Stop aux mariages entre cousins germains
Publié le vendredi 19 avril 2013 à 04h30 - Mis à jour le vendredi 19 avril 2013 à 10h34
Une opinion de R. Dembour, juriste et ancien animateur d’écoles de devoirs.
Oserais-je aborder un sujet méconnu, sinon tabou ? La volonté de contribuer à l’émergence d’une solution à un problème sociétal peu évoqué et de réduire de fortes souffrances familiales m’incite à le faire. Le but n’est donc en aucune façon de stigmatiser qui que ce soit.
Le début de ma réflexion date d’il y a quelques années quand à l’école des devoirs, j’essayai d’expliquer un calcul simple à une petite Latifa (1), 12 ans, d’origine algérienne. Après plusieurs tentatives, l’enfant fondant en larmes malgré mes encouragements, je renonçai et en parlai à son professeur. Celui-ci me dit que ses parents et grands-parents étaient cousins germains et que son niveau de compréhension était très limité. J’étais sans doute, pour la première fois, confronté au problème de la consanguinité.
La découverte de situations analogues chez d’autres enfants et les graves problèmes scolaires chez les jeunes d’origine immigrée me convainquirent d’en savoir davantage sur la tradition des mariages entre cousins germains. Suivant une étude portant sur les résultats scolaires (2) en communauté française, plus de 50 % des garçons de 15 ans issus de l’immigration ont, en lecture et en sciences, une cote comprise entre 0 et 1 sur une échelle de 0 à 6, ce qui peut affecter sensiblement l’avenir personnel et professionnel de ces jeunes (3).
De nombreux facteurs interviennent : le statut socio-économique des parents, la non-maîtrise de la langue, la motivation des parents/enfants La consanguinité, difficilement mesurable, apparaît rarement dans les facteurs explicatifs. Une étude de l’université de Londres montre toutefois une corrélation significative entre les résultats PISA et le pourcentage de mariages consanguins dans 27 pays examinés (4) et (5).
Une haute autorité sunnite, professeur dans une université française, m’ayant dit que la consanguinité était un des problèmes majeurs dans les pays arabes, il importe d’essayer de comprendre le phénomène. Dans les sociétés arabo-musulmanes, les mariages entre cousins ont été de tout temps très fréquents : le pourcentage de tels mariages se situe entre 25 et 60 % avec les plus hauts niveaux atteints en Iraq (58 %), Arabie Saoudite (55 %), Pakistan (60 %), Qatar (54 %), Algérie (39 %), Des facteurs plus socioculturels que religieux tels que la facilité des négociations prémariage et le désir de maintenir le patrimoine dans la même lignée expliquent en grande partie cette coutume.
Une étude de quatre chercheurs marocains estime le taux de mariages consanguins à quelque 40 % avec prédominance des mariages entre cousins germains. Cette même étude évaluerait à plus de 50 % le taux du mariage consanguin de la population marocaine de Belgique (6). La possibilité de faire venir sa famille dans le pays d’accueil par le biais du regroupement familial expliquerait aussi le succès de tels mariages souvent arrangés.
Notons toutefois que dans les pays concernés, cette coutume est souvent également de mise dans d’autres cultures et religions. Elle n’est pas cantonnée aux populations musulmanes.
Quelles sont les conséquences d’une telle pratique ? De nombreuses études scientifiques mettent en avant les souffrances familiales liées aux unions consanguines : un risque 2,5 fois supérieur à la normale de survenue d’anomalies congénitales, handicaps physiques, retards mentaux Une recherche faite en Inde évalue à plus de dix points la baisse du quotient intellectuel chez les enfants de parents consanguins. D’autres études ont confirmé ce dernier impact en veillant à neutraliser l’influence du statut socio-économique des parents.
Les conclusions convergentes de telles études exigent une réflexion positive de notre part. Dans ce domaine, deux écueils nous guettent : d’une part, la stigmatisation d’une communauté qui se traduirait par des conclusions généralisantes et méprisantes; d’autre part, une surprotection de ladite communauté qui empêcherait de prendre des mesures efficaces par idéologie ou crainte de réactions négatives.
De nombreux intéressés ignorent les effets de cette pratique sur la santé et probablement les résultats scolaires des enfants. Sont en jeu leur intégration future dans notre tissu socio-économique, donc la paix entre communautés. Il est, en effet, naïf et vain d’espérer créer les conditions d’un vivre-ensemble si l’inégale répartition des difficultés d’apprentissage induit des écarts d’instruction générant disparités de revenus et frustrations.
