dimanche 3 mars 2019

Les deux guerres des États-Unis en Syrie : le Pentagone contre la CIA (Maxime Chaix)



Derrière le déni de Washington, la coresponsabilité de la CIA dans l’essor du jihad en Syrie




Le général David Petraeus

Dans un entretien accordé en mai dernier à l’émission Frontline, David Petraeus – qui dirigea la CIA entre septembre 2011 et novembre 2012 –, a refusé de répondre à une question sur les activités de l’Agence en Syrie. Il occulta ensuite la coresponsabilité avérée de la CIA dans la montée en puissance des groupes extrémistes dans ce conflit. Lorsque le journaliste de Frontline l’interrogea sur ce qui avait « été proposé au Président [Obama] pour qu’il entende ce que vous et d’autres responsables pensiez qu’il fallait faire (…) en Syrie », le général Petraeus répondit : « Vous savez, je ne peux parler de ce que j’aurais pu recommander en tant qu’ancien directeur de la CIA, car si j’avais recommandé quelque chose, cela aurait relevé du domaine de l’action clandestine, et nous ne faisons pas d’actions revendiquées. Donc c’est quelque chose dont je ne parlerai pas. » 


































































































Bien qu’il ait refusé d’évoquer publiquement l’implication secrète de la CIA en Syrie, David Petraeus désigna explicitement les alliés arabes des puissances occidentales comme responsables de l’essor des groupes extrémistes en Syrie. Selon lui, « le manque de soutien [américain] pour les différentes forces d’opposition [sic] fut probablement une opportunité manquée. Ensuite, bien entendu, vous observez d’autres pays dans la région – les Saoudiens, les Qataris, les Émiratis – armer et financement différents éléments, qui sont parfois des groupes en quelque sorte en compétition. Puis vous commencez à voir émerger l’État Islamique et à observer l’établissement du Jabhat al-Nosra [en janvier 2012], qui est le groupe affilié à al-Qaïda en Syrie [, également appelé le Front Al-Nosra]. Donc ces deux milices se sont séparées [en avril 2013]. »

Pour quiconque ayant étudié les activités de la CIA en Syrie, ces arguments du général Petraeus masquent le rôle central de l’Agence dans la montée en puissance de ces groupes extrémistes. En effet, d’après plusieurs sources crédibles, dont le New York Times, la CIA a « facilité » dès le mois janvier 2012 les opérations clandestines d’approvisionnement en armes des rebelles en Syrie. Ces actions ont impliqué les services saoudiens et qataris que l’ancien directeur de la CIA a implicitement désignés comme étant responsables de l’essor des groupes extrémistes sur le territoire syrien. En juillet 2013, le parlementaire britannique Lord Ashdown affirma que ces armes avaient équipé « presque exclusivement » des milices jihadistes, dont le fameux Front al-Nosra, à l’époque où ce qui allait devenir Daech était encore intégré à ce réseau avant leur scission d’avril 2013. Remarquons également que le général Petraeus a passé sous silence le rôle majeur de la Turquie dans cette guerre secrète, sachant que de nombreuses actions clandestines de la CIA et de ses alliés pour armer les rebelles en Syrie ont impliqué des opérations transfrontalières de livraisons d’armes depuis le territoire turc. Comme l’a précisé le grand reporter Seymour Hersh, « la CIA avait conspiré depuis [2012] avec ses alliés britanniques, saoudiens et qataris pour acheminer en Syrie des armes et du matériel venant de Libye via la Turquie, et ce dans le but de renverser el-Assad. » En outre, un nombre croissant de sources officielles ont dénoncé le rôle central de la Turquie dans le soutien des différents groupes extrémistes en Syrie, dont le Front al-Nosra et Daech.

Ce déni de réalité du général Petraeus est symptomatique d’une potentielle dissimulation concertée à Washington, sachant que le Président Obama, l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton et d’autres hauts responsables américains ont systématiquement occulté le rôle majeur de la CIA dans la guerre en Syrie. Comme l’a écrit en août 2015 l’expert du Proche-Orient Joel Veldkamp, « [les nombreuses] informations sur l’engagement américain dans la facilitation des approvisionnements en armes de l’opposition n’ont jamais été réfutées, ni démenties. Elles sont simplement ignorées, et elles se perdent dans la confusion suscitée par l’avalanche de déclarations contradictoires. Le fait que des journaux de premier plan et des personnalités publiques critiquent actuellement l’administration Obama pour ne pas avoir armé les rebelles [en Syrie] démontre le succès de cette apparente stratégie de relations publiques. »

