vendredi 5 avril 2019

Jeannette Bougrab: «Ce que révèle l’agression homophobe lors de la manif anti-Bouteflika» (04.04.2019)



Jeannette Bougrab: «Ce que révèle l’agression homophobe lors de la manif anti-Bouteflika»
  • Par  Alexandre Devecchio 
  • Mis à jour le 04/04/2019 à 15:50 
  • Publié le 04/04/2019 à 13:18
Paris: une agression transphobe à la manifestation anti-Bouteflika
Une personne transgenre a été violemment agressée -verbalement et physiquement- par une foule virulente, dimanche 31 mars, à l'occasion d'un rassemblement anti-Bouteflika, à Paris, place de la République.


FIGAROVOX/ENTRETIEN - Les images de l’agression d’une personne transgenre à Paris dimanche ont suscité une vive émotion. Jeannette Bougrab rappelle que la violence envers les homosexuels est une constante dans presque tous les pays arabo-musulmans.

Jeannette Bougrab est docteur en droit public de la Sorbonne, ancienne universitaire, ancienne présidente de la HALDE et ancienne Secrétaire d’État. Elle vient de publieruneLettre aux femmes voilées et à ceux qui les soutiennent (éd. du Cerf, 2019).

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FIGAROVOX.- Les images de l’agression d’une personne transgenre, violentée par des manifestants anti-Bouteflika place de la République, ont suscité une vive émotion. Que révèle cette agression?

Jeannette BOUGRAB.- Le mouvement de contestation algérien présenté jusqu’ici comme exemplaire montre aujourd’hui une face obscure. Comme le relate le quotidien El Watan, des femmes venues manifester pacifiquement près de la place Maurice Audin, comme chaque vendredi à Alger, ont été agressées par des hommes exigeant qu’elles se voilent, vociférant que «l’égalité elle ne l’aurait jamais car que c’est contre l’islam». À Paris c’est Julia, transsexuelle qui subit la haine de ces hommes certes jeunes mais incarnant un archaïsme qu’on pensait relégué dans les oubliettes de l’histoire.

Tout le monde pense évidemment aux agressions subies par les femmes place Tahrir au Caire pendant le Printemps arabe. Alors que l’on espérait voir se lever un vent de liberté pour tous, des femmes furent nombreuses à être victimes de harcèlements sexuels collectifs virant parfois au viol en réunion. Il aura fallu que des journalistes étrangères subissent ces assauts pour que perce la vérité sur la triste condition des Égyptiennes au quotidien.

S’agit-il d’une montée en puissance de l’ «homophobie» en France ou d’un problème plus spécifique d’intégration?

Ce qui vient de se produire doit être rapproché des viols que des hommes principalement de culture musulmane ont commis à Cologne lors du Nouvel An en 2015. Et l’analyse de Kamel Daoud demeure la grille de lecture pour tenter de comprendre l’incompréhensible. Il écrit justement: «En Occident, le réfugié ou l’immigré sauvera son corps mais ne va pas négocier sa culture avec autant de facilité, et cela, on l’oublie avec dédain. Sa culture est ce qui lui reste face au déracinement et au choc des nouvelles terres.»

Dans cette culture, l’homosexualité est «une tare, une honte, une déviance, un outrage aux lois de Dieu». Il faudra sans doute encore bien du temps avant que nos bonnes âmes finissent par admettre que ce sont des hommes immigrés qui ont agressé Julia parce qu’elle est transsexuelle ; admettre qu’elle encourait aussi le risque de se faire agresser dans une rue d’un quelconque pays musulman. Combien de vidéos insoutenables circulent sur le Net montrant des couples se faisant lyncher par la foule, comme à Beni Mellal en mars 2016, ou encore à Fès où un homme est roué de coups de poing et de pied car présenté comme gay ?

Il n’y a pas d’ailleurs pas de justice pour ces victimes : ce sont elles que les tribunaux poursuivent. En Tunisie, un jeune infirmier de 25 ans victime d’un viol chez lui a été traduit devant la Cour d’assises avec son violeur, le premier sous le chef d’inculpation de sodomie, le deuxième sous le chef d’inculpation de viol. Où est la justice ?

Que dit également cette agression du rapport à la modernité, aux femmes et aux homosexuels des pays arabo-musulmans ?

