Jeunes
musulmans: les « discriminations » n’expliquent pas la
« radicalisation » (15.05.2018)
Le discours excusiste se heurte à l'étude des sociologues
Galland et Muxel
Par Daoud
Boughezala
- 15 mai 2018
Le rappeur Médine Zaouiche prétend que les musulmans sont
systématiquement victimes de disciminations. Ici lors d'un concert à Paris, mai
2017. SIPA. 00816698_000001
L’étude des sociologues Olivier Galland et Anne Muxel
révèle, entre autres, que la grosse minorité de jeunes musulmans qui cède aux
sirènes de l’absolutisme religieux ne souffre pas d’inégalités sociales
criantes. Mais le rejet des valeurs dominantes ne se borne pas aux frontières
de l’islam. Souvent complotiste, toujours individualiste, la génération Z a de
quoi inquiéter.
L’affaire est entendue. Pour les Lyssenko de la sociologie,
si une minorité non négligeable (28 %1) des Français
musulmans préfère
la charia aux lois républicaines, c’est qu’ils sont quotidiennement
discriminés. Poussé à ses extrémités, ce raisonnement expliquerait la spirale
criminelle dans laquelle sont tombés Mohammed Merah, les frères Kouachi,
Abdelhamid Abaaoud et les innombrables membres du bataillon français de Daech.
Soupçonnés d’islamophobie
Élémentaire… mais faux ! Répondant à un appel d’offres
lancé par le CNRS après les attentats de novembre 2015, alors qu’il
apparaissait qu’on ne savait rien de la sécession d’une partie de la jeunesse,
une vaste enquête des sociologues Olivier Galland et Anne Muxel menée auprès
d’un échantillon de lycéens fait voler en éclats la vulgate pseudo-marxiste.
Synthétisés dans La Tentation radicale (PUF, 2018), les
résultats de cette étude obtenus à l’aide de questionnaires anonymes sont on ne
peut plus clairs : non seulement « près d’un tiers des
musulmans [interrogés] adhèrent à l’absolutisme religieux
contre 6 % des chrétiens », mais la radicalisation religieuse ne
dépend pas (ou très peu) de facteurs socio-économiques. Au contraire, le
discours excusiste se heurte à une triste réalité : la proportion de
musulmans « absolutistes » (c’est-à-dire empreints
d’une vision à la fois intégriste, expansionniste et politique de l’islam) ne
croîtrait pas en fonction du niveau d’exclusion. D’après l’enquête, l’un des
moteurs de la radicalisation religieuse serait plutôt un sentiment de
discrimination qui s’appuie moins sur des faits objectifs qu’un ressenti
éminemment subjectif.
On comprend aisément le scandale provoqué par Galland et
Muxel. Sitôt leur livre publié, les procès d’intention ont fusé. Certains
mandarins ont critiqué le biais cognitif introduit selon eux par la méthode
d’investigation. Certes, le duo de chercheurs commanditaires a volontairement
choisi un panel de 6 828 élèves de 2de majoritairement
issus des zones d’éducation prioritaire afin de surreprésenter les musulmans et
les classes sociales les moins favorisées. Âgés de 14 à 16 ans, les
lycéens interrogés étaient néanmoins de toutes origines sociales, ethniques et
religieuses. Se défiant de tout a priori islamophobe, Galland
et Muxel expliquent leur biais par leur volonté d’analyser les ressorts de la
radicalisation religieuse, du reste rarissime chez les chrétiens de
l’Hexagone. « Aux États-Unis, on serait tombés sur le phénomène
des créationnistes chrétiens », plaident-ils.
Génération « Je crois ce que je ne vois pas »
S’ils mettent en évidence un problème spécifique aux jeunes
musulmans, les deux universitaires annoncent en sus toute une série de
mauvaises nouvelles. Ils dressent le portrait d’une génération sensible aux
sirènes de la violence et du complotisme. Bien au-delà des seuls musulmans (qui
sont tout de même 20 % à déclarer qu’il est parfois acceptable de
combattre les armes à la main pour sa religion !), une majorité des sondés
(!) voit la main de la CIA derrière les attentats du 11 septembre 2001. En
outre, ils sont 24 %, toutes religions confondues, à ne pas condamner
totalement le massacre de Charlie Hebdo, tandis que plus de sept
lycéens sur dix croient que les médias ont dissimulé des éléments sur les
attentats de janvier 2015.
Cette litanie de chiffres manifeste un rejet radical des
valeurs jusqu’ici majoritaires de notre société. De Mai 68 et de la France qui
en est issue, la majorité des jeunes n’a retenu que le culte de l’individu, jetant
aux orties la liberté d’expression, le droit au blasphème et à la dérision.
Comme le confirment les entretiens post-enquête réalisés par les sociologues au
sein des lycées consultés, c’est au nom du sacro-saint « respect » dû
aux croyants qu’une bonne partie des lycéens se disent choqués par les
caricatures de Mahomet. Railler une religion serait tout aussi malséant que de
se moquer des handicapés. Aux yeux de la « génération j’ai le droit »
(Barbara Lefebvre), la foi serait un élément constitutif de l’individu, à
respecter au même titre que le droit de manger hallal ou vegan à la cantine.
Sauf qu’une conception aussi étriquée du respect, primant sur la liberté, voire
sur le droit à la vie des caricaturistes, a de quoi déprimer. Saisie par le
choc des images, la génération Y conteste et déconstruit sans rien savoir,
bricolant sur le net une post-vérité conspirationniste.
Allô Coran bobo…
Avec des taux de croyance et de pratique si élevés qu’ils en
confinent à la bigoterie, les lycéens musulmans se distinguent nettement de
leurs condisciples chrétiens, athées ou agnostiques. À telle enseigne
qu’Olivier Galland discerne une ligne culturelle de partage des eaux entre
jeunes musulmans et non musulmans. Quoique ces deux groupes adhèrent aux
carabistouilles conspis, leur degré de religiosité les sépare. Signe de la
contre-réforme à l’œuvre dans l’islam mondial, la plupart de ses jeunes adeptes
français donnent raison au Coran contre le sens commun, préférant une lecture
islamique de la science à une lecture scientifique du texte sacré. Cette
tendance au « concordisme » (Faouzia Charfi) prétendant que le Coran
annonce les découvertes scientifiques modernes a été initiée par les salafistes
de la fin du xixe siècle qui entendaient arracher le monopole
du progrès technologique à l’Occident. Un gros siècle plus tard, une bonne
partie des jeunes musulmans français, aussi sceptique face aux médias que
dogmatique devant le Coran, reprend le flambeau, non sans montrer une
inquiétante acceptation de la violence. Là se joue l’un des points nodaux de la
radicalisation religieuse, étant démontré que la « socialisation à
la violence est un facteur prédictif très très fort de la tolérance à la
violence religieuse ». Bref, qui tolère les violences contre la
police sera plus enclin à approuver les actes terroristes.
Cependant, Olivier Galland et Anne Muxel ne lisent pas dans
le marc de café. Ils laissent entières des questions aussi épineuses que le
passage à l’acte terroriste. À ce stade, soulevons la question que tout le
monde se pose : ces résultats peuvent-ils être extrapolés à l’échelle de
la France entière ? Peut-être. C’est en tout cas ce que suggère en grande
partie leur étude comparative auprès d’un panel représentatif de jeunes de 15 à
17 ans. On pourrait gloser à l’infini sur les défauts d’une telle
entreprise, dont l’un des péchés mignons est d’accréditer la notion fourre-tout
de « radicalité politique ». Tantôt avec pertinence – lorsqu’est pris
en compte le rapport à la violence –, tantôt avec des partis pris discutables –
l’échiquier politique de leurs questionnaires faisant de la tiède Marine
Le Pen l’incarnation de la droite la plus extrême.
Cette entreprise a l’immense mérite de tirer la
sonnette d’alarme au sujet d’une génération déboussolée. Déchirés par leurs
aspirations contradictoires, contraints d’arbitrer entre individualisme et
demande d’ordre, nos jeunes ne savent plus où ils habitent. Et des
entrepreneurs salafistes leur offrent un nom et une adresse.
Face
au terrorisme, la recherche en action (20.03.2017)
A propos
Le 18 novembre 2015, le président du CNRS a lancé à la
communauté scientifique un appel à propositions « sur tous les sujets
pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs
conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales,
techniques, numériques. » Plus de 60 projets de recherche ont été
retenus (lire à ce sujet l’éditorial
de Sandra Laugier). Ce blog a pour objectif de présenter certains de ces
travaux en cours.
A la une
Une vaste enquête sur la radicalité chez les lycéens
20.03.2017, par Fabien Trécourt
Les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland ont dévoilé ce
matin les premiers résultats d’une étude qu’ils coordonnent auprès de plus de 7
000 lycéens pour mieux comprendre les facteurs d’adhésion des jeunes à la
radicalité politique et religieuse.
Vous avez présenté ce matin à la presse les premiers
résultats de votre étude sur les jeunes et la radicalité, dont vous aviez déjà
donné un aperçu pour la radio du CNRS. En quoi
consiste-t-elle ?
Olivier Galland1 : Notre travail s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets du président du CNRS sur le terrorisme et les attentats, pour aider les pouvoirs publics à mieux comprendre un ensemble de phénomènes associés à ces événements. Plusieurs travaux se sont penchés sur le processus de radicalisation individuelle : des chercheurs comme Gilles Kepel, Farhad Khosrokhavar ou encore Olivier Roy ont mené des entretiens avec des jeunes radicalisés et analysé leurs parcours. Ces recherches sont passionnantes, mais ne portent que sur des échantillons très limités. Nous avons souhaité développer une approche quantitative, ciblant la jeunesse lycéenne scolarisée en classe de seconde, en diffusant un questionnaire auprès de 7 000 élèves issus de quatre académies – Lille, Créteil, Dijon et Aix-Marseille – et 21 lycées. Il s’agit d’une enquête exploratoire sur la thématique de la radicalité en matière de politique et de religion, jusqu’alors peu couverte par les enquêtes sociologiques classiques sur la jeunesse.
Anne Muxel2 : Étant donné l’importance et le caractère relativement inédit du sujet, notre dispositif d’enquête est rigoureux et diversifié. Trois types d’enquêtes ont été réalisés sur une période de six mois (octobre 2016 - mars 2017) : une enquête quantitative auto-administrée par questionnaire auprès d’un large échantillon de classes de seconde (7 000 lycéens interrogés), une enquête quantitative « témoin » réalisée en ligne par l’institut Opinion Way auprès d’un échantillon représentatif de jeunes âgés de 14 à 16 ans (1 800 jeunes ont été interrogés), et une enquête qualitative comportant des entretiens individuels et des entretiens collectifs réalisés avec des jeunes lycéens des classes de seconde. Mais il ne s’agit pas d’une étude sur le processus de radicalisation. C’est très important de le souligner. Elle ne permet pas de repérer des jeunes radicalisés ou en voie de l’être, mais elle cherche à mesurer le degré d’adhésion à la radicalité au sein de la jeunesse. Cette mesure ne peut aboutir à une lecture binaire de la radicalité car elle fait apparaître toute une gamme d’attitudes allant du rejet de toute forme d’extrémisme, de déviance ou de violence à l’acceptabilité de la violence terroriste. Certains jeunes peuvent comprendre ce type d’action violente et radicale sans y adhérer, d’autres peuvent être séduits par des idées radicales sans jamais passer à l’acte, etc. Il est important d’analyser ces résultats en termes de degrés, et non de façon dichotomique.
Comment définissez-vous la radicalité ?
A. M. : Pour nous, la radicalité suppose un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système politique, social, économique, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société. Elle atteint son point le plus extrême lorsqu’elle s’accompagne d’une justification de l’usage de la violence. Nos questions allaient donc de la simple tolérance à l’égard de la triche lors d’un examen jusqu’au fait de prendre les armes pour faire triompher ses idées. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que c’est une approche en termes de degrés. Dans le domaine politique par exemple, nous interprétons comme radical le fait de voter pour des partis hors système ou extrémistes, de participer à des actions protestataires comme les grèves ou les manifestations, ou encore de vouloir changer radicalement la société par une action révolutionnaire. Cela ne signifie pas qu’un jeune soit prêt à passer à l’acte, à affronter lui-même directement les forces de l’ordre, à porter atteinte aux biens ou personnes, dans le cadre d’une contestation globale ou d’une stratégie politique de renversement du système.
Manifestation de lycéens et d’étudiants contre la loi travail, à Paris le 31 mars 2016. Selon les chercheurs, l’action de manifester appartient au registre de la radicalité politique, laquelle couvrirait un large éventail de degrés.
© Hugo AYMAR/ HAYTHAM-REA
Olivier Galland1 : Notre travail s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets du président du CNRS sur le terrorisme et les attentats, pour aider les pouvoirs publics à mieux comprendre un ensemble de phénomènes associés à ces événements. Plusieurs travaux se sont penchés sur le processus de radicalisation individuelle : des chercheurs comme Gilles Kepel, Farhad Khosrokhavar ou encore Olivier Roy ont mené des entretiens avec des jeunes radicalisés et analysé leurs parcours. Ces recherches sont passionnantes, mais ne portent que sur des échantillons très limités. Nous avons souhaité développer une approche quantitative, ciblant la jeunesse lycéenne scolarisée en classe de seconde, en diffusant un questionnaire auprès de 7 000 élèves issus de quatre académies – Lille, Créteil, Dijon et Aix-Marseille – et 21 lycées. Il s’agit d’une enquête exploratoire sur la thématique de la radicalité en matière de politique et de religion, jusqu’alors peu couverte par les enquêtes sociologiques classiques sur la jeunesse.
Anne Muxel2 : Étant donné l’importance et le caractère relativement inédit du sujet, notre dispositif d’enquête est rigoureux et diversifié. Trois types d’enquêtes ont été réalisés sur une période de six mois (octobre 2016 - mars 2017) : une enquête quantitative auto-administrée par questionnaire auprès d’un large échantillon de classes de seconde (7 000 lycéens interrogés), une enquête quantitative « témoin » réalisée en ligne par l’institut Opinion Way auprès d’un échantillon représentatif de jeunes âgés de 14 à 16 ans (1 800 jeunes ont été interrogés), et une enquête qualitative comportant des entretiens individuels et des entretiens collectifs réalisés avec des jeunes lycéens des classes de seconde. Mais il ne s’agit pas d’une étude sur le processus de radicalisation. C’est très important de le souligner. Elle ne permet pas de repérer des jeunes radicalisés ou en voie de l’être, mais elle cherche à mesurer le degré d’adhésion à la radicalité au sein de la jeunesse. Cette mesure ne peut aboutir à une lecture binaire de la radicalité car elle fait apparaître toute une gamme d’attitudes allant du rejet de toute forme d’extrémisme, de déviance ou de violence à l’acceptabilité de la violence terroriste. Certains jeunes peuvent comprendre ce type d’action violente et radicale sans y adhérer, d’autres peuvent être séduits par des idées radicales sans jamais passer à l’acte, etc. Il est important d’analyser ces résultats en termes de degrés, et non de façon dichotomique.
