Un écrit contemporain aux premières incursions musulmanes à Gaza rapporte la déclaration suivante : "Le prophète qui est apparu chez les Saracènes (...) est un faux prophète : les prophètes viennent-ils avec épées et chars de guerre ? (...) Il n'est question que d'effusion de sang humain. Il dit aussi qu'il détient les clefs du Paradis, ce qui est incroyable" (Doctrina Jacobi, V). Une déclaration qui reflète un point de vue commun aux juifs et chrétiens : un prophète n'est pas un combattant.
Le Coran soutient l'avis contraire : Combien de prophètes ont combattu, en compagnie de beaucoup de disciples, ceux-ci ne fléchirent pas à cause de ce qui les atteignit dans le sentier de Dieu. Ils ne faiblirent pas et ils ne cédèrent point. Et Dieu aime les endurants (Coran III, 146). Partant de ce point de vue, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le prophète de l'islam soit un guerrier : Ô Prophète, incite les croyants au combat. S'il se trouve parmi vous vingt endurants, ils vaincront deux cents (...) Un prophète ne devrait pas faire de prisonniers avant d'avoir fait de grands massacres sur la terre (Coran VIII, 65.67)
Le Coran déclare que le prophète de l'islam et ses disciples, lorsqu'ils partent au combat, agissent comme l'ont fait leurs prédécesseurs. Voici cependant le seul exemple qu'il développe : N'as-tu pas su l'histoire des notables, parmi les enfants d'Israël, lorsqu'après Moïse ils dirent à un prophète à eux : "Désigne-nous un roi, pour que nous combattions dans le sentier de Dieu". Il dit : "Et si vous ne combattez pas, quand le combat vous sera prescrit ?" Ils dirent : "Et qu'aurions-nous à ne pas combattre dans le sentier de Dieu, alors qu'on nous a expulsés de nos maisons et qu'on a capturé nos enfants ?" Et quand le combat leur fut prescrit, ils tournèrent le dos, sauf un petit nombre d'entre eux (...) Et leur prophète leur dit : "Voici que Dieu vous a envoyé Tâloût pour roi" (...) Puis, au moment de partir avec les troupes, Tâloût dit : "Voici : Dieu va vous éprouver par une rivière : quiconque y boira ne sera plus des miens ; et quiconque n'y goûtera pas sera des miens -passe pour celui qui y puisera un coup dans le creux de sa main" Ils en burent, sauf un petit nombre d'entre eux. Puis, lorsqu'ils l'eurent traversée, lui et ceux des croyants qui l'accompagnaient ils dirent : "Nous voilà sans force aujourd'hui contre Goliath et ses troupes !" Ceux qui étaient convaincus qu'ils auront à rencontrer Dieu dirent : "Combien de fois une troupe peu nombreuse a, par la grâce de Dieu, vaincu une troupe très nombreuse ! Et Dieu est avec les endurants" (...) Ils les mirent en déroute, par la grâce de Dieu. Et David tua Goliath ; et Dieu lui donna la royauté et la sagesse, et lui enseigna ce qu'Il voulut. Et si Dieu ne neutralisait pas une partie des hommes par une autre, la terre serait certainement corrompue (Coran II, 246.247.249.251)
Nous pouvons noter tout d'abord la morale de ce récit : la guerre est une nécessité pour éviter que le règne de la corruption ne soit instauré. Remarquons également que l'évocation de la "troupe peu nombreuse" qui peut vaincre grâce à l'aide de Dieu fait écho à la promesse faite plus haut aux "vingt endurants" qui "vaincront deux cents". Notons cependant que ce n'est pas le prophète évoqué dans cette histoire qui prend l'initiative du combat, mais bien des rois : la distinction est de taille. Le seul moyen d'étayer l'affirmation coranique serait donc la Bible ?
Commençons par le récit que nous a fait le Coran. Il mêle -du point de vue biblique- trois épisodes différents : l'expédition de Gédéon contre Madiân, la désignation de Saül comme roi par le prophète Samuel -et son combat contre les Philistins, dans lequel s'inscrit la victoire de David sur Goliath- et le combat mené des siècles plus tard par Judas Maccabée.
Commençons par évoquer ce dernier : A la vue de l'armée qui montait à leur rencontre, ils dirent à Judas : "Comment pourrons-nous, étant si peu nombreux, lutter contre une multitude si forte ? Nous sommes exténués et à jeun". Judas répondit : "Il arrive facilement qu'une multitude tombe aux mains d'un petit nombre, et il importe peu au Ciel d'opérer le salut au moyen de beaucoup ou de peu d'hommes. Car la victoire au combat ne tient pas à l'importance de l'armée, mais à la force qui vient du Ciel. Ceux-ci viennent contre nous, débordant d'orgueil et d'impiété, pour nous faire périr, nous, nos femmes, nos enfants, et nous dépouiller. Mais nous, nous combattons pour nos vies et pour nos lois et Lui les brisera devant nous. Quant à vous, ne les craignez donc pas". Dès qu'il eut fini de parler, il se rua sur eux à l'improviste. Séron et son armée furent écrasés devant lui (1 Mac III, 17-23)
Nous pouvons aisément voir la familiarité entre ce texte -admis par les catholiques, mais rejeté par le judaïsme rabbinique et par les protestants- et le passage coranique que nous venons de lire : l'armée "sans force", la victoire promise à la "troupe peu nombreuse"... Mais notons également que, là-aussi, le chef de guerre n'est pas un prophète.
Nous pouvons aisément voir la familiarité entre ce texte -admis par les catholiques, mais rejeté par le judaïsme rabbinique et par les protestants- et le passage coranique que nous venons de lire : l'armée "sans force", la victoire promise à la "troupe peu nombreuse"... Mais notons également que, là-aussi, le chef de guerre n'est pas un prophète.
Prenons les récits concernant Saül : "Donne-nous un roi pour nous juger comme toutes les nations" (...) Le SEIGNEUR dit à Samuel : "Ecoute la voix du peuple en tout ce qu'ils te diront. Ce n'est pas toi qu'ils rejettent, c'est Moi. Ils ne veulent plus que Je règne sur eux. Comme ils ont agi depuis le jour où Je les ai fait monter d'Egypte jusqu'aujourd'hui, M'abandonnant pour servir d'autres dieux, ainsi agissent-ils aussi envers toi. Maintenant donc, écoute leur voix. Mais ne manque pas de les avertir : apprends-leur comment gouvernera le roi qui régnera sur eux" Samuel redit toutes les paroles du SEIGNEUR au peuple qui lui demandait un roi. Il dit : "Voici comment gouvernera le roi qui régnera sur vous : il prendra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie et ils courront devant son char. Il les prendra pour s'en faire des chefs de millier et des chefs de cinquantaine, pour labourer son labour, pour moissonner sa moisson, pour fabriquer ses armes et ses harnais. Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. Il prendra vos champs, vos vignes et vos oliviers les meilleurs. Il les prendra et les donnera à ses serviteurs. Il lèvera la dîme sur vos grains et sur vos vignes et la donnera à ses eunuques et à ses serviteurs. Il prendra vos serviteurs et vos servantes, les meilleurs de vos jeunes gens et vos ânes pour les mettre à son service. Il lèvera la dîme sur vos troupeaux. Vous-mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves. Ce jour-là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choisi, mais, ce jour-là, le SEIGNEUR ne vous répondra point" Mais le peuple refusa d'écouter la voix de Samuel. "Non, dirent-ils. C'est un roi que nous aurons. Et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations. Notre roi nous jugera, il sortira à notre tête et combattra nos combats" (1 S VIII, 5.7-19) ; Saül, fils de Qish, fut désigné (1 S X, 21) ; Les hommes d'Israël avaient souffert, ce jour-là, car Saül avait engagé le peuple par cette imprécation : "Maudit soit l'homme qui prendra de la nourriture avant le soir, avant que je ne me sois vengé de mes ennemis" Dans le peuple, personne n'avait donc goûté de nourriture (1 S XIV, 24)
Les éléments du récit sont familiers, mais la leçon donnée est bien différente : si Israël demande un roi, c'est pour être "comme toutes les nations" ; Dieu leur accorde, mais demande à Son prophète Samuel d'annoncer à Israël que ce roi se transformera rapidement, comme tous les rois, en malédiction. L'épisode de la malédiction hâtive lancée par Saül, contraignant ainsi stupidement ses hommes à combattre le ventre vide, est ainsi un premier exemple d'une longue série d'abus... Et une choses est certaine : ici, comme dans le Coran, ce n'est pas le prophète de Dieu qui mène le combat.
Les éléments du récit sont familiers, mais la leçon donnée est bien différente : si Israël demande un roi, c'est pour être "comme toutes les nations" ; Dieu leur accorde, mais demande à Son prophète Samuel d'annoncer à Israël que ce roi se transformera rapidement, comme tous les rois, en malédiction. L'épisode de la malédiction hâtive lancée par Saül, contraignant ainsi stupidement ses hommes à combattre le ventre vide, est ainsi un premier exemple d'une longue série d'abus... Et une choses est certaine : ici, comme dans le Coran, ce n'est pas le prophète de Dieu qui mène le combat.
Revenons maintenant à l'expédition de Gédéon : Le SEIGNEUR dit à Gédéon : "Trop nombreux est le peuple qui est avec toi pour que Je livre Madiân entre ses mains ; Israël pourrait s'en glorifier à Mes dépens et dire : C'est ma main qui m'a sauvé ! En conséquence, proclame donc ceci au peuple : Quiconque a peur et tremble, qu'il s'en retourne et déguerpisse par le mont Galaad !" Vingt-deux mille hommes parmi le peuple s'en retournèrent, et il resta dix mille hommes. Le SEIGNEUR dit à Gédéon : "Ce peuple est encore trop nombreux ! Fais-le descendre au bord de l'eau, et là je le mettrai à l'épreuve pour toi. Ainsi, celui dont Je te dirai : Qu'il aille avec toi, celui-là ira avec toi, et tout homme dont Je te dirai : Qu'il n'aille pas avec toi, celui-là n'ira pas !" Alors Gédéon fit descendre le peuple au bord de l'eau, et le SEIGNEUR dit à Gédéon : "Quiconque lapera l'eau, comme un chien le fait avec la langue, tu le mettras à part, et de même quiconque se mettra à genoux pour boire" Or, le nombre de ceux qui lapèrent en portant la main à la bouche fut de trois cents hommes, alors que tout le reste du peuple s'était mis à genoux pour boire de l'eau. Le SEIGNEUR dit à Gédéon : "C'est avec les trois cents hommes qui ont lapé que Je vous sauverai et que Je livrerai Madiân entre tes mains. Que le gros du peuple rentre chacun chez soi" (Jg VII, 2-7).
