Zemmour, Hanouna, Angot, Meklat : l'indignation sélective des vigies de l'audiovisuel (21.07.2017)
André Perrin, cènes de la vie intellectuelle en France, l'intimidation contre le débat (éd. du Toucan, 2016).
RÉSUMÉ
Professeur de philosophie, André Perrin constate que dans les débats qui occupent la scène médiatique contemporaine en France, le souci élémentaire de chercher à savoir si les assertions des intervenants sont simplement vraies ou fausses est régulièrement bafoué.
Bafoué de deux façons : en amont en cherchant d’abord à connaître les « raisons » qui ont pu pousser la personne à émettre ces propositions, et en aval en cherchant à disqualifier une thèse en la rapportant aux conséquences néfastes qu’elle est supposée devoir engendrer (en disant cela, vous faîtes le jeu d’untel ou untel). Quelques-uns des sujets de « non-débats » abordés dans ce livre :
Bafoué de deux façons : en amont en cherchant d’abord à connaître les « raisons » qui ont pu pousser la personne à émettre ces propositions, et en aval en cherchant à disqualifier une thèse en la rapportant aux conséquences néfastes qu’elle est supposée devoir engendrer (en disant cela, vous faîtes le jeu d’untel ou untel). Quelques-uns des sujets de « non-débats » abordés dans ce livre :
-La réception du livre de Sylvain Gouguenheim Aristote au Mont-Saint-Michel (Seuil, 2008)
-La « théorie du genre »
-Toutes les civilisations se valent-elles ?
-Le terrorisme est-il l’arme des pauvres ?
-Expliquer, est-ce un peu « excuser » ?
Préface de Jean-Claude Michéa
Zemmour, Hanouna, Angot, Meklat : l'indignation sélective
des vigies de l'audiovisuel (21.07.2017)
http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/07/21/31003-20170721ARTFIG00227-zemmour-hanouna-angot-meklat-l-indignation-selective-des-vigies-de-l-audiovisuel.php
- Par Alexandre Devecchio
- Publié le
21/07/2017 à 17:08
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le CSA a mis en demeure la
station de radio RTL à cause de certains propos d'Éric Zemmour. André Perrin,
philosophe et auteur d'un ouvrage sur les médias français, analyse la façon
dont l'élémentaire recherche de vérité y est souvent bafouée pour des raisons
idéologiques.
Agrégé de philosophie, ancien professeur de classes
préparatoires et inspecteur d'Académie-Inspecteur pédagogique régional honoraire,
André Perrin collabore notamment au magazine Causeur. Il est
notamment l'auteur de Scènes
de la vie intellectuelle en France, l'intimidation contre le débat (éd.
du Toucan, 2016).
FIGAROVOX.- La station de Radio RTL a reçu jeudi 13
juillet une mise en demeure du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) pour
«éloge de la discrimination». En cause? Des propos tenus à l'antenne par le
polémiste Éric Zemmour lors de la matinale d'Yves Calvi du 2 février
2017: «Les juges se sont substitués au législateur alors qu'ils ne sont
pas élus, avait affirmé Zemmour ce jour-là. Ils ont imposé leur
idéologie progressiste au peuple américain. Ce putsch judiciaire a un nom qui
s'appelle: ‘non-discrimination'. La non-discrimination est présentée
abusivement comme un synonyme de l'égalité alors qu'elle est devenue au fil du
temps une machine à désintégrer la nation, la famille, la société au nom des
droits d'un individu roi». Que vous inspire cette décision?Les
propos de Zemmour font-ils réellement l'éloge de la discrimination?
André PERRIN.- Ces propos ne font manifestement
pas l'apologie de la discrimination en général, ce qui conduirait à approuver
toutes les discriminations, mais ils contestent comme abusive l'équivalence
établie entre égalité et non-discrimination. Autrement dit, ils signifient que
l'exigence de l'égalité n'implique pas l'abolition de toutes les
discriminations. Chacun peut comprendre que la discrimination qui consiste à
refuser un logement à une personne en raison de la couleur de sa peau n'est pas
de même nature que celle qui consiste à refuser à un étudiant une bourse
d'études en raison des revenus élevés de ses parents.
