samedi 5 mai 2018

Islamisme et politique 03.05.2018


Amiral Christophe Prazuck : «La haute mer se remilitarise» (04.05.2018)
Turquie : l'opposition laïque a choisi son candidat pour défier Erdogan (04.05.2018)
Le Liban vit ses premières élections depuis 10 ans (04.05.2018)
«Fête à Macron» : Darmanin fustige les «méthodes d'extrême droite» de Mélenchon (04.05.2018)
L'agresseur du jeune Marin condamné à sept ans et demi de prison (04.05.2018)
«Fête à Macron» : 2000 policiers et gendarmes pour verrouiller le cortège (04.05.2018)
Les enjeux politiques de «La fête à Macron» (04.05.2018)
Quand l'extrême-gauche ressuscite la ségrégation raciale (04.05.2018)
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Amiral Christophe Prazuck : «La haute mer se remilitarise» (04.05.2018)

Par Alain Barluet
Mis à jour le 04/05/2018 à 20h14 | Publié le 04/05/2018 à 19h27
INTERVIEW - Le chef d'état-major de la marine, invité du «Talk Stratégique», détaille des menaces en pleine évolution
LE FIGARO. - Quel est le rôle de la marine militaire française?
Amiral Christophe PRAZUCK.- La France, avec ses départements et ses régions d'outre-mer, est un grand pays maritime. Notre zone économique exclusive (ZEE) atteint 11 millions de km2, soit l'équivalent des États-Unis et du Mexique réunis. Cette superficie est source d'immenses richesses qu'il faut protéger. Ce qui ne l'est pas est pillé, pollué, contesté. J'invoquerais aussi une raison économique: 90 % de nos échanges transitent par voies maritimes et 99 % de nos données Internet passent dans des câbles sous-marins. Interrompez ces flux et notre vie change du tout au tout. Le premier rôle de la marine nationale est de protéger nos approches maritimes, notre ZEE et les flux qui alimentent notre économie.
Comment décririez-vous notre marine?
C'est une force qui flotte, 80 bateaux ; qui plonge, dix sous-marins nucléaires ; qui vole, 200 aéronefs ; et qui marche, les 2500 commandos et fusiliers-marins. Cette variété de compétences est très singulière en Europe et même dans le monde. Notre marine est en outre déployée sur tous les océans du globe de l'Antarctique au cap Nord, de la Guyane à la Polynésie française.
On assiste à une remilitarisation de la haute mer. Des grandes puissances, comme la Chine ou la Russie, adoptent des postures de contestation stratégique
Des «problèmes techniques» seraient intervenus le mois dernier lors du raid en Syrie, auquel la marine a participé…
J'ai lu des choses farfelues. Trois choses sont sûres. Un, on a tiré pour la première fois des missiles de croisière navals. Deux, ces missiles visaient des installations militaires du programme chimique syrien, et ils ont fait but. Trois, comme après chaque opération, on «débriefe». Ce retour d'expérience ne se fait pas sur la place publique, au bénéfice de nos futurs adversaires. Je n'en dirai donc pas plus, sinon que l'opération a été un succès militaire.
Quand le porte-avions Charles-de-Gaulle reprendra-t-il la mer?
Un porte-avions, c'est à la fois des avions et un bateau. Actuellement, les avions et les pilotes sont aux États-Unis, depuis un mois et pour deux semaines encore, pour s'entraîner avec leurs camarades de la marine américaine. Le bateau, lui, est en rénovation à mi-vie, pour lui redonner un potentiel d'emploi d'une vingtaine d'années encore. D'ici à la fin de l'année, il aura fini son entretien et ses essais et, début 2019, il pourra repartir dans un cycle opérationnel.
Vos principaux défis pour l'avenir?
En interne, je dois d'abord remporter la bataille du recrutement. Nous avons besoin chaque année de 3500 jeunes. Ensuite, je dois mener celle des compétences, car on exerce, dans la marine, des métiers qui n'existent pas dans le civil. Il nous faut conserver l'excellence de la formation des marins français. Les défis externes, ce sont d'abord des menaces en pleine évolution. On assiste à une remilitarisation de la haute mer. Des arsenaux se constituent. Des grandes puissances, comme la Chine ou la Russie, adoptent des postures de contestation stratégique. Deuxième défi externe: la prolifération des armes sophistiquées, tels les missiles dotés d'autodirecteurs ou les drones, qui, il y a quelques années, n'existaient que dans les arsenaux des États, et qui sont aujourd'hui aux mains de groupes non étatiques.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 05/05/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Journaliste
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Turquie : l'opposition laïque a choisi son candidat pour défier Erdogan (04.05.2018)
Par Delphine Minoui
Mis à jour le 04/05/2018 à 16h34 | Publié le 04/05/2018 à 15h39
VIDÉO - Le Parti républicain du peuple (CHP) a désigné Muharrem Ince, un de ses responsables les plus combatifs, pour affronter le président turc, lors de l'élection anticipée du 24 juin.
Correspondante à Istanbul
C'est par les réseaux sociaux, très suivis en Turquie, qu'il a choisi de mettre fin au suspens. «Nous sommes prêts», a annoncé ce vendredi matin Muharrem Ince, en posant tout sourire aux côtés de son épouse et de leurs deux enfants sur une photo publiée sur son compte Twitter. Quelques heures plus tard, le député du principal parti d'opposition CHP - qui fêtait également ses 54 ans - confirmait officiellement sa candidature à la présidentielle anticipée du 24 juin, lors d'une cérémonie à Ankara. À sa boutonnière, le badge du drapeau turc remplaçait l'habituel pin's de la mouvance kémaliste et républicaine. Dans son premier discours, il a tenu à préciser qu'il s'engageait à être le «président de tous» et à être «impartial»: un pied de nez directement adressé à son adversaire principal, le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan, accusé par des détracteurs d'avoir polarisé la société turque au cours de ces dernières années.
En annonçant la tenue d'élections présidentielle et législatives un an et demi avant la date initialement fixée, ce dernier a pris de court ses opposants. Mais en dépit d'un manque de temps et de moyens - le tout dans un climat d'état d'urgence, peu propice à l'exercice de la démocratie -, la dissidence anti-Erdogan resserre les rangs et s'organise pour tenter de défier l'homme fort du pays et le parti au pouvoir, l'AKP. Cette semaine, quatre des principaux partis d'opposition ont ainsi annoncé qu'ils entendaient former une alliance stratégique afin de gagner un maximum de sièges au Parlement.
En revanche, chaque mouvance politique a tenu à présenter son propre candidat au scrutin présidentiel. Le tout nouveau «Bon Parti» mise sur sa «Dame de fer», Meral Aksener, une ex-nationaliste et fervente opposante à Erdogan qui se revendique du centre droit. Le parti de gauche prokurde sera, lui, représenté par son icône, Selahattin Demirtas, qui a annoncé sa candidature depuis sa cellule de prison, où il est écroué depuis plus d'un an. Quant au parti islamiste Saadet, il sera incarné par son leader Temel Karamollaoglu. Au sein du CHP, les tractations allaient bon train depuis quelques semaines. Le chef du parti kémaliste, Kemal Kilicdaroglu, 69 ans, avait annoncé le mois dernier qu'il ne serait pas candidat. Connu pour être un rival invétéré d'Erdogan, mais souffrant d'un manque de charisme, il a vraisemblablement préféré céder la place à un homme plus jeune et charismatique.
Peu de temps pour se faire connaître du grand public
Réputé pour son style enflammé et sa combativité, Muharrem Ince a bâti sa renommée sur ses discours passionnés et ses piques provocatrices. Dans l'une de ses plus célèbres sorties, il affirmait que s'il était un jour élu chef de l'État, il se débarrasserait du palais présidentiel aux proportions pharaoniques qu'Erdogan s'est fait construire à Ankara, la capitale turque. Cet ex-professeur de physique et chimie et actuel député de Yalova (nord-ouest) est également l'un des principaux rivaux en interne au chef du CHP, contre lequel il s'était présenté en 2014, puis en 2018, pour prendre la tête du parti. En 2016, il avait aussi critiqué le choix de Kilicdaroglu de soutenir la levée de l'immunité parlementaire qui avait ouvert la voie à plusieurs procès contre des élus prokurdes accusés de liens avec le «terrorisme».
C'est lui encore qui, défiant la rhétorique islamisante de l'AKP - mais aussi la rigidité de certains caciques anti-voile de son parti laïc -, déclarait en 2013 au parlement: «Ma sœur porte un foulard… mais nous ne l'utilisons à des fins électorales comme vous le faites. Les femmes voilées sont également nos sœurs et nous ne vous laisserons pas utiliser leur foi pour vos intérêts politiques».
Bien que déterminé et ambitieux, Muharrem a néanmoins peu de temps pour se faire connaître du grand public dans un pays où, qui plus est, la presse indépendante se réduit comme peau de chagrin.
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Le Liban vit ses premières élections depuis 10 ans (04.05.2018)
Par Sibylle Rizk
Mis à jour le 04/05/2018 à 18h15 | Publié le 04/05/2018 à 17h59
INFOGRAPHIE - Le premier ministre sortant, Saad Hariri, devrait être reconduit sans enthousiasme aux législatives dimanche.

Les Libanais se rendent aux urnes dimanche 6 mai pour le premier scrutin législatif depuis neuf ans, les députés ayant prorogé à plusieurs reprises leur mandat échu en 2013. Pourtant, l'événement est bien loin de susciter l'enthousiasme habituel des rendez-vous démocratiques et c'est la résignation qui domine au sein d'une population très largement convaincue de l'absence d'alternative au système de pouvoir en place depuis la fin de la guerre de 1975-1990, malgré ses échecs patents.
La liste des griefs des électeurs est très longue. Une dette de plus de 150 % du PIB, qui fait du Liban le troisième pays le plus endetté au monde ; un chômage - élevé mais non mesuré - qui alimente une émigration massive des Libanais, tandis que le pays accueille à l'inverse une population de migrants et de réfugiés représentant plus du tiers des résidents ; un taux de pauvreté de 30 % ; une couverture santé à laquelle moins de la moitié de la population a accès ; le rationnement du courant électrique et de l'eau ; pas de système de gestion des déchets ; une corruption endémique ; une administration et un système judiciaire gangrenés par le clientélisme… les raisons de vouloir une alternance ne manquent pas.
Pourtant, à l'instar de Mohammad, obligé de contracter un très lourd emprunt pour soigner sa fille, l'écrasante majorité des Libanais vont reconduire leur «zaïm» ou ceux que ce dernier leur aura désignés. Ce terme traduit la nature du leadership politique au Liban, fondé sur le contrôle d'un groupe clanique ou communautaire à travers l'instrumentalisation des institutions et des ressources de l'État. «Je vais voter pour Saad Hariri, quel autre choix ai-je?» explique cet électeur de Beyrouth, même s'il ne cache pas l'écœurement que lui cause le leader de la communauté sunnite, à qui est réservée la fonction de premier ministre.
Problématiques de succession
C'est très probablement le même gouvernement d'union nationale et le même triumvirat qui seront reconduits à la tête du pays après le scrutin. Le président de la Chambre, Nabih Berri, entamera sa vingt-sixième année à ce poste réservé aux chiites, qu'il représente en tandem avec le Hezbollah. Tandis que le duo Saad Hariri -Michel Aoun (président du Conseil - président de la République) se maintiendra, côté exécutif.
Le Liban a toujours été le théâtre de conflits par procuration, et les changements ­politiques y sont plus le reflet de ­retournements d'alliances que le fruit d'évolutions ­locales
Ce partage du pouvoir est la traduction d'un consensus régional et international relatif quant au maintien de la stabilité du Liban, qui s'est manifesté le 6 avril dernier par des promesses de soutien financier de plus de 10 milliards de dollars au pays du Cèdre, lors d'une conférence de bailleurs à Paris, qui s'est tenue à l'initiative d'Emmanuel Macron. Scellé par l'élection de Michel Aoun fin 2016 après 29 mois de vacance à la tête de l'État, cet équilibre est appelé à perdurer, à moins d'une nouvelle bourrasque due à une éventuelle remise en cause de l'accord avec l'Iran par l'Administration Trump, dont la nouvelle orientation stratégique est attendue pour le 12 mai: le Hezbollah, l'une des principales forces du Liban, est aussi l'un des éléments clés du dispositif militaire iranien dans la région. De fait, le pays du Cèdre a toujours été le théâtre de conflits par procuration, et les changements politiques y sont plus le reflet de retournements d'alliances ou de bras de fer entre les alliés respectifs des leaders libanais que le fruit d'évolutions locales.
C'est pourquoi les enjeux du scrutin de dimanche se réduisent à des problématiques de succession - la transmission du pouvoir étant très souvent familiale, sous couvert de jeu démocratique - ou à des rééquilibrages entre les différents acteurs du système au pouvoir en place, l'opposition n'ayant pas encore réussi à se structurer en alternative suffisamment sérieuse pour  constituer une menace. Un élément d'incertitude toutefois qui pourrait créer des surprises: quelque 600.000 électeurs (sur un total de 3,7 millions d'inscrits) votent pour la première fois.

Une nouvelle loi électorale aux multiples aberrations
Le Liban s'est doté d'une nouvelle loi électorale censée élargir la représentativité politique grâce à l'introduction de la proportionnelle. Mais celle-ci a subi une série d'aménagements pour empêcher le déverrouillage du système fondé sur le quadrillage des inscrits enregistrés dans leur village d'origine plutôt que sur leur lieu de résidence.
Le choix de circonscriptions de taille réduite, limite considérablement la possibilité de répartition proportionnelle des 128 sièges dont l'allocation confessionnelle est préétablie (les maronites en ont 34, les sunnites et les chiites 27 chacun, etc.).
Le fait aussi de transférer à l'électeur le soin de choisir l'ordre d'attribution des sièges obtenus par chaque liste, à travers l'outil du vote préférentiel, conduit en amont les forces politiques à des alliances purement électoralistes pour la constitution des listes et, en aval, à des résultats aberrants: un candidat ayant collecté beaucoup plus de votes préférentiels qu'un autre peut être recalé au profit de ce dernier si le quota réservé à sa confession est déjà rempli…
Bien qu'elle ait apporté quelques avancées, la nouvelle loi est encore loin des standards démocratiques: la majorité électorale est maintenue à 21 ans, les quotas féminins ont été refusés (la législature sortante ne comportait que quatre femmes) et, surtout, en l'absence de loi sur le financement des partis, les clauses de la loi relatives aux dépenses électorales consacrent en toute impunité le règne du clientélisme le plus débridé.

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«Fête à Macron» : Darmanin fustige les «méthodes d'extrême droite» de Mélenchon (04.05.2018)

Par Jules Pecnard
Mis à jour le 04/05/2018 à 14h47 | Publié le 04/05/2018 à 12h10
LE SCAN POLITIQUE - Invité de la matinale de LCP, le ministre de l'Action et des Comptes publics a dénoncé le «poujado-castrisme» du leader des Insoumis, à la veille de la grande manifestation de samedi.
Les adversaires du 5 mai sont chauffés à blanc. À la veille de la «fête à Macron» organisée par François Ruffin, le gouvernement tire à vue sur La France insoumise, préparant ainsi une confrontation binaire. Un choix habile, quelques jours après les violences commises par les black blocs le 1er mai à Paris. Ce vendredi matin sur Public Sénat, Gérald Darmanin a vu dans le mot d'ordre de LFI une incitation «à la violence». «D'ailleurs je suis assez étonné que M. Mélenchon reprenne des méthodes de l'extrême droite (...) comme M. Ruffin parfois», a ajouté le ministre de l'Action et des Comptes publics.
D'après l'ancien membre des Républicains, le patron des Insoumis, «quelqu'un qui avait une voix respectée dans la République», est coupable de «poujado-castrisme». Une référence croisée, d'abord à Pierre Poujade, député antiparlementariste de la IVe République, et à Fidel Castro, ancien leader communiste de Cuba. «M. Mélenchon (...) se tourne effectivement vers un modèle vénézuélien qui nous empêche un petit peu d'avoir une discussion démocratique», a tancé Gérald Darmanin.
«Révolutionnaire en peau de lapin»
Le député des Bouches-du-Rhône, qui a par ailleurs répondu jeudi aux critiques lancées à distance par Emmanuel Macron depuis le Pacifique, a réagi avec ironie aux propos de l'ex-maire de Tourcoing. Rappelant un débat plutôt cordial que les deux hommes avaient eu en mai 2016 sur France 2, Jean-Luc Mélenchon a autorisé le ministre à «redevenir aimable». «Il l'a déjà été. Sinon je lui jette du persil!», a-t-il écrit sur Twitter, en référence à la «manif pot-au-feu» prévue par les Insoumis le 5 mai.
Certains députés La République en marche sont également montés au créneau ce vendredi. Invité de Jean-Jacques Bourdin ce vendredi sur BFM-TV, Sacha Houlié s'est demandé si la manifestation de samedi serait «une fête, un événement jovial», comme le prétendent les cadres de LFI. «Ou est-ce que c'est l'organisation de débordements insurrectionnels?», a-t-il enchaîné, estimant que l'on a «le droit d'être un militant politique et de contester lors de manifestations la politique du gouvernement», sans pour autant «basculer dans la violence et la délinquance».
«Dans les propos qu'ils ont tenus à plusieurs égards, les députés LFI ont pu encourager la violence», estime l'élu LaREM de la Vienne, qui a tout de même reconnu que Jean-Luc Mélenchon «était revenu à des propos beaucoup plus apaisants» ces derniers jours. Son collègue parisien Gilles Le Gendre a été moins tendre, dénonçant les «deux Mélenchon»: «Vous avez le notable épris de reconnaissance, et puis vous avez le révolutionnaire en peau de lapin, et on ne sait pas lequel parle quand il prend la parole.»
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L'agresseur du jeune Marin condamné à sept ans et demi de prison (04.05.2018)

Par Aude Bariéty
Mis à jour le 04/05/2018 à 20h00 | Publié le 04/05/2018 à 11h27
Le 11 novembre 2016, l'étudiant avait été frappé à coups de béquille après avoir tenté de défendre un couple importuné par des jeunes, à Lyon. La cour d'assise des mineurs a condamné son agresseur à sept ans et demi de prison. L'avocat général avait requis une peine de 14 ans de réclusion.
«Je ne t'excuserai pas, mais je pourrai peut-être un jour te pardonner.» Au soir du deuxième jour du procès de son agresseur, Marin a résumé en une phrase son état d'esprit après un échange direct avec Lilian*. Un an et demi après sa terrible agression, l'ancien étudiant en droit et sciences politiques a rassemblé son courage et ses forces physiques pour assister en partie au procès de celui qui reconnaît avoir «brisé sa vie». La cour d'assise des mineurs a condamné ce vendredi à une peine de 7 ans et demi de prison l'agresseur de Marin. Celle-ci a retenu l'excuse de minorité, réduisant de moitié la peine maximale encourue (15 ans de réclusion), contrairement à ce qui avait été réclamé plus tôt par l'avocat général et les parties civiles. Marin et ses parents qui l'entouraient ont paru consternés à l'annonce du verdict.
11 novembre 2016. Lilian, 17 ans, invective un couple en train de s'embrasser à un arrêt de bus situé près du centre commercial de la Part-Dieu, à Lyon. L'homme du couple l'insulte en retour. Le ton monte. Marin, qui sort du centre commercial avec sa petite amie, intervient, une bousculade éclate. Puis tout semble rentrer dans l'ordre: un bus arrive, les deux couples montent et s'installent.
Mais Lilian, s'emparant d'un bout de béquille d'une connaissance, assène soudainement à Marin des coups d'une violence «extrême», selon l'avocat de la victime, Me Frédéric Doyez, qui souligne auprès du Figaro la «lâcheté» de ces coups portés par derrière, sans que le jeune homme puisse se défendre. Marin s'effondre et est transporté à l'hôpital «dans un état désespéré». Lilian est quant à lui interpellé le lendemain.
«Un moment particulièrement fort et émouvant»
Aujourd'hui âgé de 19 ans, Lilian est jugé devant la cour d'assises des mineurs du Rhône en raison de son âge au moment des faits. Après deux jours dévolus à l'examen de sa personnalité et au retour sur les événements de novembre 2016, la dernière journée du procès était consacrée aux auditions des experts médicaux, puis aux réquisitions de l'avocat général ainsi qu'aux plaidoiries des parties civiles et de la défense.
Opposés dans cette affaire, les avocats lyonnais Me Frédéric Doyez et Me Anne Guillemaut s'accordent toutefois sur un moment clé du procès. «Marin et Lilian ont eu un échange direct. La présidente a laissé faire. Lilian a déclaré qu'il s'en voudrait toujours d'avoir brisé la vie de Marin et sa famille. Marin lui a expliqué tout le mal qu'il lui avait fait, et lui a demandé de changer de manière de vivre», raconte Me Guillemaut au Figaro.
«C'était un moment particulièrement fort et émouvant d'audience, un instant rare, comme je n'en avais jamais vu auparavant», témoigne l'avocate de la défense. L'épisode «nous a tous envahis», a abondé le conseil de Marin à la sortie de l'audience. «Le temps s'est suspendu», décrit de son côté la mère du jeune homme, qui reste cependant «assez dubitative sur la prise de conscience [chez Lilian] de l'événement dramatique qui s'est passé».
Celle qui a créé l'association «La tête haute je soutiens Marin» a déclaré aux micros de plusieurs médias qu'il y avait «peut-être des explications», mais «pas d'excuses» aux faits du 11 novembre 2016. Défavorablement connu des services de police, l'agresseur présumé compte une vingtaine de mentions sur son casier judiciaire.