Nous retrouvons ici l'épreuve de la "rivière" qui va déterminer qui ira combattre, à la différence qu'ici la "troupe peu nombreuse" a été voulue comme telle par Dieu Lui-même, selon ce qu'Il révèle à Gédéon. Nous sommes donc cette fois-ci face à un exemple biblique qui semble confirmer la vision coranique... Si ce n'est que Gédéon, comme tant d'autres personnages de la Bible, n'est pas ce que chrétiens et juifs appellent un "prophète". Alors que, d'un point de vue islamique, le fait que cet homme puisse être guidé par Dieu le classe comme tel.
Nous retrouvons ici l'épreuve de la "rivière" qui va déterminer qui ira combattre, à la différence qu'ici la "troupe peu nombreuse" a été voulue comme telle par Dieu Lui-même, selon ce qu'Il révèle à Gédéon. Nous sommes donc cette fois-ci face à un exemple biblique qui semble confirmer la vision coranique... Si ce n'est que Gédéon, comme tant d'autres personnages de la Bible, n'est pas ce que chrétiens et juifs appellent un "prophète". Alors que, d'un point de vue islamique, le fait que cet homme puisse être guidé par Dieu le classe comme tel.
Mais Gédéon n'est pas mentionné dans le Coran ; en revanche, nous trouvons ceci : Nous t'avons fait une révélation comme Nous fîmes à Noé et aux prophètes après lui. Et Nous avons fait révélation à Abraham... (Coran IV, 163). Abraham -considéré par juifs et chrétiens comme un patriarche, et non comme un prophète- est pour les musulmans un modèle : "Suivons la religion d'Abraham !" (Coran II, 135). Or la Bible rapporte comment Abraham délivra son frère Loth : "Dès que celui-ci apprit la capture de son frère, il mit sur pied trois cent dix-huit de ses vassaux, liés de naissance à sa maison. Il mena la poursuite jusqu'à Dan. Il répartit ses hommes pour assaillir de nuit les ennemis. Il les battit et les poursuivit jusqu'à Hova qui est au nord de Damas" (Gn XIV, 14-15). Nous avons donc bien là un personnage considéré comme un prophète par les musulmans et qui mène lui-même ses hommes au combat.
Tournons-nous maintenant Moïse, personnage le plus cité du Coran, et reconnu comme prophète par juifs, chrétiens et musulmans. La Bible nous donne à lire le récit suivant : Alors, Amaleq vint se battre avec Israël à Refidim. Moïse dit à Jésus : "Choisis-nous des hommes et sors te battre contre Amaleq ; demain, je serai debout au sommet de la colline, le bâton de Dieu en main" Comme Moïse le lui avait dit, Jésus engagea le combat contre Amaleq, tandis que Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline. Alors, quand Moïse élevait la main, Israël était le plus fort ; quand il reposait la main, Amaleq était le plus fort. Les mains de Moïse se faisant lourdes, ils prirent une pierre, la placèrent sous lui et il s'assit dessus. Aaron et Hour, un de chaque côté, lui soutenaient les mains. Ainsi, ses mains tinrent ferme jusqu'au coucher du soleil et Jésus fit céder Amaleq et son peuple au tranchant de l'épée (Ex XVII, 8-13). Encore une fois, ce n'est pas le prophète qui combat, mais le lien entre son action et celle de son lieutenant, "Hosée, fils de Noun" à qui "Moïse donna le nom de Jésus" (Nb XIII, 16), est très étroit.
Ce Jésus -que les chrétiens nomment Josué, afin d'éviter les confusions, tout comme la soeur de Moïse, par commodité, est appelée Myriam et non Marie- ne peut manquer d'évoquer celui en qui musulmans et chrétiens s'accordent à voir le Messie. La stature de guerrier du fils de Noun s'accomoderait fort bien du passage coranique suivant : Ô vous qui avez cru ! Soyez les alliés de Dieu, à l'instar de ce que Jésus fils de Marie a dit aux apôtres : "Qui sont mes alliés pour Dieu ?" Les apôtres dirent : "Nous sommes les alliés de Dieu". Un groupe des Enfants d'Israël crut, tandis qu'un groupe nia. Nous aidâmes donc ceux qui crurent contre leur ennemi, et ils triomphèrent (Coran LXI, 14). Mais le Christ Jésus dont il est question dans ce passage du Coran, et qui, dans la Bible, déclare n'être "pas venu apporter la paix, mais bien le glaive" (Mt X, 34), a-t-il été un chef de guerre ?
Cette idée est réfutée par la scène suivante : "Celui qui n'a pas d'épée, qu'il vende son manteau pour en acheter une. Car, je vous le déclare, il faut que s'accomplisse en moi ce texte de l'Ecriture : On l'a compté parmi les criminels. Et, de fait, ce qui me concerne va être accompli" "Seigneur, dirent-ils, voici deux épées" Il leur répondit : "C'est assez" (...) Il parlait encore quand survint une troupe (...) Voyant ce qui allait se passer, ceux qui entouraient Jésus lui dirent : "Seigneur, frapperons-nous de l'épée ?" Et l'un d'eux frappa le serviteur du grand prêtre et lui emporta l'oreille droite (Lc XXII, 36-38.47.49-50) ; Alors Jésus lui dit : "Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l'épée périront par l'épée. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père, qui mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d'anges ? Comment s'accompliraient alors les Ecritures selon lesquelles il faut qu'il en soit ainsi ?" (Mt XXVI, 52-54). Jésus a bien demandé à ses disciples de s'armer ; mais cet armement est symbolique, puisqu'il se résume à "deux épées" dont Jésus interdit l'usage : "Remets ton épée à sa place". Sa seule raison d'être était de servir de preuve à charge afin que Jésus soit "compté parmi les criminels" comme l'avait prophétisé l'Ecriture.
Il n'y a donc aucune ambiguïté quant au "glaive" qu'est "venu apporter" Jésus : Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu'aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu'à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du coeur. Il n'est pas de créature qui échappe à sa vue ; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. Et c'est à elle que nous devons rendre compte (He IV, 12-13)
Souvenons-nous de la raison pour laquelle David se vit interdire de poser les fondations du Premier Temple : "J'avais à coeur, moi-même, de construire une Maison pour le nom du SEIGNEUR, mon Dieu. Mais la parole du SEIGNEUR me fut adressée en ces termes : Tu as répandu beaucoup de sang et tu as fait de grandes guerres. Tu ne construiras pas de Maison pour Mon Nom, car tu as répandu beaucoup de sang sur la terre devant Moi. Voici, il t'est né un fils qui sera, lui, un homme de repos et auquel J'accorderai le repos vis-à-vis de tous ses ennemis d'alentour, car Salomon sera son nom, et Je donnerai paix et tranquillité à Israël pendant ses jours. C'est lui qui construira une Maison pour Mon Nom" (1 Ch XXII, 7-10)
Jésus, pierre que les maçons ont rejetée (...) devenue la pierre angulaire (Ps CXVIII, 22), une pierre à toute épreuve, une pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation (Is XXVIII, 16), ne pouvait donc être un chef de guerre.
Jésus, pierre que les maçons ont rejetée (...) devenue la pierre angulaire (Ps CXVIII, 22), une pierre à toute épreuve, une pierre angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation (Is XXVIII, 16), ne pouvait donc être un chef de guerre.
http://246.247.249.251
Mahomet, le prophète guerrier
Source : http://www.histoire.presse.fr/dossierislam/p34.asp
Les [commentaire entre crochets] et les surlignages sont des ajouts
Les [commentaire entre crochets] et les surlignages sont des ajouts
par Gabriel Martinez-Gros
L'AUTEUR
Professeur d'histoire du Moyen Age à l'université Paris-VlIl, spécialiste de l'islam andalou, Gabriel Martinez-Gros a publié L 'Idéologie omeyyade (Casa de Velazquez, 1992) et Identité andalouse (Sindbad/Actes Sud,1997). Il a traduit de l'arabe Le Collier de la colombe d'Ibn Hazm (Xle siècle) sous le titre De l'amour et des amants
L'AUTEUR
Professeur d'histoire du Moyen Age à l'université Paris-VlIl, spécialiste de l'islam andalou, Gabriel Martinez-Gros a publié L 'Idéologie omeyyade (Casa de Velazquez, 1992) et Identité andalouse (Sindbad/Actes Sud,1997). Il a traduit de l'arabe Le Collier de la colombe d'Ibn Hazm (Xle siècle) sous le titre De l'amour et des amants
L'islam est au centre de toutes les interrogations. Pour comprendre aujourd'hui son rapport à la paix, à la guerre, aux autres religions, aux femmes ou au monde moderne, il faut remonter aux origines. A Mahomet: prophète, chef de guerre, homme d'État.
1 - COMMENT CONNAÎT-ON LA VIE DE MAHOMET ?
Pour connaître la vie de Mahomet (570 env.-632), le seul texte d'authenticité à peu près certaine, et contemporain du Prophète, c'est le Coran lui-même. Texte dont l'exploitation historique, selon le sens le plus commun, pose problème.
Car, selon l'islam, le Coran est parole divine incréée. Aux yeux des musulmans, la question " qui a écrit le Coran " n'a par conséquent pas de sens. Déduire la politique ou la pensée de Mahomet d'après lui, affirmer par exemple que tel verset sur le faux témoignage ou le châtiment de l'adultère fut inspiré au Prophète par l'égarement scabreux de son épouse favorite Aïcha dans le désert, c'est laisser entendre que Mahomet est l'auteur du Coran, et heurter direetement le dogme musulman.
Les autres sources sont la Sira ( " vie " de Mahomet, élaborée au VIIIe siècle) et le hadith ( " dîts " du Prophète, dont les sommes décisives sont compilées au IXe siècle ) -les sources archéologiques éventuelles, quant à elles, n'ont pas été exploitées jusqu'à présent.
Ces deux " documents ", qui constituent le coeur de la sunna ( " tradition " ), ont été élevés d'emblée en sources du droit, l'exemple donné par le Prophète, par la parole ou l'action, prenant force de loi en l'absence de réponse claire du Coran.
Plus profondément même, ils ont servi à interpréter le Coran. Ils jouent dans l'économie de l'islam le rôle que les Pères de l'Église jouent dans l'interprétation de la Bible pour le christianisme.