La justice, comme le disait déjà Aristote, ne consiste pas à
traiter tous les êtres également, mais à traiter également les égaux et
inégalement les inégaux. Elle suppose donc que l'on tienne compte de ce qu'est
chaque être, par exemple de sa compétence ou de son mérite. Nous serions
révoltés si l'on appliquait le principe de «non-discrimination» à l'honnête
homme et au malfrat, si, sous prétexte d'égalité, on envoyait l'innocent en
prison avec le coupable ou si l'on autorisait celui qui n'a jamais étudié la
médecine à l'exercer. Inversement nous ne sommes pas choqués que pour le même
délit un mineur soit condamné à une peine moins sévère qu'un majeur. Pour
savoir si les propos de Zemmour sont ou non scandaleux, voire pénalement
répréhensibles, il faut donc examiner si, au-delà du principe qu'ils
énonçaient, ils visaient à justifier une discrimination interdite par la loi.
Sans doute formulait-il cette critique à sa manière,
brutale, provocatrice et sans nuances, mais relativement au fond, il pointait
là un réel problème.
Dans sa chronique du 2 février, Zemmour prenait parti dans
un débat on ne peut plus classique qui oppose aux États-Unis les libéraux
(c'est-à-dire les progressistes) et les conservateurs sur le pouvoir des juges
et l'interprétation de la constitution. Avec les seconds, il reprochait aux
juges, et plus particulièrement à la Cour suprême, une interprétation extensive
de la constitution, étrangère à l'intention des constituants, ce qu'on appelle
là-bas le «judicial activism», qui conduit à limiter le pouvoir législatif du
peuple et donc la souveraineté de l'État. Sans doute formulait-il cette
critique à sa manière, brutale, provocatrice et sans nuances, mais relativement
au fond, il pointait là un réel problème. J'ai moi-même montré dans un article
récent[1] - et Philippe Raynaud l'avait fait bien avant moi[2] - que si aux
États-Unis la Cour suprême avait joué un rôle décisif et incontestablement
légitime dans la lutte contre la ségrégation raciale, l'extension de sa
jurisprudence en faveur des plus improbables minorités conduisait à privilégier
les revendications «sociétales» de l'individualisme démocratique au détriment
de la volonté générale.
Dans cette chronique, Zemmour donnait trois exemples de
discrimination: la différence que l'État est, selon lui, en droit de faire
entre l'Américain et l'étranger, l'homme et la femme, l'hétérosexuel et
l'homosexuel. Or, en effet, il n'y a pas d'État au monde où les étrangers
jouissent exactement des mêmes droits que les ressortissants nationaux. Ainsi
un citoyen américain n'a pas le droit de se présenter à un concours de
recrutement de professeurs en France, à la différence de tous les citoyens
membres de l'Union européenne. Une femme en France peut bénéficier d'un congé
de maternité beaucoup plus long que le congé de paternité auquel pourra
prétendre le père de son enfant: l'État prend donc en compte la nature et la
condition des êtres auxquels il reconnaît des droits et il n'accorde pas ces
derniers sans discrimination. S'agissant enfin de la loi autorisant les
personnes de même sexe à se marier, il est difficile de considérer que la
discrimination qu'elle a abolie était purement et simplement arbitraire.
J'entendais l'autre jour aux Rencontres de Pétrarque Monique Canto-Sperber,
favorable à cette loi, dire que parmi les arguments de ceux qui s'y opposaient,
il y en avait qui étaient solides et méritaient d'être pris en considération.
Quand on prétend « lutter contre toutes les
discriminations », il est préférable de ne pas en oublier. Du moins si l'on
veut être pris au sérieux.
Enfin, considérant le décret de Donald Trump interdisant
l'accès du territoire américain aux ressortissants de sept États musulmans,
Zemmour lui faisait crédit d' «assumer la discrimination pour restaurer la
souveraineté». Pour ma part, j'ai trouvé ce décret particulièrement stupide,
mais je ne suis pas sûr que Zemmour ait commis un délit pénal en l'approuvant.
Quant aux États musulmans qui étaient visés, il est peu probable qu'ils en
aient été choqués car six d'entre eux interdisent depuis des décennies l'accès
de leur territoire non seulement aux citoyens israéliens, mais à tous les
touristes, quelle que soit leur nationalité, dont le passeport atteste qu'ils
ont séjourné en Israël. Nous sommes bien sûr fondés à nous indigner de ce qui
n'indigne pas ces États mais, quand on prétend «lutter contre toutes les
discriminations», il est préférable de ne pas en oublier. Du moins si l'on veut
être pris au sérieux.