Comment définissez-vous la radicalité ?
A. M. : Pour nous, la radicalité suppose un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système politique, social, économique, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société. Elle atteint son point le plus extrême lorsqu’elle s’accompagne d’une justification de l’usage de la violence. Nos questions allaient donc de la simple tolérance à l’égard de la triche lors d’un examen jusqu’au fait de prendre les armes pour faire triompher ses idées. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que c’est une approche en termes de degrés. Dans le domaine politique par exemple, nous interprétons comme radical le fait de voter pour des partis hors système ou extrémistes, de participer à des actions protestataires comme les grèves ou les manifestations, ou encore de vouloir changer radicalement la société par une action révolutionnaire. Cela ne signifie pas qu’un jeune soit prêt à passer à l’acte, à affronter lui-même directement les forces de l’ordre, à porter atteinte aux biens ou personnes, dans le cadre d’une contestation globale ou d’une stratégie politique de renversement du système.
Manifestation de lycéens et d’étudiants contre la loi travail, à Paris le 31 mars 2016. Selon les chercheurs, l’action de manifester appartient au registre de la radicalité politique, laquelle couvrirait un large éventail de degrés.
© Hugo AYMAR/ HAYTHAM-REA
O. G. : De la même façon, lorsque nous nous sommes
intéressés à la question de la radicalité religieuse, nous avons défini
celle-ci comme un ensemble d’options pouvant déboucher sur le fondamentalisme,
soit une conception littérale et absolue de la religion, devant s’imposer à
l’ensemble de la société et marquée notamment par un clair refus d’une
séparation entre le religieux et le politique. Néanmoins, ce n’est pas parce
qu’un jeune pense plus ou moins cela qu’il recourt systématiquement à la
violence. On peut être fondamentaliste ou avoir une conception absolutiste de
la religion tout en refusant de partir en guerre contre les autres religions,
ou toutes formes culturelles, sociales ou économiques s’opposant à
l’instauration d’un régime politique fondé sur les préceptes religieux. Si l’on
suit les travaux du sociologue Farhad Khosrokhavar cependant, le terrorisme
islamiste témoigne d’une conjonction entre ces deux formes de radicalité :
une conception fondamentaliste de la religion d’une part, une légitimation de
l’usage de la violence d’autre part ; lorsque ces deux facteurs sont
réunis, le risque de radicalisation serait élevé. Cela fait partie des
hypothèses que nous avons voulu explorer même si nous n’avions pas les moyens
de mesurer le fondamentalisme stricto sensu, puisque notre enquête porte sur
l’ensemble de la jeunesse lycéenne. Nous avons néanmoins une mesure de
l’absolutisme religieux et de la tolérance à la violence et à la déviance.
Quelles hypothèses avez-vous voulu vérifier pour expliquer l’entrée dans la radicalité ?
O. G. : Si l’on schématise, trois grandes théories sont présentes dans le champ sociologique. La première, centrée sur la radicalité religieuse, et plus précisément sur la lecture radicale de l’islam proposée par certains courants, cherche la genèse de la radicalité au cœur de l’interprétation religieuse elle-même : la dynamique « salafiste » dont parle Gilles Kepel. La seconde est une interprétation en termes de frustration et de victimisation. C’est l’idée que des individus victimes de formes d’exclusion et de discrimination, n’ayant pas les moyens de se réaliser socialement et de s’exprimer politiquement, seraient davantage tentés par des formes de radicalité politique ou religieuse. Farhad Khosrokhavar envisage en ce sens que la délinquance pourrait être une porte d’entrée vers le terrorisme. La troisième explication valorise la dimension identitaire et psychologique. Dans ce cas, les mécanismes économiques et sociaux seraient secondaires ; le principal facteur d’entrée serait un malaise identitaire rendant un individu propice aux identifications radicales ou manichéennes. Les travaux du politologue Olivier Roy ou du psychanalyste Fethi Benslama ont ainsi insisté sur l’identification des jeunes djihadistes à l’Oumma musulmane, pour résoudre des conflits liés à la fragilité de leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Ces trois types d’interprétation ne sont d’ailleurs pas exclusifs les uns des autres.
A. M. : Les travaux sur les engagements politiques extrémistes, ainsi que plusieurs études sur l’attrait du Front national dans la jeunesse, ont établi des mécanismes psychologiques similaires. Disposant d’un large échantillon, nous pouvons travailler sur des segments spécifiques de la jeunesse. C’est le grand intérêt de cette étude. Nous pouvons mener des analyses fines au sein de notre population lycéenne permettant d’identifier les facteurs contextuels, sociaux, culturels, économiques, scolaires mais aussi personnels, qui peuvent être associés aux différents degrés d’adhésion à la radicalité. Par exemple, en explorant les effets du genre : les garçons sont-ils davantage séduits que les filles par la radicalité, ou l’inverse ? Notre échantillon nous permet également de comparer les jeunes qui éprouvent des conflits au sein de leur cercle familial et ceux qui n’en ont aucun, ceux qui se sentent exclus de la société et ceux qui s’y trouvent plutôt bien intégrés, etc. Ces informations sont d’autant plus intéressantes que l’hypothèse d’une rupture avec un environnement jugé anxiogène – familial, scolaire, social… – est régulièrement avancée pour expliquer l’adhésion d’un jeune à des idées ou des comportements radicaux. De la même façon, l’idée que le décrochage scolaire ou que l’angoisse face à l’avenir est un facteur explicatif peut être vérifiée, en comparant le degré d’adhésion des jeunes selon qu’ils sont ou non dans ce cas de figure.
Cette enquête est-elle représentative de la jeunesse française ?
A. M. : Non, car pour répondre à l’objet de cette recherche, dans le cadre particulier de l’appel à projets du CNRS « Attentats-recherche », et pour répondre aux conditions d’une enquête nécessairement exploratoire à ce stade, nous avons choisi de surreprésenter certaines catégories dans notre échantillon en introduisant des critères de sélection des établissements scolaires : lycées situés en ZUS, où sont scolarisés une plus forte proportion de jeunes issus des catégories populaires ou issus de l’immigration, et où l’on compte en plus grand nombre des jeunes de confession musulmane. Il nous paraissait essentiel d’avoir une information plus riche sur ces segments de la population, dans la mesure où plusieurs interprétations – socio-économique, culturelle ou religieuse – s’opposent pour expliquer la radicalisation qui, lorsqu’elle est extrême, peut conduire au terrorisme que l’on a connu en 2015. Ces biais rendent notre panel très différent de la jeunesse française en général, mais sa diversité et sa taille permettent de vérifier à notre échelle si des variables économiques, culturelles, religieuses sont associées à une adhésion plus ou moins grande à des idées radicales.
O. G. : Nous avons pris des précautions pour conserver une certaine diversité de profil : lycées de centre-ville, de banlieues, et proches de zones rurales, filières générales et professionnelles, mixité de filles et de garçons, etc. Néanmoins, si nous avions enquêté sur l’ensemble de la jeunesse française, notre échantillon aurait comporté 6 à 7 % % de jeunes issus de zones urbaines sensibles et peut-être 3 % de musulmans, ce qui n’aurait pas permis de faire des traitements statistiques fins sur des segments spécifiques de la population jeune. Notre échantillon comporte environ 16 % de jeunes en ZUS et 25 % – soit 1 750 jeunes – de confession musulmane.
Hall d’un lycée technique. L’enquête coordonnée par Anne Muxel et Olivier Galland a été réalisée entre octobre 2016 et mars 2017 auprès de 7 000 lycéens de seconde, dans 21 établissements en France. Un échantillon de grande ampleur mais qui n'est pas représentatif de la jeunesse française car les chercheurs ont choisi de surreprésenter certaines catégories. ©Frédéric MAIGROT/REA
Quelles hypothèses avez-vous voulu vérifier pour expliquer l’entrée dans la radicalité ?
O. G. : Si l’on schématise, trois grandes théories sont présentes dans le champ sociologique. La première, centrée sur la radicalité religieuse, et plus précisément sur la lecture radicale de l’islam proposée par certains courants, cherche la genèse de la radicalité au cœur de l’interprétation religieuse elle-même : la dynamique « salafiste » dont parle Gilles Kepel. La seconde est une interprétation en termes de frustration et de victimisation. C’est l’idée que des individus victimes de formes d’exclusion et de discrimination, n’ayant pas les moyens de se réaliser socialement et de s’exprimer politiquement, seraient davantage tentés par des formes de radicalité politique ou religieuse. Farhad Khosrokhavar envisage en ce sens que la délinquance pourrait être une porte d’entrée vers le terrorisme. La troisième explication valorise la dimension identitaire et psychologique. Dans ce cas, les mécanismes économiques et sociaux seraient secondaires ; le principal facteur d’entrée serait un malaise identitaire rendant un individu propice aux identifications radicales ou manichéennes. Les travaux du politologue Olivier Roy ou du psychanalyste Fethi Benslama ont ainsi insisté sur l’identification des jeunes djihadistes à l’Oumma musulmane, pour résoudre des conflits liés à la fragilité de leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Ces trois types d’interprétation ne sont d’ailleurs pas exclusifs les uns des autres.
A. M. : Les travaux sur les engagements politiques extrémistes, ainsi que plusieurs études sur l’attrait du Front national dans la jeunesse, ont établi des mécanismes psychologiques similaires. Disposant d’un large échantillon, nous pouvons travailler sur des segments spécifiques de la jeunesse. C’est le grand intérêt de cette étude. Nous pouvons mener des analyses fines au sein de notre population lycéenne permettant d’identifier les facteurs contextuels, sociaux, culturels, économiques, scolaires mais aussi personnels, qui peuvent être associés aux différents degrés d’adhésion à la radicalité. Par exemple, en explorant les effets du genre : les garçons sont-ils davantage séduits que les filles par la radicalité, ou l’inverse ? Notre échantillon nous permet également de comparer les jeunes qui éprouvent des conflits au sein de leur cercle familial et ceux qui n’en ont aucun, ceux qui se sentent exclus de la société et ceux qui s’y trouvent plutôt bien intégrés, etc. Ces informations sont d’autant plus intéressantes que l’hypothèse d’une rupture avec un environnement jugé anxiogène – familial, scolaire, social… – est régulièrement avancée pour expliquer l’adhésion d’un jeune à des idées ou des comportements radicaux. De la même façon, l’idée que le décrochage scolaire ou que l’angoisse face à l’avenir est un facteur explicatif peut être vérifiée, en comparant le degré d’adhésion des jeunes selon qu’ils sont ou non dans ce cas de figure.
Cette enquête est-elle représentative de la jeunesse française ?
A. M. : Non, car pour répondre à l’objet de cette recherche, dans le cadre particulier de l’appel à projets du CNRS « Attentats-recherche », et pour répondre aux conditions d’une enquête nécessairement exploratoire à ce stade, nous avons choisi de surreprésenter certaines catégories dans notre échantillon en introduisant des critères de sélection des établissements scolaires : lycées situés en ZUS, où sont scolarisés une plus forte proportion de jeunes issus des catégories populaires ou issus de l’immigration, et où l’on compte en plus grand nombre des jeunes de confession musulmane. Il nous paraissait essentiel d’avoir une information plus riche sur ces segments de la population, dans la mesure où plusieurs interprétations – socio-économique, culturelle ou religieuse – s’opposent pour expliquer la radicalisation qui, lorsqu’elle est extrême, peut conduire au terrorisme que l’on a connu en 2015. Ces biais rendent notre panel très différent de la jeunesse française en général, mais sa diversité et sa taille permettent de vérifier à notre échelle si des variables économiques, culturelles, religieuses sont associées à une adhésion plus ou moins grande à des idées radicales.
O. G. : Nous avons pris des précautions pour conserver une certaine diversité de profil : lycées de centre-ville, de banlieues, et proches de zones rurales, filières générales et professionnelles, mixité de filles et de garçons, etc. Néanmoins, si nous avions enquêté sur l’ensemble de la jeunesse française, notre échantillon aurait comporté 6 à 7 % % de jeunes issus de zones urbaines sensibles et peut-être 3 % de musulmans, ce qui n’aurait pas permis de faire des traitements statistiques fins sur des segments spécifiques de la population jeune. Notre échantillon comporte environ 16 % de jeunes en ZUS et 25 % – soit 1 750 jeunes – de confession musulmane.
Hall d’un lycée technique. L’enquête coordonnée par Anne Muxel et Olivier Galland a été réalisée entre octobre 2016 et mars 2017 auprès de 7 000 lycéens de seconde, dans 21 établissements en France. Un échantillon de grande ampleur mais qui n'est pas représentatif de la jeunesse française car les chercheurs ont choisi de surreprésenter certaines catégories. ©Frédéric MAIGROT/REA
Avez-vous constaté des particularités de votre
échantillon par rapport à l’ensemble de la jeunesse française ?
O. G. : C’est une jeunesse très particulière, et pas forcément là où on l’attend, lorsqu’on la compare à l’enquête-témoin réalisée par Opinion Way. Si l’on ne note pas de différences flagrantes en ce qui concerne leur perception de l’école, celle de leur avenir professionnel, leurs attitudes et leur proximité vis-à-vis de leurs familles, en revanche sur le plan de la tolérance à la déviance et à la violence, il existe des écarts significatifs. Les jeunes de notre échantillon font preuve d’une tolérance plus forte à l’égard des comportements déviants comme « conduire sans permis » par exemple, ou le fait de « dealer un peu de haschich ». D’autre part, ces élèves témoignent globalement d’une adhésion plus forte à la radicalité. Participer à des actions violentes pour ses idées ou même se sacrifier pour une cause est davantage admis, et une plus grande proportion d’entre eux déclare être éventuellement prête à affronter les forces de l’ordre ou d’autres manifestants. Enfin, et ça n’est pas négligeable, les principes de la laïcité sont en moyenne rejetés par deux fois plus d’élèves que dans l’ensemble de la jeunesse.
Quels principaux facteurs de radicalité avez-vous pu identifier ?
O. G. : Nous avons constaté dans notre étude un effet religieux qui est, on ne peut le nier, présent chez les jeunes musulmans de notre échantillon. D’une part, ils sont trois fois plus nombreux que les autres à défendre une vision absolutiste de la religion – en considérant à la fois qu’il y a « une seule vraie religion » et que la religion explique mieux la création du monde que la science. 11 % des jeunes de notre échantillon sont sur cette ligne, un chiffre qui triple pour ceux de confession musulmane. D’autre part, quand on combine le degré d’adhésion à cet absolutisme religieux et la tolérance à l’égard de la déviance ou de la violence, on retrouve le même facteur multiplicatif : 4 % des jeunes de toutes confessions défendent une vision absolutiste de la religion tout en adhérant à des idées radicales, alors que ce chiffre est de 12 % chez les jeunes musulmans de notre échantillon. On notera qu’il s’agit d’une très petite proportion en définitive, l’absolutisme radical est très loin d’être majoritaire chez les musulmans ! Néanmoins, cette tendance est de fait plus marquée dans ce segment de notre échantillon. Lorsque l’on fait varier d’autres facteurs, comme la situation socio-économique ou la filière d’étude, cela ne change quasiment pas le résultat. Notons cependant que les garçons sont plus concernés que les filles (deux fois plus environ).