L'enjeu du récit de la vie du Prophète est donc considérable. L'historien peut conclure de deux manières diamétralement opposées. Le " positiviste ", s'il pose avec conséquence la traditionnelle exigence d'accéder à la " réalité vraie ", conviendra qu'il est impossible d'écrire la vie du Prophète. Tout ce que l'on sait de lui en effet est toujours biaisé par l'intention politique ou dogmatique de celui qui l'a rédigée.
On peut à l'inverse avancer que tout est historique dans la vie de Mahomet, puisque rien n'y est insignifiant, tout y a été construit pour faire sens. On pourrait encore dire autrement: il est difficile d'accéder à la mémoire de l' existence de Mahomet, et de la sensibilité religieuse du désert arabe du VIIe siècle -encore que certains chercheurs, comme Jacqueline Chabbi, aient tenté l'entreprise, non sans résultats.
Il y a en revanche une histoire écrite de cette vie, c'est-à-dre une organisation des sens selon les interprétations que l'islam postérieur a privilégiées et où il a puisé ses modèles et ses références -ce que Christian Décobert nomme " l'enseignement "de Mahomet.
Dans la mesure où c'est ce Mahomet recomposé qui a pris place au coeur du dogme et de la pratique historique de l'islam, c'est à lui qu'on s'efforcera ici de se tenir.
Car, selon l'islam, le Coran est parole divine incréée. Aux yeux des musulmans, la question " qui a écrit le Coran " n'a par conséquent pas de sens. Déduire la politique ou la pensée de Mahomet d'après lui, affirmer par exemple que tel verset sur le faux témoignage ou le châtiment de l'adultère fut inspiré au Prophète par l'égarement scabreux de son épouse favorite Aïcha dans le désert, c'est laisser entendre que Mahomet est l'auteur du Coran, et heurter direetement le dogme musulman.
Les autres sources sont la Sira ( " vie " de Mahomet, élaborée au VIIIe siècle) et le hadith ( " dîts " du Prophète, dont les sommes décisives sont compilées au IXe siècle ) -les sources archéologiques éventuelles, quant à elles, n'ont pas été exploitées jusqu'à présent.
Ces deux " documents ", qui constituent le coeur de la sunna ( " tradition " ), ont été élevés d'emblée en sources du droit, l'exemple donné par le Prophète, par la parole ou l'action, prenant force de loi en l'absence de réponse claire du Coran.
Plus profondément même, ils ont servi à interpréter le Coran. Ils jouent dans l'économie de l'islam le rôle que les Pères de l'Église jouent dans l'interprétation de la Bible pour le christianisme.
L'enjeu du récit de la vie du Prophète est donc considérable. L'historien peut conclure de deux manières diamétralement opposées. Le " positiviste ", s'il pose avec conséquence la traditionnelle exigence d'accéder à la " réalité vraie ", conviendra qu'il est impossible d'écrire la vie du Prophète. Tout ce que l'on sait de lui en effet est toujours biaisé par l'intention politique ou dogmatique de celui qui l'a rédigée.
On peut à l'inverse avancer que tout est historique dans la vie de Mahomet, puisque rien n'y est insignifiant, tout y a été construit pour faire sens. On pourrait encore dire autrement: il est difficile d'accéder à la mémoire de l' existence de Mahomet, et de la sensibilité religieuse du désert arabe du VIIe siècle -encore que certains chercheurs, comme Jacqueline Chabbi, aient tenté l'entreprise, non sans résultats.
Il y a en revanche une histoire écrite de cette vie, c'est-à-dre une organisation des sens selon les interprétations que l'islam postérieur a privilégiées et où il a puisé ses modèles et ses références -ce que Christian Décobert nomme " l'enseignement "de Mahomet.
Dans la mesure où c'est ce Mahomet recomposé qui a pris place au coeur du dogme et de la pratique historique de l'islam, c'est à lui qu'on s'efforcera ici de se tenir.
2 - L'ARABIE AU TEMPS DE MAHOMET
L'islam naît sur le versant occidental de l' Arabie, à La Mecque, la plus grosse ville de la péninsule -quoique très modeste si on la compare aux métropoles du temps, Constantinople, Alexandrie, Antioche ou Ctésiphon, capitale de l'empire perse des Sassanides. Comme les Bédouins (Arabes nomades) qui les environnent, Mecquois et Médinois ignorent l'État, et confient aux solidarités tribales le soin d'organiser la vie sociale, sécurité face aux agressions et survie dans la détresse.
La nouvelle religion n'émerge donc pas dans le milieu en partie christianisé des royaumes arabes à demi sédentaires des marges des Empires byzantin et perse, Ghassanides de Syrie-Jordanie ou Lakhmides des abords de l'Euphrate irakien, ni sur les terres de vieille culture sédentaire du Yémen, où le judaïsme avait gagné de nombreux adeptes, et que se disputaient Perses sassanides et Éthiopiens chrétiens.
Mais elle ne surgit pas non plus du centre ou de l'est de la péninsule Arabique, terre des Bédouins où émergent pourtant d'autres prophètes contemporains de Mahomet- que l'islam déclarera faux. La Mecque et Médine contrôlent la route des caravanes entre Yémen et Syrie ou Irak. Elles n'ignorent pas les religions monothéistes, mais ne sont pas soumises à l'autorité politique des empires, byzantin en particulier, qui en sont les champions.
La nouvelle religion sera monothéiste, mais arabe. C'est sans doute le sens du mot ummî ( " gentil " au sens biblique, plutôt qu'" illettré " ) dont le Coran qualifie l'Envoyé que la grâce divine a octroyé aux Arabes jusque-Ià païens, comme il avait envoyé Moïse aux Hébreux. Mahomet porte la voix d'une alliance renouvelée, qui élit les Arabes, comme l'ancienne avait élu les Juifs. Sans doute bénéficiera-t-il des échos juifs et chrétiens de son message. Il lui en faudra aussi combattre l'effet négatif, en particulier auprès de ses compatriotes mecquois, et de sa tribu, Ies Quraych. Il ne les rassurera, et ne triomphera totalement qu'en tournant vers La Mecque la prière de ses fidèles musulmans, d'abord orientée vers Jérusalem, et en annexant à l'islam le rite du pèlerinage auprès du dieu de la Kaaba que les Arabes pratiquaient déjà avant lui.
La nouvelle religion n'émerge donc pas dans le milieu en partie christianisé des royaumes arabes à demi sédentaires des marges des Empires byzantin et perse, Ghassanides de Syrie-Jordanie ou Lakhmides des abords de l'Euphrate irakien, ni sur les terres de vieille culture sédentaire du Yémen, où le judaïsme avait gagné de nombreux adeptes, et que se disputaient Perses sassanides et Éthiopiens chrétiens.
Mais elle ne surgit pas non plus du centre ou de l'est de la péninsule Arabique, terre des Bédouins où émergent pourtant d'autres prophètes contemporains de Mahomet- que l'islam déclarera faux. La Mecque et Médine contrôlent la route des caravanes entre Yémen et Syrie ou Irak. Elles n'ignorent pas les religions monothéistes, mais ne sont pas soumises à l'autorité politique des empires, byzantin en particulier, qui en sont les champions.
La nouvelle religion sera monothéiste, mais arabe. C'est sans doute le sens du mot ummî ( " gentil " au sens biblique, plutôt qu'" illettré " ) dont le Coran qualifie l'Envoyé que la grâce divine a octroyé aux Arabes jusque-Ià païens, comme il avait envoyé Moïse aux Hébreux. Mahomet porte la voix d'une alliance renouvelée, qui élit les Arabes, comme l'ancienne avait élu les Juifs. Sans doute bénéficiera-t-il des échos juifs et chrétiens de son message. Il lui en faudra aussi combattre l'effet négatif, en particulier auprès de ses compatriotes mecquois, et de sa tribu, Ies Quraych. Il ne les rassurera, et ne triomphera totalement qu'en tournant vers La Mecque la prière de ses fidèles musulmans, d'abord orientée vers Jérusalem, et en annexant à l'islam le rite du pèlerinage auprès du dieu de la Kaaba que les Arabes pratiquaient déjà avant lui.
3 - QUE SAVONS-NOUS DE MAHOMET ?
Né à La Mecque dans la tribu des Quraych, sans doute vers 570, " l'année de l'Éléphant ", quand la ville repoussa l'assaut du général éthiopien Abraha, Mahomet perdit tôt son père, puis sa mère et son grand-père. Le soin de veiller sur cet enfant unique revint à son oncle Abu Talib.
Le Prophète épousa vers l'âge de vingt-cinq ans une riche veuve, Khadija, dont il eut sept enfants, trois garçons morts en bas âge, et quatre filles dont une seule, Fatima, vécut assez longtemps pour lui donner des petits-enfants. Les nombreux mariages contractés par la suite ne furent pas plus heureux. Une concubine copte, Maryam, lui donna encore un garçon, Ibrahim, qui ne vécut pas.
C'est vers l'âge de quarante ans que Mahomet ressentit les premières atteintes de la Révélation. Transes, sueurs, corps frissonnant sur lequel on jetait un manteau décrivent l'accouchement épuisant de la parole divine. " Le début de la Révélation fut pour le Messager de Dieu une vision véridique. Cela se fit en lui comme l'aurore. Après cela, il eut besoin de solitude et se rendit sur le mont Hira plusieurs nuits. Il revenait ensuite chez les siens.
" A la fin, la vérité arriva inopinément et dit: "o Mahomet, tu es le Messager de Dieu. " Le Messager de Dieu dît: "j'étais debout, mais je tombai à genoux. Puis je m'éloignai les épaules tremblantes. Pénétrant dans la chambre de Khadija, je lui dis : 'Cache-moi, cache-moi jusqu'à ce que la peur me quitte.' Alors il vint à moi et me dit: 'Tu es le Messager de Dieu.' J'avais médité de me jeter d'un rocher de la montagne, mais tandis que j'étais ainsi en méditation, il m'apparut et dît : 'O Mahomet, je suis Gabriel, et tu es le Messager de Dieu. ' Alors il dit: 'Récite !' Je dis : 'Je ne puis réciter: ' Alors il me prit et me serra violemment trois fois jusqu'à ce que je tombe épuisé. Alors il dit: 'Récite au nom de ton Seigneur le Créateur: ' Et je récitai." "
Le cercle familial, Khadija, Ali, le fils d'Abu Talib et cousin de Mahomet, fut aussitôt convaincu de la véracité d'un message dont Mahomet doutait encore.
