Le parti pris des médias,
politiques et intellectuels en faveur d'un islam forcément bienveillant
Manifestation contre
les caricatures de Mahomet au Danemark, Montpellier, 2006. Photo: CLAVIERES
VIRGINIE/SIPA / 00523768_000005
Un livre, écrit par un
collectif d’auteurs, rassemble quarante ans de citations et de récits tirés
d’archives sur « l’islamisation française ». Cette Histoire
de l’islamisation française: 1979-2019 rappelle l’hypocrisie et le
parti pris des grands médias, politiques et intellectuels en faveur de l’idée
d’un islam, forcément bienveillant, offensé par les « racistes »
et les laïcards.
Les auteurs de ce livre ont
eu l’idée géniale de reprendre ce qui s’est dit et écrit sur l’immigration et
l’islam au cours des quarante ans qui viennent de s’écouler en rappelant «
les faits et les décisions », comme le mentionne la quatrième de
couverture. Ce rappel se fait à travers de très nombreuses citations tirées
d’archives. De ces auteurs nous ne savons rien, puisque la signature est celle
d’un collectif anonyme. Mais on comprend, à la lecture, qu’ils se soient mis à
plusieurs, compte tenu de la masse documentaire considérable qu’ils ont eu à
travailler.
Le titre du livre, Histoire
de l’islamisation française – et non Histoire de l’islamisation de la
France – insiste sur la fabrication française d’un renoncement à être et à
persévérer dans son être d’une nation abandonnée par des élites qui
s’appliquent à domestiquer des autochtones qui renâclent à l’adaptation
qu’elles attendent d’eux.
1979: « La joie fait
son entrée à Téhéran »
Ce livre est l’occasion de
nous rappeler tout ce que nous avons eu tendance à oublier ou que nous n’avons
tout simplement pas remarqué et qui, au fil des ans, fait système. Il raconte
la lente élaboration d’une idéologie islamophile, portée par une bonne partie
des élites intellectuelles et médiatiques dont le bréviaire de gauche est en
train de changer en début de période et qui va avoir tendance, au fil des ans,
à devenir hégémonique.
Lire la suite :
Chacun des titres des 40
chapitres est un millésime (de 1979 à 2018), accompagné d’une citation qui en
donne la tonalité. Le premier chapitre démarre ainsi sur la révolution
iranienne de 1979, avec ces mots de Serge July dans Libération : «
La joie fait son entrée à Téhéran ». Le dernier chapitre s’ouvre sur le
lapsus du décodeur de France Culture, Nicolas Martin, lapsus qui révèle «
son incompétence et ses préjugés inconscients » : « Si les
immigrés font plus d’enfants, seront-ils plus nombreux ? »
Le Monde et Libé,
porte-parole de l’islam « modéré »
Ce livre est l’occasion de
repérer les prémisses de ce que l’on entend aujourd’hui, de manière récurrente,
sans y avoir toujours prêté attention alors. Qui se rappelle qu’en 1979, en
réponse aux propos de Georges Marchais, Libération publiait
une tribune de Fredj Stambouli de l’université de Tunis qui plaidait déjà pour
une décolonisation des esprits des populations occidentales, afin de leur permettre «
d’accepter et même d’encourager le droit légitime des Autres à rester ce qu’ils
veulent être » ? Nous étions à la fin des années 1970 et, déjà,
l’assimilation faisait figure de repoussoir. C’étaient déjà les autochtones
qu’il fallait acclimater aux nouveaux venus.
Déjà, dans les années 1980,
les propos des musulmans dits « modérés » étaient reçus avec politesse, même
s’ils disaient la même chose que ceux proférés par d’autres qualifiés
d’islamistes. Dans Le Monde de mars 1989, Mohammed Arkoun,
grand « modéré » s’il en est, pouvait ainsi accuser, sans soulever le moindre
tollé « la raison des Lumières d’avoir substitué le dogme de sa
souveraineté à celui de la raison théologique ». On ne lui répondit pas.
