Bock-Côté : «La France fait un pas de plus vers le politiquement correct à l'américaine» (30.07.2017)
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Bock-Côté : «La France fait un
pas de plus vers le politiquement correct à l'américaine» (30.07.2017)
Mis à jour le 31/07/2017 à 10h36 |
Publié le 30/07/2017 à 19h21
ENTRETIEN - Mathieu Bock-Côté
voit dans un amendement adopté mardi dernier par l'Assemblée une étape
supplémentaire vers un multiculturalisme d'inspiration nord-américaine
funeste pour la liberté d'expression. Il nous met en garde contre une
« dérive orwellienne » qu'il constate déjà
dans son propre pays.
C'est le plus Français des
intellectuels québécois. Mathieu Bock-Côté scrute avec un mélange
d'admiration et de crainte notre pays. Et s'interroge sur son devenir. La
France va-t-elle conserver sa culture du débat? Rester la patrie des
paroles et des idées dissidentes? Ou va-t-elle se soumettre à ce que
le sociologue appelle le «nouveau régime diversitaire». Nouveau
régime marqué par un politiquement correct tatillon qui, selon lui, imposerait
une police du langage et de la pensée.
LE FIGARO - Les députés LREM
ont voté un amendement à l'article 1 du projet de loi de moralisation de la vie politique prévoyant
une «peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité» en cas de manquement à
la probité. La probité impliquerait «les faits de discrimination, injure ou
diffamation publique, provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de
l'orientation sexuelle» précise l'amendement. Que cela vous inspire-t-il?
Mathieu BOCK-CÔTÉ -
Vous me permettrez et me pardonnerez d'être franc : j'en suis effaré. Et je pèse
mes mots. Évidemment, tout le monde s'entend pour condamner le racisme, le
sexisme ou l'homophobie. J'ajouterais que nos sociétés sont particulièrement
tolérantes et ont beaucoup moins de choses à se reprocher qu'on veut bien le
croire. Mais le problème apparaît rapidement : c'est celui de la définition. À
quoi réfèrent ces concepts? Nous sommes devant une tentative peut-être sans
précédent d'exclure non seulement du champ de la légitimité politique, mais
même de la simple légalité, des discours et des idées entrant en contradiction
avec l'idéologie dominante. Il faut inscrire cet amendement dans un contexte
plus large pour comprendre sa signification : nous sommes devant une offensive
idéologique bien plus brutale qu'il n'y paraît.
«On l'aura compris, on accuse
de racisme ceux qui ne se plient pas à l'idéologie diversitaire.»
Mathieu BOCK-CÔTÉ
Prenons l'exemple du racisme. On
a vu à quel point, depuis quelques années, on a amalgamé le racisme et la
défense de la nation. Pour la gauche diversitaire et ceux qui se soumettent à
ses prescriptions idéologiques, un patriotisme historique et enraciné n'était
rien d'autre qu'une forme de racisme maquillé et sophistiqué. Ceux qui
voulaient contenir l'immigration massive étaient accusés de racisme. Ceux qui
affirmaient qu'il y avait un lien entre l'immigration et l'insécurité étaient
aussi accusés de racisme. De même pour ceux qui confessaient l'angoisse d'une
dissolution de la patrie. Cette assimilation du souci de l'identité nationale à
une forme de racisme est une des tendances lourdes de l'histoire idéologique
des dernières décennies. On l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se
plient pas à l'idéologie diversitaire. Quelle sort sera réservé à ceux qui
avouent, de manière articulée ou maladroite, de telles inquiétudes?
Prenons l'exemple du débat sur le
mariage pour tous aussi. Il ne s'agit pas de revenir sur le fond du débat mais
sur la manière dont il a été mené. Pour une partie importante des partisans du
mariage homosexuel, ceux qui s'y opposaient, fondamentalement, étaient
homophobes. Ils n'imaginaient pas d'autres motifs à leur engagement. Comme
toujours, chez les progressistes, il y a les intolérants et les vertueux. Deux
philosophies ne s'affrontaient pas : il y a avait d'un côté l'ombre, et de
l'autre la lumière. Doit-on comprendre que dans l'esprit de nos nouveaux
croisés de la vertu idéologique, ceux qui ont défilé avec la
Manif pour tous devraient être frappés d'inéligibilité? Posons la question
autrement: faudra-t-il simplement proscrire juridiquement le conservatisme
moral et social de la vie politique ?
