midi, il discutera avec des étudiants à l'Université George Washington,
puis il repartira à Paris où se tient le jeudi une conférence internationale
contre le financement du terrorisme.
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