L’islam
On entend souvent dire que l’islam est une religion, c’est-à-dire, selon le dictionnaire, "un ensemble de croyances ou de pratiques ayant pour objet le rapport des hommes avec la divinité ou le sacré". L’islam est en effet une religion, mais il est aussi autre chose. Selon les théologiens islamiques, l’islam est à la fois dîn, dunya, daoula, religion, société, Etat.
Le Coran contient en effet un grand nombre de dispositions civiles : le statut des femmes, celui des dhimmis [1], les lois qui interdisent à un musulman de changer de religion, celles qui interdisent aux non musulmans d’exprimer publiquement leur foi, etc.
Ces dispositions et bien d’autres forment l’ossature d’une société, et c’est dans cette société, sous la direction des califes, donc de l’autorité politique, que les textes fondateurs ont pris la forme que l’on connaît aujourd’hui.
Le Coran, la biographie de Mahomet, le corps de lois nommé la charia, ont été rédigés sur l’ordre des califes, sous leur contrôle, durant les deux siècles qui ont suivi la naissance de l’islam et les hadiths, dont la première collection faite en 712 sur ordre califal a complètement disparu, se fondent sur une tradition étroitement surveillée pendant deux siècles et demi.
La destruction des documents initiaux est attestée à de multiples reprises, particulièrement pour les versions successives du Coran. Ces destructions n’ont été complètement achevées qu’au dixième siècle, trois cents ans après les origines.
Le Coran
Il n’existe aucune attestation de l’existence du Coran, sous quelque forme que ce soit, avant la fin du septième siècle, soixante-dix ans après la mort de Mahomet, et l’ensemble de traditions très divergentes qui décrivent la collecte et l’histoire des Corans n’est attesté que vers 750, 120 années après la mort de Mahomet [2].
L’histoire personnelle de Mahomet.
Elle a été rédigée deux siècles après sa mort, sur ordre califal. Tous les documents qui ont servi de sources ont disparu.
Les hadiths
Ce sont les paroles ou les actes de Mahomet, ou des actes de compagnons de Mahomet vus et approuvés par ce dernier, ou des descriptions louangeuses de Mahomet par ceux qui l’on connu. Les recueils qui les contiennent ont été mis par écrit deux siècles et demi après la mort de Mahomet. Il existe environ un million et demi de hadiths. Cinq recueils, contenant environ 20.000 hadiths, sont tenus pour authentiques par les érudits de l’islam.
Le problème des sources documentaires
L’islamologue Harald Motzki a dit : ou bien on fait une critique des sources, et l’on ne peut écrire une histoire de l’islam et de Mahomet, ou bien on renonce à évaluer les sources, et ce qu’on écrit est, suivant la formule d’Alfred Louis de Prémare, un roman que l’on espère historique.
Pour en savoir plus sur ce point, cliquez ici
La situation est-elle vraiment aussi désespérante ? Certes, les documents officiels, le Coran, la biographie de Mahomet et les hadiths principaux sont tardifs. Ce sont les califes qui ont conduit les collectes qui ont servi à former le Coran, c’est le calife al-Mansûr qui a fait rédiger la première biographie de Mahomet, ce sont les califes qui ont surveillé le choix des recueils de hadiths qui devaient être tenus pour canoniques et avoir autorité. Ce sont les califes qui ont fait détruire les sources originales du Coran, et encore que cela ne soit pas attesté par des sources historiques directes, il est assez raisonnable de penser que la disparition des textes originaux concernant l’histoire du premier islam, la biographie de Mahomet et les premiers recueils de hadiths, n’a pu être si complète sans une action du pouvoir central. Tout ceci n’est d’ailleurs en rien différent de ce qu’ont fait toutes les autorités politiques en quête de pouvoir sur les idées.