Prenons aussi le cas de la
théorie du genre et de ses dérivés, comme l'idéologie transgenre, qui prétend
abolir la référence au masculin et au féminin dans la vie publique, et qui
émerge un peu partout dans le monde occidental. C'est pour plier à ses
injonctions, par exemple, que le métro de Londres cessera de dire Ladies and
Gentleman pour se tourner vers un fade «hello everyone». Celui qui s'oppose
frontalement - ou même subtilement - à cette idéologie peut être accusé à
n'importe quel moment de sexisme ou de transphobie, comme c'est déjà le cas en
Amérique du nord. Faudra-t-il aussi interdire la vie politique à ceux qui en
seront un jour reconnus coupables? Faudra-t-il criminaliser tôt ou tard ceux
qui continuent de croire que la nature humaine est sexuée?
«Cet amendement crée un climat
d'intimidation idéologique grave, il marque une étape de plus dans
l'étouffement idéologique du débat public.»
Ce n'est pas d'hier qu'on assiste
à une pathologisation du conservatisme, réduit à une série de phobies ou de
passions mauvaises. Il est depuis longtemps frappé d'un soupçon d'illégitimité.
Il y a une forme de fondamentalisme de la modernité qui ne tolère pas tout ce
qui relève de l'imaginaire de la finitude et de l'altérité. Ce n'est pas d'hier
non plus qu'on assiste à sa diabolisation : on le présente comme une force
régressive contenant le mouvement naturel de la modernité vers l'émancipation.
D'une certaine manière, maintenant, on entend le pénaliser. On l'exclura pour
de bon de la cité. C'est une forme d'ostracisme postmoderne. Disons
l'essentiel : cet amendement crée un climat d'intimidation idéologique grave, il
marque une étape de plus dans l'étouffement idéologique du débat public. Et ne
doutons pas du zèle des lobbies victimaires qui patrouillent l'espace public
pour distribuer des contraventions idéologiques. On me dira que l'amendement ne
va pas jusque-là : je répondrai qu'il va dans cette direction.
À mon avis, derrière cet
amendement, il y a la grande peur idéologique des progressistes ces dernières
années. Ils croyaient avoir perdu la bataille des idées. Ils croyaient la
France submergée par une vague conservatrice réactionnaire qu'ils assimilaient justement
à une montée du racisme, de la xénophobie, du sexisme et de l'homophobie. Ils
se sont dit : plus jamais ça. Ils veulent reprendre le contrôle du débat public
en traduisant dans le langage de l'intolérance la philosophie qui contredit la
leur. Il s'agit désormais de verrouiller juridiquement l'espace public contre
les mal-pensants.
LE FIGARO. - En France, le
racisme n'est pas une opinion, mais un délit...
Mathieu BOCK-COTÉ. - Ce
qu'il faut savoir, c'est que la sociologie antiraciste ne cesse d'étendre sa
définition du racisme. Elle instrumentalise le concept noble de l'antiracisme à
des fins qui ne le sont pas.
J'en donne deux exemples.
Pour elle, ou du moins, ceux qui
s'opposent à la discrimination positive se rendraient coupables, sans
nécessairement s'en rendre compte, de racisme universaliste, qui écraserait la
différence et la diversité. Traduisons : le républicanisme est raciste sans le
savoir, et ceux qui la soutiennent endossent, sans nécessairement s'en rendre
compte, toutefois, un système raciste. Ils participeraient à la perpétuation
d'une forme de racisme systémique.
Inversement, ceux qui
soutiendraient qu'une communauté culturelle ou une religion particulière
s'intègre moins bien que d'autres à la nation seront accusés de racisme
différentialiste car ils essentialiseraient ainsi les communautés et
hiérarchiseraient implicitement ou explicitement entre les différentes cultures
et civilisation. Ainsi, une analyse sur la question ne sera pas jugée selon sa
pertinence, mais disqualifiée parce qu'elle est à l'avance assimilée au
racisme.