Abu Bakr, un riche marchand, de deux ans plus âgé que le Prophète, aurait été le premier homme converti, suivi, entre 613 et 619, de quelques dizaines d'autres, dont ses futurs successeurs au califat, Umar et Uthmân. Mais la majorité des Mecquois, des Quraych, se montrèrent vite hostiles à cette prédication.
Sans doute la foi nouvelle menaçait-elle le pèlerinage à la Kaaba et par conséquent la prospérité de La Mecque. Plus grave, elle rejetait le culte de dieux et de déesses révérés, traditionnels protecteurs de la cité. Enfin et surtout, elIe annonçait un Jugement auquel tous Ies hommes, passés, présents et à venir, seraicnt soumis, et qui vouait à I'enfer ancêtres et parents morts dans l'infidélité. Cette dernière affirmation valut à Mahomet les haines les plus tenaces et finit par le priver, après la mort de Khadija et de son oncle Abu Talib en 619, de la protection de son clan.
4 - LA VÉRITABLE NAISSANCE DE L'ISLAM
Sans le soutien de son clan, Ie séjour à La Mecque de Mahomet et du petit groupe des musulmans devenait peu sûr. Après une vaine tentative auprès des gens de Taïf, à deux étapes de La Mecque, Mahomet réussit à passer alliance avec Ies deux principales tribus de Médine, au nord de l'Arabie, qui le prirent pour arbitre de leurs conflits.
Précédé de la plupart de ses partisans mecquois, Mahomet quitta La Mecque pour l'oasis du Nord en juillet 622. Sur la route dans l'espace désertique où toutes les protections sociales s'abolissaient, des Quraych auraient tenté de l'assassiner. Avec ses compagnons, il se réfugia dans une caverne, dont une araignée miraculeuse obstrua en quelques minutes l'entrée en y tissant sa toile. Ce voile arachnéen suffisait à prouver qu'aucun homme n'avait pénétré là. Les poursuivants renoncèrent. Par la protection de cet hymen intact, Mahomet pouvait accéder à sa nouvelle vie de maître de Médine et de fondateur de l'État islamique.
Les compagnons de la caverne, parmi lesquels la plupart des traditions s'accordent à reconnaître Abu Bakr, jouissent de mérites particuliers -aux yeux de l'orthodoxie sunnite du moins. C'est cet Exil (hijra, " Hégire " ) que le calendrier musulman prend pour origine. Il consacrait la naissance, entre exilés (muhâjirûn) mecquois, hôtes médinois (ansâr) et Juifs médinois, de la première umma -du premier " État " musulman, au sens où tous y faisaient allégeance, s'y " livraient " (islâm) à l'autorité du Prophète. Ainsi, dès l'origine, l'appel religieux et le projet politique " islamique " ne peuvent être distingués.
Le Prophète épousa vers l'âge de vingt-cinq ans une riche veuve, Khadija, dont il eut sept enfants, trois garçons morts en bas âge, et quatre filles dont une seule, Fatima, vécut assez longtemps pour lui donner des petits-enfants. Les nombreux mariages contractés par la suite ne furent pas plus heureux. Une concubine copte, Maryam, lui donna encore un garçon, Ibrahim, qui ne vécut pas.
C'est vers l'âge de quarante ans que Mahomet ressentit les premières atteintes de la Révélation. Transes, sueurs, corps frissonnant sur lequel on jetait un manteau décrivent l'accouchement épuisant de la parole divine. " Le début de la Révélation fut pour le Messager de Dieu une vision véridique. Cela se fit en lui comme l'aurore. Après cela, il eut besoin de solitude et se rendit sur le mont Hira plusieurs nuits. Il revenait ensuite chez les siens.
" A la fin, la vérité arriva inopinément et dit: "o Mahomet, tu es le Messager de Dieu. " Le Messager de Dieu dît: "j'étais debout, mais je tombai à genoux. Puis je m'éloignai les épaules tremblantes. Pénétrant dans la chambre de Khadija, je lui dis : 'Cache-moi, cache-moi jusqu'à ce que la peur me quitte.' Alors il vint à moi et me dit: 'Tu es le Messager de Dieu.' J'avais médité de me jeter d'un rocher de la montagne, mais tandis que j'étais ainsi en méditation, il m'apparut et dît : 'O Mahomet, je suis Gabriel, et tu es le Messager de Dieu. ' Alors il dit: 'Récite !' Je dis : 'Je ne puis réciter: ' Alors il me prit et me serra violemment trois fois jusqu'à ce que je tombe épuisé. Alors il dit: 'Récite au nom de ton Seigneur le Créateur: ' Et je récitai." "
Le cercle familial, Khadija, Ali, le fils d'Abu Talib et cousin de Mahomet, fut aussitôt convaincu de la véracité d'un message dont Mahomet doutait encore.
Abu Bakr, un riche marchand, de deux ans plus âgé que le Prophète, aurait été le premier homme converti, suivi, entre 613 et 619, de quelques dizaines d'autres, dont ses futurs successeurs au califat, Umar et Uthmân. Mais la majorité des Mecquois, des Quraych, se montrèrent vite hostiles à cette prédication.
Sans doute la foi nouvelle menaçait-elle le pèlerinage à la Kaaba et par conséquent la prospérité de La Mecque. Plus grave, elle rejetait le culte de dieux et de déesses révérés, traditionnels protecteurs de la cité. Enfin et surtout, elIe annonçait un Jugement auquel tous Ies hommes, passés, présents et à venir, seraicnt soumis, et qui vouait à I'enfer ancêtres et parents morts dans l'infidélité. Cette dernière affirmation valut à Mahomet les haines les plus tenaces et finit par le priver, après la mort de Khadija et de son oncle Abu Talib en 619, de la protection de son clan.
4 - LA VÉRITABLE NAISSANCE DE L'ISLAM
Sans le soutien de son clan, Ie séjour à La Mecque de Mahomet et du petit groupe des musulmans devenait peu sûr. Après une vaine tentative auprès des gens de Taïf, à deux étapes de La Mecque, Mahomet réussit à passer alliance avec Ies deux principales tribus de Médine, au nord de l'Arabie, qui le prirent pour arbitre de leurs conflits.
Précédé de la plupart de ses partisans mecquois, Mahomet quitta La Mecque pour l'oasis du Nord en juillet 622. Sur la route dans l'espace désertique où toutes les protections sociales s'abolissaient, des Quraych auraient tenté de l'assassiner. Avec ses compagnons, il se réfugia dans une caverne, dont une araignée miraculeuse obstrua en quelques minutes l'entrée en y tissant sa toile. Ce voile arachnéen suffisait à prouver qu'aucun homme n'avait pénétré là. Les poursuivants renoncèrent. Par la protection de cet hymen intact, Mahomet pouvait accéder à sa nouvelle vie de maître de Médine et de fondateur de l'État islamique.
Les compagnons de la caverne, parmi lesquels la plupart des traditions s'accordent à reconnaître Abu Bakr, jouissent de mérites particuliers -aux yeux de l'orthodoxie sunnite du moins. C'est cet Exil (hijra, " Hégire " ) que le calendrier musulman prend pour origine. Il consacrait la naissance, entre exilés (muhâjirûn) mecquois, hôtes médinois (ansâr) et Juifs médinois, de la première umma -du premier " État " musulman, au sens où tous y faisaient allégeance, s'y " livraient " (islâm) à l'autorité du Prophète. Ainsi, dès l'origine, l'appel religieux et le projet politique " islamique " ne peuvent être distingués.
5 - MAHOMET EST-IL UN CHEF D'ETAT ?
Mahomet est donc, à Médine, à partir de 622, le chef du premier État musulman. L'inspiration divine se fait plus légale. Les sourates (chapitres) médinoises du Coran, plus longues et plus explicites que les sourates antérieures, lorsque Mahomet était à La Mecque, énoncent recommandations et interdits qui serviront à construire, dans les siècles postérieurs, la charia, Loi islamique. Le Prophète se fait législateur.
Il est significatif que l'origine du calendrier musulman ait retenu la date de la fondation de l'État plutôt que celle, incertaine, des premières affres de la Révélation, vers 610. L'oeuvre du Prophète n'est en effet accomplie qu'avec le rassemblement du peuple (umma) qui portera son message.
Le mot " umma ", qui ne désigne pas exclusivement la communauté musulmane, prend, dès le Moyen Age, le sens de " nation ", au double sens de communauté de foi et d'entité politique. Les deux concepts, religion et empire, sont généralement confondus: ainsi les chrétiens sont-ils couramment désignés comme des Rum, c'est-à-dire des Romains, sujets de l'Empire romain byzantin.
6 - L'ISLAM DES ORIGINES EST-IL GUERRIER ?
En 623, la communauté constituée autour de Mahomet entra en guerre contre les " infidèles " de La Mecque, conflit qui se prolongea jusqu'en 628. Après une victoire musulmane à Badr en 624, les Quraych prirent leur revanche, grâce à une habile charge de cavalerie de Khâlid ibn al-Walîd, à Uhud en 625. Puis ils lancèrent toutes leurs forces (celles de la cité de La Mecque et de ses alliés arabes bédouins) à l'assaut de Médine. Cette énorme expédition, de près de 10000 hommes, échoua sans combattre en 627 devant le fossé que le Prophète fit creuser autour de Médine.
Dès lors, le vent tourna définitivement en faveur de l'islam. Khâlid, le vainqueur de Uhud et futur conquérant de la Syrie, Amr ibn al-As (qui allait soumettre l'Égypte ), et beaucoup d'autres membres de l'aristocratie quraychite se rallièrent en 628-629. Une trêve fut passée avec La Mecque, qui permit de soumettre à l'islam les Bédouins du Nord et quelques oasis syriennes. En 630 enfin, Mahomet, maître à son tour d'une armée de 10000 hommes, s'emparait presque sans résistance de La Mecque, au prix d'une large amnistie, et d'une entrée remarquée des plus capables des Quraych dans le cercle du commandement musulman.
Une première expédition vers les terres sédentaires de Syrie échoua face à la résistance byzantine. Après la soumission de Taïf et du Yémen, l'année 631 fut celle des délégations de tribus ralliées ou soumises.