Audrey, la mère de Marin, à la sortie de l'audience le 3 mai. © Jeff Pachoud / AFP - Crédits photo : JEFF PACHOUD/AFP
* Le prénom a été modifié
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«Fête à Macron» : 2000 policiers et gendarmes pour verrouiller le cortège (04.05.2018)

Par Christophe Cornevin
Mis à jour le 04/05/2018 à 19h47 | Publié le 04/05/2018 à 18h48
La préfecture de police a prévu un dispositif conséquent et puissant pour garantir, samedi, l'esprit pacifique de «La fête à Macron» d'Opéra à la Bastille.
Après les heurts et la calamiteuse séquence de saccages qui ont fait déraper la manifestation du 1er Mai à Paris, les forces de l'ordre, soumises à forte pression, montent en puissance pour sécuriser «La fête à Macron» samedi. Outre une belle météo qui pourrait inciter la foule des badauds à gonfler le cortège qui s'ébranlera à midi de l'Opéra pour rejoindre vers 19 heures la place de la Bastille, l'envie d'en découdre et de mettre le pavé en fusion risque fort d'attirer la cohorte des casseurs.
La direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) n'a pas observé, vendredi matin, d'appels à la violence analogues à ceux constatés sur les réseaux sociaux avant la manifestation de mardi dernier, qui évoquaient notamment «un 1er-Mai en enfer». Mais les stratèges parisiens n'ignorent pas que les mots d'ordre peuvent être lancés au dernier moment, pour ménager l'effet de surprise. «Il y a tout lieu de penser que des individus tenteront de nouveau de s'intégrer dans les manifestations afin de constituer un black bloc», a d'ailleurs prévenu le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, qui garde bien à l'esprit la horde bien compacte des 1 200 nihilistes vêtus de noir qui ont semé la violence dans le cœur de la capitale et qui n'ont qu'un but: démontrer que les forces de l'ordre n'arrivent pas à tenir la rue.
Côté organisateurs, un service d'ordre de 150 personnes
Le comité d'accueil sera donc à la hauteur des enjeux. Un «dispositif conséquent et puissant», pour reprendre les termes du préfet de police, va mobiliser quelque 2000 policiers et gendarmes pour garantir l'esprit pacifique de cet événement. Soit 500 de plus que lors du 1er Mai. «Vous avez là la traduction de l'effort supplémentaire voulu par le gouvernement», a insisté le patron de la police parisienne.
En amont, sur réquisition du procureur de la République, les participants seront contrôlés aux sorties des stations du métro et des fouilles seront menées pour interpeller des personnes porteuses «d'objets pouvant constituer des armes par destination». «Les fonctionnaires ne sont pas là pour être les cibles de ces casseurs voyous , a prévenu Michel Delpuech.
«Les forces de l'ordre, sans être au contact direct avec les manifestants, se déploieront tout au long de l'itinéraire afin d'être en capacité d'intervenir dans les délais les plus brefs»
Le préfet de police de Paris, Michel Delpuech
«Pas question de déployer systématiquement» des forces devant certains lieux ou devantures, a aussi rappelé Michel Delpuech, qui avait considéré en début de semaine: «Même si nous étions en capacité de le faire, ce serait la double faute, car les casseurs passeraient quand même à l'action et nos forces de l'ordre seraient exposées à des personnes qui les agresseraient de manière délibérée. Nous aurions à la fois des hommes au tapis et des magasins qui brûleraient.» Détaillant la stratégie qu'il a conçue au sein de la préfecture de police, il a rappelé que «les forces de l'ordre, sans être au contact direct avec les manifestants, se déploieront tout au long de l'itinéraire afin d'être en capacité d'intervenir dans les délais les plus brefs pour prévenir d'éventuelles exactions et y mettre fin».
De son côté, le député La France insoumise François Ruffin a promis de mobiliser un service d'ordre de 150 personnes et juré que son objectif était d'organiser une «manifestation sans violence». Tout comme la police, les fidèles de Jean-Luc Mélenchon auront tout à perdre si le temps vire à l'orage.
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Rédacteur en chef adjoint, spécialiste sécurité et renseignement
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Les enjeux politiques de «La fête à Macron» (04.05.2018)

Par Sophie de Ravinel
Mis à jour le 04/05/2018 à 23h10 | Publié le 04/05/2018 à 19h51
Discret au départ, Jean-Luc Mélenchon est en embuscade pour récupérer le mouvement en cas de succès.
François Ruffin était sans doute loin d'imaginer qu'Emmanuel Macron et le gouvernement allaient offrir une telle publicité à sa «Fête à Macron»organisée samedi entre l'Opéra et la Bastille. Le médiatique député de la Somme, du groupe de La France insoumise, ne pouvait pas non plus soupçonner que les violences du défilé du 1er Mai, à Paris, allaient donner à sa manifestation - une sorte de carnaval de la gauche radicale destiné à faire converger les luttes sociales - une teinte contestataire aussi forte. Mais depuis les violences du 1er Mai, rien ne s'est passé comme prévu. Le chef de l'État, le premier ministre Édouard Philippe, le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, le porte-parole Benjamin Griveaux, le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérard Darmanin, tous, ces derniers jours, ont dénoncé l'irresponsabilité des organisateurs, accusés de mettre de l'huile sur le feu.
En cause: les affiches diffusées à des dizaines de milliers d'exemplaires sur lesquelles un jeune homme balance des légumes contre les ennemis du peuple. Une reprise des codes visuels de Mai 68, les légumes prenant la place du pavé. Les chars aussi, destinés à se moquer du chef de l'État «et de son monde», sont dans la ligne de mire. Un char «Jupiter», un char «Dracula» et un char «Napoléon» seront suivis d'un char «résistance».
Macron et tout l'exécutif, inquiets de possibles débordements violents, ont pointé les risques de dérive. Du «poujado-castrisme» a insisté vendredi Gérald Darmanin, relevant même une reprise «des méthodes de l'extrême droite». Cette dernière accusation était spécifiquement destinée à Jean-Luc Mélenchon.
Jusqu'au 1er Mai, l'ex-candidat à la présidentielle ne s'était pas mis en avant, laissant la main à François Ruffin et à ses proches, plutôt neutres au sein d'une gauche radicale divisée.
Ruffin, le «député-reporter» comme il s'est lui-même défini, maîtrisant parfaitement les codes de sa communication, gouailleur, ironique, jouant de son allure juvénile, récompensé en 2017 du César du meilleur documentaire pour son film Merci patron!, incarne à merveille la contestation sociale de terrain.
« Face à la violence de la société, c'est l'action de masse et de classe qui doit l'emporter, pas la violence»
Jean-Luc Mélenchon
Laisser la main à Ruffin aurait été une stratégie parfaitement maîtrisée. C'est du moins ce que Mélenchon a écrit sur son blog le 2 mai. Objectif: contourner l'obstacle des divisions et permettre une plus grande mobilisation syndicale. Il est vrai que sa tentative de rassembler les centrales derrière lui, à l'automne dernier, avait été un échec cuisant. Mais l'opposant préféré du chef de l'État et de ses troupes s'est opportunément replacé sur le devant de la scène ces derniers jours, en réponse aux attaques de l'exécutif. Depuis l'Australie, Emmanuel Macron avait visé implicitement Jean-Luc Mélenchon et son parti. «Beaucoup de dirigeants politiques jouent aux pyromanes en permanence. Ce n'est pas bon d'avoir ainsi constamment un discours d'agitation. Ils veulent rejouer dans la rue le jeu démocratique. Au fond, ils n'aiment la démocratie que quand ils gagnent», avait-il dénoncé.
Le retour sur le devant de la scène du député de Marseille n'est pas étranger non plus au succès désormais attendu de «La fête à Macron». D'initiative potache, elle est devenue une affaire médiatique. Du coup, Mélenchon en parle: «Nous ne devons pas tomber dans le panneau de La République en marche qui pousse des cris d'orfraie au moindre signe de violence pour dissuader les gens et les familles de venir à la fête», a-t-il insisté vendredi, assurant que «face à la violence de la société, c'est l'action de masse et de classe qui doit l'emporter, pas la violence».
Lui comme Ruffin et les organisateurs, politiques et syndicaux, ont tout intérêt à ce que la journée se déroule dans le plus grand calme. Car derrière cette fête se prépare une mobilisation plus ample, inédite, associant politiques et syndicats - dont la CGT et La France insoumise - prévue le 26 mai prochain. Une «marée populaire» pour «l'égalité, la justice sociale et la solidarité». «Un moment où le mouvement citoyen, les syndicats, les partis se retrouvent tous ensemble», a salué Ruffin vendredi sur France Inter, souhaitant que «des espèces de cloisons tombent». Le rêve de Mélenchon, qui ne laissera pas un autre que lui le mettre en musique.

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Quand l'extrême-gauche ressuscite la ségrégation raciale (04.05.2018)
Par Céline Pina
Publié le 04/05/2018 à 13h13
FIGAROVOX/TRIBUNE - Céline Pina revient sur l'apparition d'événements interdits aux blancs. Sous couvert d'antiracisme, leurs organisateurs ressuscitent selon elle une nouvelle forme de racisme, fondée comme autrefois sur la science : non plus la biologie, mais les sciences humaines.

Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle avait dénoncé en 2015 le salon de «la femme musulmane» de Pontoise et a récemment publiéSilence Coupable (éd. Kero, 2016). Avec Fatiha Boutjalhat, elle est la fondatrice de Viv(r)e la République, mouvement citoyen laïque et républicain appelant à lutter contre tous les totalitarismes et pour la promotion de l'indispensable universalité de nos valeurs républicaines.

Dans certaines universités dites «en lutte», de Tolbiac à Paris VIII en passant par Nanterre, jusqu'au sein du syndicalisme enseignant, comme chez Sud Éducation ; via des séminaires de formation politique (camps décoloniaux), ou encore dans le cadre de festivals dits culturels, une nouvelle revendication apparaît: celle de la ségrégation raciale.
«Interdits aux blancs», tel est le mot d'ordre et le plan d'action qu'essaie de populariser une partie de plus en plus importante des indigénistes et de la gauche Big Brother. Ceux qui veulent remplacer la lutte des classes par la guerre des races et qui, comme dans 1984, de Georges Orwell, font de l'inversion des concepts et du retournement du sens, une arme de destruction des consciences et de soumission des esprits. C'est ainsi que dans l'univers mental du Parti des Indigènes de la République (PIR) et du Collectif Contre l'Islamophobie en France, comme dans les représentations de l'extrême gauche qui les soutient, l'antiracisme est devenu l'alibi de la haine du blanc, une forme de pensée qui réduit tout à la couleur de la peau. La conférence internationale «Bandung du Nord», organisée du 4 au 6 mai 2018 à la Bourse du travail de Saint-Denis en est la dernière illustration.
L'antiracisme est devenu l'alibi de la haine du blanc
Oh bien sûr, chez ces gens-là, on ne dit plus «interdit aux blancs», c'est mettre son racisme en avant de façon trop éhontée et cela fait encore réagir. Les temps ne sont pas encore mûrs pour assumer la volonté de séparatisme racial et de pureté des origines, alors on utilise plus volontiers le terme «décolonial», «réservé aux racisés» ou encore «non-mixte». Mais il suffit de lire la présentation de ladite conférence pour que les masques tombent. C'est ainsi que notre raout indigéniste devient, par la magie du verbe, «la première conférence internationale de personnes de couleur prenant à bras-le-corps les questions concernant les non-blancs vivant dans le Nord global, afin de discuter de problématiques qu'elles ont en commun». On croirait entendre le vent se lever, en fait c'est juste Houria Bouteldja qui agite son éventail. Car quand on creuse un peu l'organisation de cette «conférence internationale», on ne peut que constater que tout cela repose largement sur le PIR assisté du CCIF avec quelques guest stars habituées à se compromettre avec cette mouvance. Ainsi, si Angela Davies est mise en avant, c'est surtout le parti des Indigènes et ses alliés qui composent le gros des intervenants. Sans surprise on retrouvera sur scène les Houria Bouteldja, Sihame Assbague, Nacira Guenif, Rokhaya Diallo, Ismahane Chouder, avec un nouveau venu, Nordine Saïdi, un islamiste belge très tolérant et compréhensif, membre de la liste Islam, qui refuse de condamner les attentats-suicide et prône la charia. Brandir la référence à la conférence de Bandung, qui avait d'autres ambitions et représente un moment historique important, pour finir à Saint-Denis à déverser sa haine raciste entre demi-sels de l'entreprenariat identitaire, cela dit tout du rapport au réel chez cette mouvance.

Sur Twitter, le Collectif Afroféministe révolutionnaire (@MwasiCollectif) appelait à un cortège «non mixte» et «racisé» pour le 1er mai. - Crédits photo : Twitter
L'antiracisme raciste, voilà le bel oxymore qu'ils ont réussi à forger et à imposer. Pour eux le racisme n'est pas d'attribuer à une couleur de peau ou à une appartenance ethnique, des qualités morales, c'est un outil qui sert à mettre en accusation les «Blancs» et l'État de droit, le racisme devient donc un «système politique qui prive les non-blancs de parole et impose un récit dominant sur le terrorisme qui facilite la montée d'un état policier et cible les personnes non blanches». Selon eux nous vivons donc en France dans un régime fascisant qui pratique l'apartheid et la lutte contre le terrorisme n'est qu'un prétexte pour humilier les «non-blancs». Autant d'outrance devrait leur valoir une complète délégitimation. Et bien non… Une partie de la gauche soutient cette vision et le mouvement étudiant les a mis en avant lors de l'occupation des facs. C'est ainsi que l'on a retrouvé, dans le rôle du conférencier/commissaire politique, des militants du PIR venus parler d'homoracialisme, d'impérialisme gay et sommer l'extrême gauche de faire son autocritique pour oser mettre le social avant le racial. Laquelle gauche en est réduite à s'excuser pour ses militants blancs. La séquence était à ce titre instructive, qui montre, le 22 avril 2018, lors d'un débat sur l'évacuation de Tolbiac, Juliette, jeune militante gauchiste, s'excuser d'être blanche tellement elle a intégré ce discours essentialiste qui fait de la couleur de la peau la marque du dominant et la preuve de la faute.
La série de conférences tenue par les indigénistes à cette occasion révèle le fond de leur pensée et de leurs objectifs. Et toute la considération qu'ils ont pour leurs alliés objectifs. Ainsi un certain Wissam Xelka, militant du PIR explique qu'il faudrait que «les militants de l'antiracisme politique prennent le contrôle des blancs, les guident, leur fassent lâcher le gouvernail, leur retirent la main mise sur la contestation». L'obsession de la race est telle que même entre alliés, la question de ce que l'on pense, dit ou fait est évacuée au profit de la seule référence à la couleur de peau. C'est ainsi qu'après avoir défini la race comme «faisant référence aux théories racialistes qui postulent l'existence biologique des races humaines et de leur hiérarchisation avec le Blanc au sommet», le jeune militant se défend de vouloir «reprendre ces théories pseudo-scientifiques, en inversant la hiérarchie, afin de placer les Blancs tout en bas». Pourtant, souvent, lorsqu'on se défend par avance d'une objection que personne n'a soulevée dans une salle acquise, c'est surtout parce que s'en défendre permet d'exprimer sa pensée profonde sans avoir à l'assumer. Ce que confirmera la fin de l'intervention de notre apprenti révolutionnaire, au terme de 7 pages d'un discours aussi pédant que creux.
C'est ainsi que la référence obsessionnelle à «l'impérialisme occidental» glisse vers la dénonciation de la «férocité blanche» et que la revendication identitaire devient un enfermement essentialiste: «Proclamer à la face du Blanc», «Je suis arabe», «Je suis musulman»,» Je soutiens les Arabes parce qu'ils sont Arabes et les musulmans parce qu'ils sont musulmans (…) est une proclamation éminemment politique». En effet, mais quand on ne se définit que par rapport à un ennemi caractérisé par la couleur de sa peau, quelle autre issue a-t-on que la vengeance, donc la violence ethnique? On voit aussi à quel point la notion de choix disparaît au profit de l'affirmation ethnique ou confessionnelle: «Être Arabe ou musulman» devient une position politique dès que cette identité est exhibée en face d'un Blanc. C'est le degré 0 de l'intelligence et de l'émancipation, mais une manière imparable de réaffirmer la clôture communautariste et de faire du rejet et de la haine de l'autre, la base de l'affirmation de soi. Dans le même esprit, lors de la conférence sur «l'impérialisme gay», le militant du PIR explique ses choix de positionnement politique par son appartenance raciale: «le camp politique indigène est un courant qui place les intérêts politiques des non-blancs au cœur de ses préoccupations.(…) Je prends parti pour le camp politique indigène parce que je fais partie de ce camp» (de par sa couleur de peau). Il n'est plus là question de choix, de pensée, de réflexion. L'apparence définit l'appartenance et se suffit à elle-même. On est dans la lignée d'Houria Bouteldja qui dit appartenir à «sa race, son clan, sa famille, l'Islam». Ce genre d'affirmation est souvent le premier coup de semonce du renoncement aux libertés individuelles et civiles pour les remplacer par la course à la pureté ethnique et au dogmatisme religieux et/ou militant.
Quand l'obsession raciale et victimaire amène à ce degré de bêtise, de soupçon et de défiance, faire société devient compliqué.
On en arrive à une telle hystérisation autour de la mise en accusation de la couleur blanche que Rokhaya Diallo s'est dernièrement ridiculisée sur Twitter. À une personne qui lui montrait qu'aujourd'hui on créait des pansements adaptés aux peaux foncées, Rokhaya Diallo répondit qu'en attendant, la compresse à l'intérieur était toujours blanche… Sans doute une preuve du racisme du fabricant ou de son mépris pour la couleur noire. Las, il fallut lui expliquer que si les compresses et cotons sont blancs, c'est pour que l'on puisse constater les saignements et l'écoulement de pus… Bref, l'évolution de la plaie. Ce qui se voit moins sur un support sombre... Quand l'obsession raciale et victimaire amène à ce degré de bêtise, de soupçon et de défiance, faire société devient compliqué.
À cette défiance envers l'altérité s'ajoute une méconnaissance historique, qui pour être crasse n'en est pas moins dangereuse, car elle nourrit le révisionnisme. On l'a vu à propos des traites négrières avec le procès fait à l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, dont le seul tort a été de rappeler que les traites africaines et arabo-musulmanes ont non seulement existé aussi, mais ont été encore plus massives que la traite transatlantique (celle des blancs). Or toute une partie de la logorrhée indigéniste nie cette réalité. Il en est de même sur la vision d'un Occident qui n'aurait construit sa prospérité qu'avec «la sueur et le cadavre des nègres, des Arabes, des Indiens et des jaunes» (citation de Frantz Fanon utilisée par les militants indigénistes), d'Israël qualifié d'état nazi ou de la référence à un génocide palestinien. Tous ces gens s'exonèrent facilement de la mesure du réel quand il s'agit de vendre leur camelote idéologique. D'ailleurs c'est aussi dans cette mouvance-là que l'on recrute les nouveaux négationnistes.
Ce révisionnisme historique associé à la Novlangue indigéniste («racisés», «Blanchité» «homoracialisme»…) renvoie aussi à la satire des régimes totalitaires qu'est 1984. Dans le livre, le héros, Winston Smith, travaille au Ministère de la vérité, lequel est chargé de falsifier l'histoire au nom de la mutabilité du passé. Le rôle de l'institution étant de faire en sorte que le passé corresponde à la situation du moment et épouse tous les caprices et revirements du pouvoir. Le passé est aboli, le futur impossible à concevoir, il n'y a plus qu'un présent éternel où le parti a toujours raison. On retrouve cette utilisation de la falsification historique dans les récits des militants indigénistes, gauchistes comme islamistes ou frontistes d'ailleurs. Le rôle de ces récits est de créer des références communes, d'autant plus assujettissantes qu'elles sont basées sur la peur de l'autre et sa diabolisation. Chez les indigénistes, la base du lien politique ne peut être fondée sur des principes et idéaux partagés ou sur un projet collectif, la base du lien est primitive, voire frustre: quand ce qui vous réunit est négatif - le fait d'être non blanc - le seul commun, c'est l'ennemi. Voilà pourquoi la haine du blanc est au cœur de ces doctrines.
Force est de constater qu'au fur et à mesure que la question des rapports sociaux, du pouvoir, de l'action de l'État et des rapports humains est vue par certains uniquement au prisme d'une opposition manichéenne blancs/non blancs, non seulement le racisme ne recule pas, mais de nouvelles formes apparaissent. Le racisme brutal et primaire a toujours cherché dans la science un allié et un partenaire. La biologie a d'abord fourni ce vernis scientifique qui permettait de justifier le refus de l'égale dignité des hommes à raison de leurs différences anthropologiques. Mais les théories de Gobineau furent battues en brèche, quand la science qui aurait dû les démontrer, les infirma. Aujourd'hui on a affaire à une nouvelle alliance de la brutalité et de la science, mais ce sont les sciences humaines qui se chargent de justifier philosophiquement et sociologiquement les démarches racistes mises en œuvre par les indigénistes. Nos nouveaux Gobineau se recrutent maintenant à la gauche de la gauche. Pas sûr que cela soit un progrès.
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Céline Pina