Je note, soit dit en passant, que
les seuls militants décomplexés en faveur de la ségrégation raciale se
retrouvent dans l'extrême-gauche anticoloniale, qui la réhabilite dans sa
défense des espaces non-mixtes, comme si elle devenait légitime lorsqu'elle
concerne les minorités victimaires. Mais ce racisme, apparemment, est
respectable et trouve à gauche ses défenseurs militants …
Nous avons assisté, en quelques
décennies, à une extension exceptionnelle du domaine du racisme: il faut le
faire refluer et cesser les amalgames. En gros, soit vous êtes favorable au
multiculturalisme dans une de ses variantes, soit vous êtes raciste.
Multiculturalisme ou barbarie? On nous permettra de refuser cette alternative.
Et de la refuser vigoureusement.
Il y a aujourd'hui une tâche
d'hygiène mentale: il faut définir tous ces mots qui occupent une place immense
dans la vie publique et surtout, savoir résister à ceux qui les utilisent pour
faire régner un nouvel ordre moral dont ils se veulent les gardiens passionnés
et policiers. Il faut se méfier de ceux qui traquent les arrière-pensées et qui
surtout, rêvent de vous inculper pour crime-pensée.
LE FIGARO. - Cela
rappelle-t-il le politiquement correct nord-américain? En quoi?
«Populiste, réactionnaire,
extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique
une personnalité insoumise au nouvel ordre moral.»
Mathieu Bock-Coté
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le
politiquement correct n'est plus une spécificité nord-américaine depuis
longtemps. Mais pour peu qu'on le définisse comme un dispositif inhibiteur qui
sert à proscrire socialement la critique de l'idéologie diversitaire, on
constatera qu'il s'impose à la manière d'un nouvel ordre moral, et qu'on trouve
à son service bien des fanatiques. Ils se comportent comme des policiers du
langage : ils traquent les mots qui témoigneraient d'une persistance de l'ancien
monde, d'avant la révélation diversitaire. Ceux qui n'embrassent pas
l'idéologie diversitaire doivent savoir qu'il y aura un fort prix à payer pour
entrer en dissidence. On les traitera comme des proscrits, comme des parias. On
leur collera une sale étiquette dont ils ne pourront plus se départir.
Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes sont nombreux pour
désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise au nouvel ordre
moral. Dès lors, celui qui se présente dans la vie publique avec cette
étiquette est disqualifié à l'avance : il s'agit d'une mise en garde adressée à
l'ensemble de ses concitoyens pour leur rappeler de se méfier de ce personnage.
C'est un infréquentable: on ne l'invitera, à la rigueur, que pour servir de
repoussoir. On lui donnera la parole peut-être mais ce sera pour dire qu'il
dissimule ses vraies pensées en multipliant les ruses de langage. Alors nos
contemporains se taisent. Ils comprennent que s'ils veulent faire carrière dans
l'université, dans les médias ou en politique, ils ont intérêt à se taire et à
faire les bonnes prières publiques et à ne pas aborder certaines questions. La
diversité est une richesse, et ceux qui bémoliseront cette affirmation n'auront
tout simplement plus droit de cité. En France, le politiquement correct a pour
fonction de disqualifier moralement ceux qui ne célèbrent pas globalement ce
qu'on pourrait appeler la société néo-soixante huitarde. Avec cet amendement,
le pays fait un pas de plus vers le politiquement correct en le codifiant
juridiquement, ou si on préfère, en le judiciarisant: désormais, il modèlera
explicitement le droit.
La liberté d'expression est
pourtant un droit sacré aux États-Unis protégé par la constitution? Qu'en
est-il au Canada?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Nous
sommes à front renversé. Pour le dire rapidement, la liberté d'expression est
juridiquement bien balisée chez nous mais la vie publique est écrasée par une
forme de consensus idéologique diversitaire qui rend impossible des débats
semblables à ceux qu'on trouve en France. Autrement dit, le contrôle de la
parole dissidente s'exerce chez nous moins par le droit que par le contrôle
social. Un politicien qui, clairement, s'opposerait au multiculturalisme, par
ailleurs inscrit dans la constitution canadienne, verrait sa carrière exploser.
