Vox
Politique | Par Georges
Karolyi Publié le 12/04/2018 à 09h56
FIGAROVOX/TRIBUNE - Après la large victoire du parti de
Viktor Orban aux législatives, Georges Karolyi, ambassadeur de Hongrie en
France, répond à une critique souvent adressée à Budapest.
Les Hongrois ont voté. Ils ont largement reconduit la
majorité sortante, en dépit de l'incroyable déferlement médiatique, dont le
thème quasi unique consistait à présenter le gouvernement du pays comme
l'infréquentable partisan
d'un«illibéralisme» qui
devait être combattu par tous les moyens. On n'hésite pas à associer ce terme à
la Hongrie au motif que le «chantre»(sic) de la «démocratie illibérale» ne
serait autre que son premier ministre, M. Viktor Orban.
Les professionnels du dénigrement de la Hongrie - entraînant
avec eux la cohorte des suiveurs qui n'ont pas cherché à en savoir plus - ont
foncé tête baissée et se sont empressés de se méprendre sur ce que M. Orban
avait voulu dire dans un fameux discours qu'il a prononcé l'été 2014, où il a
employé les mots de «démocratie illibérale». Pour eux, il était clair que cette
déclaration signait la fin des libertés publiques en Hongrie et justifiait tous
les quolibets que l'on pouvait désormais déverser sur le pays à tour de bras
sans crainte d'être inquiété. Sauf que ce n'est pas ce que le premier ministre
de notre pays a voulu dire.
M.
Orban est un dirigeant politique pragmatique et responsable, doté
d'une vision d'avenir, qui a analysé la situation de son pays depuis la
transition démocratique de 1990, et en a tiré des conclusions. Pour porter sur
ce sujet délicat un jugement crédible, il faut prendre la peine de lire, avec
un minimum de volonté de comprendre, le long discours qu'il a prononcé le 26
juillet 2014.
Dans son allocution, M. Orban rappelle qu'au moment de la
transition de 1990 la Hongrie s'est ouverte avec enthousiasme au modèle
démocratique occidental marqué par le libéralisme. Notre pays attendait de ce
modèle qu'il règle les immenses problèmes légués par quarante-cinq ans de
communisme et d'occupation soviétique.
Depuis, cependant, le monde a changé. La crise financière de
2008 est passée par là. La Hongrie a connu des déconvenues à mettre au débit du
système économique ultralibéral qu'elle avait adopté dans les années 1990. Il
convenait donc de réactualiser nos repères.
Ceux qui ont eu le bonheur de grandir dans le libéralisme
se sont tellement convaincus de leur bon droit que plus personne n'est disposé
à reconnaître la limite où commence le bon droit de l'autre
Orban déclarait ainsi, dans son discours: «L'organisation
libérale de la société […] se fonde sur le principe que tout ce qui ne porte
pas atteinte à la liberté d'autrui est permis. C'est sur ces principes que se
sont bâties les vingt années de la vie hongroise d'avant 2010, qui n'était
autre, du reste, que l'acceptation du principe général en vigueur en Europe
occidentale. Mais nous avons eu besoin de vingt ans pour constater […] que si
c'est là en soi une idée éminemment attrayante, l'on ne sait en revanche
absolument pas qui va dire à partir de quand quelque chose porte atteinte à ma
liberté […]. Et puisque personne n'a été désigné pour le faire, nous avons
constaté […] que c'est le plus fort qui finit par décider […]. Les conflits
liés à la reconnaissance mutuelle de la liberté de chacun ne se règlent en
effet pas sur la base d'un quelconque principe abstrait d'équité ou de justice,
car dans les faits c'est toujours le plus fort qui a raison.»
Ceux qui ont eu le bonheur de grandir dans le libéralisme se
sont tellement convaincus de leur bon droit que plus personne n'est disposé à
reconnaître la limite où commence le bon droit de l'autre. C'est contre les
dérives qui en résultent, contre les excès d'un libéralisme sauvage qui menace
les franges les plus fragiles de nos sociétés, qui les conduit à perdre
confiance dans leurs gouvernants et les pousse vers les extrêmes, que M. Orban
s'est élevé.
«Le nouvel État que nous bâtissons en Hongrie, […] un
État “non libéral” […], ne nie pas les valeurs de base du libéralisme»
Viktor Orban
Je ne vois pas qui peut s'en offusquer. Pour y porter
remède, l'État doit prendre ses responsabilités et appliquer le principe de
base de l'État de droit, selon lequel tout droit s'exerce dans le cadre des
lois qui le réglementent. Il n'y a pas de droit illimité. Cela vaut pour les
relations entre les individus comme pour les relations entre les États. Voilà
ce que M. Orban a voulu dire, et rien d'autre.