Lorsque Mahomet mourut, le 8 juin 632, l'État médinois exerçait son hégémonie sur presque toute l'Arabie, et visait déjà une expansion vers le Nord syro-irakien. Domination mal assurée sans doute. La disparition de Mahomet posa le problème du maintien de l'unité entre Mecquois et Médinois, puis de la sécession d'une large part de l'est et du sud de l'Arabie, dont il revint à Abu Bakr, élu calife ( " successeur ", 632-634) du Prophète de briser la révolte. Cette guerre contre les infidèles arabes (maghazi) menée par Mahomet fournit aux juristes des siècles postérieurs (VIIIe-IXe siècle) le modèle d'élaboration du jihad, obligation de guerre de l'État islamique face au monde infidèle en vue de la conversion ou de la soumission (islâm peut prendre les deux sens). Et la figure du combattant (mujâhid) est un des paradigmes majeurs de la civilisation islamique.
Mahomet, en lançant les premiers raids contre la Syrie byzantine, eut-il l'intention de conquérir, de soumettre ou de convertir les empires perse et byzantin ? Ou simplement de soumettre/convertir les Arabes qui gardaient les confins de ces deux empires ? Avait-il une vision universelle ou arabe de la religion qu'il venait de fonder ?
Le débat n'est pas clos. En l'occurrence, en Syrie comme en Irak, la question a sans doute moins de pertinence qu'il ne semble. Les Arabes étaient déjà enracinés, non seulement dans la steppe des confins syro-irakiens, mais dans les régions sédentaires du Croissant fertile (couvrant les terres des actuels Israël, Liban, Syrie et les plaines du Tigre et de l'Euphrate en Irak), où le reflux démographique méditerranéen, depuis le lIIe siècle, et la parenté de langue avec les populations sémitiques locales les avaient de longue date attirés.
C'est en revanche sous les successeurs de Mahomet, avec la conquête de l'Égypte (640-642) et surtout du plateau iranien (642-652), c'est-à-dire de terres franchement étrangères à l'héritage sémitique, que devait se préciser le destin universel de la religion et de la civilisation islamiques.
Il est significatif que l'origine du calendrier musulman ait retenu la date de la fondation de l'État plutôt que celle, incertaine, des premières affres de la Révélation, vers 610. L'oeuvre du Prophète n'est en effet accomplie qu'avec le rassemblement du peuple (umma) qui portera son message.
Le mot " umma ", qui ne désigne pas exclusivement la communauté musulmane, prend, dès le Moyen Age, le sens de " nation ", au double sens de communauté de foi et d'entité politique. Les deux concepts, religion et empire, sont généralement confondus: ainsi les chrétiens sont-ils couramment désignés comme des Rum, c'est-à-dire des Romains, sujets de l'Empire romain byzantin.
6 - L'ISLAM DES ORIGINES EST-IL GUERRIER ?
En 623, la communauté constituée autour de Mahomet entra en guerre contre les " infidèles " de La Mecque, conflit qui se prolongea jusqu'en 628. Après une victoire musulmane à Badr en 624, les Quraych prirent leur revanche, grâce à une habile charge de cavalerie de Khâlid ibn al-Walîd, à Uhud en 625. Puis ils lancèrent toutes leurs forces (celles de la cité de La Mecque et de ses alliés arabes bédouins) à l'assaut de Médine. Cette énorme expédition, de près de 10000 hommes, échoua sans combattre en 627 devant le fossé que le Prophète fit creuser autour de Médine.
Dès lors, le vent tourna définitivement en faveur de l'islam. Khâlid, le vainqueur de Uhud et futur conquérant de la Syrie, Amr ibn al-As (qui allait soumettre l'Égypte ), et beaucoup d'autres membres de l'aristocratie quraychite se rallièrent en 628-629. Une trêve fut passée avec La Mecque, qui permit de soumettre à l'islam les Bédouins du Nord et quelques oasis syriennes. En 630 enfin, Mahomet, maître à son tour d'une armée de 10000 hommes, s'emparait presque sans résistance de La Mecque, au prix d'une large amnistie, et d'une entrée remarquée des plus capables des Quraych dans le cercle du commandement musulman.
Une première expédition vers les terres sédentaires de Syrie échoua face à la résistance byzantine. Après la soumission de Taïf et du Yémen, l'année 631 fut celle des délégations de tribus ralliées ou soumises.
Lorsque Mahomet mourut, le 8 juin 632, l'État médinois exerçait son hégémonie sur presque toute l'Arabie, et visait déjà une expansion vers le Nord syro-irakien. Domination mal assurée sans doute. La disparition de Mahomet posa le problème du maintien de l'unité entre Mecquois et Médinois, puis de la sécession d'une large part de l'est et du sud de l'Arabie, dont il revint à Abu Bakr, élu calife ( " successeur ", 632-634) du Prophète de briser la révolte. Cette guerre contre les infidèles arabes (maghazi) menée par Mahomet fournit aux juristes des siècles postérieurs (VIIIe-IXe siècle) le modèle d'élaboration du jihad, obligation de guerre de l'État islamique face au monde infidèle en vue de la conversion ou de la soumission (islâm peut prendre les deux sens). Et la figure du combattant (mujâhid) est un des paradigmes majeurs de la civilisation islamique.
Mahomet, en lançant les premiers raids contre la Syrie byzantine, eut-il l'intention de conquérir, de soumettre ou de convertir les empires perse et byzantin ? Ou simplement de soumettre/convertir les Arabes qui gardaient les confins de ces deux empires ? Avait-il une vision universelle ou arabe de la religion qu'il venait de fonder ?
Le débat n'est pas clos. En l'occurrence, en Syrie comme en Irak, la question a sans doute moins de pertinence qu'il ne semble. Les Arabes étaient déjà enracinés, non seulement dans la steppe des confins syro-irakiens, mais dans les régions sédentaires du Croissant fertile (couvrant les terres des actuels Israël, Liban, Syrie et les plaines du Tigre et de l'Euphrate en Irak), où le reflux démographique méditerranéen, depuis le lIIe siècle, et la parenté de langue avec les populations sémitiques locales les avaient de longue date attirés.
C'est en revanche sous les successeurs de Mahomet, avec la conquête de l'Égypte (640-642) et surtout du plateau iranien (642-652), c'est-à-dire de terres franchement étrangères à l'héritage sémitique, que devait se préciser le destin universel de la religion et de la civilisation islamiques.
7 - MAHOMET, LES JUIFS ET LES CHRETIENS
La présence de communautés juives en Arabie, au yémen, à Médine, est bien attestée à l'époque du Prophète; celle du christianisme, religion de l'empire des Rum (Romano-Byzantins), était encore plus massive chez les Arabes des confins syriens que fréquentaient les marchands mecquois, et où Mahomet se rendit plusieurs fois, Jean Damascène ( mort en 735 ?), Père de l'Église grecque, qui avait servi les califes omeyyades établis dans sa ville natale, Damas, donna, le premier, un rang à l'islam dans le tableau des hérésies chrétiennes : il Ie rapprocha du nestorianisme, que l'orthodoxie accusait de nier la divinité du Christ tout en reconnaissant sa mission prophétique.
La thèse devait faire fortune pendant des siècles dans les évaluations chrétiennes de l'islam, conçu comme une déviation, déjà condamnée par l'histoire, du message chrétien.
L'islam, de son côté, loin de nier sa parenté avec le judaïsme et le christianisme, place Mahomet à l'aboutissement de la lignée des prophètes et des envoyés, porteurs d'une Loi, où il range Adam, Noé, Abraham, Moïse et Jésus. Du moins reconnaît-il la validité de la prophétie de ce Moïse, de ce Jésus dont parle le Coran, et dont la Bible des Juifs et des chrétiens a déformé la véracité de l'enseignement. Aussi Jésus comme Moïse, comme Abraham peuvent-ils être qualifîés de " musulmans ", au double sens du terme: d'abord parce qu'ils ont fait " soumission " à la Parole divine; ensuite parce qu'ils sont inscrits dans la Révélation coranique.
Après son exil de La Mecque (l'Hégire, 622), Mahomet fut probablement soutenu par les petites tribus juives de Médine, qui semblent avoir participé à la première umma.
Mais les relations entre Mahomet et les Juifs médinois, accusés de pencher pour le parti des" hypocrites ", irréductibles à la conversion, sourdement hostiles à la domination des musulmans sur la ville, se dégradèrent rapidement. Chacune des trois confrontations militaires avec les Mecquois fut l'occasion de l'élimination de l'une des tribus juives de Médine. Après Ies batailles de Badr (624) et d'Uhud (625), Ies Qaynuqa et les Nawadir furent expulsés de l'oasis. Plus grave: l'échec des Mecquois au
Fossé (627) détermina l'extermination des 600 hommes des Banu Qurayza, dernière communauté juive de Médine. Femmes et enfants furent réduits à l'esclavage.
Mahomet témoigna de plus de sympathie pour les chrétiens que pour les Juifs. Pourtant, le dogme musulman rapproche plus la figure de Mahomet de celle de Moïse que de celle du Christ. Homme-Dieu, le Christ est pour les chrétiens l'incarnation du Verbe divin; il tient, dans l'économie du message chrétien, le rôle que le Coran, et non Mahomet, joue dans la révélation musulmane: celui de l'être aux deux natures, divine et humaine, qui dit aux hommes l'indicible divin.
Mahomet, lui, est Ie réceptacle purement humain d'une Lettre divine et éternelle dont il ne participe pas. Le matin de sa mort, comme Umar prétendait en nier la réalité, le premier et le plus sage des musulmans, Abu Bakr confirma avec force que le Prophète avait cessé de vivre, et récita un verset du Coran (III, 138) : " Mahomet n'est que l'Envoyé de Dieu. D'autres' apôtres l'ont précédé. S'il mourait, ou ,s'il était tué, abandonneriez-vous sa doctrine ? " Comme Moïse, Mahomet reçoit la Loi, et s'efface devant la Parole qu'il porte, tandis que le Christ l'accomplit, en en dépassant la lettre.
Pour des théologiens musulmans, accoutumés à tenir pour synonymes " religion " et " Loi ", " religion " et " empire ", le christianisme est ainsi plus difficile à comprendre, et à accepter, que le judaïsme. Jésus a-t-il aboli la Loi de Moïse ? Quelle Loi a-t-il apportée ? Quelle nation (umma) a-t-il rassemblée autour de son observance ? Et s'il n'a apporté aucune Loi, ni fondé aucune nation, peut-on vraiment tenir le christianisme pour une religion, distincte du judaïsme en tout cas ?