On a le droit de dire bien des choses, mais personne ne dit rien - il faut
néanmoins tenir compte de l'exception québécoise, où la parole publique est
plus libre, du moins en ce qui concerne la question identitaire. Je note, cela
dit, que ces dernières années, on a assisté à des tentatives pour judiciariser
le politiquement correct. Inversement, en France, la liberté d'expression est
soumise à mille contraintes qui me semblent insensées mais la culture du débat
demeure vive, ce qui n'est pas surprenant dans la mesure où elle est inscrite
dans l'histoire du pays et dans la psychologie collective.
Comment ce «politiquement
correct» est-il né? Quels sont les conséquences sur le débat public?
Mathieu BOCK-COTÉ. - C'est
un des résultats de la mutation de la gauche radicale engagée dans la suite des
Radical Sixties. Il s'institutionnalisera vraiment dans les années 1980, dans
l'université américaine. On connait l'histoire de la conversion de la gauche
radicale, passée du socialisme au multiculturalisme et des enjeux économiques
aux enjeux sociétaux. La lutte des classes s'effaçait devant la guerre
culturelle, et la bataille pour la maîtrise du langage deviendra vitale, ce qui
n'est pas surprenant pour peu qu'on se souvienne des réflexions d'Orwell sur la
novlangue. Celui qui maîtrise le langage maîtrisera la conscience collective et
certains sentiments deviendront tout simplement inexprimables à force d'être
censurés.
Mais revenons à l'histoire du
politiquement correct: dans les universités nord-américaines, on a voulu
s'ouvrir aux paroles minoritaires, ce qui impliquait, dans l'esprit de la
gauche radicale, de déboulonner les grandes figures de la civilisation
occidentale, rassemblées dans la détestable catégorie des hommes blancs morts.
Autrement dit, la culture n'était plus la culture, mais un savoir assurant
l'hégémonie des dominants sur les dominés: on a voulu constituer des
contre-savoirs idéologiques propre aux groupes dominés ou marginalisés. C'est
une logique bien bourdieusienne. Les humanités ont été le terrain inaugural de
cette bataille. Ce serait maintenant le tour historique des minorités (et plus exactement,
de ceux qui prétendent parler en leur nom, cette nuance est essentielle) et ce
sont elles qui devraient définir, à partir de leur ressenti, les frontières du
dicible dans la vie publique. Ce sont elles qui devraient définir ce qu'elles
perçoivent comme du «racisme», du «sexisme», de «l'homophobie». Et on devrait
tous se soumettre à cette nouvelle morale. On invite même le «majoritaire» à se
taire au nom de la décence élémentaire. On demeure ici dans la logique du
postmarxisme: les nouvelles minorités identitaires sorties des marges de la
civilisation occidentales sont censées incarner un nouveau sujet
révolutionnaire diversifié.
Mais on a oublié qu'il peut y
avoir un intégrisme victimaire et un fanatisme minoritaire, qui a versé dans la
haine décomplexée de l'homme blanc, jugé salaud universel de l'histoire du
monde. La société occidentale est soumise à un procès idéologique qui jamais,
ne s'arrête. Je vous le disais tout juste: ces notions ne cessent de s'étendre
et tout ce qui relève de la société d'avant la révélation diversitaire finira
dans les déchets du monde d'hier, dont il ne doit plus rester de traces. Et il
est de plus en plus difficile de tenir tête à ce délire. À tout le moins, cela
exigera beaucoup de courage civique.
