jeudi 14 mars 2019

Henri Lammens, Le culte des bétyles et les processions religieuses chez les arabes préislamites (1920)



Un bétyle (en latin Baetylus, du grec ancien βαίτυλος / Báitylos) est une pierre, pouvant être de forme variée, faisant l'objet de vénération, sans être pour autant une idole (représentant formellement un dieu) dans le monde arabe et sémitique. Dans les sources antiques, il s'agit plus particulièrement de météorites, au sens strict ou supposé, dans lesquelles les anciens voyaient la manifestation d'une divinité céleste. Les bétyles étaient ordinairement l'objet d'un culte, et parfois d'offrandes.

Les bétyles sont en fait des pierres qui sont considérées comme des « demeures divines » par ces peuples anciens. Dans le récit de la Genèse, le nom de Beith-el est donné à la pierre de Jacob, et ce nom fut appliqué par extension au lieu même où il avait eu sa vision pendant que sa tête reposait sur la pierre.
Les bétyles sont désignés chez de nombreux peuples anciens par le nom de « pierres noires », ce qui semble les rapprocher des météorites.

Origine du mot
Le mot bétyle provient de l'hébreu « Beth-el » (« demeure divine » ou « Maison de Dieu »). Par la suite, ce mot fut utilisé par les peuples sémitiques pour désigner les aérolithes, appelés également « pierres de foudre ».

Attestation de bétyles

Parmi les bétyles attestés par leur existence actuelle ou par l'archéologie, on peut citer:

- la pierre noire de la Kaaba à La Mecque — elle serait selon la tradition musulmane étroitement liée à l'histoire d'Abraham ; toujours enchâssé dans la Ka'ba, ce bétyle sert de repère lors des circumambulations et reçoit des actes de dévotions (baisers ou touchers) au cours du pèlerinage ;

- On a retrouvé plusieurs bétyles à Pétra datés du IIe ou du iiie siècle av. J.-C. et taillés à même le rocher ou simplement gravés.

- Plusieurs bétyles sont attestés à Palmyre. Une scène de procession y montrerait le transport du bétyle sur le dos d'un chameau.



Localisation

Les bétyles sont des objets cultuels de formes et de tailles diverses. Ils peuvent être fixes ou faire l'objet de processions.

Les bétyles fixes peuvent se trouver dans l'enceinte d'un temple, dans des niches (comme pour les bétyles de la source de Palmyre) ou dans une construction recouverte d'étoffes appelée qubba et dont la Kaaba en serait un exemple. Le dieu « Ḏh̲ū l-S̲h̲āra » aurait, selon Épiphane, une χααβου à Pétra.

À Delphes, l'Omphalos des grecs, une pierre blanche, a pu être comparé à un bétyle.

À Rome, les boucliers sacrés des Saliens, dont on disait qu'un d'eux avait été taillé dans un aérolithe.

Représentations


Revers d'une monnaie d'Uranius Antoninus (vers 253) représentant le temple du dieu solaire Élagabal à Émèse et son bétyle.

Les bétyles ou leurs représentations étaient nombreux dans les religions de l'Antiquité :

- la pierre benben du temple solaire d'Héliopolis en Égypte ;
- le bétyle de la Cybèle phrygienne, rapporté à Rome en 204 av. J.-C. où le temple de Cybèle lui fut dédié en 191 av. J.-C. sur le Mont Palatin. Cybèle est vénérée dans la « pierre noire » de Pessinonte ;
- le bétyle d'Élagabal d'Émèse, une météorite qui fut rapportée à Rome par l'empereur Héliogabale, qui était également son grand-prêtre ;
- l'Artémis de Sardes ou l'Astarté de Paphos ont également été adorées sous la forme de bétyles.

Dans la tradition biblique

Dans la tradition biblique, un bétyle est une pierre dressée vers le ciel symbolisant l'idée de divinité. L'origine de cette pierre est attribuée à une scène de Jacob à Béthel. Celui-ci, endormi sur une pierre, rêva d'une échelle dressée vers le ciel et parcourue par des anges quand Dieu lui apparut et lui donna la pierre en question. Jacob comprend alors que la pierre est une porte vers le ciel et vers la divinité. D'une position allongée, il la fait passer à une position verticale et y répand de l'huile. Il la nomme « Béthel » (Beth : maison, El : divinité ⇒ « maison de Dieu »). Un bétyle ne représente pas Dieu, mais signale sa présence.