Puis-je suggérer deux pistes de solutions ? D’un côté qu’une commission composée de scientifiques européens mais aussi originaires des pays concernés se penchent sur l’abondante littérature scientifique sur le sujet (7) et définisse les risques de la consanguinité sur la santé physique, mentale et intellectuelle. Ces conclusions seraient communiquées à la population dans un but de conscientisation et de conseil. D’un autre côté, que les différents partis politiques (au-delà de tout clivage) préparent une proposition de loi visant à interdire le mariage entre cousins germains dans notre code civil.
Une étude de chercheurs à l’université d’Istanbul portant sur les liens entre la consanguinité et le développement économique concluent que les pays ayant connu la plus haute croissance sont ceux qui par des mesures adéquates ont pu empêcher les mariages consanguins (8) et ainsi préserver leur capital humain. Il s’agit d’un débat délicat qui exige clairvoyance et sérénité. Je reste convaincu que nos responsables politiques en sont capables car il s’agit d’un élément conditionnant le "bien vivre ensemble" de nos enfants à tous.
(1) Prénom d’emprunt.
(2) Etude Pisa 2009.
(3) Pour les élèves de la 2e génération, plus de 50 % ont une cote comprise entre 0 et 2.
(4) Les références citéesdans cet article peuvent être consultéessur Internet en tapant sur Googleles infos reprises.
(5) M. Woodley, Intelligence, 2009.
(6) "Gazette du Maroc",13 février 2009 : articlesur les mariages consanguins.
(7) Une importante bibliographiescientifique est mentionnée à la findes deux articles suivants disponiblessur le Net :
a) Bulletin of the World Health Organisation, 1994, vol. 72 : "Hereditary disorders in the Eastern Mediterranean Region", H. Hamamy, A. Alwan.
b) Reproductive Health Journal, 2009, 6:7; "Consanguinity and reproductive health among arabs", G. Tadmouri, M. Al Ali, N. Al Khaja et s.
(8) M. Bildirici et al., Journal of Family history, 2010.
https://www.lalibre.be/debats/opinions/stop-aux-mariages-entre-cousins-germains-51b8fbace4b0de6db9ca4318
Publié le vendredi 19 avril 2013 à 04h30 - Mis à jour le vendredi 19 avril 2013 à 10h34
Une opinion de R. Dembour, juriste et ancien animateur d’écoles de devoirs.
Oserais-je aborder un sujet méconnu, sinon tabou ? La volonté de contribuer à l’émergence d’une solution à un problème sociétal peu évoqué et de réduire de fortes souffrances familiales m’incite à le faire. Le but n’est donc en aucune façon de stigmatiser qui que ce soit.
Le début de ma réflexion date d’il y a quelques années quand à l’école des devoirs, j’essayai d’expliquer un calcul simple à une petite Latifa (1), 12 ans, d’origine algérienne. Après plusieurs tentatives, l’enfant fondant en larmes malgré mes encouragements, je renonçai et en parlai à son professeur. Celui-ci me dit que ses parents et grands-parents étaient cousins germains et que son niveau de compréhension était très limité. J’étais sans doute, pour la première fois, confronté au problème de la consanguinité.
La découverte de situations analogues chez d’autres enfants et les graves problèmes scolaires chez les jeunes d’origine immigrée me convainquirent d’en savoir davantage sur la tradition des mariages entre cousins germains. Suivant une étude portant sur les résultats scolaires (2) en communauté française, plus de 50 % des garçons de 15 ans issus de l’immigration ont, en lecture et en sciences, une cote comprise entre 0 et 1 sur une échelle de 0 à 6, ce qui peut affecter sensiblement l’avenir personnel et professionnel de ces jeunes (3).
De nombreux facteurs interviennent : le statut socio-économique des parents, la non-maîtrise de la langue, la motivation des parents/enfants La consanguinité, difficilement mesurable, apparaît rarement dans les facteurs explicatifs. Une étude de l’université de Londres montre toutefois une corrélation significative entre les résultats PISA et le pourcentage de mariages consanguins dans 27 pays examinés (4) et (5).