Récemment, un ex-officier de la CIA nommé Doug Laux a affirmé qu’Obama n’avait jamais autorisé l’Agence à renverser le gouvernement el-Assad, ce qui a interloqué de nombreux spécialistes. En effet, selon le site MintPressNews, « le récit de Laux a fait froncer les sourcils des experts, puisqu’il a affirmé qu’il existait une volonté intentionnelle de renverser el-Assad, et car l’approbation de telles fuites par la CIA est inhabituelle. Les écrits des anciens membres de l’Agence doivent être lus et approuvés par l’Agence. Or, malgré l’usage intensif du marker noir [dans le livre de Laux], la CIA a autorisé la divulgation de cet aspect malgré la position officielle des États-Unis, qui consiste à réfuter que [leurs services] prennent part à de telles opérations ». Certains hauts responsables américains, parmi lesquels David Petraeus, ont déclaré qu’une approbation du plan de Doug Laux par le Président Obama aurait empêché l’émergence de Daech, occultant le fait que la CIA et ses alliés ont armé massivement des groupes jihadistes en Syrie dès janvier 2012 – ce qui a eu comme conséquence majeure de renforcer al-Qaïda et l’autoproclamé « État Islamique » dans ce pays. Comme l’a déclaré le sénateur John McCain, « je peux affirmer avec confiance que l’on aurait aujourd’hui une Syrie bien différente si le Président des États-Unis n’avait pas ignoré les avis du directeur de la CIA David Petraeus, de la secrétaire d’État Hillary Clinton, et du secrétaire à la Défense Leon Panetta ».

De telles déclarations renforcent la fausse impression que les États-Unis ne sont pas intervenus en Syrie pour armer les rebelles, ajoutant de la confusion à une situation déjà complexe. Or, cette implication clandestine, illégale et massive de l’Agence pour renverser Bachar el-Assad est dorénavant indéniable. Elle a mobilisé « plusieurs milliards de dollars », essentiellement saoudiens, et le New York Times a admis en janvier 2016 qu’elle avait renforcé des groupes extrémistes officiellement considérés comme des ennemis des États-Unis.

La CIA contre le Pentagone : deux politiques étrangères antagonistes

En novembre 2015, la représentante au Congrès Tulsi Gabbard déposa une proposition de loi, dont le but est de « stopper immédiatement la guerre illégale et contreproductive visant à renverser le gouvernement syrien d’el-Assad », cette loi n’ayant toujours pas été débattue ni votée à la Chambre des Représentants. Comme elle l’a expliqué dans un communiqué de presse détaillant cette initiative, « les États-Unis sont en train de mener deux guerres en Syrie. La première est la guerre contre Daech et d’autres extrémistes islamistes, que le Congrès a autorisée après les attentats du 11-Septembre. La deuxième est la guerre [secrète et] illégale pour renverser le gouvernement syrien d’el-Assad. » Elle ajouta que « renverser le gouvernement syrien d’el-Assad est le but de Daech, d’al-Qaïda et d’autres groupes islamistes extrémistes. Nous ne devrions pas nous allier avec ces fanatiques en les aidant à remplir leur objectif, car cela est contraire aux intérêts sécuritaires des États-Unis et de la civilisation. » En effet, elle a précisé que « l’argent et les armes que la CIA distribue pour renverser le gouvernement syrien d’el-Assad vont directement ou indirectement dans les mains des groupes islamistes extrémistes, dont des [milices liées ou] affiliées à al-Qaïda, à al-Nosra, à Ahrar al-Sham, et à d’autres groupes qui sont en réalité les ennemis des États-Unis. Ces groupes forment près de 90 % des soi-disant forces d’opposition, et ils constituent les principales forces combattantes sur le terrain. »    

Au début du mois de juin, le site d’information The Daily Beast s’est fait l’écho de ces deux guerres syriennes des États-Unis. En effet, l’un de ses journalistes a souligné l’opposition entre le Pentagone – qui combat Daech en Syrie via des « conseillers militaires » –, et la CIA qui admet dorénavant qu’elle soutient des groupes liés ou affiliés à al-Qaïda. Selon le Daily Beast, « les forces de l’opposition dans la plus grande ville de Syrie [, c’est-à-dire Alep,] subissent un assaut féroce mené sous l’égide de la Russie, ce qui suscite des craintes que les rebelles puissent être éliminés en quelques semaines. Quelle est la réponse du Pentagone et de la communauté du Renseignement ? Ils se crêpent le chignon. Deux hauts responsables du Département de la Défense ont déclaré au Daily Beast qu’ils ne souhaitent pas soutenir les rebelles dans la ville d’Alep, puisqu’ils sont considérés comme étant affiliés à al-Qaïda en Syrie, c’est-à-dire au Front al-Nosra. La CIA, qui appuie ces groupes rebelles, a rejeté cette affirmation [du Pentagone], déclarant que l’offensive de plus en plus massive que les Russes coordonnent a engendré des alliances de circonstance, qui sont justifiées par les nécessités du champ de bataille, et non par l’idéologie. “Il est étrange que les discussions de couloir au Département de la Défense imitent la propagande russe”, d’après un haut responsable américain qui soutient les positions de la communauté du Renseignement. Non sans ironie, il rejette les arguments du Pentagone, qui estime que l’opposition et al-Nosra constituent une seule et unique entité. »

