mercredi 29 novembre 2017

Islamisme et politique 27.11.2017

«Balance ton porc», politique des minorités : le multiculturalisme américain à la sauce française (27.11.2017)
Publié le 27/11/2017 à 13h22

FIGAROVOX/TRIBUNE - Gilles-William Goldnadel observe l'américanisation de la société française. Il dénonce l'alliance entre un antiracisme et un féminisme sectaires et délétères.

Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Il est président de l'association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.

Après Charlottesville en août qui accoucha de la campagne d'éradication des statues de Colbert en septembre, après l'affaire Weinstein d'octobre qui balança le porc français par-dessus bord en novembre, voici le consommateur français saisi de transes à la faveur transatlantique du Black Friday. Jamais dépendance culturelle et linguistique à l'égard des États-Unis ne s'était fait sentir avec autant de consentement complice.

Il faut dire que cette soumission acceptée n'a rien de politiquement ou économiquement innocent. La fièvre du vendredi noir est une fièvre acheteuse de nature consumériste. La tentative de talibanisation du CRAN à l'égard de l'histoire de France est un consommé de «Black Lives Matters» à la sauce créole. Quant au mouvement «balance ton porc» qui s'est caractérisé à ses débuts par une délation électronique qu'il est désormais défendu de taxer d'hystérique, il est déjà tenu en laisse par le féminisme gauchiste le plus agressivement intransigeant.
Dans l'emballement médiatique du moment, il est totalement illusoire de penser que réfléchir sur l'événement aurait la moindre chance de pouvoir le contrarier. Le temps de l'intellect est précisément le contraire de celui de l'émotion embrigadée. Il est même son contretemps.
Mais pour préparer l'avenir, il n'est pas interdit de tenter de prévenir et de prédire en décodant le présent.
Il ne relève en rien du hasard mais tout de la nécessité politique que l'idéologie gauchisante et ses serviteurs zélés tentent de se refaire une santé à travers le féminisme actif après avoir connu la déroute et la déconsidération sur le terrain de l'antiracisme militant.
Il fallait être particulièrement myope et strabique pour ne pas voir que l'obsession du racisme dissimulait en creux l'obsession de la race détestable.
Gilles-William Goldnadel
La révélation du racisme islamiste, et de ses effets terroristes criminels, aura porté un coup fatal à un antiracisme dévoyé dont le caractère pathologiquement anti-blanc apparaît désormais crûment à la lumière glauque des camps racisés.
Il fallait pourtant être particulièrement myope et strabique pour ne pas voir que l'obsession du racisme dissimulait en creux l'obsession de la race détestable.
Cette semaine, un des derniers tabous de l'antiracisme dévoyé vient de voler en éclats: la pérennité de la traite négrière arabo-islamique. Il aura fallu la viralité d'un terrible document diffusé par CNN sur un marché aux esclaves noirs en Libye pour obliger les médias conformistes à traiter le sujet. Le Monde dans un article éclairant de Charlotte Bozonnet daté du 23 novembre reconnaissait enfin la réalité «persistante du racisme anti noir au Maghreb». Une manifestation à Paris fut organisée, mais seuls des Noirs criaient leur impuissance, en l'absence remarquable des grandes associations antiracistes.
Mais laissons la parole à l'écrivain algérien Karim Akouche (Marianne): «La traite négrière est triple: l'occidentale (la plus dénoncée), l'interafricaine (la plus tue) et l'orientale (la plus taboue). On y dénombre plus de 40 millions d'esclaves. La plus longue, la plus constante aussi est l'orientale. A-t-on le droit de le dire? A-t-on la liberté de l'écrire sans se faire taxer de néocolonialiste?»
« La traite négrière est triple : l'occidentale (la plus dénoncée), l'interafricaine (la plus tue) et l'orientale (la plus taboue). »
Karim Akouche
C'est donc parce que le roi gauchiste était ridiculement nu sur le terrain non seulement intellectuel mais désormais largement médiatique de l'antiracisme anti-occidental, qu'il a décidé de se retrouver un domaine voisin plus sûr en s'emparant de la cause des femmes.
Hélas, les violences sexistes sont une chose trop sérieuse pour en confier la résolution aux amies de Caroline de Haas, de Clémentine Autain et de Marlène Schiappa.
Et l'on peut prédire, hélas sans grand risque, que le féminisme dévoyé aura autant raison du sexisme que l'antiracisme dévoyé aura eu raison du racisme. Bien au contraire, il ne fera que l'exacerber par son outrance idéologique, son unilatéralisme dogmatique et ses stéréotypes crétins.
Au demeurant, leur antiracisme en déconfiture et leur féminisme conquérant ont déjà fait naturellement alliance en dissimulant la forêt du machisme oriental derrière l'arbre occidental. C'est cette même Marlène Schiappa, on le rappelle, qui ne voit pas plus d'antisémitisme dans les quartiers que de machisme à la Chapelle-Pajol. Clémentine Autain et Caroline de Haas, sont au moins sur ce point, sur la même longueur d'onde.
Prenons date, même s'il est aujourd'hui médiatiquement suicidaire de l'écrire: on peut prédire, hélas sans plus de risques, que l'emballement actuel irrationnel va accoucher d'une vague de procédures pénales dont toutes ne seront pas caractérisées par la bonne foi et le désintéressement mais par le chantage et le règlement de comptes.
Je ne suis pas professionnellement le plus mal placé pour affirmer que dans l'état actuel de quasi-paralysie de la justice pénale, il en résultera fatalement une thrombose qui pénalisera en premier lieu les véritables victimes des violences conjugales.
La contraventionnalisation inflationniste des comportements inappropriés va dévaluer le traitement de la pénalisation nécessaire des comportements objectivement violents et des viols.
Gilles-William Goldnadel
Prenons date encore, quitte à encourir le courroux du moment exalté: la contraventionnalisation inflationniste des comportements inappropriés, dont l'appréciation est sujette à la subjectivité, va dévaluer le traitement de la pénalisation nécessaire des comportements objectivement violents et des viols.
Reste enfin et surtout la culpabilisation des hommes et l'injonction à leur repentance, exactement à l'instar de ce qu'il était demandé aux Français et aux Occidentaux de faire, ce qui évidemment ne tient pas du hasard.
L'actuel président de la république a parfois le goût des formules qui ne font pas honneur à son intelligence. A décharge pour cette dernière, on les mettra, en partie, sur le compte de son opportunisme sociologique.
Ainsi, on se souviendra longtemps de ses propos nazifiant la colonisation française de l'Algérie. Ou de ceux, plus récents, qualifiant de «menteurs» «ceux qui veulent faire croire que l'islam se construit en détruisant les autres monothéismes», constitutifs, pour le coup, d'un bien fieffé mensonge.
Cette semaine, s'agissant des violences faites aux femmes, Jupiter redescendu sur terre, a cru devoir évoquer sa «honte» «en tant qu'homme».
Il a même réclamé et obtenu une minute de silence en hommage aux 126 malheureuses femmes décédées cette année des suites de violences conjugales. Renseignements pris, pendant la même période, 34 hommes étaient tués dans les mêmes conditions par leur conjointe. Ce chiffre de 25 % rejoint au demeurant les statistiques américaines en cette triste matière. Il montre, qu'au-delà de ce stéréotype anti-masculin indiscutablement sexiste, la femme, pour être la première, n'est pas l'unique victime et que l'homme n'est pas le seul tortionnaire. Un quart ce n'est pas tout mais ce n'est pas rien, et peut-être bien que ces hommes victimes auraient pu mériter dans ce contexte compassionnel, 15 secondes de silence.
L'homme qui écrit ces lignes, sans poser en victime car ce n'est pas son style, a fait condamner en justice sa harceleuse (tribunal correctionnel de Pontoise confirmée par la cour d'appel de Versailles).
Toute honte bue dans ce cadre frénétiquement soupçonneux et prompt à l'indignation, il confesse qu'il n'a pas honte, en tant qu'homme, du mal qu'il n'a pas fait aux femmes.

Ateliers en «non-mixité raciale» : ce que révèlent les propos de Danièle Obono (27.11.2017)

Publié le 27/11/2017 à 13h17

FIGAROVOX/TRIBUNE - Paul-François Schira revient sur les déclarations de Danièle Obono, députée insoumise de la 17e circonscription de Paris, qui défend la non-mixité raciale dans les stages des syndicats d'enseignants Sud-Education 93.

Paul-François Schira est maître de conférences à Sciences Po.

«Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres: (…) il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul (…)» A. de Tocqueville
Il faudrait peut-être la remercier. En quelques mots, Danièle Obono a dévoilé une pensée que nous percevons parfois confusément à l'œuvre, mais qui n'est jamais aussi clairement exprimée. Elle nous rend un immense service, car elle nous pose, pour une fois, la bonne question.
«La pratique de la non-mixité n'est pas dangereuse dans le sens où c'est une pratique qui répond à des besoins de catégorie».
On s'attendait bien sûr à l'avalanche d'exclamations scandalisées portant sur le fond de l'affirmation de la députée de la République. Gauche républicaine, droite conservatrice-libérale, de partout et même de son propre camp on aura goûté les prises de distance à l'égard de celle qui, à dessein ou par simple maladresse, encourage à leurs yeux une forme de ségrégation raciale.
Mais plus qu'au fond de la question - peut-on autoriser les stages en non-mixité raciale organisés par le syndicat d'enseignants Sud-Education 93 - qui a suscité, dans la classe politique, l'unanimité, attachons-nous, comme c'est souvent le plus intéressant, à ce que la réponse formulée par la députée Obono révèle de plus profondément tapis dans le discours ambiant. Quelque chose que les critiques unanimes de cette prise de position n'ont pas semblé vouloir relever, ni affronter.
A ceux qui, quasi-unanimes, s'offusquaient de ce que le syndicat d'enseignants mettait le modèle républicain en danger, la députée a souhaité apaiser les scrupules. Elle a expliqué que le stage répondait à une demande particulière, d'une «catégorie» de la population, qui se sentait singulièrement touchée par un phénomène spécifique, «à un moment donné». Qu'il ne devait donc pas inquiéter «les autres», ceux qui, de la communauté nationale, n'étaient pas directement concernés.
Si cette explication avait eu pour objet de rassurer les Français, elle a, à notre égard, produit tout l'inverse.
Si les stages en non-mixité raciale ne sont pas dangereux pour le modèle républicain dès lors qu'ils répondent à des besoins de catégorie, on se demande en quoi consiste ce modèle républicain.
La députée Obono a benoîtement justifié une mesure dont certains estimaient qu'elle portait atteinte au modèle républicain au nom d'un besoin de catégorie. Par la même occasion, elle a implicitement répondu à ses détracteurs qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter dès lors que cette initiative ne les concernait pas.
Mais si les stages en non-mixité raciale ne sont pas dangereux pour le modèle républicain dès lors qu'ils répondent à des besoins de catégorie, on se demande en quoi consiste ce modèle républicain.
Les critiques du stage en non-mixité et la députée Obono ne se placent en réalité pas sur le même terrain. Ils ne s'expriment pas dans la même langue. Les premiers parlent d'un modèle républicain, celui qui constitue notre bien commun, celui qui rassemble les individus au sein d'une demeure qui leur est familière et qu'ils ont appris à aimer, celui qui, par la coutume, l'histoire, la culture, leur a ménagé un espace de vie commune. La seconde pénètre au sein de la demeure, et prétend que celle-ci se résume à une cohabitation, c'est-à-dire à l'addition des membres qui y séjournent à un moment donné. L'espace commun se réduit à la fine membrane qui sépare deux individus et leur espace individuel respectif. Il ne serait, en définitive, plus qu'une règle du jeu: «ma liberté s'arrête là où la tienne commence». Hors cela, tout serait permis. Dire que le modèle républicain serait composé d'autre chose que de cette règle du jeu serait d'ailleurs flirter avec les prétentions totalitaires du siècle dernier.
Notre époque a donc déconstruit le « nous » en autant de « je, tu, il » qui le composent, au motif qu'il était le synonyme du totalitarisme.
Notre époque a donc déconstruit le «nous» en autant de «je, tu, il» qui le composent, au motif qu'il était le synonyme du totalitarisme.
Ce que la phrase de la députée Obono révèle, c'est, expressément, la vision d'une communauté nationale transformée en espace indéfini, régulé par un pouvoir central, traversé d'individus, ponctuellement groupés en lobbies d'influence, dont les finalités sont toutes légitimes en tant que telles. Les individus ont une autonomie infinie, qui n'est bornée que par celle de leurs voisins. L'autre apparaît donc fondamentalement comme un obstacle, une nuisance, à qui l'on se frotte perpétuellement, avec agacement, et qu'il s'agit alors de détruire, d'utiliser, ou, dans le meilleur des cas, de subir. La politique se réduirait à l'administration de ces conflits individuels rendus aussi inéluctables que les individus sont postulés comme fondamentalement déliés les uns des autres. Les relations sociales ne sont plus alors fondées que sur le gain, donc l'affrontement: on s'assemble pour obtenir quelque chose de l'autre. Toute autre appartenance à un modèle commun, à des institutions communes, qui ne répondent pas à la logique de l'intérêt individuel ou catégoriel, est à détruire: appartenir, c'est déjà s'asservir, quand ça ne permet pas de se servir.
C'est aux antipodes du modèle de la communauté nationale, qui offre aux hommes, non seulement un espace de liberté individuelle - l'espace privé - mais aussi un espace qui leur appartient en indivis: l'espace public, leur commun, que personne ne peut individuellement ou communautairement s'approprier mais dont tous sont collectivement responsables, et dont l'école, précisément, constitue l'une des premières institutions fondatrices. Car c'est cet espace qui permet la rencontre, l'accueil, l'échange, le partage, et la confiance nécessaire au don de soi ; c'est lui qui permet de lisser les conflits d'égos, d'atténuer les chocs d'intérêts, de faire travailler les hommes à un ensemble qui les dépasse. Le cadre national et la culture qui l'habite constituent, à l'heure actuelle, la seule forme politique qui dispose de l'échelle pertinente pour, entre l'unique et le tout, accueillir autant de différences que possible, tout en ménageant un espace commun qui ne soit pas artificiel.
En atomisant ainsi le « nous » au nom des libertés individuelles, notre époque paralyse le pouvoir politique et détruit l'institution civile péniblement érigée au fil des siècles.
«En quoi cela te pose-t-il un problème, à toi, si ça leur fait plaisir, à eux?». Voilà ce que la formule de la députée Obono postule comme l'unique critère de la citoyenneté. Et si ce présupposé n'a pas fait l'objet d'une quelconque remise en question dans les médias, c'est qu'il est en réalité largement dominant. C'est en effet le même critère qui a structuré et qui structurera des sujets aussi variés et déconnectés les uns des autres que le travail le dimanche ou la question de la PMA, le port du voile intégral ou les piscines unisexes, la question de l'immigration, celle de l'éducation, ou celle de la réforme du marché du travail. Les acteurs du débat sont éclatés en intérêts irréductibles, paralysants, parmi lesquels le politique, embarrassé, ne ferait plus qu'arbitrer. Qui s'exprime au nom de l'intérêt général doit d'abord prouver qu'il souffre lui-même des mêmes maux que ceux qui réclament une solution. Qui souhaite critiquer une mesure doit d'abord prouver qu'elle l'affecte individuellement, dans ses caractéristiques irréductibles: son sexe, sa situation professionnelle, sa couleur de peau, sa croyance. On ravale donc le citoyen à ses caractéristiques identitaires, et surtout on présuppose son inaptitude foncière à rentrer en dialogue avec son voisin, sur un terrain commun. En atomisant ainsi le «nous» au nom des libertés individuelles, notre époque paralyse le pouvoir politique et détruit l'institution civile péniblement érigée au fil des siècles. Elle recrée précisément, avec la guerre de tous contre tous, les conditions propices à l'apparition des totalitarismes qu'elle prétendait éviter. Ces totalitarismes qui ne fixent à leurs vérités aucune autre limite que le pouvoir d'un camp adverse.
La formule de la députée Obono, bien au-delà de la question de fond, nous astreint donc à un exercice intellectuel puissant, lourd de conséquences, qui touche au fondement même du sens que nous trouvons à nous dire Français. Au nom de quelle permanence, au nom de quel modèle est-il encore possible de s'opposer légitimement, et sans procès d'intention, à des stages en non-mixité raciale, si notre horizon politique se résume à la liberté individuelle de chacun, mâtinée de procédures censées garantir l'épanouissement maximal du plus grand nombre? C'est probablement là la question politique la plus particulièrement nécessaire à notre temps.
Paul-François Schira
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Thématique : Danièle Obono  


Renaud Girard : «Le retour du facteur national au Moyen-Orient» (27.11.2017)
Publié le 27/11/2017 à 16h55

CHRONIQUE - Une nouvelle session de pourparlers s'ouvre à Genève le 28 novembre entre opposition et gouvernement syrien. Mais les obstacles restent nombreux sur la voie de la paix.
Ce mardi 28 novembre 2017 s'ouvrira à Genève, sous l'égide de l'ONU, une nouvelle session de pourparlers entre opposition et gouvernement syrien, afin de trouver une solution politique qui mette fin à une guerre civile de six ans. On est en droit d'être pessimiste, tant sont nombreux les obstacles sur la voie de la paix. L'opposition, réunie à Riad le 24 novembre, a montré qu'elle était encore handicapée par ses divisions, ses querelles d'ego, ses surenchères. Soutenus par les grandes puissances occidentales, la Turquie et l'Arabie saoudite, les opposants souhaitent que se mette en place à Damas un gouvernement de transition, dont Bachar el-Assad soit au plus vite écarté. Ce dernier, allié aux Iraniens et aux Russes, a un objectif tout différent: rester en place, afin de reconquérir le contrôle de l'ensemble du territoire syrien ; on ne sait même pas s'il serait prêt à accorder à certains de ses opposants une «paix des braves». Trop de haines séparent les deux camps, pour qu'un dialogue raisonnable puisse s'instituer. Entre eux, fusent les insultes. Aux yeux des rebelles, le président syrien a «massacré son peuple» afin de rester au pouvoir ; aux yeux de Bachar el-Assad, les insurgés sont des «terroristes» acharnés à détruire l'État baasiste.
Les printemps arabes, sept ans plus tard
Cela va bientôt faire sept ans que sont survenus les printemps arabes: d'abord la Tunisie, puis l'Égypte, puis le Yémen, puis la Libye, puis la Syrie. Ces vieilles dictatures militaires furent submergées par deux grandes vagues idéologiques successives. La première fut celle de l'idéologie démocratique et du pouvoir rendu au peuple. Elle enthousiasma les observateurs occidentaux, qui, dans leur ivresse, ne virent pas arriver la deuxième vague, celle des tenants d'une législation issue de Dieu et non des hommes. Ce fut la vague des Frères musulmans, qui proclamaient «l'islam est la solution!». Mieux organisés que les démocrates laïques, les islamistes s'engouffrèrent dans la brèche de liberté que les premiers avaient ouverte.
«Le djihadisme fait son nid des zones de chaos et de trafics. Mais confronté à un État fort, il ne peut survivre très longtemps»
Sept ans plus tard, force est de constater qu'aucune de ces deux idéologies n'a réussi à s'emparer du Moyen-Orient. L'idéologie démocratique - qui ne peut vivre sans l'instauration d'un État de droit efficace - n'a triomphé nulle part. Après avoir conquis d'importantes zones en Mésopotamie, en Syrie, en Afrique du Nord, l'idéologie islamiste est partout en recul. Le massacre dans le Sinaï, le 24 novembre, de plus de trois cents fidèles priant dans une mosquée soufie, n'est qu'un succès médiatique de court terme pour l'État islamique. Le totalitarisme vert a entamé son reflux. Malgré sa campagne de terreur, il ne s'emparera jamais de l'Égypte, comme il a échoué à s'emparer de la Syrie et de l'Irak. Le djihadisme fait son nid des zones de chaos et de trafics. Mais confronté à un État fort, il ne peut survivre très longtemps.
Comme l'a montré la passionnante World Policy Conference organisée récemment à Marrakech par Thierry de Montbrial, le phénomène politique le plus frappant au Moyen-Orient aujourd'hui n'est pas de nature idéologique. C'est le retour du vieux facteur national. Pour renforcer leurs États respectifs, l'on voit même des puissances ignorer leurs différences culturelles, ethniques et religieuses et collaborer entre elles. C'est le cas de la Turquie sunnite et de l'Iran chiite. Leur aversion commune pour la revendication autonomiste kurde les a rapprochés.
Dans ce jeu où les vieux États du Moyen-Orient se renforcent, les Kurdes, minés par leurs divisions tribales, ont perdu leur chance de créer un État à eux. Après leur victoire à Mossoul, les forces spéciales irakiennes ont repris la ville pétrolière de Kirkouk aux Kurdes, qui l'avaient occupée en 2014. Un échec imputable à la «trahison» des Kurdes pro-iraniens.
«Le XXe siècle européen nous a appris que les États l'emportaient en résilience sur les idéologies»
À Beyrouth, l'affaire Hariri a montré qu'il existait un nationalisme libanais capable de transcender les frontières confessionnelles. Une même fierté nationale a gagné le petit Qatar, après qu'il a refusé de se soumettre au diktat de ses voisins saoudiens et émiriens.
Comme dans l'Europe westphalienne, des alliances peuvent se nouer entre des pays fort dissemblables. L'axe «chiite» Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth permet à la Perse de s'assurer un débouché sur la Méditerranée. Face à lui se constitue un axe improbable Tel-Aviv-Le Caire-Riyad-Abu Dhabi. Lequel est défié par le mini-axe Ankara-Doha.
Le XXe siècle européen nous a appris que les États l'emportaient en résilience sur les idéologies. Mohammed Ben Salman, le prince héritier saoudien, a clôturé le 26 novembre 2017 une conférence à Riyad de plus de quarante États musulmans désireux de coopérer entre eux pour tuer l'idéologie djihadiste. Il faudra attendre que soit accompli ce projet salutaire, pour que l'idéologie démocratique puisse avoir une chance de caresser à nouveau les sociétés moyen-orientales…

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Chroniqueur chargé des questions internationales
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«Les islamistes ne sont pas les musulmans, et Edwy Plenel n'est pas leur prophète» (15.11.2017)
Mis à jour le 16/11/2017 à 11h24 | Publié le 15/11/2017 à 13h21

FIGAROVOX / TRIBUNE - «L'islamisme n'est pas en soi une chose grave», a déclaré la journaliste de Mediapart, Jade Lindgaard, dans l'émission «C à vous» du samedi 11 novembre 2017. Fatiha Boudjahlat dénonce l'amalgame entre musulmans et islamistes.

Fatiha Boudjahlat est enseignante, cofondatrice avec Céline Pina du mouvement Viv(r)e la République.

Jade Lindgaard, co-présidente de la Société des journalistes de Mediapart était reçue dans l'émission «C dans l'air» du dimanche 11 novembre 2017. On a retenu d'elle cette sortie «L'islamisme n'est pas en soi une chose grave». Pourtant, la même journaliste expliquait, dans la même émission, que le travail de journalisme ne consistait pas à dire que telle chose était grave et telle autre, non. C'est toute l'incohérence dogmatique de Mediapart: donner des leçons de journalisme, d'éthique, de justice, du beau, du bon, du vrai, et se dispenser de les respecter quand ses journalistes le décident.
Mediapart est un média d'opinion et un média d'investigation, qui se revendique comme antisystème, qui a réalisé de belles enquêtes courageuses, qui a mis au jour tant de scandales et de malversations. On ne peut qu'être attristé de la voir enrôler dans la croisade lancée par son co-fondateur, qui a brouillé l'image et la crédibilité de ce média par son militantisme idéologique effréné. Les journalistes pouvaient-ils se dissocier de Plenel?
En France, les morts sont du côté des laïques et du côté de Charlie Hebdo. Les tueurs sont du côté des islamistes
Cela aurait été plus courageux que de s'en prendre aux fraudeurs fiscaux. Le courage n'est pas du côté de celui qui soutient les islamistes. En France, les morts sont du côté des laïques et du côté de Charlie Hebdo. Les tueurs sont du côté des islamistes. Il aurait fallu défendre la liberté de la presse et la liberté d'expression tout le temps, et Plenel, seulement quand il a raison.
Mediapart précise avoir interviewé deux fois Tariq Ramadan, et lui avoir consacré une longue enquête fouillée et objective. Mais comme le CSA recense les interventions des politiques, nous devrions comptabiliser les heures que Plenel a consacré à défendre Tariq Ramadan, le nombre de tribunes partagées avec lui lors de conférences autant politiques que religieuses. Le nombre de tweets en sa faveur, dont celui parlant de sa beauté qui expliquerait la jalousie dont il serait la victime. Les tribunes des journalistes de Mediapart, dont une classant Valls comme recours social-national (histoire de juste suggérer le national-socialisme...) et l'hyperpersonnalisation de Plenel justifient que l'on s'interroge sur Mediapart dans son ensemble.
Jade Lindgaard dénonce dans cette émission «l'aura maléfique construite» autour de la figure de Ramadan. Mais nous dénonçons leur construction méthodique de son aura angélique, l'apposition par Plenel d'une auréole sur celui qu'il présente encore maintenant comme «un intellectuel spirituel». Comment ne pas nous étonner que la puissance d'analyse de Mediapart soit à ce point à éclipse? Tariq Ramadan n'est pas islamologue. Il est islamiste. Il ne produit pas du sens. Il produit du religieux. De la norme. De l'ultra-orthodoxie. Plenel, donc Mediapart, dans un mélange des genres dont il est comptable, ont consacré à la défense et à la normalisation de l'islamisme une surface médiatique, un temps, un réseau intellectuel disproportionné avec ce que pèse en France ce courant politico-religieux d'extrême-droite.
En s'engageant dans le combat contre cette islamophobie d'islamistes, Mediapart concourt à façonner à son goût la figure du musulman selon ses critères
C'est que Mediapart s'engage dans la lutte contre l'islamophobie. Sans vouloir comprendre que l'islamophobie vise d'abord à coaliser les musulmans autour de leurs leaders les plus radicaux. Parce que comme l'explique le philosophe américain Michael Walzer, dans une société démocratique, les groupes religieux ne peuvent assurer leur existence qu'en tant qu'associations volontaires. Les leaders de ces groupes ont plus à craindre de l'indifférence de leurs membres que de l'intolérance des gens de l'extérieur. Indifférence que les leaders doivent briser par une intolérance qu'il s'agit de créer, d'exagérer, de provoquer parce qu'elle a pour effet, même fantasmée, de conserver ces groupes sous leur férule. En s'engageant dans le combat contre cette islamophobie d'islamistes, Mediapart concourt à façonner à son goût la figure du musulman selon ses critères. On se rappelle de la photographie de leur rédaction, étonnamment monochromatique. Eux savent pourtant ce qu'est un authentique musulman et un bon arabe: c'est un islamiste. Ils sont dans l'orientalisme religieux.
Plenel surcompense son rendez-vous raté avec l'histoire. Il se rêvait Jean Moulin, Zola, Schindler... aussi longtemps qu'Israël n'existait pas. Il a décidé de se consacrer aux nouveaux «juifs des années trente», les musulmans. Les juifs de maintenant ne l'intéressent guère, l'antisémitisme qu'ils subissent ne le mobilise guère, pas plus que la rédaction de Mediapart. Y a t -il seulement dans notre pays une Sarah Halimi du côté des musulmans? Ou un Ilan Halimi? Ah si, le CCIF a rapporté le vol d'un câble de cuivre dans une mosquée. Un jet de lardons sur une autre aussi. Pour combien de tags antisémites? Combien d'agressions anti musulmanes? Pour combien d'agressions anti-juives? Mediapart ne devrait pas être économe de sa capacité d'indignation et de condamnation: Tous les crimes haineux devraient nous mobiliser. Ces musulmans, Plenel les veut et ne les reconnaît que comme islamistes, dans la radicalité religieuse et politique.
Plenel fait l'amalgame entre des personnes pratiquant un culte honorable, beau, exigeant, avec une métastase politique prétendant conquérir et éliminer tout ce qui n'est pas elle
Dans l'hostilité et l'étanchéité vis-à-vis de la France et de la République. Plenel fait l'amalgame entre des personnes pratiquant un culte honorable, beau, exigeant, avec une métastase politique prétendant conquérir et éliminer tout ce qui n'est pas elle. Ce ne sont pas les musulmans qui ont assassiné tant de nos compatriotes. Ce sont les islamistes. Et on ne doit plus distinguer ceux qui portent les armes de ceux qui arment en mots ceux qui s'arment tout court. Plenel le bourgeois blanc pénitent s'est livré à une bien coupable appropriation culturelle quand il a expliqué que l'excellente Une de Charlie le caricaturant, ce qui est un peu leur cœur de métier, visait les musulmans à travers lui. Il a épousé les codes de communication des islamistes, puisqu'il a lancé une fatwa contre Charlie en portant une telle accusation à leur encontre. Edwy Plenel n'est pas l'islam. Edwy Plenel n'est pas les musulmans. Edwy Plenel n'est pas Zola. Edwy Plenel n'est pas Jean Moulin. Edwy Plenel est celui que l'antisémite et homophobe Mehdi Meklat a qualifié de «petit papa». Il est un bourgeois militant de l'indigénisme et de l'islamisme. L'islamisme est une chose grave en elle-même. L'islamisme a tué en France. Des enfants. Des jeunes. Des juifs. Des musulmans. Des chrétiens. Des athées. Des laïques. Des indifférents. Des fonctionnaires, des journalistes. Des Français et des non-Français.
Jade Lindgaard déclarait aussi qu'il fallait comprendre et expliquer l'islamisme. Mais avec quelle distance et quelle crédibilité Mediapart peut-il le faire quand il fait l'amalgame entre les islamistes et les musulmans? Ce n'est pas une différence de degré dans la piété qui distingue l'islam de l'islamisme. C'est une différence de nature. L'islamisme n'est pas l'islam. Les islamistes ne sont pas Les Musulmans. Et Edwy PLenel n'est pas leur prophète. Et s'ils me critiquent, je la jouerai comme Edwy: Ce seront les musulmans, les femmes, les «racisés», les Franc-comtois, les enseignants, les fonctionnaires, les frisés, les gauchers que j'accuserai Edwy de viser au travers moi.


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Fatiha Boudjahlat
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Quand Sud Education relaie le discours indigéniste (21.11.2017)
Mis à jour le 23/11/2017 à 17h59 | Publié le 21/11/2017 à 11h02

FIGAROVOX/TRIBUNE - Les 18 et 19 décembre prochains se tiendra à Saint Denis un stage pour enseignants organisé par le syndicat Sud Education 93 intitulé « Au croisement des oppressions. Où en est l'antiracisme à l'école ? ». Babara Lefebvre dénonce le projet politique et religieux des «antiracistes» contemporains.

Barbara Lefebvre, enseignante, Co-auteur de «Une France soumise» (Albin Michel) et de «Autopsie d'un déni d'antisémitisme» (L'artilleur, 2017)

On entend souvent dire que la formation continue des enseignants est insuffisante, trop théorique, éloignée des réalités de la classe. Se former est un droit des enseignants, on pourrait considérer que c'est un devoir. Nous, enseignants, sommes nombreux à nous former individuellement par des lectures ou des conférences. Les formations proposées par l'Education nationale ou par des organisations syndicales jouent un rôle tout aussi important. C'est pourquoi il était utile d'informer avec précision sur la formation promue par Sud Education et sa section 93 (Seine Saint Denis). Je dis informer et non alerter car je doute fort que ce qui va suivre inquiète assez les autorités syndicales et universitaires pour agir. Chacun se retranchera comme d'habitude derrière les principes de liberté syndicale, de liberté d'association, du droit à la formation pour justifier son inaction ou plutôt son impuissance.
Les 18 et 19 décembre prochains se tiendra à Saint Denis un stage pour enseignants organisé par le syndicat Sud Education 93 intitulé «Au croisement des oppressions. Où en est l'antiracisme à l'école?». Le stage est mis en œuvre par le CEFI (Centre d'études et de formation interprofessionnel), un organisme de formation dûment déclaré auprès de la DIRECCTE qui s'adresse aux acteurs des secteurs privé et public. Le CEFI se donne pour objet de «gagner les luttes, résister et élaborer». On est donc en cohérence avec le thème du stage de Sud Education 93 : oppressions / antiracisme / école. Les formules clés sont posées dès l'intitulé. La convergence des luttes? On y est.
La documentation disponible en ligne pour présenter le stage respecte, comme il se doit en milieu «progressiste», la novlangue inclusive et enfile les perles du sabir postcolonial indigéniste: racisé, blanchité intersectionnalité, islamophobie, racisme d'Etat (et ses variantes: racisme structurel ou systémique), minoration sociale et ethnoraciale. En les écrivant, je m'aperçois que le logiciel Word de Microsoft mérite une sérieuse mise à jour car il surligne la plupart de ces termes inconnus de notre nomenclature orthographique de blancs colonialistes racistes. Heureusement, les penseurs de l'intersectionnalité (rien à voir avec les carrefours giratoires) sont là pour refonder la langue, prélude à la grande réorganisation des esprits formatés à la ségrégation raciale et/ou religieuse comme au bon vieux temps de l'Afrique du Sud ou de l'Amérique ségrégationniste.
Les indigénistes racialistes utilisent la lutte contre la ségrégation raciale pour servir leur rêve d'un néo-apartheid.
Car, c'est bien le paradoxe des indigénistes racialistes que d'utiliser la lutte contre la ségrégation raciale pour servir leur rêve d'un néo-apartheid: au prétendu racisme d'Etat des blancs ils vont subsister ou au moins imposer la cohabitation avec un racisme des «racisés», ces groupes en situation de minoration (sic).
En tant qu'enseignante, à la lecture de cette documentation, je ne peux retenir mon indignation de voir une fois encore le terrain scolaire instrumentalisé par ces idéologues du séparatisme racial au nom d'un soi-disant antiracisme. N'est-il pas scandaleux au regard des principes démocratiques sur lesquels repose l'école républicaine que l'on engage des enseignants, dans le cadre d'une formation professionnelle, à adopter des postures contraires au droit, contraires à la posture de neutralité de l'enseignant, contraire au principe même d'égalité? En effet, deux ateliers sont organisés selon la règle de la «non mixité raciale». Le ministre s'en est heureusement ému via Twitter.
Le premier atelier est animé par deux institutrices pour l'heure anonymes qui enseignent dans le 93. Il a pour objectif «d'établir des outils de lutte et des stratégies pour faire face aux oppressions liées au concept de race mais aussi de genre et de classe à l'école». On pourrait imaginer que l'horizon en serait une classe «en non mixité raciale», ou au moins en la divisant entre oppresseurs et opprimés. Cela créerait en effet un climat propice au travail et à la camaraderie!
Le second atelier révèle la toxicité de cette pensée indigéniste qui ne voit le monde qu'à travers le prisme des races. En ce dernier après-midi de stage, les enseignants stagiaires sont divisés en deux groupes: les racisés et les blancs. Ces derniers seront en «autogestion» avec le soutien de militants de Sud Education 93, blancs eux aussi espérons-le car il ne faudrait pas que les «enseignants blancs» soient corrompus dans leur effort de penser par les «racisés».
Les « enseignants blancs » doivent « interroger leurs représentations et postures dominantes », étant entendu que leurs élèves « subissent quotidiennement le racisme systémique » des blancs.
C'est qu'ils ont du pain sur la planche mes collègues blancs puisque cet atelier doit leur faire «interroger leurs représentations et postures dominantes», étant entendu que leurs élèves «subissent quotidiennement le racisme systémique» des blancs. Je serai curieuse d'assister à une telle session d'autocritique. Existe-t-il des rituels de désenvoutement, de purification mentale, pour conjurer ce racisme atavique qui nous travaille depuis des siècles, de génération en génération, sous l'effet de la magie noire (ou blanche, on s'y perd)? Pendant que les «blancs» concoctent leur philtre d'amour antiraciste pour se guérir de leur vice, les «enseignants racisés» ont fort à faire dans leur atelier non mixte. Toujours dans une approche groupe de parole / remédiation par les pairs, ils vont mettre en commun leurs «récits d'expériences». A les lire, en tant que profs «racisés», ils ont «une vie professionnelle différente» qui impose de réfléchir à leurs «positions et aux enjeux» auxquels ils doivent faire face tant avec l'administration qu'avec leurs collègues, leurs élèves et les familles.
On a observé, depuis une décennie au moins, les tentatives d'entrisme indigéniste dans le corps enseignant. Pour l'instant, la greffe ne prend pas. L'immense majorité des enseignants restent attachés à la nature laïque de l'enseignement et à leur devoir de neutralité. Néanmoins, on nous rapporte de plus en plus de cas d'étudiants revendiquant une pratique religieuse ostentatoire se destinant aux concours d'enseignement. Que feront ces étudiantes portant le hijab de leur signe politico-religieux une fois lauréates et affectées dans une école de la République?
En outre, il se trouve des vacataires, sans formation, qui n'affichent pas la neutralité laïque attendue et sont pourtant recrutés pour combler les postes non pourvus ou les longues absences de titulaires. D'ailleurs, les organisateurs du stage semblent avoir connaissance de ces profils puisque les «enseignants contractuels» sont chaleureusement invités au stage! On rappellera au passage que les familles ignorent bien souvent que le «remplaçant» de l'instituteur de leur enfant n'est pas un véritable enseignant diplômé et formé comme il se doit.
Des vacataires, sans formation, qui n'affichent pas la neutralité laïque attendue, sont recrutés pour combler les postes non pourvus ou les longues absences de titulaires.
La salle des profs va-t-elle devenir un terrain miné par des enjeux raciaux? On le dirait à lire ce programme de stage… En presque vingt ans d'enseignement, je n'ai jamais assisté à de tels clivages, même si on m'a rapporté ici ou là des comportements prosélytes inadaptés. En revanche, j'ai connu des collègues d'origine maghrébine se faisant insulter par des élèves considérant qu'elles étaient des «traitresses à la cause», j'ai entendu des collègues à la peau noire se faire traiter de «bounty» (noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur). Mais il ne s'agit sans doute pas de ce racisme-ci dont débattront les stagiaires à Saint Denis les 18 et 19 décembre, puisque ces insultes sont à leurs yeux des «outils de lutte» contre l'oppression!
Le stage se clôt d'ailleurs par une table-ronde intitulée sobrement «Récits de lutte». On y retrouve une militante du Front des Mères, association qui œuvre notamment à la promotion des mères voilées pour accompagner les sorties scolaires. Voici un édifiant extrait de leur manifeste: «En réalité, soit nous, parents noirs, arabes et musulmans gagnons ensemble. Soit nous perdons ensemble, et aucun de nos enfants ne sera épargné, y compris les quelques-uns qui auront atteint les classes moyennes et supérieures, car qui peut prétendre qu'on peut être heureux en étant honteux et aliéné? Évidemment, nous voulons que nos enfants réussissent à l'école, y aient de bons résultats et s'y épanouissent. Mais nous devons refuser de choisir entre réussite scolaire et dignité. Nous devons le refuser pour nos enfants, parce que nous les aimons et que nous voulons ce qu'il y a de mieux pour eux, réussir et s'aimer soi-même, réussir et aimer les siens, réussir et avoir confiance en soi, réussir et rester digne». On sent que le «vivre ensemble» dont se gargarisent nos politiques a de belles heures devant lui… L'atelier est co-animé par le Réseau Education Sans Frontière qui milite pour la régularisation de tous les sans-papiers en prenant appui notamment sur le principe de droit du sol puisque beaucoup d'enfants d'étrangers résidant en France sans-papiers naissent sur le territoire national. Pour parler de la situation de ces enfants scolarisés expulsables en raison du séjour irrégulier de leurs parents, RESF exploite régulièrement le vocabulaire usité par les historiens pour décrire les discriminations, les persécutions et les déportations des Juifs durant la guerre.
Ce genre de mise en regard odieuse n'est d'ailleurs pas pour déplaire à un autre intervenant du stage, Marwan Muhammad l'ancien président du CCIF qui viendra exposer aux enseignants les «enjeux de l'islamophobie dans l'Education nationale». Muhammad qui aime se référer à l'antisémitisme des années 1920-30 pour décrire la situation des musulmans en France aujourd'hui. Plus les anachronismes sont grossiers, plus les mises en regard concurrentielles déforment l'histoire, plus ces boutiques idéologiques prospèrent puisqu'elles ne jouent qu'une seule partition: la victimisation. La double perversion de la stratégie de ces boutiquiers politico-religieux est d'une part d'utiliser l'histoire des juifs d'Europe pour la confisquer au profit des musulmans essentialisés dans un même corpus victimaire. Et d'autre part, de s'indigner que ces nouvelles victimes du racisme que sont «les musulmans» (ainsi catégorisés par le CCIF et consorts) se trouvent accuser de porter au cœur même de l'Europe actuelle un antisémitisme violent et criminel.
Outre Marwan Muhammad, nouvelle icône des islamistes depuis que Tariq Ramadan n'est plus en odeur de sainteté en France, les intervenants de ce stage ne sont pas des inconnus de la sphère militante indigéniste postcoloniale. Sous le patronage de Nacira Guenif, professeur de sociologie à Paris 8 qui accompagne régulièrement le Parti des Indigènes de la République et permet de donner un vernis universitaire à des travaux pour le moins douteux sur le plan scientifique (mais qui a jamais pensé que la sociologie soit une «science»?), on retrouve Marwan Mohammed sociologue obnubilé par l'islamophobie et la délinquance des jeunes «racisés», délinquance qui n'est que l'effet des discriminations qu'ils subissent au quotidien. Wiam Berhouma est modératrice, elle qui, en 2016, avait agressé verbalement Alain Finkielkraut dans une émission de France 2 et s'était révélée être membre du Parti des Indigènes de la République bien qu'elle fut présentée par les ‘journalistes' de l'émission comme «professeur d'anglais dans le 93». Autre modérateur, un professeur de collège Omar Slaouti milite notamment au NPA et dans des collectifs contre les violences policières, tandis qu'on trouve aussi parmi les intervenants une formatrice à l'Espé de Créteil. On supposera donc que Lila Belkacem diffuse aux enseignants de Créteil en formation initiale et continue, au sein de l'institution universitaire, son idéologie postcoloniale centrée sur «l'éducation en situation de migration et de minoration/racisation» ainsi qu'en «médiation interculturelle, ethnopsychiatrie et culturalisme» (consultable sur le site de l'Espé de Créteil).
Pierre Tevanian est aussi de la fête puisqu'il anime un atelier intitulé «le racisme et les privilèges dans la société et dans l'Education nationale». Vaste programme. Enseignant la philosophie en Seine Saint Denis, Tevanian est un militant qui aime coller des étiquettes idéologiques, il mérite donc bien la sienne: celle du parfait alibi gauchiste blanc mais qui s'excuse de l'être. Le contenu de son atelier annonce la couleur: «qu'est-ce que la blanchité?». Question centrale en effet si on veut comprendre «le racisme structurel», le «racisme d'Etat». Pour lui, la société française est restée coloniale par la catégorisation raciale dans lesquelles elle «enrôle» les individus. Pourtant à lire la littérature indigéniste, obsédée par la question raciale et les catégorisations en tous genres, on se demande qui essentialise qui? Qui enrôle qui? En revanche, quand je lis Condorcet ou Jean Zay, je ne vois aucune catégorisation déterministe, je vois la place accordée à l'individu qui pense par lui-même, qui par son libre arbitre et par la culture pourra s'arracher à d'éventuels préjugés hérités de son éducation (et non de sa nature!).
L'image qui est donnée de l'Education nationale est celle d'une institution, qui fait perdurer par sa structure, un colonialisme raciste à combattre de l'intérieur.
Ce qui met d'autant plus mal à l'aise à la lecture de ce programme de stage, c'est l'image qui est donnée de l'Education nationale. Celle d'une institution qui fait perdurer par sa structure, à travers son personnel et ses programmes officiels, un colonialisme raciste à combattre de l'intérieur. Ainsi le projet du stage est de faire «l'analyse du racisme d'Etat dans l'Education nationale» et de former des enseignants qui sont des fonctionnaires avec le devoir de réserve et d'obéissance que cela impose. Il s'agit de «déconstruire chez et avec les enseignants les discriminations raciales». Une fois formatés à l'idéologie racialiste indigénistes, ces enseignants pourront «travailler avec les élèves pour leur donner des outils de lutte en vue d'une transformation sociale». Comme j'ai mieux à faire que comparaître devant la 17è chambre du TGI de Paris, je ne dirais pas ce que m'évoque cette propagande à destination des enfants, mais ce n'est pas sans rappeler les grandes entreprises d'embrigadement de nature totalitaire.
On peut compter sur ces grands esprits de l'antiracisme contemporain qui décousent lentement mais sûrement les derniers liens du tissu social entre les jeunes issus de l'immigration et le reste de la société française. Ils ont d'ailleurs un ennemi capital, et ce n'est donc pas un hasard si la phrase introductive de leur présentation pointe du doigt les «programmes d'histoire servant le roman national». On y revient toujours. Le récit / roman national est une obsession chez les indigénistes et leurs alliés progressistes de la «pensée complexe»… Pour mettre à genoux la France comme nation, comme corps civique, comme projet démocratique, il faut s'en prendre à son histoire et la déraciner. Houria Bouteldja l'a clairement dit: «il faut dénationaliser l'histoire de France, faire exploser cette identité française». Certains veulent le faire subtilement en introduisant «l'histoire problème» comme approche didactique dès le plus jeune âge, déconstruire l'histoire nationale comme une succession de mythes. Au moins avec les Indigènes de la République et leurs alliés, les choses sont plus claires et radicales: l'explosion. Il ne doit rien rester de notre histoire nationale sinon les ruines fumantes porteuses de leur haine postcoloniale.
Des idéologues qui poursuivent un projet politique et/ou religieux, cela n'est ni nouveau, ni interdit dans une démocratie libérale qui met un point d'honneur à préserver la liberté de penser.
Néanmoins, bien que tout ce qui précède puisse donner la nausée à tout véritable humaniste attaché à la liberté des individus, à l'intelligence des faits historiques, je terminerais sur une réflexion peut-être provocante. Le traité Kidouchin du Talmud s'interroge sur la responsabilité de l'individu en cas de vol. Après maints débats, un des sages du Talmud énonce: «quand la souris vole, le responsable c'est le trou». La souris est coupable de voler le fromage, mais le ferait-elle si elle n'avait pas le trou pour y dissimuler son larcin? Ce détour pour poser une question à mes yeux essentielle: qui sont les vrais responsables du développement de cette pensée raciste qui vient maintenant s'attaquer au corps professoral? Des idéologues qui poursuivent un projet politique et/ou religieux, cela n'est ni nouveau, ni interdit dans une démocratie libérale qui met un point d'honneur à préserver la liberté de penser. Nous n'en avons pas fini avec les racistes qui prennent des visages inédits mais non moins dangereux pour la démocratie.
Or depuis la décennie 1980-90, les pouvoirs publics, nombre d'intellectuels, les médias faiseurs d'opinion, les associations antiracistes bien-pensantes, des politiciens, par aveuglement, par ignorance ou par clientélisme, tous ont creusé le trou qu'utilise aujourd'hui la souris. Il serait temps que des forces de résistance intellectuelle développent une véritable philosophie politique qui affronte celle des indigénistes. Il faut cesser de débattre dans un entre-soi confortable, dans les salons parisiens ou les colloques hébergés au Sénat. On pose bien, ça et là, des petits pièges mais la souris a appris à les éviter. Il faut reboucher le trou de la souris. Il est encore temps. Et on ne le rebouchera pas à coup de «vive ensemble», de «plus jamais ça» et de bienveillance inconsistante.