Une fois encore, Moïse, qui rassembla les Hébreux pour leur donner la Loi, est plus proche de Mahomet que de Jésus, qui ne régenta aucune nation, et mourut abandonné de tous ses disciples. Cette solitude du Christ, à l'heure de l'angoisse de Gethscmani, où Jésus fut trahi par Judas, ou de la Passion, est un des grands arguments antichrétiens des théologiens musulmans médiévaux. Jésus, qui fit tant de miracles, n'a pas accompli celui qui incombe par excellence aux prophètes: rassembler un peuple autour d'une Loi. Ce que fit Mahomet en rassemblant les Arabes, si divisés avant lui, et en leur léguant le Coran.
Bien sûr, cette constatation ne met pas en cause la mission de Jésus, dont le Coran affirme qu'il fut Envoyé de Dieu. Mais elle jette le doute sur la véracité des Évangiles et de ces témoins qui avaient fui la Passion de leur maître - passion dont ils firent pourtant le coeur de leur enseignement.
C'est ici que se place probablement le plus profond des malentendus entre sensibilités chrétienne et musulmane, du moins si l'on retient celle de l'orthodoxie sunnite majoritaire. Le Christ rendit " à César ce qui était à César ", le christianisme vécut difficilement, pendant des siècles, son mariage avec l'État, le pouvoir, la violence qu'il impose, voire avec la société, l'argent, le sexe. Le monachisme en fut le signe. Mahomet au contraire fonda un État à Médine, et mena aussitôt une guerre de soumission de La Mecque, puis de conquête de l' Arabie.
Alors que, dans l'islam, coïncident dans Ie même personnage, le Prophète, les grâces de la Révélation divine et les vertus profanes d'un chef d'État et de guerre, ces catégories sont très largement antagonistes et incompatibles dans la conscience chrétienne. Cela explique en grande partie les accusations d'" hypocrisie " ou d'" imposture " portées contre Mahomet, depuis les martyrs de Cordoue au IXe siècles jusqu'à Voltaire, admirateur du " génial imposteur " qui avait su fonder un empire en abusant de la crédulité de ses contemporains.
La thèse devait faire fortune pendant des siècles dans les évaluations chrétiennes de l'islam, conçu comme une déviation, déjà condamnée par l'histoire, du message chrétien.
L'islam, de son côté, loin de nier sa parenté avec le judaïsme et le christianisme, place Mahomet à l'aboutissement de la lignée des prophètes et des envoyés, porteurs d'une Loi, où il range Adam, Noé, Abraham, Moïse et Jésus. Du moins reconnaît-il la validité de la prophétie de ce Moïse, de ce Jésus dont parle le Coran, et dont la Bible des Juifs et des chrétiens a déformé la véracité de l'enseignement. Aussi Jésus comme Moïse, comme Abraham peuvent-ils être qualifîés de " musulmans ", au double sens du terme: d'abord parce qu'ils ont fait " soumission " à la Parole divine; ensuite parce qu'ils sont inscrits dans la Révélation coranique.
Après son exil de La Mecque (l'Hégire, 622), Mahomet fut probablement soutenu par les petites tribus juives de Médine, qui semblent avoir participé à la première umma.
Mais les relations entre Mahomet et les Juifs médinois, accusés de pencher pour le parti des" hypocrites ", irréductibles à la conversion, sourdement hostiles à la domination des musulmans sur la ville, se dégradèrent rapidement. Chacune des trois confrontations militaires avec les Mecquois fut l'occasion de l'élimination de l'une des tribus juives de Médine. Après Ies batailles de Badr (624) et d'Uhud (625), Ies Qaynuqa et les Nawadir furent expulsés de l'oasis. Plus grave: l'échec des Mecquois au
Fossé (627) détermina l'extermination des 600 hommes des Banu Qurayza, dernière communauté juive de Médine. Femmes et enfants furent réduits à l'esclavage.
Mahomet témoigna de plus de sympathie pour les chrétiens que pour les Juifs. Pourtant, le dogme musulman rapproche plus la figure de Mahomet de celle de Moïse que de celle du Christ. Homme-Dieu, le Christ est pour les chrétiens l'incarnation du Verbe divin; il tient, dans l'économie du message chrétien, le rôle que le Coran, et non Mahomet, joue dans la révélation musulmane: celui de l'être aux deux natures, divine et humaine, qui dit aux hommes l'indicible divin.
Mahomet, lui, est Ie réceptacle purement humain d'une Lettre divine et éternelle dont il ne participe pas. Le matin de sa mort, comme Umar prétendait en nier la réalité, le premier et le plus sage des musulmans, Abu Bakr confirma avec force que le Prophète avait cessé de vivre, et récita un verset du Coran (III, 138) : " Mahomet n'est que l'Envoyé de Dieu. D'autres' apôtres l'ont précédé. S'il mourait, ou ,s'il était tué, abandonneriez-vous sa doctrine ? " Comme Moïse, Mahomet reçoit la Loi, et s'efface devant la Parole qu'il porte, tandis que le Christ l'accomplit, en en dépassant la lettre.
Pour des théologiens musulmans, accoutumés à tenir pour synonymes " religion " et " Loi ", " religion " et " empire ", le christianisme est ainsi plus difficile à comprendre, et à accepter, que le judaïsme. Jésus a-t-il aboli la Loi de Moïse ? Quelle Loi a-t-il apportée ? Quelle nation (umma) a-t-il rassemblée autour de son observance ? Et s'il n'a apporté aucune Loi, ni fondé aucune nation, peut-on vraiment tenir le christianisme pour une religion, distincte du judaïsme en tout cas ?
Une fois encore, Moïse, qui rassembla les Hébreux pour leur donner la Loi, est plus proche de Mahomet que de Jésus, qui ne régenta aucune nation, et mourut abandonné de tous ses disciples. Cette solitude du Christ, à l'heure de l'angoisse de Gethscmani, où Jésus fut trahi par Judas, ou de la Passion, est un des grands arguments antichrétiens des théologiens musulmans médiévaux. Jésus, qui fit tant de miracles, n'a pas accompli celui qui incombe par excellence aux prophètes: rassembler un peuple autour d'une Loi. Ce que fit Mahomet en rassemblant les Arabes, si divisés avant lui, et en leur léguant le Coran.
Bien sûr, cette constatation ne met pas en cause la mission de Jésus, dont le Coran affirme qu'il fut Envoyé de Dieu. Mais elle jette le doute sur la véracité des Évangiles et de ces témoins qui avaient fui la Passion de leur maître - passion dont ils firent pourtant le coeur de leur enseignement.
C'est ici que se place probablement le plus profond des malentendus entre sensibilités chrétienne et musulmane, du moins si l'on retient celle de l'orthodoxie sunnite majoritaire. Le Christ rendit " à César ce qui était à César ", le christianisme vécut difficilement, pendant des siècles, son mariage avec l'État, le pouvoir, la violence qu'il impose, voire avec la société, l'argent, le sexe. Le monachisme en fut le signe. Mahomet au contraire fonda un État à Médine, et mena aussitôt une guerre de soumission de La Mecque, puis de conquête de l' Arabie.
Alors que, dans l'islam, coïncident dans Ie même personnage, le Prophète, les grâces de la Révélation divine et les vertus profanes d'un chef d'État et de guerre, ces catégories sont très largement antagonistes et incompatibles dans la conscience chrétienne. Cela explique en grande partie les accusations d'" hypocrisie " ou d'" imposture " portées contre Mahomet, depuis les martyrs de Cordoue au IXe siècles jusqu'à Voltaire, admirateur du " génial imposteur " qui avait su fonder un empire en abusant de la crédulité de ses contemporains.
8 - QU'EST-CE QUE LA CHARIA ?
La toute-puissance d'un dieu unique, le Jugement, la Loi (charia) scandent la Révélation. " Religion " se ditdîn, d'une vieille racine sémitique qui porte le sens de " jugement ". Ce sens est encore celui du mot dans la première sourate du Coran :yawmi al-din, le " Jour du Jugement [dernier] ".
Après d'autres exégètes, le cadi (juge) Saïd de Tolcde, au XIe siècle, affirma que la nouveauté du message de Mahomet ne tenait pas dans la Révélation d'un Dieu suprême, Allah, dont I'existence lointaine surplombait déjà, dans la sensibilité préislamique des Arabes, la multiplicité des dieux et des déesses. Elle tenait dans " la promesse et la menace " d'un Jugement dernier imminent et rétributeur, dans la prophétie de la résurrection des corps, du jugement personnel -qui rompait avec la morale communautaire du clan -, du paradis et de l'enfer. Le Coran y prend souvent des accents que la tradition chrétienne nommerait " apocalyptiques ".
Le Coran présente aussi des développements législatifs, puisque Dieu rendra son Jugement aux termes d'une Loi qu'il aura fait connaître aux hommes, et dont nul ne pourra dire qu'il l'ignorait.
Ce point restera l'une des constantes de la réflexion, de la pratique et du débat musulmans. La religion est une Loi, d'inspiration divine, même si l'immutabilité de cette Loi, ou du moins de son interprétation, sera largement débattue -entre chiisme et sunnisme, ou encore à l'époque contemporaine. Inversement, la capacité du pouvoir politique à " faire loi ", à légiférer, en sera limitée, voire exclue par les courants " théocratiques " les plus radicaux.
9 - MAHOMET ET LES FEMMES
Il ne fait guère de doute, bien qu'on ait longtemps évoqué d'hypothétiques vestiges de matriarcat dans l'Arabie d'avant l'islam, que la législation coranique améliora le sort des femmes. Elle interdisait l'infanticide des filles, très largement pratiqué dans une société bédouine hantée par la faim. Elle leur réservait une part dans l'héritage -la moitié de celle des garçons. Elle déclarait recevable le témoignage féminin en justice [mais valant seulement la moitié de celui d'un homme : le progrès de Mahomet est, au XXIème siècle, une sévère régression. ]. Elle recommandait de prendre soin des veuves et femmes répudiées, conseillait la retenue dans les châtiments que le mari était autorisé à infliger à son épouse [Au XXIème siècle, où, enfin, la violence conjuguale est officiellement réprimée par des lois, comme n'importe quelle autre forme de violence arbitraire, cette simple « retenue dans les chatiments » est une sévère régression qui de fait AUTORISE la violence conjuguale. ], et exigeait des preuves particulièrement rigoureuses de l'adultère avant d'envisager sa répression. [Au XXIème siècle, où, enfin, l'adultère n'est plus ni puni de mort par caillassage (lapidation) ni susceptible de coups de fouet en public (du moins dans les pays non-soumis aux lois imbéciles et rétrogrades des adeptes de Mahomet), cette simple « exigence de preuves particulièrement rigoureuses » est une sévère régression qui de fait AUTORISE le caillassage à mort et les coups de fouet en public. Comme cela se passe effectivment dans les pays où l'islam « de paix et de tolérance » est appliqué : Iran, Arabie Saoudite et autres pays mahométisants. ]
Le commandement divin rejoint ici la tendresse que le Prophète éprouvait, dit-on, pour les femmes, en particulier pour ses épouses, que la tradition musulmane plaça au sommet de la hiérarchie des créatures, pour avoir eu le privilège de partager la vie de l'Envoyé de Dieu. Khadija, la riche veuve qui fut sa première compagne, et la première croyante. Aïcha la vive, son épouse enfant qu'il aimait regarder jouer avec ses poupées [en ce qui concerne la « tendresse » pour une épouse enfant qui joue avec des poupées, au XXIème siècle (et depuis bien longtemps) on appelle cela de la pédophilie], et sur le sein de laquelle il s'éteignit. Fatima sa fille, épouse d'Ali, qui lui donna ses deux seuls petits-fils, Hasan et Husayn.