Les informations de ce site tendent à confirmer les accusations de la diplomatie russe, qui a indiqué au début du mois de juin que les États-Unis auraient demandé à la Russie d’épargner le Front al-Nosra. Comme l’a rapporté l’Associated Press, « le ministre des Affaires étrangères russes a déclaré que Washington avait demandé à Moscou de ne pas cibler la branche d’al-Qaïda en Syrie, le Front al-Nosra. Or, vendredi dernier, les États-Unis ont insisté sur le fait qu’ils souhaitaient que la Russie sélectionne rigoureusement ses cibles pour éviter de frapper les civils et les groupes d’opposition légitimes. D’après [le ministre des Affaires étrangères russes Sergei] Lavrov, “ils nous disent de ne pas frapper [al-Nosra], car l’opposition ‘normale’ se trouve à proximité. Mais cette opposition doit quitter les positions des terroristes, nous nous sommes accordés sur cette nécessité depuis longtemps.” »

En Syrie, les rebelles « modérés » de la CIA arment al-Qaïda et combattent à ses côtés

Parmi les milices jugées « normales » et « légitimes » à Washington, la plus importante est le groupe Ahrar al-Sham, qui rassemblerait au moins 15 000 combattants. Comme l’a rapporté le journaliste Gareth Porter, « Ahrar s’est opposé à certaines des plus dures versions de la Charia que le Front al-Nosra a imposées dans les zones conquises par la coalition anti-Assad à Idleb [, au printemps 2015]. Néanmoins, ce groupe a bien plus de points communs que de divergences avec al-Nosra. À l’instar de ces derniers, Ahrar al-Sham souhaite imposer un système politique post-Assad qui serait “un État Islamique sous la loi de la Charia”. Par ailleurs, Ahrar partage totalement la haine viscérale d’al-Nosra pour la minorité alaouite (…) En vérité, la coopération militaire entre Ahrar al-Sham et le Front al-Nosra a été si étroite que ces derniers considèrent Ahrar comme une source d’approvisionnement en armes, selon un ancien combattant d’al-Nosra ayant quitté la Syrie. »

Comme de nombreuses sources crédibles l’ont confirmé, la guerre secrète de la CIA contre le gouvernement el-Assad implique d’armer massivement le Front al-Nosra, soit par l’intermédiaire de services alliés, soit en équipant des groupes décrits comme « modérés », tels que Ahrar al-Sham. À la suite de l’intervention russe dans le conflit syrien, des expertset des journalistes ont expliqué que la CIA, essentiellement via les services spéciaux saoudiens et d’autres alliés régionaux, livrait massivement des missiles antichars TOW de fabrication américaine aux rebelles en Syrie, et ce depuis 2013. Au printemps 2015, lors de l’offensive d’Idleb, les principaux destinataires de ces armements étaient les combattants de l’Armée de la Conquête, une coalition de groupes extrémistes coagulés autour d’al-Qaïda – dont la création au premier trimestre 2015 aurait été approuvée par Washington. Comme je l’avais souligné en novembre dernier, ces missiles ont eu un impact décisif dans la guerre en Syrie, et les succès militaires qu’ils ont engendrés pourraient être le premier facteur de l’intervention russe dans ce pays.

