France Culture présente ce crime comme un phénomène plus
répandu chez les catholiques
par André
Perrin
- 16 mars 2019
Une émission de France Culture a présenté la pédophilie
comme un crime particulièrement répandu dans l’Eglise catholique, par
rapport à d’autres clochers. Est-il permis d’en douter?
Dans la première partie de l’émission consacrée à la pédophilie dans l’Église catholique,
le dimanche 3 mars à 11h sur France Culture, la philosophe Monique
Canto-Sperber évoque à deux reprises « l’ampleur » du
phénomène. L’essayiste Thierry Pech et l’ancien ministre de la Culture, Aurélie
Filippetti, tiennent des propos mesurés, celle-ci rappelant que la plupart des
violences sexuelles à l’égard des enfants ont lieu au sein des familles. Le
politologue Bertrand Badie fait pour sa part observer qu’on doit trouver de
semblables affaires du côté du protestantisme ou de l’islam. Tout cela ne
satisfait manifestement pas le présentateur de l’émission, Gérard Courtois,
directeur éditorial du journal Le Monde, qui s’émeut de ce qu’on ne
dise pas un mot d’une singularité du catholicisme, le célibat des prêtres,
qu’il qualifie successivement de « dogme » et
de « tabou », et qui pourrait bien être en cause ici
car, poursuit-il, il n’a pas connaissance que de tels scandales aient lieu chez
les protestants. Interrogée, Monique Canto-Sperber concède que le « vœu
de chasteté » que font les prêtres pourrait les rendre « vulnérables ».
Lire la suite :
Délivrez nous de la méconnaissance de l’Eglise catholique
Relevons tout d’abord deux erreurs qui, pour être
secondaires relativement au débat, n’en sont pas moins surprenantes de la part
de personnes qu’on ne peut présumer incultes : le célibat ecclésiastique
n’est pas un dogme et les prêtres ne font pas vœu de chasteté. Un dogme est une
assertion considérée comme une vérité fondamentale, incontestable et
intangible. Dans l’Église catholique, c’est un article de foi solennellement
proclamé par le magistère, par exemple la double nature du Christ ou la
transsubstantiation. Ce n’est évidemment pas le cas du célibat sacerdotal
puisque celui sur lequel le Christ a fondé l’Église, le premier pape, l’apôtre
Pierre, était marié et que des hommes mariés ont été ordonnés prêtres jusqu’au
XIe siècle : c’est en effet en 1074, au concile de Rome, que Grégoire VII
rendit obligatoire de choisir les membres du clergé parmi des célibataires en
Occident. En Occident seulement, car aujourd’hui encore il y a des prêtres catholiques
mariés dans l’Église catholique de rite oriental. Le décret Presbytorium
ordinis signé le 7 décembre 1965 par Paul VI rappelle que si la « continence
parfaite » a toujours été tenue « en haute
estime » par l’Église, « elle n’est pas exigée par
la nature du sacerdoce, comme le montrent la pratique de l’Église primitive et
la tradition des Églises orientales ». Du reste, il y a aussi des
prêtres mariés dans l’Église catholique romaine : il s’agit généralement
d’anciens pasteurs protestants convertis au catholicisme. Le premier d’entre
eux fut un pasteur luthérien marié ordonné prêtre en 1951 avec l’autorisation
de Pie XII, mais il y en a eu beaucoup d’autres depuis, en particulier au
Royaume-Uni et aux États-Unis.
D’autre part, seuls les religieux, c’est-à-dire les membres
du clergé régulier – en termes familiers les moines – prononcent un vœu de
chasteté (ainsi que de pauvreté et d’obéissance). Les prêtres, c’est-à-dire les
membres du clergé séculier, ne prononcent pas de vœux. En revanche, au moment
de leur ordination, ils promettent à leur évêque de lui obéir et de demeurer
célibataires. Le célibat ecclésiastique ne relève donc ni d’un dogme ni d’un
vœu, mais d’une simple règle disciplinaire qui n’est ni nécessaire, ni
universelle : elle n’a pas toujours existé et elle n’existe pas partout.