Pendant de nombreux siècles, les sociétés musulmanes, souvent préoccupées des seuls intérêts des lignées masculines, s'attachèrent à tourner les dispositions de la Loi coranique, celles concernant l'héritage en particulier, les plus favorables aux filles. Celles-ci cherchèrent alors protection, contre la coutume, auprès des juges et de la Loi. Il va de soi qu'au regard des exigences de la modernité ces dispositions de la charia (la Loi coranique), longtemps protectrices, paraissent aujourd'hui singulièrement restrictives [paraissent restrictives ? Allons donc : une loi qui accorde aux femmes la moitié de ce qui est accordé aux hommes EST clairement et INDUBITABLEMENT restrictive...], voire inacceptables [restrictive ET innaceptable, totalement innaceptable : on ne va pas retourner au Moyen-Âge !]. Il semblerait aisé de trancher la question en avançant que Mahomet se comporta en Arabe du VIIe siècle de notre ère, que ses actes répondaient aux exigences de son temps, qui n'est pas le nôtre. A priori le musulman le plus rigoureux peut reconnaître que les temps nouveaux exigent une modification de l'enseignement de l'homme Mahomet [Ben non, justement il ne peut pas car c'est interdit par sa religion, et c'est bien là le coeur du problème...].
En revanche, la législation divine est supposée immuable. Or l'interprétation de la Loi repose en large part sur la sunna, c'est-à-dire précisément sur les propos et les exemples du Prophète, qui entrent de ce fait dans la Loi, et en reçoivent une part de sa valeur d'immuable éternité. En ce sens, la personne du Prophète est double: figure humaine bornée aux conceptions de son siècle d'une part, exégète intemporel de la Loi divine d'autre part. Les deux aspects, historique et éternel, de son enseignement expliquent qu'il n'y ait guère, encore aujourd'hui, de lecture possible du Coran, et de l'islam, qui ne cherche caution dans la génération et l'action du fondateur.
Après d'autres exégètes, le cadi (juge) Saïd de Tolcde, au XIe siècle, affirma que la nouveauté du message de Mahomet ne tenait pas dans la Révélation d'un Dieu suprême, Allah, dont I'existence lointaine surplombait déjà, dans la sensibilité préislamique des Arabes, la multiplicité des dieux et des déesses. Elle tenait dans " la promesse et la menace " d'un Jugement dernier imminent et rétributeur, dans la prophétie de la résurrection des corps, du jugement personnel -qui rompait avec la morale communautaire du clan -, du paradis et de l'enfer. Le Coran y prend souvent des accents que la tradition chrétienne nommerait " apocalyptiques ".
Le Coran présente aussi des développements législatifs, puisque Dieu rendra son Jugement aux termes d'une Loi qu'il aura fait connaître aux hommes, et dont nul ne pourra dire qu'il l'ignorait.
Ce point restera l'une des constantes de la réflexion, de la pratique et du débat musulmans. La religion est une Loi, d'inspiration divine, même si l'immutabilité de cette Loi, ou du moins de son interprétation, sera largement débattue -entre chiisme et sunnisme, ou encore à l'époque contemporaine. Inversement, la capacité du pouvoir politique à " faire loi ", à légiférer, en sera limitée, voire exclue par les courants " théocratiques " les plus radicaux.
9 - MAHOMET ET LES FEMMES
Il ne fait guère de doute, bien qu'on ait longtemps évoqué d'hypothétiques vestiges de matriarcat dans l'Arabie d'avant l'islam, que la législation coranique améliora le sort des femmes. Elle interdisait l'infanticide des filles, très largement pratiqué dans une société bédouine hantée par la faim. Elle leur réservait une part dans l'héritage -la moitié de celle des garçons. Elle déclarait recevable le témoignage féminin en justice [mais valant seulement la moitié de celui d'un homme : le progrès de Mahomet est, au XXIème siècle, une sévère régression. ]. Elle recommandait de prendre soin des veuves et femmes répudiées, conseillait la retenue dans les châtiments que le mari était autorisé à infliger à son épouse [Au XXIème siècle, où, enfin, la violence conjuguale est officiellement réprimée par des lois, comme n'importe quelle autre forme de violence arbitraire, cette simple « retenue dans les chatiments » est une sévère régression qui de fait AUTORISE la violence conjuguale. ], et exigeait des preuves particulièrement rigoureuses de l'adultère avant d'envisager sa répression. [Au XXIème siècle, où, enfin, l'adultère n'est plus ni puni de mort par caillassage (lapidation) ni susceptible de coups de fouet en public (du moins dans les pays non-soumis aux lois imbéciles et rétrogrades des adeptes de Mahomet), cette simple « exigence de preuves particulièrement rigoureuses » est une sévère régression qui de fait AUTORISE le caillassage à mort et les coups de fouet en public. Comme cela se passe effectivment dans les pays où l'islam « de paix et de tolérance » est appliqué : Iran, Arabie Saoudite et autres pays mahométisants. ]
Le commandement divin rejoint ici la tendresse que le Prophète éprouvait, dit-on, pour les femmes, en particulier pour ses épouses, que la tradition musulmane plaça au sommet de la hiérarchie des créatures, pour avoir eu le privilège de partager la vie de l'Envoyé de Dieu. Khadija, la riche veuve qui fut sa première compagne, et la première croyante. Aïcha la vive, son épouse enfant qu'il aimait regarder jouer avec ses poupées [en ce qui concerne la « tendresse » pour une épouse enfant qui joue avec des poupées, au XXIème siècle (et depuis bien longtemps) on appelle cela de la pédophilie], et sur le sein de laquelle il s'éteignit. Fatima sa fille, épouse d'Ali, qui lui donna ses deux seuls petits-fils, Hasan et Husayn.
Pendant de nombreux siècles, les sociétés musulmanes, souvent préoccupées des seuls intérêts des lignées masculines, s'attachèrent à tourner les dispositions de la Loi coranique, celles concernant l'héritage en particulier, les plus favorables aux filles. Celles-ci cherchèrent alors protection, contre la coutume, auprès des juges et de la Loi. Il va de soi qu'au regard des exigences de la modernité ces dispositions de la charia (la Loi coranique), longtemps protectrices, paraissent aujourd'hui singulièrement restrictives [paraissent restrictives ? Allons donc : une loi qui accorde aux femmes la moitié de ce qui est accordé aux hommes EST clairement et INDUBITABLEMENT restrictive...], voire inacceptables [restrictive ET innaceptable, totalement innaceptable : on ne va pas retourner au Moyen-Âge !]. Il semblerait aisé de trancher la question en avançant que Mahomet se comporta en Arabe du VIIe siècle de notre ère, que ses actes répondaient aux exigences de son temps, qui n'est pas le nôtre. A priori le musulman le plus rigoureux peut reconnaître que les temps nouveaux exigent une modification de l'enseignement de l'homme Mahomet [Ben non, justement il ne peut pas car c'est interdit par sa religion, et c'est bien là le coeur du problème...].
En revanche, la législation divine est supposée immuable. Or l'interprétation de la Loi repose en large part sur la sunna, c'est-à-dire précisément sur les propos et les exemples du Prophète, qui entrent de ce fait dans la Loi, et en reçoivent une part de sa valeur d'immuable éternité. En ce sens, la personne du Prophète est double: figure humaine bornée aux conceptions de son siècle d'une part, exégète intemporel de la Loi divine d'autre part. Les deux aspects, historique et éternel, de son enseignement expliquent qu'il n'y ait guère, encore aujourd'hui, de lecture possible du Coran, et de l'islam, qui ne cherche caution dans la génération et l'action du fondateur.
10 - QUI PEUT SUCCEDER À MAHOMET ?
Mahomet scelle, pour l'islam, la lignée des prophètes par la voix desquels Dieu a fait connaître ses commandements aux hommes. Dieu ne parlera plus. C'est aux termes de la Loi de l'islam que l'humanité sera jugée au Jour dernier.
Cette vérité communément acceptée par les musulmans admet cependant des interprétations divergentes. Partisans des droits de son cousin germain Ali au califat -la succession du Prophète à la tête de l'État islamique -, les chiites maintinrent que Mahomet avait légué par un testament, au moins spirituel, son héritage à sa descendance charnelle, dont Ali, époux de Fatima, gendre de Mahomet, était la source. C'était rouvrir l'épineuse question des liens du sang dans la cité islamique.
Orphelin de père et de mère, Mahomet fut recueilli par son oncle Abu Talib, père d'Ali, qui le protégea imperturbablement contre toutes les menaces des Mecquois hostiles, au nom de son devoir de chef de clan, et bien qu'il n'approuvât pas la prédication de son neveu. Plus tard, devenu chef de l'État islamique, Mahomet épousa, par goût ou par politique, nombre de femmes de sa tribu, issues des familles de ses principaux partisans mecquois -Aïcha était ainsi la fille de son plus fidèle ami, et premier successeur ( " calife " ), Abu Bakr. Enfin, Fatima, seule parmi ses filles, eut deux fils survivants, Hasan et Husayn.
On l'a dit: rien dans cette vie de l'Élu de Dieu n'est insignifiant. Dieu a donc choisi son Prophète parmi les faibles, s'il est vrai que, dans la société clanique des Arabes du VIIe siècle, l'étendue de la parentèle est une source décisive de force et d'influence.