En raison d'une confusion probable entre cette signification et un culte d'adoration, cette pratique est condamnée par le texte biblique : « Ne vous fabriquez pas de faux dieux, ne dressez pas d'idoles ou de pierres sacrées, ne placez pas dans votre pays de pierres décorées pour les adorer. En effet, je suis le Seigneur votre Dieu. »8

Voir aussi : 

Henri Lammens, « Le culte des bétyles et les processions religieuses chez les Arabes préislamites »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) [PDF], sur ifao.egnet.net, Bulletin de l'Institut français d'archéologie orientale, 1920 (ISSN 0255-0962), p. 39–101.
Notes et références
↑ François Lenormant, « Les bétyles », Revue de l'histoire des religions, vol. 3, t. 409,‎ 1881, p. 31–53.
↑ Claude Gilliot, « Origines et fixation du texte coranique », Études, vol. 12, t. 409,‎ 2008, p. 643–652.
↑ Lammens 1920, p. 39–101.
↑ Robert du Mesnil du Buisson, « Première campagne de fouilles à Palmyre », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 110e année, no 1,‎ 1966, p. 158–190.
↑ (de) Ludwig Ammann, Die Geburt des Islam : historische Innovation durch Offenbarung, p. 16.
↑ (en) A. J. Wensinck et J. Jomier, Encyclopédie de l’Islam, Koninklijke Brill, 2016 (DOI 10.1163/9789004206106_eifo_perio), « Kaʿba ».
↑ René Guénon, Symboles fondamentaux de la science sacrée, Paris, Gallimard, 1962 (ISBN 2070230090).
↑ Bible Segond 1910/Lévitique (complet) 26,1.

Le royaume oublié des Nabatéens

15.04.2015, par 
Tombeaux à Hégra

Depuis la redécouverte de Pétra en 1812, la civilisation nabatéenne n’a cessé de fasciner voyageurs et archéologues. À l’occasion de la diffusion sur Arte d’un documentaire, samedi 18 avril, à 20 h 50, Laïla Nehmé nous présente les découvertes des dernières campagnes de fouille à Pétra, en Jordanie, et à Hégra, en Arabie Saoudite.
Qu’ont de particulier les cités de Pétra et Hégra ?
Laïla Nehmé1 : Elles appartenaient toutes les deux au royaume nabatéen, une entité politique qui, aux premiers siècles avant et après J.-C., contrôlait une vaste région couvrant le sud de la Syrie, la Jordanie, la région du Hijâz au nord-ouest de l’Arabie Saoudite, le Negev et, sans doute, le Sinaï. Indépendant jusqu’en 106 après J.-C., le royaume a été annexé par l’empereur Trajan qui en a fait une nouvelle province romaine, celle d’Arabie. Pétra, qui se trouve au sud de la Jordanie actuelle, en était la capitale. La cité est organisée autour d’un centre urbain monumental où se dressent de nombreux bâtiments publics, des temples et des maisons aux murs recouverts de peintures qui rappellent celles de Pompéi. Autour de ce centre, on trouve des centaines de monuments, principalement funéraires, taillés dans le grès des falaises, dont les plus grands mesurent près de 50 mètres de haut. Pétra est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985, et le site attire chaque année des dizaines de milliers de touristes. Hégra (aujourd’hui Madâin Sâlih, à 300 kilomètres au nord-ouest de Médine), était une grande ville provinciale située à la frontière sud du royaume nabatéen, à la fois poste militaire et station caravanière. Les tombeaux y sont comparables à ceux de Pétra, mais le centre urbain était construit en brique crue.

Les villes de Pétra et d’Hégra sont séparées de 500 kilomètres. Comment sait-on qu’elles faisaient partie du même royaume ?
L. N. : Tout d’abord, les sources littéraires parlent de ces deux villes comme ayant appartenu aux Nabatéens. Une incertitude demeure pour Hégra, car le géographe Strabon parle d’un village de « bord de mer » nommé Hégra, qui aurait appartenu au roi nabatéen Obodas III juste avant l’ère chrétienne. Or le site de Hégra se trouve à 165 kilomètres de la mer. Toutefois, les nombreux objets mis au jour sur les deux sites archéologiques portent sans aucun doute possible la signature nabatéenne. En effet, les Nabatéens avaient leur propre écriture, ils battaient leurs propres monnaies à l’effigie de leurs rois et de leurs reines, ils produisaient une céramique fine très particulière et ils taillaient des monuments rupestres dans un style tout à fait original.