Elle est contingente et donc susceptible de changer.
« L’ampleur » de la comparaison
Venons-en maintenant au fond du débat : la question de
« l’ampleur » du phénomène dans l’Église catholique et celle de
l’incidence du célibat sacerdotal sur ce phénomène. À partir de quand un
phénomène a-t-il de l’ampleur ? On voit tout de suite que cette notion ne
peut avoir qu’un sens relatif. Une quantité de 1 million n’a pas du tout la
même « ampleur » s’il s’agit du nombre d’euros sur
votre compte en banque ou du nombre de globules rouges dans chaque mm3 de votre
sang : c’est beaucoup dans le premier cas, du moins pour un retraité de
l’Education nationale, trop peu dans le second. Étant relative, cette notion ne
peut donc avoir un sens intelligible que si elle est mise en relation avec
autre chose. Avec quoi ? Ici, avec le nombre de cas d’abus sexuels
perpétrés dans une société d’une part, avec celui de l’ensemble des prêtres
catholiques, d’autre part. L’étude de référence dans ce domaine est celle du
John Jay College of criminal justice de la City University de New York réalisée
en 2004. Elle indique qu’entre 1950 et 2002, 4392 prêtres (il y en a 109 000
aux États-Unis) ont été accusés de relations sexuelles avec des mineurs. Un
groupe de 109 prêtres concentrait le quart des accusations et un grand nombre
des prêtres accusés avaient été innocentés. En fin de compte, les cas avérés
concernaient, sur une période de 42 ans, 958 prêtres, soit 1% des prêtres américains.
Dans une interview donnée au journal Le Monde le 8 avril 2010,
Philip Jenkins, professeur à l’Université de Pennsylvanie et auteur d’un
ouvrage sur ce sujet déclarait : « Quant à savoir si
ce chiffre est bas ou élevé, nous n’en avons aucune idée. Aucune étude portant
sur un autre groupe religieux, ou sur d’autres institutions en relation avec
des enfants n’ayant été menée avec la même ampleur et le même niveau de détail.
Je sais juste que certaines études montrent un taux d’abus supérieur dans les
écoles laïques, mais les preuves scientifiques ne sont pas assez
consistantes ».En France en 2010, il y avait 9 prêtres emprisonnés
pour des faits de pédophilie, 45 qui avaient déjà été condamnés et 51 qui
étaient mis en examen. À supposer que tous les mis en examen aient été reconnus
coupables, cela représente un total de 105 prêtres sur les quelque 20 000 qui
exercent leur ministère dans notre pays, soit 0,5 % d’entre eux. L’ONPE
(Organisme national de protection de l’enfance) a recensé 20 200 plaintes pour
violences sexuelles sur mineurs en 2015 et 19 700 en 2016. Pour l’ensemble de
ces faits, en 2017, 70 prêtres étaient mis en examen ou condamnés. Est-ce un
phénomène d’une grande ampleur ? Si 70 personnes issues de l’immigration
arabo-musulmane étaient condamnées ou mises en examen pour un total de 20 000
crimes et délits, soit 0,35%, parlerait-on d’un phénomène de grande
ampleur ?1
Les laïcs sont (beaucoup) plus concernés que les prêtres
Demandons-nous enfin si le célibat sacerdotal peut être mis
en rapport avec la pédophilie. Selon l’OMS, en Inde, pays qui compte moins de
2% de catholiques, 40% des enfants sont victimes d’abus sexuels. Aux
États-Unis, la plupart des cas recensés chaque année ont lieu au sein des
familles. En France, selon le SNATEM (Service national téléphonique d’accueil
de l’enfance maltraitée), il s’agit d’inceste dans 75% des cas. Selon le Réseau
irlandais de crise sur les viols, dans 50,8% des cas les agresseurs sont des
parents et dans 34% des proches, voisins ou amis de la famille. Dans 6,3% des
cas seulement les prédateurs sont des figures d’autorité telles que
instituteurs, moniteurs de colonie ou prêtres. Cela concorde avec le constat de
l’Unicef en 2016 selon lequel 94% des auteurs d’actes pédophiles seraient des
proches. Il en résulte donc, pour le dire en termes durkheimiens, que le
célibat ecclésiastique constituerait plutôt un « coefficient de
préservation » par rapport à la pédophilie. Dans ces conditions, plutôt
que de marier les prêtres, ne serait-il pas plus raisonnable d’ordonner les
laïcs ?