Et en ce moment, l'université
nord-américaine, qui demeure la fabrique institutionnelle du politiquement
correct, est rendue très loin dans ce délire: on connait le concept de
l'appropriation culturelle qui consiste à proscrire les croisements culturels
dans la mesure où ils permettraient à l'homme blanc de piller les symboles
culturels des minorités-victimes. On chantait hier le métissage, on vante
désormais l'intégrité ethnique des minorités victimaires. On veut aussi y
multiplier les safe spaces, qui permettent aux minorités victimaires de
transformer l'université en un espace imperméabilisé contre les discours qui
entrent en contradiction avec leur vision du monde. C'est sur cette base que
des lobbies prétendant justement représenter les minorités-victimes en ont
appelé, à plusieurs reprises, à censurer tel discours ou tel événement. Pour
ces lobbies, la liberté d'expression ne mérite pas trop d'éloges car elle
serait instrumentalisée au service des forces sociales dominantes. Ils n'y
reconnaissent aucune valeur en soi et croient nécessaire de transgresser les
exigences de la civilité libérale, qui permettaient à différentes perspectives
de s'affronter pacifiquement à travers le débat démocratique. Ces lobbies sont
animés par une logique de guerre civile.
Ce qui est terrible, c'est que la
logique du politiquement correct contamine l'ensemble du débat public. Elle
vient de l'extrême-gauche mais en vient à redéfinir plus globalement les termes
du débat politique. Tous en viennent à se soumettre peu à peu à ses exigences.
Le politiquement correct entraîne un appauvrissement effrayant de la vie
intellectuelle et politique. Les thèmes interdits se multiplient : la démocratie
se vide des enjeux essentiels qui devraient être soumis à la souveraineté
populaire dans la mesure où on ne veut voir derrière elle que la tyrannie de la
majorité. On psychiatrise de grands pans de la population en l'accusant de
mille phobies. On présente le peuple comme une masse intoxiquée par de vilains
préjugés et stéréotypes : il faudrait conséquemment le rééduquer pour le purger
de la part du vieux monde qui agirait encore en lui.
On trouve de plus en plus de
spécialistes du procès idéologique. Ils patrouillent l'espace public à la
recherche de dérapages - ce terme est parlant dans la mesure où il nous dit que
la délibération publique doit se faire dans un couloir bien balisé et qu'il
n'est pas permis d'en sortir.
J'ajouterais une chose : les
gardiens du politiquement correct ne se contentent pas d'un ralliement modéré
aux thèses qu'ils avancent : ils exigent de l'enthousiasme. Il faut manifester
de manière ostentatoire son adhésion au nouveau régime diversitaire en parlant
son langage. Bien des journalistes militants se posent aussi en inquisiteur:
ils veulent faire avouer aux hommes politiques ou aux intellectuels leurs
mauvaises pensées. Ils les testent sur le sujet du jour en cherchant la faute,
en voulant provoquer la déclaration qui fera scandale. Ils veulent prouver
qu'au fond d'eux-mêmes, ce sont d'horribles réactionnaires.
LE FIGARO. - Est-il le
corollaire du multiculturalisme?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le
multiculturalisme est traversé par une forte tentation autoritaire - pour ne
pas dire plus. Il est contesté - plus personne ne croit sérieusement qu'il
dispose d'une adhésion populaire. Il doit alors faire taire ses contradicteurs.
Il le fait en les diabolisant. Ceux qui rapportent les mauvaises nouvelles à
son sujet sont accusés de propager la haine. Une information qui ne corrobore
pas les récits lénifiants sur le vivre-ensemble sera traitée au mieux comme un
fait divers ne méritant pas une attention significative, au pire comme un fait
indésirable qui révélerait surtout la psychologie régressive de celui qui en
témoigne. D'ailleurs, on le voit avec les poursuites à répétition contre Éric
Zemmour : on pensera ce qu'on voudra de ses idées, mais ce qui est certain,
c'est qu'il est poursuivi pour ce qu'on appellera des crimes idéologiques. Il
ne voit pas le monde comme on voudrait qu'il le voit alors on travaille fort à
le faire tomber. Et on se dit qu'une fois qu'on sera débarrassé de ce
personnage, plus personne ne viendra troubler la description idyllique de la
société diversitaire. On veut faire un exemple avec lui. Je note par ailleurs
que Zemmour n'est pas seul dans cette situation : Georges Bensoussan et Pascal
Bruckner ont aussi goûté aux charmes de la persécution juridique. J'en oublie.
Il s'agissait d'odieux procès.