Toujours selon le Daily Beast, « même si les rebelles n’avaient strictement aucun lien avec al-Nosra, il y aurait une sorte de contradiction stratégique dans les objectifs militaires des États-Unis. Selon ces hauts responsables du Pentagone, les rebelles [soutenus par la CIA] à Alep sont en train de combattre le régime el-Assad ; en revanche, l’effort militaire [du Département de la Défense] a comme priorité de vaincre l’autoproclamé État Islamique. “Nous ne jouons aucun rôle à Alep. Les forces que nous soutenons combattent Daech”, comme l’a expliqué au Daily Beast un haut responsable du Pentagone. » Les objectifs du Département de la Défense sont clairs, puisqu’ils se focalisent sur la lutte contre l’organisation terroriste d’Abou Bakr al-Baghdadi. Au contraire, le but de la CIA semble être ambigu, voire incohérent. En effet, l’Agence estime qu’il est indispensable de renverser el-Assad en soutenant des groupes liés ou affiliés à al-Qaïda, puisque son régime serait un facteur d’instabilité propice à l’essor de Daech. D’après le Daily Beast, « la communauté du Renseignement, qui a soutenu les forces d’opposition à Alep, pense que Daech ne peut être vaincu tant qu’el-Assad est au pouvoir. Selon eux, ce groupe terroriste prospère dans des zones instables. Et seules les forces locales [sic] – telles que les milices soutenues par la CIA – peuvent atténuer cette menace. “L’opposition est résiliente face aux terribles attaques des forces syriennes et russes”, comme un haut responsable du Renseignement l’a affirmé au Daily Beast. “La défaite d’el-Assad est un prérequis indispensable pour que nous puissions vaincre [Daech]. Aussi longtemps qu’il y aura en Syrie un leader défaillant et un État qui l’est tout autant, [Daech] trouvera des zones pour opérer.” »

Le Pentagone aurait aidé le gouvernement el-Assad à combattre les jihadistes

En réalité, les forces soutenant Bachar el-Assad semblent constituer le principal rempart contre Daech en Syrie, une évaluation que partageraient les hauts gradés du Pentagone. En effet, comme l’a rapporté Seymour Hersh dans la prestigieuse London Review of Books, « ces dernières années, l’insistance récurrente de Barack Obama sur la nécessité d’un départ de Bachar el-Assad – et sur l’idée qu’il existerait des groupes rebelles “modérés” en Syrie qui seraient capables de le vaincre –, a provoqué des dissensions officieuses, voire même une opposition ouverte parmi les principaux officiers du Comité des chefs d’états-majors interarmées du Pentagone [JCS]. (…) Cette résistance des militaires date de l’été 2013. À cette époque, une évaluation hautement classifiée avait été réalisée conjointement par la Defense Intelligence Agency (DIA) et le JCS, qui était alors dirigé par le général Martin Dempsey. Dans ce document, ces deux agences avaient estimé que la chute du régime el-Assad imposerait le chaos et la potentielle prise de contrôle de la Syrie par des extrémistes jihadistes – à l’instar de ce qui était en train de se dérouler en Libye. »

Si l’on partage cette évaluation des hauts responsables du Pentagone, un effondrement de l’État syrien pourrait donc engendrer une situation de chaos généralisé, dont profiteraient Daech et d’autres groupes extrémistes pour se renforcer et étendre leur influence. C’est pourquoi, d’après Seymour Hersh, le Pentagone aurait tenté à partir de l’automne 2013 d’aider le gouvernement syrien à lutter contre les extrémistes en lui transmettant des informations via les services de renseignement militaire russes, allemands et israéliens. En juillet 2015, cette opposition frontale entre le Département de la Défense et la CIA a été ouvertement admise par Michael Flynn, l’ancien responsable du Renseignement militaire du Pentagone (DIA). Dès 2012, son agence avait prédit la possible émergence d’un « État Islamique » à cheval entre l’Irak et la Syrie, qui aurait résulté du soutien occidental et proche-oriental en faveur de l’opposition anti-Assad.


Le général Michael Flynn

Afin de préciser ses arguments, le général Flynn avait ensuite déclaré que le gouvernement des États-Unis avait soutenu jusqu’à présent « une telle diversité de factions [anti-Assad qu’] il est impossible de comprendre qui est qui, et qui travaille avec qui. La composition de l’opposition armée syrienne, de plus en plus complexe, a rendu toute identification considérablement plus difficile. Pour cette raison, (…) du point de vue des intérêts américains, nous devons (…) prendre du recul et soumettre notre stratégie à un examen critique. À cause de la possibilité, très réelle, que nous soutenions des forces liées à État Islamique (…), en même temps que d’autres forces anti-Assad en Syrie. » Selon le général Flynn, lorsqu’il dirigeait la DIA, cette agence du Pentagone recensait « autour de 1 200 groupes belligérants » sur le théâtre de guerre syrien en 2014. De ce fait, il pense « que personne, y compris la Russie, n’a une compréhension claire de ce à quoi nous avons affaire là-bas, mais sur le plan tactique, il est vraiment très important de le comprendre. Une vision unilatérale de la situation en Syrie et en Irak serait une erreur. »