Dans votre dernier livre, Scènes de la vie
intellectuelle en France, l'intimidation contre le débat, vous constatez
que dans les débats qui occupent la scène médiatique contemporaine, le souci
élémentaire de chercher à savoir si les assertions des intervenants sont
simplement vraies ou fausses est régulièrement bafoué. En amont en cherchant
d'abord à connaître les «raisons» qui ont pu pousser la personne à émettre ces
propositions, et en aval en cherchant à disqualifier une thèse en la rapportant
aux conséquences néfastes qu'elle est supposée devoir engendrer: «En
disant cela, vous faites le jeu d'untel ou untel». Le cas Zemmour est-il
une bonne illustration de cette dérive? Comment en est-on arrivé-là?
Oui, le cas Zemmour est une illustration de cette dérive,
comme je l'ai montré dans mon livre à propos d'une autre déclaration qui lui a
valu une condamnation judiciaire. Dans un cas comme dans l'autre, on se
préoccupe moins de savoir si ce qu'il dit est vrai ou faux que de mettre en
évidence les intentions qu'on lui prête. Dans le premier cas, on ne se
préoccupe pas de savoir s'il est vrai ou faux que les populations issues de
l'immigration sont surreprésentées dans la population délinquante et si c'est
pour cette raison qu'elles font l'objet de contrôles policiers plus fréquents.
Dans le second cas, on ne cherche pas à savoir s'il est vrai ou faux que l'exigence
républicaine de l'égalité suppose l'abolition de toutes les discriminations ou
seulement de certaines d'entre elles.
Il est vrai que Zemmour donne parfois à ses ennemis des
verges pour se faire battre. Ainsi, le 6 mars 2010, il soutenait sur France Ô
que les employeurs avaient le droit de refuser d'embaucher des noirs ou des
Arabes, ce qui est juridiquement faux: la discrimination à l'embauche sur des
critères raciaux est expressément interdite par la loi, fort heureusement. Et,
s'il entendait par là justifier une telle pratique, ce dont je ne suis pas sûr,
son propos aurait été particulièrement choquant. Je ne veux pas l'accabler car
je sais bien que dans ce genre de débats houleux, on est poussé à exprimer sa
pensée de façon approximative, ce qui est une aubaine pour les traqueurs de
«petites phrases». Toujours est-il que, ce faisant, Zemmour s'exposait à voir
toutes ses déclarations ultérieures interprétées et évaluées à l'aune de
celle-ci. Et, plus fâcheux encore, il contribuait lui-même à créer un amalgame
autorisant à mettre dans le même sac des propositions tout à fait hétérogènes.
Car on peut parfaitement être révolté par la discrimination raciale à
l'embauche ou au logement et estimer que la surreprésentation de telle ou telle
population dans la population délinquante est un fait qu'il faut regarder en
face. Si l'on veut remédier à cet état de choses, ce n'est pas par
l'aveuglement volontaire ni par la dénégation mensongère qu'on y parviendra.
Parallèlement à l'affaire Zemmour, le groupe Canal+ a
déposé deux recours devant le Conseil d'État pour faire annuler les sanctions
contre “Touche pas à mon poste!” et réclame 13,1 millions d'euros de préjudice
au CSA. Il s'agit là de contester la décision du CSA de condamner deux
séquences de l'émission reine de C8 animée par Cyril Hanouna, Touche pas à mon
poste!, pour «diffusion d'images susceptibles d'humilier les personnes» et
«d'images dégradantes». Le cas Hanouna est-il comparable au cas Zemmour?
D'après ce que je viens de découvrir, car je ne connaissais
cette émission que de nom, son animateur aurait piégé et ridiculisé des
homosexuels, avec de graves conséquences pour l'un d'entre eux au moins. L'un
de ses chroniqueurs aurait embrassé de force la poitrine d'une invitée.
Lui-même aurait glissé un plat de nouilles dans le slip d'un de ses
collaborateurs …
Cela n'a rien à voir avec le cas Zemmour car il ne s'agit
pas de liberté d'expression, à moins que l'on ne compte le droit à l'outrage,
l'avilissement et l'infamie au nombre des droits de l'homme.