De même, la Providence n'a pas voulu donner à Mahomet un fils capable de lui succéder. Cette stérilité d'abtar, d'" homme sans fils ", lui fut jetée au visage par les poètes satiriques mecquois, les seuls dont il ne put se résigner à ne pas tirer vengeance au jour du triomphe et qu'il fit exécuter [C'est beau un prophète « pacifique et tolérant » qui fonde une religion de « paix et de tolérance »...]. L'islam, sunnite en particulier, y lut plutôt la volonté divine de ne laisser du Prophète d'autre héritier que le Livre et la Communauté rassemblée par sa Loi.
En outre, tout au long de sa vie, ou presque, Mahomet fut en butte à l'hostilité de la tribu où il était né, les Quraych. L'islam en général y vit la confirmation de l'antagonisme de ses propres principes et de la traditionnelle morale arabe du clan. La fraternité musulmane ne pouvait s'imposer qu'en brisant celle des familles de chair.
Cependant, Mahomet n'a dû son salut, face aux Mecquois, qu'à la ferme défense de son oncle Abu Talib. Il s'est entouré, à Médine même, d'un cercle d'intimes choisis parmi les Mecquois qui l'avaient suivi dans son Hégire, au détriment de ses hôtes médinois. Il a conclu avec La Mecque, en 630, une paix de compromis, qui accordait à la ville un large pardon, et à ses anciens ennemis, issus de sa tribu, une place de choix dans l'État musulman, en échange de leur conversion. Ses premiers successeurs à la tête de l'État furent tous mecquois et quraychites -et cette pratique de la première génération devint une règle dans l'islam classique (jusqu'en 1258 et la chute de Bagdad). Enfin Ali, son cousin et son gendre, fut sans doute aussi le premier garçon converti. Ainsi, la légitimité familiale a rejoint la légitimité musulmane.
Dès lors que le califat était réservé aux Quraych, il était inévitable qu'il revînt tôt ou tard au clan le plus puissant de la tribu, à ces Omeyyades qui avaient combattu le Prophète. Ce fut chose faite avec l'élection d'Uthmân en 644. L'homme était irréprochable : il avait suivi Mahomet dans l'Hégire. Il n'en était pas moins omeyyade, et favorisa largement son clan, où les anciens ennemis du Prophète ne manquaient pas.
Scandalisé de la confiscation de l'État islamique par ceux qui l'avaient d'abord combattu, un camp
d'opposants se rassembla autour d'Ali, le meilleur des musulmans pour les uns, le légitime héritier de Mahomet, dont il était le cousin, le gendre et le père des petits-enfants pour d'autres. Uthmân fut assassiné par des mécontents en 656, et Ali aussitôt élu calife, dans la confusion.
Mais il se heurta d'abord à l'opposition d'Aïcha, l'épouse favorite du Prophète, dont il balaya les partisans à la bataille du Chameau en 656, puis à celle des Omeyyades, plus tenace et finalement victorieuse. Le camp hétéroclite des partisans d'Ali se défit, le calife fut assassiné en 660 et son fils Hasan abdiqua au profit du chef des Omeyyades, Muawiya.
Après l'échec politique d'Ali, et surtout après la mort tragique de son second fils Husayn tué au combat par les troupes des Omeyyades, à Karbala en 680, qui enracina dans la sensibilité chiite un récit de Passion comparable à celui du christianisme, leurs partisans investirent la descendance d'al Husayn non seulement des droits politiques qu'ils prêtaient à Ali, mais des grâces spirituelles de leur ancêtre Mahomet. Il revenait, selon les chiites, à ces " imams " descendants du Prophète par Ali et Husayn d'interpréter le Coran.
Contre ce privilège, exorbitant à ses yeux, accordé aux imams chiites, la majorité " orthodoxe " réaffirma au plus fort du débat, au cours des VIIIe et Xe siècles, que le Prophète était le seul interprète du Coran. Seuls ses paroles, ses silences, ses exempIes, soigneusement collectés et rassemblés dans des corpus clos dès la fin du IX" siècle, pouvaient légitimement éclairer le texte du Coran et guider le droit. Ce sont ces recueils de " dits " de Mahomet (hadith) et d'exemples tirés de sa vie (Sira) qu'on nomme la Tradition par excellence:sunna, d'où le nom de parti sunnite attaché à l'orthodoxie.
La vénération toujours croissante pour la personne du Prophète -l'apparition de la fête de sa naissance, le mawlid, au XIIIe siècle, par exemple- amena ainsi à fermer la voie aux interprétations ésotériques du Verbe divin. Et à circonscrire, voire à figer, la réflexion licite.
Cette vérité communément acceptée par les musulmans admet cependant des interprétations divergentes. Partisans des droits de son cousin germain Ali au califat -la succession du Prophète à la tête de l'État islamique -, les chiites maintinrent que Mahomet avait légué par un testament, au moins spirituel, son héritage à sa descendance charnelle, dont Ali, époux de Fatima, gendre de Mahomet, était la source. C'était rouvrir l'épineuse question des liens du sang dans la cité islamique.
Orphelin de père et de mère, Mahomet fut recueilli par son oncle Abu Talib, père d'Ali, qui le protégea imperturbablement contre toutes les menaces des Mecquois hostiles, au nom de son devoir de chef de clan, et bien qu'il n'approuvât pas la prédication de son neveu. Plus tard, devenu chef de l'État islamique, Mahomet épousa, par goût ou par politique, nombre de femmes de sa tribu, issues des familles de ses principaux partisans mecquois -Aïcha était ainsi la fille de son plus fidèle ami, et premier successeur ( " calife " ), Abu Bakr. Enfin, Fatima, seule parmi ses filles, eut deux fils survivants, Hasan et Husayn.
On l'a dit: rien dans cette vie de l'Élu de Dieu n'est insignifiant. Dieu a donc choisi son Prophète parmi les faibles, s'il est vrai que, dans la société clanique des Arabes du VIIe siècle, l'étendue de la parentèle est une source décisive de force et d'influence.
De même, la Providence n'a pas voulu donner à Mahomet un fils capable de lui succéder. Cette stérilité d'abtar, d'" homme sans fils ", lui fut jetée au visage par les poètes satiriques mecquois, les seuls dont il ne put se résigner à ne pas tirer vengeance au jour du triomphe et qu'il fit exécuter [C'est beau un prophète « pacifique et tolérant » qui fonde une religion de « paix et de tolérance »...]. L'islam, sunnite en particulier, y lut plutôt la volonté divine de ne laisser du Prophète d'autre héritier que le Livre et la Communauté rassemblée par sa Loi.
En outre, tout au long de sa vie, ou presque, Mahomet fut en butte à l'hostilité de la tribu où il était né, les Quraych. L'islam en général y vit la confirmation de l'antagonisme de ses propres principes et de la traditionnelle morale arabe du clan. La fraternité musulmane ne pouvait s'imposer qu'en brisant celle des familles de chair.
Cependant, Mahomet n'a dû son salut, face aux Mecquois, qu'à la ferme défense de son oncle Abu Talib. Il s'est entouré, à Médine même, d'un cercle d'intimes choisis parmi les Mecquois qui l'avaient suivi dans son Hégire, au détriment de ses hôtes médinois. Il a conclu avec La Mecque, en 630, une paix de compromis, qui accordait à la ville un large pardon, et à ses anciens ennemis, issus de sa tribu, une place de choix dans l'État musulman, en échange de leur conversion. Ses premiers successeurs à la tête de l'État furent tous mecquois et quraychites -et cette pratique de la première génération devint une règle dans l'islam classique (jusqu'en 1258 et la chute de Bagdad). Enfin Ali, son cousin et son gendre, fut sans doute aussi le premier garçon converti. Ainsi, la légitimité familiale a rejoint la légitimité musulmane.
Dès lors que le califat était réservé aux Quraych, il était inévitable qu'il revînt tôt ou tard au clan le plus puissant de la tribu, à ces Omeyyades qui avaient combattu le Prophète. Ce fut chose faite avec l'élection d'Uthmân en 644. L'homme était irréprochable : il avait suivi Mahomet dans l'Hégire. Il n'en était pas moins omeyyade, et favorisa largement son clan, où les anciens ennemis du Prophète ne manquaient pas.
Scandalisé de la confiscation de l'État islamique par ceux qui l'avaient d'abord combattu, un camp
d'opposants se rassembla autour d'Ali, le meilleur des musulmans pour les uns, le légitime héritier de Mahomet, dont il était le cousin, le gendre et le père des petits-enfants pour d'autres. Uthmân fut assassiné par des mécontents en 656, et Ali aussitôt élu calife, dans la confusion.
Mais il se heurta d'abord à l'opposition d'Aïcha, l'épouse favorite du Prophète, dont il balaya les partisans à la bataille du Chameau en 656, puis à celle des Omeyyades, plus tenace et finalement victorieuse. Le camp hétéroclite des partisans d'Ali se défit, le calife fut assassiné en 660 et son fils Hasan abdiqua au profit du chef des Omeyyades, Muawiya.
Après l'échec politique d'Ali, et surtout après la mort tragique de son second fils Husayn tué au combat par les troupes des Omeyyades, à Karbala en 680, qui enracina dans la sensibilité chiite un récit de Passion comparable à celui du christianisme, leurs partisans investirent la descendance d'al Husayn non seulement des droits politiques qu'ils prêtaient à Ali, mais des grâces spirituelles de leur ancêtre Mahomet. Il revenait, selon les chiites, à ces " imams " descendants du Prophète par Ali et Husayn d'interpréter le Coran.
Contre ce privilège, exorbitant à ses yeux, accordé aux imams chiites, la majorité " orthodoxe " réaffirma au plus fort du débat, au cours des VIIIe et Xe siècles, que le Prophète était le seul interprète du Coran. Seuls ses paroles, ses silences, ses exempIes, soigneusement collectés et rassemblés dans des corpus clos dès la fin du IX" siècle, pouvaient légitimement éclairer le texte du Coran et guider le droit. Ce sont ces recueils de " dits " de Mahomet (hadith) et d'exemples tirés de sa vie (Sira) qu'on nomme la Tradition par excellence:sunna, d'où le nom de parti sunnite attaché à l'orthodoxie.
La vénération toujours croissante pour la personne du Prophète -l'apparition de la fête de sa naissance, le mawlid, au XIIIe siècle, par exemple- amena ainsi à fermer la voie aux interprétations ésotériques du Verbe divin. Et à circonscrire, voire à figer, la réflexion licite.