Le gouvernement algérien, qui envoie 100 imams en France
pour le Ramadan, réprime tout acte de conversion au christianisme. Des
chrétiens algériens lancent un appel pour plus de liberté religieuse.
Il s'appelle Nourdine. Il habite à Tiaret, près d'Oran, en
Algérie. De nationalité algérienne, il a juste le malheur d'être… chrétien. Ou
plutôt de ne pas être musulman, religion d'État dans ce pays. Cet homme d'une
trentaine d'années, père de deux enfants, est totalement découragé. Lors d'un
jugement prononcé le 16 mai, il a évité, certes, deux ans de prison ferme, mais
à quel prix! 100.000 dinars d'amende. Soit cinq fois le salaire de base
mensuel en Algérie. Son méfait ? Avoir été arrêté lors d'un barrage routier, non
pas avec 3 kg de drogue dans sa voiture mais trois… bibles ! Lors de
l'interrogatoire de police qui a suivi, cet homme honnête a refusé de mentir. À
la question : «Si un musulman vous avait demandé une bible, la lui auriez-vous
donnée ?» il a répondu oui.
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Des exemples similaires pleuvent. Stock de bibles en arabe
bloquées par les douanes, scellés apposés sur les lieux de culte pour en
interdire l'accès, intimidations en tous genres, tracasseries administratives,
procès. «Même quand des juges tranchent en faveur des chrétiens, les préfets
passent outre le droit et posent des scellés», affirment les chrétiens. «À
l'heure où l'Algérie
envoie, d'une main, 100 imams en France pour le ramadan, elle
étouffe, de l'autre, le droit des chrétiens à vivre leur foi et à se
développer», accusent-ils. Et quand Gérard
Collomb, ministre de l'Intérieur, rencontre, le 15 mars à Alger, le
ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Mohamed Aïssa - notamment sur
la question de la lutte contre la radicalisation et l'envoi de 100 imams en
France -, silence total de ces ministres, notent-ils, sur la persécution
radicale menée par l'Algérie contre les chrétiens protestants.
«L'État laisse les catholiques tranquilles tant qu'ils ne
font pas de baptêmes, ni de prosélytisme»
Mustapha Krim, ancien président de l'EPA et pasteur à Bejaïa
Au point que jeudi 24 mai, l'EPA (Église protestante
d'Algérie) convoque une assemblée générale extraordinaire à Alger pour tenter
de sortir de l'implacable étau. Ces chrétiens jugent vraiment cocasse
l'initiative de «la Journée internationale du vivre ensemble» lancée à grand
bruit dans le monde par l'Algérie le 16 mai dernier.
Avec 68 500 chrétiens, soit
0,2 % d'une population de 41 millions d'habitants, ces
croyants seraient une menace pour la sécurité du pays? Les catholiques et les
orthodoxes pèsent peu: respectivement 6 000 pour les premiers (expatriés
et étudiants noirs africains) et 1 300 pour les seconds (expatriés).
«Quand on demande aux catholiques de prendre position et de nous soutenir, ils
se taisent. Ils restent neutres. L'État les laisse tranquilles tant qu'ils ne
font pas de baptêmes, ni de prosélytisme», explique Mustapha Krim, ancien
président de l'EPA et pasteur à Bejaïa. Il donne l'exemple d'un homme de
conscience, pourtant ancien avocat, religieux dominicain et actuel évêque
d'Oran, Mgr Jean-Paul Vesco, qui n'est pas intervenu sur la fermeture
d'une librairie à Oran, sa propre ville. Des scellés ont été posés sur cet
établissement parce que le propriétaire est un chrétien protestant.
«En France, les musulmans obtiennent des droits, et nous,
chrétiens algériens, on nous les enlève»
Mustapha Krim
Même mutisme sur les scellés posés sur les portes du temple
protestant historique de la ville et sur trois églises de la région. «En
France, les musulmans obtiennent des droits, et nous, chrétiens algériens, on
nous les enlève. Nous demandons seulement 1 % de la liberté religieuse en
Algérie dont jouissent les ressortissants et descendants algériens musulmans en
France, pas plus, propose Mustapha Krim. Comment nos 45 lieux de culte et
nos 60 000 fidèles seraient-ils une menace face à 35 000
mosquées? La vérité est que nous dérangeons parce que nous enregistrons des
conversions. Si nous sommes à 95 % des convertis de l'islam, nous
demeurons des citoyens algériens comme les autres avec les mêmes droits. Et
s'ils fermaient tous nos lieux de culte, il y aurait alors une multiplication,
avec 45 000 églises domestiques.»
Cet homme, avec Ali Khidri, secrétaire général de la Société
biblique, terminait, la semaine dernière à Paris, une tournée européenne pour
alerter l'opinion sur cette cause. Tout remonte à une ordonnance présidentielle
de 2006 visant à endiguer le dynamisme des communautés évangéliques
protestantes. «Tout recommence, dénoncent ces deux hommes, nous sommes repartis
à la case départ de la persécution.»
Deux à cinq ans de prison pour qui convertit un musulman
Depuis le 28 février 2006, une ordonnance signée
par le président de la République algérienne condamne lourdement
tout acte de conversion d'un musulman à une autre religion.
L'article 3 précise toutefois que «les associations
religieuses autres que musulmanes bénéficient de la protection de
l'État». Mais c'est l'article 11 qui pose tout le problème
puisqu'il prévoit que: «Sans préjudice des peines plus graves, est puni d'un
emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 500 000 DA
(dinars algériens, NDLR) à 1.000.000 DA quiconque:
1/ Incite, contraint ou utilise des moyens de
séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion, ou en
utilisant à cette fin des établissements d'enseignement, d'éducation, de
santé, à caractère social ou culturel, ou institutions de formation, ou tout
autre établissement, ou tout moyen financier.
2/ Fabrique, entrepose ou distribue des documents imprimés
ou métrages audiovisuels ou tout autre support ou moyen qui vise à
ébranler la foi d'un musulman.»
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Rédacteur en chef, chargé des religions
Mis à jour le 22/05/2018 à 20h00 | Publié le 22/05/2018 à 19h53
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