A. M. : Ce qui nous a également frappés, c’est l’importance de la socialisation religieuse dans le cercle familial parmi les jeunes musulmans. L’hypothèse d’une rupture avec un milieu athée ou mécréant, ou celle d’une religion qui serait un prétexte lorsqu’on se radicalise pour d’autres raisons, ne sont pas probantes. Ces jeunes ont au contraire bénéficié d’une éducation religieuse importante, occupant une place quotidienne dans leur vie et dans leur foyer. La phase qualitative qui est en cours nous permettra d’affiner les interprétations des liens possibles entre un fort engagement dans l’islam et le degré d’adhésion à des idées plus ou moins radicales. Notre enquête montre que ce lien existe, mais il reste à en produire une interprétation solide. Si l’on voulait être complet sur la question de la radicalité religieuse, l’idéal aurait été d’enquêter aussi dans des lycées privés juifs ou catholiques. Mais nous n’en avions pas les moyens. D’autre part, ces formes de radicalité, qui existent certainement, n’ont ni l’ampleur ni les conséquences de celle qui est liée à l’islam.
Quel est l’impact des facteurs économiques ou sociaux ?
O. G. : Une explication purement économique ne nous paraît pas validée. L’idée d’une « génération sacrifiée » qui serait du même coup tentée par la radicalité se heurte au sentiment de relative bonne intégration de ces populations. Lorsqu’on les compare avec l’enquête témoin réalisée par Opinion Way, ils ne paraissent ni plus ni moins confiants en l’avenir que l’ensemble de la jeunesse française, et croient tout autant en leurs capacités de poursuivre des études après le bac et de trouver un emploi satisfaisant. En revanche, le sentiment d’être discriminé est deux fois plus marqué dans notre échantillon, notamment chez les jeunes de confession musulmane ou d’origine étrangère. Nous devons envisager que les facteurs religieux se conjuguent avec des questions identitaires, mêlées à des sentiments de victimisation et de discrimination, pour expliquer l’adhésion à la radicalité. Notre constat est donc nuancé, et nous sommes loin d’avoir épuisé les leçons que nous pouvons tirer de cette enquête. Les entretiens individuels nous permettront de mieux discerner ce qui relève de la religion stricto sensu et ce qui relève d’un sentiment de victimisation ou d’un malaise identitaire.
A. M. : Néanmoins, le fait est que la prise en compte des sentiments de discrimination ne diminue qu’à la marge l’effet religieux. Dans notre échantillon, les jeunes musulmans qui se sentent discriminés adhèrent certes plus souvent à des idées radicales que ceux qui ne se sentent pas discriminés. Or, qu’ils soient discriminés ou non, ils sont toujours plus nombreux que les autres jeunes à adhérer à ces idées. Mais ces constats restent effectivement à affiner et à nuancer, d’autant que nous nous heurtons à plusieurs paradoxes. Par exemple, le degré de pratique religieuse est certes plus marqué chez les jeunes musulmans, y compris ceux adhérant à des idées absolutistes ou radicales, mais plus de la moitié de ces derniers ont une pratique religieuse plutôt épisodique et peu structurée. Leur rapport aux normes sociales et au libéralisme culturel est également ambivalent. D’un côté, le rejet de la laïcité ou de l’homosexualité est beaucoup plus marqué chez les musulmans que dans les autres religions. En revanche, l’égalité homme-femme n’est pas loin de faire consensus pour les jeunes de toutes confessions. Les variables que nous avons ciblées grâce à cette enquête restent pour une large part à interpréter.
Une salle de classe dans un lycée. L’enquête relève chez la majorité des jeunes interrogés (14-16 ans) un faible intérêt pour la politique et une posture de défiance vis-à-vis du « système ».
©DURAND FLORENCE/SIPA
O. G. : C’est une jeunesse très particulière, et pas forcément là où on l’attend, lorsqu’on la compare à l’enquête-témoin réalisée par Opinion Way. Si l’on ne note pas de différences flagrantes en ce qui concerne leur perception de l’école, celle de leur avenir professionnel, leurs attitudes et leur proximité vis-à-vis de leurs familles, en revanche sur le plan de la tolérance à la déviance et à la violence, il existe des écarts significatifs. Les jeunes de notre échantillon font preuve d’une tolérance plus forte à l’égard des comportements déviants comme « conduire sans permis » par exemple, ou le fait de « dealer un peu de haschich ». D’autre part, ces élèves témoignent globalement d’une adhésion plus forte à la radicalité. Participer à des actions violentes pour ses idées ou même se sacrifier pour une cause est davantage admis, et une plus grande proportion d’entre eux déclare être éventuellement prête à affronter les forces de l’ordre ou d’autres manifestants. Enfin, et ça n’est pas négligeable, les principes de la laïcité sont en moyenne rejetés par deux fois plus d’élèves que dans l’ensemble de la jeunesse.
Quels principaux facteurs de radicalité avez-vous pu identifier ?
O. G. : Nous avons constaté dans notre étude un effet religieux qui est, on ne peut le nier, présent chez les jeunes musulmans de notre échantillon. D’une part, ils sont trois fois plus nombreux que les autres à défendre une vision absolutiste de la religion – en considérant à la fois qu’il y a « une seule vraie religion » et que la religion explique mieux la création du monde que la science. 11 % des jeunes de notre échantillon sont sur cette ligne, un chiffre qui triple pour ceux de confession musulmane. D’autre part, quand on combine le degré d’adhésion à cet absolutisme religieux et la tolérance à l’égard de la déviance ou de la violence, on retrouve le même facteur multiplicatif : 4 % des jeunes de toutes confessions défendent une vision absolutiste de la religion tout en adhérant à des idées radicales, alors que ce chiffre est de 12 % chez les jeunes musulmans de notre échantillon. On notera qu’il s’agit d’une très petite proportion en définitive, l’absolutisme radical est très loin d’être majoritaire chez les musulmans ! Néanmoins, cette tendance est de fait plus marquée dans ce segment de notre échantillon. Lorsque l’on fait varier d’autres facteurs, comme la situation socio-économique ou la filière d’étude, cela ne change quasiment pas le résultat. Notons cependant que les garçons sont plus concernés que les filles (deux fois plus environ).
A. M. : Ce qui nous a également frappés, c’est l’importance de la socialisation religieuse dans le cercle familial parmi les jeunes musulmans. L’hypothèse d’une rupture avec un milieu athée ou mécréant, ou celle d’une religion qui serait un prétexte lorsqu’on se radicalise pour d’autres raisons, ne sont pas probantes. Ces jeunes ont au contraire bénéficié d’une éducation religieuse importante, occupant une place quotidienne dans leur vie et dans leur foyer. La phase qualitative qui est en cours nous permettra d’affiner les interprétations des liens possibles entre un fort engagement dans l’islam et le degré d’adhésion à des idées plus ou moins radicales. Notre enquête montre que ce lien existe, mais il reste à en produire une interprétation solide. Si l’on voulait être complet sur la question de la radicalité religieuse, l’idéal aurait été d’enquêter aussi dans des lycées privés juifs ou catholiques. Mais nous n’en avions pas les moyens. D’autre part, ces formes de radicalité, qui existent certainement, n’ont ni l’ampleur ni les conséquences de celle qui est liée à l’islam.
Quel est l’impact des facteurs économiques ou sociaux ?
O. G. : Une explication purement économique ne nous paraît pas validée. L’idée d’une « génération sacrifiée » qui serait du même coup tentée par la radicalité se heurte au sentiment de relative bonne intégration de ces populations. Lorsqu’on les compare avec l’enquête témoin réalisée par Opinion Way, ils ne paraissent ni plus ni moins confiants en l’avenir que l’ensemble de la jeunesse française, et croient tout autant en leurs capacités de poursuivre des études après le bac et de trouver un emploi satisfaisant. En revanche, le sentiment d’être discriminé est deux fois plus marqué dans notre échantillon, notamment chez les jeunes de confession musulmane ou d’origine étrangère. Nous devons envisager que les facteurs religieux se conjuguent avec des questions identitaires, mêlées à des sentiments de victimisation et de discrimination, pour expliquer l’adhésion à la radicalité. Notre constat est donc nuancé, et nous sommes loin d’avoir épuisé les leçons que nous pouvons tirer de cette enquête. Les entretiens individuels nous permettront de mieux discerner ce qui relève de la religion stricto sensu et ce qui relève d’un sentiment de victimisation ou d’un malaise identitaire.
A. M. : Néanmoins, le fait est que la prise en compte des sentiments de discrimination ne diminue qu’à la marge l’effet religieux. Dans notre échantillon, les jeunes musulmans qui se sentent discriminés adhèrent certes plus souvent à des idées radicales que ceux qui ne se sentent pas discriminés. Or, qu’ils soient discriminés ou non, ils sont toujours plus nombreux que les autres jeunes à adhérer à ces idées. Mais ces constats restent effectivement à affiner et à nuancer, d’autant que nous nous heurtons à plusieurs paradoxes. Par exemple, le degré de pratique religieuse est certes plus marqué chez les jeunes musulmans, y compris ceux adhérant à des idées absolutistes ou radicales, mais plus de la moitié de ces derniers ont une pratique religieuse plutôt épisodique et peu structurée. Leur rapport aux normes sociales et au libéralisme culturel est également ambivalent. D’un côté, le rejet de la laïcité ou de l’homosexualité est beaucoup plus marqué chez les musulmans que dans les autres religions. En revanche, l’égalité homme-femme n’est pas loin de faire consensus pour les jeunes de toutes confessions. Les variables que nous avons ciblées grâce à cette enquête restent pour une large part à interpréter.
Une salle de classe dans un lycée. L’enquête relève chez la majorité des jeunes interrogés (14-16 ans) un faible intérêt pour la politique et une posture de défiance vis-à-vis du « système ».
©DURAND FLORENCE/SIPA
Quelle est leur perception de l’extrémisme politique et du
terrorisme ?
O. G. : Nous avons tenté d’évaluer leur sensibilité aux attentats de Charlie Hebdo et à ceux du Bataclan, en leur demandant notamment s’ils comprenaient qu’on se livre à des tels actes et s’ils les condamnaient. Là encore, nous sommes obligés de constater de fortes disparités en fonction de la religion : les jeunes musulmans de notre échantillon sont moins enclins à condamner les auteurs et plus nombreux à se déclarer « peu sensibles » à ces événements. Par ailleurs, nous avons pu constater que cet état d’esprit était beaucoup plus marqué chez les jeunes témoignant d’un haut degré d’adhésion à l’absolutisme religieux, quelle que soit la confession, mais il est vrai que, dans notre échantillon, le degré d’absolutisme est nettement plus élevé chez les jeunes musulmans. Nos données ne nous permettent pas, néanmoins, de faire un lien direct entre le fondamentalisme musulman et le fait de comprendre les attentats ou d’y être indifférent, car cela nous aurait obligés à poser des questions plus spécifiques sur l’islamisme. Il était important que notre questionnaire reste perçu comme une enquête générale sur les valeurs, la religion et la citoyenneté, sans que nous ne fassions de différences évidentes entre les élèves selon leur confession. Sur tous ces points, nous attendons beaucoup de l’exploitation des entretiens qualitatifs et des « focus groups » menés avec les lycées pour avancer dans l’interprétation.
A. M. : Notre échantillon est marqué par une plus forte radicalité politique que dans l’enquête-témoin d’Opinion Way : affronter les forces de l’ordre, d’autres manifestants ou dégrader des biens matériels est mieux accepté que dans l’ensemble de la jeunesse. En revanche, le degré de politisation des jeunes lycéens interrogés est assez similaire : la majorité des jeunes de cet âge témoigne d’un faible intérêt pour la politique, d’une posture de défiance généralisée vis-à-vis du « système », qui se traduit souvent par un positionnement « ni droite ni gauche ». À cet âge, on peut observer une réelle distance vis-à-vis de la politique institutionnelle. Mais on retrouve dans notre enquête des phénomènes bien connus qui caractérisent la socialisation politique des jeunes générations : une défiance politique qui se combine à une certaine propension à la protestation. En tant que tel, l’extrémisme politique ne concerne qu’une minorité de jeunes. Mais l’on repère bien dans cette génération un certain nombre de dispositions à la contestation de la société et de ses institutions. Celle-ci peut se porter dans les urnes comme dans des formes de mobilisation collective. La radicalité politique est une composante de la politisation actuelle des jeunes, mais elle ne débouche pas nécessairement sur une acceptation de la violence politique.
Quelle suite allez-vous donner à ces travaux ?
A. M. : Nous envisageons certaines pistes d’analyse comme la pénétration des discours complotistes, la confiance dans les médias, les relations intrafamiliales, les relations avec les forces de police, ou encore la question des jeunes convertis. Le questionnaire de notre étude est riche et nous disposons d’un corpus de données nous permettant de mener des analyses fines sur plusieurs aspects de la vie des jeunes, de leurs attitudes comme de leurs comportements, en lien avec la question de la radicalité. L’ensemble des résultats sera publié dans un ouvrage collectif sur lequel nous sommes en train de travailler.
O. G. : Par ailleurs, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises dans cet entretien, nous attendons beaucoup de l’exploitation de la phase qualitative de notre enquête. Mettre en lumière des relations entre variables est un pas important dans la compréhension de l’adhésion à la radicalité politique et religieuse – et cette exploration quantitative est un travail inédit dans le champ des sciences sociales en France aujourd’hui. C’est là un point fort de notre démarche. Mais ce n’est pas toujours suffisant, car les liens mis en évidence restent à interpréter au sein d’un ensemble d’hypothèses et de cadres explicatifs complexes et parfois concurrents. Les entretiens et les « focus groups » fourniront un matériau précieux pour les vérifier, les infirmer ou les départager.
O. G. : Nous avons tenté d’évaluer leur sensibilité aux attentats de Charlie Hebdo et à ceux du Bataclan, en leur demandant notamment s’ils comprenaient qu’on se livre à des tels actes et s’ils les condamnaient. Là encore, nous sommes obligés de constater de fortes disparités en fonction de la religion : les jeunes musulmans de notre échantillon sont moins enclins à condamner les auteurs et plus nombreux à se déclarer « peu sensibles » à ces événements. Par ailleurs, nous avons pu constater que cet état d’esprit était beaucoup plus marqué chez les jeunes témoignant d’un haut degré d’adhésion à l’absolutisme religieux, quelle que soit la confession, mais il est vrai que, dans notre échantillon, le degré d’absolutisme est nettement plus élevé chez les jeunes musulmans. Nos données ne nous permettent pas, néanmoins, de faire un lien direct entre le fondamentalisme musulman et le fait de comprendre les attentats ou d’y être indifférent, car cela nous aurait obligés à poser des questions plus spécifiques sur l’islamisme. Il était important que notre questionnaire reste perçu comme une enquête générale sur les valeurs, la religion et la citoyenneté, sans que nous ne fassions de différences évidentes entre les élèves selon leur confession. Sur tous ces points, nous attendons beaucoup de l’exploitation des entretiens qualitatifs et des « focus groups » menés avec les lycées pour avancer dans l’interprétation.