Jacques Julliard : «La gauche, l'islam et le nouvel antisémitisme» (02.05.2018)
Par Jacques Julliard
Publié le 02/05/2018 à 19h06
CHRONIQUE - L'historien et essayiste revient sur le manifeste des 300 personnalités contre l'antisémitisme paru dans Le Parisien. Il se réjouit que prenne fin le déni du réel et analyse la reconfiguration politique que produit la question de l'islamo-gauchisme. À force d'abandonner ses valeurs, la gauche court le risque d'être rayé de la carte au profit d'un seul duel entre centre et droite.
● Sur la question judéo-musulmane
Eh bien! oui, il y a un antisémitisme musulman. Grande nouvelle! Il y a longtemps que cette évidence était un secret de Polichinelle, mais le fait nouveau est qu'on a désormais le droit d'en parler. L'ère de la communication est d'abord celle de l'intimidation. Ainsi tout le monde, dans les années 1950, connaissait l'existence du goulag, mais il a fallu que Khrouchtchev en personne en donnât la permission (1956) pour que dans les milieux stalinoïdes de l'intelligentsia parisienne, on s'enhardît à y faire allusion.
Le grand mérite du manifeste des 300 (Le Parisien, 22/4), mais aussi de celui des 30 imams (Le Monde, 24/4) est d'avoir mis un terme à ces pudeurs de vierges effarouchées qui, à l'ère victorienne, étaient tenues de dire leur «estomac», pour ne pas parler de leur ventre. Désormais quand une vieille dame juive sera torturée et égorgée aux cris de Allah akbar! il ne sera plus systématiquement question, y compris dans la bouche des magistrats instructeurs, de détraqués et de malades mentaux ; quand on dénoncera l'impossibilité d'enseigner la Shoah dans certaines écoles à dominante musulmane, Le Mondenous épargnera peut-être ses rituelles considérations générales sur le vieil et tenace antisémitisme français ; quand il faudra bien constater que nos compatriotes juifs ont peur dans certains quartiers et les quittent pour des lieux plus hospitaliers, en France, en Israël, ou ailleurs, on nous dispensera peut-être de ces statistiques boiteuses sur la décroissance de la croissance du phénomène…
● Contre l'islamisme de précaution
Naturellement, tous les musulmans ne sont pas antisémites, et tous les antisémites ne sont pas musulmans. Mais pour combattre un mal, il faut d'abord le nommer. Quand dans mon précédent carnet du Figaro je dénonçais, aux côtés de l'antisémitisme d'extrême droite et de l'antisémitisme populaire et avant même l'apparition en France de l'antisémitisme musulman, un antisémitisme chrétien, jadis virulent, je ne me suis pas cru obligé d'ajouter que tous les chrétiens n'étaient pas antisémites, que Jésus lui-même… et ainsi de suite.
Pour savoir de quel côté balance le racisme, il suffit de consulter les statistiques. Les juifs votent avec leurs pieds, les musulmans aussi.
À cet égard, on ne saurait trop recommander le dernier livre de Pierre-André Taguieff,Judéophobie, la dernière vague(Fayard) qui montre avec son érudition et sa rigueur habituelles que l'antisémitisme musulman est loin d'être un recyclage des vieux antisémitismes occidentaux. Il procède en grande partie de l'humiliation ressentie par le monde arabo-musulman lors de l'installation d'Israël et des guerres qui ont suivi. On assiste à une véritable «islamisation de la judéophobie». À quand, demande-t-il, un Vatican II de l'islam sunnite?
J'en conclus qu'il faut en finir avec l'islamisme de précaution, qui berce les belles âmes, leur permet de se savoir gré de leur propre délicatesse. Non, ce n'est pas l'antisémitisme maurrassien qui est la cause de cette «épuration à bas bruit» dénoncée par les 300 ; non, ce ne sont pas de pieux parallèles entre l'antisémitisme en particulier et le racisme en général qui expliquent que le pays de l'abbé Grégoire, de Bernard Lazare et de Péguy soit devenu un lieu répulsif pour les juifs, quand il demeure attractif pour les musulmans, comme il est aisé de le voir. C'est tout simple. Pour savoir de quel côté balance le racisme, il suffit de consulter les statistiques. Les juifs votent avec leurs pieds, les musulmans aussi.
Car le déni du réel est un crime ; dans le cas qui nous occupe, il constitue une complicité passive avec l'antisémitisme, au point de persuader ce pauvre Poutou, alors que onze juifs sont tombés ces dernières années sous les balles ou les couteaux des tueurs islamistes, que ce sont les musulmans français qui ont payé le plus lourd tribut au racisme criminel…
Comme dit Proust, les faits ne pénètrent pas dans les lieux où vivent nos croyances
J'ajoute une recommandation à l'adresse de nos compatriotes musulmans: qu'ils se méfient donc un peu de ces islamophiles au cœur sensible, qui leur font plus de caresses que Donald Trump à un Emmanuel Macron qui n'en pouvait plus. Quand ils auront vraiment besoin de leur engagement actif, ils peuvent être à peu près sûrs qu'ils ne pourront pas compter dessus. Ayant fait récemment le bilan de ma vie militante, et constaté qu'elle avait été consacrée pour la plus grande part à la défense des musulmans en France, en Algérie, en Bosnie, au Darfour, je me suis fait à moi-même cette remarque bien plus intéressante: c'est que jamais quand il fallait se battre, les islamolâtres d'aujourd'hui ne se sont trouvés là. Étrange tout de même. Certains se reconnaîtront peut-être, mais je n'en suis pas sûr, —: comme dit Proust, les faits ne pénètrent pas dans les lieux où vivent nos croyances.
● Un étrange chassé-croisé
Une dernière observation. Elle relève de l'analyse politique. Aujourd'hui, quand vous entendez quelqu'un prendre la défense des musulmans, vous pouvez être sûr qu'il est de gauche ou qu'il se croit tel. Quand vous en entendez un autre prendre la défense des juifs, vous pouvez désormais présumer qu'il est de droite. Je reconnais que c'est là un critère un peu sommaire, qui fait bon marché d'honorables exceptions, dans les deux cas et dans les deux sens. C'est navrant, mais c'est pourtant ainsi, le monde à l'envers. Un Charles Maurras, dont il est aujourd'hui beaucoup question, s'il revenait parmi nous, n'en croirait pas ses yeux ; encore moins ses oreilles, qu'il avait mauvaises.
J'irai encore plus loin: la question judéo-musulmane est en train de créer en France un ahurissant chassé-croisé au chapitre des valeurs. Tout au long de la IIIe République, et naguère encore, on reconnaissait un homme de gauche à un certain nombre de traits: l'attachement indéfectible à la laïcité, à l'école républicaine, à la République elle-même, à la nation, à la France. Et à la haine de l'antisémitisme! Prenez tous les grands hommes dont la gauche se réclame traditionnellement, de Gambetta à Mitterrand, en passant par Clemenceau, Jaurès, Blum, Mendès, et combien d'autres, comme mes amis disparus, Michel Rocard et Edmond Maire, et encore notre cher Robert Badinter: ils sont tout entiers pétris de ces valeurs.
● L'islamisme de compensation
Mais à l'inverse, il y a désormais à gauche beaucoup d'Orgon victimes des Tartuffe-Ramadan de l'islamo-gauchisme.
Écoutez attentivement les porte-parole de la gauche, ou de ce qu'il en reste. La laïcité? Bien sûr, elle doit être honorée, mais avec modération.
La République n'est-elle pas tout au long de notre histoire synonyme de colonialisme, voire de racisme ?
À trop l'exalter, ne finirait-on pas par «stigmatiser» les musulmans? L'école républicaine? À trop rechercher l'excellence, ne sont-ce pas les inégalités que l'on creuse au détriment des moins bien armés? La République n'est-elle pas tout au long de notre histoire synonyme de colonialisme, voire de racisme? La nation? N'est-elle pas facteur d'exclusion pour les nouveaux arrivants? La France? Ce «récit» où nos ancêtres avaient trouvé le lien qui les unissait, est-il autre chose qu'une pure fiction, depuis les «racines judéo-chrétiennes» jusqu'à la philosophie des Lumières, issue de ces racines?
Cette déconstruction est en cours. Ses bases scientifiques et philosophiques sont fragiles ; elles reposent le plus souvent sur l'esbroufe et la mauvaise foi. Mais elle est assez efficace pour rayer la gauche du paysage politique présent, pour au moins dix ans. Car enfin, je vous le demande: si la gauche renie de facto les valeurs sur lesquelles elle a jadis fondé son pacte avec la nation, spécialement avec les classes populaires, quelle raison restera-t-il à ces dernières pour la soutenir? La proximité sociale? Elle n'existe pas. Le clientélisme généralisé? Il n'est pas crédible. Décidément, cette ferveur soudaine pour la religion de l'autre a quelque chose de stupéfiant de la part d'un personnel politique en majorité agnostique ; c'est payer bien cher une tardive rectification de tir destinée à faire oublier son molleto-colonialisme de naguère.
Pendant ce temps, une partie de la droite républicaine, soit pour faire pièce à la gauche, soit pour faire barrage à la montée de l'islamisme, se rapproche des valeurs évoquées plus haut. Je ne vois pas pourquoi les hommes de gauche authentiques, héritiers des Lumières et convaincus que leurs valeurs sont universelles devraient s'en affliger. En tout cas, le fait est difficilement contestable. À cause de cette ridicule bigoterie islamique, qui ne se confond en rien avec la nécessité de l'intégration des musulmans, la gauche laisse pour dix ans le champ libre à une confrontation exclusive entre la droite et le centre.
● J'ai fait un rêve
Oui, je fais ce rêve. Que les personnalités, plus nombreuses que l'on ne le croit, éprises de paix et de fraternité dans les diverses religions et sociétés spirituelles se réunissent et établissent entre elles un lien permanent. Le manifeste des 300 se termine par un appel aux musulmans. De leur côté les 30 imams dénonçant «la confiscation de leur religion par des criminels» et définissant l'islam comme une «aspiration spirituelle», en quête de «transcendance de lagénérosité et de l'altérité», ont employé des formules qui vont au cœur de tout homme libre et de tout citoyen français.
L'Église de France, qui a déjà accompli le trajet de la réconciliation avec les juifs et qui entretient de bons rapports avec les musulmans, serait bien placée pour proposer une initiative commune
Il me semble que l'Église de France, qui a déjà accompli le trajet de la réconciliation avec les juifs et qui entretient de bons rapports avec les musulmans, serait bien placée pour proposer une initiative commune. Qu'à côté de l'archevêque de Paris, le grand rabbin Korsia, l'imam de Bordeaux Oubrou, des personnalités comme Élisabeth Badinter, Patrick Kessel, Pascal Bruckner, Boualem Sansal, Kamel Daoud, Caroline Fourest, — ce sont des noms que je lance un peu à la volée -, établissent entre elles un organe de liaison permanent destiné à lutter contre le racisme et l'antisémitisme, serait la preuve que l'offensive aurait cessé d'être l'apanage des fanatiques et des assassins. Ajouterai-je qu'une telle initiative serait une contribution à la laïcité véritable à l'intérieur des lois de la République. Il ne sera pas dit que dans ce pays le dernier mot revienne aux porteurs de haine, ou tout simplement aux imbéciles. Au-delà de son objet, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et pour la fraternité, qui ne ferait nullement double emploi avec les organismes de défense des droits de l'homme déjà existants, un tel organe de liaison redonnerait à un pays ravagé par la mesquinerie et l'insignifiance, le signal d'une révolte du spirituel.
● Atmosphère, atmosphère…
Dans son éditorial de Libération (28-29 avril 2018), Laurent Joffrin a tenu à souligner que M.M. Finkielkraut et Zemmour n'ont pas la responsabilité «directe» (le mot figure textuellement) dans un éventuel retour de la violence fasciste. C'est très généreux de sa part. Merci pour eux. Tout au plus contribuent-ils à créer une «atmosphère», ajoute-t-il, favorable à cette résurgence.
À la place des intéressés, je me sentirais tenu de renvoyer l'ascenseur à Laurent Joffrin, en précisant avec la plus grande netteté qu'il n'a de son côté aucune responsabilité directe dans le terrorisme islamiste.
On dit même - mais que ne dit-on pas? - que Libération préparerait en grand secret un numéro spécial intitulé: «Au secours! Mahomet revient!»
● Paris est une fête pour les yeux
On peut actuellement visiter à Paris trois expositions consacrées à des peintres majeurs, Delacroix, Tintoret, Corot, la beauté convulsive et la beauté apollinienne. Malgré mon amour immodéré de Tintoret, c'est de Camille Corot que je voudrais dire un mot, tant l'exposition du Musée Marmottan, consacrée à Corot portraitiste sort de l'ordinaire. Dire que le portrait n'était, si l'on peut dire, que son violon d'Ingres! On en sort l'esprit clair, l'âme apaisée, le cœur en fête. Comme si le réalisme poétique de ses portraits, aussi éloignés du vérisme de Courbet que de la subjectivité impressionniste de la génération suivante était la manifestation tranquille d'une évidence cachée. Corot (1796-1875) est un peintre qui ne fait jamais le malin, qui n'administre pas de leçon, mais qui à chaque instant donne à voir les choses et les gens comme on ne les avait jamais vus, tels qu'en eux-mêmes enfin l'instantané les change. Et quel coloriste! De LaDame en bleu, qui est comme le bouquet final de cette exposition, le critique Gustave Geffroy a écrit «avec cette minute passagère, Corot a fait une réalité définitive». Et un bleu définitif.* Éditorialiste de l'hebdomadaire «Marianne». Le carnet de Jacques Julliard, qui paraît ordinairement le premier lundi du mois, a été exceptionnellement décalé en raison du pont. Le rythme habituel reprendra à partir du mois de juin.
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Hollande a bien fait fuir les contribuables aisés (03.05.2018)
Par Guillaume Guichard
Publié le 03/05/2018 à 20h43
Selon un rapport, le nombre de départs de riches Français à l'étranger a continué à augmenter malgré l'instauration de l'exit tax.
En annonçant la suppression de l'«exit tax», Emmanuel Macron a provoqué un tollé à droite et à gauche. La majorité a défendu cette décision en soulignant notamment l'inefficacité de cette mesure, censée limiter le nombre de départs de riches contribuables et de chefs d'entreprise. Les dernières statistiques connues lui donnent raison. Le nombre de départs de riches Français à l'étranger a continué à augmenter après la réinstauration de l'exit tax en 2011, ressort-il du rapport 2017 sur «Les contribuables quittant le territoire national», dont Le Figaro s'est procuré une version.
Le chiffre des contribuables dotés de plus d'un million de revenu fiscal de référence a été multiplié par 2,3, passant de 38 en 2011 à 89 en 2015, avec une pointe à 158 départs en 2012
D'après ce document remis par la Direction générale des finances publiques (DGFIP) aux parlementaires, le nombre de contribuables déclarant plus de 100.000 euros de revenus et quittant la France a plus que doublé entre 2011 et 2015 (dernière année connue), passant de 2024 à 4326. Le chiffre des contribuables dotés de plus d'un million de revenu fiscal de référence a été multiplié par 2,3, passant de 38 en 2011 à 89 en 2015, avec une pointe à 158 départs en 2012, l'année d'élection du président socialiste François Hollande. Dans le même temps, le nombre total de départs de contribuables augmentait de seulement 44 %.
Autres chiffres relativisant le caractère dissuasif de l'exit tax, le rythme des départs des redevables de l'ISF dont le patrimoine est supérieur à 1,3 million d'euros a crû de 555 en 2011 à 754 en 2015. Ces chiffres vont dans le même sens que ceux qu'a dévoilés le rapporteur de la commission des finances du Sénat, Albéric de Montgolfier (LR), en 2014. Il établissait que le nombre de redevables de l'exit tax n'avait cessé d'augmenter entre 2011 et 2013, passant de 194 à 437. D'après le rapport de la DGFIP, ce chiffre est ensuite resté à un niveau comparativement élevé, à 399 contribuables en 2014, puis 374 en 2015.

