Menaces de radicalisation au collège : la colère d'un ancien principal de Marseille (26.08.2017)
Menaces de radicalisation au
collège : la colère d'un ancien principal de Marseille (26.08.2017)
Samedi 26/08/2017 à 18H02 Marseille
Bernard Ravet, ancien chef
d'établissement, décrit la réalité des collèges de Zep
Bernard Ravet a dû faire face à
une guerre de position menée par les islamistes au sein de son établissement :
"Le regard des professeurs a changé quand nos collègues en jupe ont dû, le
soir, être raccompagnées durant cinq mois par la Bac jusqu'au métro pour leur
sécurité".PHOTO FLORIAN LAUNETTE
Sous sa moustache blanche,
Bernard Ravet sourit. Un sourire qui cache une inquiétude profonde : celle de
la dérive que subissent les collèges en zone d'éducation prioritaire (Zep). En
quarante ans de carrière (dont quinze ans en Zep), ce principal de collège a vu
la situation se dégrader, année après année. Ce qui semblait acquis ne l'était
plus. Son quotidien a changé. Que ce soit à Édouard-Manet, Versailles et
Jean-Claude-Izzo, trois collèges parmi les plus difficile de Marseille, Bernard
Ravet a dû se battre au quotidien pour continuer à éduquer "ses"
jeunes, pour défendre les droits des filles, chaque jour plus contestés par les
garçons, pour protéger les établissements qu'il dirigeait de l'influence d’un
fait religieux de plus en plus prégnant. Un combat qu'il a mené souvent, trop
souvent, seul. Alors, enfin libéré du droit de réserve par son départ en
retraite, Bernard Ravet parle. Et a écrit un livre "Principal de collège
ou imam de la République" (1). Plus jamais, on ne pourra dire que l'on ne
savait pas.
Quelles sont les difficultés
auxquelles sont confrontés les collèges de Zep ?
Bernard Ravet : La première des difficultés est l'inégalité sociale. Si l'on compare un collège des quartiers Nord de Marseille à un autre des quartiers Sud, on est dans deux univers totalement différents. La mixité sociale est absente. Ce phénomène est aggravé par le fait que les collèges privés choisissent leurs élèves et ne sont pas sectorisés. Dans les quartiers défavorisés, certaines familles, y compris issues de l'immigration, bien conscientes que la réussite sociale passe par la réussite scolaire, mettent leurs enfants dans des établissements privés.
Dans votre livre vous évoquez
la poussée de l'islam dans les collèges...
Bernard Ravet : Aujourd'hui, nous sommes en face de quartiers où les enfants s'entendent répéter qu'il faut préférer la loi de Dieu à celle des hommes. L'institution est totalement démunie. On se retrouve dans une situation comme avant 1905 où l'école devait affirmer sa laïcité. Pour moi, il ne s'agit pas de dénoncer la religion musulmane mais de savoir faire face quand le discours d'un certain islam le rend incompatible avec les valeurs de la République.
Quels sont les signes qui
laissent apercevoir une poussée de l'islamisme au collège ?
Bernard Ravet : Le premier peut être de voir le nombre croissant de gamines arrivant avec un voile sur la tête qu'elles retirent avant de pénétrer dans l'établissement. C'est aussi, en période de ramadan, le nombre d'enfants qui ne mangent plus à la cantine. Et, d'une manière plus générale, tous ces enfants qui refusent de manger parce que la viande n'est pas abattue rituellement.
Y a-t-il des tensions entre
enfants de confessions différentes ?
Bernard Ravet : Lors d'un reportage de RFI au collège Versailles, les enfants disent qu'il n'y a pas de problème avec les enfants juifs car de toute façon, s'il y en a, ils se cachent. Quant aux enfants issus de familles de culture chrétienne, ils vont dans le privé. Du coup, il n'y a pas de problème de ce type.
À l'intérieur du collège, les
enfants sont-ils influencés par des prosélytes ?
Bernard Ravet : Mais ce n'est pas qu'au collège ! À Versailles, on l'a vécu avec un petit livre prônant la Charia et interdit en France qui circulait. Et quand on a demandé d'où il venait, on a appris que c'était de la mosquée du surveillant. Aujourd'hui, ce surveillant, qui avait une aura certaine sur les enfants, serait fiché S.