2014, l’enfumage de Dalil
Boubakeur
Vingt-cinq ans plus tard, le
réflexe de l’inversion ou du mensonge par omission s’est si bien propagé que la
presse rapporte parfois exactement l’inverse de ce qui est dit, tout en faisant
silence sur les propos les plus gênants. C’est l’objet du chapitre 2014. Cette
année là, le « modéré » Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée
de Paris et président du Conseil français du Culte musulman (CFCM), présente à
la presse une Convention citoyenne des musulmans de France pour le
vivre-ensemble concoctée par le CFCM. Ça sonne bien à nos oreilles. Lors de la conférence
de presse, Dalil Boubakeur se garde bien d’évoquer l’article 5 de la convention
sur les tenues vestimentaires qui fait du voile une obligation islamique. Les
rares médias qui évoquent cette convention trouvent motif à se réjouir, sans
jamais parler de l’article 5. Ainsi, Le Monde déclara
que « ce message ne pouvait pas mieux tomber ». Il ajouta que «
le texte s’attache aussi à lever les soupçons qui pèsent sur l’islam. “L’islam
est parfaitement compatible avec les lois de la République” proclame-t-il […],
le texte affirme que “les musulmans de France désirent se joindre au renouveau
de la pensée religieuse sur l’islam” et “ajuster leurs pratiques” à la société
française. » Le président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis
Bianco salua aussi cette avancée. Médiapart, Le Nouvel Observateur et
la Ligue de l’enseignement ne furent pas en reste. La lettre ouverte de trois
femmes du collectif « Femmes sans voile » d’Aubervilliers, parue dans Marianne et
qui dénonçait le CFCM, n’aura aucun écho. Les féministes ne bougeront pas.
Enhardi par cette méprise volontaire, Dalil Boubakeur récidive en juin 2017
lorsqu’il met en ligne, sur le site de la Grande Mosquée de Paris, des textes
injurieux, méprisants et hostiles au christianisme et au judaïsme, textes qui
reprennent en gros la doctrine islamique sur le sujet. Sans provoquer, là
encore, la moindre réaction.
2006, le lynchage de Robert
Redeker
Heureusement, le chapitre
2006 nous a déjà rappelé la veulerie dans laquelle se sont vautrés les
contempteurs de Robert Redeker, menacé de mort et condamné à la clandestinité
pour avoir écrit dans Le Figaro ce que d’autres avant lui avaient écrit sur
l’islam. C’est vrai, c’est plus facile et moins risqué de se mettre du côté du
plus fort. Olivier Roy y vit « un tissu d’imbécilités », Le
Monde, « des vociférations ». Libération parla
d’une « tribune satanique ». Et, n’écoutant que son courage,
la responsable de la page « Débats » du Monde rassura les
lecteurs du journal : si la tribune avait été proposée au Monde, « nous
ne l’aurions certainement pas publiée ». On retrouve donc les “Usual
Suspects”, dont Le Nouvel Observateur qui a l’audace d’écrire
que Robert Redeker n’est pas victime d’islamistes, de musulmans vindicatifs
mais « de son orgueil de roseau pensant », mettant ainsi en doute
sa compétence de philosophe. C’est la curée. S’y joignent Témoignage
chrétien qui voit dans la tribune de Robert Redeker une injure
islamophobe digne de l’extrême droite et Paris Match qui
pousse au maximum le renversement moral en parlant de chronique haineuse
d’un « simplet » qui cherche la notoriété et n’est pas digne
d’être défendu au nom de la liberté d’expression.
A lire aussi: L’appel de 80 intellectuels contre « le
décolonialisme »
Les auteurs du livre y
voient une inversion, dénoncée au fil des chapitres, qui place la violence du
côté de celui qui en est victime. Olivier Roy gagne le pompon de la lâcheté
lorsque, dans Libération, en septembre 2006, il accuse Robert
Redeker de « chatouiller la fatwa », lequel ne devrait pas
s’étonner de ce qui lui arrive. Pour Olivier Roy, qui remet ça dans Esprit, «
Robert Redeker est raciste ».