Les imams, n’en parlons pas
Il serait intéressant de pouvoir comparer le nombre de cas
de pédophilie avérés chez les prêtres catholiques et orthodoxes, les pasteurs
protestants, les imams et les rabbins, mais aucune étude scientifique n’est
disponible à ce sujet. La rumeur, invérifiable, veut qu’ils soient
particulièrement nombreux chez les imams. Ce qui est avéré, en revanche, c’est
que certains d’entre eux n’hésitent pas à en faire l’apologie. Ainsi Chems
Eddine, l’Imam vedette de la chaîne algérienne Ennahar, a justifié dans les termes suivants, sur les ondes de
la radio Jil FM, le 8 avril 2013, le viol d’une fillette de 12 ans par un homme
de 37 ans : « Lui, il a 37 ans dans le corps, mais dans
l’esprit il a le même âge que la fille […] il se peut qu’il soit adulte même
dans son esprit et que cette fille de 12 ans soit mûre. 12 ans, mais c’est une
femme ! ». En France également, l’Imam Khattabi de la
mosquée Aïcha de Montpellier aurait procédé à une semblable apologie, assortie d’une justification
coranique, dans un prêche du 31 mai 2013 à la Grande Mosquée de
Montpellier : « Aïcha, le prophète l’a demandée en mariage à 7 ans
et il a consommé son mariage avec elle à 9 ans ». Et il est vrai que
Mahomet est, dans la religion musulmane, le « bel exemple » à suivre.
L’Imam Khattabi aurait poursuivi son prêche de la façon suivante : « Dans
l’Islam, la question, ce n’est pas une question d’âge, c’est une question
pubère ou non pubère, prêt ou non prêt, prête ou non prête. »
À ma connaissance, aucun curé n’a jamais tenu de propos
justifiant la pédophilie dans son sermon dominical, mais si cela avait été le
cas, on peut présumer que les médias s’en seraient émus davantage que dans le
cas de l’imam Khattabi. Leur discrétion ici tient sans doute à ce que l’islam
est seulement la « deuxième religion de France », négligeable à ce
titre.
Le Monde proteste
Gérard Courtois nous disait n’avoir pas eu connaissance de scandales
pédophiliques « depuis une ou deux décennies » chez
les protestants. C’est étonnant. En effet, le 20 juillet 2010, son
journal Le Monde publiait un article titré « L’Église protestante
allemande décapitée par les scandales » et sous-titré « Les
révélations en série de cas d’abus sexuels sur mineurs touchent à présent
l’Église protestante ». On y apprenait que ces scandales avaient
contraint Maria Jepsen, évêque de Hambourg, à démissionner de son poste pour
avoir protégé un pasteur pédophile. Et beaucoup plus récemment, le 13 février
dernier, le même journal Le Monde publiait un article titré « Aux États-Unis la
principale Église protestante rattrapée par le scandale des abus
sexuels ». On y apprenait que 400 pasteurs baptistes de la
Southern Baptist Convention (SBC) étaient impliqués dans des abus sexuels
concernant plus de 700 victimes, la plupart mineures.
On conseillera donc à M. Courtois de lire les articles
publiés par le journal qu’il dirige.
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