L'enseignement dispensé est-il
contesté ?
Bernard Ravet : Tout à fait. On a affaire à deux ordres de contestation. La première concerne l'enseignement des sciences naturelles. Les professeurs de SVT ont des difficultés pour aborder les théories évolutionnistes. Nous avons aussi le devoir de parler d'éducation sexuelle. Pour y arriver, les enseignants sont obligés de séparer les filles des garçons pour aborder ce sujet. Ce n'est pas déontologique. Mais que faut-il faire ? La seconde touche à l'éducation physique et sportive, notamment la natation. Certains médecins complaisants signent des certificats permettant aux filles de ne pas suivre ces cours.
"Les choses ont changé
après le 11-Septembre"
Concernant les professeurs,
sont-ils eux aussi contestés ?
Bernard Ravet : Ça peut arriver. J'évoque dans mon livre l'exemple d'une professeure issue de l'immigration, non croyante, qui se voit embêtée par les élèves car durant le ramadan, elle continue à manger à la cantine. Rares sont aussi les enseignantes qui ne viennent pas en pantalon pour éviter de choquer certains élèves garçons avec une jupe.
Comment font face les
enseignants ? Et les autorités ?
Bernard Ravet : Comme ils peuvent. Certains ont le courage d'aborder d'ouvrir le débat, d'autres pas. En 2004, quand je rencontre ces problèmes, le rectorat ne sait pas les gérer car il découvre cette réalité en même temps que nous. Par contre, les RG la connaissent. Mais rien ne se passe.
Quelle a été la réponse des
politiques ?
Bernard Ravet : Je ne veux pas être polémique, mais quand je vois le maire de Marseille participer à l'inauguration d'une mosquée appartenant au mouvement tabligh, dont la finalité est la réislamisation des populations, je m'interroge. Quand la sénatrice Samia Ghali inaugure le collège privé musulman Ibn Khaldoun, je me dis que, ou alors, on est dans le clientélisme ou alors dans une inconscience totale. Il faut donc que les politiques prennent leurs responsabilités, peut-être même en revoyant la loi de 1905, ce qui permettrait de mieux contrôler ce qui se dit dans certaines écoles coraniques. Il y a un devoir de vigilance. On a les pieds et les poings liés par la séparation des Églises de l'État.
Faut-il aussi mieux former les
enseignants ?
Bernard Ravet : Je pense que oui. Enseigner dans les collèges en zone d'éducation prioritaire, c'est un métier différent. On m'offre des "dermatologues", moi j'ai besoin de "médecins du Samu". Parce qu'il n'y a pas que le fait religieux. Il y a aussi une gigantesque misère sociale. On n'a pas été capable d'accompagner les habitants des quartiers défavorisés, à Marseille et ailleurs, face à la crise économique. Ce qui a abouti à la création d'une économie parallèle et à une influence croissante du religieux via l'accompagnement social. Enseigner dans ces collèges difficiles est un vrai métier.
Pourquoi cette situation ? On
n'a rien vu venir ?
Bernard Ravet : On n'a pas compris que les choses avaient basculé après le 11-Septembre. Les Renseignements généraux le savaient, ils l'ont dit, on n'a pas voulu les entendre.
Votre livre évoque largement
l'année 2004. La situation a-t-elle empiré, s'est-elle améliorée
aujourd'hui ?
Bernard Ravet : Ce que je vois c'est que des élèves portent aujourd'hui des voiles transparents pour aller en classe, sont convaincues d'être inférieures aux garçons, que leurs grands frères ont des pouvoirs sur elles. Le discours que les enfants entendent à la maison, à l'école coranique n'est pas celui qu'ils entendent au collège. Aujourd'hui, l'Institution doit donc avoir un discours fort, ce qui a un coût en termes de formation des enseignants et d'ouverture au monde par le financement des projets des collèges. Il faut leur donner la fierté d'appartenir à la Nation. Bien sûr, il faut être fier de ses racines. Mais pas que. Car un arbre qui n'a que des racines est un arbre mort.
(1) Éditions Kero, 240 p.
16,90€
Frédéric Cheutin