Une haute autorité sunnite, professeur dans une université française, m’ayant dit que la consanguinité était un des problèmes majeurs dans les pays arabes, il importe d’essayer de comprendre le phénomène. Dans les sociétés arabo-musulmanes, les mariages entre cousins ont été de tout temps très fréquents : le pourcentage de tels mariages se situe entre 25 et 60 % avec les plus hauts niveaux atteints en Iraq (58 %), Arabie Saoudite (55 %), Pakistan (60 %), Qatar (54 %), Algérie (39 %), Des facteurs plus socioculturels que religieux tels que la facilité des négociations prémariage et le désir de maintenir le patrimoine dans la même lignée expliquent en grande partie cette coutume.
Une étude de quatre chercheurs marocains estime le taux de mariages consanguins à quelque 40 % avec prédominance des mariages entre cousins germains. Cette même étude évaluerait à plus de 50 % le taux du mariage consanguin de la population marocaine de Belgique (6). La possibilité de faire venir sa famille dans le pays d’accueil par le biais du regroupement familial expliquerait aussi le succès de tels mariages souvent arrangés.
Notons toutefois que dans les pays concernés, cette coutume est souvent également de mise dans d’autres cultures et religions. Elle n’est pas cantonnée aux populations musulmanes.
Quelles sont les conséquences d’une telle pratique ? De nombreuses études scientifiques mettent en avant les souffrances familiales liées aux unions consanguines : un risque 2,5 fois supérieur à la normale de survenue d’anomalies congénitales, handicaps physiques, retards mentaux Une recherche faite en Inde évalue à plus de dix points la baisse du quotient intellectuel chez les enfants de parents consanguins. D’autres études ont confirmé ce dernier impact en veillant à neutraliser l’influence du statut socio-économique des parents.
Les conclusions convergentes de telles études exigent une réflexion positive de notre part. Dans ce domaine, deux écueils nous guettent : d’une part, la stigmatisation d’une communauté qui se traduirait par des conclusions généralisantes et méprisantes; d’autre part, une surprotection de ladite communauté qui empêcherait de prendre des mesures efficaces par idéologie ou crainte de réactions négatives.
De nombreux intéressés ignorent les effets de cette pratique sur la santé et probablement les résultats scolaires des enfants. Sont en jeu leur intégration future dans notre tissu socio-économique, donc la paix entre communautés. Il est, en effet, naïf et vain d’espérer créer les conditions d’un vivre-ensemble si l’inégale répartition des difficultés d’apprentissage induit des écarts d’instruction générant disparités de revenus et frustrations.
Puis-je suggérer deux pistes de solutions ? D’un côté qu’une commission composée de scientifiques européens mais aussi originaires des pays concernés se penchent sur l’abondante littérature scientifique sur le sujet (7) et définisse les risques de la consanguinité sur la santé physique, mentale et intellectuelle. Ces conclusions seraient communiquées à la population dans un but de conscientisation et de conseil. D’un autre côté, que les différents partis politiques (au-delà de tout clivage) préparent une proposition de loi visant à interdire le mariage entre cousins germains dans notre code civil.
Une étude de chercheurs à l’université d’Istanbul portant sur les liens entre la consanguinité et le développement économique concluent que les pays ayant connu la plus haute croissance sont ceux qui par des mesures adéquates ont pu empêcher les mariages consanguins (8) et ainsi préserver leur capital humain. Il s’agit d’un débat délicat qui exige clairvoyance et sérénité. Je reste convaincu que nos responsables politiques en sont capables car il s’agit d’un élément conditionnant le "bien vivre ensemble" de nos enfants à tous.
(1) Prénom d’emprunt.
(2) Etude Pisa 2009.
(3) Pour les élèves de la 2e génération, plus de 50 % ont une cote comprise entre 0 et 2.
(4) Les références citéesdans cet article peuvent être consultéessur Internet en tapant sur Googleles infos reprises.
(5) M. Woodley, Intelligence, 2009.
(6) "Gazette du Maroc",13 février 2009 : articlesur les mariages consanguins.
(7) Une importante bibliographiescientifique est mentionnée à la findes deux articles suivants disponiblessur le Net :
a) Bulletin of the World Health Organisation, 1994, vol. 72 : "Hereditary disorders in the Eastern Mediterranean Region", H. Hamamy, A. Alwan.
b) Reproductive Health Journal, 2009, 6:7; "Consanguinity and reproductive health among arabs", G. Tadmouri, M. Al Ali, N. Al Khaja et s.
(8) M. Bildirici et al., Journal of Family history, 2010.
https://www.lalibre.be/debats/opinions/stop-aux-mariages-entre-cousins-germains-51b8fbace4b0de6db9ca4318
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