A. M. : Notre échantillon est marqué par une plus forte radicalité politique que dans l’enquête-témoin d’Opinion Way : affronter les forces de l’ordre, d’autres manifestants ou dégrader des biens matériels est mieux accepté que dans l’ensemble de la jeunesse. En revanche, le degré de politisation des jeunes lycéens interrogés est assez similaire : la majorité des jeunes de cet âge témoigne d’un faible intérêt pour la politique, d’une posture de défiance généralisée vis-à-vis du « système », qui se traduit souvent par un positionnement « ni droite ni gauche ». À cet âge, on peut observer une réelle distance vis-à-vis de la politique institutionnelle. Mais on retrouve dans notre enquête des phénomènes bien connus qui caractérisent la socialisation politique des jeunes générations : une défiance politique qui se combine à une certaine propension à la protestation. En tant que tel, l’extrémisme politique ne concerne qu’une minorité de jeunes. Mais l’on repère bien dans cette génération un certain nombre de dispositions à la contestation de la société et de ses institutions. Celle-ci peut se porter dans les urnes comme dans des formes de mobilisation collective. La radicalité politique est une composante de la politisation actuelle des jeunes, mais elle ne débouche pas nécessairement sur une acceptation de la violence politique.
Quelle suite allez-vous donner à ces travaux ?
A. M. : Nous envisageons certaines pistes d’analyse comme la pénétration des discours complotistes, la confiance dans les médias, les relations intrafamiliales, les relations avec les forces de police, ou encore la question des jeunes convertis. Le questionnaire de notre étude est riche et nous disposons d’un corpus de données nous permettant de mener des analyses fines sur plusieurs aspects de la vie des jeunes, de leurs attitudes comme de leurs comportements, en lien avec la question de la radicalité. L’ensemble des résultats sera publié dans un ouvrage collectif sur lequel nous sommes en train de travailler.
O. G. : Par ailleurs, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises dans cet entretien, nous attendons beaucoup de l’exploitation de la phase qualitative de notre enquête. Mettre en lumière des relations entre variables est un pas important dans la compréhension de l’adhésion à la radicalité politique et religieuse – et cette exploration quantitative est un travail inédit dans le champ des sciences sociales en France aujourd’hui. C’est là un point fort de notre démarche. Mais ce n’est pas toujours suffisant, car les liens mis en évidence restent à interpréter au sein d’un ensemble d’hypothèses et de cadres explicatifs complexes et parfois concurrents. Les entretiens et les « focus groups » fourniront un matériau précieux pour les vérifier, les infirmer ou les départager.
L’enquête « Les jeunes et la radicalité religieuse et politique » a été réalisée avec le concours du CNRS et le soutien de l’Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire(Injep), du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère de l’Éducation nationale, de la CAF et de la Fondation Jean-Jaurès. Elle est coordonnée par Olivier Galland (Gemass, CNRS/Univ. Paris 4) et Anne Muxel (Cévipof, CNRS/Sciences po), avec Vincent Cicchelli (Gemass), Alexandra Frénod (Gemass), Laurent Lardeux (Injep), Jean-François Mignot (Gemass) et Sylvie Octobre (ministère de la Culture et de la Communication).
Notes
- 1.Olivier
Galland est directeur de recherche au CNRS. Ce sociologue est spécialiste
de la jeunesse et des âges de la vie. Il travaille notamment sur les
valeurs (morales, politiques…) et les inégalités en fonction des
générations. Après un doctorat en économie à l’université Paris-Dauphine,
il obtient l’habilitation à diriger des recherches en sociologie à l’IEP
de Paris. Il est aujourd’hui directeur du Gemass, Groupe d’étude des
méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (CNRS/Université
Paris-Sorbonne). Il a notamment participé à l’ouvrage Une jeunesse
différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans, sous la
direction de Bernard Roudet (La documentation française, 2014) et
s’apprête à publier une Sociologie des inégalités (Armand Colin).
- 2.Anne
Muxel est directrice de recherche au CNRS. Cette sociologue est
spécialiste des attitudes et comportements politiques, de la transmission
intergénérationelle et de la constitution de la mémoire. Après un doctorat
en sociologie sur les phénomènes de socialisation familiale, elle a obtenu
son Habilitation à diriger des recherches en sociologie et en science
politique à l’IEP de Paris. Aujourd’hui chercheuse en sciences politiques
au Cévipof (CNRS/Sciences Po), elle a notamment étudié le rapport des jeunes
à la politique, tant dans un cadre national que comparatif au niveau
européen. Elle a notamment dirigé Temps et politique : les recompositions
de l’identité (Presses de Sciences Po, 2016) et a publié Avoir 20 ans en
politique : les enfants du désenchantement (Seuil, 2010). Elle a également
analysé pour sa partie française « Génération What », une grande enquête
sur la jeunesse européenne menée en 2016.
Ce que "La Tentation
radicale" nous apprend sur la radicalisation religieuse des jeunes
musulmans en France (05.04.2018)
Une vaste enquête sociologique publiée cette semaine se
penche sur l'épineux sujet de la radicalisation des jeunes français. Pour le
politologue Gérard Grunberg, les critiques qu'elle suscite ne sont pas
justifiées.
LA NEWSLETTER ACTU
Gérard Grunberg, auteur de cet article, est directeur de
recherche émérite au CNRS. La version originale de cet article a été publiée
sur le site Telos,
dont franceinfo est partenaire.
L'ouvrage publié sous la direction d'Olivier Galland et Anne
Muxel sur la tentation radicale (La Tentation radicale. Enquête sur les lycéens, éd.
PUF, avril 2018), réalisé à partir d'une grande enquête sur les lycéens,
constitue à l'évidence un jalon de première importance dans l'étude du
phénomène de la radicalisation des jeunes en France. Il apporte en effet de
nombreuses réponses aux questions que nous nous posons sur l'ampleur et les
causes de cette radicalisation. La richesse de l'ouvrage nous oblige à nous focaliser
ici sur l'un des thèmes majeurs traités, le phénomène de la radicalisation
religieuse, étudié plus spécialement par Olivier Galland.
Une radicalisation religieuse dans un
milieu religieux
Pour Olivier Galland, "la montée de la
religiosité chez les jeunes musulmans semble être un phénomène de grande
ampleur". Selon lui, le rôle fondamental de l'idéologie salafiste dans
le processus de radicalisation, relevé par Gilles Kepel, est réel. Il s'agit
bien d'une radicalisation de l'islam dans les jeunes générations de musulmans.
N'ayant pas assez d'indicateurs pour étudier l'ensemble du phénomène de la
montée du fondamentalisme religieux dans ces générations, il se limite à un
indicateur d'absolutisme religieux construit à partir des deux opinions selon
lesquelles "l'islam est la seule vraie religion" et "la
religion a raison contre la science pour expliquer la création du monde".
75% des jeunes musulmans des lycées partagent entièrement ou plutôt la première
opinion et 81% la seconde. Cette radicalisation religieuse ne constitue pas une
rupture générationnelle avec les parents. Ces jeunes déclarent en effet avoir
été élevés religieusement et ne font pas état de conflits avec leurs parents à
propos de la religion. Il s'agit donc d'une radicalisation religieuse dans un
milieu lui-même religieux.
La comparaison avec les élèves affiliés à d'autres
religions ou sans religion montre clairement la spécificité des jeunes
musulmans du point de vue de l'importance de la foi religieuse dans leur vie
personnelle, leur forte pratique religieuse et leur attachement au respect des
comportements et interdits religieux. Gérard Grunberg, directeur de
recherche émérite au CNRS
"Ces jeunes, écrit Olivier Galland, se
situent bien dans un univers culturel et normatif très éloigné de la jeunesse
majoritaire et très éloigné des valeurs centrales de la
société." "Leur radicalisation religieuse, ajoute-t-il, est
associée à un ensemble de valeurs qui font sens et qui sont largement en
décalage avec celles qui dominent dans la société française."
Ils rejettent ainsi le libéralisme culturel qui est au
contraire en progrès dans l'ensemble de la jeunesse française et plus largement
occidentale. Leur anti-relativisme radical en matière religieuse et leur
attachement à la domination des croyances religieuses sur les croyances
séculières et la rationalité scientifique les isolent dans la société
française, leur profil idéologique se démarquant ainsi très nettement de celui
des autres jeunes. Il s'agit donc d'un phénomène de résistance de plus en plus
radicale au mouvement de sécularisation dans lequel les sociétés occidentales
sont engagées.
Un fossé croissant entre les jeunes
musulmans et les autres lycéens
Il est particulièrement intéressant de remarquer que le
rapport à la religion n'oppose pas les lycéens éloignés de la religion (près de
la moitié de l'échantillon) à ceux qui ont une religion, quelle qu'elle soit,
mais les jeunes musulmans aux autres lycéens, qu'ils aient ou non des croyances
religieuses. Ainsi, 23% des chrétiens seulement estiment que leur religion est
la seule vraie religion contre 75% des jeunes musulmans. Et sur la question de
savoir qui détient la vérité à propos de la création du monde, tandis que 81%
des jeunes musulmans optent pour la religion c'est seulement le fait de 27% des
chrétiens, plus proches ici des sans-religion (5%). Un fort absolutisme
religieux se manifeste ainsi chez 32% des jeunes musulmans et chez 6% seulement
des jeunes chrétiens. Ces derniers sont beaucoup plus proches des sans-religion
que des musulmans.
Se confirme ainsi que le mouvement de sécularisation
religieuse est essentiellement un phénomène qui concerne la civilisation
chrétienne dans son ensemble. Le fossé entre les jeunes musulmans et les autres
jeunes est donc d'autant plus large que les premiers opèrent un mouvement en
sens inverse de l'évolution des seconds dans leur rapport à la religion.
Galland situe ici sa réflexion dans la suite de celle d'Hugues Lagrange, selon
lequel les musulmans inversent la tendance au déclin des pratiques religieuses
lié au mouvement de sécularisation de nos sociétés.
Galland met également en cause l'importance des "facteurs
socio-économiques que beaucoup de travaux présentent comme une détermination
évidente de la radicalisation". Ils "n'interviennent
absolument pas comme facteurs prédictifs de l'absolutisme religieux ou de la
justification de la violence religieuse", montre-t-il.
Une tolérance à l'égard de la
violence religieuse
L'auteur s'interroge ensuite sur le phénomène de la violence
religieuse ("il est acceptable de combattre les armes à la main pour sa
religion") et de sa double relation avec d'une part la tolérance à
"la violence-déviance" d'un côté et avec leur degré d'absolutisme
religieux de l'autre, combinant ces deux variables pour construire son indicateur.
Notons d'abord que sur cet indicateur de tolérance à la
violence-déviance 26% de l'ensemble des lycéens de l'échantillon occupent les
positions les plus élevées. Les jeunes musulmans y sont surreprésentés (35%).
La question est alors de savoir quelle est la part respective de la tolérance à
la violence et de l'absolutisme religieux dans l'acceptation de la violence
religieuse. La variable de tolérance à la violence-déviance joue le rôle
principal dans l'acceptation de la violence religieuse. Chez les lycéens qui
partagent cette tolérance sans être des absolutistes religieux, 19% acceptent
la violence religieuse. Chez eux s'effectue donc un passage direct de la
tolérance à la violence-déviance à l'acceptation de la violence religieuse sans
que l'absolutisme religieux joue un rôle significatif dans cette acceptation.
Mais, comme le montre Olivier Galland, c'est la combinaison de cette tolérance
et de l'absolutisme religieux qui prédispose le plus massivement les jeunes à
accepter la violence religieuse (42%). Or ce groupe est composé presque
exclusivement de jeunes musulmans puisque l'absolutisme religieux, tel qu'il
est mesuré, est quasiment absent chez les chrétiens et, bien sûr, totalement
absent chez les sans religion. Ajoutons qu'il s'agit essentiellement de
garçons, les filles n'exprimant aucune tolérance à la violence-déviance.
Une enquête sociologique, pas
idéologique
Cette riche recherche confirme donc les résultats obtenus
par d'autres enquêtes : la radicalisation religieuse des jeunes musulmans est
un phénomène de grande ampleur dont il est crucial de prendre conscience
d'autant que, comme nous l'avons dit, il se développe à rebours du phénomène
général de sécularisation de notre société.
Cette enquête constitue donc un apport important de la
recherche sociologique. Or, curieusement, Patrick Simon, chercheur à l'Ined,
dans sa critique parue dans le Monde du 4
avril, accuse les auteurs de "construire un dossier à charge
contre l'islam en cherchant à séparer la religion des conditions sociales de
son appropriation et de ses expressions". Accusation étrange de la
part d'un chercheur en sciences sociales ! Il critique, en particulier,
l'indicateur d'absolutisme religieux qui, selon lui, "s'applique
essentiellement aux musulmans".
Or, dans une société en voie de sécularisation où, comme
l'enquête le montre, les jeunes musulmans adhérent massivement à une conception
anti-relativiste de la religion et rejettent tout aussi massivement une
approche scientifique de l'explication de la création du monde, il était au
contraire capital d'utiliser des indicateurs permettant à ces jeunes d'exprimer
la spécificité de leur rapport à la religion. Gérard Grunberg, directeur de
recherche émérite au CNRS
Cela s'appelle la sociologie. En outre, on pourrait ajouter
que s'il y avait eu en France des "créationnistes" protestants, cet
indicateur aurait certainement très bien fonctionné pour eux également. Le fait
est simplement qu'ils ne sont pas présents en France…
Si une analyse scientifique de ce type de phénomènes est
rejetée comme constituant un dossier "à charge contre
l'islam", c'est que Patrick Simon mélange science et idéologie. La
sociologie entend mettre en lumière les phénomènes sociaux. L'idéologie préfère
parfois les cacher. C'est toute la différence !
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Y a-t-il une tentation radicale chez
certains jeunes ? (6.04.2018)
On pose la question à l’occasion de la sortie du livre
"La Tentation radicale" codirigé par Anne Muxel et Olivier Galland,
deux sociologues qui ont mené une enquête pour le CNRS auprès de plusieurs
milliers de lycéens.
Anne Muxel et Olivier Galland ont réalisé une enquête auprès
de jeunes, l' objectif étant de comprendre pourquoi il y a eu des
incidents dans certains établissements lors des minutes de silence après les
attaques contre Charlie Hebdo et le Bataclan…
La question de l’information est cruciale dans ce domaine,
le complotisme peut faire des ravages. C’est d’ailleurs pour cela que France
Inter a lancé il y a trois ans l’opération « Interclass ». La responsable de ce
dispositif, Emmanuelle Daviet est avec nous également pour nous expliquer
quelle réponse nous avons essayé d’apporter à ce défi, ici à France Inter.