Si l’on ne peut utiliser ni le Coran, ni la biographie de Mahomet, ni les hadiths comme sources fiables, il reste un très grand nombre de traditions, qui décrivent les origines de l’islam et divers incidents de la vie de Mahomet. Quel parti peut-on en tirer ?
Les traditions orales islamiques, mises ensuite par écrit
Pour savoir plus sur ces traditions,cliquez ici. Elles sont foisonnantes et très contradictoires entre elles. Dans les autres parties du monde, pour l’histoire de la Chine après Qin Shi Houangdu, de l’Inde, de la Grèce antique ou de la Rome antique, il est possible de trouver une pluralité de documents, dont certains ont été écrits pendant ou peu après les événements qu’ils décrivent. Cela permet d’isoler la part historique, et de comprendre les motivations des divers auteurs. Cette méthode est impossible dans le cas de l’islam, en raison de la disparition de tous les documents anciens. Il ne reste d’autre possibilité que de trouver des critères internes aux diverses traditions. C’est ce que font les islamologues modernes. Le critère le plus utilisé consiste à tenir pour historique, quand il existe, l’élément commun à plusieurs traditions. Maxime Rodinson [3], un des grands islamologues, en a proposé un autre : ce qui présente Mahomet sous un jour défavorable serait vrai. L’idée est que des auteurs musulmans ne diffameraient pas Mahomet s’ils n’y étaient contraints par le souci de la vérité historique. Ce critère paraît raisonnable, mais il est douteux : ce qui est défavorable selon les conceptions modernes ne l’était pas nécessairement il y a quatorze siècles en Arabie. De plus, Mahomet étant le "beau modèle" que tous doivent imiter, lui attribuer un acte contestable permet de justifier cet acte pour tous ceux qui veulent le pratiquer : contrairement à ce qu’écrit Rodinson, Mahomet n’a pas nécessairement commis tous les actes répréhensibles que lui attribuent les auteurs musulmans.
Ces difficultés ne signifient pas qu’il faille renoncer à utiliser les traditions islamiques, mais simplement qu’il faut effectuer un tri plus rigoureux que celui qui est habituel. Le critère le plus évident consiste à n’utiliser que les traditions qui ne présentent pas ou peu de divergences entre elles. On peut présumer que dans ce cas il n’y a pas eu de création par des conteurs, car l’extrême variété des traditions où ils sont intervenus montre la richesse de leur imagination. Cela rend peu vraisemblable qu’ils soient à l’origine des traditions peu divergentes : il aurait fallu qu’ils perdent soudain leur créativité. L’avantage de cette approche est de fournir une sécurité supérieure, l’inconvénient est que ce critère ne laisse subsister que très peu de données. De telles traditions ne concernent que des éléments apparemment assez marginaux, essentiellement la tribu de Mahomet, appelée Qoreychite, où les traditions sont assez peu divergentes, et Waraka un personnage qui a joué un rôle dans la formation de l’islam, où les traditions sont pratiquement sans divergences. Ces données sont moins accessoires qu’il n’y paraît. Dans le cas des Qoreychites, il existe également quelques données non musulmanes qui confirment les traditions islamiques concordantes. Bien que limitées, ces données sont précieuses car elles sont raisonnablement assurées.
En dehors des Qoreychites et de Waraka, les travaux modernes, l’exégèse, l’épigraphie, etc., ainsi que des sources non musulmanes récemment découvertes fournissent des compléments. L’ensemble est insuffisant pour écrire une biographie et une histoire aussi longue et détaillée que celles qui sont habituelles, mais l’avantage est qu’un travail établi sur ces bases est plus proche de la vérité historique.
[1] Ceux qui ont refusé de devenir musulmans lorsque leurs armées ont été battues et leur pays durablement occupé par les forces armées islamiques
[2] Patricia Crone et Michael Cook, opus cit..
[3] Maxime Rodinson, Mahomet, Le Seuil, Paris, 1968
In: http://www.capucins.net/coran-aujourdhui/Les-sources-documentaires.html