Le premier ministre a pris soin d'ajouter, à l'intention de
ceux qui n'auraient toujours pas compris, que «le nouvel État que nous
bâtissons en Hongrie, […] un État “non libéral” […], ne nie pas les valeurs de
base du libéralisme, telles que la liberté et d'autres que je pourrais citer,
mais il ne met pas cette idéologie au centre de l'organisation de l'État».
C'est le libéralisme incontrôlé qui détruit les libertés
publiques, pas M. Orban. Nous sommes loin de l'interprétation apocalyptique que
certains se plaisent à donner des propos du premier ministre hongrois. L'État de
droit est le garant d'un libéralisme responsable. Il n'est pas un martinet que
l'on brandit pour morigéner ceux qui ne pensent pas comme soi.
Ne l'oublions pas lorsque nous réfléchissons ensemble à
l'édification d'une Europe forte et protectrice, mais en même temps apaisée et
réconciliée avec elle-même.
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Éric Zemmour : «À l'est, du nouveau» (13.04.2018)
Par Eric Zemmour
Mis à jour le 13/04/2018 à 15h53 | Publié le 13/04/2018 à 06h00
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Le concept d'«illibéralisme» développé par Viktor Orban peut devenir la chance de la droite française si elle sait s'en saisir.
Illibéralisme. Ce mot difficile à prononcer est appelé à un grand avenir idéologique et politique. Le triomphe électoral en Hongrie de Viktor Orbán en est la dernière preuve éclatante, qui vient après les scrutins autrichiens, italiens, slovaques, polonais, voire allemands. Les élites occidentales y fustigent le populisme, sans voir que ce concept ne signifie plus grand-chose. C'est Orban qui a théorisé l'illibéralisme, qu'il oppose au libéralisme, mais pas à l'économie de marché. Des pays qui ont subi le joug communiste ne peuvent être hostiles à l'économie de marché. En revanche, la crise de 2008 a fait comprendre aux dirigeants hongrois que le libéralisme mondialisé était devenu une machine folle et hégémonique où la finance a tous les pouvoirs et tous les droits.
C'est la crise des migrants de 2015 qui va consacrer la coupure entre deux Europe, entre sociétés libérales et illibérales
Mais c'est la crise des migrants de 2015 qui va consacrer la coupure entre deux Europe, entre sociétés libérales et illibérales. Les sociétés libérales allemande et française sont devenues des sociétés multiculturelles qui ont renoncé à défendre leurs frontières et identité. Le juge y définit des normes, inspirées de la religion des droits de l'homme, qui s'imposent à tous. Ce que l'on appelle avec emphase l'État de droit, que l'on confond - confusion délibérée ou ignorance - avec la démocratie. Or, c'est tout le contraire. L'État de droit, c'est le gouvernement des juges, oligarchie qui impose sa loi au peuple - le contraire de la démocratie, qui est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple.
Orban tente de distendre le lien entre libéralisme économique et culturel, imposé par la gauche soixante-huitarde
Cet affrontement entre libéralisme et illibéralisme, entre État de droit et démocratie, est le clivage de l'avenir en Europe. Il se substitue aux oppositions surannées entre souverainistes et fédéralistes, entre socialistes et libéraux. Ce concept d'illibéralisme venu de Hongrie a essaimé dans toute l'Europe centrale, aire de l'ancien Empire austro-hongrois. Ce qui n'est sans doute pas un hasard quand on se souvient que c'est cette région qui a connu le plus vivement la pression musulmane avec le siège de Vienne en 1683. Mais ce concept hongrois peut devenir la chance de la droite française si elle sait s'en saisir. Orban tente de distendre le lien entre libéralisme économique et culturel, imposé par la gauche soixante-huitarde après sa conversion, au cours des années 1980, à l'économie de marché. Il accepte le premier - mais en l'encadrant par l'État - et rejette le second au nom des racines chrétiennes de l'Europe.
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Il s'efforce ainsi de conjurer cette malédiction de Michéa - du nom du théoricien marxiste qui a brillamment montré le lien entre les deux libéralismes. L'illibéralisme réalise une union des droites qui rallie l'électorat populaire en dénonçant «le grand remplacement» et le danger de l'islamisation de l'Europe. L'illibéralisme est le nouvel ennemi des médias bien-pensants et des idéologues européistes de Bruxelles. La meilleure preuve, s'il en était besoin, que c'est le vent d'est qui est à suivre.*
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