«Blanchité», «racisé», «racisme d'Etat» :ces concepts qui légitiment le néoracisme (27.11.2017)

Publié le 27/11/2017 à 17h37

FIGAROVOX/TRIBUNE - Naëm Bestandji revient sur le stage en «non-mixité raciale» organisé par Sud Education 93. Il dénonce l‘invasion des thèses néoracistes, véhiculées par les Indigènes de la République, dans les universités françaises et défendues dans les colonnes de Libération.

Naëm Bestandji est militant féministe et laïc.

Le ministre de l'Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, s'est offusqué des termes «blanchité», «racisés» ou «racisme d'État» utilisés par le syndicat Sud Éducation 93 pour son prochain stage «racialiste». Diverses tribunes ont été publiées dans Libération pour recadrer le ministre. Ce qui appelle un autre recadrage.
Je suis évidemment d'accord sur le fait que tout peut être objet de recherche scientifique et de réflexion intellectuelle. L'avancée de la pensée, l'étude des phénomènes passés et présents, ne doivent pas être empêchées par des décisions politiques. Le racisme n'a pas disparu. Il faut étudier ses mécanismes et ses évolutions. Seulement nous ne sommes pas là dans un cadre de recherche scientifique mais dans un stage organisé par un syndicat qui prévoit de faire intervenir des militants d'extrême droite pour véhiculer une idéologie. Si cela était autofinancé, il n'y aurait pas grand-chose à en dire en dehors du débat contradictoire que nous mènerions afin de toujours lutter contre ce néoracisme. Mais ce stage est financé par cet État «raciste», destiné à des enseignants qui transmettront ces idées aux élèves. C'est ce qui est inadmissible et dangereux.
Les tribunes reconnaissent que les races biologiques n'existent pas. Elles affirment, recherches scientifiques à l'appui, que le racisme est social. Les mots dénoncés par le ministre auraient été choisis par des sociologues pour éviter le piège de l'essentialisation afin de rendre «dicible» l'objet étudié. Or, c'est bien l'inverse qui se produit et c'est bien là que le clivage se crée entre militants antiracistes.
Attribuer une couleur de peau, la «blanchité», comme dénomination à un système d'oppression supposé et étudié, lui coller un épiderme, ne peut qu'amener à des réactions épidermiques de la part de militants et intellectuels qui reconnaissent là une forme de racisme. Des réactions proviennent également de ce que j'appelle l'extrême droite traditionnelle (pour la différencier de la nouvelle extrême droite qui soutient ces thèses) dont les idées de ces tribunes nourrissent la matrice. L'utilisation des termes «blanchité», «racisé, «islamophobie» ou «racisme d'État», déforme et détourne l'attention de l'objet vers son emballage sémantique. Les scientifiques et les partisans de ces thèses devraient se poser la question du décalage créé entre signifiant et signifié par les dénominations utilisées pour définir les phénomènes étudiés. Au lieu de cela, ils pointent du doigt leurs détracteurs pour se dédouaner de cette faiblesse intellectuelle.
Ces termes inquiètent légitimement car la recherche scientifique est instrumentalisée à des fins idéologiques que nous retrouvons dans ce stage. Le concept scientifique, ayant choisi des dénominations inappropriées, devient un slogan politique par l'instrumentalisation de ces confusions. Nous passons d'un objet de recherche sur les mécanismes du racisme à une construction idéologique qui définit un racisme d'État structurel, pensé, organisé et légalisé par des «Blancs». Les Indigènes de la République et l'islamisme politique sont les fers de lance de cette construction. Leur objectif n'est pas de lutter contre le racisme. Il est de se servir des recherches universitaires, et d'investir l'université pour se donner une légitimité académique, afin de lutter contre la République et ses valeurs.
L‘objectif des Indigènes de la République et de l'islamisme politique est d'investir l'université pour se donner une légitimité académique, afin de lutter contre la République et ses valeurs.
Tous leurs maux trouveraient leur explication dans la «blanchité» et l'histoire coloniale. La couleur de peau d'un être humain devient l'unique explication de ce qu'il peut subir ou faire subir à autrui. Un Blanc est considéré comme comptable de toute l'histoire coloniale de ses aïeux... ou des aïeux des autres. Les féministes qui luttent contre les islamistes et le sexisme du voile seraient les représentantes du «féminisme blanc». Les militants antiracistes qui luttent contre cette nouvelle extrême droite seraient des racistes blancs néocoloniaux refoulés. Les musulmans ou «Maghrébins» qui préfèrent l'universalisme au communautarisme sont traités de «néoharkis», de traîtres, etc.
Ce détournement de la recherche scientifique vers un néoracisme victimaire se manifeste dans ce stage par les intitulés des ateliers proposés et la volonté d'organiser deux d'entre eux en non-mixité «raciale». Là encore cette démarche d'apartheid est uniquement idéologique à des fins racistes. Mais allons dans ce sens: aucun atelier n'est prévu pour réfléchir à la lutte contre l'antisémitisme dans les quartiers populaires. Aucun atelier séparé n'est prévu pour les «racisés» victimes d'actes et propos racistes d'autres «racisés». Il est vrai qu'il devient ici difficile de prendre le taux de mélanine comme critère… Ces discriminations intracommunautaires ne sont pas moins graves ni moins rares. Elles sont simplement taboues.
Il est juste de dire que le ministre maîtrise peu le sujet. Il ne s'est pas penché sur le profil des intervenants, élément tout aussi important que le contenu.
Nous avons Nacira Guenif, une sociologue qui considère qu'«espèce de juif» n'est pas une insulte, que cela relève du «langage courant». Nous avons également Fatima Ouassak, pur produit de la nouvelle extrême droite française, militante des Indigènes de la République. Elle tient des discours populistes et racistes envers les «Blancs» et les musulmans qui ne correspondent pas à son modèle. Musulmans censés être représentés dans ce stage par un autre militant d'extrême droite, Marwan Muhammad. Cet islamiste applique les théories des Frères Musulmans sur la racialisation de l'islam. Ces intégristes ont besoin des idées défendues par ces tribunes pour faire avancer leur idéologie. A travers cela, le musulman, fidèle d'une religion choisie, devient le Musulman, membre d'un peuple déterminé. «Les musulmans» formant un tout uniforme sont alors considérés comme à la fois victimes d'un «racisme d'État» comme le furent les juifs dans l'Allemagne des années 30 (sophisme pour comparer la France d'aujourd'hui au nazisme d'hier et hisser «l'islamophobie» au niveau de l'antisémitisme) tout en formant un peuple supérieur qui a vocation à diriger le monde. Marwan Muhammad interviendra lors de ce stage pour parler de «l'islamophobie dans l'Éducation Nationale»... Ce n'est pas un cas isolé. Les Frères Musulmans ont investi une partie du milieu universitaire. Les mouvements comme Sud Éducation 93 leur sont une aubaine.
Ils développent ainsi les clivages et les tensions dans la société. Ils créent une nouvelle forme de racisme tout en entretenant le racisme «traditionnel». Cela se manifeste sur les réseaux sociaux, dans leurs meetings et manifestations par des termes haineux envers les «Blancs», mais aussi envers les musulmans qui se désolidarisent de ce communautarisme. Les «bougnoules de services», «sale sioniste» (mot choisi pour ne pas dire «juif») et autre «rebeu fidèle à ses maîtres» (»beur fidèle aux Blancs») sont fréquemment utilisés par des «racisés» qui se présentent comme victimes d'un «racisme d'État néocolonial». A trop jouer les victimes, ils oublient qu'ils sont aussi des oppresseurs.
Ce stage résume toutes ces problématiques. Il véhicule une idéologie. Il n'expose pas un sujet de réflexion scientifique s'interrogeant sur des phénomènes. Les termes «blanchité», «racisme d'État», «racisé», «islamophobie» sont considérés comme acquis. Un autre effet pervers d'une telle approche est la hiérarchisation des luttes. On préfère occulter le racisme et le sexisme du voile pour donner la priorité à la lutte contre les discriminations envers «les musulmans» (dévoyée par le terme «islamophobie»). On préfère occulter l'homophobie et l'antisémitisme d'une partie des «racisés» pour les mêmes raisons. Le patriarcat religieux devient acceptable pour permettre la lutte contre le patriarcat «blanc». Les discriminations intracommunautaires sont étouffées pour uniquement mettre en lumière les discriminations ethnico-religieuses provenant des «Blancs», etc.
Cette extrême droite développe un néoracisme, par le bas, victimaire, qui considère l'autre comme oppresseur.
Cette extrême droite développe un néoracisme sous un nouvel angle, grâce au concept soutenu par les tribunes publiées dans Libération. Ce n'est plus un racisme par le haut où l'autre est considéré comme inférieur. C'est un racisme par le bas, victimaire, qui considère l'autre comme oppresseur.
Cette position adoptée par ce stage est dangereuse. Elle ne vise pas à construire des citoyens français à part entière. Elle vise à séparer les individus en fonction de leur «ethnie» (la religion devenant aussi une ethnie telle que souhaitée par les intégristes) et à la différentialisation des droits.
A travers ce type de stages destinés à des enseignants, où l'on fait passer l'idée qu'il existe des «racisés» éternelles victimes d'un «racisme d'État» où les «Blancs» sont des oppresseurs du «peuple musulman», vers quel genre de citoyenneté espérons-nous amener les élèves?
Ce débat dépasse donc la querelle sémantique. Il oppose deux modèles de société. Un modèle à l'américaine où chaque communauté supposée devrait lutter pour ses propres intérêts, vivre côte à côte avec les autres communautés en assignant les individus à un groupe, avec toutes les dérives que cela comporte et la satisfaction des islamistes. D'un autre côté il y a notre modèle universaliste français, un idéal à préserver car le seul respectueux de chaque être humain.
Naëm Bestandji
Sur le même sujet

Ateliers en «non-mixité raciale» : Jean-Michel Blanquer, le hussard noir de la Ve République (27.11.2017)
Par Dimitri Casali et Olivier GraciaPublié le 27/11/2017 à 17h41
FIGAROVOX/TRIBUNE - Dimitri Casali et Olivier Gracia encensent l'attitude républicaine du ministre de l'Education nationale, qui a condamné les stages en «non-mixité raciale». Ils plaident pour un enseignement de l'histoire, dans sa complexité et sa diversité.

L'histoire se répète toujours deux fois, éditions Larousse - Crédits photo : LAROUSSE
Dimitri Casali est historien, il est spécialiste de l'enseignement de l'histoire, et notamment auteur de Désintégration française - Pourquoi notre pays renie son histoire et nos enfants perdent leurs repères (JC Lattès, 2016) et de L'Altermanuel d'histoire de France (Perrin, 2012), prix du Guesclin 2013.
Olivier Gracia est essayiste, diplômé de Sciences Po, il a commencé sa carrière au coeur du pouvoir législatif et administratif avant de se tourner vers l'univers des start-up. Il est l'auteur avec Dimitri Casali de L'histoire se répète toujours deux fois, publié aux éditions Larousse.

Jean-Michel Blanquer, en digne héritier des hussards noirs de la IIIe République, s'est insurgé contre la bêtise et l'ignorance d'un syndicat d'enseignants qui propose des débats «non-mixtes», interdits aux blancs, autour de la question: «où en est l'antiracisme à l'école?» Le Ministre a porté sa voix dans l'hémicycle, condamnant avec véhémence une mentalité rétrograde et profondément antirépublicaine. Pour lui répondre, le syndicat lui rétorque que ces journées-débats permettent de dénoncer des «programmes d'histoire servant le roman national (…) islamophobe et instrumentalisation de la laïcité.» Le courage de Jean-Michel Blanquer a été unanimement salué, à gauche comme à droite, une audace salutaire qui fédère les vocations républicaines, au-delà des clivages partisans avec un programme pragmatique qui prône un retour à un enseignement chronologique de l'histoire de France.
L'héritage gaullo-mitterrandien pour une histoire fédératrice
Le Ministre de l'Education Nationale connaît l'histoire, son vecteur d'intégration et d'émancipation des consciences citoyennes et républicaines. Il rompt ainsi avec l'idéologie victimaire et culpabilisante de son prédécesseur (Najat Vallaud-Belkacem), en vantant les mérites d'une histoire équilibrée, de la monarchie mérovingienne à la Ve République. Le Ministre avait déclaré que: «le fait de connaître les rois de France, ce n'est pas du passéisme.» Il est en cela proche du Président qui annonçait lors de son allocution officielle du 14 juillet 2007 que «l'histoire de France ne commence pas le 14 juillet 1789.»
Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer s'inscrivent dans la lignée de François Mitterrand qui célébrait « en même temps » le millénaire capétien en 1987 et le bicentenaire de la Révolution en 1989.
Emmanuel Macron et Jean-Michel Blanquer s'inscrivent ainsi dans la droite lignée de François Mitterrand qui célébrait «en même temps» le millénaire capétien en 1987 et le bicentenaire de la Révolution en 1989. Leurs détracteurs, une poignée d'enseignants idéologues, avides de combats politiques, évoquent le retour à «un roman national», comme si le retour à un récit chronologique était de la pure fiction spéculative…
Soyons fiers de notre histoire
L'histoire, pour être équilibrée, doit être à mi-chemin entre ses racines judéo-chrétiennes et son émancipation républicaine et laïque, dans une stricte tolérance de toutes les influences qui ont façonné l'esprit français. Lors des rendez-vous de l'histoire de Blois, le Ministre a déclaré que nous avions besoin de «tradition, de modernité, d'être fiers de notre pays car nous n'avons pas à rougir de notre histoire!» L'histoire de France est riche d'une grande diversité celte, latine et germanique, monarchique, impériale et républicaine. Si l'histoire est une suite insoutenable de crimes contre l'humanité, qui doivent être analysés et enseignés, notre histoire a aussi des aspects plus positifs, plus humains et fédérateurs qui doivent absolument être transmis pour favoriser l'adhésion du plus grand nombre à un patrimoine historique commun. L'histoire de France fascine partout sauf en France. C'est par l'enseignement de l'histoire que peut naître une conscience citoyenne respectueuse des institutions françaises. Comme l'affirmait Napoléon Bonaparte: «de Clovis au comité de Salut Public, j'assume tout!» Nier l'incroyable diversité de notre histoire, c'est nier son évidence voire son existence.

Le mandat français sur le Levant : l'origine des crises au Liban et en Syrie (27.11.2017)

Mis à jour le 27/11/2017 à 13h46 | Publié le 27/11/2017 à 13h22

FIGAROVOX/ANALYSE - Christian de Moliner analyse la situation géopolitique au Levant. Il revient sur la responsabilité de la France dans les crises au Liban et en Syrie.

Christian de Moliner est écrivain.

Aucun sentiment national ne réunit les différentes communautés, chrétiennes, sunnites, chiites et Druzes du Liban. Le désir d'indépendance et le rejet de la France les ont rapprochés dans les années 1930-1940, mais une fois la puissance coloniale partie, ce pays s'est déchiré, d'autant plus que les réfugiés palestiniens ont accentué les problèmes sous-jacents. Car le Liban est en crise ouverte depuis 1958. À cette époque les États-Unis sont intervenus pour un résultat incertain. Tout au plus, le débarquement des marines décidé par le président Eisenhower a permis de geler les problèmes jusqu'à la terrible guerre civile qui a ravagé le Pays des Cèdres entre 1975 et 1991. Depuis un fragile équilibre s'est mis en place, mais le feu couve sous les cendres.
De même, la guerre de Syrie qui dure depuis 2010 possède une incontestable dimension religieuse. Elle n'est pas la seule, mais elle est primordiale. Le Hezbollah et l'Iran sont intervenus victorieusement aux côtés d'El Assad, car ce dernier est alaouite (et est donc assimilé aux chiites même si cette affiliation peut se contester).
La France a une grande part de responsabilité dans ce naufrage sanglant, car à l'issue de la première guerre mondiale, nous avons obtenu de la SDN un mandat sur la Syrie et le Liban.
Or la France a une grande part de responsabilité dans ce naufrage sanglant, car à l'issue de la première guerre mondiale, nous avons obtenu de la SDN un mandat sur la Syrie et le Liban. (Avant le conflit, ces pays étaient des possessions ottomanes). Nous devions les organiser et leur amener rapidement à l'indépendance. Si les chrétiens et les Alaouites voyaient d'un bon œil notre intervention, il n'en était pas de même avec les autres musulmans. Ils préféraient constituer un royaume dirigé un prince hachémite Fayçal (Qui est un personnage central de l'épopée romancée racontée par T.E Lawrence dans son livre Les 7 piliers de la sagesse) et nous avons dû mener une guerre sanglante pour conquérir Damas.
Depuis 1860, existait une zone à demi autonome qui regroupait l'ensemble des chrétiens maronites, «le petit Liban», et qui était sous protectorat français. Notre première sottise a été de vouloir adjoindre à cette région ethniquement uniforme des territoires à majorité sunnite, chiite ou Druze et de créer «le grand Liban» qui est une mosaïque de peuples. Cette bêtise a provoqué des dizaines de milliers de morts. Un petit état peuplé à 80 % de chrétiens aurait connu une grande stabilité interne et serait resté à l'écart des soubresauts de la région.
Dans un premier temps, nous avions découpé la région qui nous était confiée. Outre le grand Liban nous avons créé ex nihilo, une zone alaouite sur la côte méditerranéenne, un état dont la capitale était Alep, un autre centré autour de Damas et enfin une zone Druze. Mais le général Gouraud à la fin de 1925 a commis l'irréparable en fusionnant 4 de ces proto-états. Sont restés à part le Liban et une république du Hatay, (célèbre grâce à Indiana Jones) dont la capitale était l'antique Antioche. Cette micro-nation a été rétrocédée en 1939 à la Turquie après un referendum truqué. Nous avons alors sacrifié les 30% des habitants du Hatay qui étaient arméniens (dont les ancêtres habitaient la région depuis l'époque des Croisades!) et nous les avons forcés à quitter en plein hiver 1939 leurs maisons pour se réfugier en Syrie à pied dans un froid glacial. Beaucoup d'exilés sont morts pendant cette déportation. En échange, nous avons obtenu que la Turquie ne fasse pas alliance avec le IIIe Reich. Si elle avait rejoint l'Allemagne, elle serait sans doute intervenue dans le Caucase contre l'URSS et l'issue de la seconde guerre mondiale aurait probablement été différente.
Si regrouper les Etats d'Alep et de Damas était une bonne chose (En fait, on aurait dû aller plus loin et rétrocéder ces régions à Fayçal, devenu entre-temps roi d'Irak), si on pouvait à la limite comprendre l'annexion de la zone druze, l'absorption de la région Alaouite était une insanité. Ses habitants voulaient dans leur majorité rester Français et brandissaient notre drapeau dans toutes leurs manifestations.
Si nous avions, entre 1920 et 1925, respecté le principe des nationalités et conçu des pays basés sur un sentiment communautaire, nous aurions sans doute sauvé la vie de 300.000 personnes.
Or la France a pris cette décision si désastreuse, car elle voulait à tout prix doter la Syrie d'un port puisqu'Antioche devait revenir à la Turquie. Certes, une nation enclavée, sans débouché maritime est gênée dans son développement économique, mais il y avait une autre solution pour éviter ce problème: conserver un état où les Alaouites auraient été majoritaires et donner en échange à la Syrie Tripoli, ville entièrement sunnite et qui a été artificiellement rattachée au Grand Liban.
Si nous avions, entre 1920 et 1925, respecté le principe des nationalités et conçu des pays basés sur un sentiment communautaire, nous aurions sans doute sauvé la vie de 300.000 personnes au vingt et unième siècle. On peut espérer que les erreurs commises par la France n'entraîneront pas d'autres morts dans le futur, mais rien n'est moins sûr.
Christian de Moliner

«Le Notre Père fait partie du patrimoine spirituel commun de notre société» (24.11.2017)
Mis à jour le 24/11/2017 à 16h41 | Publié le 24/11/2017 à 16h39

FIGAROVOX/ENTRETIEN.- À partir du 3 décembre, les chrétiens diront une nouvelle traduction du «Notre Père». Une révolution ? Pour le père Mathieu Rougé, cette évolution montre la richesse de la Révélation chrétienne n'en finit pas d'être interprétée.

Le père Matthieu Rougé est curé de Saint-Ferdinand des Ternes et professeur à la Faculté Notre-Dame (Collège des Bernardins).

LE FIGARO.- Le 3 décembre prochain entrera en vigueur le nouveau «Notre Père». Le «ne nous soumets pas à la tentation» sera transformé en «ne nous laisse pas entrer en tentation». Pourquoi un tel changement maintenant?
Mathieu ROUGE.- Parler d'un nouveau «Notre Père» est excessif: il ne s'agit que de modifier la formulation d'une de ses invocations finales. La traduction de cette prière par excellence de tous les chrétiens n'a jamais cessé de faire débat, comme du reste l'ensemble des traductions bibliques et évangéliques. Car traduire, c'est interpréter et on n'a jamais fini d'interpréter la Révélation. Cela est heureux, parce que l'interprétation de la Parole de Dieu est une des expressions significatives de la liberté spirituelle qui fait partie, de manière fondatrice, de l'expérience chrétienne. La traduction encore en vigueur datait de la réforme liturgique qui a suivi le concile Vatican II et du passage habituel du latin au français. Elle ne semblait pas pleinement satisfaisante et, dans le cadre d'une révision générale de la traduction des textes de la Messe (encore en chantier), le moment a semblé venu d'améliorer un texte qui gênait beaucoup de fidèles dans leur vie de prière.
La formule latine «ne nos inducas in tentationem» était autrefois traduite par «ne nous laisse pas succomber à la tentation». N'est-ce pas là la formule plus juste, en ce qu'elle délivre Dieu de la responsabilité d'être le tentateur mais lui donne pouvoir d'aider l'homme?
L'important n'est pas d'abord de trouver une formulation conforme à notre théologie, fût-elle excellente, mais de proposer une traduction aussi exacte que possible du grec du Nouveau Testament tout en tenant compte des hébraïsmes qu'il peut véhiculer. Ainsi le texte évangélique, le texte révélé, peut-il nous entraîner au-delà de nos réactions et de nos réflexions seulement humaines. «Ne nous laisse pas entrer en tentation» exprime bien et la responsabilité qui incombe à l'homme lui-même de ne pas choisir ce qui mène au mal et la force que Dieu peut lui donner de ne pas se tromper de chemin. Le mot «peirasmos», traduit par «tentation», a lui aussi fait discussion: s'agit-il de l'attrait du mal ou plutôt de l'épreuve (matérielle, psychologique) éventuellement lourde mais moralement neutre? La traduction aujourd'hui proposée tranche en faveur de la première solution: ce qui est en cause ici, c'est la question du mal et de l'emprise qu'il peut avoir sur nos cœurs et sur nos vies.
La modification d'une prière essentielle au christianisme peut jeter dans le trouble beaucoup de fidèles (quand on pense que le schisme oriental a eu lieu à propos d'un mot: filioque). Cela veut-il dire que pendant cinquante ans les fidèles ont récité une prière fausse?
L'introduction du filioque (l'Esprit Saint procède du Père «et du Fils») dans le Credo - qui sema en effet, avec beaucoup d'autres malentendus, la discorde entre catholiques et orthodoxes - et le changement de traduction du Notre Père ne sont pas du même ordre: dans un cas, ce qui était en cause était la présentation du cœur même de la foi tandis que, dans l'autre, il ne s'agit que de la précision d'une attitude spirituelle. Pour ce qui concerne le Notre Père d'ailleurs, l'Église catholique s'aligne aujourd'hui pratiquement sur l'usage déjà en vigueur chez les orthodoxes francophones. Cette nouvelle traduction ne prend pas le contre-pied de la précédente mais l'améliore, l'affine. La version qu'on qualifiera d'ancienne dans quelques jours n'était pas fausse mais risquait de prêter à confusion en donnant l'impression que Dieu lui-même pourrait être notre tentateur, l'auteur de l'attrait du mal. Dieu respecte notre liberté même de faire le mal, par amour de notre liberté, mais ne cesse de nous rendre capables de choisir le bien et de nous en donner le désir.
Raphaël Enthoven, de manière certes un peu polémique, a mis le doigt sur un des enjeux essentiels de la relation croyante à Dieu : L'homme qui se place dans la main de Dieu renonce-t-il à sa liberté?
Dans une chronique qui a fait polémique, le philosophe Raphaël Enthoven a vu derrière ce changement une volonté cachée de se distinguer de l'islam qui prône lui la «soumission» à Dieu. Que vous inspire cette réflexion? En quoi le Dieu des chrétiens diffère du Dieu des musulmans de ce point de vue: exige-t-il une soumission des hommes?
La bonne nouvelle, la nouvelle surprenante, est que de nombreux médias s'intéressent à cette réforme de la traduction du Notre Père. Elle aurait pu passer inaperçue, rester le sujet interne d'une minorité de pratiquants. Tout se passe au contraire comme si le Notre Père faisait partie du patrimoine spirituel commun de notre société, constituait un de ses «lieux de mémoire», pour reprendre le beau concept forgé par Pierre Nora. Raphaël Enthoven, de manière certes un peu approximative et polémique dans un premier temps, a mis le doigt sur un des enjeux essentiels et sans cesse discuté de la relation croyante à Dieu: L'homme qui se place dans la main de Dieu (comme dit le Livre de la Sagesse) renonce-t-il à sa liberté? Celui qui prie «que ta volonté soit faite» abdique-t-il de son libre arbitre et de sa responsabilité proprement personnelle? La réponse chrétienne à ces questions est que le Dieu Père, de qui tout vient et vers qui tout va, est la source de notre liberté. Chercher à faire sa volonté, c'est, paradoxalement mais bien réellement, grandir en liberté.
«Le Notre Père est un des textes fondateurs du christianisme. Cette courte prière, d'une facture parfaite et d'une profondeur secrète, a connu un destin extraordinaire. Traduite dans toutes les langues de la terre, elle est devenue une des formes privilégiées de la piété de générations innombrable» écrit Marc Philonenko. En quoi cette prière est-elle extraordinaire?
C'est la prière que Jésus lui-même a enseignée à ses disciples. Elle constitue une synthèse étonnante de la piété juive et de la nouveauté chrétienne. Elle articule la louange et l'action de grâces de la première partie avec les demandes de la seconde. Elle est à la fois intime et communautaire. Elle prend en compte nos besoins les plus quotidiens («le pain de ce jour») mais aussi nos attentes spirituelles les plus profondes («le pain de ce jour» peut également être compris comme celui de l'eucharistie). Dès les premiers siècles, les adultes qui se préparaient au baptême ont appris à prier en étudiant le Notre Père. Il en est de même pour les catéchumènes d'aujourd'hui. Maîtres spirituels et théologiens n'ont pas cessé de proposer leurs traductions du Notre Père et d'en rédiger des commentaires. On peut penser, à notre époque, à la philosophe d'origine juive Simone Weil (Bayard), à l'intellectuel orthodoxe Olivier Clément (DDB) ou au Cardinal Jean-Marie Lustiger (Ad Solem). Finalement, c'est à chaque croyant, à chaque époque, de traduire le Notre Père à sa façon, de se l'approprier pour en vivre.
Journaliste Débats et opinions
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Ce que peut nous apporter la mer : les clefs du monde de demain (27.11.2017)
Publié le 27/11/2017 à 17h38

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Les 21 et 22 novembre derniers se tenaient au Havre les Assises de l'économie de la mer. A cette occasion, Christian Buchet revient pour le Figaro Vox, sur les grands défis qui entourent le monde maritime.


La grande histoire vue de la mer, éditions Cherche midi. - Crédits photo : CHERCHE MIDI
Ancien Secrétaire général du Grenelle de la mer, membre de l'Académie de Marine et directeur du Centre d'études de la Mer de l'Institut catholique, Christian Buchet a piloté le programme Océanides ayant réuni 260 chercheurs issus de 40 pays ayant montré que la mer est le principal moteur de la réussite et du développement économique de l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui.
Chiristian Buchet publie La grande histoire vue de la mer, aux éditions Cherche midi.

FIGAROVOX. - Peut-on considérer que l'histoire de l'humanité est nécessairement liée à la mer? Quel rôle a joué la mer dans la constitution de notre civilisation?
CHRISTION BUCHET. - Vue de la mer, c'est toute l'Histoire du monde qui devient simple, intelligible et facile à retenir. Que ce soit, par exemple, la Guerre de Cent ans, la Première guerre mondiale, la Seconde ou la guerre Froide, le même constat s'impose. En effet, c'est toujours l'Etat ou l'Alliance qui tient les détroits et les flux maritimes qui l'emportent. Se placer dans une logique de flux, de connectivité, c'est surfer sur les vagues de la réussite ; ce qu'ont parfaitement compris le président Poutine et le Président chinois Xing Ping. Un autre exemple: on sait maintenant, que c'est parce que Rome a perdu sa maîtrise sur le commerce transitant par l'océan indien qu'elle n'a pas pu continuer de dégager les moyens financiers nécessaires pour lutter contre les hordes de barbares qui finiront par la submerger. Si les Aztèques, les Mayas ont encore eu le destin et la renommée que nous leur connaissons, c'est parce que leurs liaisons maritimes les mettaient dans une dynamique du succès qui n'avait pas son égal dans l'Amérique précolombienne, avec notamment le commerce de l'obsidienne.
Dans notre vision occidentale, on considère que les civilisations naissaient sur le pourtour de la Méditerranée. Encore faut-il ne pas oublier la Méditerranée asiatique qui s'appelle la Mer de Chine, autour de laquelle sont nées des civilisations aussi anciennes et prestigieuses. Le seul lien : l'Océan Indien. Qui tient l'Océan Indien tient le monde. Et ce sera encore davantage vrai demain.
N'avons-nous pas également un rapport intime, poétique, voire fantasmé, à la mer et aux images qu'elle nous évoque?
Bien sûr. Avant que nous ne sachions à la fin des années 1990 que la vie émane de la mer, univers dont nous sommes directement issus, les poètes ressentaient intimement notre origine première. Saint John Perse n'affirme-t-il pas dans son magnifique recueil de poèmes Amers, que nous sommes des «exondés»?
La mer nous rappelle que nous sommes sortis des eaux et que nous avons tous passés neuf mois dans le ventre de notre mère, dans un liquide en totale osmose avec l'eau de mer.
La mer chante en nous. Au plus profond de nous, elle nous rappelle que nous sommes sortis des eaux et que nous avons tous passé quelque neuf mois dans le ventre de notre mère, dans un liquide en totale osmose avec l'eau de mer, parce qu'encore une fois nous en sommes issus. C'est dire combien la mer est loin de nous laisser indifférents. La mer pourrait même être comme une traversée de vie, un chemin spirituel. Elle nous invite au dépassement. Et de ce point de vue la vie n'est pas un long fleuve tranquille parce que, précisément, elle est métaphoriquement une traversée maritime…
Peut-on dire que la mer est la plus vaste zone de libre-échange au monde? Quelle est la place de la mer dans les conflits et quel rôle joue-t-elle dans l'émergence de puissances fortes et structurées?
Oui et un chiffre parle de lui-même: aujourd'hui c'est 92% du commerce mondial qui transite par voie maritime!... Longtemps, trop longtemps en France, on a perçu la mer comme un mur plus ou moins infranchissable, au même titre que le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. Le génie Anglais c'est d'avoir compris que la mer est la plus formidable voie d'échanges. «Celui qui commande la mer, commande le commerce et donc le monde lui-même» écrivait déjà en 1595, où il était emprisonné dans la tour de Londres, l'explorateur britannique Sir Walter Raleigh.
Pourquoi avons-nous eu cette Guerre de Cent ans. Tout simplement en application du principe qui veut que celui qui tient la mer tient le commerce mondial.
Le seul exemple de puissance n'ayant pas eu d'accès à la mer, c'est l'Empire Mongol qui a tenu quatre siècles, parce qu'il a pratiqué une fluidité toute maritime, avec ses caravanes de chameaux et ses multiples routes terrestres.
Aujourd'hui, c'est ce qu'a compris la Chine qui vise la prédominance mondiale à l'horizon 2030-40 pour vouloir être à l'épicentre des flux commerciaux avec les «nouvelles routes de la soie» qu'elle est en train de construire à coups de milliards de dollars.
Vous dites que «La France s'est longtemps caractérisée par une orientation essentiellement terrienne» ; alors qu'elle dispose du deuxième espace marin mondial, elle ne s'est toujours pas dotée d'une politique maritime digne de ce nom, comment expliquez-vous cela?
Les Français sont fascinés par la mer - nous avons les meilleurs navigateurs - mais ne mesurent pas que c'est l'espace économique par excellence. Jamais de toute notre histoire notre pays n'a eu de si grands atouts que depuis 1994, date de l'adoption du nouveau droit de la mer qui nous attribue, en effet, le deuxième plus grand domaine maritime.
Jamais de toute notre histoire notre pays n'a eu de si grands atouts que depuis 1994, date de l'adoption du nouveau droit de la mer qui nous attribue le deuxième plus grand domaine maritime.
La mer peut apporter des solutions à nombre de nos problèmes, à commencer par l'emploi, mais nos élites ne le comprennent pas. 2 conteneurs sur 3 qui entrent et sortent de France passent par trois ports: Hambourg, Rotterdam et Anvers. Chaque entreprise qui importe ou exporte subit donc un surcoût. Dans ces conditions, le pays ne peut pas être compétitif. Nos deux grands ports, Marseille et le Havre, s'ils disposent d'excellentes infrastructures, sont aussi des culs-de-sac, puisqu'ils n'ont pas les voies ferrées, fluviales et autoroutières suffisantes pour transférer les conteneurs. Tant que l'axe Seine n'aura pas été réalisé, avec une ligne à grande vitesse, l'approvisionnement de l'Île-de-France et au-delà se fera par Anvers et Rotterdam. C'est une question de courage politique.
On peut comparer notre époque à la Renaissance. Elle se caractérisait par une croissance démographique: c'est également le cas ; de nouvelles inventions: il y a plus de découvertes depuis quinze ans que depuis le reste de l'histoire ; de nouvelles routes maritimes ; c'est ce qui s'annonce avec les passages du Nord. Le seul élément qui nous manque par rapport à la Renaissance, c'est la confiance en l'avenir. Et pourtant, jamais notre pays n'a disposé d'autant d'atouts.
Comment expliquez-vous que l'économie de la mer n'ait pas été un enjeu majeur pour l'élection présidentielle, à l'exception du candidat Mélenchon?
Parce qu'en dépit des formidables travaux du Grenelle de la Mer dont les 327 experts sont parvenus à montrer que la mer contient «la quasi-totalité des solutions», les politiques ne mesurent pas encore combien elle n'est pas seulement un formidable terrain de jeu mais la plus formidable moisson jamais offerte aux hommes. (A quand à l'ENA un enseignement sur ce que peut nous apporter la mer?!). C'est elle qui a toujours porté dans l'Histoire les vagues de la réussite comme le montre ce livre. Puisse-t-elle devenir pour notre Président «une Nouvelle Frontière» à la John Fitzgerald Kennedy. Mais aussi pour l'union Européenne qui est l'ensemble politique ayant au monde le plus grand linéaire de côtes, le plus grand nombre de navires de commerce, et, grâce à la France, le plus grand domaine maritime.
Avançons au large, là se trouvent les clefs du monde d'un demain qui a déjà commencé.