Et puis on n’oublie pas l’actualité la plus récente :
les occupations d’université qui se multiplient, les groupes identitaires
qui refont surface parmi la jeunesse dans certaines villes, sans oublier les
occupants de la ZAD de Notre Dame des Landes qui pourraient être expulsés de
manière imminente. La tentation radicale chez les jeunes, c’est notre sujet ce
soir sur France Inter…
Posez vos questions sur cette enquête qui mérite d’être
détaillée et expliquée, que ce soit sur la méthode employée ou les questions
posées…Car dans ce domaine, les polémiques ne sont jamais loin.
François
d'Orcival : «Quand l'islam s'impose au lycée» (05.04.2018)
CHRONIQUE - Au lycée, la radicalité est le produit d'une
idéologie, le fondamentalisme religieux.
«Les lycéens musulmans sont nettement plus portés que les
autres à adhérer à des idées absolutistes en matière religieuse. Ils justifient
aussi plus souvent la violence religieuse.» Cela se disait depuis longtemps et
notamment chez les premiers concernés, les enseignants - mais on les
soupçonnait d'exagération. Cette fois, l'affirmation est le résultat d'une
enquête approfondie conduite par deux directeurs de recherche au CNRS, Olivier
Galland et Anne Muxel*. Aussitôt après les attentats de 2015, ceux-ci ont voulu
mesurer le degré de «radicalité» existant chez les jeunes. Ils
ont constitué un échantillon large, 7000 élèves de seconde dans
23 lycées de quatre académies (Lille, Créteil, Dijon,
Aix-Marseille), sans négliger centres-villes et zones rurales avec, parmi eux,
1753 lycéens de confession musulmane. Un travail scientifique qui a exigé
près deux ans de travail. Ce qu'ils montrent démolit les excuses répétées de la
«radicalité»: celle-ci, disent-ils, n'est le fruit ni d'un contexte économique
ou social ni de discriminations. En revanche, elle est bien le produit d'une
idéologie, le fondamentalisme religieux, quel que soit le contexte. Les
enquêteurs observent des «tendances radicales d'une ampleur et d'un caractère
sans commune mesure dans l'islam.» Pour un lycéen musulman, son identité
première, celle par laquelle il se définit, n'est pas la France mais sa
religion, transmise par le père encore plus que par la mère. Pour 80 % de
ces lycéens, «c'est la religion qui dit la vérité, c'est tout», et une lycéenne
explique que «l'islam, c'est la religion que tout le monde devrait suivre».
«Complotisme»
Plus la pratique religieuse est élevée, plus fort est
l'absolutisme (l'intégrisme), et plus déterminée la justification de la
violence («Les journalistes de Charlie Hebdo l'ont bien
cherché»). A l'idéologie
radicale, souligne l'enquête, correspond l'adhésion aux thèses «complotistes» (principales
sources de l'antisémitisme): 64 % des jeunes musulmans sont imprégnés de
«complotisme». Les mêmes sont ceux qui accordent le moins de crédit à
l'information des médias, et lui préfèrent les «nouvelles alternatives»
diffusées sur internet. Ainsi, radicalité religieuse et radicalité politique se
combinent pour fabriquer l'explosion de la violence. C'est au lycée que se
prépare le mélange…
* La Tentation radicale, Puf, 460 p., 22 €.
La rédaction vous conseille :
- Politiques,
journalistes, intellos: enquête sur les agents d'influence de l'islam
- Comment
la radicalité religieuse infuse dans certains lycées
La radicalité en question
(07.04.2018)
07/04/2018
Cette semaine comme chaque semaine deux essais sous les feux
de la critique : "La Tentation radicale", d'Anne Muxel et Olivier
Galland, PUF et "Histoire des révoltes panafricaines", de C.L.R
James, éditions Amsterdam.
Le général Toussaint Louverture (XIXe siècle)• Crédits
: Wikimédia Commons
On va bien sûr parler de l’essai qui a fait débat cette
semaine, La Tentation Radicale : Enquête auprès des jeunes,
dirigé par Olivier Galland et Anne Muxel et publiée aux Presses universitaires
de France. Pour une approche quantitative qui conclut à un « effet islam »
spécifique en matière de radicalisation. Puis en seconde partie, on va remonter
dans le temps à l’occasion de la traduction d’un texte inédit de 1939, Histoire
des révoltes panafricaines, paru aux Éditions Amsterdam. L’auteur, C.L.R
James, est un des penseurs les plus importants, mais méconnu en France, de la
question noire… un livre qui reste d’une brûlante actualité.
Anne Muxel et Olivier Galland - La Tentation radicale :
enquête auprès des jeunes
Anne Muxel et Olivier Galland, sociologues, sont tous les
deux chercheurs aux CNRS, spécialistes de la jeunesse.
C’est un travail qui a profité de l’appel à projet lancé, on
s’en souvient, par le président du CNRS Alain Fuchs à la suite des attentats de
2015 sur, je cite, « tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos
sociétés par les attentats et leurs conséquences ». Dans leur introduction,
Anne Muxel et Olivier Galland exposent leur projet : réaliser la
première enquête de grande ampleur sur les jeunes et la radicalité. Pour ça ils
mettent en place une méthode quantitative en sélectionnant un panel de quelques
7000 lycéens dans les régions de Lille, Paris, Dijon et Marseille… ils
soumettent à tous les lycéens un questionnaire puis les rencontrent
individuellement ou par petit groupe pour une approche plus qualitative.
Partant du principe que les phénomènes de radicalisation se
trouvent plus volontiers dans les classes populaires et chez les jeunes
musulmans, leur panel est ouvertement et volontairement surreprésenté dans
cette catégorie de la population. Un sondage mené auprès d’un échantillon
témoin, plus représentatif, doit venir apporter un élément de comparaison. Les
questions portent sur les valeurs, la politique, la religion, l’attachement à
la nation ou encore le rapport à la science, à l’éducation ou aux théories du
complot.
Voilà résumé la méthodologie, nous allons y revenir
tout de suite car elle fait débat. Mais pour être complet il faut tout de même
dire quel est le résultat mis en avant par Anne Muxel et Olivier Galland :
l’existence aujourd’hui de ce qu’ils ont appelé un « effet islam », une
sensibilité plus grande des jeunes musulmans aux idées radicales et
absolutistes.
Deuxième temps de l’émission on change d’époque et de sujet…
mais pas complètement de thème car il est aussi question de radicalité.
C.L.R James - Histoire des révoltes panafricaines
C’est un livre qui paraît aux éditions Amsterdam, déjà sorti
il y a pile 80 ans, en 1938… Il a été repris en 1969 avec un nouvel épilogue.
Il fallait en effet prendre en compte les indépendances africaines et le
mouvement civique aux États-Unis… notamment le rôle joué par Martin Luther King
assassiné en avril 1968. On en a beaucoup parlé sur France Culture à l’occasion
d’une journée spéciale jeudi dernier. Je dis qu’il fallait rajouter ces
épisodes à l’analyse que produit C. L. R. James, car il s’emploie à rompre avec
la thèse dominante à son époque, et qui reste aujourd’hui influente dans les
esprits, selon laquelle les populations noires ont subi passivement
l’exploitation dont ils ont été victimes.
Quelques mots sur C.L.R. James, peut connu en France mais
très important dans l’émergence d’une pensée panafricaine. Il est né à Trinidad
au tournant du XXe siècle et se considère lui-même comme un véritable
intellectuel britannique. Militant marxiste, James est proche de leader comme
Jomo Kenyatta qui deviendra premier président du Kenya, de Julius Nyerere qui
dirigera la Tanzanie mais aussi de figures comme Marcus Garvey, pour qui il n’a
pas que des mots tendres… Tout son travail est d’ailleurs tourné vers cette
articulation entre le rôle des masses et celle des dirigeants.
Histoire des révoltes panafricaines paraît la
même année qu’un autre ouvrage, plus connu, intitulé Les Jacobins Noirs dans
lequel James revenait sur la figure de Toussaint Louverture et sur Saint
Domingue pendant la Révolution Française. On a là plutôt une sorte de panel à
travers les continents et les époques… pour constituer les opprimés en sujets
historiques.
L'instant critique
Sonya Faure nous propose une bande dessinée "Alt-life"parue
aux éditions du Lombard , avec un scénario de Thomas Cadène, le dessin de
Joseph Falzon, les couleurs de Marie Galopin. L'histoire : Josiane et René
vivent à moitié dans le réel, à moitié dans le virtuel. Fuyant un monde à
l'agonie, ils se portent volontaires pour la plus définitive des
expériences : être les pionniers d'un nouveau monde, 100% virtuel, sans
retour possible. Joseph Confavreux nous entraîne lui au cinéma pour un documentaire
de Dominique Marchais "Nul homme n'est une île". Une histoire en Europe des
nouvelles révoltes, une vision qui milite pour une nouvelle façon de penser.
BIBLIOGRAPHIE
Radicalité
des jeunes musulmans : Le Monde change son titre, mais trop tard, Google
est passé par là (04.04.2018)
Nos journalocrates doivent souvent se sentir le postérieur
entre deux chaises. Leur exercice est celui d’un équilibriste : faire
correspondre leur conception du monde à une réalité tangible, et enfermer les
avides lecteurs dans leur vision étroite des rapports humains. Bien
souvent, c’est la seconde qui est privilégiée face à la première.
Ainsi, Le Monde, traitant d’une étude menée par deux
sociologues qui pointe du doigt la monstruosité de cette idéologie conquérante
qu’on appelle l’islam, avait en premier lieu intitulé son article :
« L’inquiétante radicalité des jeunes musulmans ».
Avant de se rétracter et d’opter finalement pour un timide
« L’inquiétante radicalité d’une minorité de jeunes ».
Malheureusement pour nos objecteurs de conscience, le mal a
déjà été enregistré sur les serveurs du web, et l’url, ainsi que les moteurs de
recherche, le retracent toujours :
Hormis ce petit rafistolage, nos théoriciens du
vivre-ensemble n’ont rien trouvé qui puisse avaliser leurs thèses lénifiantes
d’un islam se pliant doucement mais sûrement à la modernité et à la République.
L’ouvrage d’Olivier Galland et Anne Muxel (La Tentation radicale. Enquête
auprès des lycéens, broché, 2018) rapporte les propos de nombre d’élèves
interrogés : les victimes de Charlie hebdo « l’ont bien
cherché » ou « ont provoqué » l’attaque des frères Kouachi.
Le Monde doit déduire malgré lui que
l’« enquête inédite auprès de 7 000 lycéens, qui conclut à un
« effet islam », dans l’adhésion de certains jeunes Français aux
idées radicales et absolutistes. »
Etonnant, non ? Plus fort que l’effet Kiss cool, il y
aurait donc un « effet islam ». Et, si le bonbon créé en 1988
par Kréma laisse effectivement un goût de fraîcheur, celui créé par Mahomet
nous laisse plutôt, lui, une odeur de cadavres.
C’est d’autant plus inquiétant que, si « effet
islam » il y a, il faut s’attendre à des relents encore plus
dévastateurs pour les années à venir. Rappelons que la publicité de la
célèbre confiserie a rapidement évolué en « double effet Kisscool »
puis en « Kisscool, c’est frais mais c’est pas grave ».
Je vous laisse décliner ce slogan à l’envi pour la future
campagne du produit islamique récemment importé dans notre pays. Me concernant,
je vais sortir un peu, car j’ai finalement besoin d’un peu d’air frais, moi
aussi.
Et pour les nostalgiques :
La
"tentation radicale" de jeunes musulmans en France est minoritaire,
mais "préoccupante" (04.04.2018)
04/04/18 à 14:48 - Mise à jour à 14:48
Source: Afp
La majorité des jeunes musulmans en France ne sont pas
tentés par la radicalité, mais une "minorité préoccupante" peut être
encline à l'absolutisme religieux, explique la politologue Anne Muxel,
co-auteure d'une enquête d'une ampleur inédite sur les lycéens français.
Jeunes musulmans en pleine lecture du Coran, Paris,
2012 © Reuters
Dans La tentation radicale (éditions PUF),
qu'elle publie mercredi en France avec le sociologue Olivier Galland, cette
directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS)
analyse les résultats d'une étude originale menée auprès de 7.000 lycéens, de
toutes origines et confessions, interrogés à l'automne 2016. Propos recueillis
par Benoît Fauchet.
Selon votre enquête, 32% des lycéens ayant déclaré être
de religion musulmane "adhèrent à des idées religieuses
absolutistes", contre 6% des chrétiens et 14% des fidèles d'autres cultes.
Qu'entend-on par là, et quelles conclusions en tirer?
Notre mesure de l'absolutisme religieux recouvre des
personnes qui considèrent qu'il n'y a qu'une seule vraie religion et qui mettent
en avant la religion, plutôt que la science, dans la création du monde. Cet
absolutisme religieux ne débouche pas forcément sur la violence, laquelle peut
s'exprimer du reste sans absolutisme religieux. A noter que ceux qui sont
"tolérants à la violence", donc qui présentent un indicateur élevé de
radicalité religieuse, sont plus souvent des garçons (16,5% des garçons
musulmans le sont selon cette étude, NDLR) que des filles (8,7%).
On peut être rassuré par le fait que la majorité des jeunes
musulmans ne sont pas concernés par cette tentation radicale. Mais il y a une
minorité préoccupante qui peut être réceptive à des idées radicales. Cela
incite bien sûr les pouvoirs publics et l'Éducation nationale à apporter des
réponses.
Il faut manier tous ces chiffres avec beaucoup de
précaution, faire très attention au risque d'instrumentalisation. Notre étude
ne porte pas seulement sur les jeunes musulmans mais fait valoir les écarts
d'attitudes et d'opinions que l'on peut observer entre les différents segments
de la jeunesse.
Comment les jeunes ont-ils réagi aux attentats de 2015 (à
Paris, contre l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher
en janvier, puis la salle de spectacles Le Bataclan en novembre), après
lesquels ce chantier scientifique a été mené?
Nous avons différencié les attaques contre Charlie Hebdo et
l'Hyper Cacher de l'attentat contre le Bataclan, en relevant qu'il n'y avait
pas le même type de sensibilité et de réactions à ces divers événements. Bien
évidemment, une grande partie des jeunes condamne les attaques terroristes
quelles qu'elles soient (68% des lycéens pour celles de janvier, 79% concernant
celles de novembre). Mais pour Charlie Hebdo, un maître-mot est mis en
évidence, celui de respect - de la différence, de la religion de l'autre, de
l'islam - qui peut prendre le pas, en tout cas pour certains jeunes, sur le
droit à la liberté d'expression de journalistes satiriques.
Quand l'universitaire Olivier Roy évoquait une
"islamisation de la radicalité" aux ressorts nihilistes, son confrère
Gilles Kepel défendait la thèse d'une "radicalisation de l'islam",
une "dynamique salafiste" au moteur plus clairement religieux, dont
votre enquête semble aussi prendre le parti.
Vouloir opposer l'un à l'autre, c'est s'empêcher de voir
l'ensemble d'un phénomène multidimensionnel. Il est vrai que nos résultats vont
dans le sens du facteur religieux. On montre aussi l'importance du sentiment de
discrimination ou du niveau d'intégration scolaire, des leviers qui restent
toujours derrière le facteur religieux, mais qui sont là.