Que dire devant tant de vulgarité et d'abjection? Cela n'a
évidemment rien à voir avec le cas Zemmour car il ne s'agit pas de liberté
d'expression, à moins que l'on ne compte le droit à l'outrage, à l'avilissement
et à l'infamie au nombre des droits de l'homme. Cependant, si vous voulez
mesurer le chemin que nous avons parcouru depuis 50 ans, relisez la chronique
que Maurice Clavel avait publiée dans le Nouvel Observateur le
26 juillet 1967. Elle s'intitulait «La France de Guy Lux et de Pierre Sabbagh».
Clavel y fustigeait «l'avachissement moral», la «déliquescence spirituelle»,
«la veulerie», l' «abdication d'humanité» des émissions de divertissements à la
télévision de l'époque». De quoi s'agissait-il? Du «geste de Guy Lux sur
l'épaule du candidat», geste qui soulève le cœur ; de sa formule «ce sera le
jour le plus long de votre vie» pour un jeu où il s'agissait de «gagner 5
millions tout en faisant le pitre pour illustrer l'effroyable «débrouillardise
française» et, comble de l'horreur, de la réplique d'un personnage interprété
par Michel Serrault dans une pièce du répertoire d'Au théâtre ce soir qui,
apprenant son infortune, répète par trois fois: «Cocu, cocu, cocu!».
Vous imaginez la tête de Clavel regardant aujourd'hui Touche
pas à mon poste? C'est à cela que le CSA devrait se consacrer, plutôt que de
s'en prendre aux opinions politiques de Zemmour, quoi qu'on puisse en penser.
Savez-vous ce que devait être la télévision pour Maurice Clavel? Vous allez
rire: «La télé ne devrait pas être images mais Phénomène, Phénomène où l'Esprit
du peuple est en marche obscure vers la plus haute conscience de soi». Que le
CSA fasse comprendre cela à Cyril Hanouna, s'il le peut, s'ils le peuvent l'un
et l'autre. Et sinon, je ne verrais pour ma part guère d'inconvénient à ce
qu'il prenne pour devise le cri du roi Ferrante dans La reine morte de
Montherlant: «En prison pour médiocrité!».
Au-delà de ces affaires, le rôle du CSA semble brouillé.
Quelle est sa légitimité? Est-il devenu un organe d'intimidation contre le
débat pour reprendre le titre de votre livre? Le CSA n'a pas réagi à la
présence de Medhi Meklat à l'antenne de France Inter pendant plusieurs années
alors que les tweets orduriers, racistes et antisémites du jeune homme étaient
connus de beaucoup. Existe-t-il une forme de deux poids deux mesures sur la
scène médiatique et intellectuelle française? On se souvient également que
c'est le CSA qui a dénoncé les propos de Georges Bensoussan mettant en cause
l'antisémitisme islamique...
Je ne dispose pas d'assez d'éléments pour émettre un
jugement d'ordre général sur le rôle, l'action et la légitimité du CSA. Je me
bornerai à commenter les deux affaires que vous citez, celle de Mehdi Meklat et
celle de Georges Bensoussan, car elles offrent un contraste saisissant.
La journaliste Pascale Clark a attesté qu'absolument tout
le monde dans le paysage audiovisuel français le savait et que ceux qui
prétendent le contraire ne disent pas la vérité.
Depuis 2012 Mehdi Meklat a publié sous le pseudonyme de
Marcelin Deschamps quelque 50000 tweets antisémites et orduriers. La
journaliste Pascale Clark a attesté qu'absolument tout le monde dans le paysage
audiovisuel français le savait et que ceux qui prétendent le contraire ne
disent pas la vérité. Il est donc invraisemblable que les membres du CSA qui
sont rémunérés à hauteur de 47 406 euros par an pour exercer la fonction
de «gendarme de l'audiovisuel» n'aient pas été au courant. On peut bien sûr se
demander aussi pourquoi ni Pascale Clark, ni aucun de ses amis qui, pendant
toutes ces années, ont donné la parole à Meklat ou en ont dressé des portraits
flatteurs à France Inter, dans Libération, Médiapart, Télérama, Les
Inrocks, L'Obs etc. n'ont jamais pris la peine d'alerter le CSA. Parce
que cela aurait été de la délation et que la délation, c'est très vilain?
Allons donc!