Inscription nabatéenne gravée sur un des tombeaux de Hégra.
Inscription nabatéenne gravée sur un des tombeaux de Hégra. Elle précise que le tombeau a été fait par un homme qui l’a donné à son épouse « pour qu’elle en fasse tout ce qu’elle voudra ». Le texte est daté de 16 ap. J.-C.
Qui sont les Nabatéens ? Sait-on de quelle région ils sont originaires ?
L. N. : Les Nabatéens apparaissent dans les sources lorsque l’historien grec Diodore de Sicile mentionne une expédition menée contre eux à la fin du IVe siècle avant J.-C. Les Nabatéens, nous dit-il, utilisaient comme refuge une « roche » parfois identifiée avec Pétra. Diodore les décrit comme des Arabes nomades qui s’étaient enrichis en prenant part au commerce caravanier à longue distance dont ils avaient réussi à devenir les intermédiaires obligés grâce à leur connaissance du désert et de ses ressources en eau. De fait, ils contrôlaient les routes terrestres par lesquelles l’encens, la myrrhe et les aromates étaient acheminés depuis l’Arabie du Sud jusqu’aux ports de la Méditerranée. Ce monopole leur procurait d’importants revenus, notamment grâce au prélèvement de taxes. Du point de vue archéologique, l’exploration des monuments funéraires les plus anciens de Pétra, menée par Michel Mouton2, a montré des parallèles à la fois architecturaux et conceptuels avec les traditions de communautés qui se sont sédentarisées dans l’Arabie centrale à Qaryat al-Fau et à Mleiha dans la région des Émirats arabes unis, au plus tard au début du IIIe siècle av. J.-C. Ces communautés, de culture apparentée, participaient au commerce caravanier transarabique dont ils contrôlaient les principaux itinéraires.

Des fouilles ont régulièrement lieu à Pétra depuis 1929. Hégra en revanche est fouillée depuis 1986 seulement. Qu’y a-t-on trouvé ?
L. N. : Après les premières campagnes de fouille limitées menées à Hégra par les archéologues saoudiens à la fin des années 1980, un programme de fouille franco-saoudien a été mis en place en 2008, année où le site a été inscrit sur la liste du Patrimoine mondial. Cette fouille est placée sous l’égide du ministère des Affaires étrangères et de la Saudi Commission for Tourism and Antiquities. Elle est dirigée par Daifallah al-Talhi3 côté saoudien et par François Villeneuve4 et Laïla Nehmé côté français. Les découvertes réalisées depuis 2008 ont permis de revisiter complètement la chronologie du site, dont l’occupation s’étend du Ve siècle avant J.-C., bien avant l’arrivée des Nabatéens, jusqu’au Ve siècle après J.-C., bien après la disparition du royaume nabatéen. Les fouilles ont permis de dessiner le tracé du rempart de la ville et de découvrir l’une de ses portes, couverte d’inscriptions en nabatéen, en grec et en latin. Elles ont également mis au jour un sanctuaire nabatéen de la fin du Ier siècle av. J.-C., peut-être consacré à une divinité solaire. La fouille de plusieurs structures domestiques a révélé les techniques de construction des Nabatéens tandis que les recherches entreprises dans plusieurs tombeaux ont, pour la première fois, permis de restituer entièrement la manière dont les Nabatéens étaient inhumés dans leurs tombeaux rupestres.