Elle met en lumière le système de pensée islamiste et ses valeurs. Selon Ali Harb, un philosophe libanais, la violence dans l’Islam est démultipliée parce que sa doxa religieuse se structure autour de deux notions : la pureté et la souillure*. Elles créent un ensemble binaire : si l’on n’est pas l’un alors on est nécessairement l’autre. Dans ce monde-là, tous les péchés sont donc nécessairement mortels. Aucune rédemption n’est possible, le pardon n’existe pas. Ainsi si une femme fait l’amour avec un homme qui n’est pas son mari, elle commet l’irréparable. Elle est sale. Elle sera condamnée à mort, exécutée à coups de pierre. Le même sort est réservé à un homme qui fait l’amour à un autre homme. L’islamisme induit ainsi une violence inéluctable et démultipliée dans un monde en pleine «jubilation idéologique» lorsqu’il s’attelle à éradiquer toute différence. Il n’y a qu’à penser à ce documentaire poignant dénonçant le calvaire vécu par les homosexuels où un imam décrivait les mille et une façons de massacrer un «sodomite», comme ils disent.

La victime, elle-même, affirme qu’elle ne veut pas faire d’amalgame et dénonce un problème plus général d’ignorance…

Elle ne pense sans doute pas à la tragédie que vivent les homosexuels du Maghreb à l’Asie du Sud-est en passant par le Moyen-Orient. L’homosexualité est pénalement sanctionnée dans l’écrasante majorité des pays arabo-musulmans. En Algérie, les articles 333 et 338 du Code pénal prévoient une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans de détention. La Tunisie et le Maroc ont des dispositions équivalentes dans leur législation. En Égypte, un présentateur de télévision a été condamné à un an de prison pour avoir interviewé un homme homosexuel.

Cette violence institutionnelle encourage le harcèlement de rue dont sont victimes les homosexuels.

Tout récemment, le sultanat de Brunei a décidé d’infliger la mort par lapidation à tout homosexuel musulman ou non et au couple adultérin. Il est triste de penser qu’on ne peut compter que sur Georges Clooney et Elton John pour appeler à la mobilisation. En France, les voix sont trop rares à se faire entendre pour dénoncer une telle barbarie.


Il faut aussi comprendre que cette violence institutionnelle encourage le harcèlement de rue dont sont victimes les homosexuels. L’écrivain marocain Abdellah Taia, dans un entretien publié dans Le Monde, explique parfaitement qu’à partir du moment où «la loi marocaine dit qu’un citoyen homosexuel est un criminel, elle donne l’autorisation à tous les autres citoyens de maltraiter les homosexuels. Les lynchages sont une continuité du silence du pouvoir. En évitant de condamner les agressions, les responsables politiques les encouragent de fait.»

N’y a-t-il pas, plus largement, une montée de l’homophobie en France?

Les témoignages sont de plus en plus nombreux du calvaire vécu par des homosexuels dans les quartiers dits sensibles en France. Récemment France 2, dans son émission Envoyé spécial en février dernier, a diffusé un reportage glaçant montrant le quotidien des gays victimes de guet-apens menés par des voyous pour «se taper des PD». L’Express a publié un reportage de Romain Scotto qui retranscrit les propos d’une jeune femme qui à la caisse d’une supérette en profita pour déverser sa haine des homos «pédés», «tarlouzes», «pédales», «sales chbed», «une honte pour la France qui mérite de mourir», «en Algérie les mecs comme vous, on les égorge». À la différence des pays arabes, cette femme a été déférée devant le tribunal correctionnel de Nanterre.

Je crois qu’il faut choisir entre continuer de se voiler la face et excuser les bourreaux ou bien décider de faire prévaloir le droit. Moi, j’ai choisi.

Marlène Schiappa a-t-elle réagi avec suffisamment de fermeté?

En l’occurrence, c’est le Ministre de l’intérieur qui aurait dû intervenir et la question se pose aujourd’hui de l’interdiction de futurs rassemblements si de tels actes devaient se reproduire. La place de la République ne doit pas devenir une place Tahrir bis, où le harcèlement serait toléré. Des sanctions exemplaires doivent être infligées pour dissuader ceux qui pensent encore qu’ils bénéficient d’une immunité voire d’une impunité.

Que faut-il faire pour combattre l’installation de ces violences sur notre territoire?

Les dénégations suivies de minimisations sociologiques qui accompagnent systématiquement les agressions homophobes ont bon dos. Il faut que ça cesse. Pour moi, de telles agressions sont un motif suffisant pour refuser tout accès à la nationalité française et justifient une expulsion du territoire national. Aucun compromis ne devrait être accepté sur nos valeurs et nos principes. Nous devrons accueillir non pas les oppresseurs mais les victimes de cette haine de la différence.

*Ali Harb, Le Terrorisme et ses créateurs : Le Prédicateur, le Tyran et l’Intellectuel, Arab Scientific Publishers, 2015.

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