Nos intellectuels et nos journalistes ne sont ordinairement
pas avares de tribunes ou de lettres de dénonciation. Une belle brochette
d'entre eux se fendait d'une tribune le 25 mai 2002 où l'on pouvait lire: «les
propos de Renaud Camus sont des opinions criminelles qui n'ont comme telles pas
le droit à l'expression». En juin 2005, Maître Gilbert Collard portait
assistance à Claude Ribbe et à son collectif d'Antillais pour déposer une
plainte contre l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau. Le 8 décembre de la même
année, une lettre signée, entre autres, de Daniel Borillo, Laurent Cantet,
Houria Bouteldja ,Christine Delphy, Didier Eribon, Mgr Gaillot, Alain Joxe,
Laurent Muchielli, Emmanuel Pierrat, Matthieu Potte-Bonneville, Catherine
Coquery-Vidrovitch, était adressée au directeur de France Culture pour demander
qu'Alain Finkielkraut fût chassé de son émission Répliques. Le 26
novembre 2008, Michel Wieworka signait une tribune dans Télérama pour demander
qu'Éric Zemmour soit interdit de plateau sur Arte et poursuivi devant les
tribunaux. En 2012, ils furent 116 à contresigner une tribune d'Annie Ernaux
appelant à «s'interroger sur les responsabilités de (Richard Millet) au sein
d'une maison d'édition», c'est-à-dire à réclamer - et à obtenir - que cet
écrivain fût chassé du comité de lecture de Gallimard.
Pourquoi ne s'est-il trouvé personne, parmi tous ceux qui
«savaient» depuis des années, pour signaler à un CSA étrangement aveugle ou
distrait le cas Meklat? Serait-ce parce que les tweets de celui-ci étaient
d'une moindre gravité que les propos tenus dans les cas précédents? Renaud
Camus, dans un passage de son journal où il dénonçait l'abomination des crimes
antisémites et affirmait la grandeur du peuple juif, avait jugé «exagérée» et
«déplacée» la surreprésentation d'intellectuels juifs dans une émission sur
France Culture. Alain Finkielkraut avait commis le crime d'attribuer aux
émeutes de 2005 un caractère «ethnico-religieux». Or c'est précisément ce que
deux études scientifiques du sociologue Mucchielli, l'un de ses dénonciateurs,
ont mis en évidence dans les deux années qui ont suivi. Olivier
Pétré-Grenouilleau avait quant à lui déclaré dans une interview au Journal
du Dimanche: «Les traites négrières ne sont pas des génocides. La traite
n'avait pas pour but d'exterminer un peuple». Il semble pourtant à la portée
d'un enfant de huit ans de comprendre qu'un esclavagiste qui se consacrerait à
tuer tous ses esclaves jusqu'au dernier aurait beaucoup de mal à continuer
d'exister comme esclavagiste.
Comparons donc ces déclarations réputées scandaleuses aux
tweets de Mehdi Meklat :
«Faites entrer Hitler pour tuer tous les juifs»
«Je crache des glaires à la gueule de Charb et de Charlie
Hebdo»
«Venez, on enfonce un violon dans le c. de Madame Valls»
«Sarkozy = la synagogue = les juifs = Shalom = oui mon fils
= l'argent»
Caroline Fourest est qualifiée de «grosse race maudite»,
Natacha Polony de «grosse pute» et, consécutivement à l'expulsion d'Alain
Finkielkraut de Nuit Debout, il est écrit qu'il «fallait casser les jambes à ce
fils de pute».
Ces aimables propos n'entrent visiblement ni aux yeux du
CSA ni à ceux des professionnels de la pétition dans la catégorie des «opinions
criminelles qui n'ont pas comme telles le droit à l'expression»
Ces aimables propos n'entrent visiblement, ni aux yeux du
CSA, ni à ceux des professionnels de la pétition, dans la catégorie des
«opinions criminelles qui n'ont pas comme telles le droit à l'expression». La
vigilance de ces professionnels et celle du CSA n'a en revanche pas été prise
en défaut lorsqu'à l'émission Répliques l'historien Georges
Bensoussan, citant de mémoire le sociologue d'origine algérienne Smaïn Laacher,
déclara: «dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais
personne ne veut le dire, l'antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère».