Natacha Polony : «Non-mixité, le racisme facturé au contribuable» (24.11.2017)
Publié le 24/11/2017 à 16h45

CHRONIQUE - La proposition par SUD-éducation 93 de séparer, lors d'un stage, les enseignants blancs des «racisés» est un crachat à la démocratie, qui plus est payé par les citoyens, condamne notre chroniqueuse.
Quel est le rôle d'un professeur, fonctionnaire de la République? Cette question en apparence anodine peut devenir vertigineuse si l'on met en regard la lettre envoyée par Jules Ferry le 27 novembre 1883 à tous les instituteurs de France, expliquant à ces hommes que leur «honneur» sera d'avoir formé des gens honnêtes, ayant le goût de l'effort et le respect d'autrui, et le programme du stage proposé les 18 et 19 décembre prochain par le syndicat SUD-éducation 93, avec ateliers «en non-mixité» (interdits aux Blancs, donc) pour partager l'expérience de discrimination des «personnes racisées» et réflexions sur le «racisme systémique» et la «vision coloniale» de l'institution scolaire.
Le ministre de l'Éducation nationale a annoncé avoir porté plainte pour diffamation, au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale, qui permet à un «officier public ou fonctionnaire» de dénoncer un délit constaté dans le cadre de ses fonctions. Le choix de la procédure n'est pas anodin. Il met l'accent sur le fait que les gens qui organisent ce genre de stage sont des fonctionnaires. Mieux, ils le font dans le cadre du droit à la formation des professeurs, qui viennent donc assister à ces réunions sur le temps scolaire, au frais du contribuable.
La question se pose : un fonctionnaire peut-il décider en toute conscience de véhiculer la haine de la République ?
Car tel est bien l'élément majeur, dans cette pitoyable affaire, à laquelle le syndicat SUD n'oppose d'autre réponse que la dénonciation d'un «agenda commun» entre l'extrême droite et le ministre: alors que le système scolaire français est le plus inégalitaire de tous les pays de l'OCDE, qu'il échoue à donner aux enfants défavorisés les armes intellectuelles minimales pour s'intégrer dans la société, les condamnant à l'ignorance et à la dépendance, l'urgence pour un syndicat enseignant est de diffuser l'idée que les causes de ce naufrage seraient à chercher dans une ségrégation digne des grandes heures de l'apartheid.
L'urgence ne serait pas de comprendre pourquoi un quart des élèves (et bien davantage dans le 93) arrive en 6e avec des lacunes terribles, mais de leur mettre dans le crâne qu'ils sont des victimes de l'oppression postcoloniale et de déconstruire à leurs yeux l'insupportable «récit national» français.
On ne voit pas bien au nom de quoi la République devrait tolérer que l'argent des contribuables serve à diffuser ce genre d'idéologie qui (...) justifie par avance la violence dont ils pourraient faire preuve
On se rassurera en estimant que ces délires sont largement minoritaires, que l'immense majorité des enseignants est indignée. Mais la question se pose: un fonctionnaire peut-il décider en toute conscience de véhiculer la haine de la République? Ce qui n'était que choquant et déloyal jusqu'à présent devient criminel dans un pays où des jeunes gens traduisent leur haine et leur ressentiment en tirant à la kalachnikov sur d'autres jeunes gens.
Et l'on ne voit pas bien au nom de quoi la République devrait tolérer que l'argent des contribuables serve à diffuser ce genre d'idéologie qui, non seulement enferme des enfants issus de l'immigration dans une position qui leur interdit de jamais s'intégrer à cette société, mais surtout justifie par avance la violence dont ils pourraient faire preuve. On se souvient du sociologue Geoffroy de Lagasnerie, expliquant après l'attentat du Bataclan la discrimination dont seraient victimes les jeunes «des minorités ethniques» aux terrasses des cafés, et concluant: «Ils ont plaqué des mots djihadistes sur une violence sociale qu'ils ont ressentie quand ils avaient 16 ans.»
Il n'est parfois plus temps de s'indigner, mais de se révolter contre ce crachat lancé à la démocratie, qui plus est, un crachat facturé aux citoyens
En 2011 avait été introduite dans les concours d'enseignement une épreuve intitulée «agir en fonctionnaire de l'État et de manière éthique et responsable». Certains s'étaient inquiétés d'une volonté de caporalisation des professeurs, d'une forme de contrôle idéologique exercé sur eux. Et sans doute l'éthique et le sens de la responsabilité ne se définissent-ils pas dans des cours et des examens. Mais les pratiques du SUD-éducation montrent à tout le moins que la préoccupation était légitime. D'autant qu'on trouve parmi les intervenants dudit stage une professeur en ESPE, École supérieure du professorat et de l'enseignement, chargée, donc, de la formation des jeunes enseignants. La liberté syndicale n'a pourtant jamais eu pour objet de supprimer le devoir de réserve des fonctionnaires.
On comprend donc que des gens qui haïssent l'idée même de nation, et se fixent pour but de déconstruire le sentiment d'appartenance commune, utilisent leur statut de fonctionnaire pour miner l'institution qu'ils sont censés servir et transformer leurs élèves les plus défavorisés en cobayes de leurs projets politiques. Pire, ils sont à ce point persuadés d'être des résistants à un ordre quasi fasciste qu'il ne leur vient pas à l'esprit qu'ils s'asseyent ainsi sur les principes les plus élémentaires de la démocratie. SUD-éducation, comme tous les syndicats, bénéficie de postes détachés, en une période où les professeurs manquent devant les classes. Il utilise l'argent public pour financer ce genre de stage quand la formation continue des enseignants est un désert. Il n'est parfois plus temps de s'indigner, mais de se révolter contre ce crachat lancé à la démocratie, qui plus est, un crachat facturé aux citoyens.

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Entrisme islamiste à l'université : aidez-nous Monsieur Blanquer ! (22.11.2017)
Par Céline Pina 
Mis à jour le 22/11/2017 à 17h51 | Publié le 22/11/2017 à 16h50

FIGAROVOX/TRIBUNE - L'invitation d'Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, à l'université de Limoges a été annulée. Cependant, les thèses néo-racistes et islamistes sont de plus en plus présentes au sein de l'université.

Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle avait dénoncé en 2015 le salon de «la femme musulmane» de Pontoise et a récemment publié Silence Coupable (éditions Kero, 2016). Avec Fatiha Boutjalhat, elle est la fondatrice de Viv(r)e la République, mouvement citoyen laïque et républicain appelant à lutter contre tous les totalitarismes et pour la promotion de l'indispensable universalité de nos valeurs républicaines.

Pourquoi l'université est-elle une cible privilégiée des islamistes et de leurs faux-nez, les Indigènes de la République?
Si l'Université est aussi massivement investie par les frères musulmans et les militants indigénistes, c'est pour la même raison que Tariq Ramadan, qui n'est pas universitaire, se présente comme professeur à Oxford: le titre universitaire notabilise, renforce et donne autorité tant à l'homme qu'à l'idéologie. C'est une arme de légitimation massive.
Pour crédibiliser leur idéologie sectaire, la hisser à la hauteur d'un savoir et lui donner les apparences de la science, les islamistes tentent de noyauter le monde universitaire.
C'est ainsi que pour crédibiliser leur idéologie sectaire, la hisser à la hauteur d'un savoir et lui donner les apparences de la science, les islamistes tentent de noyauter le monde universitaire. Le plus grave étant qu'on leur en ouvre les portes. Deux chemins sont en général privilégiés pour favoriser cet entrisme: soit les cursus liés aux discriminations et à la diversité, ce qui fut le cas à Lyon, soit le noyautage se fait par le biais de ce concept à la mode que sont les «études décoloniales». Le but pour ces militants est à la fois de former une élite et de la faire reconnaitre, mais aussi d'investir certains champs de la recherche pour la détourner de son objet et en faire un espace d'endoctrinement et de falsification de l'Histoire.
Le jeu de passe-passe est extrêmement rentable: d'un côté il légitime une idéologie, pourtant inégalitaire, violente et mortifère, et de l'autre la personne qui fait œuvre de propagande devient inattaquable. Même quand ses publications sont médiocres et son travail orienté, il lui suffit de sortir la carte du procès politique et de la police de la pensée à la moindre admonestation ou contestation et ce militantisme devient alors le protecteur de la malhonnêteté intellectuelle. Mieux encore, il pare de l'aura de l'intellectuel engagé celui qui trahit pourtant l'éthique scientifique.
On a donc eu droit au colloque islamiste de Lyon II où la parole militante était présentée comme une parole scientifique dans une confusion des genres sans pareille; à Tariq Ramadan, président d'un jury de thèse à l'Université de Strasbourg; à Sciences-po Aix qui valide une thèse de Nabil Ennasri sur Al Qaradawi, maître à penser des frères musulmans et grand lanceur de fatwa appellant et justifiant le jihad (le tout grâce à un universitaire engagé aux côtés des frères musulmans, jusqu'en participant au «jihad des tribunaux» en tant que témoin de l'UOIF). On a eu droit aussi à la journée du hijab à Sciences-Po Paris et maintenant, en bouquet final, l'Université de Limoges organise une conférence-débat avec Houria Bouteldja. Apportant la légitimité d'une forme de reconnaissance académique à une parole authentiquement raciste, rejetant le métissage et pourfendeuse d'un racisme d'Etat aussi délirant que fantasmé.
Or, inviter Houria Bouteldja à l'Université pour une conférence afin de présenter son livre «Les blancs, les Juifs et nous» est aussi indigne que si le Président de l'Université de Limoges avait proposé à Jean-Marie-Le Pen et à Faurisson une conférence sur les chambres à gaz. Mais rien ne vaut les faits en la matière et un florilège des écrits d'Houria Bouteldja permet de saisir toute la haine que diffuse cette personne dans sa brutalité.
Dans une interview sur le site du parti des indigènes le 26 juin 2015, elle écrit: «l'idéologie selon laquelle les couples mixtes, la rencontre entre deux cultures, c'est beau, est vraiment pourrie». Le 26 janvier 2015, moins de 20 jours après le massacre de la rédaction de Charlie hebdo: «J'en veux à Charlie Hebdo de nous faire porter collectivement le si lourd fardeau de son inconsistance. (…) Je leur en veux d'avoir vidé la satire de son sens, de l'avoir dirigée contre des opprimés - ce qui est une forme de sadisme - en lieu et place du pouvoir et des puissants - ce qui est une forme de résistance. «Charb a mené sa rédaction à la mort». Terminons par quelques citations tirées de son livre: «Quant à nous, l'antisionisme est notre terre d'asile. Sous son haut patronage, nous résistons à l'intégration par l'antisémitisme tout en poursuivant le combat pour la libération des damnés de la Terre.». Bouteldja y parle aussi de Genet, pas pour son style, mais parce qu'il a salué la victoire d'Hitler sur la France. «Il y a comme une esthétique dans cette indifférence à Hitler. Elle est vision. Fallait-il être poète pour atteindre cette grâce?». Un pot-pourri pour finir: «J'appartiens à ma famille, à mon clan, à ma race, à l'Algérie, à l'Islam», «La blanchité est une forteresse, tout blanc est bâtisseur de cette forteresse», «Si une femme noire est violée par un noir, c'est compréhensible qu'elle ne porte pas plainte pour protéger la communauté noire», «Comme chacun sait, la tarlouze n'est pas tout à fait un homme. Ainsi, l'Arabe qui perd sa puissance virile n'est plus un homme.»…
On ne peut pas dire que le discours soit crypté pourtant. Et bien cela n'a pas suffi à alerter la direction de l'université de Limoges. A ce degré d'aveuglement, on se pince sur la qualité des enseignements délivrés dans un tel contexte.
La parole militante est présentée comme une démarche de recherche scientifique au sein même de l'Université.
A la multiplication de cas douteux où la parole militante (qui n'est pas illégitime mais doit être remise à sa juste place) est présentée comme une démarche de recherche scientifique au sein même de l'Université, les promoteurs de cet entrisme opposent en général les Libertés Académiques. Comme si la liberté n'était pas avant tout un exercice de responsabilité. Comme si demander que la distinction soit faite entre propagande idéologique et travail universitaire était une atteinte à la liberté, quand elle est au contraire l'exigence qui rend cette liberté opérante.
Nous sommes une fois de plus dans un processus d'inversion du vocabulaire, où le mot Liberté ne sert qu'à légitimer la plus vulgaire propagande. L'état de la sociologie en France, victime de cette dérive du travail scientifique vers la propagande idéologique devrait pourtant nous éclairer. Quant aux universitaires, il serait peut-être temps qu'ils veillent réellement sur les libertés académiques, en exerçant ce devoir de contrôle et d'exigence par les pairs qui seul fait la qualité d'une formation universitaire, quand le service d'une idéologie contient en germe la mort des libertés réelles. Son but est de fabriquer du consentement, là où l'Université porte une exigence de savoir. A confondre les deux démarches, c'est toujours la science et la rigueur que l'on détruit et la propagande que l'on sert. Il est aujourd'hui de l'honneur des universitaires et de l'avenir de l'Université d'en prendre conscience.
Céline Pina


Alain Finkielkraut : «Weinstein, Ramadan, Plenel... les enseignements d'un tsunami» (20.11.2017)

Mis à jour le 20/11/2017 à 18h36 | Publié le 20/11/2017 à 18h01

FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'ouragan médiatique et sociétal déclenché par l'affaire Weinstein se poursuit. Si les témoignages de harcèlement doivent être pris au sérieux, le respect de la présomption d'innocence et la nécessité de définir avec rigueur la notion de harcèlement s'imposent tout autant, argumente le philosophe.
LE FIGARO. - La polémique suscitée par l'affaire Weinstein a pris une ampleur mondiale, avec comme corollaire une libération de la parole. Lehashtag #balancetonporc a entraîné une déferlante de messages, de témoignages et de mises en cause sur les réseaux sociaux. La France a découvert que harcèlement et agressions sexuelles semblent être partout. Avez-vous été surpris par ce tableau terrible et ce phénomène médiatique impressionnant?
Alain FINKIELKRAUT. - J'ai d'abord été surpris par la formulation du hashtag qui a déclenché la mobilisation: «Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails, un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot: balance ton porc.» Surpris est d'ailleurs un mot faible. J'ai eu un haut-le-cœur. On nous tympanise jour et nuit avec les valeurs, or le mot de «balance» et la pratique qu'il induit sont contraires à toutes les valeurs de la civilisation. La fin ne justifie pas les moyens, l'émancipation ne saurait en passer par la délation. Une avocate, Marie Dosé, l'a dit très clairement: «Une culpabilité ne se décrète pas sur les réseaux sociaux mais se questionne judiciairement.» Ce n'est pas un progrès mais une dangereuse régression que de libérer la parole de l'épreuve du contradictoire.
Marlène Schiappa, la ministre pour l'Égalité entre les femmes et les hommes, a affirmé vouloir combattre «la culture du viol». La France est-elle, selon vous, caractérisée par cette culture, ce «consensus social tacite»?
Au lendemain des attentats du 13 novembre, un slogan a fleuri spontanément: «Nous sommes en terrasse». Nous: des femmes et des hommes pacifiquement mélangés. Comme l'écrivait Saul Bellow dans un splendide hommage à la ville de Paris, «peu de choses sont plus agréables, plus civilisées qu'une terrasse tranquille au crépuscule». Nous défendions ce symbole de la mixité heureuse contre la colère djihadiste, et l'on nous dit, deux ans après, que la mixité est un leurre et que les femmes vivent en terrasse comme derrière les portes closes, dans la peur perpétuelle des porcs omniprésents. «La culture du viol imprègne l'inconscient collectif de nos sociétés», affirme Muriel Salmona, la psychiatre dont s'inspire la secrétaire d'État à l'égalité des femmes et des hommes. Ce qui est commode avec l'inconscient, c'est qu'il est irréfutable. Si au nom de votre expérience des rues et des cafés vous protestez contre cette mise au pilori générale, Muriel Salmona sourit d'un air entendu: votre dénégation d'homme aux abois prouve qu'elle a touché juste.
«La France dispose de l'arsenal le plus répressif à l'égard des comportements machistes, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Syndicat de la magistrature»
On ne peut cependant considérer tous les témoignages qui affluent sur les réseaux sociaux comme nuls et non avenus sous prétexte qu'ils ne respectent pas les formes. Le sexisme n'est visiblement pas mort, trop de Weinstein au petit pied abusent de leur position de pouvoir.
Mais quand un tiers des détenus dans les prisons françaises le sont pour des crimes et des délits sexuels, il est absurde de dire que la justice reste passive et d'en appeler solennellement au président de la République pour que celui-ci comble les lacunes du droit comme l'ont fait, en toute méconnaissance de cause, des pétitionnaires indignées dans Le Journal du dimanche. La France dispose de l'arsenal le plus répressif à l'égard des comportements machistes, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Syndicat de la magistrature, que l'on ne saurait taxer de faiblesse pour les forts.
Le harcèlement au travail est civilement et pénalement sanctionné. Sept cent cinquante délégués travaillent auprès du Défenseur des droits pour enquêter sur les faits qui leur sont rapportés. Cela ne suffit pas, semble-t-il. «L'envie du pénal», diagnostiquée naguère par Philippe Muray, est devenue insatiable, et, pour gonfler les chiffres, toute distinction est abolie entre la séduction ratée et l'agression physique. Le dragueur éconduit devient un harceleur : «Si nous aussi, on donnait le nom des prédateurs qui nous ont (1) manqué de respect verbalement (2) tenté des tripotages», suggère dans un deuxième tweet Sandra Muller, la journaliste à qui l'on doit #balancetonporc.
«Non, Edwy, la révolution féministe a déjà eu lieu et elle a porté de merveilleux fruits. Il y a cinquante ans encore, les femmes ne s'appartenaient pas»
Edwy Plenel, qui décidément n'en rate pas une, donne le beau nom de «révolution» à cette extension démente du domaine du harcèlement. Non, Edwy, la révolution féministe a déjà eu lieu et elle a porté de merveilleux fruits. Il y a cinquante ans encore, les femmes ne s'appartenaient pas. Rares étaient celles qui osaient faire cavalier seul. Comme l'écrit Alice Ferney dans son livre magnifique Les Bourgeois, «leur vie était dédiée à fabriquer des vies». Nous avons, en quelques décennies, rompu avec cette immémoriale histoire.
Les femmes ont désormais le choix d'épanouir en elles autre chose que la capacité de procréer. Elles ont acquis la maîtrise de la filiation, elles accèdent à tous les métiers, elles siègent en nombre à l'Assemblée nationale. Elles divorcent comme elles veulent et quand elles veulent, et le chef d'entreprise qui s'aviserait de pratiquer une discrimination salariale est passible du tribunal correctionnel. À cela s'ajoute le fait que le patronyme n'est plus obligatoire, que la procréation médicalement assistée pour toutes est en passe d'institutionnaliser la filiation sans père. Quand la disparition de l'homme devient un droit de la femme, est-il encore sérieux de parler d'ordre patriarcal?
Mais la modernité triomphante ne règle pas tous les problèmes. Elle en crée même de nouveaux. Le droit à l'enfant débouche dans de nombreux pays sur la marchandisation du corps des femmes que leur pauvreté rend disponibles. Avec la gestation pour autrui, la location des ventres devient monnaie courante. Cet asservissement n'est pas imputable à la domination masculine mais à la convergence peut-être fatale entre les avancées des biotechnologies et l'inflation des droits subjectifs.
La «lutte contre le patriarcat» et la «domination masculine» se sont concentrées concomitamment sur la langue française en faisant la promotion de l'écriture inclusive. Certains en entendant l'Académie française s'inquiéter d'un «péril mortel» ont jugé la formule excessive ou inutilement alarmiste. Le point médian et l'égalité des accords menacent-ils notre langue?
«L'écriture inclusive est l'inepte caricature du féminisme originel»
L'écriture inclusive prétend remonter aux origines du mal. Le pouvoir des hommes commence dans les mots, affirment ses partisans. Alors, pour extirper les racines du viol, ils disent mécaniquement «celles et ceux», «chacune et chacun», «toutes et tous», ils écrivent besogneusement «Les Marseillais·e·s ont déferlé» ou «vos député·e·s En marche!» et ils abîment un peu plus, par ce bégaiement ridicule, une langue qui n'avait vraiment pas besoin de ça. L'écriture inclusive est l'inepte caricature du féminisme originel.
Des néoféministes, en pointe dans le phénomène #balancetonporc, étaient plus en retrait au moment des agressions sexuelles de Cologne et considéraient que le harcèlement de rue dans le quartier de la Chapelle Pajol s'expliquait par des trottoirs trop étroits. N'y a-t-il pas aussi une culture du déni?
L'un des objectifs de la campagne #balancetonporc était de noyer le poisson de l'islam: oubliée Cologne, oubliée la Chapelle Pajol, oubliés les cafés interdits aux femmes à Sevran ou à Rillieux-la-Pape, on traquait le sexisme là où il était une survivance honnie et l'on couvrait du voile de la lutte contre toutes les discriminations les lieux où il façonnait encore les mœurs. Les stars américaines tombaient comme des mouches, des affichettes mettant en garde contre le sexisme étaient placardées sur les murs du Parlement français, et puis patatras, le scénario d'Osez le féminisme! se détraque: les noyeurs de poisson attrapent, bien malgré eux, un très gros poisson islamiste qu'ils ne peuvent pas rejeter à la mer.
Car Tariq Ramadan n'est pas seulement accusé de harcèlement mais de viol et de coups et blessures. Si les faits sont avérés, il sera disqualifié même aux yeux d'Edgar Morin, sa grande caution progressiste. C'est tant mieux, mais j'aurais préféré personnellement que Ramadan tombât pour son discours plutôt que pour son comportement. Car la relève est prête. Des prédicateurs impeccables poursuivent d'ores et déjà son œuvre d'endoctrinement. Là réside le péril.
Charlie Hebdo en a fait sa une, et depuis Mediapart et une partie de la sphère «islamo-gauchiste» s'en prend au journal satirique. Riss a répondu dans un éditorial cinglant à Edwy Plenel. Que vous inspire cet affrontement?
«La vérité éclate enfin : Mediapart n'est pas un site d'information, c'est une secte fanatique et d'autant plus méchante que rien jamais n'entame la bonne conscience antiraciste de ses membres»
La pensée d'Edwy Plenel repose tout entière sur une analogie entre le sort des Juifs jusqu'à la Shoah incluse et la situation faite aujourd'hui en France aux musulmans. Parler d'un problème de l'islam, c'est donc, à ses yeux, s'inscrire dans la droite ligne de l'antisémitisme exterminateur. Oubliant que dans les années 1930 aucun terroriste ne se réclamait du Talmud et niant avec une constance qui force l'admiration la réalité pourtant criante de l'antisémitisme musulman, il traite de racistes tous ceux qui disent avec Élisabeth Badinter qu'une seconde société tente de s'imposer insidieusement dans l'espace public et qui refusent d'expliquer ce phénomène par l'islamophobie ambiante.
Les adversaires de Plenel sont les ennemis du genre humain. La couverture de Charlie qui le met en cause est «une nouvelle affiche rouge», rien de moins. Et cette une fait partie, ajoute-t-il, d'une campagne générale de guerre aux musulmans. Ainsi Plenel, fou de lui-même et de son zèle compatissant, en vient à utiliser le vocabulaire des fous d'Allah. Qu'ont fait les frères Kouachi, en effet, sinon répondre par les armes à la guerre que Charlie leur avait déclarée en insultant le prophète? Riss a raison. Cette phrase est impardonnable, car, en désignant Charlie encore une fois comme agresseur, elle adoube à l'avance les tueurs qui voudront finir le travail commencé le 7 janvier 2015. La vérité éclate enfin: Mediapart n'est pas un site d'information, c'est une secte fanatique et d'autant plus méchante que rien jamais n'entame la bonne conscience antiraciste de ses membres.

En terrain minéd'Alain Finkielkraut et Elisabeth de Fontenay (éditions Stock), 270 pages, 19,50 €. - Crédits photo : Stock
En 2015, dans Le Figaro, vous traciez une ligne entre «le parti du sursaut», celui de Charlie, et «le parti de l'autre», celui de Mediapart. Assistons-nous à la victoire du premier sur le second?
Je me garderai de parler de victoire. Mais une autre gauche existe que le parti du déni et de l'expiation nationale. La polémique qui fait rage en témoigne: cette gauche rend désormais coup pour coup. C'est une très bonne nouvelle.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 21/11/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Quand Sud Education relaie le discours indigéniste (21.11.2017)
Mis à jour le 23/11/2017 à 17h59 | Publié le 21/11/2017 à 11h02

FIGAROVOX/TRIBUNE - Les 18 et 19 décembre prochains se tiendra à Saint Denis un stage pour enseignants organisé par le syndicat Sud Education 93 intitulé « Au croisement des oppressions. Où en est l'antiracisme à l'école ? ». Babara Lefebvre dénonce le projet politique et religieux des «antiracistes» contemporains.

Barbara Lefebvre, enseignante, Co-auteur de «Une France soumise» (Albin Michel) et de «Autopsie d'un déni d'antisémitisme» (L'artilleur, 2017)

On entend souvent dire que la formation continue des enseignants est insuffisante, trop théorique, éloignée des réalités de la classe. Se former est un droit des enseignants, on pourrait considérer que c'est un devoir. Nous, enseignants, sommes nombreux à nous former individuellement par des lectures ou des conférences. Les formations proposées par l'Education nationale ou par des organisations syndicales jouent un rôle tout aussi important. C'est pourquoi il était utile d'informer avec précision sur la formation promue par Sud Education et sa section 93 (Seine Saint Denis). Je dis informer et non alerter car je doute fort que ce qui va suivre inquiète assez les autorités syndicales et universitaires pour agir. Chacun se retranchera comme d'habitude derrière les principes de liberté syndicale, de liberté d'association, du droit à la formation pour justifier son inaction ou plutôt son impuissance.
Les 18 et 19 décembre prochains se tiendra à Saint Denis un stage pour enseignants organisé par le syndicat Sud Education 93 intitulé «Au croisement des oppressions. Où en est l'antiracisme à l'école?». Le stage est mis en œuvre par le CEFI (Centre d'études et de formation interprofessionnel), un organisme de formation dûment déclaré auprès de la DIRECCTE qui s'adresse aux acteurs des secteurs privé et public. Le CEFI se donne pour objet de «gagner les luttes, résister et élaborer». On est donc en cohérence avec le thème du stage de Sud Education 93 : oppressions / antiracisme / école. Les formules clés sont posées dès l'intitulé. La convergence des luttes? On y est.
La documentation disponible en ligne pour présenter le stage respecte, comme il se doit en milieu «progressiste», la novlangue inclusive et enfile les perles du sabir postcolonial indigéniste : racisé, blanchité, intersectionnalité, islamophobie, racisme d'Etat (et ses variantes: racisme structurel ou systémique), minoration sociale et ethnoraciale. En les écrivant, je m'aperçois que le logiciel Word de Microsoft mérite une sérieuse mise à jour car il surligne la plupart de ces termes inconnus de notre nomenclature orthographique de blancs colonialistes racistes. Heureusement, les penseurs de l'intersectionnalité (rien à voir avec les carrefours giratoires) sont là pour refonder la langue, prélude à la grande réorganisation des esprits formatés à la ségrégation raciale et/ou religieuse comme au bon vieux temps de l'Afrique du Sud ou de l'Amérique ségrégationniste.
Les indigénistes racialistes utilisent la lutte contre la ségrégation raciale pour servir leur rêve d'un néo-apartheid.
Car, c'est bien le paradoxe des indigénistes racialistes que d'utiliser la lutte contre la ségrégation raciale pour servir leur rêve d'un néo-apartheid: au prétendu racisme d'Etat des blancs ils vont subsister ou au moins imposer la cohabitation avec un racisme des «racisés», ces groupes en situation de minoration (sic).
En tant qu'enseignante, à la lecture de cette documentation, je ne peux retenir mon indignation de voir une fois encore le terrain scolaire instrumentalisé par ces idéologues du séparatisme racial au nom d'un soi-disant antiracisme. N'est-il pas scandaleux au regard des principes démocratiques sur lesquels repose l'école républicaine que l'on engage des enseignants, dans le cadre d'une formation professionnelle, à adopter des postures contraires au droit, contraires à la posture de neutralité de l'enseignant, contraire au principe même d'égalité? En effet, deux ateliers sont organisés selon la règle de la «non-mixité raciale». Le ministre s'en est heureusement ému via Twitter.
Le premier atelier est animé par deux institutrices pour l'heure anonymes qui enseignent dans le 93. Il a pour objectif «d'établir des outils de lutte et des stratégies pour faire face aux oppressions liées au concept de race mais aussi de genre et de classe à l'école». On pourrait imaginer que l'horizon en serait une classe «en non mixité raciale», ou au moins en la divisant entre oppresseurs et opprimés. Cela créerait en effet un climat propice au travail et à la camaraderie!
Le second atelier révèle la toxicité de cette pensée indigéniste qui ne voit le monde qu'à travers le prisme des races. En ce dernier après-midi de stage, les enseignants stagiaires sont divisés en deux groupes: les racisés et les blancs. Ces derniers seront en «autogestion» avec le soutien de militants de Sud Education 93, blancs eux aussi espérons-le car il ne faudrait pas que les «enseignants blancs» soient corrompus dans leur effort de penser par les «racisés».
Les « enseignants blancs » doivent « interroger leurs représentations et postures dominantes », étant entendu que leurs élèves « subissent quotidiennement le racisme systémique » des blancs.
C'est qu'ils ont du pain sur la planche mes collègues blancs puisque cet atelier doit leur faire «interroger leurs représentations et postures dominantes», étant entendu que leurs élèves «subissent quotidiennement le racisme systémique» des blancs. Je serai curieuse d'assister à une telle session d'autocritique. Existe-t-il des rituels de désenvoutement, de purification mentale, pour conjurer ce racisme atavique qui nous travaille depuis des siècles, de génération en génération, sous l'effet de la magie noire (ou blanche, on s'y perd)? Pendant que les «blancs» concoctent leur philtre d'amour antiraciste pour se guérir de leur vice, les «enseignants racisés» ont fort à faire dans leur atelier non mixte. Toujours dans une approche groupe de parole / remédiation par les pairs, ils vont mettre en commun leurs «récits d'expériences». A les lire, en tant que profs «racisés», ils ont «une vie professionnelle différente» qui impose de réfléchir à leurs «positions et aux enjeux» auxquels ils doivent faire face tant avec l'administration qu'avec leurs collègues, leurs élèves et les familles.
On a observé, depuis une décennie au moins, les tentatives d'entrisme indigéniste dans le corps enseignant. Pour l'instant, la greffe ne prend pas. L'immense majorité des enseignants restent attachés à la nature laïque de l'enseignement et à leur devoir de neutralité. Néanmoins, on nous rapporte de plus en plus de cas d'étudiants revendiquant une pratique religieuse ostentatoire se destinant aux concours d'enseignement. Que feront ces étudiantes portant le hijab de leur signe politico-religieux une fois lauréates et affectées dans une école de la République?
En outre, il se trouve des vacataires, sans formation, qui n'affichent pas la neutralité laïque attendue et sont pourtant recrutés pour combler les postes non pourvus ou les longues absences de titulaires. D'ailleurs, les organisateurs du stage semblent avoir connaissance de ces profils puisque les «enseignants contractuels» sont chaleureusement invités au stage! On rappellera au passage que les familles ignorent bien souvent que le «remplaçant» de l'instituteur de leur enfant n'est pas un véritable enseignant diplômé et formé comme il se doit.
Des vacataires, sans formation, qui n'affichent pas la neutralité laïque attendue, sont recrutés pour combler les postes non pourvus ou les longues absences de titulaires.
La salle des profs va-t-elle devenir un terrain miné par des enjeux raciaux? On le dirait à lire ce programme de stage… En presque vingt ans d'enseignement, je n'ai jamais assisté à de tels clivages, même si on m'a rapporté ici ou là des comportements prosélytes inadaptés. En revanche, j'ai connu des collègues d'origine maghrébine se faisant insulter par des élèves considérant qu'elles étaient des «traitresses à la cause», j'ai entendu des collègues à la peau noire se faire traiter de «bounty» (noir à l'extérieur, blanc à l'intérieur). Mais il ne s'agit sans doute pas de ce racisme-ci dont débattront les stagiaires à Saint Denis les 18 et 19 décembre, puisque ces insultes sont à leurs yeux des «outils de lutte» contre l'oppression!
Le stage se clôt d'ailleurs par une table-ronde intitulée sobrement «Récits de lutte». On y retrouve une militante du Front des Mères, association qui œuvre notamment à la promotion des mères voilées pour accompagner les sorties scolaires. Voici un édifiant extrait de leur manifeste: «En réalité, soit nous, parents noirs, arabes et musulmans gagnons ensemble. Soit nous perdons ensemble, et aucun de nos enfants ne sera épargné, y compris les quelques-uns qui auront atteint les classes moyennes et supérieures, car qui peut prétendre qu'on peut être heureux en étant honteux et aliéné? Évidemment, nous voulons que nos enfants réussissent à l'école, y aient de bons résultats et s'y épanouissent. Mais nous devons refuser de choisir entre réussite scolaire et dignité. Nous devons le refuser pour nos enfants, parce que nous les aimons et que nous voulons ce qu'il y a de mieux pour eux, réussir et s'aimer soi-même, réussir et aimer les siens, réussir et avoir confiance en soi, réussir et rester digne». On sent que le «vivre ensemble» dont se gargarisent nos politiques a de belles heures devant lui… L'atelier est co-animé par le Réseau Education Sans Frontière qui milite pour la régularisation de tous les sans-papiers en prenant appui notamment sur le principe de droit du sol puisque beaucoup d'enfants d'étrangers résidant en France sans-papiers naissent sur le territoire national. Pour parler de la situation de ces enfants scolarisés expulsables en raison du séjour irrégulier de leurs parents, RESF exploite régulièrement le vocabulaire usité par les historiens pour décrire les discriminations, les persécutions et les déportations des Juifs durant la guerre.
Ce genre de mise en regard odieuse n'est d'ailleurs pas pour déplaire à un autre intervenant du stage, Marwan Muhammad l'ancien président du CCIF qui viendra exposer aux enseignants les «enjeux de l'islamophobie dans l'Education nationale». Muhammad qui aime se référer à l'antisémitisme des années 1920-30 pour décrire la situation des musulmans en France aujourd'hui. Plus les anachronismes sont grossiers, plus les mises en regard concurrentielles déforment l'histoire, plus ces boutiques idéologiques prospèrent puisqu'elles ne jouent qu'une seule partition: la victimisation. La double perversion de la stratégie de ces boutiquiers politico-religieux est d'une part d'utiliser l'histoire des juifs d'Europe pour la confisquer au profit des musulmans essentialisés dans un même corpus victimaire. Et d'autre part, de s'indigner que ces nouvelles victimes du racisme que sont «les musulmans» (ainsi catégorisés par le CCIF et consorts) se trouvent accuser de porter au cœur même de l'Europe actuelle un antisémitisme violent et criminel.
Outre Marwan Muhammad, nouvelle icône des islamistes depuis que Tariq Ramadan n'est plus en odeur de sainteté en France, les intervenants de ce stage ne sont pas des inconnus de la sphère militante indigéniste postcoloniale. Sous le patronage de Nacira Guenif, professeur de sociologie à Paris 8 qui accompagne régulièrement le Parti des Indigènes de la République et permet de donner un vernis universitaire à des travaux pour le moins douteux sur le plan scientifique (mais qui a jamais pensé que la sociologie soit une «science»?), on retrouve Marwan Mohammed sociologue obnubilé par l'islamophobie et la délinquance des jeunes «racisés», délinquance qui n'est que l'effet des discriminations qu'ils subissent au quotidien. Wiam Berhouma est modératrice, elle qui, en 2016, avait agressé verbalement Alain Finkielkraut dans une émission de France 2 et s'était révélée être membre du Parti des Indigènes de la République bien qu'elle fut présentée par les ‘journalistes' de l'émission comme «professeur d'anglais dans le 93». Autre modérateur, un professeur de collège Omar Slaouti milite notamment au NPA et dans des collectifs contre les violences policières, tandis qu'on trouve aussi parmi les intervenants une formatrice à l'Espé de Créteil. On supposera donc que Lila Belkacem diffuse aux enseignants de Créteil en formation initiale et continue, au sein de l'institution universitaire, son idéologie postcoloniale centrée sur «l'éducation en situation de migration et de minoration/racisation» ainsi qu'en «médiation interculturelle, ethnopsychiatrie et culturalisme» (consultable sur le site de l'Espé de Créteil).
Pierre Tevanian est aussi de la fête puisqu'il anime un atelier intitulé «le racisme et les privilèges dans la société et dans l'Education nationale». Vaste programme. Enseignant la philosophie en Seine Saint Denis, Tevanian est un militant qui aime coller des étiquettes idéologiques, il mérite donc bien la sienne: celle du parfait alibi gauchiste blanc mais qui s'excuse de l'être. Le contenu de son atelier annonce la couleur: «qu'est-ce que la blanchité?». Question centrale en effet si on veut comprendre «le racisme structurel», le «racisme d'Etat». Pour lui, la société française est restée coloniale par la catégorisation raciale dans lesquelles elle «enrôle» les individus. Pourtant à lire la littérature indigéniste, obsédée par la question raciale et les catégorisations en tous genres, on se demande qui essentialise qui? Qui enrôle qui? En revanche, quand je lis Condorcet ou Jean Zay, je ne vois aucune catégorisation déterministe, je vois la place accordée à l'individu qui pense par lui-même, qui par son libre arbitre et par la culture pourra s'arracher à d'éventuels préjugés hérités de son éducation (et non de sa nature!).
L'image qui est donnée de l'Education nationale est celle d'une institution, qui fait perdurer par sa structure, un colonialisme raciste à combattre de l'intérieur.
Ce qui met d'autant plus mal à l'aise à la lecture de ce programme de stage, c'est l'image qui est donnée de l'Education nationale. Celle d'une institution qui fait perdurer par sa structure, à travers son personnel et ses programmes officiels, un colonialisme raciste à combattre de l'intérieur. Ainsi le projet du stage est de faire «l'analyse du racisme d'Etat dans l'Education nationale» et de former des enseignants qui sont des fonctionnaires avec le devoir de réserve et d'obéissance que cela impose. Il s'agit de «déconstruire chez et avec les enseignants les discriminations raciales». Une fois formatés à l'idéologie racialiste indigénistes, ces enseignants pourront «travailler avec les élèves pour leur donner des outils de lutte en vue d'une transformation sociale». Comme j'ai mieux à faire que comparaître devant la 17è chambre du TGI de Paris, je ne dirais pas ce que m'évoque cette propagande à destination des enfants, mais ce n'est pas sans rappeler les grandes entreprises d'embrigadement de nature totalitaire.
On peut compter sur ces grands esprits de l'antiracisme contemporain qui décousent lentement mais sûrement les derniers liens du tissu social entre les jeunes issus de l'immigration et le reste de la société française. Ils ont d'ailleurs un ennemi capital, et ce n'est donc pas un hasard si la phrase introductive de leur présentation pointe du doigt les «programmes d'histoire servant le roman national». On y revient toujours. Le récit / roman national est une obsession chez les indigénistes et leurs alliés progressistes de la «pensée complexe»… Pour mettre à genoux la France comme nation, comme corps civique, comme projet démocratique, il faut s'en prendre à son histoire et la déraciner. Houria Bouteldja l'a clairement dit: «il faut dénationaliser l'histoire de France, faire exploser cette identité française». Certains veulent le faire subtilement en introduisant «l'histoire problème» comme approche didactique dès le plus jeune âge, déconstruire l'histoire nationale comme une succession de mythes. Au moins avec les Indigènes de la République et leurs alliés, les choses sont plus claires et radicales: l'explosion. Il ne doit rien rester de notre histoire nationale sinon les ruines fumantes porteuses de leur haine postcoloniale.
Des idéologues qui poursuivent un projet politique et/ou religieux, cela n'est ni nouveau, ni interdit dans une démocratie libérale qui met un point d'honneur à préserver la liberté de penser.
Néanmoins, bien que tout ce qui précède puisse donner la nausée à tout véritable humaniste attaché à la liberté des individus, à l'intelligence des faits historiques, je terminerais sur une réflexion peut-être provocante. Le traité Kidouchin du Talmud s'interroge sur la responsabilité de l'individu en cas de vol. Après maints débats, un des sages du Talmud énonce: «quand la souris vole, le responsable c'est le trou». La souris est coupable de voler le fromage, mais le ferait-elle si elle n'avait pas le trou pour y dissimuler son larcin? Ce détour pour poser une question à mes yeux essentielle: qui sont les vrais responsables du développement de cette pensée raciste qui vient maintenant s'attaquer au corps professoral? Des idéologues qui poursuivent un projet politique et/ou religieux, cela n'est ni nouveau, ni interdit dans une démocratie libérale qui met un point d'honneur à préserver la liberté de penser. Nous n'en avons pas fini avec les racistes qui prennent des visages inédits mais non moins dangereux pour la démocratie.
Or depuis la décennie 1980-90, les pouvoirs publics, nombre d'intellectuels, les médias faiseurs d'opinion, les associations antiracistes bien-pensantes, des politiciens, par aveuglement, par ignorance ou par clientélisme, tous ont creusé le trou qu'utilise aujourd'hui la souris. Il serait temps que des forces de résistance intellectuelle développent une véritable philosophie politique qui affronte celle des indigénistes. Il faut cesser de débattre dans un entre-soi confortable, dans les salons parisiens ou les colloques hébergés au Sénat. On pose bien, ça et là, des petits pièges mais la souris a appris à les éviter. Il faut reboucher le trou de la souris. Il est encore temps. Et on ne le rebouchera pas à coup de «vive ensemble», de «plus jamais ça» et de bienveillance inconsistante.