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1er Mai : l'inquiétant profil des casseurs d'ultragauche (02.05.2018)
Par Christophe Cornevin
Mis à jour le 02/05/2018 à 21h31 | Publié le 02/05/2018 à 20h27
Sur les réseaux sociaux, ils s'étaient promis de faire vivre aux autorités «une journée en enfer». Les gardes à vue permettent de préciser le parcours politique ultraviolent des black blocs.
Les artisans du chaos, à l'œuvre le 1er Mai dans Paris, ont semble-t-il bel et bien recruté dans les rangs de la nébuleuse contestataire et de l'ultragauche radicale. Parmi les 283 interpellés, dont plusieurs dizaines de militants black blocs pris dans la nasse à la hauteur du Jardin des Plantes, 43 personnes (5 mineurs et 38 majeurs) ont vu leur garde à vue prolongée mercredi soir et trois ont été déférées au tribunal en vue de leur présentation au parquet jeudi matin. Toutes sont soupçonnées de participation à un «groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations», à un «attroupement armé» ou encore de «violences volontaires sur personnes dépositaires de l'autorité publique». Le parquet de Paris a lancé la police judiciaire sur les traces des instigateurs de ces dégradations.
Selon un état des lieux porté à la connaissance du Figaro, 60 % des personnes gardées à vue mercredi avaient entre 18 et 28 ans, 20 % étant plutôt trentenaires. Un tiers étaient des femmes. Le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a évoqué la présence de 15 mineurs et d'un «fiché S». «Une bonne partie pourrait être connue de la Direction du renseignement qui mène les criblages», estime une source informée. Sur les neuf étrangers conduits au poste pour «contrôle d'identité», cinq suspects, un Allemand, un Belge, un Syrien, un Colombien et un Suisse, sont restés en garde à vue. Enfin, un homme et une femme, appréhendés en marge des heurts, ont été respectivement déférés pour détention de couteaux et d'un engin incendiaire.
Au cœur de la contestation, les black blocs ont orchestré un bal dantesque avec un savoir-faire saisissant
Dès lundi, la Préfecture de police avait formulé des craintes à propos de «militants de groupes contestataires issus de mouvances extrémistes» qui entendent «s'en prendre violemment aux forces de l'ordre ainsi qu'aux symboles du capitalisme». À titre d'exemple, expliquaient les autorités, un mouvement baptisé «inter-luttes» avait appelé sur les réseaux sociaux à faire vivre «une journée en enfer» aux représentants de l'État.
«Attaque militaire contre la ZAD, destruction des lieux de vie, expulsions, matraquage des étudiants, isolement des cheminots, désinformation: ces manœuvres destinées à prouver l'autorité étatique sont bien plutôt les symptômes d'un gouvernement angoissé, pris de panique face à la croissance d'un mouvement de plus en plus puissant et protéiforme», raconte un appel «pour un 1er Mai révolutionnaire» diffusé sur le site la veille du défilé traditionnel.
Dans un style inimitable, le texte invitait les «camarades» à «transformer ces différents foyers de révolte en une seule vague insurrectionnelle pour faire chuter ce régime détestable». Des «engins incendiaires» de type cocktail Molotov allaient être utilisés, estimait-on alors dans les rangs de forces de l'ordre qui, en évacuant lundi le campus Censier (université Paris III), ont découvert «plusieurs centaines de bouteilles vides et de produits entrant dans leur composition». Sans pouvoir mesurer l'ampleur exacte de l'incendie qui couvait sous la cendre, les services de renseignements avaient annoncé la couleur. Sans grande surprise, elle sera noire et rouge.
Une professionnalisation de la contestation
Outre des «camarades de pays voisins ayant l'idée de se joindre aux festivités» et des émissaires zadistes venus de Notre-Dame-des-Landes ou de Bure qui ont signé leur passage en peinturlurant le mobilier urbain par des messages appelant à la «Croizad» contre Emmanuel Macron, l'écosystème habituel des «anarcho-autonomes» était lui aussi au rendez-vous. Vent debout contre «l'État capitaliste», ces chantres de l'émeute scandaient «tout le monde déteste la police» et en inscrivant sur les murs «ACAB», acronyme de l'Anglais «All cops are bastards» («Tous les flics sont des salauds»).
«Tout l'art des black blocs est de se mélanger parmi les gens pour faire en sorte qu'il y ait des blessés et des morts si la police intervient»
Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur
Au cœur de la contestation, les black blocs ont orchestré un bal dantesque avec un savoir-faire saisissant. Pour le préfet de police Michel Delpuech, qui a parlé d'une «forme d'organisation assez nouvelle», ils étaient «au moins 1200» animés par la volonté de «faire déraper» la Fête du travail et «d'user de violences de toutes les manières». Glissés au milieu de 14.500 manifestants massés en amont du cortège officiel, pour ne pas se faire prendre, ces nihilistes vêtus de noir se griment et se masquent juste avant de laisser éclater leur colère.
Répondant au slogan «siamo tutti antifascisti» par de caractéristiques claquements de mains, les militants radicaux copient le modèle de leurs «aînés» allemands. Outre-Rhin, où ils communiquent sur les réseaux cryptés et Facebook en plusieurs langues, les black blocs se sont professionnalisés depuis la mise en place d'«action maps» (plans d'action), de «street medics» (médecins de rue), de «legal teams» (juristes) et de «guides» de la garde à vue fourmillant de conseils pratiques.
Face à cette professionnalisation de la contestation, les responsables de l'ordre public tentent d'ajuster une riposte tout en évitant les «dégâts collatéraux». «Tout l'art des black blocs est de se mélanger parmi les gens pour faire en sorte qu'il y ait des blessés et des morts si la police intervient. Il a fallu les bloquer», a commenté mercredi le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, lors d'une visite surprise sur le boulevard de l'Hôpital pour constater le saccage. Un dernier bilan a fait état de 6 voitures incendiées et de 31 commerces vandalisés. Édouard Philippe, lui, n'excluait pas mercredi de demander la dissolution d'«associations» pour éviter de nouvelles violences.

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Mathieu Bock-Côté : «La tentation milicienne de l'ultragauche» (03.05.2018)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 03/05/2018 à 21h02 | Publié le 03/05/2018 à 20h26
CHRONIQUE - Figure de la vie intellectuelle québécoise, notre chroniqueur a observé les black blocs lors de l'émeute survenue à Montréal en 2012. Il tente d'expliquer les motivations de ces groupes d'ultragauche.
Ils étaient 1200, portant la tenue des black blocs, avec l'intention de profiter des manifestations du 1er Mai à Paris pour faire une démonstration de force. L'ultragauche s'est présentée comme une milice bien organisée, composée de casseurs résolus à provoquer le désordre social et l'instabilité politique. Le commun des mortels cherche à discerner les motivations des casseurs qui n'hésitent pas à verser dans la violence extrême.
Mais cette dernière peut sembler incompréhensible à ceux qui se sont habitués à une vie démocratique pacifiée refoulant dans les marges les enragés à la recherche d'un affrontement ouvert avec la société. Ils n'y verront à la rigueur qu'une forme de nihilisme brutal, où des jeunes personnes, essentiellement des voyous, se laissent aller à l'ivresse de la destruction et du saccage. Il faut y voir un aveuglement certain, comme si la société libérale ne parvenait plus à comprendre la violence politique endogène et les passions qui y mènent.
Selon l'ultragauche, l'ordre libéral n'est rien d'autre que le masque d'un ordre fasciste, sexiste et raciste qui refuse de dire son nom, au service exclusif des dominants
Mais qui cherche à reconstruire de l'intérieur la psychologie des casseurs s'aperçoit que leur rapport à la violence relève d'une stratégie politique bien théorisée. Selon l'ultragauche, l'ordre libéral n'est rien d'autre que le masque d'un ordre fasciste, sexiste et raciste qui refuse de dire son nom, au service exclusif des dominants.
En attaquant frontalement les forces de l'ordre et en multipliant les violences de toutes sortes, elle espère le pousser à dévoiler sa «vraie nature», en usant d'une violence répressive démesurée, qui réveillerait une population ayant pleinement intériorisé les codes de sa domination et désirant d'un coup s'en délivrer. Autrement dit, ce système d'oppression généralisé se dévoilerait en temps de crise. La violence aurait non seulement une vertu pédagogique: elle serait de nouveau la grande accoucheuse de l'histoire.
Contester le monopole de la violence légitime
Si l'ultragauche en appelle à un usage décomplexé de la violence, c'est aussi qu'elle prétend désormais combattre ouvertement «le système», en contestant le monopole de la violence légitime qu'il accorde à l'État. Il s'agit de faire éclater les conventions bourgeoises et de créer une situation de chaos où s'imposeraient seulement les rapports de force. L'ordre social mis à nu deviendrait champ de bataille avoué, l'affrontement rituel dans les rues entre casseurs et policiers en étant une préfiguration. On voit bien évidemment surgir ici la figure de la minorité créatrice et résolue, capable de transfigurer le cours de l'histoire par sa résolution et son fanatisme. L'ultragauche s'y reconnaît. Lorsqu'un affrontement décisif viendra, celui qui ira jusqu'au bout de la violence l'emportera, pense-t-elle. Si la tentation du meurtre est contenue chez ses militants, on devine qu'ils seraient les premiers à trouver des raisons à la mort d'un policier, s'il tombait lors d'un affrontement de rue, en affirmant qu'il l'a bien cherché.
L'ultragauche cherche à profiter des tensions sociales ordinaires pour les radicaliser, en espérant créer un jour une situation de non-retour
L'ultragauche n'est pas capable de provoquer par ses propres moyens cette situation insurrectionnelle - lorsqu'elle défile seule, elle ne parvient qu'a exprimer que son agressivité pathologique à l'endroit d'une société qu'elle diabolise. Mais elle cherche à profiter des tensions sociales ordinaires pour les radicaliser, en espérant créer un jour une situation de non-retour.
L'ultragauche veut ainsi s'emparer des grèves ou encore des grandes manifestations altermondialistes. Elle entend aussi radicaliser les crises sociales d'envergure comme on l'a vu au Québec au printemps 2012: la hausse des frais de scolarité proposée par le gouvernement d'alors a suscité un vaste mouvement social que l'ultragauche anarchiste a cherché à pousser aux extrêmes en multipliant les manifestations violentes et la violence urbaine à Montréal, avec l'objectif de transformer la crise en affrontement entre la gauchela plus violente et les forces policières.
L'ultragauche rêve d'une autre société
C'est la stratégie de la tension, qui consiste à détourner les conflits sociaux ordinaires traversant les démocraties pluralistes pour les entraîner dans une logique révolutionnaire, en les transformant en antagonismes irréconciliables. Une telle situation insurrectionnelle aurait la vertu de mobiliser les catégories sociales laissées pour compte qui pourraient se rallier aux forces révolutionnaires. C'est le fantasme de la grande déflagration. Il hante certainement l'imaginaire de toute société, qui le refoule politiquement tout en l'explorant dans le domaine de fictions apocalyptiques plus ou moins futuristes. Mais ce fantasme attire et excite naturellement les personnalités troubles qui ne parviennent pas à s'insérer dans les paramètres d'une société civilisée.
Sans surprise, l'État libéral est moralement désarmé devant ceux qui, au fond d'eux-mêmes, ont déclaré une guerre absolue à la société
L'ultragauche, on l'aura compris, habite un monde parallèle: elle se constitue sur le refus radical de la société. En situation normale, elle est condamnée à végéter dans les marges de l'ordre social, à bâtir théoriquement une société alternative, ou alors à la construire dans des squats ou autres zones confisquées, éloignées ou abandonnées. Ceux qui s'y convertissent ont un sentiment de supériorité absolue sur le commun des mortels. Eux savent dans quel monde nous vivons, prétendent-ils. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes de cette mouvance qu'elle conjugue un égalitarisme radical avec une forme d'aristocratisme militant: ses militants appartiennent à la catégorie des éveillés auxquels tout est permis. L'ultragauche est indissociable d'un désir de toute-puissance, elle rêve d'une autre société qu'elle ferait naître en rasant l'ancienne.
Sans surprise, l'État libéral est moralement désarmé devant ceux qui, au fond d'eux-mêmes, ont déclaré une guerre absolue à la société. Il se donne seulement pour mission de maintenir l'ordre, sans se confronter frontalement à ceux qui veulent le renverser, comme s'il ne prenait pas au sérieux la menace qu'ils représentent. À moins que nos sociétés ne soient saisies de vertige devant ceux qui veulent les anéantir? Je citerai Roger Caillois: «Il faut appeler vertige toute attraction dont le premier effet surprend et stupéfie l'instinct de conservation. L'être se trouve entraîné vers sa perte et comme convaincu par la vision même de son propre anéantissement de ne pas résister à la persuasion puissante qui le séduit par l'effroi.»
Probablement n'en sommes-nous pas là, même si la complaisance pour l'ultragauche a de quoi inquiéter. La violence des casseurs n'est pas le symptôme d'une colère sociale s'exprimant brutalement, mais la traduction militante d'un révolutionnarisme toxique qui est le contraire de l'engagement démocratique.
* Sociologue, chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur à Radio-Canada. Parmi les livres de Mathieu Bock-Côté: Le Multiculturalisme comme religion politique (Éditions du Cerf, 2016) et Le Nouveau Régime. Essais sur les enjeux démocratiques actuels (Éditions du Boréal, 2017).

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Violences du 1er Mai : au tribunal, les black blocs font grise mine (03.05.2018)
Par Caroline Beyer et Christophe CornevinMis à jour le 03/05/2018 à 21h57 | Publié le 03/05/2018 à 19h49
Interpellés parmi les 1200 casseurs en noir lors des violences parisiennes du 1er mai, six individus comparaissaient jeudi devant la justice.
Dans le box des accusés, où ils arborent des allures punk ou baba cool, les black blocs n'en mènent pas large, malgré des petits sourires adressés à leurs camarades venus assister à leur audience, en soutien. Frêle jeune homme aux cheveux mi-longs, L., 22 ans, se tient à côté de D., 26 ans, petites lunettes rondes.
Interpellés lors des violences parisiennes du 1er mai, les deux hommes sont passés, avec quatre autres comparses, dont une femme et un mineur, en comparution immédiatejeudi après-midi devant la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. «Disproportionné» pour «des jeunes gens qui ont participé à une manifestation», estiment leurs avocats, qui s'interrogent sur «le sens de cette mise en scène». Manifestement mêlés aux quelque 1 200 individus vêtus de noir qui ont semé le désordre, ils se voient reprocher leur «participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations». Le plus âgé, qui a jeté une bouteille de verre sur deux policiers, est aussi jugé pour «violences volontaires sur personnes dépositaires de l'autorité publique».
Les étudiants largement représentés
Qui sont-ils? Casier vierge, bac littéraire, études universitaires inachevées et incertaines… Parfois passés par le service civique, ces «émeutiers» gravitent dans le milieu associatif, de l'écologie à l'aide aux migrants. Le plus jeune, étudiant en anthropologie, vit à Toulouse. Sa mère est enseignante, et son père, chef de projet informatique dans une collectivité. Le second vit avec une dizaine de personnes dans une ferme, près de Lyon. Leurs avocats ayant demandé un délai, l'affaire sera jugée le 30 mai. En attendant, ils seront placés sous contrôle judiciaire avec interdiction d'aller et de séjourner à Paris.
Parmi les autres personnes placées en garde à vue, dont 43 ont été prolongées, un individu a été déféré au parquet jeudi pour un rappel à la loi, selon une source judiciaire. Trente-quatre mis en cause devaient être déférés dans la soirée en vue d'une présentation au parquet vendredi. Deux mineurs ont également été déférés jeudi. Un rappel à la loi a été notifié à un troisième et la garde à vue d'un quatrième mineur a été levée dans le cadre d'une enquête qui va se poursuivre.
Le «criblage» du profil des suspects offre une physionomie plus fine de l'écosystème contestataire impliqué dans les heurts du 1er mai. Nombre de ces individus sont connus pour leur ancrage dans la mouvance anarcho-libertaire ou la nébuleuse d'ultragauche. Composés d'environ un tiers de femmes, ils habitent pour moitié dans Paris intra-muros. Le reste provient de la proche banlieue et, dans quelques cas, de province. Ce qui prouve que les «camarades» zadistes appelés à la rescousse n'ont pas fait le voyage. Ou qu'ils ont couru plus vite que les Parisiens au moment du coup de filet.
Certains ont été repérés pour leur activisme militant sur les réseaux sociaux, d'autres étaient déjà fichés par les ser­vices de renseignements
Certains ont été repérés pour leur activisme militant sur les réseaux sociaux, d'autres étaient déjà fichés par les services de renseignements en raison de leur proximité, ou appartenance, à des groupuscules. Seule une petite partie des «casseurs» présumés a eu jusqu'ici affaire à la justice puisque environ 80 % des gardés à vue ont encore un casier vierge. Ainsi que les premières comparutions l'ont montré, les étudiants sont assez largement représentés, au point de former un bon tiers des personnes entendues. Issus notamment de Tolbiac, fac occupée pendant plusieurs semaines, ils ont été arrêtés aux côtés de quelques lycéens et collégiens. Parmi les huit étrangers entendus jusqu'à jeudi midi figuraient un Algérien, un Belge, un Colombien, un Marocain, un Polonais, un Suisse ou encore un Syrien. Pour confondre des suspects qui ont souvent sévi masqués ou grimés, la police parisienne se livre à de minutieux recoupements visuels mais travaille aussi à partir d'échantillons d'ADN prélevés sur des devantures brisées ou des effets vestimentaires abandonnés sur le champ de bataille.
Soucieuse de remonter jusqu'aux «instigateurs» de ces saccages en règle, la PJ parisienne, saisie mercredi soir par le parquet de Paris, a confié l'enquête à la brigade criminelle. Ce choix, perçu comme un signal fort, est une première dans les annales de cette prestigieuse unité, spécialisée dans l'élucidation d'homicides énigmatiques et d'actes de terrorisme. Fidèle à sa technique dite du «rouleau compresseur», la «Crim» va donc exploiter avec méthode les images diffusées sur les réseaux sociaux mais aussi toutes les bandes de vidéosurveillance ayant filmé les exactions. Un travail colossal qui pourrait durer des semaines et déboucher sur de nouvelles interpellations.