A présent, il faudrait une enquête approfondie ne portant
que sur les jeunes musulmans pour disposer de données valides statistiquement
sur la façon dont ils vivent, interprètent leur religion dans toutes ses implications
pratiques, par rapport à la laïcité française et aux valeurs de la République.
Nos résultats donnent envie d'aller plus loin pour mieux comprendre la vision
de ces jeunes.
Une
minorité de jeunes musulmans en France radicaux « préoccupante » –
étude (5.04.2018)
https://fr.timesofisrael.com/une-minorite-de-jeunes-musulmans-en-france-radicaux-preoccupante-etude/
"La tentation radicale", d''Anne Muxel et Olivier
Galland est une étude menée auprès de 7 000 lycéens, de toutes origines et
confessions
Des gendarmes déployés à la mosquée de Poitiers suite à
l'attaque de cette mosquée, le 12 janvier 2015. Illustration. (Crédit :
Guillaume Souvant/AFP)
La majorité des jeunes musulmans en France ne sont pas
tentés par la radicalité, mais une « minorité préoccupante » peut
être encline à l’absolutisme religieux, explique à l’AFP la politologue Anne
Muxel, co-auteure d’une enquête d’une ampleur inédite sur les lycéens français.
Dans La tentation radicale (éditions PUF),
qu’elle a publié mercredi en France avec le sociologue Olivier Galland, cette
directrice de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS)
analyse les résultats d’une étude originale menée auprès de 7 000 lycéens, de
toutes origines et confessions, interrogés à l’automne 2016.
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Selon votre enquête, 32 % des lycéens ayant déclaré être
de religion musulmane « adhèrent à des idées religieuses
absolutistes », contre 6 % des chrétiens et 14 % des fidèles d’autres
cultes. Qu’entend-on par là, et quelles conclusions en tirer ?
Notre mesure de l’absolutisme religieux recouvre des
personnes qui considèrent qu’il n’y a qu’une seule vraie religion et qui
mettent en avant la religion, plutôt que la science, dans la création du monde.
Cet absolutisme religieux ne débouche pas forcément sur la violence, laquelle
peut s’exprimer du reste sans absolutisme religieux.
A noter que ceux qui sont « tolérants à la
violence », donc qui présentent un indicateur élevé de radicalité
religieuse, sont plus souvent des garçons (16,5 % des garçons musulmans le sont
selon cette étude, NDLR) que des filles (8,7 %).
On peut être rassuré par le fait que la majorité des jeunes
musulmans ne sont pas concernés par cette tentation radicale. Mais il y a une
minorité préoccupante qui peut être réceptive à des idées radicales. Cela
incite bien sûr les pouvoirs publics et l’Éducation nationale à apporter des
réponses.
Il faut manier tous ces chiffres avec beaucoup de
précaution, faire très attention au risque d’instrumentalisation. Notre étude
ne porte pas seulement sur les jeunes musulmans mais fait valoir les écarts
d’attitudes et d’opinions que l’on peut observer entre les différents segments
de la jeunesse.
Comment les jeunes ont-ils réagi aux attentats de 2015 (à
Paris, contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher
en janvier, puis la salle de spectacles Le Bataclan en novembre), après
lesquels ce chantier scientifique a été mené?
Une gerbe déposée pour commémorer les victimes de l’attentat
djihadiste contre le magazine satirique français Charlie Hebdo photographié
près des bureaux du journal à Paris, le 7 janvier 2018, au troisième
anniversaire de la tuerie (Crédit : AFP PHOTO / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT)
Nous avons différencié les attaques contre Charlie Hebdo et
l’Hyper Cacher de l’attentat contre le Bataclan, en relevant qu’il n’y avait
pas le même type de sensibilité et de réactions à ces divers événements. Bien
évidemment, une grande partie des jeunes condamne les attaques terroristes
quelles qu’elles soient (68% des lycéens pour celles de janvier, 79% concernant
celles de novembre). Mais pour Charlie Hebdo, un maître-mot est mis en
évidence, celui de respect – de la différence, de la religion de l’autre, de
l’islam – qui peut prendre le pas, en tout cas pour certains jeunes, sur le
droit à la liberté d’expression de journalistes satiriques.
Quand l’universitaire Olivier Roy évoquait une
« islamisation de la radicalité » aux ressorts nihilistes, son
confrère Gilles Kepel défendait la thèse d’une « radicalisation de
l’islam », une « dynamique salafiste » au moteur plus clairement
religieux, dont votre enquête semble aussi prendre le parti.
Vouloir opposer l’un à l’autre, c’est s’empêcher de voir
l’ensemble d’un phénomène multidimensionnel. Il est vrai que nos résultats vont
dans le sens du facteur religieux.
On montre aussi l’importance du sentiment de discrimination
ou du niveau d’intégration scolaire, des leviers qui restent toujours derrière
le facteur religieux, mais qui sont là.
A présent, il faudrait une enquête approfondie ne portant
que sur les jeunes musulmans pour disposer de données valides statistiquement
sur la façon dont ils vivent, interprètent leur religion dans toutes ses
implications pratiques, par rapport à la laïcité française et aux valeurs de la
République. Nos résultats donnent envie d’aller plus loin pour mieux comprendre
la vision de ces jeunes.
«
“Charlie Hebdo”, ils l’ont un peu cherché »... (04.04.2018)
EXTRAIT
« Le Monde »
publie des extraits de « La Tentation radicale. Enquête auprès des
lycéens », d’Olivier Galland et Anne Muxel.
Les sociologues Anne
Muxel et Olivier Galland sont les auteurs d’une enquête inédite sur la radicalité
chez les jeunes menée auprès de 7 000 lycéens. Les conclusions de
leur travail révèlent « un clivage culturel entre les jeunes
musulmans et les non-musulmans ».
Face aux
attentats
Extraits. « L’enquête
qualitative nous a permis de recueillir les propos des lycéens et de mieux
connaître la diversité de leurs réactions face aux attentats. Plusieurs thèmes
récurrents sont apparus, notamment lorsque nous leur avons proposé de comparer
les attentats de novembre 2015 et ceux de janvier 2015. Un élève
indique : “Moi, pour moi, c’est pareil parce que dans les deux, il
y a eu des morts, dans les deux, il y a eu des victimes. Et une victime,
quoiqu’elle ait fait, ça reste une victime.” Pour un autre, “il
y a eu plus de morts pour… le Bataclan que pour Charlie Hebdo. Donc
c’est pour ça que c’est plus choquant.” Mais l’expression qui, dans la
bouche des élèves, est revenue le plus souvent est que, par contraste avec les
victimes des attentats de novembre, les dessinateurs deCharlie Hebdo “l’ont
cherché” ou “ont provoqué”. Par ces expressions, les
élèves semblent pouvoir soutenir au moins deux thèses distinctes.
Comme l’indiquent
les extraits ci-dessous (…), les lycéens évoquent une différence
objective entre certaines des victimes de janvier et celles de novembre :
seuls les dessinateurs ont délibérément entrepris une action – la publication
de dessins de Mahomet – dont ils savaient qu’elle pourrait les mettre en
danger. Ces élèves semblent dire : si aucun attentat n’est acceptable,
celui contre Charlie Hebdo semble cibler des victimes contre
lesquelles on peut concevoir un grief spécifique, alors que ceux de novembre
prennent pour cible des victimes choisies au hasard.
Extrait 1, académie
de Dijon
Lycéen : Charlie
Hebdo, ils l’ont un peu… enfin, ils l’ont un peu cherché. Enfin, ils
n’ont pas cherché l’attentat, mais ils ont un peu provoqué. Alors que le
Bataclan, ils…
Lycéenne A :
Oui, ils étaient tranquilles eux.
Lycéenne B :
Oui, Charlie Hebdo, il y avait une… genre une petite raison… enfin,
genre, il y avait une raison pourquoi ça a pas plu. Le Bataclan… il y avait
rien.
Lycéenne A :
Ils étaient tranquilles, là.
Lycéen : Comme
si ils venaient là et ils nous tuaient tous. On n’a rien fait.
Extrait 2, académie
de Créteil
Lycéenne A : En
fait, la différence c’est… Pour moi, c’est déjà… Le 13 novembre, bah,
c’était un attentat vraiment. Et… Alors que dans Charlie Hebdo, ils
ont un peu cherché.
Lycéenne B :
Là, ils continuent en plus, là.
Lycéenne A :
Voilà. C’est ça la différence. Charlie Hebdo, ils ont cherché,
alors que le 13 novembre, ils l’ont pas cherché. C’était vraiment un
attentat.
Extrait 3, académie
d’Aix-Marseille
Lycéen : Ben,
c’est pas pareil, parce que Charlie Hebdo, ils ont
provoqué. (…)Alors que au Bataclan, il y avait… enfin, c’est pas…
ils ont rien demandé, les gens.
(...)
Suite et fin en
cliquant ci-dessous
« La radicalité religieuse
concerne principalement les jeunes de confession musulmane » (03.04.2018)
Le retour à la religion des musulmans est à contre-courant
de la forte sécularisation des autres jeunes, expliquent les sociologues Anne
Muxel et Olivier Galland.
LE MONDE | 03.04.2018 à 05h00 • Mis à jour
le 03.04.2018 à 11h21 | Propos recueillis par Violaine
Morin
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image: http://img.lemde.fr/2018/04/02/0/1/524/348/534/0/60/0/a847b24_15927-shvb3b.nyzo.jpg
Les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland, auteurs d’une
enquête inédite sur la radicalité chez les jeunes menée auprès de 7 000
lycéens, reviennent sur leur démarche et les conclusions de leur travail qui
révèle « un clivage culturel entre les jeunes musulmans et les
non-musulmans ».
Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la radicalité, et
quelle définition en donnez-vous ?
Anne Muxel La radicalité peut tenter la jeunesse
dans toute sa diversité. Certains phénomènes en sont visibles : violence
contre les forces de l’ordre, blocage de lycées, extrémisme électoral, sans
oublier la question du djihad. Telle que nous la définissons, la radicalité est
constituée par un ensemble d’attitudes et d’actes exprimant a minima une
protestation et pouvant aller jusqu’à la contestation frontale du système
politique ainsi que des normes sociales et culturelles dominantes. Elle peut
être arrimée à une idéologie, à une religion, ou ni à l’une ni à l’autre ;
elle peut mener à un passage à l’acte violent dans certains cas.
Quelle est l’ampleur du phénomène ?
Olivier Galland Nous avons pris en compte trois
types de radicalité : religieuse, politique et culturelle. Pour donner un
ordre de grandeur, la radicalité religieuse concerne principalement les jeunes
de confession musulmane. La radicalité politique touche un spectre plus large,
notamment au travers de la diffusion d’une culture protestataire, et la
radicalité culturelle, notamment dans le rapport à l’information, et la
séduction pour les thèses du complot, concerne beaucoup de jeunes.
Votre enquête révèle l’existence d’une « radicalité
du quotidien », non seulement sur des questions religieuses mais aussi sur
des questions de mœurs. Comment l’expliquer ?
O. G. Cette enquête révèle en effet un clivage
culturel entre les jeunes musulmans et les non-musulmans. Les musulmans...
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/03/la-radicalite-religieuse-concerne-principalement-les-jeunes-de-confession-musulmane_5279754_3232.html
Radicalisation politique et
religieuse: une enquête auprès de 7000 lycéens français inquiète (04.04.2018)
04/04/2018 à 08h36
Jean-Jacques Bourdin recevait Anne Muxel, directrice de
recherche au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), qui a
mené l'enquête La Tentation radicale.
C'est une étude qui ne manquera pas de faire réagir.
Dans La tentation radicale, les sociologues Anne Muxel
et Olivier Galland ont mené une grande enquête auprès de 7.000 lycéens
pour mieux comprendre leur rapport avec l'actualité et notamment la radicalité.
Parmi les adolescents interrogés, 1750 sont musulmans.
"Cette enquête s'inscrit dans l'appel par le président du CNRS après les
attentats du Bataclan, le 13 novembre 2015, pour solliciter des travaux, pour
comprendre ce qu'il est train de se passer. Nous avons proposé,
avec Olivier Galland, de faire un travail sur le halo de radicalité qui
peut exister aujourd'hui, dans la jeunesse française et notamment sur des
segments où d'habitude, il est difficile de travailler. C'est pour cela que
nous avons considéré qu'il fallait un échantillon de jeunes musulmans" a
expliqué Anne Muxel sur RMC.
Un quart des lycéens ne condamnent pas
"totalement" les attentats
L'enseignement réalisé grâce aux questionnaires
distribués et des débats organisés dans des lycées de quatre académies est
sans appel: un quart des personnes interrogées ne condamnent pas
totalement les attentats contre Charlie Hebdo et le Bataclan.
Sélectionné pour vous
"Ceux qui ne disent pas qu'ils condamnent totalement
représente environ un quart des lycéens. Pour se justifier, ils mettent en
avant la question du respect, et tout particulièrement contre Charlie Hebdo, de
la différence, de la religion. Et ce qui est intéressant, c'est qu'ici, la
notion de respect prend le pas sur la liberté d'expression" remarque Anne
Muxel. Ainsi, selon l'étude, 80% des lycéens interrogés considèrent qu'on ne
peut pas se moquer des religions. "Cette valeur de respect prend le pas et
organise bon nombre de leur attitude face à des faits de société, de leur
valeur" analyse la sociologue avant d'indiquer que cette "radicalité
de rupture concerne un à deux lycéens sur 10".
Autre chiffre inquiétant: "20% des ados déclarent
acceptable de se battre armes à la main pour défendre leur religion" selon
cette enquête. "La radicalité n'est pas que l'apanage des jeunes lycéens
musulmans" rappelle toutefois la sociologue face à Jean-Jacques Bourdin.
« “La Tentation radicale” construit un dossier à charge
contre l’islam »
Dans une tribune au « Monde », le socio-démographe
Patrick Simon estime que l’enquête dirigée par Olivier Galland et Anne Muxel
minore les discriminations dont sont victimes certains lycéens.
LE MONDE | 03.04.2018 à 09h34 • Mis à jour
le 03.04.2018 à 11h30 | Par Patrick Simon (Directeur de
recherche à l’Ined)
Abonnez vous à partir de 1 € Réagir Ajouter
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image:
http://img.lemde.fr/2018/04/02/431/0/526/349/534/0/60/0/a847b24_15927-shvb3b.nyzo.jpg
La radicalisation religieuse est au cœur des débats
politiques. Les départs de candidats au djihad en Syrie et en Irak, et surtout
les attaques terroristes qui se répètent, ont dramatisé une question à laquelle
les sciences sociales apportent des réponses contradictoires : selon quels
processus de jeunes Français se réclamant de l’islam en sont-ils arrivés à tuer
au nom de leurs idées ? Les mécanismes qui déterminent l’entrée dans
l’action violente à fondement religieux restent difficiles à démêler.