ETRANGERS - François Hollande prononcera son premier grand discours sur l’immigration ce lundi, en insistant sur les richesses qu'elle apporte à la France...
Delphine Bancaud  
Publié le 14/12/14 à 17h33 — Mis à jour le 14/12/14 à 23h10
Illustration avec des drapeaux français — SIPA/ MILIVOJEVIC/SIPA /
C’est ce lundi que François Hollande prononcera son premier grand discours sur l’immigration, dont il soulignera les aspects positifs. L’occasion pour 20 Minutes de revenir sur les a priori les plus courants sur le sujet.
1 L’immigration a explosé depuis dix ans
Faux selon François Gemenne, chercheur spécialiste des flux migratoires: «depuis huit ans, le nombre de permis de séjours délivrés en France est stable, soit 200.000 par an». Mais compte tenu des décès et des départs, la population immigrée croit en moyenne de 90.000 personnes par an selon une étude l’Insee parue en novembre dernier. Pour le chercheur, si cette idée reçue à la vie dure c’est surtout parce qu’une partie de l’opinion publique «confond les enfants d’immigrés (qui sont Français) avec les immigrés eux-mêmes. Et ces derniers avec les demandeurs d'asile».
2 La France est championne d’Europe en matière dans ce domaine
Faux. «Tous les pays européens comparables à la France économiquement accueillent davantage d’immigrés qu’elle. C’est notamment le cas du Royaume Uni, de l’Allemagne et de l’Italie. Elle est même dans le bas du classement dans ce domaine si l’on compare la proportion d’immigrés par habitant, avec 5 immigrés pour 1000 habitants», explique François Gemenne.
3 Ce n’est pas si difficile d’entrer illégalement en France
«C’est totalement faux. D’ailleurs, la plupart des clandestins qui se trouvent en France y sont entrés légalement avec un visa ou un titre de séjour, avant de décider de rester. Par ailleurs, ils représentent entre 5 et 10% des immigrés», explique le chercheur.
4 Le rythme des expulsions a été freiné depuis le quinquennat de François Hollande
«Il n’y a pas eu d’inflexion de la politique de reconduites à la frontière, affirme François Gemenne. Elles sont toujours de l’ordre de 30.000 par an». Et si Nicolas Sarkozy, quand il était ministre de l’Intérieur, semblait avoir eu recours massivement aux expulsions, Manuel Valls lorsqu’il était lui-même Place Beauvau, a enregistré des chiffres plus importants dans ce domaine.
5 Les immigrés sont en majorité des Maghrébins et des Africains
Une inexactitude de plus. Car selon l’Insee 46% des immigrés arrivés en France en 2012 étaient européens (Portugais, Anglais, Espagnols, Italiens, Allemands…), 17% provenaient du Maghreb, 14% d’Asie, 13% Afrique subsaharienne et 10% d’Amérique-Océanie.
6 Obtenir la nationalité française n’est pas difficile
Selon l'OCDE, le nombre de naturalisations a diminué soit 16% entre 2011 et 2012. «Les conditions de naturalisation se sont beaucoup durcies depuis les années 80. Il est par exemple de plus en plus difficile d’obtenir la nationalité française par mariage. Car une enquête très intrusive est menée pour vérifier qu’il ne s’agit pas d’un mariage blanc». Et il faut justifier au minimum de quatre ans de mariage», précise le chercheur.
7 Les immigrés sont sous-diplômés
Encore un a priori qui tombe. Car selon l’Etude de l’Insee parue en novembre, 63 % des immigrés entrés en France en 2012 étaient au moins titulaires d’un diplôme de niveau baccalauréat. «Ils ont un niveau scolaire égal ou même supérieur à celui des Français. Car ce sont souvent les plus nantis des communautés qui immigrent», souligne le chercheur.
8 Ils viennent en France pour toucher les aides sociales
«C’est un fantasme absolu, car la plupart du temps, les immigrés ne sont pas au courant des aides dont ils peuvent bénéficier en France», affirme François Gemenne. D’où un taux de non-recours important aux prestations sociales. Par ailleurs, il faut un statut d'immigrant régulier pour toucher certaines aides sociales: le RSA, par exemple, n'est accordé qu'au bout de cinq années de résidence en France.
9 C’est à cause d’eux que les salaires sont tirés vers le bas
Une illusion. Car les immigrés occupent souvent les emplois les plus mal rémunérés «ce qui fait au contraire remonter un peu les salaires des travailleurs peu qualifiés», certifie le chercheur.
10 Ils coûtent plus cher qu’ils ne rapportent à la France
Prenons le cas des salariés clandestins: s’ils ont le droit à l’aide médicale d’Etat, ils ne profitent pas d’autres aides sociales. Mais ils cotisent à l’assurance chômage et payent des impôts comme les autres salariés.

Réforme du droit du sol : le dessous des cartes (12.08.2016)
Publié le 12/08/2016 à 23h59

FIGAROVOX/ANALYSE - Nicolas Sarkozy a derechef évoqué la possible réforme du droit du sol. Pour Maxime Tandonnet, il ne s'agit pas d'un tabou, mais d'une réforme illusoire car le droit du sol est un vecteur marginal de l'accession à la nationalité.

Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, haut-fonctionnaire, Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour le FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République (éd. Perrin, 2013) et Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée (éd. Flammarion, 2014). Découvrez également ses chroniques sur son blog.

La question du droit du sol est revenue au coeur de l'actualité politique à la suite des déclarations du président Sarkozy, annonçant sa volonté de le réformer. Le sujet, par nature, n'est pas tabou, en tout cas pas plus que la déchéance de la nationalité qui a scandé la vie politique au début de l'année 2016. Il relève du pouvoir législatif et non des principes à valeur constitutionnelle. Le régime français du droit du sol peut donc être modifié par une réforme législative. Le leader des Républicains a raison de le rappeler.
Le sujet, par nature, n'est pas tabou. Il relève du pouvoir législatif et non des principes à valeur constitutionnelle.
Encore faut-il aborder ce sujet sous l'angle de la vérité et non de l'idéologie. Certes, il revêt une connotation symbolique forte, éternel serpent de mer depuis des décennies. Certes, la question de principe est extrêmement clivante, génératrice d'un puissant antagonisme droite/gauche. Certes, le sujet agite les foules, susceptible de favoriser une forte mobilisation électorale à droite. Mais concrètement, à quoi servirait une réforme du droit du sol? Qu'apporterait le fait de le supprimer, ou de le soumettre à une condition de «manifestation de volonté» ou à des restrictions de toute nature? Sur ce sujet complexe, il n'est pas inutile de rappeler quelques faits.
En 2015, au total 113608 ressortissants étrangers vivant en France ont acquis la nationalité française (chiffre en forte baisse par rapport à 2010 où il dépassait les 140000), selon trois voies d'accès.
La voie de la naturalisation a bénéficié à 61564 personnes sur 113608 ressortissants étrangers vivant en France ayant acquis la nationalité française.
La première, de loin, est la naturalisation. Par choix discrétionnaire, volontaire du gouvernement, un étranger ayant vécu au moins cinq ans en France, n'ayant pas commis de crime et délit, vivant de ressources d'un travail en France et parlant le français, peut être naturalisé par décret. Cette voie a bénéficié à 61564 personnes.
La seconde est le mariage avec un conjoint français: après quatre ans de vie commune, l'acquisition de la nationalité française est de droit, sous certaines conditions proches de celles de la naturalisation. 25044 hommes ou femmes sont devenus français par cette voie.
Enfin le droit du sol s'applique à des personnes nées sur le territoire français et y ayant vécu pendant les cinq dernières années. L'immense majorité des bénéficiaires de ce jus soli devient Français par une démarche volontaire, une déclaration auprès du tribunal d'instance avant l'âge de la majorité entre 13 et 18 ans: 24159 en 2015. Seule un nombre dérisoire de bénéficiaires du droit du sol devient Français automatiquement à la majorité, en l'absence d'une telle déclaration anticipée: 1700.
L'affirmation de quelques politiques selon laquelle il faut «restaurer le droit du sang», procède d'une méconnaissance du dossier.
Le débat sur la «manifestation de volonté» qui agite tant les foules, reposant sur l'idée fausse qu'on devient Français par le droit du sol sans le savoir et sans le vouloir, est donc infondé. De même, l'affirmation de quelques politiques selon laquelle il faut «restaurer le droit du sang», procède d'une méconnaissance du dossier. L'immense majorité des Français, plus de 90% le sont déjà par le droit du sang. Ils sont devenus Français à la naissance parce que l'un de leurs parents au moins avait la nationalité française. Ce mode d'acquisition de la nationalité - par l'un des parents ou les deux - s'applique d'ailleurs à la plupart des jeunes gens et jeunes filles issus de l'immigration, dont les parents ont été naturalisés français. Ainsi, entre la prédominance considérable du droit du sang, les naturalisations et le mariage, le droit du sol représente, de facto, une part infime des voies d'accès à la nationalité française.
Une abrogation ou une réforme du droit du sol n'aura pas le moindre effet pratique.
Les responsables politiques sont en droit de vouloir agiter un symbole ou d'attiser les clivages et déclencher des polémiques. Mais ils ont aussi le devoir de dire la vérité sur l'impact véritable des réformes qu'ils envisagent: une abrogation ou une réforme du droit du sol n'aura pas le moindre effet, d'un point de vue factuel, sur les grands enjeux de l'époque: la maîtrise des frontières et de l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, le drame de l'exclusion, du chaos dans les banlieues sensibles et les phénomènes de repli identitaire. Sans doute est-il plus facile de brandir le droit du sol que de réfléchir aux moyens de traiter les immenses défis de notre temps: la guerre contre les passeurs esclavagistes et criminels en Méditerranée, l'aide au développement et à la stabilisation des régions d'origine, les moyens concrets de faire respecter le droit sur l'entrée et le séjour. Cependant, les Français qui baignent depuis plusieurs années dans un univers de communication, de spectacle, de polémiques stériles et d'annonces factices, attendent peut-être autre chose de l'opposition: un retour au discours de vérité et à la politique des réalités.
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Guillaume Peltier : « Face au terrorisme, il faut protéger les Français » (19.04.2017)

Mis à jour le 19/04/2017 à 11h15 | Publié le 19/04/2017 à 10h38

FIGAROVOX/TRIBUNE- Guillaume Peltier, porte-parole des Républicains, estime que François Fillon est le seul candidat à la campagne présidentielle capable de défendre les Français face au terrorisme islamique.

Guillaume Peltier est porte-parole national des Républicains et maire de Neung-sur-Beuvron.

Les attentats qui ont touché la communauté chrétienne des Coptes, le jour du dimanche des Rameaux en Égypte, qui font suite aux attentats de Stockholm, Saint-Pétersbourg et Londres, ou bien encore les atrocités commises en Syrie ou dans le Moyen-Orient, viennent nous rappeler que nous vivons dans un monde dangereux. Un monde confronté à un véritable ennemi: le totalitarisme islamique.
Depuis hier, nous savons ce que nous redoutions : l'élection présidentielle, qui symbolise le rendez-vous de la France avec son avenir, est aussi la cible de nos ennemis.
Cet ennemi s'est attaqué très violemment à la France et aux Français. Paris, Nice, Saint-Denis, Montrouge, Magnanville, Saint-Quentin-Fallavier, Saint-Etienne-du-Rouvray… Depuis un peu plus de deux ans, ces noms de villes ont été associés à des attentats ou des projets d'attentats comme il y a encore quelques semaines à l'aéroport d'Orly ou au musée du Louvre. Depuis hier, nous savons ce que nous redoutions: l'élection présidentielle, qui symbolise le rendez-vous de la France avec son avenir, est aussi la cible de nos ennemis. Tout aura été fait pendant cette campagne pour nous détourner de l'essentiel, c'est-à-dire des sujets de fond. Et pourtant le réel, aussi tragique soit-il, finit toujours par réapparaître pour ceux qui, par lâcheté, incompétence ou facilité, tentent de le cacher, de le nier ou de le contourner.
Cet ennemi, nous devons l'identifier, le désigner, le combattre et le vaincre. Le désigner tout d'abord parce que mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. François Fillon est le seul candidat à l'élection présidentielle à avoir publié un livre consacré spécifiquement à cet enjeu crucial et historique et qui n'a pas peur de dire clairement les choses: nous devons impérativement vaincre le totalitarisme islamique. Cette position courageuse et les propositions fortes qu'il a formulées pour combattre le totalitarisme islamique en font aujourd'hui une cible privilégiée de nos ennemis. Nous ne nous laisserons pas intimider.
Alors que le monde est traversé par des crises particulièrement menaçantes, nous devons élire un chef d'État qui ait de l'expérience, du courage et du sang-froid.
Face au totalitarisme islamique, il faut un chef de guerre qui soit capable de relancer notre action diplomatique et de soutenir notre armée et nos militaires
Seul François Fillon présente cette force de caractère et cette connaissance des enjeux internationaux. Face à Donald Trump, Vladimir Poutine, Angela Merkel ou Xi Jinping, il faut un homme d'État capable de représenter la France et de défendre, avec détermination, son avenir et ses intérêts. Face au totalitarisme islamique, il faut un chef de guerre qui soit capable de relancer notre action diplomatique et de soutenir notre armée et nos militaires.
Je souhaite que les Français votent en faveur d'une alternance qui les protège, d'une alternance qui veille à renforcer la sécurité en France et dans le monde, d'une alternance qui lutte, de façon implacable, contre le terrorisme et le totalitarisme islamique. Pour cette alternance du courage et de l'autorité, la main de nos dirigeants ne doit pas trembler. Pour cela, nous devons tourner la page des commentaires stériles et des bavardages inutiles ; nous devons prendre des mesures fortes, crédibles et courageuses.
Nous devrons interdire à tout Français parti combattre à l'étranger dans les rangs terroristes de rentrer sur le territoire national, notamment grâce au recours à la déchéance de la nationalité, et expulser du territoire national les étrangers proches des réseaux terroristes. L'action des préfets et de l'autorité judiciaire devra être facilitée, renforcée et appuyée, notamment en moyens humains et matériels mais aussi par un véritable tour de vis dans l'exécution des peines et dans le suivi des détenus ou fichés S.
Nous devrons refonder Schengen pour assurer la protection de nos frontières.
Ce combat contre le totalitarisme islamique, nous le mènerons avec nos voisins européens qui sont attachés, comme nous, à la sécurité et à la liberté. Nous devrons refonder Schengen pour assurer la protection de nos frontières notamment grâce à des garde-côtes plus nombreux, une agence Frontex largement renforcée et la mise à l'écart, temporaire ou non, des pays ne jouant pas le jeu de la sécurité des frontières extérieures et intérieures.
Ce combat contre le totalitarisme, nous le mènerons avec tous nos concitoyens musulmans qui sont attachés à leur culte mais veulent que l'autorité des lois et des valeurs de notre République soit garantie et respectée. Les lieux de culte portant atteinte à l'ordre public seront fermés. Les prédicateurs étrangers extrémistes devront être expulsés sans attendre. L'Islam de France devra être l'un des tout premiers acteurs de ce combat à travers une charte républicaine des mosquées qui imposera, par exemple, l'interdiction des prêches extrémistes ou encore le respect absolu de l'égalité homme/femme qui n'est pas une valeur négociable. Je propose qu'une future majorité de la droite et du centre dépose un texte sur ce sujet, le 3 juillet prochain, date anniversaire de la loi de 1905.
Enfin, ce combat contre le totalitarisme islamique doit faire l'objet d'une coalition internationale dans laquelle la France aura un rôle clef de facilitateur et de médiateur entre toutes les puissances concernées du fait de sa position particulière et de l'élection d'un nouveau Président de la République capable de fédérer toutes les grandes puissances.
En lien avec la Russie, les Etats-Unis et les pays arabes, la France doit redevenir une puissance internationale, souveraine et libre, capable de défendre nos civilisations face à la barbarie.
Dans le prolongement de la politique d'indépendance du Général De Gaulle et du magnifique discours de Dominique de Villepin à l'ONU, la France doit redevenir une grande puissance d'équilibre et de contrepoids à toutes les hégémonies dans le monde. En lien avec la Russie, les Etats-Unis et les pays arabes, la France doit redevenir une puissance internationale, souveraine et libre, capable de défendre nos civilisations face à la barbarie. C'est unis, forts et fiers de nos valeurs que nous pourrons éradiquer le terrorisme. Sur tous les continents, nous devons combattre les terroristes qui tentent de nous diviser et de nous faire reculer.
L'élection présidentielle française de 2017 est un rendez-vous historique pour protéger les Français de périls extérieurs et intérieurs qui n'ont jamais été aussi élevés depuis des décennies. Nous devons voter en conscience et avec gravité, avec la connaissance de ces enjeux. Pour vaincre le terrorisme et le totalitarisme islamique, il nous faut un chef d'Etat à la hauteur des enjeux, François Fillon, et une majorité parlementaire forte et déterminée à ses côtés. Les Français ont les clefs de leur avenir et de leur sécurité entre leurs mains. Dimanche, sans état d'âme, nous devons voter au nom de l'intérêt de la France, de la liberté de notre patrie et de la sécurité de notre peuple.
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Renaud Girard : après Daech, comment sauver le Moyen-Orient ? (28.10.2016)

Publié le 28/10/2016 à 20h39

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un entretien fleuve, Renaud Girard décrypte les stratégies d'influence des Etats-Unis, de la Russie et des acteurs régionaux au Levant. Pour le Grand reporter, seul un réalisme assumé peut amener à ne pas répéter les erreurs passées en Irak et en Syrie.

Renaud Girard est géopoliticien, grand reporter et correspondant de guerre. Chroniqueur international du Figaro, journal pour lequel il a couvert les principaux conflits de la planète depuis 1984, il est également professeur de Stratégie à Sciences Po Paris. Il a notamment publié Retour à Peshawar(éd. Grasset, 2010) et dernièrement Le Monde en guerre (éd. Montparnasse, 2016).

FIGAROVOX. - La bataille de Mossoul a commencé. Peut-on dire qu'il s'agit du début de la fin pour l'État islamique?
Renaud GIRARD. - Il s'agit du début de la fin pour l'État islamique en tant qu'État, de la fin de cette espèce de Sunnistan qui a essayé de vivre de manière indépendante. En revanche ce n'est pas la fin de l'organisation terroriste «État islamique». Il faut bien faire la différence. On a trop souvent dit que l'État islamique n'était pas un État. La BBC dit toujours «te so called Islamic State» («le soi-disant État Islamique»). Pourtant, Daech contrôle un territoire, qui, certes, se réduit. Il dispose d'une administration et de tribunaux, qui nous paraissent certes barbares. Il y a aussi une hiérarchie civile avec le Calife Abou Bakr al-Baghdadi et militaire avec les anciens généraux de l'armée de Saddam Hussein. Enfin, l'État islamique prélève l'impôt. Daech a donc bien les éléments constitutifs d'un État. L'État islamique va donc disparaître comme État, mais pas comme organisation terroriste. Sur le terrain militaire à Mossoul, à l'image de toutes les guerres asymétriques, les militants islamistes sont passés maîtres dans l'art de l'esquive. Ils ne vont pas avoir la sottise de se prêter à un combat frontal. Ils vont reculer, s'évaporer, laissant des milliers de pièges et de mines derrière eux. Ils vont donc préférer la dissimulation pour ressurgir ailleurs. On peut par exemple penser au désert libyen. De plus, la fin prochaine de Daech en tant qu'État contrôlant un territoire (ni même son éventuelle disparition en tant qu'organisation terroriste, ce qui n'est pas à l'ordre du jour) n'implique la fin des attentats islamistes en Occident. Il y a eu des attentats avant Daech, il y en aura après, ils seront juste commis sous le drapeau d'autres organisations.
Il y a encore près d'un million et demi de civils à Mossoul. Alors que les opinions occidentales se sont émues de la situation à Alep, à quoi peut-on s'attendre sur un plan humanitaire pour cette bataille urbaine qui s'engage?
Pour l'instant, la situation à Mossoul est très dure pour les civils, principalement parce que Daech enlève des habitants pour s'en servir comme boucliers humains. Les Américains et la coalition internationale arriveront-ils à Mossoul à un résultat plus rapide, plus efficace que l'Armée syrienne à Alep, laquelle obtient des résultats très mauvais et utilise la torture, l'emprisonnement politique à vaste échelle? Cela reste à voir. On ose imaginer que cela a été pensé et qu'on ne va pas rééditer les erreurs passées de l'Irak. La bonne idée serait de faire en sorte que ce soient les tribus sunnites qui, elles-mêmes, se débarrassent des djihadistes de Daech. Si ça fonctionne, ça serait un très grand succès. L'Histoire est imprévisible, attendons de voir.
La plupart des observateurs parlent de crimes de guerre à Alep. La Russie s'est empressée de faire savoir qu'elle constatait aussi des crimes de guerre à Mossoul. Qu'en pensez-vous?
Quand il y a une guerre, il y a toujours des crimes de guerre! La guerre n'est pas belle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Japonais en ont commis. Ils ont ensuite été sanctionnés lors du procès de Tokyo. Mais qu'en est-il du bombardement américain de Tokyo par bombes incendiaires en 1944 qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts civiles? N'était-ce pas aussi des crimes de guerre? Le bombardement aérien n'est pas nouveau, il n'a pas commencé à Alep. En 1944, quand les Américains veulent mettre pied sur le continent européen, la ville de Saint-Lô est entièrement rasée la nuit du 6 au 7 juin 1944 parce que les Américains pensaient qu'il y avait des Allemands dans la gare. Il se trouve qu'il n'y en avait pas… mais il aurait pu y en avoir. Pourtant, cela ne donne pas raison aux nazis pour autant! Croire que dans la guerre, il n'y a que des militaires qui meurent, c'est une vision naïve de l'histoire. Ceci a pu correspondre à certaines guerres pendant une période relativement courte de l'histoire, disons de la bataille de Fontenoy en 1744 - «Messieurs les Anglais, tirez les premiers» - jusqu'à la Guerre de 14. Mais dès la Première Guerre mondiale, il y a eu beaucoup de civils tués et des atrocités commises.
Quand il y a une guerre, il y a toujours des crimes de guerre !
Ce qui est immoral, c'est la guerre! C'est pour ça que je combats dans mes écrits depuis trente ans le néoconservatisme et tous les acteurs politiques qui pensent, à la suite du sénateur Jackson aux États-Unis et dans une mauvaise interprétation du philosophe Leo Strauss, que leur idée de la justice, de la démocratie et des droits de l'Homme est plus importante que la paix et peut s'imposer par la force. En défenseur du réalisme politique, c'est-à-dire en Metternichien ou en Kissingerien, je pense que la paix est le bien le plus précieux.
Contrairement à ce que l'on pense parfois, la position réaliste n'a rien de cynique. Les réalistes ne sont pas des désabusés qui entre la paix et la démocratie choisiraient la paix. Au contraire, je pense que ce choix est illusoire, car il ne peut pas y avoir de démocratie s'il n'y a pas la paix. Comme la paix est la condition de la démocratie, vouloir imposer la démocratie par la force, comme le souhaitent les néoconservateurs, est un contresens. C'est ce que prouve l'exemple irakien: l'invasion de l'Irak a non seulement plongé le pays dans le chaos et nourri le terrorisme islamiste, mais en plus l'Irak n'a pas progressé d'un pouce vers la démocratie. Les Irakiens ont perdu la paix, mais n'ont pas gagné la liberté.
Quel est votre regard sur la situation à Alep?
La souffrance des populations civiles à Alep est intolérable. Si notre compassion était réelle, nous ne resterions pas là, les bras ballants, nous contentant d'une indignation médiatique de bon aloi. Nous passerions à l'action. Mais pour agir, il faut tenir compte des réalités, car, par définition, la réalité exerce un pouvoir de contrainte. Comme disait Lacan, «le réel, c'est quand on se cogne.» Or, ici, la réalité, c'est que des exactions sont commises des deux côtés et que nous ne pouvons pas intervenir militairement contre Bachar, ne serait-ce que parce qu'il est protégé par la Russie et que nous n'avons personne à mettre à sa place. Il faut donc prendre les réalités telles qu'elles sont et parler avec Bachar.
C'est le réalisme seul qui pourra sauver Alep.
D'ailleurs, c'est le réalisme seul qui pourra sauver Alep. C'est justement parce que cette guerre est horrible qu'il faut parler avec Bachar. Bachar appartient à un clan qui est au pouvoir depuis 46 ans. Il est soutenu par les Russes et l'Iran, représente l'appareil d'État, est puissant militairement et a le soutien d'une partie importante de la population (toutes les minorités, mais aussi une partie des sunnites), c'est donc un acteur incontournable. Et, puisqu'on ne fait de la politique que sur des réalités il faut lui parler (comme il faut aussi parler aux rebelles salafistes), même si c'est désagréable. Si la guerre est si longue et sanglante, c'est parce que Bachar et les rebelles représentent tous deux l'une des faces de la société syrienne, qui est très polarisée: il n'y aura donc pas de sortie de crise si on refuse de parler aux rebelles ou à Bachar. Si on ne parle pas à Bachar, nous n'aurons jamais la paix et le bain de sang continuera. N'oublions pas qu'il a fallu parler aux Serbes pour faire les accords de Dayton et en finir avec la guerre de Bosnie. Si on avait parlé à Bachar et si on avait proposé/imposé une médiation, il n'y aurait pas aujourd'hui le massacre d'Alep. En rompant avec lui, nous nous sommes donc privés de tout moyen de négociation avec lui, ce qui l'a incité à durcir sa répression. Nous avons donc une part de responsabilité dans les massacres par notre refus de parler à Bachar. La vraie morale (qui est d'aider les habitants d'Alep) se moque de nos indignations.
Si notre compassion pour Alep est sincère, alors nous devons surmonter notre répugnance instinctive (et légitime) et accepter de parler avec Bachar pour sauver ce qui peut encore l'être.
Pour Alep, je propose la solution suivante: ne pas attendre un grand règlement global de la question syrienne, mais conclure une paix locale. Pour cela, les rebelles doivent déposer les armes et en appeler à l'ONU, aux États-Unis, à la Russie (qui, en tant que soutien de Damas, peut contrôler le régime syrien) et à la Turquie (qui est le protecteur des rebelles) pour garantir leur sécurité et s'assurer que le régime syrien ne commettra pas d'exactions contre eux.
Ne faudrait-il pas en plus venir en aide aux rebelles à Alep?
Non. À Alep, il y a deux catégories de gens: les rebelles et les civils, qui sont utilisés comme boucliers par les rebelles. Ce sont les civils qu'il faut aider (par la diplomatie et l'action humanitaire), pas les rebelles. Les rebelles sont des militants islamistes, qui se livrent à de nombreuses exactions.
Méditons les leçons du passé. Ne commettons pas la même erreur qu'en Afghanistan où pour lutter contre les Soviétiques, nous avons nourri un serpent dans notre sein en soutenant Ben Laden ou le fanatique Gulbuddin Hekmatyar (responsable de la mort de 10 soldats français en 2008). Ne commettons pas la même erreur qu'en Irak où le renversement d'un dictateur laïc et inoffensif pour l'Occident a déstabilisé toute la région et mené au chaos, à la persécution des chrétiens et à Daech.
Méditons les leçons du passé. Ne commettons pas la même erreur qu'en Afghanistan où pour lutter contre les Soviétiques, nous avons nourri un serpent dans notre sein en soutenant Ben Laden.
N'oublions pas que, comme le décrivait déjà Michel Seurat, Alep est une ville où l'implantation islamiste est très ancienne. En 1973, Hafez el-Assad propose une constitution laïque, mais des émeutes islamistes éclatent à Hama, Oms et surtout à Alep (qui est la deuxième ville du pays, le poumon économique). Il accepte de faire une concession en faisant inscrire dans la Constitution que le Président doit être musulman.
Le principal groupe rebelle à Alep est le Front Al-Nosra, branche syrienne d'Al Qaeda. Pour des raisons médiatiques. En reprenant le nom antique de «Cham» pour désigner la Syrie, il montre son mépris pour la réalité nationale moderne de la Syrie. Or, ce groupe a commis de nombreuses exactions. Le 9 septembre 2013, la ville historique chrétienne de Maaloula, au nord de Damas, est attaquée par le front Al-Nosra. Dans la ville, les djihadistes saccagent alors les églises, occupent les monastères et tuent au moins 20 civils et en enlèvent 15 autres. Le 11 décembre 2013, Al-Nosra a infiltré la ville industrielle d'Adra (au nord-est de Damas): au moins 32 civils alaouites, chrétiens, druzes et ismaélites ont été massacrés. Certaines personnes ont été décapitées.
À cause de son idéologie et de ces exactions, Al-Nosra n'a pas bonne presse auprès de l'opinion syrienne. D'après un sondage mené en juillet 2015 en Syrie par l'institut international ORB, 63% des Syriens ont une mauvaise image d'Al-Nosra (22 plutôt négative et 41 très négative). En mars 2016, des centaines d'habitants sunnites de la ville de Ma'arrat al-Numan (nord-ouest) ont manifesté dans les rues, au péril de leur vie, pour demander le départ du Front al-Nosra.
À Alep, il reste encore beaucoup de civils. Pourquoi les rebelles n'ont-ils pas pris le contrôle de toute la ville? Parce que beaucoup d'habitants d'Alep leur sont hostiles. La principale division entre rebelles et factions progouvernementales n'est pas fondée sur une opposition confessionnelle, car tout le monde est sunnite - à l'exception de la minorité chrétienne, favorable au régime - mais principalement sur des divisions sociales et sur un clivage historique et géographique entre les populations qui sont urbaines depuis longtemps (à l'ouest), qui forment les classes commerçantes et qui sont hostiles à Al-Nosra et les populations d'origine rurale, plus pauvres et beaucoup plus islamistes (à l'est).
Si les rebelles gagnaient, il y aurait de grands massacres à Alep et ils formeraient un émirat islamique, à la fois imitation et rival de Daech, d'où des attentats seraient lancés contre Israël et contre l'Occident (notamment pour pouvoir rivaliser médiatiquement avec les attentats de Daech). Souvenons-nous que les attentats du 11 septembre 2001 (les plus meurtriers de l'histoire du terrorisme), ceux de Madrid en 2004, ceux de Londres en 2005 et ceux de Charlie Hebdo (les frères Kouachi se revendiquant de Al-Qaeda dans la Péninsule Arabique) sont l'œuvre d'Al-Qaeda. De même que l'assassinat du consul américain en Libye en septembre 2012. Souvenons-nous aussi que Merah se réclamait d'Al Qaeda. D'ailleurs, juste après les attentats de novembre 2015 à Paris, Al-Nosra, bien que rivale de Daech, a émis un communiqué pour dire qu'elle approuvait les attentats et félicitait Daech. En outre, il serait vraiment étrange de combattre Al-Qaeda au Mali comme nous le faisons, en engageant pour cela la vie de nos soldats et l'argent du contribuable, et en même temps de soutenir Al-Qaeda en Syrie.
On ne saurait mettre Bachar et Al-Nosra sur le même plan, car Al-Nosra est allergique à la liberté religieuse, dont Bachar est le garant.
On ne saurait donc mettre Bachar et Al-Nosra sur le même plan, car Al-Nosra est allergique à la liberté religieuse, dont Bachar est le garant. De plus, Al-Nosra, qu'Assad combat à Alep, appartient à une organisation (Al-Qaeda) qui, comme Daech, commet des attentats contre nous, tue nos enfants dans nos rues, ce que ne fait absolument pas Bachar. Souvenons de l'histoire. Staline était un dictateur sanguinaire, mais la France a fait une grave erreur en refusant de nous allier avec lui en en 1935. Heureusement que les Alliés l'ont soutenu à partir de 1941, sinon le nazisme aurait triomphé. La différence entre Hitler et Staline est que Staline ne voulait pas attaquer la France et n'était donc pas notre ennemi principal. Aujourd'hui, c'est le djihadisme sunnite qui est notre ennemi principal. Pas Bachar.
Pour autant, je ne pense pas que les puissances occidentales doivent renoncer aux opérations militaires. Seulement, elles doivent selon moi respecter trois conditions avant toute intervention. En plus de l'indispensable respect du droit international, elles doivent s'assurer qu'elles ont un interlocuteur crédible pour remplacer le dirigeant qu'elles vont renverser, que l'intervention va améliorer le sort concret des populations locales et que cette intervention, très coûteuse et payée par le contribuable, servira aussi leurs propres intérêts. Or, aucune de ces conditions ne serait respectée par une attaque contre Bachar. Le veto russe à l'ONU nous mettrait en violation du droit international. Nous n'avons personne à mettre à la place de Bachar. Son renversement plongerait encore un peu plus la Syrie dans le chaos. Et cette intervention, non seulement ne nous rapporterait rien, mais en plus nous mettrions en danger en renforçant nos ennemis islamistes. Dans ce contexte, il faut donc préférer la diplomatie à la guerre.
Qu'en est-il de la situation des civils dans les guerres modernes?
Dans les guerres contemporaines, asymétriques, ce sont les civils qui meurent.
Dans les guerres contemporaines, asymétriques, ce sont les civils qui meurent. Lorsque les Américains ont pris l'Irak ou lorsqu'ils ont fait la guerre en Afghanistan, ils ont bombardé massivement des rassemblements de population. Il y a eu beaucoup de bavures. Il se trouve que j'ai couvert ces deux conflits. En Afghanistan il y a eu le bombardement d'un mariage. 140 civils sont morts. Pourquoi ces bombardements? Parce que l'armée américaine avait décidé d'aider le gouvernement afghan de Hamid Karzai à reconquérir le territoire afghan contre des militants islamistes. Aujourd'hui, de la même façon, la Russie a décidé de prêter main-forte au régime de Bachar al-Assad pour l'aider à contrôler son territoire contre des rebelles islamistes. Les Occidentaux n'ont donc aucune leçon à donner. Il y a eu deux phases dans l'intervention russe. D'abord en septembre 2015 la phase de sauvetage du régime parce que Damas allait tomber. Il faut bien comprendre que si ça avait été le cas, on aurait eu un génocide des alaouites et des druzes et, avec de la chance, tous les Chrétiens auraient été expulsés vers le Liban et toutes les églises de Damas brûlées (voire purement et simplement massacrés). Un fait est révélateur des projets des rebelles. Le Front Al-Nosra a baptisé son opération de conquête d'Alep «Opération Ibrahim Youssef», en hommage au terroriste Ibrahim Youssef qui a massacré 83 cadets alaouites dans l'école militaire d'artillerie d'Alep en 1979. Ensuite, dans un second temps, les Russes - et l'on peut bien sûr critiquer cette option - ont décidé d'appuyer la tentative de Bachar al-Assad de reconquérir par la force le territoire perdu aux mains des rebelles. La façon dont l'Armée syrienne (dont les officiers ont été formés par les Soviétiques) reprend ou tente de reprendre Alep ressemble à celle des Russes quand ils ont repris Grozny en Tchétchénie avec des bombardements considérables sur la ville. Les Russes ne connaissent pas et ne maîtrisent pas vraiment les frappes dites chirurgicales. Finalement, c'est déjà la manière dont les Soviétiques ont pris Berlin en 1945.
La Turquie a annoncé qu'elle pourrait intervenir dans la bataille de Mossoul. Après l'opération turque «Bouclier de l'Euphrate» en Syrie, peut-on s'attendre à une opération «Bouclier du Tigre» en Irak?
La Turquie considère comme un atout et c'en est un ! le fait que son armée est sunnite.
La Turquie considère comme un atout - et c'en est un! - le fait que son armée est sunnite. C'est aussi une très bonne armée qui n'est pas si loin de la zone du conflit. Il y a un néanmoins un problème majeur. Erdogan a choisi une ligne politique néo-ottomane. Il considère que les anciennes provinces ottomanes sont les vassaux de la Turquie. On se demande si, sous le prétexte de combattre l'Etat islamique, qu'ils ont longtemps aidé, armé et financé avant que Frankenstein ne se retourne contre eux, et les Kurdes du PKK, qui sont toujours leur première priorité, les Turcs ne veulent pas en profiter pour étendre leur domination régionale de sorte à créer une sorte d'Empire turc. Ceci risque d'être très compliqué car il y a un gouvernement irakien qui est soutenu par la France, les USA, la Russie, l'Iran, la Chine, bref par la communauté internationale. Bagdad a déjà prévenu les Turcs: vous n'êtes pas les bienvenus! Maintenant, il est évident diplomatiquement que la lutte contre l'Etat islamique ne se fera pas contre la Turquie, mais avec elle.
En Irak, les populations sunnites ont-elles raison de craindre des représailles chiites?
La guerre d'invasion anglo-saxonne de 2003 en Irak a provoqué une guerre civile entre les chiites et les sunnites, qui n'existait pas avant. Rappelons que la Première guerre du Golfe a eu lieu entre l'Irak et l'Iran de 1980 à 1998. Les soldats de l'Armée irakienne, majoritairement chiites, se sont battus contre les chiites iraniens. C'est donc un phénomène récent qui a été engendré par les secousses de la guerre d'Irak de 2003.
En géopolitique, le ressenti des populations est plus important que la réalité vue de loin.
En géopolitique, le ressenti des populations est plus important que la réalité vue de loin. Après l'invasion américaine, les chiites furent mis au pouvoir par les Américains. Depuis les populations sunnites témoignent d'une très grande méfiance envers eux. C'est la raison pour laquelle de nombreuses tribus sunnites se sont ralliées à l'Etat islamique qui, de leur point de vue, les protégeait contre un Etat qu'elles considéraient comme persécuteur et ce, même si cette persécution n'était pas toujours flagrante. Aujourd'hui, il y a un réel effort de l'Armée irakienne pour mettre sur pied des unités sunnites. Il a été dit d'ailleurs que les unités qui rentreront à Mossoul ne seraient ni chiites, ni kurdes, mais seront des arabes sunnites.
Prenez Bagdad, les quartiers de la capitale se sont transformés en zones ethniquement pures. Il va falloir beaucoup de finesse pour apaiser ces tensions communautaires. Il y a eu dans le passé des représailles chiites, mais je pense que là, tout est en place pour éviter de telles exactions. C'est d'ailleurs une guerre qui se fait au milieu de centaines d'observateurs. Il y a notamment beaucoup de journalistes. Massacrer des civils ne serait pas si facile.
Vous parliez des velléités néo-ottomanes de la Turquie. Est-ce qu'il n'y a pas aussi des velléités néo-perses de l'Iran?
Sans le vouloir, les Américains ont donné l'Irak aux Iraniens. Pour Téhéran, c'était une surprise providentielle. On peut dire que l'ambassadeur d'Iran à Bagdad est au moins aussi important que son homologue américain. Cependant, il y a des différences idéologiques et religieuses. Les chiites irakiens respectent un marjah. C'est l'ayatollah Ali al-Sistani et non les ayatollahs d'Iran. L'ayatollah Sistani condamne le système politique iranien du Velayat-e Faghih, c'est-à-dire le «gouvernement des clercs». A Téhéran, le gouvernement doit appartenir à ceux qui sont savants en religion. C'est pour ça que c'est un religieux, le Guide suprême, qui est tout en haut du système politique iranien. Les chiites irakiens, tout proches qu'ils soient des Iraniens, n'ont pas installé chez eux un Velayat-e Faghih. De plus, l'Irak est arabe alors que l'Iran est perse et au moins 20% de la population est sunnite (à quoi il faut ajouter 15% de Kurdes, très majoritairement sunnites). L'Iran entretient des relations extrêmement étroites avec l'Irak, mais ça n'en fait pas une colonie iranienne.
François Hollande a déclaré qu'il fallait penser à l'après-Mossoul. Sur les ruines de l'État islamique, pourrait-on reconstruire un État unitaire irakien ou s'achemine-t-on vers une généralisation du modèle fédéral, notamment à l'égard des sunnites, sur le principe du Kurdistan irakien d'Erbil largement autonome de Bagdad?
Personne ne veut donc casser la carte du Moyen-Orient. Il va falloir constituer des provinces autonomes.
Comme le disait le Général de Gaulle, il faut prendre les réalités telles qu'elles sont. On ne reviendra pas sur l'autonomie du Kurdistan irakien inscrite dans la Constitution irakienne de 2003. Au-delà du cas kurde, personne ne veut un redécoupage des États. On s'aperçoit que cela fonctionne mal. On a essayé sous la pression des Américains au début des années 2000 en Afrique. On a créé de toutes pièces un État qui s'appelle le Sud-Soudan. C'est très chaotique. Il y a une guerre entre les deux principales tribus qui a fait déjà plus de 50 000 morts. Personne ne veut donc casser la carte du Moyen-Orient. Il va falloir constituer des provinces autonomes. La province sunnite, qui n'aura peut-être pas autant d'autonomie que la province kurde, aura pour capitale Mossoul avec ses propres milices sunnites pour maintenir l'ordre et combattre les djihadistes. Il y aura aussi une grande province chiite qui montera quasiment jusqu'à Bagdad. La capitale Bagdad deviendra une sorte de Bruxelles, d'Islamabad ou de Washington, une zone où Sunnites, Chiites et Kurdes vivront ensemble, mais de façon séparée.
À Alep en Syrie, la trêve humanitaire n'a pas tenu plus de trois jours. Quelles conséquences pourrait avoir une reprise d'Alep pour le régime de Bachar al-Assad?
Si l'Armée syrienne avance à Alep depuis son offensive du 22 septembre, c'est que 5000 combattants rebelles ont quitté Alep pour aller se battre avec l'Armée turque.
Si l'Armée syrienne avance à Alep depuis son offensive du 22 septembre, c'est que 5000 combattants rebelles ont quitté Alep pour aller se battre avec l'Armée turque dans l'opération «Bouclier de l'Euphrate» contre l'Etat islamique et les Kurdes à la frontière avec la Turquie et la Syrie. C'est ce qui a permis à l'Armée syrienne d'avancer car elle ne s'est pas montrée extrêmement brillante sur le terrain. Elle a besoin des Russes, du Hezbollah libanais, des milices chiites et des forces spéciales iraniennes. Si Bachar arrive à récupérer Alep, ce sera un symbole très fort. Alep était la capitale économique, je le dis à l'imparfait car les industries sont dévastées. Dans cette hypothèse, Bachar al-Assad tiendra la frontière avec le Liban, tiendra bien Damas, tiendra le littoral alaouite (Lattaquié, Tartous) et tiendra enfin Alep.
Pourrait-il aller au-delà pour reconquérir l'ensemble de la Syrie?
Les Russes demeurent sensibles et écoutent leurs interlocuteurs occidentaux.
Je ne le pense pas. D'abord parce que les Russes n'ont pas les mêmes intérêts que Damas: les Russes demeurent sensibles et écoutent leurs interlocuteurs occidentaux. Les discussions au format Normandie ont été houleuses à Berlin mais elles ont eu lieu. Après avoir parlé de la crise ukrainienne et une fois que le président Petro Porochenko est parti, Vladimir Poutine s'est retrouvé avec Angela Merkel et François Hollande. C'est dans ce cadre que les Russes ont décidé de s'abstenir de bombarder Alep pendant une semaine. Je ne suis donc pas sûr que les Russes, une fois qu'ils auront sauvé la Syrie utile et les Chrétiens, souhaitent s'engager plus avant. Quant à Bachar al-Assad, comme je vous le disais, son armée est assez faible. Depuis le début du conflit, elle compte déjà 80 000 morts, la plupart alaouites. Le régime de Damas ne pourra militairement ni reconquérir les zones kurdes - les forces combattantes YPG du parti kurde PYD ont montré qu'ils savaient très bien se battre -, ni reprendre la région d'Idleb où les rebelles sont soutenus par les Turcs, ni s'étendre dans le désert sunnite. Surtout, il va y avoir un phénomène de lassitude du Hezbollah qui a perdu beaucoup d'hommes et qui est très critiqué sur ce point au Liban. La solution pour la Syrie est donc la même que pour l'Irak, c'est-à-dire des zones autonomes kurde, sunnite et alaouite, la zone alaouite rassemblant par ailleurs la plupart des minorités et une partie de la bourgeoisie sunnite, proche du parti Baas de Bachar al-Assad.
On parle moins dans la presse aujourd'hui de l'emprise des pays du Golfe, notamment de l'Arabie Saoudite, en Syrie ou en Irak. Sont-ce les perdants provisoires de cette nouvelle donne?
L'Arabie Saoudite est triplement affaiblie.
L'Arabie Saoudite est triplement affaiblie. D'abord par la baisse du prix du pétrole. Ensuite par son échec patent au Yémen: on voit que son instrument militaire est extrêmement faible. Riyad n'est pas capable de faire face aux rebelles houthistes qui représentent au Yémen un certain type de chiisme. Enfin par le fait que les Occidentaux commencent à se rendre compte que l'Arabie Saoudite est la matrice des mouvements djihadistes. En 1979, après l'attaque de La Mecque, il y a eu un pacte secret qui a été établi. Les dirigeants du pays ont expliqué à leur jeunesse islamiste: vous faites ce que vous voulez à l'étranger, vous pouvez lever tous les fonds privés que vous voulez, mais vous ne remettez pas en cause la dynastie des Saoud. Ce pacte très dangereux a eu les conséquences que l'on connaît sur le développement mondial du djihadisme et il est aujourd'hui très affaibli, ce qui explique le risque d'instabilité interne en Arabie Saoudite. Il en va de même du pacte du Quincy, qui porte le nom du croiseur américain où il a été scellé en février 1945 entre Franklin Roosevelt et le roi Ibn Saoud et qui a été renouvelé par George W. Bush en 2005.
Quand ce pacte entre Washington et Riyad a été scellé en 1945, l'Iran était un allié des Etats-Unis. La politique américaine était alors sur deux jambes au Moyen-Orient. À partir de la révolution iranienne en 1979, les Américains ont perdu Téhéran. Cela n'a-t-il pas produit un grand déséquilibre?
Le fait que les Américains aient perdu l'Iran en 1979 a bouleversé leur équilibre au Moyen-Orient.
Effectivement, le fait que les Américains aient perdu l'Iran en 1979 a bouleversé leur équilibre au Moyen-Orient. Il faut dire d'ailleurs qu'ils n'ont pas fait preuve d'un grand sang-froid… Quand le Shah est tombé, Washington a choisi de prendre des demi-mesures, ce qui n'est jamais bon en géopolitique. Soit ils choisissaient la manière forte, renversaient le Schah comme ils avaient renversé Mohammad Mossadegh en 1953 et mettaient un militaire à la place pour maintenir un régime pro-américain. Soit, à l'inverse, ils acceptaient la révolution islamique. On aurait pu penser que Washington allait peu à peu renouer ses relations diplomatiques avec l'Iran au cours des années 1990. Ça n'a pas été le cas par une sorte d'obstination et de rigidité intellectuelles dans la pensée géopolitique américaine. De ce point de vue là, même si c'est arrivé trop tard, l'Iran (et Cuba) sont les grands succès de Barack Obama.
Comme vous le dîtes, une politique américaine sensée doit effectivement reposer sur deux jambes, la jambe sunnite d'une part et la jambe chiite d'autre part. Mais on pourrait même dire qu'elle devrait reposer sur plus de deux jambes car l'Egypte devrait être plus importante que l'Arabie Saoudite. L'université Al-Azhar devrait compter davantage que les cheiks wahhabites! Or, aujourd'hui, l'Arabie Saoudite est aussi affaiblie parce que, aux Etats-Unis, l'opinion commence à se poser des questions… On n'a pas pu résister aux demandes d'enquête sur les responsabilités de l'Etat saoudien dans le 11 septembre. Et ce n'est qu'au début.
Au-delà du cas saoudien, les Etats du Golfe sont affaiblis au Moyen-Orient?
Les Emirats Arabes Unies, qui sont un allié de la France, sont farouchement opposés aux frères musulmans et plus largement à l'islam politique.
Il y a des divisions fortes entre eux. Les Etats du Golfe sont unis quand il s'agit d'intervenir contre des adversaires non-sunnites comme au Yémen ou au Bahreïn. C'est d'ailleurs assez ironique de voir Al-Jazzera donner des leçons de morale pour la Syrie et oublier ce qui s'est passé au Bahreïn. Dans ce petit Etat, il y avait une majorité chiite qui voulait une monarchie constitutionnelle promise par le Royaume-Uni après son retrait en 1971. L'Arabie saoudite a envoyé les chars... Mais, sur d'autres plans, les Etats du Golfe ne sont pas unies. Ainsi, le Qatar soutient les frères musulmans. En revanche, les Emirats Arabes Unies, qui sont un allié de la France, sont farouchement opposés aux frères musulmans et plus largement à l'islam politique. Les EAU sont d'autant plus intéressants qu'ils ont réussi économiquement à l'image de Dubaï ou d'Abou Dhabi. Avant la guerre, c'était Beyrouth qui était la capitale financière du Moyen-Orient, aujourd'hui, c'est Dubaï qui n'est pas fondé sur l'argent du pétrole, mais sur celui du commerce.
Les Américains ont-ils perdu la main au Levant?
Que les Américains aient perdu la main au Levant, c'est évident.
Que les Américains aient perdu la main au Levant, c'est évident. Il suffit d'une rapide comparaison historique pour s'en rendre compte. En 1991, après avoir libéré le Koweït, les Américains étaient la référence. Véritable hyperpuissance, ils ont habilement gagné la guerre contre l'Irak en s'alliant par exemple avec la Syrie d'Hafez al-Assad à laquelle ils ont donné le Liban en vassalité à la conférence de Taëf en octobre 1989. On a tendance à l'oublier mais le moralisme n'a pas toujours imprégné la classe politique américaine… Aujourd'hui, ils n'ont plus la main en Syrie, au Liban, en Irak, en Turquie ou en Egypte. Il leur reste la Jordanie. Quant à la Libye, qui a la main? On ne le sait pas encore, mais certainement pas Washington. Les Etats-Unis sont incapables d'empêcher le retour en fanfare de la Russie dans la région. Mais le souhaitent-ils vraiment? Washington s'en porte assez bien depuis qu'Obama a décidé qu'il allait «rule from behind» (gérer depuis l'arrière) les affaires du Moyen-Orient.
Où est passée la voix de la France? A-t-elle définitivement disparu?
La France a malheureusement complètement disparu du Moyen-Orient .
La France a malheureusement complètement disparu du Moyen-Orient alors qu'elle avait un rôle très important à jouer. Nous ne sommes même plus invités aux grandes conférences sur la Syrie alors que nous sommes l'ancienne puissance mandataire. Notre pays a commis l'erreur de devenir le caniche des Etats-Unis sans s'apercevoir qu'un caniche ne sert à rien. Bien sûr, je suis favorable à l'alliance avec les Etats-Unis, mais être allié ne signifie pas aligné. En Syrie, entre le défilé de Bachar al-Assad en 2008 et aujourd'hui, nous avons eu une diplomatie en zigzag. La diplomatie se joue d'abord à moyen et long terme. Elle ne peut pas être fondée sur les émotions, mais doit l'être sur le calcul de nos propres intérêts nationaux. Nous avions en Syrie et en Iran l'opportunité de jouer le rôle d'honest broker (= «intermédiaire honnête») entre ces deux pays et les Etats-Unis. Nous avons renoncé à jouer ce rôle historique pour lequel notre tradition d'indépendance nous donnait l'avantage. Si nous sommes un allié exigeant de Washington, Washington nous respectera.
Deux axes doivent structurer notre politique moyen-orientale: d'une part, la lutte contre le terrorisme islamiste (et cette lutte doit se faire aussi sur notre sol!). D'autre part, une politique de médiations. La France n'apparait plus comme une puissance prédatrice au Moyen-Orient. Mais sa voix compte encore, notamment à cause de la politique arabe des Présidents de Gaulle et Pompidou puis de son opposition à la Guerre en Irak en 2003. Elle est alliée aux monarchies sunnites du Golfe, mais est respectée par l'Iran. Elle parle à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens. Notre pays pourrait proposer quatre grandes médiations pour favoriser une détente globale dans la région: une médiation pour la Syrie, une médiation pour réconcilier l'Iran chiite et les pétromonarchies sunnites, une médiation Israël/Palestine et une médiation Israël/Iran. C'est seulement avec une politique réaliste que nous pourrons retrouver notre influence au Moyen-Orient.
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Laurent Bouvet : «Valls paie son républicanisme et son intransigeance laïque» (29.06.2017)
Publié le 29/06/2017 à 16h14