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Hugues Moutouh : «Face à la violence des black blocs, comment ne pas rester impuissant» (03.05.2018)
Par Hugues Moutouh
Mis à jour le 03/05/2018 à 20h23 | Publié le 03/05/2018 à 20h13
FIGAROVOX/TRIBUNE - La police doit privilégier, désormais, la confrontation directe et immédiate avec les black blocs, diagnostique l'ancien préfet et ancien conseiller du ministre de l'Intérieur sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Trois jours après les débordements de violence ayant accompagné les manifestations du 1er mai, le moment est venu d'en tirer quelques enseignements pour l'avenir, loin des polémiques.
Première leçon: la doctrine traditionnelle du maintien de l'ordre «à la française» mérite vraisemblablement d'être adaptée à l'évolution nouvelle du contexte social. À côté de la gestion des cortèges classiques de manifestants, qui défilent pour faire valoir des droits ou des intérêts et qui, à ce titre bénéficient d'une grande liberté d'expression, les forces de l'ordre sont de plus en plus confrontées à des nébuleuses extrémistes dont l'unique objectif est de «casser du flic» et de dégrader les biens d'autrui.
Ils se servent des manifestations autorisées sur la voie publique comme autant de vecteurs pour commettre, pratiquement en toute impunité, des actes délictuels. Face à ces hooligans très bien organisés et préparés à la façon de milices paramilitaires - on est loin d'un simple regroupement occasionnel de casseurs - la doctrine d'intervention des forces de l'ordre doit passer de la traditionnelle gestion démocratique des foules, qui tolère, au nom de la liberté de manifester, un certain degré de désordre, à la répression sévère et directe.
Le principe de mise à distance des manifestants, comme cela a été le cas le 1ermai, s'avère complètement inadapté pour contenir ces ultras que sont les black blocs 
Le principe de mise à distance des manifestants, comme cela a été le cas le 1er mai, s'avère complètement inadapté pour contenir ces ultras que sont les black blocs. Après les sommations d'usage, qui ont pour fonction d'avertir les personnes attroupées de l'imminence d'une intervention des forces publiques et de disperser les éventuels badauds, il faut privilégier le contact direct des policiers avec les fauteurs de troubles et se donner comme objectif d'intervenir en temps réel.
Pour cela, il faudrait avoir davantage recours aux véhicules lanceurs d'eau, qui ont prouvé leur efficacité et ne pas avoir peur d'utiliser d'autres outils, comme des grenades de désencerclement (qui libèrent des galets de caoutchouc dur). Pourquoi ne pas envisager, également, le retour - maîtrisé - des brigades de voltigeurs dans ces situations extrêmes? Leur emploi paraît assurément disproportionné face à de simples manifestants, mais tel n'est pas le cas dans des contextes de véritables guérillas urbaines.
La deuxième leçon, qu'on ne va pas tarder à tirer de ces événements, est que la suite judiciaire des interpellations ne sera malheureusement pas à la hauteur des espérances de l'exécutif et de nos concitoyens. La moitié déjà des personnes gardées à vue ont été remises en liberté! Dans ce genre de situation, en effet, les comparutions immédiates des fauteurs de troubles professionnels aboutissent souvent à des condamnations symboliques, voire à des relaxes pures et simples. Les exigences de la procédure pénale sont telles (il faut pouvoir ramener la preuve de l'identité des auteurs de violence et préciser les faits…) que les responsables de ces exactions urbaines sont rarement punis. La plupart des magistrats le déplorent, sans parler des policiers.
Quand la sanction pénale est difficile, il faut se concentrer sur la prévention
Quand la sanction pénale est difficile, il faut se concentrer sur la prévention. Or, en cette matière, un gros travail reste à faire. Les pouvoirs publics ne doivent se laisser influencer par aucun groupe de pression. Les risques de violence sont désormais systématiques lors des grandes manifestations.
Au vu des informations recueillies avant la manifestation du 1er mai à Paris, certaines faisant état d'une forte mobilisation des milieux extrémistes et de menaces avérées à la sécurité publique (intention d'en découdre et, notamment, d'incendier le commissariat du XIIIe arrondissement de la capitale!), on aurait été en droit d'attendre une ouverture d'information judiciaire contre X avec désignation d'un juge d'instruction et délivrance d'une commission rogatoire. Placés dans ce cadre juridique protecteur, les policiers auraient alors été en mesure de filtrer toutes les personnes se rendant à la manifestation et d'éviter la présence massive, dans le cortège, de ces fameux black blocs.
Sans vouloir résoudre chaque problème par une nouvelle loi, le gouvernement pourrait chercher à régler définitivement la gestion de ce type de menace, devenue aujourd'hui récurrente. Deux nouvelles mesures de police administrative mériteraient d'être envisagées simultanément: tout d'abord, donner au préfet de police le pouvoir de définir, autour des points de rassemblement et sur le trajet des cortèges, de véritables périmètres de sécurité, avec fouilles et contrôle d'accès. Ce n'est nullement attentatoire à la liberté de manifester. Pour défiler dans le calme, nul besoin de cagoule ou de masque à gaz, encore moins de manche de pioche! Cette compétence existe déjà dans le cadre de la législation antiterroriste pour des rassemblements présentant des risques particuliers. Pourquoi ne pas en étendre le champ à ce qui ressemble fort à du terrorisme urbain?
Il faudrait introduire dans notre droit une nouvelle mesure administrative d'interdiction de manifestation, à l'instar des interdictions de se rendre dans des stades
Ensuite, il faudrait introduire dans notre droit une nouvelle mesure administrative d'interdiction de manifestation, à l'instar des interdictions de se rendre dans des stades. Cette mesure de prévention à l'encontre des personnes susceptibles de troubler gravement l'ordre public, connues pour leur comportement violent à l'occasion de précédents attroupements ou leur appartenance à des groupes violents serait temporaire (deux ans maximum) et naturellement soumise au contrôle du juge administratif.
Un tel dispositif, matérialisé dans un nouveau fichier national des interdits de manifestation, viendrait compléter utilement les possibilités que la loi pénale offre déjà sous la forme de peines complémentaires d'interdiction de participation à des manifestations sur la voie publique, mais avec un surcroît d'efficacité.
Espérons qu'au lendemain de ces événements qui ternissent l'image de la France, le gouvernement saura faire preuve de pragmatisme et de détermination, non seulement pour maintenir l'ordre dans la République, mais aussi pour affermir l'exercice de nos libertés publiques.
Ancien conseiller du ministre de l'Intérieur sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Hugues Moutouh vient de publier «Dictionnaire du renseignement» (Perrin, 2018).

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Olivier Faure : «L'attitude d'Emmanuel Macron conduit à la radicalisation» (03.05.2018)

Par Tristan Quinault-Maupoil
Mis à jour le 03/05/2018 à 19h36 | Publié le 03/05/2018 à 18h05
INTERVIEW - Le patron du PS veut savoir pourquoi les forces de l'ordre ont tardé à intervenir à Paris le 1er mai.
Un an après l'élection d'Emmanuel Macron, Olivier Faure estime que le président mène une politique proche de celle qu'aurait menée François Fillon s'il avait été élu. Au lendemain des violences du 1er mai, il souhaite surtout qu'une commission d'enquête parlementaire puisse faire la lumière sur les responsabilités dans «la chaîne de commandement».
LE FIGARO. - Vous demandez une commission d'enquête parlementaire. Imaginez-vous que le gouvernement a délibérément été laxiste avec les black blocs?
Olivier FAURE. -S'il n'y a rien à cacher, que la majorité accepte cette commission d'enquête parlementaire. Il y a des éléments qui interrogent. Alors que les services de renseignements avaient anticipé la venue de 800 black blocs, il n'y avait que 1500 policiers pour encadrer la manifestation. Les cibles et le lieu de rendez-vous étaient identifiés. Les policiers qui témoignent s'interrogent sur l'ordre d'intervenir qui est venu très tard.
«La politique d'Emmanuel Macron est proche de celle qu'aurait menée François Fillon»
Un an après l'élection d'Emmanuel Macron, quel sentiment domine?
Le fameux «en même temps» était une supercherie. Une majorité de Français a espéré un «nouveau monde» etils ont découvert une nouvelle droite. La politique d'Emmanuel Macron est proche de celle qu'aurait menée François Fillon. Aujourd'hui, son absence de volonté de négocier conduit à une radicalisation dangereuse des positions. La responsabilité du gouvernement n'est pas de jouer le pourrissement. Jouer la défaite syndicale conduit à se priver de médiateurs utiles. Quand la fermeté est en réalité fermeture, elle conduit à la mise en tension de la société au moment où il faudrait l'apaiser. L'inspiration ce n'est pas Mendès France, c'est Thatcher.
Lors de votre discours d'intronisation, vous avez renvoyé Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon dos à dos…
Le populisme n'est plus l'exclusivité de l'extrême droite. Jean-Luc Mélenchon s'en réclame. Emmanuel Macron ne le revendique pas mais il le pratique à sa façon, policée. Sa réforme institutionnelle a pour toile de fond l'antiparlementarisme pour mieux renforcer le pouvoir d'un seul.
L'image de la France que renvoie Emmanuel Macron à l'international ne trouve pas non plus grâce à vos yeux?
Je vois surtout une mise en scène, un spectacle permanent… Face à Poutine, sur la Syrie, face à Trump sur le réchauffement climatique ou sur le nucléaire iranien, qu'a-t-il obtenu? Il a la poignée de main virile mais ce n'est pas lui qui a la main. En Europe, Emmanuel Macron est isolé et sans réels alliés. La chancelière allemande lui sourit mais ne le suit pas.
«En Europe, Emmanuel Macron est isolé et sans réels alliés»
Tendez-vous la main aux ex-socialistes partis à La République en marche et qui ont montré leur gêne lors de l'examen du projet de loi asile et immigration?
Il y a des gens de gauche qui se sont sincèrement inscrits dans la démarche présidentielle. Ils se rendent compte décision après décision que c'était une illusion.
Vous avez la dent dure contre Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur issu de vos rangs.
Tout me choque. Il a parlé de «submersion» à propos des réfugiés. Le «grand remplacement» n'est plus très loin…
Le mouvement des cheminots s'essouffle mais les syndicats évoquent le projet de prolonger la grève cet été. Qu'en pensez-vous?
Les cheminots construisent un rapport de force. Nous les soutenons, non par jusqu'au-boutisme mais pour obliger le gouvernement à ouvrir la porte à une vraie négociation, pour une vraie réforme, utile au service public ferroviaire.
Le marathon médiatique de François Hollande, dont le livre rencontre un franc succès en librairie, vous fait-il de l'ombre?
Les journalistes ont été prompts au Hollande-bashing, j'observe qu'ils sont aussi rapides à lui accorder le statut de premier opposant. François Hollande est un écrivain apprécié, pas encore un président regretté. Entretenir un suspense médiatique autour de son retour est très artificiel: aucun ancien président depuis 1958 n'a réussi à revenir. Mais il y a beaucoup d'autres façons de servir son pays et ses convictions. Je sais que François Hollande saura construire un rôle qui lui corresponde dans notre vie collective. Avec son livre, il a posé la première contribution à un inventaire nécessaire.

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Christine Angot, l'enfiévrée du samedi soir (03.05.2018)
Par Anne Fulda
Mis à jour le 03/05/2018 à 18h49 | Publié le 03/05/2018 à 18h20
ENQUÊTE - L'écrivain, qui enflamme le plateau de Laurent Ruquier toutes les semaines, semble vivre sur une autre planète. Brutale et radicale, la polémiste est une adepte du coup d'éclat permanent. Peu importe ce qu'on dit d'elle…
La violence, quelle violence? Christine Angot semble ne pas comprendre la question. Selon l'écrivain devenue chroniqueuse d'«On n'est pas couché» (ONPC) sur France 2, aux côtés de Yann Moix, pas de doute, ce n'est pas elle qui génère de la violence. Non, la violence, c'est les autres! «Il y a des moments qui sont un peu difficiles parfois sur un plateau, reconnaît-elle. On est dans une société violente, je ne pense pas que ce soit moi qui crée cette violence, vraiment. Il y a des contraintes très différentes, des préoccupations différentes.» On l'écoute parler, impassible. Visage nu, comme frotté au savon. Look androgyne, chic dépouillé. Angot semble vivre sur une autre planète.
On insiste: la violence, c'est les autres, vraiment? Ne pense-t-elle pas que sa manière de poser des questions braque parfois les invités? Que sa «radicalité», cette façon qu'elle a de «ne chercher ni à plaire, ni à déplaire», comme le relève l'écrivain Constance Debré, «de parler comme elle écrit»s'assimile pour beaucoup à de la violence pure? N'était-ce pas le cas envers Virginie Calmels, vice-présidente du parti Les Républicains, dont elle a évoqué le passé sentimental tandis qu'Éric Dupont-Moretti, également sur le plateau, rappelait de sa voix de stentor que l'on n'était «pas au tribunal, ici»?«Virginie Calmels est la première dans son livre à dire “mon fiancé”. Je lui posais une question sur l'homogénéité sociale qui me paraissait légitime de poser à quelqu'un qui prétend rassembler des gens très divers. Or elle côtoie dans sa sphère proche des gens qui appartiennent à la même sphère sociale qu'elle», répond Angot.
Et envers François Fillon, à qui elle a demandé brutalement, sans bouger un cil, lors d'une émission politique qui restera dans les mémoires, «s'il faisait un chantage au suicide» ? «Il ne faut pas inverser les choses. La violence était dans le comportement de François Fillon» Mais aussi envers Sandrine Rousseau, en larmes face à ses attaques? «Elle pleurait, bon d'accord, elle pleurait, mais je n'ai jamais été contre elle, bien au contraire, déclare l'auteur de L'Inceste. C'est sa phrase à propos des gens “formés pour recueillir la parole” qui m'a fait réagir. Je suis bien placée pour vous dire que, quand vous avez une difficulté, les gens qui sont là pour recueillir la parole sont sourds.»
Tête à claques, tête à clics, tête à clashs…
Christine Angot répond. Impassible. Rien à voir avec cette mine tendue, ce visage comme une grimace de souffrance, qu'elle affiche parfois lorsqu'elle interviewe les invités d'«ONPC». Une image dure qu'elle arbore souvent lors de ses interventions sur le plateau de la chaîne publique, entre coups d'éclat et crise de nerfs. Narcissime et impudeur.
Elle nous a donné rendez-vous dans un café-restaurant italien, Le Corso, avenue Trudaine, dans le IXe arrondissement de Paris, en plein «boboland». Depuis cette rencontre, il y a quelques semaines, la «scandaleuse» a assené au chanteur Grand Corps Malade qu'«être artiste, c'est toujours un plan B, le résultat d'un échec» et, plus récemment, a torpillé des bénévoles en soins palliatifs, plus particulièrement ceux de la fédération Jusqu'à la mort accompagner la vie (Jalmalv). Selon elle, «des catholiques intégristes» constitués en «lobby», faisant «intrusion» dans la vie des malades avec la complicité des médecins. Des propos d'une rare agressivité qui ont entraîné la publication d'un communiqué indigné de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) dénonçant «l'attitude, la violence des propos et des affirmations de Christine Angot»...
Des scènes «ordinaires» de la fièvre télévisuelle du samedi soir, mises en scène autour de la romancière. Angot semble s'en accommoder: engagée afin d'incarner «le retour à une émission d'opinion et d'émotion», la romancière remplit sa mission. Tête à claques, tête à clics, tête à clashs… Elle est devenue l'animatrice de l'audiovisuel public que les Français adorent détester. Une snipeuse incontrôlable, telle une grenade dégoupillée. Rugueuse, clivante, anguleuse.
L'écrivain, repérée par la productrice de l'émission Catherine Barma lors de son face-à-face musclé avec François Fillon, a été engagée pour ça, justement. Pour faire du «buzz», pour ses fureurs et ses aigreurs
Héroïne objectivement subjective d'une version télévisuelle d'On achève bien les chevaux, de jeux du cirque contemporains qui se terminent désormais sur les réseaux sociaux à coups de mise à mort numérique - il y a même sur Internet un site qui s'appelle «À l'échafaud, Christine Angot» -, de pétitions réclamant son départ mais aussi de saisines du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), engagées tant par la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, que par des téléspectateurs choqués de son traitement de Sandrine Rousseau et, plus récemment, par l'association de soins palliatifs Jalmalv ….
Pourquoi tant de haine? L'écrivain, repérée par la productrice de l'émission Catherine Barma lors de son face-à-face musclé avec François Fillon, a été engagée pour ça, justement. Pour faire du «buzz», pour ses fureurs et ses aigreurs. Ses violents réquisitoires, hermétiques à toute émotion. Là encore, elle ne se perçoit pas du tout comme ça. «Je ne suis pas une machine à clashs. Et, déjà, surtout, je ne suis pas une machine. J'essaie toujours de passer sur les côtés, je n'y vais jamais frontalement. Cela ne m'intéresse pas de blesser les gens, scande-t-elle. Je n'ai pas conscience des proportions que ça prend. J'ai commencé à publier en 1990. Je n'ai jamais été étrangère à la parole publique. J'ai eu quelques sorties de livre qui ont été compliquées dans le passé.»
Chaque semaine, ou presque, c'est le même numéro. Comme le résume un spécialiste de l'audiovisuel, «le tournage a lieu le jeudi, le vendredi la production fait fuiter un ou deux clashs et, comme ça, les gens regardent France 2 le samedi soir. Dans l'histoire, elle fait un peu fonction d'idiot utile de l'émission.» Une mécanique parfaitement huilée. Dans le même temps, des indiscrétions sortent sur les humeurs de la diva du samedi soir: «Elle aurait quitté le plateau furieuse» ; «Elle aurait fait un chantage au suicide». On feint de s'interroger sur sa reconduction lors de la prochaine saison. Tout le monde en parle et les audiences remontent. Résultat: Angot devrait rempiler l'année prochaine, encouragée par Yann Moix, selon qui «c'est une personnalité au sens étymologique du terme, il y a quelqu'un à l'extérieur. Donc évidemment, ce quelqu'un-là ne peut pas se fondre dans tous les décors».
Angot s'est positionnée en objet médiatique non identifié, adepte du coup d'éclat permanent
Mais souhaite-t-elle vraiment se fondre dans tous les décors? Depuis qu'elle a émergé sur la scène littéraire, à la fin des années 1990, après quatre livres publiés sans grand écho, Angot s'est positionnée en objet médiatique non identifié, adepte du coup d'éclat permanent. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder sa première intervention, dans l'émission «Bouillon de culture», en 1999. Face à un Bernard Pivot médusé, elle descend en flammes le roman d'un auteur présent, Jean-Marie Laclavetine, également éditeur chez Gallimard. Et qui, à ce titre, lui a refusé un manuscrit. «Là quand même, quand même (elle lève les yeux au ciel), il faut pas continuer de répéter comme ça que c'est bien, c'est bien… non, ce n'est pas bien. Non. Ce n'est pas bien. Non. C'est autre chose, écrire», disait-elle.
Tous les éléments du puzzle, de la future marionnette médiatique sont déjà en place. L'allure, dépouillée, austère, assumée: elle ne boit pas, ne fume pas. Le désir d'être dans la lumière, le jugement péremptoire, une évidente suffisance et cette forme d'expression singulière. Cette manière très durassienne d'assener ses phrases. Et cette impression déjà qu'elle est en colère. À se demander si, chez elle, littérature et goût de la provocation n'ont pas toujours été mêlés.
Un style durassien
Une stratégie comme une autre pour se faire connaître? L'éditrice Teresa Cremisi, qui la fit venir avec d'autres auteurs à succès comme Houellebecq et Yasmina Reza chez Flammarion, tempère: «Si provoquer, c'est dire le presque faux, le scandaleux, pour semer trouble et zizanie chez “l'adversaire”, ce n'est pas du tout cela. Christine est très sérieuse. Elle dit et clame ce qu'elle pense vrai et juste. Elle est réactive. Tranchée toujours, c'est cela qui est interprété comme de la provocation.»
Soit, mais cette manière tranchée lui vaut souvent d'être largement incomprise. Elle le sait: «Ce qui m'ennuie, c'est que je me rends compte que quelquefois je ne suis pas comprise ; quelquefois, il y a aussi une mauvaise foi à ne pas vouloir me comprendre.» Et d'ajouter: «C'est compliqué pour moi l'expression. C'est difficile pour moi, “le dire”. Je connais bien les codes sociaux du langage, mais je ne suis jamais parvenue à les utiliser au fond», déclare-t-elle dans un style décidément très durassien.
«Il faut essayer pourtant de la comprendre, avance la journaliste Nathalie Saint-Cricq qui s'est récemment liée d'amitié avec elle. Elle a une pensée labyrinthique, elle est dans son monde, observe un processus presque talmudique, circulaire, dans sa façon de parler. Elle est la quintessence du non politiquement correct et elle a été prise pour ça.» Quintessence du non-politiquement correct? Ce jugement fait bondir. Longtemps, Angot a en effet été l'idole des politiquement correct. Encensée par TéléramaLe Monde,Libérationet Les Inrocks. Portée au pinacle par les cercles germanopratins frissonnant d'aise en retrouvant dans ses romans certaines figures du tout-Paris dévoilées sans aucun complexe. Ce qui lui a valu d'être poursuivie en justice.
«Christine se perçoit isolée, n'appartenant à aucun groupe social. Elle est toute seule avec son sabre»
Teresa Cremisi
Angot a longtemps semblé emprunter des chemins balisés. De gauche? Cette ardente avocate de la laïcité, admiratrice assumée de Manuel Valls, est surtout sensible «à la symbolique de la lutte des classes.» Aurait-elle, marquée par son histoire personnelle, «une part antibourgeoise en elle» comme l'analyse l'écrivain Constance Debré? «Je n'ai pas la haine du bourgeois. J'ai une haine du double langage. J'ai un vrai problème avec les hypocrisies langagières et avec la condescendance car l'hypocrisie sociale se traduit par la condescendance.»
Et cette condescendance, cet auteur à fleur de peau, qui ne supporte pas la moindre critique, la ressent sans cesse. «Christine se perçoit isolée, n'appartenant à aucun groupe social. Elle est toute seule avec son sabre», analyse encore Teresa Cremisi. En fait, conclut Constance Debré, qui l'apprécie beaucoup, «c'est quelqu'un d'assez pur, plus punk que quaker, c'est pour ça qu'elle déplaît parfois».

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« La gauche est en état d'hibernation intellectuelle » (02.05.2018)

Par Adrien Dubrasquet
Mis à jour le 02/05/2018 à 18h14 | Publié le 02/05/2018 à 17h56
FIGAROVOX/TRIBUNE - Adrien Dubrasquet s'est penché sur une espèce curieuse : «l'hibernatus de gauche». Cet animal politique hors du temps et coupé du réel croit encore aux grandes luttes du passé, quitte à rejouer la Révolution française ou la Commune dans les rues de Paris.

Adrien Dubrasquet est ancien élève de l'École Normale Supérieure, et membre fondateur du Printemps républicain.