Fouilles à Hégra
Fouilles à Hégra.
Comment se passent les fouilles en Arabie Saoudite ?
L. N. : Il s’agit d’une fouille conjointe, franco-saoudienne, dont plusieurs membres sont des archéologues de la Commission saoudienne pour le tourisme et les antiquités. Mais la mission comprend également des chercheurs venant d’autres pays européens, notamment de Suisse et de Finlande. Elle participe à la formation de jeunes chercheurs saoudiens, activité facilitée par le fait que plusieurs de ses membres européens parlent couramment l’arabe. Le travail se fait en commun, les données sont exploitées et les rapports sont rédigés collectivement dans la langue partagée par tous, l’anglais. On peut donc dire que les fouilles se passent très bien, leur exploitation scientifique aussi, d’autant que le site est protégé par une clôture, qu’il ne souffre pas de fouilles clandestines et qu’il ne reçoit pas (encore) beaucoup de touristes. Enfin, et c’est important, nous pouvons aisément, moyennant des autorisations, exporter des échantillons pour les faire analyser, par exemple pour obtenir des datations au carbone 14. Nous exportons aussi une partie des restes végétaux prélevés dans les sédiments archéologiques.

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Pourquoi étudier les restes végétaux ?
L. N. : L’étude des macro-restes végétaux permet de reconstruire l’environnement ancien du site et de déterminer quelles stratégies agricoles ont été mises en place pour assurer la subsistance d’une population de plusieurs milliers d’habitants dans un milieu hyperaride (il pleut moins de 50 millimètres par an à Hégra). Responsable de ce volet, Charlène Bouchaud, post-doctorante, a ainsi mis en évidence l’existence d’un agrosystème de type oasien, fondé sur la culture du palmier-dattier, où l’ensemble des productions était irrigué. Elle a montré que trois groupes de plantes cultivées sur place ont été consommés à Hégra : les céréales (blé et orge), les légumineuses (lentilles, pois et luzerne) et les fruits (olivier, grenadier, vigne et figuier), en quantités qui couvraient les besoins de la population locale. La découverte de graines de coton, qui est une nouveauté dans cette partie du Proche-Orient, montre peut-être, par ailleurs, le passage partiel à une économie productive. Le coton est une plante qui exige beaucoup d’eau, or on a découvert 130 puits à Hégra, sans doute associés à des fermes. Outre les restes végétaux, les membres de la mission étudient les ossements animaux, la céramique, les monnaies, les textiles et les cuirs mis au jour dans les tombeaux, etc.

Que sont devenus les Nabatéens après l’annexion de leur royaume en 106 ap. J.-C. ?
L. N. : Les Nabatéens n’ont bien sûr pas disparu du jour au lendemain. Ils ont perdu leur indépendance politique, et ont cessé par exemple de battre monnaie, mais la population de Pétra n’a pas radicalement changé au début du IIe siècle après J.-C. D’ailleurs, des personnes portant des noms nabatéens, par exemple Obodianos, qui est dérivé du nom du roi nabatéen Obodas, sont mentionnées dans des papyrus grecs découverts en 1993 dans une église de Pétra et datés du VIe siècle après J.-C. On fabrique de la céramique de type nabatéen, certes de moins bonne qualité, jusqu’au VIe siècle également. Enfin, il ne faut pas oublier que l’écriture nabatéenne est l’ancêtre de l’écriture arabe. La postérité des Nabatéens est donc assurée pour longtemps.
 

Carte du royaume nabatéen.
Carte du royaume nabatéen.
À voir :
« Pétra, capitale du désert », réalisé par Olivier Julien et Gary Glassman,
coll. « Monuments éternels », sur Arte le samedi 18 avril à 20 h 50.

À lire :
Pétra. Atlas archéologique et épigraphique,
Laïla Nehmé, avec Joseph T. Milik et René Saupin,
Académie des inscriptions et belles-lettres,
coll. « Épigraphie et archéologie », 2012, 320 p., 50 

Men on the Rocks. The Formation of Nabataean Petra,
Michel Mouton et Stephan G. Schmid (dir.),
Logos, 2013, 362 p., 73 

Sur le même sujet :
« Pétra. Le dessous des cartes », CNRS Le journal, n° 272, mai-juin 2013, pp. 14-16.


Notes
  • 1.
    Laboratoire Orient et Méditerranée (CNRS/Univ. Paris-Sorbonne/Univ. Paris-I Panthéon-Sorbonne/EPHE/Collège de France).
  • 2.
    Centre français d’archéologie et de sciences sociales (CNRS/Ministère des Affaires étrangères).
  • 3.
    Univ. de Hâil.
  • 4.
    Archéologies et sciences de l’Antiquité (CNRS/Univ. Paris Ouest/Univ. Panthéon-Sorbonne Paris-I/MCC).

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