2005, les caricatures de
Mahomet incitent « à la haine religieuse, au racisme et à la
xénophobie »
Et, si l’on veut bien
remonter au chapitre 1989, on trouvera le même genre de veulerie intellectuelle
lors de l’affaire Rushdie. Rappelons simplement ce que le grand Jacques Berque
écrivait dans Le Figaro à l’époque. Il aurait préféré
que Les Versets sataniques ne soient pas diffusés en France et
considérait que Salman Rushdie ne pouvait en aucun cas être pris pour un héros
de la libre-pensée après avoir insulté si grossièrement le prophète de l’islam.
Sans oublier l’affaire des
caricatures danoises publiées en 2005 qui donna l’occasion aux députés
européens de montrer leur courage en adoptant une résolution dénonçant les abus
de la liberté d’expression qui incitent « à la haine religieuse, au
racisme et à la xénophobie » et exprimant leur « sympathie à
l’égard de ceux qui se sont sentis offensés par les caricatures du prophète
Mahomet ». Le Conseil des ministres de l’UE s’était fendu, rappelons-nous,
d’un texte où il avait cru bon de préciser que « la liberté d’expression
devait respecter les croyances et les convictions religieuse ». On a
là un renversement de l’interprétation de l’incitation à la haine décrit par
Flemming Rose, qui parle d’inversion de l’effet et de la cause dans son
livre, jamais traduit en français, The Tyranny of Silence.
Rappelons seulement la stupéfaction qui fut la sienne lorsqu’il fut accueilli
le 10 décembre 2005 pour participer à un débat organisé par Amnesty International
et l’Institut danois des droits de l’homme, lesquels avaient installé une
bannière au titre orwellien « Victimes de la liberté d’expression ».
Le livre illustre la progression de cette inversion et de l’activisme
nécessaire pour, au moins, faire taire ceux qui seraient tentés par la
lucidité.
Jacques Chirac lui-même
avait condamné les caricatures, ce qui avait rendu le CFCM audacieux au point
de demander une loi interdisant le blasphème, demande relayée par Éric Raoult
qui fut un temps ministre de l’Intégration ! Cette affaire des caricatures a eu
les conséquences que l’on sait et a renforcé la tyrannie du silence dénoncée
par Flemming Rose, dont les effets désastreux sont parfaitement décrits au fil
des pages de ce livre.
La liberté
d’intimidation
Même sans loi écrite sur le
blasphème, la liberté d’expression n’est plus qu’un lointain souvenir. Les
poursuites en justice qui se sont multipliées ont un puissant pouvoir
d’intimidation. Même lorsque les personnes poursuivies gagnent leur procès,
l’intimidation dont elles ont fait l’objet tend à les rendre plus discrètes et
plus prudentes et à dissuader celles qui seraient tentées de s’exprimer
librement de le faire. Et, depuis Charlie Hebdo, la menace s’est
concrétisée.
La peur a abîmé la notion de
respect et de tolérance. Salman Rushdie craignait par dessus tout que des gens
bien puissent céder à la peur en appelant cela du respect. Jens-Martin Eriksen
et Frederik Stjernfelt, deux chercheurs danois, parlent de « respect-mafia ».
La peur a aussi démonétisé
toute idée de subversion…
Amalgames et infantilisation
Alors qu’on attendait des
élites politiques, intellectuelles et médiatiques qu’elles défendent la liberté
d’expression, elles se sont trop souvent illusionnées en croyant défendre les
faibles et les déshérités. Elles ont ainsi pratiqué l’amalgame qu’elles dénoncent
tant par ailleurs en prétendant défendre les musulmans qu’elles considèrent
authentiques, sans grand discernement, tout en abandonnant les dissidents
acquis aux valeurs libérales. L’assimilation des critiques et des moqueries de
l’islam à du racisme a produit cet amalgame et favorisé l’infantilisation des
musulmans.
Ce livre permet de mesurer
ce qui nous sépare aujourd’hui d’un temps pas si lointain où les connaisseurs
de la question, tombés dans l’oubli pour ce qu’ils ont écrit sur l’islam (c’est
le cas de Jacques Ellul), écrivaient ce qui leur vaudrait aujourd’hui un
passage à la 17ème chambre, sans parler des menaces de mort. Et les livres
scolaires sont à la pointe du « progrès ».
>> Toutes les analyses
de Michèle Tribalat sont disponibles sur son site.
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