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Manuel Valls a récemment annoncé qu'il quittait le parti socialiste pour rejoindre la majorité présidentielle. Laurent Bouvet revient sur les raisons du désaveu de l'ancien Premier Ministre et montre que ce départ est la marque de la déliquescence inexorable du PS.


Laurent BOUVET est professeur de Science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publiéL'Insécurité culturelle chez Fayard en 2015. Son dernier livre, La gauche Zombie, chroniques d'une malédiction politique, est paru le 21 mars 2017 aux éditions lemieux. Il est l'une des principales figures du Printemps Républicain.

FIGAROVOX. - L'ancien Premier ministre, Manuel Valls a annoncé mardi qu'il quittait le Parti socialiste, après trente-sept ans d'adhésion. À l'Assemblée, il siégera au sein du groupe LREM, comme député apparenté. Que cela vous inspire-t-il? Est-ce un symbole fort de la décrépitude du PS?
Laurent BOUVET. - C'est une nouvelle dont il me semble que personne ne doive se réjouir, notamment au PS, contrairement à ce que j'ai entendu de la part de responsables socialistes, ici ou là.
D'abord parce que le départ de Manuel Valls après 37 années d'adhésion au PS, est le signe que ce parti est en train de disparaître, corps et biens. Qu'est-ce que le PS en effet sinon les hommes et les femmes qui le composent? Or Manuel Valls était un des principaux dirigeants socialistes ces dernières années.
Plus aucun socialiste français n'est favorable à la révolution pour abattre l'ordre capitaliste.
Ensuite parce que ce départ de Valls du PS annonce aussi un parti qui se recroqueville idéologiquement, qui perd cette pluralité d'approches et de visions du monde qui a fait sa richesse depuis 40 ans. Et Valls, héritier d'une partie du rocardisme en même temps que représentant d'une gauche républicaine assumée au sein du PS représentait une des tendances importantes dans ce vaste ensemble socialiste. Aujourd'hui, si le PS déjà bien atteint du point de vue électoral et financier se rabougrit sur une forme de radicalité qui le rapproche d'un Mélenchon comme sur une forme de vision libérale du point de vue culturel, sur les mœurs comme sur les questions d'identité collective, qui ne le distingue pas de la vulgate qu'on trouve du gauchisme aux Républicains en passant par En Marche, alors il n'a plus d'utilité. Et sa mort électorale, sociologique si je puis dire, sera aussi une mort idéologique. Les deux corps du parti disparaîtront.
Enfin parce que pour Valls lui-même, c'est une longue marche dans le désert aride du macronisme qui commence. Il aura du mal à redevenir un élément central du jeu politique dans les conditions actuelles. Son rôle pourtant indispensable de vigie de la gauche républicaine est entaché par les nombreuses erreurs tactiques qu'il a commises depuis son départ de Matignon.
On se souvient qu'il a été l'un des premiers à vouloir changer le nom du PS et de ses 5% à la primaire du PS en 2012. A-t-il jamais été socialiste?
Il y a toujours deux manières de répondre à une telle question. Une première, fonctionnelle si l'on peut dire, consistant à dire que tout membre du PS peut légitimement se dire socialiste. Le socialisme à la française se définissant très largement par sa structuration partisane dans l'espace politique. Les socialistes ainsi qu'ils s'appelaient au début du XXème siècle, venant d'horizons très différents, se sont regroupés en 1905 dans un «parti socialiste» unique, la SFIO. C'est de là que cette appellation a pu se développer, notamment après 1920 et la séparation avec les communistes. Mais la nature très pluraliste du PS dès son origine a toujours conduit à une difficulté de définir le socialisme substantiellement. Donc, oui, de ce point de vue, Valls a été socialiste pendant ses années d'appartenance au PS. Il en incarnait l'un des courants, l'une des sensibilités. Et ce bien au-delà de ses velléités de changer le nom du parti ou de son score à la primaire de 2012.
Si l'on adopte un point de vue plus substantiel donc, si l'on essaie de définir le socialisme comme un corps de doctrine, il devient en revanche très difficile de répondre à la question tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux. D'ailleurs, quand tel ou tel, politique ou intellectuel, vous dit: le socialisme, c'est ça ou on ne peut être socialiste que si l'on croit à ça ou ça… Mieux vaut se méfier. Nul dans la tradition socialiste n'est légitime précisément, hors définition commune du parti éponyme, pour énoncer ce qui serait «la» bonne définition du socialisme. Par exemple, plus aucun socialiste français aujourd'hui n'est en faveur de la socialisation des moyens de production, pas plus qu'aucun socialiste français n'est favorable à la révolution pour abattre l'ordre capitaliste… Les socialistes sont des démocrates et reconnaissent le système de l'économie de marché et du capitalisme qui l'accompagne comme un état de fait sinon idéal et désirable du moins incontournable. Ils sont en fait «régulationnistes», plus ou moins, selon leurs sensibilités. Et au regard de nombreux aspects des libéraux farouches, comme quand il s'agit de défendre les droits individuels et leur croissance permanente dans la société. Valls n'était-il pas socialiste si l'on s'en tient là? La lutte pour l'égalité et la justice sociale dont pas un socialiste ne dira qu'elle est illégitime les caractérise-elle en propre? Non assurément. Pas plus que l'attention au service public ou à la redistribution fiscale. Ce sont des questions de degré bien plus que de nature qui définissent aujourd'hui le socialisme par rapport à d'autres approches doctrinales, soit sur sa gauche soit sur sa droite.
Donc dire que Valls n'est pas socialiste ou qu'il ne l'a jamais été au regard de ses idées et de ce qu'il a défendu quand il était au pouvoir est sujet, a minima, à discussion.
Que faut-il retenir de la carrière de Manuel Valls au PS? Quels sont les moments forts de son parcours politique?
Il me semble qu'il y a d'abord sa proximité avec Michel Rocard, avec les idées de la deuxième gauche telles qu'elles se sont traduites au PS. Il en est l'héritier tardif évidemment, une fois que le rocardisme a enfin triomphé avec l'accession de son champion à Matignon en 1988. Mais il est aussi celui qui aux côtés de Lionel Jospin va continuer, avec quelques autres venus du rocardisme justement, de pousser à la «modernisation» du PS comme on disait à l'époque, à la fin des années 1990 et jusqu'en 2002. On est là dans un moment à la fois de synthèse entre traditions de la première et de la deuxième gauche, et de lutte contre le blairisme et la 3ème voie qui emporte la quasi-totalité de la social-démocratie européenne à l'époque. Il me semble que Valls a été au moins autant «fait» politiquement par ce moment que par son rocardisme de jeunesse.
Valls incarne l'échec du quinquennat, d'autant plus qu'il se présente, lui, aux élections, alors que Hollande y a renoncé.
Après 2002, il va assumer directement la casquette «réformiste» à l'aile droite du parti. De manière assez solitaire d'ailleurs, ce qui est une autre caractéristique de son parcours au PS. Il n'a jamais voulu en effet créer son propre courant en «se comptant» lors d'un congrès par exemple. Il a essayé comme d'autres de sa génération de prendre de l'ascendant sur ses camarades dans les années 2000 mais sans succès. Il a toujours privilégié finalement le ralliement à un leader (après Rocard et Jospin, Royal puis Hollande) et à la majorité du parti. En 2011, il va enfin se mettre à son propre compte en se présentant à la primaire. Et son score, très modeste, ne l'empêchera pas de jouer un rôle clef auprès de Hollande dans la campagne. On peut y voir la démonstration de qualités politiques arrivées à maturité, ou au moins de grande habileté. En se rendant indispensable une fois au pouvoir, il a pu accéder à Matignon, égalant ainsi ses deux mentors Rocard et Jospin.
Valls incarne aujourd'hui une gauche républicaine et laïque. Cela a-t-il toujours été le cas?
Il me semble que cette orientation date essentiellement de l'exercice du pouvoir pour Valls, comme si cela lui avait révélé une part de lui-même, l'avait aidé à poser sa personnalité politique après des années passées à cultiver plutôt son côté social-libéral, héritier réformiste assumé de la deuxième gauche. Sans doute parce qu'il a bien compris que la gauche de gouvernement emmenée par Hollande avait besoin de verticalité républicaine. Et qu'il a occupé le vide créé en la matière par la désignation puis la victoire hollandaise. Il a pu d'ailleurs ainsi laisser s'exprimer une forme d'autorité très marquée chez lui, flirtant parfois avec l'autoritarisme, qui est un trait de sa personnalité souligné par tous ceux qui l'ont connu depuis ses débuts au PS. Cette orientation républicaine, laïque, clémenciste… est donc plutôt à mes yeux une forme de cristallisation de ce qu'il était déjà à l'occasion de l'exercice du pouvoir, dans le ministère ô combien régalien de la place Beauvau.
Quel a été le tournant sur ces questions pour lui?
Son accession à l'Intérieur, dès 2012 évidemment. C'est le moment où il se réalise dans ce rôle, pouvant enfin laisser s'exprimer son républicanisme qui souvent était apparu à rebours des idées de ses camarades au PS: qu'on se rappelle le débat sur l'interdiction de la burqa notamment en 2010. Mais je dirais aussi que l'expérience qu'il a vécue des attentats terroristes comme premier ministre à partir du début 2015 l'a totalement installé dans un tel rôle, lui a donné un véritable statut en la matière, notamment à l'occasion de son admirable discours du 14 janvier 2015 devant l'Assemblée nationale. Il y a très peu d'occasions de ce genre dans une vie politique. Il a été capable de la saisir et de montrer sa stature d'homme d'État.
Après, ses déclarations ont surtout contrebalancé l'inaction du président de la République en la matière. Elles ont pu paraître parfois excessives ou du moins incantatoires mais elles prenaient place dans le contexte tout à fait nouveau d'une France attaquée par le terrorisme islamiste. On ne peut les comprendre sans ce double arrière-plan: l'insuffisance hollandaise et la violence nouvelle de l'époque.
Son élection à Évry a été violemment contestée. La haine que suscite Manuel Valls jusque dans son camp politique est-elle liée à ses positions sur les thématiques évoquées plus haut?
Cette violence qui lui a été réservée témoigne du fait qu'il polarise nombre des déceptions et des haines que l'on trouve aujourd'hui au sein de la gauche, dans son acception la plus large. Valls incarne à la fois l'échec du quinquennat, d'autant plus qu'il se présente, lui, aux élections, alors que Hollande y a renoncé. C'est donc lui qui «assume» cet échec devant les électeurs, à la primaire comme à Évry. Il incarne également cette version de la gauche républicaine, exigeante en matière de laïcité et ferme sur les principes au regard des demandes identitaires et communautaristes qui déchirent le lien social chaque jour un peu plus. Donc cela ne plaît pas à ceux qui s'en sont fait les porte-parole politiques, au sein de l'extrême-gauche en particulier mais aussi au sein du PS. On reproche aussi à Valls, et c'est assez paradoxal si l'on y réfléchit bien, à la fois sa fidélité jusqu'au-boutiste, à Hollande, et ses errements depuis qu'il a été candidat à la primaire: abandon du 49.3, soutien à Emmanuel Macron plutôt qu'à Benoît Hamon, candidature hors PS à Évry… L'addition de tout cela ne lui donne évidemment pas un bon score de popularité, à gauche notamment. Même si je suis persuadé qu'il conserve des soutiens solides parmi nos concitoyens, au moins dans le respect de l'homme du 14 janvier 2015.
Son usage du 49.3 lui est sans doute moins reproché que son républicanisme et de son intransigeance laïque.
Cela traduit-il une fracture profonde à gauche sur ces thèmes?
Oui, tout à fait. Celle-là même que Valls a parfaitement résumée sinon théorisé quand il a parlé de «gauches irréconciliables». Elles le sont bien davantage sur ces questions que sur l'économie et le social, contrairement à ce que l'on pense habituellement, tant chez les sociaux-libéraux que chez les plus radicaux.
Certains lui reprochent également la loi El-Khomri…
Il endosse ici une responsabilité collective même si sur l'usage du 49.3 comme à un moment de la négociation il a eu une responsabilité propre qu'il appartiendra aux historiens d'établir précisément.
Mais il me semble que ce n'est pas cela qui marque l'échec du quinquennat pour nos compatriotes, et finalement ce n'est pas cela qui sera retenu contre Valls, malgré la très forte polarisation à l'extrême gauche sur ce point à son encontre. En tout cas, c'est sans doute moins fort que le rejet de son républicanisme et de son intransigeance laïque. Conformément à ce que je vous disais sur la cause de la fracture à gauche.
Ce qui s'est joué par exemple avec la déchéance de la nationalité, voulue à tout prix par Hollande contre l'avis de tous ses proches, Valls inclus, a été au moins aussi important pour détruire l'image de la gauche de gouvernement pendant ce quinquennat que la loi El Khomry. D'ailleurs, il ne me semble pas que les contempteurs de celle-ci aient particulièrement brillé lors des élections. Les projets en la matière de la nouvelle majorité, derrière le nouveau président de la République, montrent même qu'une large partie de nos concitoyens, et à gauche, ne sont pas opposés à la réforme du Code du travail. Alors qu'ils le sont profondément, viscéralement, à la déchéance de la nationalité. Les marqueurs ultimes sont davantage d'ordre culturel qu'économique ici. Le cas de Valls l'illustre bien.
La sensibilité républicaine de Valls peut-elle être un atout pour la nouvelle majorité?
Difficile à dire aujourd'hui. Elle devrait en tout cas être utilisée comme telle car il y a ce que l'on pourrait appeler un angle mort sur ces questions dans le projet du nouveau pouvoir. Or il s'agit, comme indiqué ci-dessus, de quelque chose de fondamental pour le pays, pour les Français. La définition de ce que nous sommes, de notre identité commune, et de ce que nous voulons continuer d'être ne se résume pas à l'indispensable amélioration des conditions économiques et sociales de ceux qui souffrent le plus durement de la crise depuis des années.
Un projet politique qui ne prendrait pas cela en compte ne peut réussir. Redonner espoir à la France et aux Français passe par la maîtrise de l'ensemble de ces dimensions, notamment face aux populismes et aux tentations identitaires qui se font jour de toutes parts.
Manuel Valls a compris ça, mieux que d'autres assurément, et ce malgré tout les reproches que l'on peut lui faire sur son action durant le quinquennat Hollande.
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Pourquoi comparer les musulmans d'aujourd'hui avec les juifs d'hier est inacceptable (03.07.2017)
Publié le 03/07/2017 à 15h37

FIGAROVOX/ANALYSE - De nombreuses figures de la gauche dénoncent souvent la critique de l'islam comme une pratique comparable à l'antisémitisme des années 1930. Barabara Lefebvre s'oppose à ces comparaisons fallacieuses.

Barbara Lefebvre, professeur d'histoire-géographie, elle a publié notamment Élèves sous influence (éd. Audibert, 2005) et Comprendre les génocides du 20è siècle. Comparer - Enseigner (éd. Bréal, 2007). Elle est co-auteur de Les Territoires perdus de la République (éd. Mille et une nuits, 2002).Les analogies historiques venimeuses

On s'indigne, à raison, que le prédicateur Hani Ramadan ait déclaré très récemment via Twitter que «le nazisme n'a pas disparu: il a seulement remplacé le juif par le musulman». Mais pourquoi n'a-t-on rien entendu lorsque les autorités de la Grande mosquée de Paris ont tenu des propos identiques? L'islam «modéré» de son recteur bientôt en retraite a lui aussi le goût de la captation victimaire au mépris de l'histoire. Dans sa «Proclamation de l'islam en France» rendue publique en mars 2017, inspirée par le politologue Thomas Guénolé inventeur du mot islamopsychose - énième néologisme pour décrire les ténèbres dans lesquels sont plongés les Musulmans de France - Dalil Boubakeur déclare en préambule que la Grande mosquée de Paris «s'alarme du fait que l'islamophobie et l'islamopsychose françaises soient de nos jours assurément comparables en gravité à l'antisémitisme français de la fin du XIXe siècle».
Pourquoi n'entend-on rien quand Edwy Plenel s'empare du sujet juif pour dénoncer la situation de parias dont les Musulmans - il emploie toujours l'article défini pour marquer qu'il s'agit d'une catégorie générale d'êtres - seraient victimes en France? Ainsi avait-il capté il y a quelques temps un beau texte de Zola sur l'antisémitisme datant de 1896 (avant l'affaire Dreyfus) intitulé «Pour les Juifs» pour dresser une analogie avec cette haine antimusulmane que Plenel décèle dans une large partie du monde intellectuel et politique français.
Plenel est le gourou de cette gauche qui ne s'intéresse aux couches populaires que quand elles sont musulmanes.
Ce livre, Pour les Musulmans, reprend tous les poncifs de l'islamogauchisme dont Jean Birnbaum a brillamment rappelé les origines idéologiques et les corruptions tant sémantiques qu'intellectuelles. Plenel est le gourou de cette gauche qui ne s'intéresse aux couches populaires que quand elles sont musulmanes, cette gauche qui dénonce les «paniques identitaires» et ne voit que paranoïa et racisme dans le combat idéologique que mènent les adversaires de l'islam politique. Le déni du réel n'a pas ici la candeur de ceux qui veulent vivre paisiblement comme des autruches, au contraire, cette gauche morale et inquisitrice a ses cibles, ses obsessions: traquer (jusqu'au prétoire si besoin) les mal-pensants qui osent voir et dire ce qu'ils voient pour paraphraser Peguy.
En 2011, Marwan Muhammad, tout à son œuvre de victimisation pour provoquer le ressentiment de l'éternel humilié musulman, s'était aussi prêté à cette analogie: «c'est l'histoire d'un pays qui chaque jour bascule un peu plus dans l'islamophobie. Ce pays, ce n'est pas l'Allemagne des années 30. C'est la France des années 2010. Cette façon de nommer un culte, cette façon de nommer des croyants, cette façon de les stigmatiser et de dire qu'ils posent problème et qu'ils mettent en péril l'identité du pays, c'est exactement la manière dont on stigmatisait les Juifs au début du siècle dernier. C'est pas dans l'Allemagne des années 30 qu'on mitraille des mosquées». N'en jetez plus, la coupe est pleine.
On comprend aisément que les adeptes de l'islam politique incarnés en Europe occidentale par les frères Ramadan aient des difficultés à entrevoir les subtilités de l'histoire, eux les petits-fils et héritiers ‘spirituels' d'Hassan al-Bâna fondateur de la Confrérie des Frères Musulmans d'inspiration fasciste. Leur agenda politico-religieux, calqué sur celui de leur illustre grand-père en version 2.0, fonctionne sur l'identitarisme islamique, le complotisme victimaire, la vindicte perpétuelle pour laver les humiliations dont les Musulmans sont victimes quand les Infidèles chrétiens et/ou Juifs ont le malheur de les dominer en politique ou au combat.
En matière de nazisme et d'antisémitisme, Ramadan sait de quoi il retourne : les proximités idéologiques et financières entre la Confrérie et le IIIè Reich ont été démontrées par nombre d'historiens.
Rien d'étonnant donc. En matière de nazisme et d'antisémitisme, Ramadan sait de quoi il en retourne: les proximités idéologiques et financières entre la Confrérie et le IIIè Reich ont été démontrées par nombre d'historiens, avec le mufti de Jérusalem Al-Husseini comme intermédiaire zélé avec les autorités de Berlin, puis après la guerre avec Sayid Qutb, le prolifique Goebbels islamique. Laissons le donc à ses tweeteries.
Mais pourquoi les propos de Boubakeur inspirés par Guénolé, de Plenel, Muhammad, de Todd et consorts ne sont-ils pas interrogés? Jamais il ne leur est demandé d'expliciter cette comparaison historiquement, factuellement. En quoi la situation des Musulmans qui vivent en France aujourd'hui est-elle comparable à celle des Juifs à la veille de la disparition de près de la moitié du peuple juif? Parce que c'est ce qu'on entend en creux dans ce type de comparaison: un génocide se prépare contre les Musulmans de France. Rien que ça! Qui le prépare intellectuellement, politiquement, concrètement? On compte sur les vigies de l'«islamopsychose» pour débusquer les planificateurs du génocide qui vient.
Ces vigies de l'islamophobie-islamopsychose n'ont pas dû lire beaucoup de livres d'histoire quand ils convoquent ce sujet sur un ton grave. Dans la France des années 1890-1900, puis des années 1930, le climat était tout autre qu'en 2017: les publications antisémites étaient nombreuses et les formations politiques fondées sur l'obsession antijuive actives, ayant pignon sur rue et imprégnant une large part de la droite française. L'antidreyfusisme en fut une illustration. La gauche révolutionnaire n'était en outre pas épargnée par l'antisémitisme au nom de l'anticapitalisme.
Où sont les journaux appelant à la haine antimusulmane et à leur exclusion totale du corps civique ?
Quelle nouvelle affaire Dreyfus, pourraient-ils bien nous sortir de leurs chapeaux? Songent-ils aux caricatures publiées par Charlie Hebdo ou au pitoyable débat sur le projet de déchéance de la nationalité pour les terroristes? Où sont les journaux appelant à la haine antimusulmane et à leur exclusion totale du corps civique? Où sont les revues comme Le Grand Occident, Le Réveil du peuple, la Libre parole ? À moins que Le Figaro qui ouvre ses colonnes à Zemmour ou Polony ne soit dans le collimateur de ceux qui osent se réclamer de Zola et du dreyfusisme, comme Plenel, pour exercer leur vindicte? À moins que Causeur qui laisse s'exprimer librement Finkielkraut soit un journal fasciste préparant les masses à l'extermination des Musulmans de France? À moins que La Revue des Deux mondes qui publie Caroline Fourest ou Elisabeth Badinter n'annonce rien moins que le retour de la peste brune?
En France aujourd'hui, des Musulmans sont, à ma connaissance, libres de se constituer en association pour exprimer et revendiquer leur vision identitaire singulière comme en témoignent le CCIF ou le PIR. Ces associations ‘antiracistes' souvent rejointes par la LDH ou le MRAP, qui trouvent des alliés bienveillants au Bondy Blog ou dans la Revue du crieur, exercent une vigilance de tous les instants au point d'entraver la liberté d'expression commune quand il s'agit de critiquer l'islam politique ou de dénoncer l'antisémitisme transmis comme une vulgate dans nombre de familles musulmanes, cet «antisémitisme déjà déposé sur la langue, dans la langue» comme l'a dit Smaïn Laacher.
Il serait temps que ces analogies malsaines soient combattues par tous ceux qui ont à cœur de faire vivre le débat d'idées dans le champ démocratique antitotalitaire.
Il serait temps que ces analogies malsaines soient combattues par tous ceux qui ont à cœur de faire vivre le débat d'idées dans le champ démocratique antitotalitaire. Il est insensé qu'une autorité religieuse représentative comme la Grande mosquée de Paris, que des personnalités associatives ou médiatiques, ne trouvent pas d'autres arguments pour défendre leur cause que la comparaison avec le sort funeste des Juifs de France il y a un siècle. Il va falloir que la ritournelle de la menace d'un «retour aux heures sombres de notre histoire» cesse de servir à tous les amalgames, en particulier au service de certains antisémites de l'idéologie indigéniste qui n'aiment rien tant que se comparer à ceux qu'ils honnissent. Ne leur en déplaise, il n'y a pas de palmarès victimaire dont il s'agirait de déloger les Juifs de la plus haute marche du podium. Ce palmarès n'existe que dans leur fantasme.
Les Juifs n'ont jamais proclamé avoir l'exclusivité du statut de victime de l'Histoire. Ils témoignent de leur vécu, pour éviter que cela n'arrive à d'autres, et accessoirement à eux de nouveau s'il leur est encore permis d'espérer. L'histoire des Juifs est longue en temps et en kilomètres parcourus. Elle leur a donné une certaine intuition du réel, et surtout aux Juifs d'en bas: ceux du ghetto, du mellah ou de la cité des ‘quartiers populaires'. Cette invention du palmarès victimaire vient précisément des antisémites qui ne supportent ni la survie du plus ancien peuple de l'Antiquité occidentale, ni sa résilience, et moins encore sa renaissance nationale. Les Juifs ont des existences individuelles dans le pays où ils vivent, mais qu'ils le veuillent ou non, ils ont aussi un destin collectif, l'histoire l'a montré depuis l'expulsion d'Espagne jusqu'à la Shoah. Leur incroyable capacité à faire vivre cette double identité, particulière et universelle, est vécue comme un outrage par ceux qui en sont incapables. Et cela déchaîne toutes les haines, toutes les rancunes.
Mais, une question s'impose à ces donneurs de leçon d'histoire comparée: quelle ‘religion' (si tant est que l'identité juive se résume à une religion) est victime d'attaques ciblées en France actuellement? Sébastien Sellam, Ilan Halimi, Jonathan Sandler, Arieh Sandler, Gabriel Sandler, Myriam Monsonego, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada, Sarah Halimi: tous sont morts, ici en terre de France, coupable de n'avoir commis qu'une ‘faute', être juifs. Ciblés et assassinés parce que juifs par un concitoyen se revendiquant de son islamité.
Dans l'article 24 de la proclamation de la Grande mosquée de Paris, il est écrit que le djihad guerrier « n'est autorisé qu'en situation de légitime défense contre un agresseur ».
Voila où est la mission d'un représentant de l'islam en France et de ces personnalités qui invoquent l'histoire pour l'instrumentaliser politiquement: déraciner la haine antijuive ancrée chez de nombreux Musulmans de France qui prend le plus souvent la forme du complotisme. Ne serait-ce pas plus utile que leur dire qu'ils vivent dans un pays où se développe l'air putride annonçant leur génocide? D'ailleurs, dans l'article 24 de la proclamation de la Grande mosquée de Paris, il est écrit que le djihad guerrier «n'est autorisé qu'en situation de légitime défense contre un agresseur».
On ne comprendrait pas qu'averti de la survenue prochaine d'un plan d'extermination, le musulman ne considère pas légitime de s'en prendre, par avance, à ses supposés bourreaux! Pour avancer sur le chemin de la raison, il faudrait qu'ils admettent que la «question juive» tient une place centrale dans la pensée islamique, que la concurrence avec la matrice juive est un impensé de la civilisation musulmane dès l'islam des origines. Ils ne peuvent pas continuer à trier dans le texte coranique ce qui les arrange: invoquer le Coran mecquois, pour satisfaire les non-Musulmans qui attendent une parole de paix, pour faire oublier le Coran médinois qui appelle à tuer ces «chiens de yahoudi» en prenant modèle sur les actions de Mohamed dont le premier acte de guerre fut d'exterminer les tribus juives de l'oasis de Khaybar. Or la règle de l'abrogation veut qu'en cas de paroles contradictoires, les versets médinois - ceux de l'islam militaire, hégémonique et intolérant - prévalent sur les versets mecquois - ceux de l'islam spirituel et respectueux des autres religions.
Point essentiel: il faudrait des savants de l'islam qui cessent de penser les Juifs comme des falsificateurs de la parole divine ainsi que le Coran les décrits en racontant qu'Ezra aurait volontairement falsifié la Torah lors de son passage à l'écrit pour substituer Ismaël à Isaac dans l'épisode de la ligature et dès lors capter l'héritage abrahamique et la primauté de l'Alliance divine. Ezra (4è siècle avant JC), figure centrale de la tradition juive, est aussi accusé par l'islam d'avoir ouvert la voie à l'insoumission envers Dieu en favorisant l'avènement du débat exégétique rabbinique ouvrant sur l'univers talmudique. L'interprétation talmudique étant considérée comme blasphématoire pour l'islam, alors qu'elle est le cœur vivant du judaïsme.
Par cette vision coranique du peuple juif falsificateur et menteur, les germes de l'antijudaïsme plantés par l'islam des origines ont fait florès.
C'est sur cette seule base (‘les Juifs avec et après Ezra ont falsifié la Torah') que le Coran leur dénie le droit d'être souverains sur leur terre, sinon aucun verset coranique ne remet en cause «le don» de la terre d'Israël au peuple juif. Mais par cette vision coranique du peuple juif falsificateur et menteur, les germes de l'antijudaïsme plantés par l'islam des origines ont fait florès, enrichi par l'antisémitisme européen il y a un siècle.
Autre point de divergence sensible qui mériterait attention: du point de vue théologique et philosophique, la morale juive accorde au libre arbitre de l'individu une place prépondérante, l'être humain peut agir pour le bien ou pour le mal, il est une créature divine dont le rôle est de parfaire l'œuvre de Dieu. La morale islamique considère, elle, que le monde crée par Dieu est parfait, qu'il n'appelle aucune amélioration humaine, que sa parole ne supporte aucune interprétation, seule la soumission totale de l'humanité à Dieu verra s'accomplir la mission confiée à Mohamed. Quand l'islam acceptera qu'il puisse exister un espace où la responsabilité morale de l'individu est entière, que l'exil est un état dans lequel le Musulman peut vivre sans se perdre aux côtés de populations différentes de lui, que l'obsession de l'unicité ne peut que produire le mal absolu, alors peut-être que les racines de la haine antijuive seront arrachées, car ces trois éléments (responsabilité morale de l'individu, possibilité de l'exil, et acceptation de la diversité humaine) sont au cœur de l'antinomie autant que de la réconciliation de l'islam avec le judaïsme, et peut-être de l'islam avec un monde qui n'est que diversité et multitude.
La France laïque et démocratique n'est-elle pas le pays idéal pour réaliser enfin la véritable Nahda dont le monde musulman a besoin, au moment où son apparente force incarnée par la terreur jihadiste, masque peut-être davantage les préludes de sa chute et de sa fin?
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Barbara Lefebvre