La « guerre des gazoducs », les intérêts énergétiques de la CIA et les précédents afghans et indochinois

Manifestement, la politique officielle de la CIA consiste à prioriser le renversement d’el-Assad, quitte à armer des groupes liés voire affiliés à al-Qaïda. D’après l’Agence, la chute du gouvernement syrien serait un prérequis indispensable pour détruire l’autoproclamé « État Islamique ». Que l’on adhère ou pas à cette vision, rappelons simplement que « si Daech est vaincu, au moins 65 000 combattants appartenant à d’autres groupes salafistes-jihadistes sont prêts à prendre sa place », selon un prestigieux think tankbritannique cité par le Guardian en décembre dernier. Il serait donc nécessaire que les États-Unis adoptent une stratégie cohérente dans le conflit syrien, car ces deux guerres ont des objectifs antagonistes, ce qui laisse présager une issue aussi catastrophique que la guerre d’Irak lancée illégalement par l’administration Bush en 2003. De telles contradictions ont pu être observées dans l’Histoire récente, et les précédents exemples de divergences intragouvernementales nous éclairent sur les intérêts qui conditionnent les politiquesétrangères américaines.

Comme Peter Dale Scott l’a rappelé en citant Steve Coll dans son dernier livre, « “au début de l’année 1991, les objectifs afghans du Département d’État et de la CIA étaient ouvertement en compétition. (…) [L’Agence] (…) continua de collaborer avec le Renseignement militaire pakistanais dans une stratégie belliqueuse, qui faisait principalement le jeu d’Hekmatyar et d’autres commandants islamistes.” Ces divergences entre le Département d’État et la CIA étaient loin d’être sans précédent. Elles rappelaient en particulier le conflit qui les opposa en 1959 et 1960, débouchant sur une guerre tragique au Laos puis au Vietnam. À l’image des compagnies pétrolières ayant des intérêts dans le conflit en Indochine, la CIA ne pensait pas seulement à l’Afghanistan entre 1990 et 1992, mais également aux ressources pétrolières d’Asie centrale – où certains [moudjahidines] formés par le centre al-Kifah [à Brooklyn] allaient concentrer leur attention. En Afghanistan, le Département d’État représentait la volonté du Conseil National de Sécurité et de l’État public. Dans le camp opposé, la CIA n’était pas “dévoyée”, comme d’aucuns l’ont parfois suggéré. Elle cherchait plutôt à satisfaire les objectifs des compagnies pétrolières et de leurs financiers, ou ce que j’ai appelé l’État profond, en leur préparant le terrain pour conquérir les ressources des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. »

Dans le contexte actuel, il est clair que la CIA cherche avant tout à remplir les objectifs des pétromonarchies, de la Turquie et de différentes multinationales énergétiques, à travers ce que le chercheur britannique Nafeez Ahmed a qualifié de « guerre des gazoducs » ravageant la Syrie. Dans un souci de ménager ses alliés du Golfe afin de garantir l’accord avec l’Iran, l’administration Obama appuie cette stratégie, tout en étant réticente à lancer une intervention militaire directe. Le fait que le soutien américain en faveur de groupes rebelles prétendument « modérés » se poursuit sans relâche tend à démontrer l’influence disproportionnée de la CIA et des intérêts qu’elle représente à Washington. Ce constat sous-tend également l’invalidité des analyses géopolitiques habituelles, qui font trop souvent référence à une seule et unique politique étrangère américaine. Actuellement, la stratégie visible des États-Unis engage des Forces spéciales US aux côtés de milices kurdes et arabes, qui combattant Daech au nord de la Syrie. Entre ce pays et l’Irak, le Pentagone coordonne depuis août 2014 une opération multinationale contre l’autoproclamé « État Islamique », dont les résultats auraient d’ailleurs été « enjolivés » en 2015.

Mais à un niveau plus profond, la CIA et ses partenaires opèrent clandestinement pour armer, entraîner et financer des groupes extrémistes qui cherchent à renverser Bachar el-Assad, ce qui fait indiscutablement le jeu de l’autoproclamé « État Islamique ». Nul doute que David Petraeus, à l’instar de son successeur John Brennan, vont éviter de s’en vanter dans les médias, dissimulant la vraie nature de leurs opérations clandestines au nom de la raison d’État. Puisqu’elle menace la paix mondiale, il semblerait plus prudent que cette politique aventuriste soit interdite par le Congrès, et le fait de l’exposer au grand jour comme la courageuse parlementaire Tulsi Gabbard est l’un des seuls moyens d’y parvenir.



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