Le voyage temporel est un grand classique du cinéma. Plus rare et plus subtil est le scénario du voyage temporel à son corps défendant, de l'entrée dans une nouvelle temporalité malgré soi. C'est le ressort des scénarios des films Hibernatus et Good Bye, Lenin!. Drôles et touchants, ils soulignent non sans délicatesse et humour les transformations rapides qu'a connues notre monde. Hibernatus raconte l'histoire d'un homme du XIXe siècle qui, après une période d'hibernation, se réveille dans la France de 1965. Dans Good Bye, Lenin!, une habitante de Berlin Est tombe dans le coma à la veille de la chute du Mur et se réveille dans une Allemagne sur laquelle souffle un vent d'Ouest charriant un mode de vie libéral. Désireux de leur éviter un choc trop brutal à la découverte de cette nouvelle réalité, les médecins recommandent à leurs proches de les maintenir dans l'illusion d'une époque révolue.
Depuis quelques années, la fiction est malheureusement dépassée par la réalité. Et au plaisir éprouvé devant l'écran à voir les trésors d'invention et les nombreux stratagèmes mis en œuvre par les personnages pour reconstituer un univers disparu et préserver l'illusion de l'identité temporelle, succède désormais une terrible inquiétude. Celle de réaliser que toute une partie de la gauche semble ne s'être pas rendue compte que l'époque avait changé et que la société s'était transformée. Envers et contre tout, et surtout contre le réel, cette gauche-là continue à appliquer une grille de lecture périmée, à adopter des réflexes dépassés, à tenir un discours issu d'un autre temps. C'est la gauche Hibernatus.
L'Hibernatus de gauche (nom scientifique: Hibernatus sinistris militantis) est une curieuse espèce. On la dit, on l'espère en voie de disparition, et pourtant, elle résiste toujours. Ni la montée des identitarismes, ni le retour des sectarismes religieux, ni la fuite des électeurs ne semblent la mettre en danger. C'est une espèce qui fait montre d'une étonnante résistance - c'est d'ailleurs son cri de ralliement. Point n'est besoin d'être un grand entomologue ou un ornithologue aguerri pour l'identifier. L'hibernatus sinistris militantis se manifeste toujours bruyamment, à grands coups de tweets ou d'interventions médiatiques, et selon un schéma relativement bien éprouvé. Selon sa grille de lecture, les violences politiques sont exclusivement le fait de l'extrême-droite, les actes racistes l'apanage d'une droite radicale, les atteintes aux principes de la laïcité principalement dues aux catholiques, les discours antidémocratiques le propre des fascistes, la pensée conservatrice voire réactionnaire la marque distinctive de la «droite tradi», etc.
On la dit, on l'espère en voie de disparition, et pourtant, elle résiste toujours.
L'Hibernatus de gauche, qui campe souvent à la gauche de la gauche, continue à mener sa vie militante sans prendre la mesure des changements et des bouleversements qui affectent son environnement. Il ne s'est pas rendu compte, par exemple, qu'une partie de l'extrême gauche, qui tient de façon assez classique un discours extrêmement radical, promettant la table rase et l'abattement du système capitaliste, joint à nouveau le geste à la parole, renouant avec les grandes heures d'Action directe et autres groupes violents des «années de plomb». Casseurs, black-blocs et apparentés s'adonnent à des actions coordonnées et spectaculaires. Se saisissant des occasions offertes par les manifestations contre la Loi Travail, le défilé du 1er mai, ou les oppositions locales que soulèvent les projets de Notre-Dame-Des-Landes ou de Sivens, ces militants radicaux viennent en masse affronter les forces de l'ordre et saccager des commerces ou des établissements bancaires, symboles respectifs d'un État policier et d'un ordre capitaliste à abattre. Les nombreux actes de violence qui ont émaillé les rassemblements populaires et les manifestations militantes ces dernières années sont bien moins le fait de groupuscules radicaux d'extrême-droite que de milices armées d'extrême-gauche. Pourtant, Hibernatus continue de dénoncer, en dépit de la réalité et du bon sens, des exactions d'extrême-droite.
Occupé à traquer, avec raison, le racisme qui anime les franges de l'extrême-droite, soucieux de prévenir le développement des discours xénophobes qui agitent les rangs des identitaires de droite, l'Hibernatus de gauche n'a pas vu non plus qu'une partie de la gauche avait effectué un virage identitaire. Désormais, une partie de la gauche extrême développe une vision racialiste de la société et n'hésite pas à multiplier les assignations identitaires. Du Parti des Indigènes de la République aux bloqueurs des centres universitaires dans le cadre de l'opposition à la loi ORE, c'est toute une mouvance militante qui, bien qu'elle continue à se revendiquer de gauche, pense la société comme un affrontement entre «racisés» et «non racisés» (vague substitut à la lutte des classes) et encourage la tenue d'activités ou de réunions politiques en non-mixité raciale. L'Hibernatus de gauche ne s'est pas rendu compte qu'une partie de sa famille politique a troqué la pensée universaliste pour un discours communautariste qui n'a rien à envier aux propos d'un Charles Maurras ou d'un Léon Daudet.
Vaquant à ses occupations quotidiennes, l'Hibernatus de gauche n'a pas vu non plus apparaître ce «nouvel antisémitisme» si vigoureusement dénoncé ces derniers jours. La pensée antisémite, pour lui, est d'abord une pensée d'extrême-droite: la généalogie en est connue, des antidreyfusards à Maurras, d'Édouard Drumont à Céline. Mais ces dernières années ont vu l'émergence en France d'un nouvel antisémitisme. Les meurtres d'Ilan Halimi et plus récemment de Sarah Halimi, l'assassinat d'enfants juifs à Toulouse en 2012 ou encore la tuerie de l'Hyper-Casher en 2015 ne sont pas le fait de militants d'extrême-droite, mais de musulmans radicaux. Cet antisémitisme se nourrit à la fois d'interprétations controversées de versets du Coran et de discours antisionistes radicaux cautionnés par une certaine gauche. Les dangers de l'islamisme, la pénétration dans une partie de la société d'un discours antisémite qui instrumentalise le conflit israélo-palestinien et joue sur les passions victimaires, n'entrent pas dans la grille de lecture de la gauche Hibernatus qui rencontre, de fait, de nombreuses difficultés à nommer ce nouveau mal ou cherche à le minimiser.
Le réel a beau frapper chaque jour plus crûment et plus violemment, il ne parvient pas à dessiller son regard.
L'Hibernatus de gauche n'a pas compris non plus les nouveaux enjeux qui se nouent autour de la question de la laïcité. Pour lui, la laïcité se résume à la loi de 1905 et à l'affrontement entre l'Église catholique et la République. Il veille donc au strict respect de la séparation entre l'Église et l'État, et dénonce avec raison la présence de crèches dans les édifices publics par exemple. Il ne voit pas que s'opère une double évolution sur le sujet. D'une part, l'islam s'est fortement développé au cours des dernières décennies, et si cette religion n'est pas organisée en Église, elle n'en demeure pas moins assujettie au respect de la loi de 1905 et au principe de laïcité. Or, du voile à l'école au financement des édifices cultuels, nombreux sont les atermoiements d'une partie de la gauche réticente à appliquer strictement le principe de séparation des cultes de l'État. D'autre part, si la loi de 1905 définit une position pour l'État à l'égard des cultes (neutralité, abstention), elle ne dit rien de la manière dont doit s'opérer la relation entre la société et les cultes. Les nombreuses polémiques qui traversent la société et qui se nouent autour de l'islam (parce que c'est la religion la plus nouvelle et la plus visible), du burkini au développement du salafisme quiétiste en passant par la place de la religion dans l'entreprise, traduisent bien cette évolution de la réflexion laïque. Celle-ci, originellement cantonnée à la sphère juridique entre désormais dans celle des mœurs. Hélas, Hibernatus ne comprend pas que la laïcité dans les textes s'accompagne désormais d'une demande de laïcité dans les têtes. De l'interdiction totale des manifestations de convictions religieuses dans la vie en société à l'encouragement de leur libre prolifération, toute une palette d'options politiques se dessine à laquelle l'Hibernatus de gauche peine à mettre sa touche.
La liste des caractéristiques de l'Hibernatus de gauche pourrait être poursuivie. Il faudrait souligner son aveuglement face à l'émergence de forces antidémocratiques au sein de son propre camp ou son incapacité à voir qu'une partie de la gauche, bien qu'elle se revendique progressiste, est en fait mue par un parfait conservatisme, rétif à tout changement, rebelle à la moindre évolution, et décalque parfait de celui qu'elle dénonce à droite. Il faudrait aussi insister sur l'étonnante capacité de résilience de la gauche Hibernatus: le réel a beau frapper chaque jour plus crûment et plus violemment, il ne parvient pas à dessiller son regard. Pourtant, en gardant coûte que coûte ses œillères, par confort sans doute, par paresse intellectuelle aussi, cette gauche-là se condamne à terme. Que pèse sur l'échiquier une force politique qui demeure aveugle aux mouvements qui travaillent son camp et aux évolutions qui transforment la société? Si elle souhaite représenter une alternative politique crédible, cette gauche-là doit sortir de son état d'hibernation intellectuelle, chausser ses lunettes, et accepter de voir le réel tel qu'il est et non tel qu'elle souhaiterait qu'il soit.
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L'Europe perd patience face aux dérapages d'Abbas (03.05.2018)

Par Cyrille Louis
Publié le 03/05/2018 à 20h24
ANALYSE - À l'heure où l'Administration américaine déménage son ambassade à Jérusalem et refuse d'appeler à la création d'un État palestinien, le soutien occidental apporté au vieux président s'effrite.
Est-ce la fin d'une époque? Les soutiens occidentaux de Mahmoud Abbas, qui tolèrent depuis si longtemps son immobilisme, qui s'accommodent de sa pratique autoritaire du pouvoir et qui se bouchent à l'occasion les oreilles lorsqu'une saillie révisionniste se glisse dans ses discours, commencent à perdre patience. L'allocution qu'il a prononcée le 30 avril devant le Conseil national palestinien, lors de laquelle il s'est autorisé une digression particulièrement scabreuse sur les racines de l'antisémitisme en Europe, a provoqué une avalanche de condamnations. Gouvernement israélien et Administration américaine, sans surprise, ont tiréles premiers. Mais les représentants de l'ONU, de l'Union européenne ainsi que de plusieurs États membres réputés proches de l'Autorité palestinienne ont aussi dénoncé ses propos avec une sévérité inhabituelle.
Abbas assimile l'État d'Israël à «un projet colonial conçu pour introduire un corps étranger dans la région»
Abbas, qui s'exprimait à l'occasion d'une rare réunion du Parlement de l'OLP (Organisation de la libération de la Palestine) à Ramallah, a provoqué une vive émotion en suggérant que les persécutions subies à partir du Moyen Âge par les communautés juives d'Europe ne furent pas tant causées par la haine antisémite que par «leur fonction sociale liée à la banque et à l'usure ». S'appuyant sur un ouvrage controversé de l'écrivain Arthur Koestler, il a aussi affirmé que les Juifs ashkénazes ne descendent pas des tribus d'Israël mais du peuple khazar - façon de contester leur ancrage au Proche-Orient. Plus généralement, Abbas a contesté la légitimité historique de l'État d'Israël, qu'il assimile à « un projet colonial conçu pour introduire un corps étranger dans la région ».
Nikolaï Mladenov, le représentant du secrétaire général de l'ONU à Jérusalem, a jugé «inacceptable» que le président palestinien «répète certaines des insultes antisémites les plus méprisantes» et «perpétue des théories complotistes». Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, a estimé qu'«une telle rhétorique ne fera que jouer en faveur de ceux qui ne veulent pas d'une solution à deux États». Allemagne et Grande-Bretagne ont exprimé leur mécontentement. Le porte-parole du Quai d'Orsay a déclaré: «La France partage l'émotion suscitée par ces propos du président Abbas. Nous les déplorons et considérons qu'ils sont à la fois faux, malheureux et inopportuns.»
Abbas fut jadis l'auteur d'une thèse de doctorat dans laquelle il mit en doute le nombre de victimes de la Shoah
Les amis de l'Autorité palestinienne oublient de rappeler que ce «dérapage» n'est pas tout à fait sans précédent. Abbas fut jadis l'auteur d'une thèse de doctorat dans laquelle il mit en doute le nombre de victimes de la Shoah et s'appesantit sur une supposée convergence d'intérêts entre régime nazi et mouvement sioniste. Sous couvert de critiques dirigées contre l'État d'Israël, il lui arrive par ailleurs régulièrement de contester les liens du peuple juif avec la terre sur laquelle celui-ci vécut.
Ces écarts, systématiquement dénoncés par les dirigeants israéliens, furent longtemps ignorés par les soutiens de l'Autorité palestinienne au nom d'un certain pragmatisme. Abbas, chef d'un peuple qui vit depuis cinquante ans sous un régime d'occupation condamné par la communauté internationale, avait après tout quelques raisons d'en vouloir à l'État hébreu. Surtout, artisan des accords d'Oslo, il apparaissait comme l'ultime défenseur d'une solution des deux États dont les pays européens persistent à faire le pilier de leur politique au Proche-Orient. Leur mouvement d'humeur, à cet égard, est peut-être un signe des temps. Comme si, à l'heure où l'Administration américaine déménage son ambassade à Jérusalem et refuse d'appeler à la création d'un État palestinien, le soutien inconditionnel apporté au vieux président s'était vidé de son sens.

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Luc Ferry : «Le poison du multiculturalisme» (02.05.2018)

Par Luc Ferry
Publié le 02/05/2018 à 19h48
CHRONIQUE - Il faut cesser de dépenser à tout va dans des politiques sociales inefficaces, mais rétablir la loi contre le fanatisme et la délinquance.
Comme le montre Malek Boutih dans sa critique très radicale des récentes propositions de Borloo sur les banlieues (L'Express du 26 avril dernier), ce qui est le plus préoccupant dans nos quartiers n'est pas tant la situation économique et sociale que l'effondrement de l'idée républicaine sous l'effet de la violence des bandes rivales, du fondamentalisme et du multiculturalisme. Des zadistes aux séparatistes islamistes en passant par les zones de non-droit, c'est notre idéal républicain qui est en train de couler et ce n'est pas à coup de subventions, de grandes écoles «en chocolat» (pour parler comme Macron), réservées aux seuls jeunes des quartiers, de coachs sportifs et autres Bisounours qu'on réglera le problème.
Hélas, le libéralisme américanisé qui inspire nos dirigeants a fini par se coucher devant l'idéal de discrimination positive et de multiculturalisme qui fut l'un des principaux héritages de la «Pensée 68». Un article de Guattari, publié avec Cohn-Bendit en l986, annonçait déjà la couleur: «Le but, disaient-ils, n'est pas de parvenir à un consensus approximatif mais tout au contraire de favoriser une culture du dissensus. Quelle ineptie que de prétendre accorder les immigrés, les féministes, les rockers, les régionalistes, les pacifistes, les écologistes et les passionnés d'informatique!» J'avoue n'avoir jamais compris ce qu'il y avait d'inepte à rechercher un accord entre concitoyens. La vérité, c'est que depuis lors, ce sont les valeurs de la res-publica, cet espace public au sein duquel seul il est possible de construire un consensus autour de la loi commune, qui furent peu à peu balayées au profit d'un discours que la Nouvelle droite aurait pu cosigner. Car si les différents groupes humains ne peuvent ni ne doivent chercher à s'accorder entre eux, si toute référence à des valeurs communes n'est que violence symbolique et tyrannie impérialiste, c'est bel et bien à l'atomisation du social que nous assistons au profit d'un retour à la vision réactionnaire de communautés viscéralement closes sur elles-mêmes, incapables de dépasser leurs singularités ataviques pour entrer en communication les unes avec les autres.
Vouloir créer une ENA de rang inférieur réservée aux « jeunes défavorisés », c'est ajouter le ghetto scolaire au ghetto urbain
Nul hasard, dans ces conditions, si l'éloge de la différence en est venu à se couler dans des formules à la limite du racisme. Écoutons encore Guattari qui revenait sur ces thèmes dans son petit livre sur Les Trois Écologies : «Les divers niveaux de pratique, non seulement n'ont pas à être homogénéisés, raccordés les uns aux autres sous une tutelle transcendante, mais il convient de les engager dans des processus d'hétérogenèse. Il n'y a nulle raison de demander aux immigrés de renoncer aux traits culturels qui collent à leur être ou bien à leur appartenance nationalitaire.» Du point de vue de cette calamiteuse logique de la différence, la culture est devenue un analogue de la race, une réalité ontologique, pas une abstraction. Elle est inscrite dans l'être des individus au même titre que leur biologie, ce pourquoi il fallait renoncer au projet républicain de l'intégration. Où l'on voit comment l'humanisme des Lumières devait finalement tomber sous les coups de la déconstruction libertaire/libérale qui allait emporter avec elle ses principes universalistes. De là aussi le débat qui s'est ouvert sur l'école entre «pédagos» et «républicains», les premiers plaidant pour une radicale déconstruction des «vieilles lunes républicaines» au nom du droit à la différence, les seconds souhaitant au contraire le retour aux antiques principes de la Lettre aux instituteurs de Jules Ferry. En vérité, ce n'est pas tant d'école qu'il s'agissait dans cette querelle que d'une opposition de fond entre le multiculturalisme de la «Pensée 68» et les partisans de l'idée républicaine, de l'espace public, du culte de l'effort et du travail.
En proposant un énième plan banlieue adossé à l'idée de discrimination positive au lieu de faire peser l'effort, comme y insiste à juste titre Malek Boutih, sur la lutte contre la violence qui est le problème numéro 1des quartiers, on risque de passer une nouvelle fois à côté du sujet. Vouloir créer une ENA de rang inférieur réservée aux «jeunes défavorisés», c'est ajouter le ghetto scolaire au ghetto urbain. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas de câlinothérapie ni d'argent dépensé à tout va dans des politiques sociales inefficaces, c'est de policiers et de magistrats pour rétablir la loi contre le fanatisme et la délinquance afin de redonner autorité à des écoles publiques qui doivent plus que jamais rester ouvertes à tous.