Smaïn Laacher avait dit exactement: «cet antisémitisme, il est déjà déposé dans
l'espace domestique. Il est dans l'espace domestique et il est quasi
naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue. Une des insultes des
parents à leurs enfants, quand ils veulent les réprimander, il suffit de les
traiter de «juifs». Bon, mais ça toutes les familles arabes le savent». Le 2
décembre 2015, le CSA condamnait ces propos parce qu'ils «étaient susceptibles
d'encourager des comportements discriminatoires».
Notons que là encore, on ne se préoccupe pas de savoir si ce
qui a été dit est vrai ou faux: les propositions incriminées ne sont pas
répréhensibles en raison de leur contenu, mais pour les conséquences néfastes
qu'elles pourraient éventuellement avoir. Diverses associations antiracistes
déposèrent des plaintes pour provocation à la haine raciale contre Bensoussan
au motif qu'en substituant le «lait de la mère» à la «langue», il était passé
du «racisme culturel» au «racisme biologique» imputant ainsi aux musulmans un
antisémitisme génétique. Quantité d'intellectuels musulmans avaient pourtant
avant lui tenu des propos analogues, dont Boualem Sansal qui témoigna en sa
faveur lors de son procès. Bensoussan y lut quant à lui un passage d'un article
de l'intellectuel marocain Saïd Ghallab paru en 1965 dans Les Temps
modernes : «La pire insulte qu'un Marocain puisse faire à un autre,
c'est de le traiter de juif, c'est avec ce lait haineux que nous avons
grandi»[3]. Il aurait pu tout aussi bien citer l'interview que le chanteur du
groupe Zebda Magyd Cherfi avait donnée en 2002 au Nouvel Observateur.
Il y déclarait: «Quand j'étais petit, on n'aimait pas les juifs. Mes parents
étaient antisémites comme on l'est au Maghreb. Le mot «juif» en berbère, c'est
une insulte. Ce n'était pas une question de Palestine, de politique, c'est
comme ça. On n'aimait pas les juifs, sauf ceux qu'on connaissait»[4].
Comme vous le savez, Georges Bensoussan a finalement été
relaxé. Mais la morale de l'histoire, c'est qu'il se serait manifestement
épargné tous ces ennuis judiciaires si, au lieu d'aller à Répliques,
il s'était contenté de rédiger quelques tweets traitant Leïla Shahid de «grosse
pute» ou proposant d'enfoncer une kalachnikov dans le derrière de Mahmoud
Abbas.
Quid du cas de Christine Angot choisie sans discussion
pour succéder à Vanessa Burggraf dans l'émission emblématique de la deuxième
chaîne de télévision d'État «On N'est Pas Couchés»? On se souvient de sa
prestation hystérique et haineuse face à François Fillon dans l'émission
politique …
Je n'ai jamais compris comment Natacha Polony, une femme
qui a autant de classe, d'intelligence et de finesse, a pu cautionner de sa
lumineuse présence cette entreprise d'avilissement public.
J'ignore si les règles en vigueur imposent au producteur de
cette émission de procéder à une consultation démocratique pour recruter ses
collaborateurs, mais sur le fond le choix de Christine Angot me paraît
judicieux. En effet le principe de cette émission n'est pas d'organiser des
débats intelligents qui élèveraient les esprits en leur permettant de
progresser ensemble vers la vérité, mais une foire d'empoigne spectaculaire
faite d'affrontements saignants. Devant un public qui tantôt lève le pouce vers
le haut, tantôt le dirige vers le bas, deux «snipers» y ont pour fonction de
rivaliser de méchanceté pour agresser, humilier et démolir des invités qui, de
leur côté, préfèrent être traînés dans la boue par les médias qu'ignorés d'eux.
Christine Angot ne peut qu'exceller dans le rôle qui lui est dévolu. Elle y
sera à sa place, infiniment plus que Natacha Polony jadis, car je n'ai jamais
compris comment une femme qui a autant de classe, d'intelligence et de finesse
a pu cautionner de sa lumineuse présence cette entreprise d'avilissement
public.
[1] André Perrin Démocratie, tyrannie des minorités,
paradoxes de la majorité Mezetulle Blog-Revue de Catherine Kintzler 24 mai 2017
[2] Philippe Raynaud De la tyrannie de la majorité à la tyrannie
des minorités Le Débat n° 69 mars-avril 1992
[3] Saïd Ghalleb Les Temps modernes n° 229 juin 1965
[4] Le Nouvel Observateur n° 1942 24-30 janvier 2002 p. 14