Les "Décodeurs" ont encore frappé... à côté
par Michèle Tribalat - 20 mars 2019
Renaud Camus, 2010.
©BALTEL/SIPA / 00609727_000058
Mise en cause après l’attentat anti-musulmans de
Christchurch, la théorie du « grand remplacement » de l’écrivain
français Renaud Camus est de retour sur le devant de la scène. Suffisamment
pour que les inévitables « Décodeurs » du Monde s’en inquiètent et
tentent de la décrédibiliser à coups de statistiques… au risque de se noyer
dans les chiffres.
L’un des terroristes de Christchurch a repris à son compte le concept de « grand remplacement », forgé par
l’écrivain français d’extrême droite Renaud Camus.
Les « Décodeurs » du Monde se
sont mis à quatre pour écrire une condamnation de l’idée de « grand
remplacement » de Renaud Camus, à la suite de l’attentat de
Christchurch.
Je m’attacherai ici plus particulièrement à la partie
statistique de leur texte. Je les cite : « Pour la résumer
grossièrement, cette théorie a deux volets. D’une part, ce qui se présente
comme un “constat” démographique : du fait d’une
immigration “massive” et d’une fécondité plus forte, les populations
d’origine extra-européenne seraient en passe de surpasser numériquement les
populations “d’origine” (c’est-à-dire caucasiennes) en Europe – et,
du même coup, d’imposer leur culture et leur religion au continent. »
« Les chiffres contredisent l’essentiel de la
thèse »
Vient ensuite un encadré titré bien imprudemment «
Éclairage ». Cet « Éclairage » commence par diverses considérations
sur le caractère profondément raciste de la théorie du « grand
remplacement », dont je ne sois pas sûre que les « Décodeurs »
en apportent la preuve à travers ce qu’ils écrivent : « La théorie
est d’essence raciste, puisqu’elle se fonde sur la question de la couleur de
peau et de l’ethnie comme critères d’appartenance. Peu importe qu’une personne
soit née en France de parents français depuis plusieurs générations, si elle
n’est pas “caucasienne”, elle est donc un élément du “remplacement”. » Ce
que j’ai lu de Renaud Camus indiquait qu’il ne considérait pas seulement « les
indigènes français », mais y ajoutait « les
individus ou familles qui se sont assimilés à eux ou qui désirent le
faire »1. Si son idée de remigration est moralement
problématique et politiquement impraticable, ce n’est peut-être pas la peine
d’en rajouter.
Cet « Éclairage » se poursuit ainsi : « Du
reste, les chiffres contredisent l’essentiel de la thèse. Même en comptant très
largement les migrants et descendants de migrants non européens, on peine à
parvenir à 5 % de la population française. »
Les chiffres et ce qu’on en fait
Les auteurs renvoient alors à un autre article, signé par Frédéric Joignot, sur le même
sujet mais qui parle d’autre chose : « Ces immigrés venus du
Sud [Maghreb, Afrique subsaharienne et Asie] qui font si peur aux théoriciens
du “grand remplacement” représentent donc 5 % de la population
française. »
Les deux textes portent sur un champ géographique un peu
différent : Maghreb, Afrique subsaharienne, Asie, dans un cas ; et
hors d’Europe dans l’autre.
Mais, surtout, ils ne visent pas non plus le même
ensemble : immigrés (c’est-à-dire nés à l’étranger avec une nationalité
étrangère) pour Frédéric Joignot ; migrants et descendants de migrants
pour Samuel Laurent, Maxim Vaudano, Gary Dagorn et Assma Maad. L’année de
référence est 2012 dans le texte de Frédéric Joignot. On suppose que c’est
aussi le cas pour les « Décodeurs ».
A quatre pattes
Restons sur une année proche de celle retenue ici et pour
laquelle on peut détailler suffisamment les origines. Voici ce que l’on
obtient en 2011 à partir de l’enquête Famille et du recensement
de la même année :
– 5 % de personnes sont des immigrés originaires du
Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou d’Asie. Ce qui confirme le chiffre de Frédéric
Joignot ;
– mais 11 % sont d’origine extra-européenne sur deux
générations (immigrés et enfants d’au moins un parent immigré), et non 5 %
comme annoncé dans l’article.
11 % est bien loin de la majorité impliquée par l’idée
de « grand remplacement », prise au pied de la lettre. Ce n’est donc
pas la peine de jouer très en-dessous, au prix de confusions qui
décrédibilisent les « Décodeurs ». On se demande d’ailleurs si ces « Décodeurs »
en ont joué sciemment ou s’ils sont les victimes de leur propre incurie, car
ils se sont mis à quatre pour se tromper. Comment, après cela, leur faire
confiance ?
Renaud Camus est indécodable
Par ailleurs, Renaud Camus ne se fonde pas sur les
statistiques pour appuyer l’idée de « grand remplacement ». Il ne
leur accorde aucun crédit et préfère se fonder sur les perceptions communes2,
ce qui l’amène à écrire pas mal de bêtises.
>> Toutes les analyses de Michèle Tribalat sont
disponibles sur son site.
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