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Nouvelle-Calédonie : le référendum au coeur de la visite de Macron (03.05.2018)

Par François-Xavier Bourmaud
Mis à jour le 04/05/2018 à 11h12 | Publié le 03/05/2018 à 17h25
Le président, qui est arrivé sur place jeudi, veut consacrer du temps à l'histoire douloureuse du «Caillou».
De notre envoyé spécial en Nouvelle-Calédonie
Un mot pudique pour décrire des affrontements dramatiques. En Nouvelle-Calédonie, pour évoquer la guérilla qui a opposé il y a trente ans les indépendantistes aux loyalistes, on évoque du bout des lèvres «les événements». Dans cette île française du bout du monde, la mémoire est encore à vif. Chez chacun de ceux qui étaient présents à l'époque, le souvenir de la peur n'est pas loin. À l'approche du référendum d'autodétermination, c'est cette mémoire collective qui remonte à la surface, ravivant les craintes en faisant resurgir les images des barrages, des routes bloquées et de Nouméa paralysé. Et c'est à cette mémoire collective encore traumatisée qu'Emmanuel Macron s'est adressée dès sa descente de l'avion présidentiel, sur le tarmac de l'aéroport de la Tontouta.
Pour le président de la République, ce déplacement de trois jours «sera, d'abord, l'occasion de consacrer des ­moments importants de notre histoire commune»
Pour le président de la République, ce déplacement de trois jours «sera, d'abord, l'occasion de consacrer des moments importants de notre histoire commune, des moments qui ont pu être parfois douloureux, comme ce que nous aurons à commémorer avec l'anniversaire des 30 ans d'Ouvéa, et des moments dont nous pouvons être fiers, comme les 20 ans des accords de Nouméa». Une «histoire partagée» faite, selon le chef de l'État, «d'ombre et de lumière».
Dans la foulée, il s'est rendu à Nouméa pour une cérémonie d'accueil républicain. Une petite foule s'était massée sur la place de Bir-Hakeim pour l'applaudir et tenter d'obtenir un selfie. Une ambiance plutôt chaleureuse pour entamer ce voyage. Puis le président de la République est allé au Sénat coutumier pour respecter la tradition kanake, offrir le cadeau traditionnel et recevoir également les revendications des indépendantistes sur la décolonisation. Dans la soirée, il a dîné avec l'ensemble des représentants des forces politiques de l'île pour prendre, in situ, la température de l'île en début de son voyage.
Ouvéa, point d'orgue de la visite
Vendredi matin, Emmanuel Macron rendra un hommage en creux à Michel Rocard, le père des accords de paix, en visitant un lycée à son nom à Pouembout dans la province nord. Dans l'après-midi, retour à Nouméa pour visiter les quartiers sensibles de Pierre-Lenquette-Montravel et de Tindu alors que les Calédoniens dénoncent la montée de l'insécurité sur l'île. Mais le point d'orgue de la visite du président de la République se déroulera samedi matin sur l'île d'Ouvéa, où il rendra hommage aux gendarmes morts lors de l'assaut de la grotte et aux Kanaks tués dans l'opération. Sur place, des familles de victimes contestent la venue du président de la République. Une contestation minoritaire, veut-on croire dans l'entourage du chef de l'État.
« Aujourd'hui, une nouvelle page se tourne. Il faut avancer et se projeter dans un avenir serein, car nos enfants espèrent vivre avec les autres ethnies sur une terre de partage et de paix »
Jeudi, un communiqué signé par deux chefferies de l'île a abondé en ce sens. «Aujourd'hui, une nouvelle page se tourne. Il faut avancer et se projeter dans un avenir serein, car nos enfants espèrent vivre avec les autres ethnies sur une terre de partage et de paix», écrivent les chefferies Daoume et Weneguei, en appelant à accueillir le président de la République. Lequel veut éviter tout faux pas en donnant l'impression de pencher d'un côté plutôt que de l'autre. Pour l'heure, les loyalistes lui reprochent de multiplier les gestes en direction des indépendantistes. Vendredi en fin de matinée, ils organisent une grande marche à Nouméa pour dire leur attachement à la France.
Avant de quitter Sydney, Emmanuel Macron avait expliqué son choix de ne pas prendre position pour le référendum.«Mon rôle n'est pas de m'engager, je n'ai pas à qualifier le choix qui sera fait», expliquait-il. Il n'empêche, en cas de vote favorable à l'indépendance - un scénario peu probable au regard des sondages, qui prédisent une large victoire du non -, c'est toute la stratégie d'Emmanuel Macron dans la région indo-pacifique qui se trouvera remise en question. «Elle ne s'arrêtera pas, mais cela aura un impact», reconnaissait-il, en ajoutant: «Ce n'est pas un vote innocent.»

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Nouvelle-Calédonie : «Les loyalistes attendent un geste d'Emmanuel Macron» (03.05.2018)

Par François-Xavier Bourmaud
Mis à jour le 03/05/2018 à 20h42 | Publié le 03/05/2018 à 17h36
INTERVIEW - La présidente du groupe Les ­Républicains au congrès de Nou­velle-Calédonie, Sonia Backès, organise ce vendredi à Nouméa une marche pour défendre la place de l'île dans la République.
LE FIGARO.- Pourquoi cette marche?
Sonia BACKÈS. - Près des deux tiers de la population calédonienne veut le maintien de la Calédonie dans la France. Nous attendons des gestes du président dans le sens de ceux qui veulent rester dans la France, Calédoniens de première, deuxième, troisième génération ou Kanaks loyalistes par exemple. Beaucoup de choses sont faites pour les indépendantistes alors qu'ils sont minoritaires en Nouvelle-Calédonie.
Vous attendez un geste?
Dans les discours des présidents et premiers ministres successifs, il y a toujours des mots pour dire que la colonisation a laissé des traces négatives. Ce qu'attendent les Calédoniens ce sont des paroles fortes du chef de l'État pour dire que ceux qui sont arrivés il y a 165 ans ou 10 ans ont contribué à construire le pays et à en faire ce qu'il est aujourd'hui.
La remise de l'acte de prise de possession de l'île par la France en 1853 au gouvernement calédonien ne vous convainc pas?
«Beaucoup de choses sont faites pour les indépendantistes alors qu'ils sont minoritaires en Nouvelle­-Calédonie»
Non seulement ce n'est pas suffisant mais surtout, cela ne va pas dans le sens de ceux qui veulent le maintien. C'est un geste qui aurait pu avoir du sens au lendemain du référendum puisque nous aurons choisi de rester librement dans la France ou de partir, a priori plutôt de rester. Mais faire cela maintenant, c'est adresser un geste aux indépendantistes. Un geste qui pourrait en outre être compris comme un éloignement de la France sur le thème «On vous rend les clés et faites ce que vous voulez avec». Nous attendons donc en parallèle un geste fort de la France, qu'elle dise qu'elle est là, qu'elle aime la Nouvelle-Calédonie.
La procédure du référendum prévoit deux autres votes après celui de novembre. Faut-il les maintenir en cas de victoire du non?
Nous considérons que les trois référendums qui ont lieu à deux mois d'intervallen'apportent rien puisque le corps électoral ne va pas changer. Nous souhaitons que le lendemain du premier référendum, il puisse y avoir des discussions entre les responsables politiques pour construire un nouveau statut, lequel pourra être soumis à la population. En lieu et place de ces deux autres référendums, nous demandons un droit permanent à l'autodétermination: pouvoir se dire qu'un jour peut-être, dans trente ans, cinquante ans, on pourra reposer la question. Mais en attendant, on fixe un statut dans la Constitution française et on inscrit la Nouvelle-Calédonie de manière définitive dans la République française.

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Nouvelle-Calédonie : l'abstentionnisme de la jeunesse kanake au cœur du référendum (03.05.2018)
Par Coralie Cochin
Mis à jour le 03/05/2018 à 19h33 | Publié le 03/05/2018 à 19h22
VIDÉO - Le désintérêt des jeunes kanaks pour le scrutin de novembre prochain a des raisons multiples d'ordre politique et économique.
Au plus fort des événements, les jeunes Kanaks étaient légion sur les barrages routiers pour réclamer l'indépendance de l'archipel. Trente ans plus tard, les enfants et petits-enfants de ces militants révolutionnaires sont peu nombreux à s'intéresser au référendum. Si aucun chiffre officiel n'existe, Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique, a épluché les registres de vote de Nouméa et des îles Loyauté. Il ressort que sur la tranche des 18-25 ans, seul un Kanak sur dix a voté aux dernières législatives.
Ce type de scrutin est certes moins parlant que des élections territoriales, mais le phénomène est loin d'être ponctuel. «Depuis 2009, on note une baisse de la participation», relève le géopoliticien. Cette absence de mobilisation de la jeunesse est un sujet qui n'est «pas traité par les responsables politiques», estime Anthony Tutugoro, doctorant en sciences politiques. «On stigmatise les jeunes en disant qu'ils ne s'intéressent pas au bien commun. On ne parle que de délinquance! Mais inscrire d'office les 25.000 Kanaks encore manquants sur la liste référendaire, comme le demandent certains leaders indépendantistes, va-t-il changer les résultats, si l'on ne motive pas vraiment cette jeunesse à aller voter?»
«Frustration relative»
Ce désintérêt a des raisons multiples. Anthony Tutugoro évoque une «frustration relative» sur le plan politique. «Cela fait plus de quarante ans que l'on parle de cette question d'indépendance. Le référendum a été plusieurs fois reporté. Certains ont attendu tellement qu'ils ont fini par se résigner.» La frustration est aussi économique. Malgré des progrès réels, la société calédonienne est «encore clivée, avec un rééquilibrage qui n'est pas allé suffisamment loin et suffisamment rapidement», analyse Pierre-Christophe Pantz. Même les dispositifs destinés à former de futurs cadres dans un objectif de rééquilibrage font aujourd'hui des déçus. «Faire ses études en France est le seul modèle valorisé. Mais quand on revient au pays, c'est très souvent bouché, constate Anthony Tutugoro. Pourquoi un jeune qui construit sa case et cultive son champ ne serait pas aussi un exemple à suivre?»
«Cela fait plus de quarante ans que l'on parle de cette question d'indépendance. Le référendum a été plusieurs fois reporté. Certains ont attendu tellement qu'ils ont fini par se résigner»
An­thony Tutugoro, doctorant en sciences politiques
Les accords de Matignon et de Nouméa ont participé à l'émergence d'une classe moyenne et d'une bourgeoisie mélanésienne, qui a «scindé la population kanake», observe Paul Fizin, docteur en histoire, pour qui «il n'y a pas une mais des jeunesses kanakes, avec une jeunesse intégrée d'un côté et une autre déscolarisée, sans emploi de l'autre».
Chez les jeunes les moins favorisés, «il y a une perte de confiance envers les aînés, les politiques et les coutumiers, liée à la modernisation de l'économie. Les affaires sont plus visibles et nos aînés leur apparaissent de moins en moins comme des exemples», rapporte cet ancien chargé de mission pour la jeunesse au Sénat coutumier. Cette dépolitisation s'accompagne également d'un effondrement de l'Église, notamment dans les quartiers populaires de Nouméa, alors qu'elle demeura longtemps un réseau d'influence.
Parmi cette jeunesse, la transmission sur les enjeux de ce référendum reste très parcellaire. Certaines associations, comme le Comité jeunesse, vont à la rencontre de ce jeune public pour «livrer des outils de compréhension sur ce que sont la pleine souveraineté et le sens des accords, sans consigne politique», explique Warren Naxue, son président.
Les partis indépendantistes tentent de mobiliser les jeunes en organisant réunions et concerts autour de la question du scrutin. Mais, selon Anthony Tutugoro, la reconquête de cette jeunesse dépasse la question de l'indépendance. «Aujourd'hui, 50 % de la population calédonienne a moins de 30 ans. Le camp qui réussira à offrir un projet de société à la jeunesse, c'est lui qui gagnera.»

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Nouvelle-Calédonie : un référendum d'autodétermination attendu depuis 30 ans (02.05.2018)

Par Coralie Cochin
Mis à jour le 03/05/2018 à 19h24 | Publié le 02/05/2018 à 19h21
Près de 169.000 électeurs sont appelés à se prononcer, le 4 novembre prochain, pour permettre au «Caillou» d'accéder ou non à la pleine souveraineté.
La Nouvelle-Calédonie a rendez-vous cette année avec l'histoire. Pour autant, ce n'est pas la première fois que cet archipel colonisé par la France en 1853 se prononce pour ou contre son maintien dans la République. En 1958 déjà, les Calédoniens manifestent leur souhait de rester Français en votant «oui» à 98 % au référendum sur la Constitution de la Ve République, contrairement aux Guinéens qui deviennent indépendants. L'inscription des Kanaks sur les listes électorales est encore récente. Les premières revendications indépendantistes n'apparaissent que dix ans plus tard, quand les tout premiers étudiants kanaks, partis étudier en métropole, découvrent le mouvement de Mai 1968. Les années soixante-dix voient l'émergence de plusieurs mouvements contestataires.
En 1979, le Parti socialiste affiche sa solidarité au Front indépendantiste et réaffirme sa «volonté de soutenir et garantir le droit du peuple à décider de son avenir».
Plongés dans une quasi-guerre civile entre loyalistes et indépendantistes, les Calédoniens se prononcent à 98 % contre l'indépendance lors du référendum de 1987
L'élection de François Mitterrand à la présidence, deux ans plus tard, vient nourrir de nouveaux espoirs chez les indépendantistes. En 1983, la table ronde de Nainville-les-Roches reconnaît aux Kanaks «un droit inné et actif à l'indépendance dont l'exercice doit se faire dans le cadre de l'autodétermination». Bien que ce droit soit élargi aux autres communautés, considérées comme des «victimes de l'histoire», la proposition est rejetée en bloc par le RPCR de Jacques Lafleur. En 1986, la Nouvelle-Calédonie se retrouve inscrite sur la liste des pays à décoloniser des Nations unies.
Plongés dans une quasi-guerre civile entre loyalistes et indépendantistes, qui coûtera la vie à 58 civils et 13 militaires, les Calédoniens se prononcent à 98 % contre l'indépendance lors du référendum de 1987. Le FLNKS avait appelé, quant à lui, à boycotter le scrutin qui autorisait toute personne présente depuis trois ans à voter.
Une «solution consensuelle»
La confrontation entre les deux camps atteint son paroxysme lors de la tragédie d'Ouvéa qui précipite la signature des accords de Matignon le 26 juin 1988, entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, sous l'impulsion du premier ministre Michel Rocard. Cet acte prévoit que les Calédoniens exercent une nouvelle fois leur droit à l'autodétermination «au terme de dix années».
Dès 1991, le leader loyaliste Jacques Lafleur propose une «solution consensuelle» afin d'éviter un «référendum couperet». Cette proposition se concrétise le 5 mai 1998 par la signature de l'accord de Nouméa, sous l'égide de Lionel Jospin, alors chef du gouvernement. Ratifié à 72 % par les Calédoniens, ce texte fondateur, unique au sein de la République, inscrit la Nouvelle-Calédonie dans un processus de décolonisation sur vingt ans et prévoit la tenue d'un référendum d'autodétermination entre 2014 à 2018 au plus tard.
En 2004, Jacques Lafleur tente de proposer une nouvelle «solution consensuelle». Sans succès cette fois. Quatre ans plus tard, le député loyaliste Pierre Frogier prône l'organisation d'un référendum dès 2014 pour «purger rapidement» la question de l'indépendance, avant de défendre finalement l'option d'une «solution consensuelle» à son tour.
Le député Philippe Gomès, son rival politique mais néanmoins loyaliste, défend pour sa part l'option d'un «référendum éclairé», qui ne réduirait pas le scrutin à un «oui» ou un «non» mais permettrait aux Calédoniens de se prononcer sur deux projets - pour ou contre l'indépendance - «clairement définis». Ces différentes tentatives n'aboutiront pas. Le 4 novembre prochain, près de 169.000 électeurs auront à répondre à une question sans équivoque, comme le prévoyait l'Accord de Nouméa, pour permettre à la Nouvelle-Calédonie d'accéder ou non à la pleine souveraineté.
A VOIR: Macron «très heureux» d'être en Nouvelle-Calédonie

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La Nouvelle-Calédonie, une histoire mouvementée depuis un siècle et demi (02.05.2018)
Par Alexis Feertchak et Service InfographieMis à jour le 03/05/2018 à 10h01 | Publié le 02/05/2018 à 22h43
CHRONOLOGIE - Territoire français depuis 1853, la Nouvelle-Calédonie, où se rend Emmanuel Macron mercredi, a connu plusieurs révoltes kanakes, notamment lors des «événements» de 1984 à 1988. Le processus de réconciliation engagé depuis trente ans aboutit cette année à un référendum, vingt ans après l'accord de Nouméa.
La visite d'Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie coïncide avec deux anniversaires qui symbolisent le lien fragile entre ce territoire d'Outre-mer et la métropole. Il y a trente ans, le 5 mai 1988, l'armée lançait un assaut sanglant dans la grotte de Gossanah où s'étaient retranchés des indépendantistes kanaks, responsables d'une prise d'otage meurtrière à la gendarmerie d'Ouvéa. Dix ans plus tard, le 5 mai 1998, la signature de l'accord de Nouméa symbolisait la réconciliation et ouvrait la voie à un référendum d'autodétermination, qui se tiendra le 4 novembre prochain.
Si le chef de l'État souhaite «préparer la paix et l'avenir», ce passé est encore tenace. À l'occasion de ce double anniversaire, Le Figaro retrace les grandes dates de l'histoire de ces îles de Mélanésie situées à 16.740 km de l'Hexagone.

● 1853: la Nouvelle-Calédonie devient française
Dans l'enceinte du centre culturel Tjibaou, Emmanuel Macron remettra au gouvernement calédonien l'acte de prise de possession de la Nouvelle-Calédonie. Ce texte signé par le contre-amiral Fébvrier-Despointes au nom de Napoléon III consacre, le 24 septembre 1953, la souveraineté française en Nouvelle-Calédonie. Pourtant, en 1774, la découverte de cet archipel revient à l'explorateur britannique James Cook. D'origine écossaise, il la baptise du nom latin de l'Écosse (Caledonia).
Mais en pleine conquête coloniale, Paris cherche à renforcer son influence dans le Pacifique et à constituer une nouvelle colonie pénitentiaire. La garnison française qui s'installe au sud de la Grande-Terre - l'île principale - devient une ville, nommée Nouméa en 1886. Des bagnards y sont envoyés - d'anciens communards après la Commune de Paris en 1870, mais aussi des prisonniers d'Afrique du Nord.
● 1878-1917: grandes révoltes kanakes

Les leaders indépendantistes en 1984. - Crédits photo : REMY MOYEN/AFP
La colonisation ne se fait pas sans heurts, surtout après la découverte de gisements de nickel en 1870, qui assurent depuis la richesse de l'archipel. En 1878, plusieurs tribus kanakes se révoltent contre les colons - surnommés «caldoches» - qui viennent s'installer sur l'archipel. La guérilla conduit à la mort de 200 européens et de 800 à 1600 kanaks. En 1917, lors de la Première Guerre mondiale, une seconde grande révolte kanake éclate, liée à l'envoi de «volontaires» kanaks dans les rangs de l'armée française. La mémoire de ces deux événements joue un rôle important dans l'émergence de l'indépendantisme kanak à la fin des années 1960.
● 1968: émergence de l'indépendantisme kanak
Après la Seconde Guerre mondiale, où la Nouvelle-Calédonie a rejoint le camp de la France libre dès 1940, le territoire de Mélanésie connaît une forte croissance économique, liée à l'exploitation du nickel, et un début de structuration politique permise par l'abolition du code de l'indigénat en 1944. En 1968, alors que plusieurs îles du Pacifique accèdent à l'indépendance et que la Nouvelle-Calédonie échappe au mouvement de décentralisation des autres territoires ultramarins français, des mouvements indépendantistes kanaks se structurent, notamment le Groupe 1878 ou les Foulards rouges. Pour les élections territoriales de 1979, les indépendantistes forment une liste commune, le Front indépendantiste, qui obtient un tiers des suffrages.
● 1984-1988: les «Événements»

Des forces de l'ordre en 1984 dans le village de Hienghéne. - Crédits photo : GABRIEL DUVAL/AFP
La situation se dégrade avec l'arrivée d'une majorité indépendantiste au Conseil de gouvernement local en 1982. Après l'élection de François Mitterrand, un an plus tôt, le secrétaire d'État chargé de l'Outre-mer, le socialiste Georges Lemoine, propose un nouveau statut d'autonomie, adopté par l'Assemblée nationale en 1984. Mais il est rejeté par les indépendantistes, qui exigent que seules les populations kanakes puissent participer au référendum prévu par le texte de loi, excluant ainsi les caldoches loyalistes.
Le Front d'indépendance, qui devient cette même année le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), décide de boycotter les élections territoriales. L'une des principales figures indépendantistes, Jean-Marie Tjibaou, met en place unilatéralement le «gouvernement provisoire de Kanaky». Débute alors ce qui fut pudiquement surnommé les «Événements», une vague de violence qui fit plus de 90 morts, tant du côté des kanaks indépendantistes, que des loyalistes caldoches ou des forces de l'ordre, jusqu'en 1988. La situation empire encore en janvier 1985 après la mort d'Eloi Machoro, qui occupait dans le gouvernement kanak le poste de ministre de la sécurité. Après plusieurs sommations, ce partisan d'une ligne dure est abattu par le GIGN alors qu'il occupait, avec ses militants, la maison d'un européen près de La Foa. Le gouvernement français décrète l'état d'urgence et le couvre-feu en juin de la même année.
● 1988: prise d'otages d'Ouvéa puis accord de Matignon