Les Tunisiennes de confession musulmane vont pouvoir se marier avec des non-musulmans (15.09.2017)
La rédaction avec AFP | Le 15 septembre 2017
Une circulaire vieille de 44 ans, qui encadrait l’union des Tunisiennes de confession musulmane, a été annulée à la demande du président Béji Caïd Essebsi. Elles pourront désormais se marier dans leur pays avec des non-musulmans, les circulaires ministérielles empêchant ces unions ayant été abolies, a annoncé jeudi la porte-parole de la présidence.
«Tous les textes liés à l'interdiction du mariage de la Tunisienne avec un étranger, à savoir la circulaire de 1973 et tous les textes semblables, ont été annulés. Félicitations aux femmes de Tunisie pour la consécration du droit à la liberté de choisir son conjoint», a déclaré Saïda Garrach, porte-parole de la présidence de la République, avocate et militante féministe. Il y a plus d'un mois, le 13 août, le président Béji Caïd Essebsi avait annoncé avoir demandé au gouvernement de retirer cette circulaire.
Fin du certificat de conversion à l'islam
Une violation du droit fondamental de tout être humain à choisir son conjoint
Les organisations de la société civile avait ces derniers mois lancé une campagne sur cette question. Ces circulaires, – il en existe plusieurs outre celle de 1973 –, «procèdent de mesures discriminatoires. Elles sont contraires à la Constitution qui stipule l'égalité entre hommes et femmes et sont une violation du droit fondamental de tout être humain à choisir son conjoint», avaient dénoncé dans un communiqué des militants des droits humains, dont le Collectif pour les libertés individuelles.
Si elles voulaient que leur mariage soit reconnu ou célébré en Tunisie, les Tunisiennes épousant des non-musulmans devaient jusqu'ici fournir le certificat de conversion à l'islam de leur futur mari. Quelques-unes auraient réussi au prix d'une bataille juridique à faire reconnaître leur mariage sans ce document, selon une avocate active dans ce domaine.
Héritage toujours divisé de moitié pour les femmes
Prochaine avancée sociétale dans le pays ? L'égalité femmes-hommes en matière d'héritage. La Tunisie dispose d'une législation avancée en matière d'émancipation des femmes, édictée en 1957 par le premier président, Habib Bourguiba. Ces lois abolissant notamment la polygamie sont encore d'avant-garde dans le monde arabo-musulman, mais elles n'ont pas touché à la loi islamique en matière d'héritage. Le 13 août 2017, jour de la femme en Tunisie, le président Béji Caïd Essebsi avait également lancé le débat sur ce sujet délicat, jugeant que le pays se dirigeait inexorablement vers l'égalité «dans tous les domaines». En attendant, les femmes continuent d'hériter généralement de la moitié de ce qui revient aux hommes, comme le prévoit le Coran.
"Hwages", la vidéo qui fait scandale en Arabie Saoudite

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Le Drian : «Les musulmans premières victimes» du terrorisme (25.11.2017)

Mis à jour le 25/11/2017 à 16h11 | Publié le 25/11/2017 à 15h50

Les musulmans «sont souvent les premières victimes» du terrorisme, a souligné samedi à Pékin Jean-Yves Le Drian, au lendemain d'un carnage dans une mosquée en Égypte, condamnant «l'intolérance et la barbarie» d'une attaque survenue en pleine prière.
Le ministre français des Affaires étrangères, en visite en Chine jusqu'à dimanche, a indiqué à l'AFP avoir fait part à son homologue égyptien Sameh Choukry de «l'émotion de la France (...) aux côtés (de l'Égypte) face à ce drame».
Au moins 305 fidèles qui assistaient à la prière hebdomadaire dans une mosquée du nord-est de l'Égypte ont été tués vendredi par des hommes armés, l'attaque la plus meurtrière dans l'histoire récente de ce pays.
«Ce n'est pas la première fois que le terrorisme frappe des musulmans. Ce sont souvent les musulmans qui sont les premières victimes du terrorisme qui se réclame du fondamentalisme islamiste», a insisté M. Le Drian.
«Cette cible (montre) l'intolérance et la barbarie», a-t-il ajouté, rappelant par ailleurs qu'une autre communauté religieuse égyptienne, les Coptes chrétiens, avait été sévèrement frappée l'an dernier.
L'attaque de vendredi s'est produite à 40 km à l'ouest de la capitale de la province du Nord-Sinaï, une région où les forces de sécurité combattent la branche égyptienne du groupe jihadiste Etat islamique (EI).
«Le mode opératoire et le lieu, les méthodes, nous laissent penser que c'est un groupement affilié à Daech (acronyme arabe de l'EI, NDLR)» qui est responsable de l'attaque, a observé le ministre français.
«Ce n'est pas parce que l'EI a perdu son emprise territoriale qu'il a perdu sa volonté néfaste pour la sécurité et l'équilibre du monde», a-t-il insisté, appelant à «la grande vigilance de la communauté internationale».

Philippe d'Iribarne : «Les musulmans sont-ils discriminés ?» (26.11.2017)
Mis à jour le 26/11/2017 à 17h59 | Publié le 26/11/2017 à 17h13

FIGAROVOX/TRIBUNE - L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) vient de publier un rapport sur les discriminations envers les musulmans. Or ce rapport, entièrement à charge contre les pays d'accueil, repose sur de graves fautes de méthode et des partis pris outranciers, explique le sociologue, ancien élève de l'École polytechnique et directeur de recherche au CNRS*.
Un fort courant de pensée dénonce le mauvais accueil que l'Europe réserverait aux musulmans, contribuant aux difficultés d'intégration de ces derniers. Ce courant inspire nombre d'études affirmant que les musulmans sont victimes d'«islamophobie». Une telle approche vient d'être illustrée par un rapport élaboré par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA). Le texte, intitulé «Second European Union Minorities and Discrimination Survey. Muslims - Selected findings», (septembre 2017), analyse les réponses de 10.527 personnes qui s'identifient elles-mêmes comme musulmanes dans quinze pays de l'Union. Or, dès qu'on examine de près les données recueillies, on voit qu'elles conduisent à des conclusions bien différentes de ce que le rapport prétend démontrer.
L'étude s'appuie uniquement sur des déclarations relatives à ce qui est ressenti par les personnes interrogées. Pourtant, ce qui est déclaré est identifié à ce qui advient effectivement. On trouve sans cesse des affirmations telles que: «Les musulmans ayant répondu rencontrent de hauts niveaux de discrimination», comme s'il s'agissait d'un fait avéré. Or, on trouve chez les personnes interrogées des conceptions très larges de ce qu'elles entendent par discrimination, en y incluant des différences de traitement conformes à la loi, liées à la nationalité. Rien n'est mis en œuvre dans l'étude pour savoir si une attitude globale plutôt hostile envers la société d'accueil pousserait certains à qualifier de discrimination des réactions fondées en réalité sur des raisons nullement discriminatoires, tel un déficit de compétence. De surcroît, ceux qui affirment que les musulmans en général sont discriminés sont beaucoup plus nombreux que ceux qui se déclarent discriminés personnellement. Dans cette étude, en France, 75 % des musulmans déclarent qu'il existe une discrimination sur la base de la religion alors que seulement 20 % déclarent s'être sentis personnellement discriminés sur cette base au cours des cinq dernières années. On trouve, en réponse aux mêmes questions, 72 % et 30 % en Suède, 59 % et 19 % en Belgique, 26 % et 10 % en Espagne, etc. La croyance, que l'on retrouve au sein de la population en général, selon laquelle les musulmans seraient discriminés en raison de leur religion outrepasse donc largement la réalité. Par ailleurs, «les musulmans» en général sont supposés traités sans distinction par les sociétés d'accueil, en tant que musulmans ou vraisemblablement musulmans. L'état même de musulman est censé engendrer une réaction négative. Dès sa première phrase, le rapport annonce: «Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez postulé pour un emploi? Vous pouvez avoir craint que vos compétences informatiques soient insuffisantes, ou vous vous êtes tracassé à propos d'une faute d'orthographe dans votre CV. Mais, si vous êtes musulman ou d'origine musulmane et vivez dans l'Union européenne, votre nom peut suffire pour rendre certain que vous ne recevrez jamais d'invitation à un entretien d'embauche.» Or, en réalité, les données mêmes de l'enquête montrent qu'on observe, dans les pays de l'Union, des réactions très différenciées à l'égard de ceux qui se déclarent musulmans.
Ce n'est nullement l'ensemble, ni même la majorité des musulmans qui déclarent s'être sentis discriminés du fait de leur religion, mais une petite minorité: 17 % dans les cinq ans précédant l'enquête. On retrouve ce même caractère minoritaire quand il s'agit de harcèlement (du regard perçu comme hostile à l'acte de violence physique), ou encore des rapports avec la police. Dans ce dernier cas, parmi les personnes qui se déclarent musulmanes et qui ont été interrogées, seulement 16 % des hommes et 1,8 % des femmes indiquent se sentir discriminés. En fait, on a affaire à plusieurs sous-populations suscitant des réactions très contrastées. Tandis que la majorité ne se sent jamais discriminée, une minorité se sent discriminée à répétition - cinq fois par an en moyenne, jusqu'à quotidiennement pour une partie. Un tel contraste entre des groupes traités (ou qui se sentent traités) de manière aussi radicalement différente serait impossible si on avait affaire à une discrimination s'exerçant au hasard,liée au simple fait d'être musulman.
«L'interprétation, par le rapport, des sentiments à l'égard de la société d'accueil est toujours à sens unique»
Philippe d'Iribarne
Le rapport, en outre, fournit un ensemble de données distinguant les déclarations provenant de musulmans d'origines diverses (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Turquie, Asie), hommes et femmes, et vivant dans les divers pays de l'Union étudiés. En moyenne, ceux qui viennent d'Afrique du Nord sont plus de deux fois plus nombreux que ceux venant d'Asie (21 %, contre 9 %) à se déclarer discriminés sur la base de la religion. On retrouve ces différences, encore plus amples, pour le harcèlement et les rapports avec la police. Or rien n'est dit sur ce que ces différences sont susceptibles de devoir à des divergences de manière d'être des personnes concernées.
L'existence de limites au droit à l'expression des religions, spécialement dans l'entreprise, est bien notée. Mais il n'est jamais envisagé qu'une acceptation de ces limites chez les uns puisse coexister avec une rébellion à leur égard chez d'autres, cette différence d'attitude entraînant une différence de réactions des employeurs. Par ailleurs, les immigrés de seconde génération déclarent davantage rencontrer des réactions négatives du fait de leur religion que ceux de première génération (22 % contre 15 % pour les discriminations, 36 % contre 22 % pour le harcèlement). Mais il n'est jamais question, dans le rapport, de l'adoption, au sein de la seconde génération, d'une posture plus revendicative, susceptible de conduire à des comportements posant problème.
En arrière-fond du rapport, la vision de l'intégration mise en avant est celle d'une «accommodation mutuelle». Il est fait appel aux orientations du Conseil de l'Europe, «regardant l'intégration comme un processus dynamique à double sens d'accommodation mutuelle de tous les immigrants, y compris les musulmans, et des résidents». Mais, en pratique, le rapport incite uniquement à réclamer une adaptation à la société d'accueil. Il est question de racisme, de xénophobie, de «crimes causés par la haine».
En réalité, l'interprétation qui paraît la plus sensée des données d'enquête est que la grande majorité des musulmans ne pose aucun problème à la société d'accueil ; et que, corrélativement, ses membres sont traités comme tout un chacun. C'est seulement une petite minorité qui est source de problèmes pour la société d'accueil et suscite, de ce fait, des réactions négatives. Il est vraisemblable que les membres de cette petite minorité, refusant de reconnaître ce qui est dû à leur manière d'être, se déclarent discriminés.
En outre, l'interprétation, par le rapport, des sentiments à l'égard de la société d'accueil est toujours à sens unique. Les musulmans dans leur grande majorité déclarent se sentir à l'aise avec des voisins d'une religion différente ou prêts à voir leurs enfants épouser des non-musulmans. Selon le rapport, «presque tous (92 %) se sentent bien à l'idée d'avoir des voisins d'une autre religion» et presque un sur deux (48 %) n'aurait aucun problème «si un membre de sa famille épousait une personne non musulmane». Ce fait est l'objet d'une interprétation laudative. Le rapport dénonce, par contraste, les réactions peu favorables de l'ensemble de la population envers les musulmans, une personne sur cinq n'aimant pas avoir des musulmans parmi ses voisins et 30 % n'appréciant pas que son fils ou sa fille ait une relation amoureuse avec une personne musulmane. Selon le rapport, ces réponses prouvent que les musulmans sont plus ouverts et tolérants que les membres des sociétés d'accueil. Dans la comparaison ainsi faite, il n'est question que d'attitudes d'ouverture et de fermeture. L'étude ne porte aucune attention à la réalité des difficultés à vivre dans un univers où des personnes d'une autre culture peuvent tendre à imposer leurs mœurs.
«L'intensité de la pression sociale dans certains quartiers où les musulmans tendent à régenter les tenues et les conduites n'est jamais évoquée»
Philippe d'Iribarne
Il est bien noté, certes, que l'environnement institutionnel est sans doute meilleur dans les pays d'accueil que dans les pays d'origine et que cela peut intervenir dans le haut niveau de confiance que les personnes interrogées expriment envers les institutions du pays d'accueil. Mais l'intensité de la pression sociale dans certains quartiers où les musulmans tendent à régenter les tenues et les conduites n'est jamais évoquée. S'agissant du mariage, on ne trouve pas, dans l'étude, de questions séparées pour le mariage des filles et celui des garçons, alors que l'islam les distingue. On ne trouve pas davantage de mention des difficultés concrètes associées pour un non-musulman à un mariage avec un musulman: possibilité pour un conjoint musulman d'enlever les enfants en cas de séparation pour les amener dans un pays musulman, en étant protégé par la justice du pays en question ; pression à la conversion du conjoint non musulman.
Quand des sentiments de haine sont évoqués par le rapport, c'est toujours envers les musulmans et jamais provenant d'eux. Il est question de «harcèlement provoqué par la haine», de «harceleurs motivés par la haine». La place que tient la haine envers l'Occident au sein du monde musulman n'est jamais évoquée. Le fait que ceux qui se déclarent le plus discriminés soient aussi ceux qui déclarent le moins d'attachement à la société d'accueil est interprété, comme si cela allait de soi, comme une relation de cause à effet. Ce serait ceux qui sont le plus discriminés qui, pour cette raison, s'attacheraient le moins à la société qui les accueille. Cette relation à sens unique est postulée, en particulier quand il s'agit de radicalisation islamiste. Il n'est pas envisagé qu'on ait affaire à un effet inverse: une attitude de rejet de la société d'accueil liée à une conception «dure» de l'islam, engendrant à la fois des comportements qui suscitent des réactions négatives et une tendance à interpréter ces réactions comme des discriminations.
«L'étude ne se demande jamais pourquoi il existe un tel contraste entre une grande majorité des musulmans qui déclare ne jamais se sentir discriminée et une petite minorité qui déclare l'être intensément»
Philippe d'Iribarne
L'étude de l'Union européenne ne se demande jamais pourquoi il existe un tel contraste entre une grande majorité des musulmans qui déclare ne jamais se sentir discriminée et une petite minorité qui déclare l'être intensément. Ce contraste montre que l'on n'a pas affaire à des réactions globales à l'égard des musulmans en tant que tels, mais à des réactions différenciées, ce qui suggère que les manières d'être de chacun, considérées dans leur grande diversité, ont un rôle majeur. Pourtant l'étude affirme, comme si cela allait de soi, que les barrières à une pleine inclusion des musulmans dans les sociétés européennes ne sont imputables qu'à ces sociétés et sont exclusivement dues à «discrimination, harcèlement, violences motivées par la haine, fréquence des contrôles policiers». Ce sont ces expériences qui peuvent à la longue réduire l'attachement des populations concernées au pays où elles résident, soutient l'étude. Le communiqué de presse diffusé à la suite de la parution de l'étude indique, comme première solution aux problèmes d'intégration des musulmans, «des sanctions efficaces contre les violations de la législation de lutte contre la discrimination».
Alors que l'intention affichée par l'étude, comme de manière générale à la famille d'études à laquelle elle appartient, est d'être au service d'une meilleure intégration des musulmans, son effet tend à être exactement inverse. Elle incite les musulmans à croire, à tort, que leurs efforts d'intégration sont vains et donc à nourrir du ressentiment et à les détourner d'accomplir de tels efforts. L'étude sert involontairement, par ailleurs, les stratégies des islamistes militants qui travaillent à la construction d'une contre-société islamique hostile aux pays d'accueil et plus généralement à l'Occident.
* Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs sont devenus des classiques, tels «La Logique de l'honneur. Gestion des entreprises et traditions nationales» (1989) et «L'Étrangeté française» (2006).

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Philippe d'Iribarne
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Elisabeth Lévy: «Toutes victimes, tous coupables: tel est le credo du néo-féminisme» (11.11.2017)
Mis à jour le 12/11/2017 à 12h36 | Publié le 11/11/2017 à 16h04

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN.- La directrice de Causeur revient sur l'affaire Weinstein et le hashtag #BalanceTonPorc, qu'elle juge «infect». Elle s'inquiète, qu'au nom de la lutte légitime contre la contrainte sexuelle, on passe à une criminalisation du désir.

Élisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Son dernier numéro est consacré au «harcèlement féministe». Elle publie par ailleurs «Les Rien-pensants», un recueil de ses chroniques à Causeur

FIGAROVOX.- La une du nouveau Causeur s'intitule «Harcèlement féministe: arrêtez la chasse à l'homme». Les néo-féministes vous diraient que c'est l'homme «le prédateur» et qu'il est heureux que «la peur change de camp»…
Elisabeth LEVY.- Merci de parler de «néo-féminisme» car une partie du féminisme contemporain, dont
Une partie du féminisme contemporain a trahi son héritage libéral et libertaire pour s'adonner à deux passions - victimaire et punitive
l'influence et le poids médiatique sont d'ailleurs inversement proportionnels à la force numérique, a trahi son héritage libéral et libertaire pour s'adonner à deux passions - victimaire et punitive. Toutes victimes, tous coupables, tel est son crédo presque explicite. En effet, nos dames-patronnesses modernes ne se cachent pas, au contraire elles exposent avec fierté, comme un brevet de vertu, leurs pulsions policières et leur haine du désir masculin. Et comme vous l'observez, elles ne se contentent pas de vouloir punir les agissements criminels ou répréhensibles, ce que nous voulons tous et que la loi prévoit, elles veulent que «la peur change de camp». Quel aveu! Et quel idéal! Un siècle de féminisme pour en arriver à ce que les hommes aient peur. En somme, il faudrait remplacer la domination masculine (qui à mon avis a cessé depuis longtemps) par la domination féminine. Si c'est cela la justice, très peu pour moi!
Vous préférez que ce soient les femmes qui aient peur?
En somme, le seul horizon des relations entre les sexes serait de déterminer lequel a le plus peur de l'autre? Ce discours déprimant dresse un tableau mensonger de l'existence des femmes en France en supposant que, jusqu'à la merveilleuse libération de la parole que nous connaissons depuis un mois, toutes vivaient dans la crainte et le silence. Laure Adler évoque «la nuit de femmes» et écrit: «Nous les femmes qui sommes déshonorées, déconsidérées, violentées dans notre intégrité physique et psychique, dans notre dignité d'être humain.» Et puis, nous-les-femmes, connais pas. De quel pays parle-t-on, de l'Afghanistan? Non, on parle de la France, ce pays qu'un philosophe anglais du 18ème siècle appelait la patrie des femmes. Certes, tout n'est pas parfait: nos sociétés n'ont pas encore éradiqué le mal, le crime, la violence, et la redoutable propension des êtres humains à user de moyens déplorables pour satisfaire leurs désirs. Pour autant, est-il raisonnable de faire comme si la révolution féministe grâce à laquelle je suis née dans le monde de l'égalité n'avait jamais eu lieu? Peut-on parler de «culture du viol» parce qu'il y a des violeurs? Les barbons libidineux sont moqués depuis Molière, les prédateurs sexuels sont considérés comme des monstres et mal vus, même en prison. On compte les femmes partout, dans les entreprises, sur les plateaux de télé, dans les gouvernements et c'est à celui qui en aura le plus. Et la large palette des avanies subies par les femmes, allant de l'inégal partage des tâches ménagères au meurtre en passant par les inégalités salariales, la proposition indécente et l'agression, est sans cesse auscultée, disséquée et dénoncée. En conséquence je ne minimise pas les atteintes, réelles et graves, dont sont victimes des femmes, je conteste que ces atteintes soient la norme, et je conteste l'ampleur qu'on leur prête. Je continuerai à aimer la galanterie française, en espérant qu'elle ne disparaîtra pas complètement avant moi! Et puis, vous savez des femmes peuvent aussi s'offusquer d'être délaissées ou ignorées. Enfin, je ne voudrais pas briser vos rêves, mais il y a aussi des femmes et des hommes qui couchent, pour accélérer leur carrière et je crains que vous ne fassiez jamais disparaître ce genre de choses. Là où il y a du pouvoir et du sexe, il y a souvent de l'abus de l'un pour avoir l'autre, mais aussi toutes sortes de transactions dont on ne vous parle pas parce qu'elles contreviennent au récit irénique de douces agnelles en butte à la méchanceté des mâles.
«Pour les ayatollahs du sexual harassment, la simple manifestation du désir est d'ores et déjà un délit.»
Philippe Muray, Journal, 1991
Vous bottez en touche: les statistiques disent qu'une quasi-majorité de femmes sont harcelées au travail et dans les transports en commun.
Mais ces statistiques racontent n'importe quoi puisqu'elles considèrent comme du harcèlement toute «avance non désirée», la bonne blague. Toutes les histoires d'amour commencent par une avance qui aurait pu être «non désirée». On mélange tout, le chantage et la blague lourde, le viol et la main aux fesses - qui peut se régler, au choix, par une bonne baffe, une avoinée sonore, une plainte au supérieur. Et parfois, quand il n'y a pas de preuve ni de témoin, qui ne se règle pas du tout. Il y a des désagréments de la vie pour lesquels on n'obtient jamais réparation. Il faut le dire aux femmes - et aussi à tous les hommes à qui leur patronne pourrit la vie... Mais il y a autre chose dans la campagne en cours: car si toutes les femmes ne sont pas harcelées, toutes rencontrent le désir des hommes et celui-ci se manifeste parfois de façon vulgaire ou indésirable. Dans un texte incroyablement visionnaire de son Journal, rédigé en 1991, que nous publions, Philippe Muray commentait l'arrivée en France de la notion de sexual harassment: «C'est le désir même qui est en train d'être pénalisé ou placé en position de pénalisable. L'obsession pénaliste s'attaque de front au désir. Pour les extrémistes du sexual harassment, pour les ayatollahs du sexual harassment, la simple manifestation du désir est d'ores et déjà un délit, et, pourquoi pas, une sorte de crime. La réclamation d'une loi dans le domaine du sexual harassment (chose par ailleurs impossible ou presque à définir et surtout à prouver - à la différence du viol - ce qui promet de multiples et rigolotes batailles sur l'interprétation de ladite loi, bon appétit messieurs!) montre à quel point nous nous trouvons dans un désarroi profond et croissant concernant le désir sexuel.» Tout était dit.
Mis à part Alain Finkielkraut, et Muray, donc, très peu d'hommes ont participé à ce numéro. Pourquoi?
Et Cyril Bennasar, Paul Bensussan, Daoud Boughezala, Rolland Jaccard, Patrick Mandon, Luc Rosenzweig, c'est du poulet? Figurez-vous que je n'ai pas eu à exercer la moindre pression, sur ce coup, toute la rédaction de Causeur s'est retrouvée spontanément du même côté, animée par l'ardente envie de défendre les hommes et la tendre guerre entre les sexes. Et mon intuition féminine me dit que, contrairement à ce que laisse supposer le tir de barrage médiatique, beaucoup de Français et plus encore de Françaises peut-être pensent comme nous. Cela dit, vous avez raison, beaucoup d'hommes ont refusé de s'exprimer publiquement et ce fait devrait nous alerter: des adultes pourraient perdre des contrats, des clients et la considération de leurs contemporains s'ils déclaraient publiquement ce qu'ils disent en privé - et sans doute faut-il préciser qu'aucun d'eux ne transigerait avec le consentement d'une femme, serait-ce seulement par orgueil. Bref, des hommes, qui ne sont ni des prédateurs, ni des agresseurs, ni des maître-chanteurs mais ce que Natacha Polony appelle des hommes normaux, des hommes qui, comme le revendique Alain Finkielkraut, traitent les femmes «comme des égales et comme des femmes», ont peur: peur du torrent de boue numérique qui s'abat pour un mot qui déplaît à nos faibles femmes, peur de se voir reprocher une drague un peu lourdingue ou une plaisanterie salace qu'ils ont oubliée depuis longtemps (et dont on ne me fera pas croire que la «victime» en ait été traumatisée), peur de se faire engueuler par leur femme si elle découvre qu'on les a balancés pour un compliment fait à une autre.
Les hommes n'ont-ils pas une part de responsabilité dans ce phénomène? Rares, en effet, sont ceux qui se sont révoltés. Beaucoup ont fait pénitence à l'image de Bruno Le Maire. Certains ont même été jusqu'à participer au lynchage…
S'agissant de Le Maire qui a publié une pénible autocritique parce qu'il avait affirmé que la dénonciation ne fait partie de son identité politique, on jure à l'Élysée n'avoir rien à voir avec sa volte-face. C'est encore plus désolant. Cela dit, en haut lieu, personne n'ose critiquer le déchaînement accusatoire en cours. On ne peut pas, dit-on, aller contre le vent. L'acte de contrition collectif publié par Le Parisien, où 16 hommes proclament qu'ils
François Hollande qui a balancé, non pas son porc mais sa compagne par un communiqué particulièrement goujat de 17 mots, pourrait s'abstenir de pleurnicher sur la « cause des femmes ».
n'ont rien fait mais qu'ils ne recommenceront plus et se battent la coulpe sur la poitrine de toute l'espèce, m'a à la fois donné le fou rire et terrifiée. Au passage, comme le note Patrick Mandon dans Causeur, François Hollande qui a balancé, non pas son porc mais sa compagne par un communiqué particulièrement goujat de 17 mots, pourrait s'abstenir de pleurnicher sur la «cause des femmes». J'ai un ami qui a reçu un mail d'un syndicaliste de son entreprise lui disant qu'il avait entendu des choses sur lui et qu'il l'avait à l'œil - et j'ai lu l'échange, c'est à vomir. Alors, quand je vois ces défilés de mâles repentants, je me dis que, le jour où ils seront victimes d'une harpie qui les calomniera (car voyez-vous, des menteuses cela existe et des femmes qui se vengent aussi), ce sera bien fait pour eux. Et puis je me reprends: je ne vais pas abandonner tous les hommes à leur sort parce que quelques-uns ploient au moindre coup de vent sur les réseaux sociaux. Oui, en Occident où ne règne pas la culture du viol mais la culture de l'égalité, une écrasante majorité d'hommes s'empêchent. Pour autant, ils n'ont pas cessé de désirer des femmes. Pardon, mais on ne va pas s'en plaindre.
Eric Zemmour vous dirait pourtant que l'homme occidental est un homme dévirilisé, un homme castré…
Je ne me rendrai pas coupable d'un amalgame aussi injuste ou d'une prédiction aussi atroce. Tenir son désir en muselière n'est pas la marque de la castration, mais celle de la civilisation. Cependant, le danger d'une dérivilisation de l'espèce existe car, de la légitime réprobation de la contrainte sexuelle, on passe doucement à la criminalisation de la séduction. Un jour, les hommes trouveront effectivement que désirer des femmes est trop dangereux comme l'écrit Vigny dans La colère de Samson: «Et, se jetant, de loin, un regard irrité, Les deux sexes mourront, chacun de son côté.» Sauf que, comme ils pourront se passer l'un de l'autre pour se reproduire, ils ne mourront pas, ils s'ennuieront cote à côté. Quelle riante perspective!
On a beaucoup parlé de délation autour du phénomène #BalanceTonPorc, mais finalement très peu de noms ont été jetés en pâture. N'est-ce pas finalement une bonne leçon pour les goujats?
Il y a eu des centaines de milliers de messages sur ce hashtag infect, et je pèse mes mots. Desquels a-t-on parlé? De ceux où un nom était cité, bien sûr et qui, pour certains se sont avérés a posteriori peu crédibles. Du reste comment voulez-vous qu'un message où quelqu'un n'est pas cité constitue pour lui une bonne leçon? Par ailleurs, j'aimerais savoir si les femmes qui les ont écrits, ces messages, ont vraiment connu le soulagement et le réconfort qu'on leur promettait. Se sentent-elles vraiment mieux? En tout cas, quand une journaliste a voulu faire descendre les victimes dans la rue, elles ont été, au plus 1500 dans toute la France. Mais bien sûr, la propagande a ignoré cet échec cuisant de la mobilisation qui montrait pourtant qu'on avait peut-être un peu hardiment chargé la barque de la victimisation des femmes.
Cette affaire devrait nous faire réfléchir à la puissance de la religion victimaire qui est en train de s'imposer. Il suffit que quelqu'un se déclare victime pour que l'esprit critique soit interdit.
D'ailleurs, les féministes qui voient des porcs partout sont aussi celles qui ont fermé les yeux sur les viols de Cologne ou qui ont expliqué qu'il fallait agrandir les trottoirs à la Chapelle-Pajol! Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Ce n'est pas un paradoxe, c'est ce qu'on appelle l'idéologie. En réalité, les affaires Weinstein et autres, qui éclatent dans le monde des hommes puissants, riches et occidentaux que certains aiment tant dénoncer, sont une aubaine pour tous ceux qui ne veulent pas voir que, du point de vue du statut des femmes, toutes les cultures ne se valent pas (parce qu'elles ne sont pas au même stade historique). On se plaît à répéter que le sort des femmes est aussi terrible dans les beaux quartiers que dans les territoires perdus. Allez donc raconter cela à celles qui se battent dans les cités et que la gauche a largement abandonnées à leur sort. Ou à Kamel Daoud. Je le répète, en Occident, l‘égalité est la norme. Les prescriptions du politiquement correct ne me feront pas croire en revanche que l'Arabie saoudite, où les femmes viennent d'obtenir le droit de conduire, est un pays égalitaire. En Europe, c'est aussi dans les territoires islamisés que la norme égalitaire est bafouée de façon massive. Oui, l'espace public est plus inquiétant pour les femmes à La Chapelle-Pajol qu'à Neuilly et cela n'est nullement raciste de constater cela. On l'a vu à Cologne, le choc entre une culture permissive et une culture répressive sur le plan des mœurs peut être explosif.
Le paradoxe c'est aussi que la polémique #BalanceTonPorc aboutit à faire de toutes les femmes des victimes. N'est-ce pas précisément le contraire du féminisme?
Cette affaire devrait nous faire réfléchir à la puissance de la religion victimaire qui est en train de s'imposer. Il suffit que quelqu'un se déclare victime pour que l'esprit critique soit interdit. Certains demandent même pour les victimes une «présomption de vérité»: cela signifie-t-il qu'on devra condamner les agresseurs présumés sans procès et sans même les entendre? Les femmes vivraient une nuit si noire que l'on devrait, à leur profit, suspendre l'habeas corpus, fondement de notre justice en vertu duquel toute personne accusée a le droit de connaître les crimes qu'on lui reproche, donc de se défendre ¬- et adopter à sa place l'habeas porcus (blague dont je remercie Daoud Boughezala)? Il faut le marteler, personne n'obtiendra justice par la suspension de toutes les formes et garanties formelles de la justice. Par ailleurs, vous avez raison, il y a une façon un peu agaçante de jouer sur les deux tableaux: en page people, on vous montre des femmes puissantes, maîtresses de
Les femmes vivraient une nuit si noire que l'on devrait, à leur profit, suspendre l'habeas corpus, et adopter à sa place l'habeas porcus
leur destin, qui tiennent la dragée haute aux hommes et en page société, les mêmes sont devenues des petites choses tremblantes humiliées à vie parce que leur chef leur a fait des avances? Il faudrait savoir…
La caissière de supermarché qui se fait courser par son chef de rayon n'est pas dans les pages people….
Ce n'est ni dans la presse, ni sur les réseaux sociaux, qu'elle obtiendra justice mais, si elle dispose de preuves ou de témoignages et que les faits ne sont pas prescrits, devant les tribunaux. Pardon de ne pas communier dans l'admiration, mais j'ai du mal à comprendre que des actrices célèbres et primées se soient senties terrorisées au point de se taire des années durant. Si c'était par crainte de ne pas faire un film, c'est humain, mais cela ne fait pas d'elle des héroïnes aujourd'hui, quand toutes les langues se délient en même temps. En revanche, toute ma compassion va à celles qui endurent ce qu'il faut bien appeler un gros connard, parce qu'elles ne peuvent pas risquer leur emploi. Au lieu d'encourager le déballage général, on ferait bien de se soucier en priorité de celles que ne protègent ni leur nom ni leur argent, ni leur notoriété en s'assurant qu'on les prend au sérieux quand elles saisissent leur hiérarchie ou les tribunaux.
Vous-même, vous êtes sûre que vous n'avez rien à déclarer?
J'aurai une réduction de peine si j'avoue spontanément? Allez donc interroger mes camardes de Causeur, peut-être libèrerez-vous leur parole…
Dans ce numéro, vous avez également interviewé Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Que pensez-vous de son action?
De son action pas grand-chose encore, mais je lui sais gré de résister sans le dire à la fièvre législative, car je crois que le gouvernement ne présentera pas de nouveau texte sur le harcèlement ; de ses déclarations, souvent du mal, même si elle s'est nettement améliorée depuis l'époque où elle chapitrait Manuel Valls coupable de dénoncer l'antisémitisme dans nos banlieues. Cependant, j'ai eu la bonne surprise de voir mes préventions démenties et de découvrir une femme charmante, amusante, ouverte, avec qui il est très agréable de se disputer. De plus comme elle le clame, elle aime les hommes! Alors je compte sur elle pour les défendre, avec nous, contre celles que Muray appelait «les agitées du porte-plainte».
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Anniversaire du 13 novembre :génération Bataclan ou l'identité malheureuse (13.11.2017)
Publié le 13/11/2017 à 16h04

FIGAROVOX/TRIBUNE - A l'occasion du deuxième anniversaire des attentats du 13 novembre, Alexandre Devecchio revient sur cette nuit tragique et ses conséquences pour la jeunesse française. Pour lui, s'il y a bien une génération Bataclan, celle-ci n'a rien à voir avec la génération «morale» décrite dans les médias.