L’ouvrage La Tentation radicale, dirigé par
Olivier Galland et Anne Muxel, tente d’apporter des éléments de réponse. A
partir d’une enquête quantitative menée auprès de lycéens de 15 à 17 ans
et d’entretiens individuels et collectifs, il cherche à mesurer l’impact des
idées radicales et les facteurs de leur appropriation.
Les lycéens interrogés viennent d’établissements pour partie
avec une nette surreprésentation d’élèves d’origine immigrée (Maghrébins et
Sub-Sahariens), aussi ne faut-il pas chercher dans leurs analyses une
représentativité des attitudes, opinions et valeurs des lycéens dans la France
de 2016, mais un éclairage sur des logiques présidant à la radicalité. Pour ce
faire, les auteurs construisent des indicateurs à partir de variables
d’opinion.
Parmi les indicateurs construits, c’est celui
d’« absolutisme religieux » qui sert principalement à analyser les
inclinations à la radicalité religieuse dans le chapitre rédigé par Olivier
Galland. Sa conclusion est sans appel : l’enquête valide « l’effet
très net de l’appartenance à l’islam sur l’adhésion à des idées absolutistes en
matière religieuse, comme sur la justification de la guerre religieuse ».
Indicateur équivoque
Qu’est-ce que « l’effet islam », qui détermine
ainsi des orientations – et non pas des comportements – sinon radicales et violentes,
du moins relativement sectaires et compréhensives à l’égard de la violence
religieuse ? Pour Olivier...
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/03/la-tentation-radicale-construit-un-dossier-a-charge-contre-l-islam_5279852_3232.html#qAjXPivOPhUAU7cx.99
Enquête inédite sur la
« tentation radicale » des lycéens (03.04.2018)
Flore Thomasset , le 03/04/2018 à 17h04
Mis à jour le 04/04/2018 à 11h10
Mis à jour le 04/04/2018 à 11h10
Deux sociologues publient une étude inédite sur la « tentation
radicale » chez les lycéens, qu’elle soit religieuse, politique
ou culturelle.
Elle montre notamment un « effet
spécifique » de la confession musulmane sur la radicalité
religieuse.
L’enquête révèle des écarts importants et
« significatifs » entre les élèves se déclarant musulmans et les
autres. / Gilles Bassignac/Divergence
Lancée dans la foulée des attentats du 13 novembre
2015, l’enquête que publient ce jour-là politologue Anne Muxel et le sociologue
Olivier Galland est intéressante à au moins trois égards.
D’abord, par l’importance de l’échantillon enquêté : près de
7 000 lycéens ont été interrogés. Ensuite par son objet, puisqu’elle
étudie non pas la radicalisation ou le passage à l’acte violent, mais, de façon
plus générale, « le degré d’attractivité des idées radicales,
religieuses et politiques, sur la jeunesse », explique Anne Muxel. Il
s’agit d’objectiver « le degré d’acceptation et de
justification » des comportements radicaux, c’est-à-dire des
comportements en « rupture avec le système politique, économique,
social et culturel, les normes et mœurs en vigueur ».
Des écarts importants et « significatifs »
Elle l’est enfin par ses résultats, notamment ceux portant
sur la radicalité religieuse et la justification de la violence qu’elle peut
entraîner. L’enquête révèle en effet des écarts importants et « significatifs » entre
les élèves se déclarant musulmans et les autres. Ainsi, 81 % des lycéens
musulmans estiment que c’est « plutôt la religion qui a raison sur
la question de la création du monde », alors qu’ils ne sont que
27 % parmi les chrétiens et 35 % des jeunes d’autres religions. De
même, 35 % des musulmans considèrent qu’il y a « une seule
vraie religion », alors qu’ils ne sont que 10 % des chrétiens à
le penser. Concernant la violence, 20 % des musulmans déclarent
acceptable, dans certains cas, de « combattre les armes à la main
pour sa religion », contre 9 % pour les chrétiens et 13 %
pour les autres religions.
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Analysant ces résultats, les chercheurs montrent, et c’est
aussi inédit que sensible, qu’il y a un « effet spécifique de la
confession musulmane » à la fois sur l’absolutisme religieux et
sur la justification de la violence au nom de la religion. « Comparés
aux chrétiens, les musulmans que nous avons interrogés sont cinq fois plus
souvent absolutistes et deux fois plus souvent prêts à justifier la violence
religieuse, écrivent les auteurs. Cet effet n’est en rien affecté
par la prise en compte des variables socio-économiques. »
Seules deux variables viennent moduler l’effet de la
religion, sans en effacer l’aspect spécifique : le sentiment de discrimination
accroît l’absolutisme religieux chez les garçons ; la tolérance à la violence
de façon générale renforce l’adhésion à la violence religieuse. « Ces
trois facteurs combinés peuvent expliquer l’adhésion à la radicalité religieuse
et violente », analyse Anne Muxel.
« La radicalité est bien installée dans notre
jeunesse »
Outre la radicalité religieuse, l’enquête livre aussi des
conclusions édifiantes concernant le regard des élèves sur les attentats de
2015 – un quart ne condamnent pas totalement les auteurs des attentats –, leur
rapport à la protestation politique ou encore leur adhésion massive aux théories
du complot. « La radicalité est bien installée dans notre
jeunesse, même si elle est loin d’y être majoritaire », concluent les
auteurs.
Inédite par son ampleur, cette étude comporte néanmoins des
limites. À commencer par l’échantillon, volontairement biaisé : « Nous
avons sélectionné des régions où des comportements radicaux avaient été relevés
et dans ces régions, nous avons choisi des quartiers sensibles, assume
Olivier Galland. Le but n’était pas d’avoir une vision extrapolable de
la radicalité. Les écarts statistiques que l’on révèle sur notre échantillon
nous semblent néanmoins significatifs. »
Le public enquêté est par ailleurs très jeune, ce qui peut
expliquer la radicalité (ou l’immaturité ?) de certaines réponses. Cette
jeunesse peut aussi expliquer, au moins en partie, le faible impact du
sentiment de discrimination et des conditions socio-économiques sur les
réponses, ces jeunes n’ayant pas été confrontés au marché du travail, au
chômage, etc.
Enfin, au-delà de la radicalité religieuse et violente, les
auteurs pointent globalement une « montée de la religiosité » chez
les jeunes musulmans, un phénomène de « grande ampleur » mais
dont ils n’expliquent ni les ressorts, ni les conséquences dans la vie de ces
jeunes. « Lancer une recherche approfondie sur les lycéens
musulmans et leur rapport spécifique à la religion serait une très bonne
chose », relève Anne Muxel.
––––––––––––––-
Un échantillon non représentatif
6 814 lycéens scolarisés en classe de 2nde ont
été interrogés dans une vingtaine de lycées de quatre régions. Un
échantillon « socialement diversifié », mais
qui « surreprésente les jeunes d’origine étrangère et de milieu
populaire », précisent les auteurs. 52 % des interrogés sont des
garçons, 58 % sont nés en France de parents français, 24 % se
déclarent chrétiens, 26 % musulmans.
Flore Thomasset
France: la profondeur de "la
tentation radicale" (05.04.2018)
05.04.2018 par Bernard Litzler
Une enquête menée auprès de 7000 lycéens français révèle
la profondeur de “la tentation radicale” auprès d’une minorité de jeunes.
L’adhésion de certains adolescents aux idées absolutistes est mise en lumière
par les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland.
La prise d’otages de Trèbes, près de Carcassonne, et la mort
héroïque du gendarme Arnaud Beltrame, fin mars 2018, a confronté la France, une
fois encore, à la mouvance islamiste extrémiste. Dans ce contexte, la parution
de l’enquête du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) La
tentation radicale (PUF, 464 pages) apporte des éclairages nouveaux
sur la propension d’une minorité de jeunes à adhérer aux idées radicales.
Mené dans quatre territoires à dominante urbaine (Lille,
région parisienne, Aix-Marseille et Dijon), le travail de sondage réalisé auprès
de 7000 lycéens de 14 à 16 ans révèle un pays miné par des courants violents.
Mais la tentation vers la radicalité, auscultée par les sociologues Anne Muxel
et Olivier Galland, n’a pas uniquement un visage religieux.
Trois types de radicalité
“Nous avons pris en compte trois types de radicalité:
religieuse, politique et culturelle, explique Olivier Galland dans Le
Monde du 4 avril 2018. La radicalité religieuse concerne
principalement les jeunes de confession musulmane. La radicalité politique
touche un spectre plus large, notamment au travers de la diffusion d’une
culture protestataire, et la radicalité culturelle, notamment dans le rapport à
l’information et les théories du complot, concerne beaucoup de jeunes”.
Cependant l’enquête met en lumière un constat, souvent
établi: une minorité de jeunes adhèrent à un absolutisme religieux. Cependant,
cet état n’est pas linéaire. La volonté de rupture, surtout de nature
religieuse, tient certes aux croyances mais aussi au quartier d’origine, au
rapport avec les forces de l’ordre, à l’acculturation de la violence.
Se moquer de la religion
Les réponses aux questions des enquêteurs valent le détour.
Ainsi lorsqu’on interroge des lycéens sur la différence entre l’attentat
contre Charlie Hebdo en janvier 2015 et celui contre le
Bataclan en novembre 2015, les jeunes répondent souvent: “Charlie Hebdo,
ils l’ont un peu cherché…”. Par contre les victimes de la salle de concert
parisienne étaient choisies au hasard.
Il est ainsi reproché aux dessinateurs de Charlie d’avoir
manqué de respect aux religions en publiant les caricatures du Prophète. “Se
moquer de la religion, c’est comme si on s’attaquait à nous, à notre
personnalité”, dit un des jeunes. Car l’irrévérence envers la religion porte
atteinte à l’estime de soi des croyants.
Ce grief du manque de respect peut entraîner chez certains
jeunes un réflexe de rupture, notamment lorsque le niveau d’intégration
scolaire est faible.
Jeunes tiraillés
Pourtant les adolescents interrogés sont tiraillés, comme
tous les jeunes de leur âge, par des questions plus profondes: le rapport au
savoir et à l’information, ainsi que l’intégration dans la société. L’enquête
sur la radicalisation d’une minorité de jeunes est ainsi tempérée dans ses
conclusions. Car tous les radicalisés ne passent pas à la violence et tous les
jeunes violents n’ont pas forcément un soubassement croyant. D’où la question
posée dans Le Monde par Patrick Simon, directeur de l’Institut
national d’études démographiques: “Radicalisation programmée de l’islam ou
islamisation opportuniste de la radicalité?”. Pour le spécialiste, l’étude
d’Anne Muxel et Olivier Galland n’aide pas à trancher entre les deux thèses.
Radicalisation de l’islam ou islamisation de la
criminalité ?
La tentation radicale n’apporte en effet pas de réponse
au débat qui agite la France: quelle est l’origine de la violence meurtrière
qui a frappé le pays, de Charlie Hebdo au Bataclan et à Nice?
De fait, les réponses sont complexes. Depuis quelques mois,
deux universitaires, Gilles Keppel et Olivier Roy, s’y distinguent, en
s’opposant. Avec des explications antinomiques…
Pour Gilles Keppel, chercheur à Sciences-Po, l’émergence
d’une frange islamiste violente (les frères Kouachi, Mohamed Merah) est en lien
avec l’islam salafiste qui sévit dans les banlieues. A l’inverse, pour Olivier
Roy, qui travaille à l’Institut universitaire européen à Florence (Italie), “il
ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité“. La violence
apparue en France serait davantage l’expression de la “révolte générationnelle”
de jeunes laissés pour compte que d’une islamisation rampante.
L’enquête d’Anne Muxel et Olivier Galland renvoie ces thèses
dos à dos. En effet, il y a bien un malaise chez les lycéens musulmans
interrogés, nourri par leurs expériences de stigmatisation ou de rapports
délicats avec la police. Mais le sentiment de marginalisation est autant social
que le résultat d’un travail de conquête de l’islamisme combattant.
(cath.ch/ag/bl)
Une étude du CNRS observe une
inquiétante tentation pour la radicalité chez les lycéens musulmans
(03.04.2018)
Par Hadrien Mathoux
Publié le 03/04/2018 à 11:05
Après deux ans d'enquête auprès de 7.000 lycéens issus en
grande partie de quartiers populaires, les sociologues Anne Muxel et Olivier
Galland rendent leurs conclusions dans "La Tentation radicale". La
radicalité, qu'elle soit religieuse, politique ou culturelle, atteint des
proportions inquiétantes, notamment chez les jeunes musulmans.
Les lycéens de France sont-ils tentés par la violence et la
radicalité religieuse ? C'est la question que se sont posée les sociologues du
CNRS Anne Muxel et Olivier Galland, au lendemain des attentats de novembre
2015. Les chercheurs publient leurs travaux ce mercredi 4 avril aux Presses
universitaires de France (PUF), dans un ouvrage intitulé La Tentation
radicale. Et leurs conclusions sont plutôt inquiétantes.
L'échantillon choisi n'est volontairement pas représentatif
: les questionnaires ont été adressés à 7.000 jeunes de 14 à 16 ans,
fréquentant des régions où des "manifestations de radicalité"
(émeutes, bagarres avec la police, blocages de lycées) ont eu lieu : quartiers
nord de Marseille, région lilloise, ville de Créteil en banlieue parisienne...
l'académie de Dijon a été ajoutée pour apporter de la diversité à l'étude.
Reste que celle-ci a interrogé 39% de jeunes scolarisés dans des lycées
populaires, et 26% de musulmans, bien davantage donc que dans l'ensemble de la
population lycéenne. Le but avoué de l'enquête était en effet d'analyser la
prégnance des idées radicales chez les jeunes issus de milieux modestes et de
confession musulmane. Les auteurs ont défini la radicalité par "un
ensemble d'attitudes et d'actes exprimant a minima une protestation et pouvant
aller jusqu'à la contestation frontale du système politique ainsi que des
normes sociales et culturelles dominantes". Des idées qui peuvent
s'exprimer de manière religieuse, politique ou culturelle, et dans certains cas
mener à la violence.
"Combattre les armes à la main pour sa religion"
Certains résultats interpellent : si 11% des adolescents
interrogés pensent qu'il y a "une seule vraie religion" et que
celle-ci "a raison contre la science", ce chiffre passe à 32%
chez les musulmans, dont 81% estiment que "c'est plutôt la
religion qui a raison sur la question de la création du monde". Un
décalage également constaté en ce qui concerne la tolérance à la violence :
pour 25% des jeunes de l'étude, il est acceptable de voler un scooter, de
dealer de la drogue ou d'affronter la police... c'est le cas pour un tiers des
jeunes musulmans. D'après Anne Muxel et Olivier Galland, ceci s'explique par le
fait que les lycéens de confession musulmane habitent souvent dans des
quartiers sensibles où la violence est devenue banale.