Mais on peut aussi vouloir aller
plus loin. Au Québec, en 2008, une universitaire bien en vue proposait au
gouvernement de donner à certaines autorités devant réguler la vie médiatique
le pouvoir de suspendre pour un temps la publication de journaux proposant une
représentation négative de la diversité.
Tout cela pour dire que le
multiculturalisme, pour se maintenir, doit diaboliser et maintenant pénaliser
ceux qui en font le procès.
Mais il faut voir que le
multiculturalisme ne fait pas bon ménage avec la liberté d'expression, dans la
mesure où la cohabitation entre différentes communautés présuppose une forme de
censure généralisée où chacun s'interdit de juger des traditions et coutumes
des autres. On appelle cela le vivre-ensemble: c'est une fraude grossière. On
le voit quand certaines communautés veulent faire inscrire dans le droit leur
conception du blasphème ou du moins, quand elles veulent obliger l'ensemble de
la société à respecter leurs interdits moraux, comme on a pu le voir dans
l'affaire des caricatures. Je dis certaines communautés : il faudrait parler,
plus exactement, des radicaux qui prennent en otage une communauté en
prétendant parler en son nom.
Le génie propre de la modernité,
c'est le droit d'examiner et de remettre en question n'importe quelle croyance,
sans avoir à se soumettre à ses gardiens qui voudraient nous obliger à la
respecter. Ce sont les croyants qui doivent accepter que des gens ne croient
pas la même chose qu'eux et se donnent le droit de moquer leurs convictions les
plus profondes, sans que cette querelle ne dégénère dans la violence. On nous
demande de respecter la sensibilité des uns et des autres, comme s'il existait
un droit de ne pas être vexé et un droit de veto accordé à chaque communauté
pour qu'elle puisse définir la manière dont on se la représente.
LE FIGARO. - Ce type de
disposition peut-il être également utilisé par les islamistes pour interdire
toute critique de l'islam?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Naturellement.
C'est tout le sens de la querelle de l'islamophobie: il s'agit de transformer
en pathologie haineuse et socialement toxique la simple critique d'une religion
ou le simple constat de sa très difficile inscription dans les paramètres politiques
et culturels de la civilisation occidentale.
Les islamistes excellent dans le
retournement de la logique des droits de l'homme contre le monde occidental
pour faire avancer des revendications ethnoreligieuses. De la même manière, ils
sauront user de ces nouvelles dispositions pour présenter comme autant de
propos haineux les discours qui cherchent à contenir et refouler leur
influence, notamment en critiquant la stratégie de l'exhibitionnisme
identitaire fondée en bonne partie sur la promotion du voile islamique dans
l'espace public. On cherchera à faire passer toute critique un tant soit peu
musclée de l'islamisme pour une forme de haine raciale ou religieuse méritant
sanction juridique et politique. Soit dit en passant, en 2015-2016, le Québec
est passé bien près d'adopter une loi qui aurait entrainé une pénalisation de
la critique des religions en général et de l'islam en particulier. Elle était
portée par une institution paragouvernementale officiellement vouée à la
défense et la promotion des droits de la personne. On voit à quel point
aujourd'hui, cette mouvance s'est retournée contre les idéaux qu'elle prétend
servir.
«Mais l'islamisme n'est pas
l'islam, me direz-vous ? C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer
aussi l'islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes
variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n'importe quelle
autre religion.»
Mathieu Bock-Coté
Mais l'islamisme n'est pas
l'islam, me direz-vous? C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer
aussi l'islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes
variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n'importe quelle
autre religion. À ce que j'en sais, la critique abrasive, la moquerie,
l'humour, la polémique, appartiennent aussi au registre de la liberté
d'expression en démocratie libérale. Il est à craindre que dans une société de
plus en plus patrouillée médiatiquement par la bien-pensance progressiste, la
critique de l'islam devienne tout simplement inimaginable.
On en revient à l'essentiel: la
restauration de la démocratie libérale passe aujourd'hui par la restauration
d'une liberté d'expression maximale, qui ne serait plus tenue sous la tutelle
et la surveillance des lobbies qui participent à l'univers du politiquement
correct. L'amendement dont nous parlons propose exactement le contraire. C'est
très inquiétant.
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