- Crédits photo : Le Figaro
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il est l'auteur des Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée paru le 29 octobre aux éditions du Cerf.

Cet article a été publié le 12 décembre 2016.
«C'est pour la jeunesse de notre pays que je veux présider la France. Si je reçois le mandat du pays d'être le prochain président, je ne veux être jugé que sur un seul objectif (...): est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu'en 2012?», avait déclaré le candidat Hollande lors de son discours du Bourget.
Sans doute n'imaginait-il pas l'effroyable scénario qui allait suivre. Les cris et les larmes, le sang répandu sur les trottoirs de Paris, les destins brisés dans la fleur de l'âge. Le grand Vendredi prédit par Hegel est advenu, mais en lieu et place du couronnement dialectique annoncé, il a consisté en cet infernal 13 novembre 2015 qui a marqué, comme l'a écrit Alain Finkielkraut, «la fin de la fin de l'Histoire».
Le Bataclan restera comme le tragique tombeau de la génération soixante-huitarde en même tant que celui de l'« antiracisme » institutionnel.
Le délire meurtrier des djihadistes n'a pas seulement emporté sur son passage des vies, des corps et des âmes, mais également le monde d'hier. Le Bataclan restera comme le tragique tombeau de la génération soixante-huitarde en même tant que celui de l'«antiracisme» institutionnel. Daniel Cohn-Bendit et ses camarades rêvaient d'une société où il serait interdit d'interdire et où l'on jouirait sans entraves. Julien Dray et ses potes de «SOS», de diversité heureuse et de métissage universel. Leurs enfants ont payé du prix de leur vie la facture de leur utopie. «Le multiculturalisme est une blague, une blague sanglante», résumera de manière cinglante Jacques Julliard.
Le 13 novembre, les Xe et XIe arrondissements, terre promise d'une jeunesse libertaire, ont été touchés en plein cœur. Face aux kalachnikovs des djihadistes, les habitués de La Bonne Bière, de La Belle Équipe, du Carillon ou du Petit Cambodge étaient armés de leur bienveillance et de leur art de vivre.
Après les attentats de janvier, nous avions voulu croire que badges, slogans et marches blanches suffiraient à conjurer le mal. Moins d'un an plus tard, lors de cette nuit d'épouvante, cette jeunesse a découvert de la plus cruelle des façons la violence du siècle en marche. Le surlendemain, Libération titrait «Génération Bataclan». Le quotidien exaltait une jeunesse «festive», «ouverte», «cosmopolite» et voulaient croire en la naissance d'une nouvelle «génération morale» qui résisterait à l'islamisme en proclamant «je suis terrasse» un verre de mojito à la main. Une volonté d'exorcisme qui éludait le fait que les bourreaux des attentats de Paris avaient le même âge que leurs victimes et qu'ils formaient ensemble une même génération.
De surcroît, les nouveaux barbares ne venaient pas d'un lointain pays étranger, mais des territoires perdus de la République situés à seulement quelques kilomètres à vol d'oiseau des quartiers branchés de la capitale. Les assassins n'étaient pas Charlie. Ils n'avaient pas marché dans Paris le 11 janvier.
Tandis que la jeunesse issue de l'immigration se réislamise, les « petits Blancs » et même « les petits Juifs », n'ont aucun complexe à reprendre le slogan électoral du FN, « on est chez nous ! »
Une jeunesse épanouie dans l'individualisme occidental est tombée sous les balles d'une jeunesse enfiévrée par l'islamisme. Cette dernière est en partie le produit de l'antiracisme différentialiste des années 1980. En troquant le modèle traditionnel d'assimilation contre le système multiculturaliste anglo-saxon, l'égalité contre la diversité et la laïcité contre l'identité, cette idéologie a fait le lit du communautarisme et de l'islamisme.
Déculturée, déracinée, désintégrée, une partie des jeunes de banlieue fait sécession et se cherche une identité de substitution dans une oumma fantasmée. L'enquête de l'Institut Montaigne sur les musulmans de France, publiée en septembre 2016 et basée sur un sondage de l'Ifop, révèle que près de la moitié des 15-25 ans sont partisans de la charia et se placent en rupture totale de la République.
Tandis que la jeunesse issue de l'immigration se réislamise, les «petits Blancs» et même «les petits Juifs», victimes de l'insécurité au quotidien à l'école ou dans les transports en commun, n'ont aucun complexe à reprendre le slogan des soirées électorales du FN, «on est chez nous!». Ils quittent les métropoles pour des raisons économiques, mais fuient également de plus en plus la proche banlieue où ils se font traiter de «sales Français» et se sentent en exil dans leur propre pays.
Les tragédies du Stade de France et du Bataclan ont bien révélé une génération, mais celle-ci n'a rien à voir avec ce qu'était la «génération morale» des années 1980. La vérité est que les nouveaux enfants du siècle sont le miroir des fractures françaises.
Notre jeunesse a perdu son insouciance et s'attend à chaque instant à voir revenir le cauchemar du 13 novembre.
S'il y a bien une génération Bataclan, elle est celle de l'identité malheureuse.
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Lettre ouverte aux fossoyeurs de l'émancipation féminine (14.11.2017)
Par Zohra Bitan 
Mis à jour le 15/11/2017 à 14h25 | Publié le 14/11/2017 à 18h20

FIGAROVOX / TRIBUNE - Zohra Bitan met en garde contre l'islamisme, qui veut faire des femmes son tribut. Elle dénonce l'aveuglement d'une partie des féministes et de l'intelligentsia médiatique qui ne voient pas cette nouvelle forme d'oppression.

Zohra Bitan est cadre de la fonction publique territoriale depuis 1989, ancienne conseillère municipale PS de l'opposition àThiais (94), et était porte-parole de Manuel Valls pendant la primaire socialiste de 2011. Elle est l'auteur de Cette gauche qui nous désintègre, Editions François Bourin, 2014.

J'ignore pourquoi il règne une telle confusion dans une situation qui pourtant me paraissait jusqu'ici bien claire. Je ne sais pas ce que cherchent les adeptes du déni et de la complaisance, qui à chaque occasion nous opposent n'importe quel drame, fut-t-il récent ou lointain dans l'histoire, et sur un sujet complètement opposé, pour en justifier un autre, bien immédiat, lui, celui du terrorisme et de l'islamisme.
Je ressens comme une grande nostalgie, une immense peine, et parfois de la douleur quand je me remémore cette France qui n'avait de couleurs que celles de son drapeau, de parfum que ses libertés, et de lumière que son avenir.
Je crois parfois savoir ce qui peut motiver des gens à nous mettre en danger, nous, en particulier les femmes issues de l'immigration et d'héritage musulman. Je le crois seulement.
Je me souviens de ma jeunesse, où les drames se succédaient autour de moi, de cousines qui fuyaient pour épouser un homme qu'elles aimaient mais qui n'était pas choisi par leur famille, ou qui n'était tout simplement pas musulman. Je me souviens de tous les interdits qui bordaient nos vies, nous les filles, qui regardions avec envie Sophie, Carole et Valérie sortir le samedi après-midi avec leurs copines, ou leur petit copain.
Nous devions rester à la maison avec pour seule autorisation de liberté, l'école, celle que la République nous offrait.
Nous, nous devions rester à la maison avec pour seule autorisation de liberté, l'école, celle que la république nous offrait. Et pour nous offrir des escapades hors de ses bancs, nous n'hésitions pas à mentir, à prétexter des leçons à réviser chez les copines, du soutien scolaire ou des sorties organisées par une institution qu'on inventait, et qui travaillait soi-disant le week-end.
Nous avions un point commun, nous les filles de ces familles musulmanes, c'est que nous étions assoiffées de liberté, de décider par nous-mêmes, d'aimer, de jouir de la vie, et nous avions chacune notre façon de nous battre pour y parvenir.
Certaines avaient pourtant choisi de ne pas lutter, de se soumettre ou d'apprivoiser les leurs pour décliner un autre choix de vie! Chacune a trouvé sa fuite, son issue, mais je ne sais pas si beaucoup ont trouvé leur havre de paix, déchirées que nous étions entre trahison et traditions, liberté et soumission…
Il fallait être vierge au mariage, il fallait épouser un musulman, il fallait ne jamais susciter le qu'en dira-t-on, il fallait être l'honneur de sa famille, l'honneur des hommes, l'honneur d'une tribu, l'honneur de tous, sauf de soi-même.
Loin de cette France des années 80 où se pointait le progrès qui gazouillait partout, nous les filles, restions sur le quai d'une culture qui nous avait assignées à perpétrer un modèle, celui de nos mères, et de nos grands-mères, celui écrit par les hommes pour les femmes!
La France savait bien que nous étions à l'écart de ces millions d'adolescentes à qui leurs mères et grands-mères avaient offert la liberté dans toute sa splendeur par un mai 68. Mais il ne se passera rien pour vous, Fatima, Zohra, Samia ou Djamila.
J'ai menti pour aller danser, j'ai fumé en cachette et j'ai fait l'amour avant de me marier. J'ai ri avec mes cousines de sexe, beaucoup, de cet interdit qui plombait nos corps, nos chairs et nos esprits. J'ai ri des fuites réussies pour aller chez une amie fêter son anniversaire. J'ai dansé des parenthèses dans les bras des garçons, me croyant le temps d'une danse égale à mes copines dont le plaisir de s'enlacer n'était pas un fake, comme le mien.
D'années en années, la puissance de nos revendications a quelque peu adouci nos vies, même si beaucoup de femmes n'ont pas eu la chance de faire évoluer la mentalité de leurs familles.
Mais je n'ai pas ri des filles dont le sort était scellé par un mariage sans amour, je n'ai pas ri des filles qui ont saisi la justice pour échapper à ce patriarcat destructeur, je n'ai pas ri quand ma sœur qui avait 17 ans fut emmenée en Algérie pour y être mariée. Mon père avait cédé au qu'en dira-t-on ; il le regretta toute sa vie.
D'années en années, la puissance de nos revendications, sans mots, mais faites d'actes de rébellion a quelque peu adouci nos vies, même si beaucoup de femmes n'ont pas eu la chance de faire évoluer la mentalité de leurs familles.
Nous avons bataillé dur, nous femmes des années 60, nées en France pour beaucoup, et qui avions 20 ans dans les années 80. Nous avons souvent versé des larmes pour nos petites sœurs, et pris des coups pour nos filles. Nous avons parfois osé menacer nos hommes de nous réfugier auprès de cette France qui nous abritait, mais qui n'était en rien pour eux un choix de vie!
30 ans après, des filles se battent encore comme nous l'avons fait mais elles sont de moins en moins nombreuses, les mentalités ayant considérablement évolué. Ce que nous avons gagné pour nous libérer d'une vie décidée pour nous dans tous ses aspects, je m'en souviens encore, et je sais chaque larme, chaque brûlure du cœur ressenties pour y parvenir.
Pourtant, certains politiques ou médias démontrent à nouveau aujourd'hui déni et complaisance à l'égard de ceux qui voudraient encore nous ramener à ce passé révolu.
Pourtant, certains politiques ou médias démontrent à nouveau aujourd'hui déni et complaisance à l'égard de ceux qui voudraient encore nous ramener à ce passé révolu, même s'ils sont devenus moins nombreux! Ceux-là sont pires à mes yeux que ces hommes, parents, frères, cousins, oncles qui montaient il y a 30 ans la garde sur nos vies, notre respiration, les changements de nos corps, l'étincelle qui pouvait jaillir de nos yeux et qui trahirait une rencontre amoureuse!
Comment peuvent-ils donc chérir la liberté pour leurs épouses, leurs filles, leurs sœurs, et vouloir pour nous, femmes originaires du Maghreb, réhabiliter un dogme qui nous considère comme un objet enchaîné à des lois révolues, une culture et des traditions du siècle dernier, et un soi-disant honneur? Ils n'ont pas traversé notre route, ni croisé notre chemin… ils n'entendent que la plainte absurde de quelques hommes qui pleurnichent de ne pouvoir librement laisser pousser leur barbe, garder leurs femmes sous le voile, ou disposer de moins de 2000 m2 pour prier leur Dieu. Ils ne voient plus que la sueur de ces mâles qui suintent encore d'angoisse de perdre leur statut de maître, et de ne plus nous avoir à leurs pieds…
Et lorsque nous pleurons nous, femmes et mères, sœurs et grand-mères, pourquoi sommes-nous si peu entendues? Pourquoi l'écho de nos souffrances est-il plus faible que celui du complexe d'une colonisation que seuls quelques indignes sont capables de citer, pour se venger de ce qu'ils n'ont même pas vécu?
N'entendez-vous pas tous ces qualificatifs qui, tels des preuves indéniables, montrent combien notre présent est fragile et notre destin compromis? Lorsque nous, femmes émancipées, fières et libres sommes qualifiées de traîtres, de vendues, de collabeurettes, n'est-ce pas là l'aveu que pour ces hommes nous sommes inaptes à l'usage de la liberté, de notre liberté, celle que la France des Lumières nous a offerte? Et que libérées de ces hommes, nous ne serions bonnes qu'à être soumises à d'autres?
Faites-vous semblant de ne pas voir s'ériger de nouveau autour de nous ces barreaux que nous avions si difficilement sciés, et de ne pas entendre le bruit de ces clés qui enfermeraient nos vies? Êtes-vous donc vous aussi des complices en mal de Mâlitude?
Lorsque des traditions deviennent le mode d'emploi de ce féminisme, il ne s'agit plus de liberté, mais de soumission.
J'aurais aimé que ma mère vive comme moi ; j'aurais aimé qu'elle connaisse le parfum de la liberté au sens propre du terme, et même si par bonheur elle fut l'épouse de mon père qui l'aimait et la chérissait, j'aurais aimé qu'elle soit un peu plus Française! Ma mère m'a choisie pour vivre cette liberté à sa place, et mon père a sublimé ce choix pour qu'il devienne possible et réel. Pour eux, je ne baisserai jamais la garde.
Que ceux qui n'osent pas dénoncer l'islamisme rampant dont la femme musulmane sera le premier tribut en cas de victoire, se souviennent des combats que nous avons menés, nous les Zohra, Fatima, Djamila, Samia, et tant d'autres encore.
La liberté de la femme peut avoir les traits que l'on veut, c'est un droit. Cependant, lorsque des traditions, une religion, quelles qu'elles soient, deviennent le mode d'emploi de ce féminisme, il ne s'agit plus de liberté, mais de soumission.
Il est des femmes, comme moi, qui ne veulent pas de mode d'emploi pour leur vie, qu'il soit divin ou dicté par quelques hommes!

Saad Hariri à Paris : le réveil diplomatique de la France (16.11.2017)

Mis à jour le 17/11/2017 à 11h21 | Publié le 16/11/2017 à 21h28

FIGAROVOX/ANALYSE - Hadrien Desuin analyse les relations diplomatiques que la France entretient avec le Moyen-Orient. L'Elysée a réalisé un coup de maître en obtenant la venue de l'ancien ministre libanais, Saad Hariri.

Ancien élève de l'École spéciale militaire de St-Cyr puis de l'École des officiers de la Gendarmerie nationale, Hadrien Desuin est titulaire d'un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d'Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l'Égypte. Il a dirigé le site Les Conversations françaises de 2010 à 2012. Cette année, il publie La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie aux éditions du Cerf.

Saad Hariri doit arriver samedi dans sa résidence parisienne. Sa libération, depuis Riyad, constitue un vrai succès pour la diplomatie française.
On connaissait l'efficacité de l'ancien ministre de la Défense de François Hollande. Les bonnes relations qu'il cultive au Caire, à Abu Dhabi et dans toute la région, ne sont un mystère pour personne. Les autorités françaises ont été très prudentes, parlant modestement d'une «invitation de quelques jours». Ils ont pris leur temps et relayé sans état d'âme la version officielle selon laquelle Saad Hariri était libre de ses mouvements. Bref, la France au Levant n'est plus dans le spectacle et les anathèmes d'un Laurent Fabius. Elle n'est plus dans les effets d'estrade et les moulinets en conférence de presse. Elle s'est réveillée après les 18 mois de sommeil de Jean-Marc Ayrault. Et elle est efficace.
Entre la discrétion de Jean-Yves Le Drian et la séduction d'Emmanuel Macron, le couple exécutif fait, pour le moment, un sans-faute au Moyen-Orient
Entre la discrétion de Jean-Yves Le Drian et la séduction d'Emmanuel Macron, le couple exécutif fait, pour le moment, un sans-faute au Moyen-Orient. Lequel contraste avec le marécage des questions européennes. Emmanuel Macron a parfaitement saisi le tempo de la crise en se déplaçant aux Émirats auprès de Mohamed Ben Zayed, très influent auprès de Mohamed Ben Salmane. L'inauguration du Louvre d'Abu Dhabi a été l'occasion de négocier un passage à Riyad pour rappeler les Saoudiens à la raison.
La France a su capitaliser sur ses relations historiques à Beyrouth. Michel Aoun est venu récemment en visite à Paris et, coïncidence, le patriarche maronite Bechara Boutros Rahi, un ami de la France, s'est discrètement déplacé en Arabie. Le ministre des affaires étrangères lui a ensuite succédé pour garantir le dénouement de la crise.
La France récolte les fruits de sa nouvelle doctrine diplomatique au Moyen-Orient. Sa position plus équilibrée entre sunnites et chiites lui donne de l'air. La prochaine visite du Président, annoncée en 2018 à Téhéran, a sans doute fait réfléchir le prince héritier des Saoud. D'autant que la France ne méprise ni Donald Trump ni Vladimir Poutine. Elle était donc en mesure de recevoir le soutien de Moscou et de Washington au Conseil de Sécurité de l'ONU dans cette affaire. Elle réussit l'exploit de maintenir des relations avec le Qatar et l'Égypte, avec Mohamed Ben Salmane et Hassan Rohani. Et partant, elle s'est rendue indispensable dans ce Moyen-Orient où tout est compliqué mais rien n'est jamais irréversible et définitif. Le Liban est un pays où il faut parler avec tout le monde, sans a priori. Et saisir les opportunités.
Pour l'Élysée, la prochaine étape est de ramener Saad Hariri à Beyrouth pour qu'il démissionne en bonne et due forme.
Pour l'Élysée, la prochaine étape est de ramener Saad Hariri à Beyrouth pour qu'il démissionne en bonne et due forme.
Car le premier ministre a perdu sa crédibilité et sa capacité à diriger son gouvernement. Le Liban ne peut plus rien attendre de lui. Pour le Président Michel Aoun, qui s'est montré à la hauteur pendant la crise, il s'agit de trouver un nouveau premier ministre sunnite (comme le veut la règle) qui puisse faire l'intérim jusqu'aux élections législatives de 2018, en réunissant une coalition la plus large possible.
Le clan Hariri est désormais très affaibli et il faut écarter l'hypothèse d'un remplacement par un des frères de Saad. La compagnie de BTP (Saudi Oger) qui était le socle du pouvoir familial à Beyrouth est en faillite. Il reste aux clans sunnites à se réorganiser et à trouver un nouveau chef de file.
En attendant, la France est au centre du jeu. Elle a rendu au Liban sa dignité. Paris doit maintenant l'aider à tourner la page Hariri.

Jean-François Mattei: «Nous sommes de fait dans une société eugénique» (17.11.2017)
Publié le 17/11/2017 à 20h36

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN.- L'ancien ministre de la Santé publie Questions de conscience, un essai où il met en garde sur les périls que font courir certaines avancées de la science, de la médecine et des technologies sur l'humanité. Il évoque notamment l'obsession des transhumanistes pour la génétique.

Jean-François Mattei est ancien président de la Croix Rouge française (2004-2013), professeur de pédiatrie et de génétique médicale et membre de l'Académie nationale de médecine. Ancien ministre de la santé, il a été membre du comité consultatif national d'éthique. Il a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels Où va l'humanité? aux éditions LLL avec le Pr Nisand. Il publie Questions de conscience, une réflexion sur les enjeux éthiques contemporains.

FIGAROVOX.- Dans votre livre «Questions de conscience», vous défendez la nécessité de l'éthique dans notre société, et revendiquez une certaine «tension morale». Comment définir l'éthique? En quoi diffère-t-elle justement de la morale?
Jean-François MATTEI.- L'éthique, qu'on trouve déjà dans l'antiquité chez Aristote, a ressurgi après la seconde guerre mondiale. Après Auschwitz, Hiroshima, le goulag, l'homme s'est interrogé sur son humanité sans trouver de réponses évidentes. Or, l'éthique est précisément un questionnement sur un sujet où il n'y a pas de réponse tranchée. C'est ce qui diffère l'éthique de la morale: la morale est intangible et inconditionnelle. Ses principes tels que «tu ne tueras point» apportent la réponse avant que la question se pose. À l'inverse l'éthique s'applique à des situations où il n'y a pas de réponses mais un dilemme, un «cas de conscience». C'est en somme la formule par laquelle Camus définit l'essence de la tragédie «Antigone a raison et Créon n'a pas tort». Que faire?
«Toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes est interdite». Est-il inscrit dans notre Code civil depuis 1994. Cela n'empêche pas par exemple que 95% des trisomiques soient éliminés après diagnostic préimplantatoire. Existe-t-il un eugénisme de fait dans notre société?
Dans mon esprit, il n'est pas question de juger une femme ou un couple qui après avoir appris qu'ils attendaient un enfant porteur de la trisomie 21, décident d'interrompre la grossesse. On a toujours assez de forces pour supporter les maux d'autrui. Il faut respecter cette liberté, qui est individuelle. En revanche, un eugénisme d'État, par essence politique, n'est pas acceptable, sauf à organiser une société fondée sur la discrimination des êtres humains pour ne garder que les meilleurs. Mais, quand 95 personnes sur 100 font le choix individuel d'interrompre la grossesse d'un trisomique 21, la somme des choix individuels dessine une société eugénique. Nous sommes donc de fait dans une société eugénique nourrissant le projet de l'enfant sain et parfait. C'est cela qu'il faut combattre. J'insiste sur ce point pour montrer que cela justifie tous les efforts de la recherche médicale. L'idéal à atteindre est bien de soigner plutôt que d'éliminer. Dès lors qu'on pourra proposer à une femme ou un couple de corriger l'anomalie génétique de leur enfant, on peut espérer que le problème sera réglé.
Quand 95 personnes sur 100 font le choix individuel d'interrompre la grossesse d'un trisomique 21, la somme des choix individuels dessine une société eugénique.
En attendant que fait-on? Ne faut-il pas interdire le dépistage alors qu'il est systématiquement proposé?
Je vois mal comment on pourrait l'éviter. Même si la France garde de grands principes et lutte contre l'eugénisme, elle ne peut méconnaître la liberté et l'autonomie des personnes dans leurs choix. En outre, elle est entourée de pays qui n'ont pas les mêmes législations. De plus, par internet il est possible de s'adresser à des laboratoires étrangers, d'envoyer des prélèvements à l'étranger et recevoir les résultats dans des délais rapides permettant l'interruption de la grossesse sans aucune autorisation avant le délai légal de douze semaines, et même sans avis médical. Je pense qu'une course-poursuite s'est engagée entre l'interruption des grossesses d'enfants porteurs d'anomalies et la recherche génétique en quête d'une thérapeutique salvatrice.
Aujourd'hui l'IMG peut être pratiquée jusqu'à 9 mois de grossesse, «si l'enfant à naître est atteint d'une affection particulièrement grave et incurable», alors que l'enfant à naître «non malade» ne peut être avorté que jusqu'à 14 semaines. N'y a-t-il pas là une discrimination?
L'interruption volontaire de grossesse n'est nulle part autorisée sans fixer des limites de dates sauf en cas d'anomalie d'une particulière gravité. Mais pour apporter une réponse éventuelle à la situation que vous évoquez, nous avons légiféré en France sur la possibilité d'accoucher sous X, ce qui n'est pas le cas dans la plupart des pays. Plutôt que de supprimer un enfant viable alors que tant de couples ne peuvent pas avoir d'enfants, il est possible d'être prise en charge dans un lieu médical où l'enfant sera confié à un couple candidat à l'adoption. Je trouve que c'est une belle chaîne d'humanité entre refus de maternité et désir de parentalité. Au-delà des grands principes, il faut accepter des exceptions. Les hommes et les femmes, si forts soient-ils ou soient-elles, ont le droit de demander de l'aide. Il ne serait pas humain de leur refuser.
Ne pensez-vous pas que l'esprit de la loi de Simone Veil, qui ne parle jamais de droit, mais d'une loi de santé publique, une sorte de compromis, a été trahi aujourd'hui?
Cette loi permettait déjà l'interruption médicale de grossesse (IMG) en cas d'anomalie grave. La précision des techniques a augmenté les diagnostics d'anomalies et donc le nombre d'IMG. J'ai dit que seule la thérapeutique interromprait cette évolution. Mais, cela souligne la contradiction d'une société qui a posé comme repère le droit à l'enfant quelles qu'en soient les conditions. Certains enfants nés sous X ou après insémination artificielle avec donneur anonyme recherchent à toute force leurs origines biologiques alors que les partisans de la gestation pour autrui prônent une parentalité affective et sociale en écartant l'origine biologique et les neuf mois de grossesse. Dans toutes ces évolutions je trouve qu'on oublie l'enfant ce qui me semble dangereux.
Il me semble que c'est respecter l'embryon que de l'intégrer dans la médecine. Pour moi, l'embryon, comme le fœtus, est déjà un patient.
La procréation à la carte vous inquiète elle?
Je voudrais alerter les consciences sur la pente-glissante dans laquelle nous sommes engagés. Avec les cellules-souches que l'on manipule de mieux en mieux, il n'est pas exclu que l'on puisse obtenir spermatozoïdes et ovules à volonté et même d'en contrôler la qualité. Ajoutez l'utérus artificiel et rien n'exclue que la procréation ait complètement changé de nature dans quelques décennies. Cela ressemble beaucoup à ce que Jacques Testart avait appelé il y a longtemps déjà le «magasin des enfants».
Vous évoquez dans votre livre ce «syndrome de la pente glissante». Mais n'y avez-vous pas contribué en autorisant la recherche sur embryon?
Après beaucoup d'hésitations et très progressivement j'ai accepté la recherche sur l'embryon dans des conditions bien définies. Il serait hypocrite de la refuser pour protéger «la personne de l'embryon» et ce faisant de priver «cette personne» des soins nécessaires. La mise au point de traitement nécessite des expériences. Il me semble que c'est respecter l'embryon que de l'intégrer dans la médecine. Pour moi, l'embryon, comme le fœtus, est déjà un patient.
Il est vrai que j'ai contribué aux premiers pas sur cette pente, notamment pour le diagnostic prénatal. Mais je savais que sans fixer des règles, beaucoup d'excès étaient possibles. À l'inverse, de très nombreux enfants normaux sont venus agrandir des familles réconciliées avec le bonheur. Il eut été lâche de laisser les couples dans la difficulté. Peut-on arrêter cette «glissade»? Oui, si l'on trouve des solutions médicales pour guérir. Quand un seul gène est impliqué je pense que l'on pourra proposer une thérapeutique dans les dix ans. On pourra revenir à la mission de la médecine qui est de soigner et non de supprimer.
Vous dites que la médecine a pour but de guérir, mais est-ce que derrière il n'y a pas l'idée que la personne en situation de handicap n'a pas sa place dans la société?
Certainement pas! C'est la fragilité et la faiblesse qui créent le lien social. Dans une société où il n'y a que des forts, il n'y a pas de solidarité, et donc pas d'humanité. Outre le lien social qu'elles créent les personnes handicapées mettent à l'épreuve nos personnalités: est-ce que vous allez me permettre d'exister, est-ce que vous allez me protéger, est-ce que vous allez m'aimer? La faiblesse humanise.
Il y a peut-être un problème d'accueil de la faiblesse dans notre société. Quand on éradique 95% des trisomiques c'est qu'on considère que les trisomiques sont une gêne, alors qu'ils peuvent être heureux et rendre des gens heureux...
Cette gêne est exprimée surtout car notre société ne propose pas un accompagnement suffisant pour aider les familles dans la difficulté. Comme pédiatre-généticien je sais les obstacles de toutes sortes que les parents affrontent souvent seuls. On ne peut juger ceux qui ne s'en sentent pas la force.
«Il n'est pas dans la nature de l'homme de renoncer à sa quête de connaissance», écrivez-vous. Mais n'est-ce pas nécessaire de remettre une barrière, comme dans le cas du clonage, qui a été interdit?
Ce n'est pas la connaissance qui est dangereuse, c'est l'usage qu'on en fait. Par exemple, dans le cas du nucléaire, personne ne veut d'autres Hiroshima et Nagasaki qui sont des horreurs. En revanche, la radiothérapie permet de soigner les cancers et de sauver des vies. C'est pour cela que j'en appelle au questionnement éthique et à la veille des consciences.
Vous parlez dans votre livre du transhumanisme et du posthumanisme, mais comment faites-vous la différence?
Le mot «trans» signifie le mouvement. Le transhumanisme est l'étape qui va de l'humain au posthumain. Lorsqu'on soigne l'homme, il s'agit de l'homme réparé. Le transhumanisme a pour but d'améliorer les capacités de l'homme, c'est l'homme augmenté. Le posthumanisme vise à transformer l'homme en le rendant immortel, en contrôlant son destin, en téléchargeant son cerveau sur un logiciel avant de supprimer le corps.
Où mettez-vous la limite entre l'homme réparé et l'homme augmenté?
Je ne peux pas répondre à votre question. Comme beaucoup, je ne sais pas où se situe la limite entre le normal
Le posthumanisme vise à transformer l'homme en le rendant immortel, en contrôlant son destin, en téléchargeant son cerveau sur un logiciel avant de supprimer le corps.
et le pathologique. Par exemple, à partir de quels troubles du comportement accepterait-on de contrôler le comportement d'une personne en plaçant un implant dans son cerveau? Personne ne peut vraiment aujourd'hui fixer une limite admise unanimement.
C'est inquiétant, car ce que vous dites, c'est qu'on ne peut pas fixer de limite. La médecine devient malheureusement l'alibi de ce transhumanisme. On vous dira à chaque fois que c'est pour des raisons médicales.
Il y a pourtant de profonds désaccords entre, d'une part, la médecine et, d'autre part, transhumanisme et posthumanisme. Pour ces derniers, l'homme dépend de ses seuls gènes qu'on peut modifier pour l'améliorer. C'est vrai dans certains cas mais le génome fonctionne de manière plus complexe qu'on ne le pensait. En outre, l'épigénétique montre que l'environnement des gènes modifie leur expression. Ensuite, je l'ai dit, amener les gens à la perfection tue le lien social. Se pose aussi la question économique: à partir du moment où il ne s'agit pas de guérir une maladie mais d'augmenter une qualité, il va falloir payer pour le faire. Seuls ceux qui pourront se l'offrir seront améliorés, créant ainsi une nouvelle lutte des classes: la classe des «nantis améliorés» et puissants et la sous-classe de ceux qui n'ayant pu être améliorés resteront cantonnés à des tâches subsidiaires. La quatrième raison c'est l'immortalité, qui est une impasse. Outre qu'elle interdit la procréation pour cause d'encombrement, elle et transforme la vie faite d'espérance et de surprise en une vie monotone dans un éternel ennui d'autant que s'y ajoute l'abandon du corps qui accompagne nos émotions et nos sentiments. La médecine ne peut donc suivre ce chemin.
Le Comité d'éthique avait rendu un rapport avec de nombreux arguments contre la PMA, pourtant il a fini par céder à l'opinion. On a l'impression que l'éthique est impuissante à enrayer le rouleau compresseur de l'individualisme...
Il est vrai que ceux qui vont à contre-courant de l'opinion sont souvent balayés sans précautions. Par définition l'éthique est un questionnement, c'est bien ce que je fais en vous répondant. Il doit se poursuivre car si la compréhension de la souffrance des uns doit être entendue, la difficulté vient de ce que l'enfant, au cœur du sujet, ne peut pas s'exprimer!
«Changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde», disait Descartes. Ce discours est aujourd'hui inacceptable?
Oui car nous sommes dans une société du droit mais aujourd'hui, faut-il parler de l'ordre du monde ou de son désordre?
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Journaliste Débats et opinions
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La lutte contre les armes chimiques se heurte au dossier syrien (27.11.2017)

  • Mis à jour le 27/11/2017 à 21:40 

  • Publié le 27/11/2017 à 17:09
Alors que se tient, à La Haye, la réunion annuelle sur les armes chimiques, leur utilisation en Syrie, notamment par Damas, et le blocage diplomatique entre Russes et Occidentaux, menacent la crédibilité de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Depuis la fin de la Guerre froide, le désarmement a pourtant porté ses fruits.
La Syrie et son allié russe sont dans tous les esprits à La Haye, aux Pays-Bas, où se tient, ce lundi, la 22e conférence annuelle des États parties à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, signée en 1993 au sortir de la guerre froide. Concordance de calendrier, cette réunion internationale se tient une dizaine de jours après la décision de Moscou de mettre fin au Mécanisme d'enquête conjoint (plus connu sous l'acronyme anglais «JIM») chargé depuis 2015 d'enquêter sur l'utilisation de l'arme chimique dans le conflit syrien. Le 17 novembre dernier, la Russie a utilisé pour la dixième fois à propos de la Syrie son pouvoir de véto au conseil de sécurité de l'ONU, bloquant une résolution japonaise visant à prolonger de trente jours le mandat du JIM, qui expirait le soir même. La veille, Moscou s'était opposé à une résolution américaine plus ambitieuse qui souhaitait le prolonger d'un an.
Ce refus russe s'est cristallisé le 26 octobre lorsque le JIM a rendu les conclusions de son rapport sur l'attaque chimique de Khan Cheikhoun du 4 avril dernier, qui a fait 83 morts dans la province d'Idleb au nord de la Syrie. Comme plusieurs études précédentes, dont celle des services de renseignement français, les inspecteurs du JIM ont imputé au régime de Bachar al-Assad la responsabilité de cette attaque au gaz sarin. Une ligne rouge pour Moscou alors que Damas et ses alliés russo-iraniens ont pris l'ascendant militaire et souhaitent désormais en récolter les fruits politiques sans entendre parler d'attaques chimiques, reprenant l'adage «l'histoire est écrite par les vainqueurs». La Russie a donc soumis un autre projet de résolution, largement refusé par les puissances occidentales, pour prolonger le mandat du JIM au prix d'un gel du rapport concernant Khan Cheikhoun.
«Nous sommes dans une impasse complète»
Pour appuyer leur refus, les Russes estiment que la méthode employée par le Mécanisme d'enquête conjoint serait défectueuse, relevant notamment le fait que les inspecteurs n'ont pas pu se rendre sur les lieux de l'attaque, et envisagent d'autres explications: des groupes rebelles auraient aussi pu utiliser des armes chimiques ; un dépôt chimique aurait pu exploser. «On n'est plus dans le rationnel, on a basculé hors des faits. Les arguments techniques employés par les Russes sont risibles. Ils vont au-delà de ce que je pouvais imaginer», lance Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Pour ce spécialiste des armes chimiques, comme pour la majorité des analystes occidentaux, c'est bien le régime de Damas qui a mené une frappe aérienne au gaz sarin. «Concernant le neurotoxique employé, les échantillons recueillis permettent de reconnaître le mode de fabrication syrien», estime le chercheur, qui ajoute: «Je dénonçais le discours américain sur les armes de destruction massive irakiennes, mais là, il n'y a aucun doute.» Une manière de répondre aux déclarations russes, qui ne manquent pas de rappeler les accusations infondées de l'administration Bush, qui avaient permis l'invasion américaine de l'Irak en 2003.
«Quelques dizaines de litres de gaz sarin suffisent à provoquer d'importants dégâts dans des zones très denses»
Olivier Lepick, chercheur à la FRS
Ces vétos russes ne sont pas sans conséquence pour la crédibilité de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), qui coordonne le JIM avec l'ONU, et qui veille depuis sa création en 1997 à l'application de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. «Nous sommes dans une impasse complète», regrette Olivier Lepick qui souhaite néanmoins que «l'arbre ne cache pas la forêt». Autrement dit, le blocage de ces dernières semaines n'efface pas les progrès considérables réalisés depuis la fin de la guerre froide en matière de désarmement chimique. Avec 192 États parties, la Convention est le traité de désarmement qui regroupe le plus grand nombre de pays dans le monde et la destruction des stocks depuis la fin de la guerre froide a porté ses fruits. Washington a annoncé que tout son arsenal chimique serait détruit d'ici 2023La Russie de son côté a annoncé, fin septembre, que le sien l'était entièrement. Seuls trois États sont encore en dehors de la Convention (Corée du Nord, Égypte, Soudan du Sud) tandis qu'Israël l'a signée, sans la ratifier.
Même en Syrie, des progrès ont malgré tout été réalisés. En août 2013, alors que le régime syrien était déjà accusé d'avoir massivement utilisé l'arme chimique dans la Ghouta, près de Damas, Moscou et Washington ont passé un accord pour que l'arsenal chimique syrien soit détruit et que la Syrie adhère à la Convention. L'OIAC, qui a achevé cette destruction en août 2014, a reçu, dès 2013, le prix Nobel de la Paix. «Depuis la destruction de son arsenal, la Syrie ne dispose plus d'un véritable programme chimique étatique. Néanmoins, nous n'avons jamais écarté de notre esprit la possibilité que le régime ait pu garder des stocks voire des capacités de production résiduels», explique Olivier Lepick, qui précise que «quelques dizaines de litres de gaz sarin suffisent à provoquer d'importants dégâts dans des zones très denses». «En termes de volume, l'accord de 2013 entre Obama et Poutine a été positif, mais en termes de flux, ce n'est pas satisfaisant puisque de nouvelles attaques ont eu lieu», estime quant à lui Guillaume Lagane, maître de conférences à Sciences Po Paris.
Bras de fer entre Moscou et Washington
Pour cet expert des relations internationales, la Russie n'est pas la seule à avoir estimé que les enjeux politico-militaires en Syrie l'emportaient sur l'usage des armes chimiques. «D'une certaine manière, Washington a eu la même interprétation que Moscou puisque Barack Obama, qui avait pourtant déclaré que l'usage des armes chimiques était une ligne rouge, a finalement décidé de ne pas intervenir», précise-t-il, estimant que les deux camps ont conclu que «le jeu n'en valait pas la chandelle». Avec l'administration Donald Trump, les choses ont apparemment changé puisque les États-Unis ont procédé à des frappes de missiles de croisière sur une base aérienne syrienne après l'attaque de Khan Cheikhoun. «En réalité, tout porte à croire que les Américains avaient prévenu préalablement les Russes de ces frappes», tempère Guillaume Lagane, qui considère que «le dossier syrien porte atteinte à la crédibilité de l'OIAC». En témoignerait l'usage à l'été 2016 d'armes chimiques au Soudan. Pour lui, certains pays pourraient en conclure que, s'ils sont protégés par un grand État, l'utilisation de l'arme chimique suscitera l'indifférence internationale.
«Sur le désarmement, les Russes n'ont pas intérêt à renverser tous les mécanismes, parce qu'ils retrouvent leur position de duopole avec Washington»
Guillaume Lagane, maître de conférences à Sciences Po Paris
Une inquiétude qui est au cœur de la réunion annuelle de l'OIAC, ce lundi. L'ambassadrice autrichienne Heidemaria Gürer a estimé dans un tweet que les discussions étaient «difficiles dès le début», «assombries par les derniers développements». Mais au-delà du cas spécifiquement syrien, les Russes ne semblent pas remettre en cause l'ensemble du système international de non-prolifération, que ce soit en matière chimique ou nucléaire. «Dans les négociations sur le désarmement, les Russes n'ont pas intérêt à renverser tous les mécanismes, parce qu'ils retrouvent, avec le plus gros stock d'armes nucléaires au monde, leur position de duopole avec Washington», confie Guillaume Lagane, qui estime néanmoins qu'«ils apprécient jouer avec les règles» pour marquer des points dans leur bras de fer avec les Occidentaux. Ainsi, si les Russes ont coopéré sans difficulté avec l'OIAC pour leur propre désarmement chimique, avec l'aide des Américains, ils n'ont pas rejoint le Groupe Australie, créé en 1985 pendant la guerre Iran-Irak pour limiter les exportations d'armements, notamment chimiques, qu'ils considèrent trop proche des intérêts occidentaux. Alors que les Américains ont perdu de leur influence sur le dossier syrien, les rivalités entre Washington et Moscou au Levant se prolongent à l'ONU sur la question du désarmement. Des luttes de puissance qui inquiètent à raison puisqu'elles ne jouent pas en faveur de l'objectif de l'OIAC d'en finir, enfin, avec les armes chimiques.
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Au Pakistan, le pouvoir cède aux islamistes (27.11.2017)
Mis à jour le 27/11/2017 à 20h56 | Publié le 27/11/2017 à 17h43

VIDÉO - Le ministre de la Justice a dû démissionner sous la pression d'un parti islamiste.
New Delhi
Rarement un parti islamiste pakistanais aura obtenu une victoire si complète avec si peu. Lundi, le gouvernement a annoncé la démission du ministre de la Justice, Zahid Hamid, dont 2000 islamistes réclamaient la tête depuis trois semaines. Des protestataires d'un groupe sunnite d'obédience barelwie, le Tehreek-e-Labaik Ya Rasool Allah Pakistan (TLY), bloquaient la route d'accès à la capitale Islamabad, établissant un campement qu'ils n'acceptaient de lever que si le gouvernement cédait à leur exigence. Ce dernier leur a donné gain de cause, affaiblissant sa crédibilité à quelques mois des législatives.
Plus étonnant encore, l'accord passé par le gouvernement précise que les manifestants interpellés seront libérés. Et les fonctionnaires responsables des opérations de police menées contre le TLY seront poursuivis.
L'histoire commence début octobre. Le gouvernement de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N) fait adopter une nouvelle loi électorale grâce à sa majorité au Parlement. Le texte allège la prestation de serment des candidats établissant leur foi musulmane. Il supprime aussi les sections 7B et 7C, qui empêchent les ahmadis de voter et de se présenter aux élections. Les ahmadis se proclament musulmans, sans considérer Mahomet comme le dernier prophète de l'islam. Une croyance qui, aux yeux de la Constitution et des fondamentalistes, fait d'eux des non-musulmans.
En modifiant la loi, le gouvernement provoque la colère des islamistes. Du coup, le ministre de la Justice fait amender la législation en urgence et réinstaure les sections 7B et 7C. Il est trop tard: le chef du TLY, Khadim Hussain Rizvi, mobilise ses partisans au nom de la défense du prophète Mahomet. La question est sensible au Pakistan où le blasphème est passible de la peine de mort.
Pour beaucoup d'observateurs au Pakistan, les militaires se sont rangés du côté des islamistes
Début novembre, 2000 militants du TLY bloquent l'autoroute d'accès à Islamabad. Au lieu de disperser le rassemblement dans les heures qui suivent, le ministre de l'Intérieur, Ahsan Iqbal, ouvre des négociations, en vain. Les généraux sont appelés à l'aide, mais refusent d'intervenir. Le 25, le porte-parole militaire rapporte que «le chef de l'armée a téléphoné au premier ministre et lui a demandé de gérer le rassemblement de manière pacifique afin d'éviter toute violence des deux côtés».
Pour beaucoup d'observateurs au Pakistan, les militaires se sont rangés du côté des islamistes et ont fait pression sur le gouvernement pour qu'il cède. L'accord révélé lundi entre le pouvoir civil et le TLY a été cosigné par un officier supérieur de l'ISI, l'agence de renseignement militaire.
En forçant les autorités à reculer, l'armée affaiblit la PML-N, alors que les législatives auront lieu début 2018. L'armée s'est opposée au pouvoir civil dès son arrivée aux affaires en 2013. En particulier, la volonté du premier ministre d'alors, Nawaz Sharif, de renouer le dialogue avec l'Inde ne plaisait guère.
En aidant en sous-main le TLY, les généraux répètent une stratégie qu'ils avaient employée par le passé: utiliser les islamistes pour affaiblir les forces laïques. Aux législatives de 2002, le régime militaire du général Musharraf avait ainsi favorisé le MMA, une coalition de partis islamistes, contre la PML-N et le PPP de Benazir Bhutto. Le MMA avait remporté le scrutin dans la Province de la frontière du Nord-Ouest et fait son entrée au Parlement.
Reste à savoir si l'histoire se répétera aux législatives de 2018. Affaiblie par la démission du premier ministre Nawaz Sharif sur une affaire de fausse déclaration de patrimoine et des accusations de corruption, la PML-N aura fort à faire pour garder son bastion du Pendjab, la province la plus peuplée. Le TLY pourrait en effet y faire une percée. «Ce parti n'a pas les structures suffisantes pour faire campagne à travers le pays et pour l'emporter», tempère Muhammad Amir Rana, directeur du Pak Institute for Peace Studies d'Islamabad, qui ajoute: «Mais il pourrait prendre des voix à la PML-N. Ceci jouera en faveur de la principale force d'opposition, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), le Mouvement du Pakistan pour la justice.» Le TLY a surpris les observateurs en remportant 5,6 % et 7,5 % des voix à deux élections partielles à Lahore et Peshawar cet automne. La performance est d'autant plus remarquable que le TLY est une organisation récente. Née en 2015, elle s'est construite en réaction à l'exécution de Mumtaz Qadri. Ce policier avait assassiné un politicien, Salman Taseer, au motif que ce dernier avait pris la défense d'Asia Bibi, une mère de famille chrétienne condamnée à mort en 2010 pour blasphème.