Le cocktail le plus explosif est constitué par les lycéens
qui sont à la fois tolérants envers la violence et radicaux dans leur vision
religieuse : parmi ceux-là, 70% ne condamnent pas les auteurs des attentats
de Charlie Hebdo et
de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Des extraits de l'enquête publiés
par Le Monde font état de nombreux témoignages de
lycéens qui estiment que les journalistes de Charlie "l'ont
cherché" ou "un peu provoqué", en contraste par
rapport aux victimes du Bataclan. Autres chiffres pour le moins alarmants
: 10% des lycéens estiment qu'il peut être acceptable de "combattre les
armes à la main pour sa religion", et ils sont 20% parmi les jeunes de
confession musulmane interrogés. En parallèle, la religion de ces derniers les
amène à tenir des positions pour le moins rigoristes : l'homosexualité n'est
pas "une façon comme une autre de vivre sa sexualité" pour 64%
d'entre eux, et 69% sont hostiles à l'interdiction de porter le voile à
l'école.
Un "effet islam prépondérant"
Pour expliquer ces données, Anne Muxel et Olivier Galland
évoquent plusieurs facteurs qui se cumulent et s'associent : les éléments
économiques, évidemment, ces jeunes vivant dans des conditions sociales
bien plus dures que la majorité de la population ; un sentiment de
discrimination, deux fois plus fort chez les jeunes musulmans ; mais également
un phénomène spécifique à l'islam. "Les musulmans reviennent fortement
à une pratique religieuse, à l'inverse d'un mouvement de forte sécularisation
des autres jeunes", note Olivier Galland dans un entretien au Monde. Il
existe selon les sociologues un "effet islam prépondérant"
d'adhésion à la radicalité religieuse, qui peut se conjuguer avec un attrait
pour la violence.
La tentation radicale : les lycéens sont-ils
concernés ?
Une enquête choc s'inquiète de la
radicalisation des jeunes (03.04.2018)
Écrit par deux sociologues, Anne Muxel et Olivier
Galland, le livre "La tentation radicale" étudie la radicalisation
d'une partie des lycéens français. Et plus particulièrement celle des jeunes
musulmans.
Ruptures
Publié le 3 Avril 2018
image:
http://www.atlantico.fr/sites/atlantico.fr/files/styles/une/public/images/2016/02/lycee.jpg
Menée sur un groupe de plus de 7000 lycéens résidant dans
des zones où des "manifestations de radicalité" ont été
observées, La tentation radicale de Anne Muxel et Olivier
Galland tire la sonnette d'alarme. Près de 40% des jeunes étudiés sont
scolarisés dans des établissements populaires.
Aujourd'hui, on observe avec effroi que 1/ des lycéens
interrogés ne condamnent "pas totalement" les attentats contre Charlie
Hebdo et le Bataclan. Tout aussi inquiétant, que 80% d'entre eux à considèrent
qu'on ne peut pas se moquer des religions.
C'est cela que les deux sociologues responsables de cette
enquête longue de trois ans nomment "la tentation radicale". Les
quatre zones étudiées, en région lilloise, en Ile-de-France, à côté de Dijon et
à côté d'Aix-en-Provence montrent une vraie prévalence des idées radicales,
tout particulièrement chez les jeunes musulmans (26% de la population étudiée),
mais pas uniquement.
Et les chiffres abondent en ce sens : 68% de
l'ensemble des lycéens pensent que les médias n'ont pas tout dit sur les
attentats de 2015. 1/3 trouve "acceptable dans certains cas de participer
à une action violente pour défendre ses idées".
La question de l'islamisme est clairement visible : 20% des
jeunes musulmans interrogés trouvent normal de se battre pour sa religion. 81%
considèrent que "c'est plutôt la religion qui a raison sur la question de
la création du monde". Pour Olivier Galland, tout est lié : "L’acceptation
de la violence dans la vie sociale joue un rôle dans l’adhésion à la violence
religieuse" affirme-t-il dans Le Monde.
Jeune et musulman, donc radical ?
En 2011, dans le Lycée de la
nouvelle chance (LNC) à Villeurbanne. Photo Bruno Amsellem. Divergence
Dans la «Tentation radicale», vaste enquête sur l’attrait
des extrémismes dans la jeunesse, des sociologues montrent que
les pratiquants de l’islam sont plus radicaux et plus en rupture avec les
valeurs de la société. Un essai qui fait déjà polémique.
Jeune et musulman, donc
radical ? (04.04.2018)
Et si la sociologie s’était trompée ? Et si, en privilégiant
l’hypothèse de la discrimination et de l’abandon social dont seraient victimes
certains Français issus de l’immigration, elle avait négligé d’autres facteurs,
culturels ou religieux, plus déterminants pour expliquer la tendance de
certains jeunes à la violence ou à la radicalité ? L’hypothèse est défendue
dans la Tentation radicale (PUF) par les chercheurs Anne Muxel et
Olivier Galland. Publié ce mercredi, l’ouvrage est le fruit d’une enquête
d’ampleur menée auprès de 7 000 lycéens, dont la méthodologie fait
déjà débat.
A LIRE AUSSI
L'interview du sociologue Olivier Galland par Sonya
Faure et Thibaut Sardier
Toutes religions confondues, un tiers des jeunes interrogés
estiment qu’il est normal de «participer à une action violente pour
défendre ses idées». Près d’un tiers ne s’est pas senti concerné par
la minute de silence en hommage aux victimes des attentats de Charlie
Hebdo.Sept sur dix pensent que les médias n’ont pas dit toute la vérité sur le
sujet. A l’heure de la défiance généralisée à l’égard des institutions, «une
minorité significative de ces jeunes est concernée par des idées radicales, et,
pour certains, par l’idée que la radicalité violente peut trouver une
justification», concluent les auteurs.
Menée durant trois ans dans 23 lycées des
académies de Lille, Créteil, Aix-Marseille et Dijon, cette étude statistique repose
avant tout sur des données quantitatives, complétées par quelques dizaines
d’entretiens. Les jeunes, âgés de 15 à 17 ans, ont répondu à un
QCM portant sur leur lien avec la religion, leur appartenance politique, leur
regard sur des délits plus ou moins graves (conduite sans permis, violences
contre la police…), leur manière de s’informer. L’objectif n’était pas
d’expliquer le passage à l’acte d’une petite minorité tombant dans le
terrorisme. Mais de cerner un état d’esprit plus général, un «halo de
radicalité», une multitude d’actes ou de postures montrant la
tentation de rompre avec le «système politique, économique, social et culturel,
et, plus largement, avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société».
Une formulation très large, peut-être trop, qui regroupe conduite sans permis,
vote contestataire et tentation jihadiste.
D’un chapitre à l’autre, le livre cherche à étudier les
facettes de ce phénomène : de la «radicalité informationnelle» liée à l’attrait
du complotisme chez les jeunes, à la radicalité politique «protestataire», qui
pourrait être la «nouvelle norme de politisation » des
lycéens, selon la politiste Anne Muxel.
Mais dans la Tentation radicale, c’est la radicalité
religieuse qui écrase le reste. Sans doute en raison du contexte dans lequel
est née l’enquête. Au lendemain des attentats de novembre 2015(1), le président
du CNRS, Alain Fuchs, lance un appel à projet pour encourager les
chercheurs à creuser «tous les sujets pouvant relever des questions
posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences». Beaucoup
sont alors réticents. «Certains dénonçaient un "affichage politique",
raconte le sociologue Olivier Galland. Ce n’était pas notre avis.»
Surreprésentation
Olivier Galland et Anne Muxel proposent alors un protocole d’enquête
reposant sur une hypothèse affirmée dès les premières pages mais peu discutée :
«La radicalité religieuse est présente dans toutes les religions, mais
aujourd’hui, ses manifestations les plus évidentes sont associées à une
certaine conception de l’islam.» Pour vérifier ce prérequis, les auteurs
constituent un échantillon d’enquête qui surreprésente les lycées populaires de
zones urbaines sensibles (ZUS) et les jeunes musulmans, à hauteur d’un quart
des enquêtés (on estime que les musulmans représentent 7 % de la population
française), soit à égalité avec les chrétiens, contre 40 % de personnes sans
religion. Les juifs représentent 1 % de l’ensemble.
Avec ce panel significatif mais non représentatif de la
population française, un premier résultat saute aux yeux : les jeunes musulmans
se distinguent très nettement par leurs valeurs, leur conception de la citoyenneté
ou de la religion. Les auteurs observent dans tous les lycées de l’enquête un
«effet islam». Celui-ci expliquerait la plus grande radicalité idéologique des
lycéens musulmans (souvent considérés par les auteurs, sans nuances, comme un
ensemble homogène), tout comme leur soutien aux actes violents - religieux ou
non - qu’on retrouve davantage chez eux que chez les chrétiens ou les athées.
Ce facteur culturel prime sur tous les autres paramètres testés, tant les
résultats scolaires de l’élève que la situation économique des parents ou le
sentiment de discrimination. «La radicalité religieuse ne semble pas être
principalement la fille de l’exclusion socio-économique, et sa racine
spécifiquement religieuse semble forte», concluent les auteurs. Mais, en concentrant
leur enquête dans les ZUS, les chercheurs ne se sont-ils pas privés des classes
moyennes musulmanes, qui, les premières, fuient ces lycées ségrégués ?
Les lycéens musulmans interrogés sont ainsi profondément
marqués par l’«absolutisme religieux» qui consiste à penser que leur religion
est la seule à détenir la vérité, et qu’elle explique mieux la création du
monde que la science. Dans les lycées de l’étude, les musulmans
sont 5,4 fois plus absolutistes que les chrétiens. Ils se distinguent
aussi par leur «antilibéralisme culturel», appréhendé par deux questions :
l’homosexualité est-elle «une façon comme une autre de vivre sa sexualité ?» ;
«Le rôle principal des femmes est-il de s’occuper de la maison et des enfants
?» Conclusion sans appel des auteurs : «Le mouvement de sécularisation qui a
gagné les sociétés européennes, et tout particulièrement la France, ne semble
pas les avoir touchés.» Parmi les jeunes qui ne se sont pas sentis concernés
par la minute de silence, parmi ceux qui sont attirés par les thèses
complotistes, les musulmans sont encore, proportionnellement, plus présents. Et
si les auteurs notent, enseignement important, que la tolérance à la violence
religieuse s’explique davantage par la tolérance à la violence en général que
par sa religion, ils indiquent que les musulmans valident malgré tout plus que
les autres l’idée de «combattre les armes à la main pour sa religion».
Offensive
Ces conclusions remettent en cause tout un courant de la
sociologie française pour laquelle le profil économique et social des individus
est l’une des principales clés d’explication de leurs comportements. La
Tentation radicale est ainsi la dernière salve d’une offensive qui
divise violemment la discipline depuis quelques années, et plus encore depuis
la sortie en octobre dernier du livre le Danger sociologique (PUF)
d’Etienne Géhin et Gérald Bronner - ce dernier étant justement à «l’initiative
scientifique» du livre de Galland et Muxel. En novembre, un dossier de
la revue le Débat (Gallimard) auquel participaient Bronner,
Galland, mais aussi Dominique Schnapper, relançait la critique. La discipline
serait devenue nocive : trop idéologique, pas assez scientifique, victimaire,
elle chercherait à excuser plus qu’à expliquer.«Il est urgent de faire front
face aux innombrables avatars de la sociologie critique qui gangrènent notre
discipline, dans une dérive potentiellement suicidaire», concluait Nathalie
Heinich dans le Débat.
Cette conception est loin de faire l’unanimité, comme en
témoignent les réactions de plusieurs sociologues visés par la polémique,
interrogés par Libération. «Les résultats d’Olivier Galland
reviennent à dire que quelque chose d’intrinsèque à l’islam mènerait à la
radicalité, voire à la violence», commente le démographe de l’Ined
Patrick Simon, qui a codirigé la grande enquête «Trajectoire et Origine»,
menée en 2008-2009, sur la diversité des populations en France. «Il
fait de "l’orientalisme" : à travers ses questions, il crée un
univers exotique où les lycéens musulmans se distingueraient des autres.
Certes, il est atterrant que des jeunes préfèrent croire la religion plutôt que
la science. Mais est-ce le meilleur indicateur de rupture avec le monde social
?» poursuit Simon.
Exemple : pour mesurer l’adhésion au principe de laïcité,
Galland s’appuie sur deux questions : les jeunes sont-ils favorables aux menus
de substitution dans les cantines et au port du voile à l’école ? Deux sujets
qui concernent avant tout, au quotidien, les musulmans. Olivier Galland nuance
: «Sur les cantines, la question est neutre. En revanche, celle sur le voile ne
l’est pas et nous l’avons regrettée. Nous l’avons peu utilisée dans nos
statistiques.»
«Subjectivité»
Auteur de plusieurs livres sur la radicalisation (le Nouveau
Jihad en Occident, Robert Laffont, mars), Farhad Khosrokhavar pointe aussi
les limites des enquêtes par questionnaire. «Les lycéens ont coché des
cases, et ce travail manque cruellement d’une dimension anthropologique. Des
discussions avec ces jeunes auraient sans doute amené des enseignements
différents. Pour comprendre, il faut pénétrer leur subjectivité», insiste
le sociologue, directeur d’études à l’EHESS. «L’étude montre que 20 %
à 30 % des musulmans sont fondamentalistes, d’autres enquêtes françaises
et européennes l’ont déjà établi. Mais ici, les chercheurs, non spécialistes
des religions, n’ont pas vu que ces jeunes peuvent instrumentaliser leur
appartenance religieuse, l’utiliser comme une provocation, pour contrer leur sentiment
d’humiliation. "L’effet islam", en soi, ne veut rien dire si on ne
décrypte pas ce que signifie le fait de se dire musulman. Il ne s’agit pas
d’"excuser les jeunes", mais de contextualiser.»
Jeune, radicalisé, musulman. Des chercheurs en ont fait une
catégorie d’étude. Mercredi matin sur France Inter, Guillaume Peltier,
vice-président de Les Républicains, en faisait déjà un cheval de bataille.
(1) Et non pas immédiatement après ceux
de janvier 2015, comme indiqué par erreur dans une précédente version.
Les chiffres chocs de l’étude
- D’après l’analyse menée sous la direction d’Anne Muxel et
Olivier Galland auprès de 7 000 lycéens de 15 à 17 ans :
32% des musulmans sont «absolutistes» en matière de religion,
contre 6% des chrétiens, 14% des fidèles d’autres religions, 1% des
sans-religion, 11% du total des enquêtés.
- Un tiers des jeunes interrogés estiment qu’il est normal
de «participer à une action violente pour défendre ses idées». 20%
des musulmans déclarent «acceptable dans certains cas, dans la société
actuelle» de «combattre les armes à la main pour sa religion», contre
9% des chrétiens et 6,5% des sans-religion.
- Un quart des lycéens ne condamnent pas totalement les
auteurs des attentats de janvier 2015 (45% des musulmans). Les lycéens les
plus tolérants à la violence en général ont 6 fois plus de chances que ceux qui
la soutiennent le moins de justifier la guerre religieuse.
- 81% des musulmans choisissent la religion contre la
science pour expliquer la création du monde contre 27% des chrétiens.
La Tentation radicale (PUF) par Anne Muxel
et Olivier Galland
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