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Des squelettes découverts à Qumrân offrent des indices sur les manuscrits de la mer Morte (27.11.2017)

  • Publié le 27/11/2017 à 17:25
La récente analyse de 33 corps exhumés l'année dernière sur le site archéologique en Cisjordanie appuierait les thèses qui confèrent la paternité des textes antiques à la secte juive des Esséniens.
L'origine des «manuscrits de la mer Morte» est encore pleine de mystères. Ces parchemins et autres fragments de papyrus antiques ont été découverts entre 1947 et 1956 par des bergers dans plusieurs grottes à Qumrân, en actuel Cisjordanie, à deux kilomètres à peine au nord-ouest de la mer Morte.
Rédigés en hébreu, araméen et grec, ils ont été reconnus d'origine judaïque et datés d'une période allant du IIIe au IIe siècle av. J.-C. Sur ce petit millier de manuscrits, plusieurs sont des extraits de la Bible hébraïque (tous les livres de l'Ancien Testament sont présents, hormis celui d'Esther), et d'autres, de nombreux textes apocryphes. La thèse la plus courante désigne les Esséniens comme leurs auteurs, une secte juive d'idéologie célibataire datant de l'époque du Second Temple de Jérusalem, qui aurait vécu entre 150 av. J.-C. et 68 de notre ère. Certains rouleaux sont particulièrement consacrés à la doctrine d'une telle secte, comme les règles strictes de pureté.

Cette théorie est aujourd'hui appuyée par les dernières découvertes faites à Qumrân et l'exhumation l'année dernière de 33 squelettes. Comme le relaie le magazine américain Science News , l'anthropologue Yossi Nagar, de l'Autorité des antiquités d'Israël, a présenté le 16 novembre les résultats d'une première analyse radiocarbone des ossements. Ceux-ci seraient vieux de 2200 ans. Soit presque le même âge que les manuscrits.
Une secte d'idéologie célibataire
Sur les 33 dépouilles, 30 seraient celles d'hommes - après l'étude de la ceinture pelvienne et de la taille globale des corps - mort entre 20 et 50 ans tout au plus. Il ne s'agirait pas de soldats, aucun signe de blessure de guerre n'ayant été détecté. «Je ne sais pas s'il s'agit des personnes qui ont produit les rouleaux de la mer Morte (...) mais la forte concentration de mâles adultes aux âges variables enterrés à Qumrân est semblable à ce qui a été exhumé des cimetières des monastères byzantins», affirme Yossi Nagar.
Autant de nouvelles informations qui contribueraient à confirmer que les corps exhumés appartenaient à la communauté des Esséniens, que ces derniers aient été les auteurs - ou les gardiens - des textes sacrés. Comme le précise Science News, d'autres habitants de la région comme des bergers bédouins, des soldats romains ou des artisans, avaient été également pressentis pour endosser la paternité des rouleaux, retrouvés dans onze grottes à Qumrân.
En début d'année 2017, plus de soixante ans après les premières fouilles, des chercheurs ont trouvé une douzième caverne dans l'une des falaises du désert de Judée. À l'intérieur, ils ont déterré un parchemin vierge ainsi que des restes de pots, de tissu et un bracelet en cuir. Selon eux, la caverne aurait pu contenir des manuscrits de la mer Morte jusqu'à ce que celle-ci ne soit pillée par les Bédouins au milieu du XXe siècle. «La mise au jour de cette nouvelle grotte atteste du fait qu'il reste beaucoup de travail à effectuer dans le désert de Judée. Des découvertes d'une importance considérable peuvent encore avoir lieu», avait alors déclaré Israël Hasson, directeur général de l'Autorité des antiquités d'Israël.
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Menton: un véhicule fonce dans un barrage de CRS (27.11.2017)
  • Par  Le Figaro.fr 

  • Mis à jour le 27/11/2017 à 22:26 

  • Publié le 27/11/2017 à 22:21
Selon les informations de Nice-Matinun automobiliste a foncé sur un barrage filtrant de CRS à Menton, lundi soir. Les fonctionnaires ont ouvert le feu et le conducteur a été blessé à la main. Cet homme aurait refusé de se plier aux injonctions de la police. Selon le journal local, deux étrangers se trouvaient dans le véhicule de cet homme, qui pourrait être un passeur de migrants. 

Australie: arrestation d'un homme soupçonné de préparer un attentat (27.11.2017)
  • Par  Le Figaro.fr avec AFP 

  • Mis à jour le 27/11/2017 à 23:28 

  • Publié le 27/11/2017 à 23:27
Un homme de 20 ans soupçonné de préparer une attaque terroriste à Melbourne (sud de l'Australie) le soir du Nouvel An a été arrêté, a annoncé mardi la police.
"L'homme arrêté est soupçonné d'être impliqué dans des préparations pour planifier une attaque terroriste à Melbourne le soir du Nouvel An", a indiqué la police de l'Etat de Victoria.
Le suspect, qui a été arrêté lors d'une opération de police à Werribee dans la banlieue de Melbourne, était mardi en cours d'interrogatoire.
Les autorités australiennes, qui craignent depuis plusieurs années des attaques de la part d'extrémistes, ont renforcé en septembre 2014 le niveau d'alerte terroriste. Elles affirment que 13 attentats ont été évités ces dernières années, dont une attaque dans le centre de Melbourne à Noël l'an dernier, inspirée par le groupe Etat islamique (EI).
Une autre attaque récemment déjouée, toujours au nom de l'EI, visait à faire s'écraser un avion en recourant à du gaz empoisonné ou à une bombe artisanale.
En 2014, une prise d'otages dans un café de Sydney s'était soldée par la mort de deux entre eux.

Islamisme, Charlie Hebdo : Edwy Plenel, le procureur au banc des accusés (26.11.2017)
Par Alexandre Devecchio et Eugénie Bastié Mis à jour le 27/11/2017 à 13h42 | Publié le 26/11/2017 à 19h17
NOTRE GRANDE ENQUÊTE - Le «pape de l'investigation» serait-il en réalité un idéologue peu scrupuleux ? Longtemps, le directeur de Mediapart a été considéré comme le modèle du «journaliste indépendant». Une image flatteuse qui s'estompe depuis quelques semaines. Accusé de complaisance à l'égard de Tariq Ramadan, de flirter avec l'islamisme et de tenir des propos irresponsables à l'encontre de Charlie Hebdo, Edwy Plenel est désormais sous le feu des critiques de ses confrères. Retour sur l'itinéraire de l'ancien patron du Monde.
«Il a le regard rieur et la moustache de Brassens.» Edwy Plenel, dans son austère uniforme, chemise bleue-costume noir, sourit. Ce 22 novembre, l'amphi Boutmy est plein à craquer. Une jeune étudiante de Sciences Po fait son portrait: lui goûte encore une fois au plaisir de l'admiration. Depuis un mois, le patron de Mediapart est dans la tourmente et ces quelques mots le rassérènent. Devant les étudiants de la rue Saint-Guillaume, l'œil frise, la moustache frémit et le parallèle avec le chanteur sétois l'enchante: «Je suis touché par cette comparaison. J'ai toujours pensé que La Mauvaise Réputationdevait être l'hymne du journalisme d'investigation. En plus, cette chanson a été écrite en 1952, l'année de ma naissance.»
L'organisateur, Benjamin Duhamel, se réjouit: il n'a jamais vu autant de monde pour un «grand oral». Dans cette école, qui célèbre le «hijab day», l'auteur de Pour les musulmans a été accueilli sous un tonnerre d'applaudissement. Au cœur de ce microcosme en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, à deux pas du Café de Flore et des Deux Magots, le rebelle officiel est comme chez lui. «C'est une personnalité que j'admire beaucoup, j'espère qu'il va remettre Manuel Valls à sa place», confie une étudiante voilée. D'autres se montrent cependant plus sceptiques: «Je suis curieux de l'entendre débattre sur sa pratique journalistique. Il se présente comme un journaliste d'investigation assez neutre, mais ne défend-il pas certaines opinions?»
Jusqu'ici, pour beaucoup de ses confrères, il était un mélange d'Émile Zola et de Bob Woodward (l'enquêteur du Watergate). L'homme des Irlandais de Vincennes et du Rainbow Warrior. Depuis quelques semaines pourtant, cette image s'estompe et celle qui se dessine est beaucoup moins flatteuse. Habitué à enfiler le costume de procureur, Plenel se retrouve cette fois sur le banc des accusés. Le motif? Une complaisance trop grande avec Tariq Ramadan, des mots irresponsables à l'égard de Charlie Hebdo .
«Guerre aux musulmans»

Le 1er novembre, Tariq Ramadan, soupçonné de viols et violences fait la une du journal satirique... - Crédits photo : Charlie Hebdo
Retour sur caricatures. Le 1er novembre, après la découverte des accusations de viols et violences qui pèsent sur Ramadan,Charlie Hebdodessine le prédicateur en proie à une érection impressionnante avec ce sous-titre «Le 6e pilier de l'islam». Les réactions ne se font pas attendre: à lire tweets et post Facebook, il ne suffit plus d'épargner le Prophète, toute moquerie sur Ramadan s'apparente à un blasphème. Les menaces de mort pleuvent sur Charlie. Les défenseurs du journal montent au créneau mais Mediapart, pourtant en pointe sur le mouvement «Balance ton porc» qui dénonce les violences sexuelles, reste silencieux.
La semaine suivante, quatre portraits par Coco d'Edwy Plenel font la une de Charlie. Il apparaît, dans une référence au singe de la sagesse, en train de se masquer les yeux, les oreilles et la bouche avec sa moustache. Au milieu des dessins, un titre ironique: «Affaire Ramadan, Mediapart révèle: “On ne savait pas”.» Entre les lignes Plenel est accusé de taire les crimes supposés de Tariq Ramadan. Edwy Plenel réagit dans un tweet grandiloquent où il qualifie ce dessin d'«affiche rouge» en référence aux résistants du réseau Manouchian fusillés par les Allemands au mont Valérien.
Sur les ondes de France Info, il dénonce carrément un complot: «La une de Charlie Hebdofait partie d'une campagne plus générale que l'actuelle direction de Charlie Hebdo épouse. M. Valls et d'autres, parmi lesquels ceux qui suivent M. Valls, une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée à une droite voire une extrême droite identitaire, explique-t-il, avant de lancer, et d'autres trouvent n'importe quel prétexte, n'importe quelle calomnie pour en revenir à leur obsession: la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l'islam et les musulmans.» «Guerre aux musulmans»: les trois mots de trop. Trois mots qui, pour beaucoup, légitiment des actions violentes. Trois mots qui font écho à ceux qui ont précédé le massacre du 7 janvier. Trois mots «impardonnables» selon Riss.
«M. Valls et d'autres trouvent n'importe quel prétexte, n'importe quelle calomnie pour en revenir à leur obsession: la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l'islam»
Edwy Plenel
Pour les journalistes de Charlie Hebdo, cette petite phrase est d'autant plus inacceptable qu'ils continuent de vivre dans la peur. La rédaction bunkerisée tel «Fort Knox» est encore hantée par la mort de leurs amis tombés sous les balles. Les lieux, et la sécurité autour, font qu'ils sont présents à chaque seconde, confie un membre de la rédaction deCharlie Hebdo, qui préfère rester anonyme: «Cela fait trois ans. Mais, pour nous, la plaie est toujours à vif.» Riss, le directeur de Charlie Hebdo, encore meurtri dans sa chair par une balle dans l'épaule, réagit dans un édito implacable et glaçant. Il accuse Edwy Plenel d'avoir lancé un «appel au meurtre» contre Charlie Hebdoet d'adouber «ceux qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi».
Attaqué aussi bien par la droite que par la gauche, Plenel ne répond pas. La stratégie de défense est celle du silence. En face, les langues se délient: «Plenel ne passera pas une information qui va à l'encontre de ses convictions. Et si une information va dans le sens de ses convictions, il peut la tordre un peu pour la rendre encore plus convaincante. D'autant plus qu'il a la certitude absolue qu'il est dans le camp du bien et qu'il en est l'incarnation dans la presse», confie Franz-Olivier Giesbert. «Il y a une différence entre porter le fer dans la plaie et faire une plaie et porter le fer dedans après», moque Philippe Val, tandis que Caroline Fourest (qui fut la première à montrer le double jeu de Ramadan) affirme: «Il a démontré en quelques jours que chez lui l'idéologie pouvait rendre aveugle. C'est très mauvais pour un journaliste d'investigation.»

... Une semaine plus tard, un dessin signé Coco montre Edwy Plenel dans une référence au singe de la sagesse. - Crédits photo : Charlie Hebdo / Facebook
Sonné par cet uppercut, Plenel avait promis dans un communiqué ne plus revenir sur l'affaire*. Un billet publié sur Mediapart et intitulé «Pourquoi nous faisons média à part» fait office de réponse générale. Mais ce soir-là, devant les étudiants de Sciences Po, il est combatif. «Inquisition», «maccarthysme», «acharnement»: il riposte. Il excuse Riss («il a le droit d'être excessif, il y a des chagrins incommensurables»), que pourrait-il faire d'autre? Il préfère choisir son adversaire et déplacer la querelle sur le plan politique.
Il profite des outrances de langage de Manuel Valls pour l'attaquer bille en tête. Il lance le duel avec l'ancien premier ministre, la tête de Turc d'une partie de la gauche et d'une jeunesse de banlieue désintégrée. Manuel Valls qui parle haut, trop fort et qui veut faire «rendre gorge» à Mediapart. Manuel Valls, que les amis de Plenel comparent à Marcel Déat. Si Plenel accuse les journalistes d'avoir mis en scène sa phrase tronquée sur la «guerre aux musulmans», il prend lui-même un extrait décontextualisé de l'interview de l'ancien premier ministre à El Paisoù ce dernier parle du «problème de l'islam, des musulmans». «Écoutez ce langage, il est dans une logique de guerre!» martèle-t-il.
Manuel Valls est accusé de tous les maux. «Il était au premier rang dans la défense de Cahuzac. Il viole la liberté de la presse. Il viole la Constitution», bondit le journaliste. «Plenel est expert en dialectique. Mis en accusation, il accuse à son tour. Mais il porte sa riposte sur le terrain où il est le plus à l'aise, celui de la réflexion affective, pas sur le terrain où il est attaqué, celui des faits objectifs», disait de lui son ancien collègue du Monde Alain Rollat. Une tactique bien rodée qu'il reproduit ici: «Cette virulence, je l'ai déjà vécue il y a quinze ans lors de l'affaire du Monde, j'étais alors un agent de la CIA», lance-il.
«La Face cachée du Monde»
C'était il y a quinze ans, en effet. À l'époque, Edwy Plenel est le roi de Paris. La une du Monde chaque jour dicte l'agenda politique et idéologique. La parution de La Face cachée du Monde, l'essai de Pierre Péan et du regretté Philippe Cohen lui fait connaître sa première chute. Vendue à 60.000 exemplaires le premier jour, cette enquête provoque un séisme. Les auteurs ont «investigué sur l'investigateur». Pour Péan et Cohen, Le Monde n'est pas le modèle de transparence qu'il prétend être. Au contraire, il a insidieusement glissé de son rôle de contre-pouvoir vers l'abus de pouvoir permanent.
Plenel a joué un rôle central dans cette dérive, usant de son pouvoir d'intimidation, de ses rapports intimes avec policiers et juges pour faire et défaire les carrières, clouer au pilori hommes politiques, patrons et intellectuels, traquant les «dérapages» des «néo-réactionnaires», calomniant sans scrupule des suspects (Pierre Bérégovoy, Dominique Baudis), recherchant coûte que coûte leur mort politique ou sociale. Pour les deux journalistes, Plenel n'est pas un enquêteur, mais un délateur. Dans le même mouvement, il soupçonne, accuse et condamne. Dans un chapitre intitulé «L'appel de Fouché», Cohen et Péan montrent un Plenel hanté par le ministre de la Police de Napoléon, dont il préface même les Mémoires. Sous sa plume, l'inventeur de la police moderne ne devient rien de moins que l'inventeur de «la politique moderne».
«En matière d'investigation, il ne faisait rien d'autre que de recopier les fiches des renseignements généraux et reprendre les matériaux que ses amis syndicalistes policiers lui amenaient»
Pierre-André Taguieff
Pierre-André Taguieff se souvient du jeune journaliste éducation qui, au début des années 1980, devint un habitué de la Place Beauvau. «Je l'ai connu dans les années 1980 quand il n'était qu'un petit journaliste au Monde. Il était déjà fanatique des choses policières. Le dessous des cartes, ce qui se passait dans les coulisses était sa passion. Il cherchait toujours le pot aux roses, les trésors cachés. Il avait une imprégnation complotiste très claire», explique-t-il.
L'historien se souvient de dîners chez Plenel avec des responsables syndicaux policiers qui arrivaient toujours avec des documents. Et de conclure: «En matière d'investigation, il ne faisait rien d'autre que de recopier les fiches des renseignements généraux et reprendre les matériaux que ses amis syndicalistes policiers lui amenaient régulièrement. Il avait alors ses entrées au ministère de l'Intérieur.» C'est à partir de la rubrique «affaires de police», qui sera son laboratoire, que Plenel va connaître une ascension fulgurante. Une décennie et de nombreux «scoops» plus tard, devenu patron du Monde, il fera du «journalisme d'investigation» et des «révélations» sur «les affaires» la vitrine du quotidien.
Péan et Cohen mettent également en lumière la dimension profondément idéologique de son journalisme. Dans les années 1970, le futur patron du Monde est le camarade Krasny, son pseudonyme à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Au début des années 2000, il reproche à Lionel Jospin d'avoir caché son passé trotskiste. Lui-même, n'a jamais vraiment rompu avec Krasny. Ce dernier restera son double malfaisant. «Le trotskisme comme expérience et comme héritage fait à jamais partie de mon identité», reconnaît-il lui-même dans Secrets de jeunesse (2001).

Edwy Plenel en 2006, après son départ du journal Le Monde. - Crédits photo : Klein Bruno/ABACA
Aux ouvriers, ce trotskiste préfère ceux que Frantz Fanon appelle les «damnés de la terre», les colonisés. Une anecdote résume à elle seule le personnage. Elle remonte au pays de l'enfance. Edwy Plenel n'a que 3 ans lorsque sa famille débarque en Martinique. De la terrasse de l'appartement de fonction d'Alain Plenel, c'est toute la baie de Fort-de-France qui s'offre aux yeux du jeune Edwy. Son père, haut cadre de l'Éducation nationale, est vice-recteur en Martinique en même temps que militant «anticolonialiste».
À 6 ans et demi, on lui demande à l'école de dessiner sa famille. «J'ai dessiné mes parents, ils avaient la peau noire», raconte-t-il. L'événement fondateur? Son père a pris fait et cause pour les émeutiers «indépendantistes». Il doit quitter Fort-de-France au début des années 1960. Le jeune Edwy a vécu comme un arrachement le départ forcé de Martinique. Cet épisode de son enfance est peut-être la clé intime de sa rancune vis-à-vis de l'État, de la République et de la France.
Une rancune qui, selon Péan et Cohen, a contribué à faire basculer Le Mondedans l'idéologie des minorités et de la repentance. Pour le patron du Monde, «Vichy et la guerre d'Algérie sont devenus des dossiers toujours à instruire, note Péan et Cohen dans le chapitre “Ils n'aiment pas la France”. Parce que les deux périodes ont pour dénominateur commun de présenter l'État français sous son jour le plus défavorable. Parce qu'elles constituent des maladies infectieuses de la République, ou plutôt des symptômes de sa disparition…» Affaibli au sein du journal, il démissionne de la direction en novembre 2004, avant de quitter définitivement le journal le 31 octobre 2005.
Touché, mais pas coulé. En 2008, la création de Mediapart est un succès. L'élection de Nicolas Sarkozy est une aubaine éditoriale. Au Théâtre du Châtelet, en 2009, le gratin de la gauche morale assiste à une soirée pour une presse libre et indépendante où l'on retrouve Le Nouvel Observateur, Les InrockuptiblesMarianne,Rue89, mais aussi Mediapart et… Charlie Hebdo. Tous les médias de gauche communient dans la détestation du chef de l'État. Personne ne peut imaginer que les mêmes s'affronteront huit ans plus tard avec une telle violence. Pour le moment, Plenel, «l'indépendant», est encore la bonne conscience des journalistes. Avec l'affaire Cahuzac, en 2013, il revient au sommet de sa gloire.
Le tournant du 7 janvier
En septembre 2014, paraît Pour les musulmans. Après les colonisés et les Palestiniens, il a trouvé un nouvel Autre à défendre. Ce plaidoyer contre l'islamophobie systémique mêle habilement les références républicaines (Péguy, Jaurès, Zola) aux penseurs postcoloniaux (Edward Saïd, Angela Davis). Il dénonce la «haine de la religion» qui sévit à gauche, et un «laïcisme» dévoyé qui stigmatise. Il en appelle à Robespierre et au «combat de l'Incorruptible contre une haine de la religion qui, à la vérité, recouvrait une crainte de la populace». «La publication de Pour les musulmans a été un tournant, estime Caroline Fourest. Il ne connaît rien à cette question et débarque sur ce thème avec des œillères purement idéologiques sans aucune volonté d'objectivité.»
Dans ce livre imitant le Pour les Juifs de Zola, il énonce une idée simple: «L'islamophobie remplit aujourd'hui la fonction culturelle dévolue hier à l'antisémitisme.» Ce tournant le conduit à devenir le pourfendeur inlassable des «islamophobes» dans le débat public. À longueur de plateaux télé et d'interviews il cite cette phrase de Gramsci devenue son mantra: «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres.» Les monstres bien sûr, ce sont les islamophobes: Finkielkraut, Valls, Zemmour, et… Houellebecq.
Le 6 janvier 2015, Edwy Plenel court les plateaux pour mettre en garde contre la publicité faite à Soumission , roman d'un «auteur dont on sait depuis longtemps qu'il est islamophobe». Il alerte contre une «idéologie meurtrière» et la place grandissante que prennent les intellectuels «islamophobes». Ironie tragique: le lendemain, le 7 janvier, c'est une autre «idéologie meurtrière» qui frappe. Il ne s'agit plus de mots mais de balles réelles. La rédaction de Charlie Hebdo est décimée à la kalachnikov aux cris d'Allah Akbar. Ce jour-là dans les kiosques, l'hebdomadaire affichait sur sa une «Les prédictions du mage Houellebecq».
«À partir du 7 janvier, Mediapart est devenu la maison, pas seulement des proches de Tariq Ramadan, mais de tous les anti-Charlie»
Caroline Fourest
Le directeur de Mediapart, jamais avare de moments collectifs, ne participera pas à la marche du 11 janvier. Cette absence est vécue comme une trahison par les survivants. «Devant la mort, Plenel n'a pas eu la pudeur d'afficher un soutien de façade. J'éprouve plus de colère envers lui qu'envers les Kouachi, qui sont des nobody, des exécutants», explique Zineb El Rhazoui, ex-journaliste de l'hebdomadaire satirique et aujourd'hui femme la plus protégée de France.
Le 17 janvier, Plenel aggrave son cas: alors que la France pleure encore ses morts il tient meeting commun avec Tariq Ramadan. Ce soir-là dans une atmosphère bon enfant et militante, des centaines de musulmans sont rassemblés à l'appel d'associations communautaires dans une salle de la banlieue industrielle de Brétigny-sur-Orge. Femmes voilées et quelques barbus en djellabas et baskets écoutent le prédicateur et le «grand prêtre» du journalisme. Les deux affichent sans complexe leur complicité. «Il a le cerveau d'Albert Einstein et le physique de George Clooney», dit l'animateur de la soirée au sujet d'un Tariq Ramadan accueilli en rock star. Edwy Plenel est lui aussi acclamé, certains brandissant son opuscule comme un petit livre rouge. Le directeur de Mediapart vient parler des «causes communes». Évoquant «l'enfance malheureuse des frères Kouachi», il qualifie les terroristes d'«agents provocateurs de ces politiques, qui vont ajouter de la peur à la peur, de la terreur à la terreur».
Entre le théoricien du gramscisme islamiste et celui du gramscisme trotskiste, celui qui voit dans l'homosexualité un interdit et celui qui voit dans le mariage pour tous un progrès, il n'y aura pas de débat. Communiant dans la défense du musulman discriminé, nouveau prolétaire pour l'un, toujours colonisé pour l'autre, ils revendiquent tous les deux une forme de «non-charlisme». Si Tariq Ramadan dit carrément «Je ne suis pas Charlie», Edwy Plenel est plus ambivalent: «Je suis de ceux qui pensent qu'on peut dire à la fois je suis Charlie et je ne suis pas Charlie, je ne publierai pas de caricatures qui offensent n'importe quelle religion.»
Quelques jours plus tard, sur le plateau du «Petit journal» il persiste et signe, qualifiant Tariq Ramadan d'«intellectuel respectable».«Je le lis, je l'écoute, je ne vois pas d'ambiguïtés. Qu'est-ce que ça veut dire “double langage”, ça veut dire qu'il est un peu fourbe, parce que c'est un Arabe?» Il a cette phrase terrible: «La haine ne peut pas avoir l'excuse de l'humour», qui fait sursauter jusqu'au journaliste d'«Arrêt sur images» Daniel Schneidermann: «Comment à la fois rester solidaire des caricaturistes assassinés, et siffler tout de même la fin de la récré, la fin des petits dessins incendiaires?»
Pour Caroline Fourest, c'est une rupture: «À partir du 7 janvier, Mediapart est devenu la maison, pas seulement des proches de Tariq Ramadan, mais de tous les anti-Charlie. Il faut aussi rappeler la promotion par Mediapart du CCIF et de Marwan Muhammad, qui est le Tariq Ramadan junior.»
Volonté de donner des gages ou authentique travail d'enquête? En avril 2016, Mediapart publie une série de cinq articles de près de 25.000 signes chacun sur la figure Tariq Ramadan, qualifié de «Zemmour à l'envers». Le prédicateur répond dans une vidéo intitulée «Quand Mediapart fait du Marianne» où il dénonce selon lui les inexactitudes du journaliste Mathieu Magnaudeix. C'est pourtant avec l'affaire Ramadan que Plenel perdra définitivement son auréole de saint patron des journalistes. D'aucuns jugent sa sortie sur la «guerre aux musulmans» révoltante. «Jusqu'à présent, Plenel conservait son aura, car il s'attaquait plutôt aux puissants et aux forts. Là, il est opposé à un journal qui vient d'être décimé par un attentat, encore plein de blessures et de plaies.» analyse Frantz-Olivier Giesbert. «Ce n'est pas une bataille d'ego, mais l'histoire d'un ego qui ne supporte pas qu'on fasse une caricature comme on en fait sur tout le monde. Plenel se prend pour Mahomet, il ne faut pas le caricaturer.»

Fin novembre, venu donner une conférence à Sciences Po, Edwy Plenel a été accueilli sous un tonnerre d'applaudissement. - Crédits photo : Gautheron Pierre/ABACA
Le vernis a craqué et le masque est tombé: «Désormais toute une partie du monde intellectuel et médiatique va être obligée de redescendre sur terre et travailler sur le réel et non pas sur ses opinions. Entre ceux qui fricotent avec les Indigènes de la République et les vrais Républicains, il va falloir que les camps soient bien définis. Valls a raison de signaler qu'il y a deux gauches irréconciliables», estime ainsi l'ancien directeur de Charlie, Philippe Val. Les lignes de front sont en place. Côté Charlie, il existe un danger imminent, «le totalitarisme islamique».
Côté Mediapart, c'est l'islamophobie qui menace avant tout notre société. «L'islamisme en tant que tel n'est pas en soi une chose grave», estime Jade Lindgaard, coprésidente de la société des journalistes de Mediapart. Le «racisme d'État», si. Car la gauche Plenel, c'est aussi celle qui ne jure que par «l'intersectionnalité», cette notion importée de la sociologie déconstructiviste qui prône l'union des dominés (LGBT, musulmans, femmes) contre un ennemi unique: le mâle blanc occidental. Le culte des minorités du directeur de Mediapart l'amène à épouser toutes les causes dans l'air du temps: il est bien sûr pour l'écriture inclusive et pour «les réunions non mixtes des personnes “racisées”», c'est-à-dire les réunions dont les Blancs sont exclus.
Pour Péan, on perçoit enfin l'agenda militant d'un homme qui se proclamait héraut du journalisme indépendant: «Plenel n'a pas changé. À travers les médias qu'il utilise, tel un Jean-Paul Marat du XXIe siècle, il veut refaire L'Ami du peuple à la mode multiculturaliste. Il ne considère pas ses lecteurs comme des gens matures, car il ne se contente pas de dire ou d'expliquer. Il dénonce et rééduque, car il veut arriver à des fins politiques. Ce qui arrive aujourd'hui est la conséquence de cette conception du journalisme.»
Dans son ton mielleux et ses prédications inlassables sur l'amour de l'Autre, Edwy Plenel tient plus du curé que de l'anarchiste, «un trotskiste lacrymal» dit Pierre-André Taguieff. Un curé qui utilise la «religion des sociétés modernes» (Balzac) qu'est le journalisme pour diffuser ses idées. Une vision messianique de sa propre vocation de justicier qui le condamne à finir un jour lui-même au tribunal médiatique qu'il a contribué à créer. C'est une leçon de l'Histoire et de la dynamique révolutionnaire: les guillotineurs finissent toujours guillotinés. Brassens aurait pu en faire une chanson.
*Sollicité par nos soins, il n'a pas souhaité répondre à nos questions.

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Comment l'Europe est en train de se démolir elle-même (26.11.2017)
Publié le 26/11/2017 à 17h38

ANALYSE - Un journaliste suisse en poste à Bruxelles livre, désabusé, un constat amer sur l'état d'une Europe qui, minée par les divisions, reste passive face aux dangers qui la menacent.
- Crédits photo : LENA
Par Stephan Israel, chef du bureau bruxellois du quotidien suisse «Tages-Anzeiger»
Être un Suisse à Bruxelles, c'est être en plein cœur de l'action tout en étant un spectateur médusé. L'observateur peut dire que la confiance dans la capitale secrète de l'Europe s'est vite dissipée à nouveau après l'élection du proeuropéen Emmanuel Macron à l'Élysée. L'atmosphère est celle des jours troubles de novembre. Bruxelles a toujours été un symbole du chantier permanent qu'est l'Europe. Les Suisses aiment suivre les turbulences de l'Union européenne avec inquiétude, mais aussi avec un malin plaisir. C'est faire preuve de courte vue. Nous sommes tellement interconnectés que, si l'Union a mal, la Suisse n'ira pas mieux.
Actuellement, à Bruxelles, certains semblent se consacrer à des tâches de démontage sur le chantier permanent qu'est l'Europe. Ils s'affairent sous le regard de gouvernements de droite populiste qui, en Hongrie et en Pologne, sur la scène secondaire de l'Europe centrale, s'attellent avec détermination au démantèlement de l'État de droit et de la séparation des pouvoirs. Il est également incroyable de constater la quantité d'énergie mobilisée par les travaux de démolition en Grande-Bretagne. Le Brexit se révèle être un acte organisé d'automutilation des Britanniques, qui donne lieu à un spectacle pitoyable de la part de ses acteurs sur la scène bruxelloise. Même en Suisse, ceux qui applaudissaient les Britanniques après le vote sur la sortie de l'Union se font désormais discrets. Les Anglais ont choisi l'isolement. Le rêve d'une grandeur passée et d'une souveraineté non partagée devient un cauchemar. Le Brexit a, pour l'instant, soudé les partenaires européens. Mais il est triste d'observer comment les Anglais s'enfoncent dans le pétrin.
Le compromis est devenu un gros mot, ce qui est mauvais pour l'Union européenne, qui s'est construite sur la recherche du consensus
Le président destitué de la Catalogne, Carles Puigdemont, a également avoué avoir choisi Bruxelles comme tribune. Pour le leader séparatiste, l'Espagne est la même chose que l'Union pour les Britanniques: une sorte de geôle des peuples de laquelle il faut s'échapper, même au prix d'un viol de la Constitution et d'une absence de légitimité démocratique. Tout comme les partisans du Brexit, Puigdemont a claqué la porte sans avoir aucun plan, il a empoisonné la culture politique de son pays et il l'a divisé. Il parle désormais de l'Espagne comme d'une «dictature». Mais sait-il vraiment de quoi il parle? C'est une époque complètement folle, dans laquelle le nationalisme aveugle resurgit dangereusement.
Ce n'est pas tout: les Européens professionnels de Bruxelles se sont laissés surprendre par les difficultés que rencontre Angela Merkel pour former un gouvernement à Berlin. La chancelière allemande, le véritable centre du pouvoir du club, sera probablement absente pendant un certain temps, notamment parce que les seuls partenaires de coalition possibles n'ont actuellement aucune envie de gouverner à Berlin. Le compromis est devenu un gros mot, ce qui est mauvais pour l'Union, qui s'est construite sur la recherche du consensus.
Ceux qui clivent et créent des ennemis sont certains de remporter des applaudissements. Dans la bulle bruxelloise, on déclare également à coup de tweets que l'on est, parfois, pris de panique. Les Lumières appartiennent au passé, le bruit et le bavardage sont tendance. Les patriotes autoproclamés dénigrent au choix l'Union ou leur propre pays, qui attend d'être sauvé. La Catalogne et l'Angleterre ne sont pas les seules à avoir leurs nationalistes de la prospérité. En Suisse, les nationalistes mettent en garde contre la dictature bruxelloise et reprochent au gouvernement helvétique de désirer secrètement l'«annexion» par le Moloch européen.
Nous sommes tous européens, nés en paix, dans la prospérité et la sécurité comme aucune autre génération avant nous. L'Europe est un lieu de nostalgie pour les réfugiés, les migrants et les étudiants du monde entier. Elle reste un espace où les différences sociales sont relativement faibles et où la qualité de vie est élevée. Mais nous sommes en train de nous démolir nous-mêmes, de nous faire plus petits.
Les autocrates de ce monde peuvent se réjouir du fait que les Européens se divisent. Que ce soit pour le Brexit, les élections en France ou le conflit en Catalogne, les trolls de Vladimir Poutine sont toujours à l'œuvre pour alimenter la fragmentation et l'affaiblissement de l'Europe. Les entreprises d'État chinoises font leur shopping et bâtissent discrètement leur influence. Nous entrerons peut-être un jour dans l'histoire comme la génération la plus bête de tous les temps.


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