Rocard et Tjibaou après les accords de Matignon. - Crédits photo : PATRICK HERTZOG/AFP
Le paroxysme des «Évènements» est atteint en 1988. Le 22 avril, un commando indépendantiste attaque la gendarmerie d'Ouvéa, une petite île de l'archipel. Quatre gendarmes sont tués, vingt-sept pris en otages. À la veille du second tour de l'élection présidentielle, le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac ordonne l'assaut pour libérer les otages retenus dans la grotte de Gossanah, au nord de l'île. C'est un bain de sang: deux militaires sont tués, ainsi que dix-neuf kanaks, dont certains exécutés d'une balle dans la tête.
Ce drame fait l'effet d'un électrochoc en Nouvelle-Calédonie. Dès le 26 juin 1988, Jean-Marie Tjibaou et son adversaire caldoche, Jacques Lafleur, fondateur du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), signent les accords de Matignon, à l'initiative du premier ministre Michel Rocard, tout juste nommé après la réélection de François Mitterrand. Cet accord prévoit un statut provisoire de dix ans et, à cette issue, la tenue d'un référendum d'autodétermination. Mais cette première étape vers la réconciliation déplaît aux indépendantistes les plus radicaux. Jean-Marie Tjibaou et le secrétaire général du FLNKS, Yeiwéné Yeiwéné, sont assassinés le 4 mai 1989.
● 1998: de l'accord de Nouméa au référendum

Signature de l'accord de Nouméa. - Crédits photo : PASCAL GUYOT/AFP
Ce drame ne met pas fin au processus de réconciliation. Un nouveau texte est signé dix ans après les accords de Matignon, il y a tout juste vingt ans. L'accord de Nouméa, conclu le 5 mai 1998 par le premier Lionel Jospin, le FNLKS et le RPCR, est adopté à 72% par référendum. Le texte évoque les «ombres» et la «lumière» de «la période coloniale», reconnaissant une «double légitimité», d'un côté celle des «premiers occupants», les kanaks, et de l'autre celle des «nouvelles populations» arrivées après 1853. L'objectif est de forger un «destin commun» pour la Nouvelle-Calédonie, qui prenne en compte à la fois «l'identité kanake et le futur partagé entre tous».
Loin de n'être qu'une déclaration d'intention, l'accord de Nouméa introduit une souveraineté partagée entre la France et la Nouvelle-Calédonie, avec un transfert progressif de l'ensemble des compétences non-régaliennes de l'une à l'autre. La défense, la sécurité, la justice et la monnaie échappent à ce mouvement qualifié d'«irréversible». L'accord introduit également une citoyenneté calédonienne spécifique, puisqu'elle limite le droit du sol pour privilégier le seul droit du sang. Elle n'est en effet accordée qu'aux Français domiciliés en Nouvelle-Calédonie au moins depuis 1998, ainsi qu'à leurs descendants. L'accord prévoit enfin l'organisation d'un référendum d'autodétermination d'ici 2018, qui se tiendra dans six mois, le 4 novembre.
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En Nouvelle-Calédonie, les plaies d'Ouvéa ne sont toujours pas cicatrisées (22.04.2018)

Par Coralie Cochin
Mis à jour le 03/05/2018 à 21h23 | Publié le 22/04/2018 à 18h33
Trente ans après la tragédie qui a fait 25 morts, la visite du chef de l'État, le 5 mai, ne fait pas l'unanimité sur l'île.
À Nouméa
À moins d'une heure de vol de Nouméa, Ouvéa est surnommée «l'île la plus proche du paradis». Ce sublime atoll de sable blanc fut pourtant le théâtre de l'épisode le plus sanglant des «événements» qui ont agité l'archipel calédonien dans les années 1980.
Le 22 avril 1988, à la brigade de Fayaoué, quatre gendarmes sont tués et vingt-sept sont pris en otage par des militants kanaks réclamant l'indépendance. Le 5 mai, l'État ordonne l'assaut de la grotte de Gossanah, dans le nord d'Ouvéa, où sont retranchés les ravisseurs et une partie des otages. L'«Opération Victor» fait 21 victimes: deux parmi les militaires des forces spéciales et dix-neuf chez les indépendantistes kanaks.
Ce chapitre douloureux de l'histoire calédonienne a été commémoré dimanche, à Fayaoué, à l'occasion des 30 ans de l'attaque de la gendarmerie. Bien plus qu'une réconciliation, c'est à une «véritable communion que nous avons assisté», se réjouit Jean-Marie Dassule, le président du «Comité du 22 avril» de Nouvelle-Calédonie, ému de voir «toute l'île» se recueillir sur la stèle des quatre gendarmes morts pendant l'attaque.
Malgré de fortes réticences dans son propre camp, ce retraité de la gendarmerie, marié à une femme originaire d'Ouvéa, est parvenu à tisser des liens entre son comité et les habitants de Gossanah. «Depuis cinq ans, c'est ensemble que nous commémorons les événements du 22 avril et du 5 mai», se félicite Jean-Marie Dassule.
«En venant le 5 mai, Emmanuel Macron donne le sentiment de piétiner le sang des 19 militants tombés pour l'indépendance»
Macki Wea, porte-parole du «collectif de Gossanah», qui dénonce une «instrumentalisation» du drame d'Ouvéa
Mais les préparatifs de ces célébrations ont été perturbés ces derniers jours, à la suite de rumeurs annonçant la venue prochaine d'Emmanuel Macron sur l'atoll, dans le cadre de sa visite en Nouvelle-Calédonie. «En venant le 5 mai, Emmanuel Macron donne le sentiment de piétiner le sang des 19 militants tombés pour l'indépendance. C'est une insulte au peuple kanak et un manque de respect à l'égard du deuil des familles qui se recueilleront ce jour-là», s'étrangle Macki Wea, le porte-parole du «collectif de Gossanah», qui dénonce une «instrumentalisation» du drame d'Ouvéa, à six mois du référendum sur l'indépendance.
La critique ne s'adresse pas uniquement au chef de l'État, qui pourrait profiter de l'occasion pour prononcer un discours historique. Elle vise aussi les membres du comité des signataires et les leaders indépendantistes du FLNKS, à qui le collectif reproche d'avoir «invité» le président Macron le 5 mai à Ouvéa, «sans l'avis préalable de la population».
«Les gens de Gossanah ont été marqués au fer rouge»
Simon Loueckhote, ancien sénateur, originaire d'Ouvéa
«À Gossanah, nous avions boycotté les accords de Matignon», rappelle Benoît Tangopi, un ancien preneur d'otages. Ces accords, signés le 26 juin 1988 entre leaders loyalistes et indépendantistes, avaient mis fin à quatre années de violences dans l'archipel. Mais cet acte de paix avait été endeuillé, un an plus tard, par la mort des deux ténors du FLNKS Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, abattus par Djubelly Wéa, un militant de Gossanah qui ne leur avait pas pardonné la signature des accords. «Même après trente ans, les cicatrices, la souffrance sont encore là», assure Benoît Tangopi, qui s'attelle aujourd'hui à reconstituer sa version de l'assaut avec des enfants de la tribu «pour que la nouvelle génération n'oublie pas».
«Les gens de Gossanah ont été marqués au fer rouge», reconnaît également l'ancien sénateur Simon Loueckhote, originaire d'Ouvéa et non indépendantiste, pour qui le calendrier du président semble «mal choisi».
À l'Élysée, pourtant, l'option de voir Emmanuel Macron se recueillir le 5 mai, sur la tombe des 19 indépendantistes ne semble pas abandonnée. Dimanche, le haut-commissaire Thierry Lataste aurait profité de sa présence à Ouvéa pour tenter de déminer le terrain, en personne, avec les représentants du collectif de Gossanah. En cas de succès, Emmanuel Macron serait le tout premier président français à se rendre officiellement à Ouvéa.

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Protection des hautes personnalités : les confidences d'un «gorille de la République» (03.05.2018)

Par Christophe Cornevin
Mis à jour le 03/05/2018 à 19h07 | Publié le 03/05/2018 à 18h00
INTERVIEW - François Mitterrand, Jean-Paul II... Pendant plus de vingt ans, le commissaire général Gilles Furigo a côtoyé le cœur du pouvoir politique. Avec la lourde charge d'assurer la sécurité des plus hautes personnalités.
Commissaire général de la police nationale, Gilles Furigo a passé vingt-trois ans au sein puis à la tête du prestigieux Service de protection des hautes personnalités. Après avoir protégé une dizaine de premiers ministres, cinq présidents de la République, deux papes, un sultan ou encore quelques têtes couronnées, il publie Les Gorilles de la République (Mareuil éditions, avril 2018) où il dévoile l'histoire et les coulisses d'une unité d'élite.
LE FIGARO. - D'où est née l'expression le «gorille»?
Gilles FURIGO. - À l'époque de De Gaulle. En 1947, quand le Général veut revenir aux affaires, le Rassemblement du peuple français (RPF) recrute des gardes du corps issus de la France libre. Parmi ces commandos marines et ces officiers parachutistes figure Roger Tessier, ex-résistant et boxeur professionnel très imposant, aux épaules larges à la Lino Ventura. Surnommé aussi «Roger la tenaille» en raison de la force de ses mains, sa démarche chaloupée lui vaut alors d'être appelé le «Gorille» par l'écrivain Dominique Ponchardier qui va populariser ce personnage. Le mythe était né…
«On travaille avec de vrais professionnels formés au métier de garde du corps et en lesquels on peut avoir confiance car rien ne sortira»
Gilles Furigo
Comme vous le révélez, François Mitterrand aurait piégé son propre service de protection avec l'aide de la DGSE?
Il s'agit plutôt de son entourage qui se rend compte que le service, au début des années 1980, n'est pas au niveau des menaces. Outre les Palestiniens qui détournaient alors des avions, la gauche vivait dans la hantise d'un «terrorisme noir» d'extrême droite qui allait renverser le président Mitterrand. À la demande de l'Élysée, la DGSE va poser quelques pièges, des fausses bombes à l'endroit où le chef de l'État doit se trouver pour prouver que sa protection n'est pas à la hauteur. Des photos sont prises et on s'aperçoit que le travail n'est pas fait. Charles Hernu, ministre de la Défense et fils de gendarme, conseille alors de confier la protection élyséenne au GIGN et à son commandant Christian Prouteau. Un homme qui va naturellement rentrer dans les secrets les plus intimes du président… Le politique a toujours voulu choisir ses gardes du corps, car ceux-ci entrent dans sa «bulle» par nature étanche.
Cette «bulle» doit rester chimiquement pure...
Oui, c'est pour cela que l'on a changé les méthodes de sélection et de recrutement. On travaille avec de vrais professionnels formés au métier de garde du corps et en lesquels on peut avoir confiance car rien ne sortira. Les règles sont «discrétion», «loyauté» et, pourrais-je ajouter, «amnésie». Vous remarquerez qu'aucun livre n'est jamais sorti sur les secrets d'alcôves. Personne n'a le droit de rompre le pacte passé avec des personnalités que l'on a apprivoisées et que l'on fréquente quinze heures par jour. Dans cet attelage peu ordinaire, le temps n'est pas forcément un allié car certes la confiance s'installe mais on est dans l'humain: plus l'officier de sécurité va être proche, plus il risque de glisser dans un rôle d'aide de camp, de secrétaire. Il peut rendre des menus services comme porter les valises… jusqu'à monter les croissants. Il doit connaître les limites à ne pas dépasser et savoir dire «non» avec beaucoup de diplomatie.
«Aujourd'hui, on ne cherche plus des armoires à glace mais plutôt des profils qui passent inaperçus pour se fondre dans le paysage et parmi la délégation»
Gilles Furigo
Dans votre longue carrière, quelles sont les figures qui vous ont le plus impressionné?
Il y en a beaucoup, mais je dirai le pape Jean-Paul II, malade quand il est arrivé en 1996 à Sainte-Anne-d'Auray et qui avait déjà fait l'objet d'une trentaine de tentatives d'attentat. Il dégageait une présence extraordinaire: lors de la messe en plein air, j'ai vu 100.000 personnes prises d'une ferveur que je n'ai jamais sentie dans aucun meeting politique. Quand le Souverain Pontife est arrivé, une clameur est montée, les gens se sont tous précipités vers la papamobile au point de faire céder le double barriérage. Dans la foule, on a tout de suite repéré des militants d'Act Up: ils étaient seuls à ne pas communier, on ne voyait qu'eux. Ils voulaient tenter un coup d'éclat mais ils ont été interpellés sur-le-champ. Notre mission était de protéger le Pape, mais aussi, en cas de malaise, de le soustraire à l'objectif des caméras et de le faire rapatrier par avion médicalisé à Rome. Pendant un des repérages, mes hommes et moi portions comme pin's de reconnaissance une croix à la boutonnière et, de retour à l'hôtel, des fidèles nous prenaient pour de jeunes prêtres jusqu'à ce qu'un agent du service fasse tomber la veste et laisse apparaître son calibre Beretta…
À quoi ressemble le gorille 2.0?
Aujourd'hui, on ne cherche plus des armoires à glace mais plutôt des profils qui passent inaperçus pour se fondre dans le paysage et parmi la délégation. Cela donne moins de repères à l'agresseur potentiel. Outre le tir et le sport qui ont une grande importance, le «gorille» doit parler au moins l'anglais pour éviter le filtre des traducteurs en déplacement. On travaille aussi sur la psychologie: il ne faut jamais qu'un garde du corps se prenne pour la personnalité qu'il côtoie à longueur de journée. C'est un risque classique! Les anciens disaient aux nouveaux: «Vous allez vivre dans des 4-étoiles mais n'oubliez jamais que, le soir venu, vous rentrez dans votre HLM.» Ce métier est une leçon d'humilité, nous sommes avant tout des serviteurs de l'État et de l'ombre.

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Comptes de campagne : Macron, le roi de la ristourne (03.05.2018)
Par Jules Pecnard et Jim JarrasséMis à jour le 03/05/2018 à 21h34 | Publié le 03/05/2018 à 15h08
LE SCAN POLITIQUE/ENQUÊTE - L'entreprise GL Events, dont les remises ont été révélées par Mediapart, n'est pas la seule à avoir réalisé des prestations à coût réduit pour le candidat élu.
C'est une phrase qui, malgré le jargon juridique un peu ampoulé, a de quoi intriguer. Elle est nichée dans un compte rendu de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), chargée d'évaluer les dépenses des candidats à l'élection présidentielle. Dans ce document datant du 29 septembre 2017, auquel Le Figaro a eu accès, la CNCCFP révèle la somme des «remises» dont Emmanuel Macron a bénéficié auprès de ses prestataires pendant la campagne. Et s'interroge sur leur pourcentage «anormalement élevé» par rapport au prix des fournisseurs.
L'un d'entre eux, GL Events, a fait l'objet d'une enquête de Mediapart publiée le 27 avril. À l'occasion du premier meeting d'Emmanuel Macron en tant que leader d'En Marche!, à la Maison de la Mutualité à Paris en juillet 2016, GL Events a déduit 14.129 euros de sa facture pour la location de la salle. Idem quelques mois plus tard, après la déclaration officielle de candidature d'Emmanuel Macron: une réduction de près de 10.000 euros pour le grand raout de la Porte de Versailles. Depuis, GL Events et l'Elysée ont apporté leur lot d'explicationspour justifier ce rabais spécifique, démentant un traitement de faveur liée à une proximité entre Emmanuel Macron et le patron de la société.
Les pièces récoltées par la CNCCFP montrent qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé. Matériel de campagne, organisation de meetings, locations de salle... De nombreuses entreprises ont consenti à des réductions tarifaires auprès des macronistes, certaines atteignant même 100% du prix. Au total, selon les calculs du Figaro, l'association de financement d'Emmanuel Macron a bénéficié de 216.348 euros de ristournes sur une vingtaine de factures (voir tableau ci-dessous), soit 39,5% du total des dépenses concernées.
Toutes les «ristournes» dont Emmanuel Macron a bénéficié:
Source: Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques
Parmi les prestataires les plus «généreux», il y a par exemple Mvision, spécialisée dans les aspects techniques nécessaires aux grands événements (son, vidéo, lumière). Pour le rassemblement organisé par Emmanuel Macron à Bercy le 17 avril 2017, Mvision a réalisé sa prestation à un prix amputé de 30% sur la «partie matérielle», faisant ainsi passer la facture de plus de 66.000 à 45.020 euros. Un geste «habituel» dans ce secteur selon Mvision, mais qui peut s'avérer déterminant à moins d'une semaine du premier tour d'une élection présidentielle.
L'entreprise Eurydice en a fait de même. Chargée d'organiser un meeting à Arras pendant l'entre-deux-tours, la société a accordé 12.583 euros de réduction à l'équipe du candidat Macron. Présentée sur son site internet comme un «acteur majeur de la prestation audiovisuelle en France», Eurydice a mis ses services à disposition de l'ex-ministre de François Hollande à plusieurs reprises durant sa campagne. L'Obs a par ailleurs relevé une étrange coïncidence concernant l'ancien dirigeant d'Eurydice, Arnaud Jolens, qui a notamment mis en scène la déambulation d'Emmanuel Macron dans la cour du Louvre le soir de sa victoire. Démissionnaire d'Eurydice en janvier 2017, avant donc le meeting d'Arras, il a pris la tête du «pôle image et événements» de l'Elysée le mois de juillet qui a suivi.
«Bonjour, c'est Emmanuel Macron…»
La ristourne la plus importante en valeur obtenue par l'équipe Macron provient de l'entreprise Selfcontact, spécialisée dans le démarchage téléphonique, notamment pour les hypermarchés. À la veille du premier tour, la société a réalisé 6,6 millions d'appels, diffusant un message préenregistré débutant ainsi: «Bonjour, c'est Emmanuel Macron…». Dans un échange de mail avec l'équipe d'En Marche!, publié dans les «MacronLeaks», le PDG de l'entreprise, Laurent Delwalle, assure mettre toute la «puissance» de son entreprise au service du candidat: «J'ai parfaitement intégré que le premier tour étant serré et le nombre d'électeurs indécis ou abstentionnistes relativement important, donner une chance à Emmanuel de parler au creux de l'oreille des électeurs pouvait être déterminant pour assurer d'être au deuxième tour», écrit-il.
Pour cette commande importante de dernière minute, l'équipe du candidat a obtenu un rabais conséquent permettant de faire passer la facture de 264.000 euros à 200.000 hors taxes. Une opération qui a fait tiquer la CNCCFP, qui a réclamé des explications. Dans un courrier datant du 17 octobre, Laurent Delwalle justifie ainsi la ristourne: «Pour chaque commande d'un pack de 5.000.000 d'appels téléphoniques incluant la diffusion d'un message vocal, nos clients se voient attribuer (…) 1.600.000 unités gratuites, soit une remise de 24,24%», soit 64.000 euros HT. Soucieux de démontrer qu'il n'y a pas de lien de fidélité entre sa société et le candidat, il précise que la facture de l'opération «représente une consommation ponctuelle» et «n'est pas liée à un contrat annuel ni à aucune tacite reconduction».
Légal ou pas?
À l'aune de tous ces cas de figure, la question de leur légalité se pose. Selon l'article L 52-8 du Code électoral, «les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat (...) en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués». Autrement dit, appliquer des tarifs différenciés selon les clients, ce que tous les fournisseurs démentent avoir fait.
L'article L.52-17 précise ensuite que «lorsque le montant d'une dépense déclarée dans le compte de campagne (...) est inférieur aux prix habituellement pratiqués», la CNCCFP invite le candidat «à produire toute justification utile à l'appréciation des circonstances». Une fois ces justifications produites, la commission a envoyé un courrier, datant du 24 novembre 2017, dans lequel la section consacrée aux «dépenses sous-évaluées» n'apparaît plus. Vraisemblablement convaincue par les explications avancées par l'équipe Macron et ses prestataires, la commission n'a pas réformé les dépenses associées à ces ristournes ni exigé aucun remboursement au candidat élu.
Benjamin Griveaux, porte-parole d'En Marche! durant la campagne présidentielle, s'en félicite. Interrogé ce jeudi matin sur France Inter, il évoque le fait que l'équipe d'Emmanuel Macron «a embauché des gens (...) qui sont des pros de l'événementiel (...) et qui ont bien négocié». Un propos qui fait écho à l'«approche agressive des négociations commerciales» avancée par l'entourage du président de la République, interrogé par Mediapart, mais qui ne convainc pas les anciens concurrents. Contactée par Le Figaro, l'équipe de Benoît Hamon, qui assure n'avoir pas bénéficié des mêmes ristournes qu'Emmanuel Macron sur la location de la Mutualité, déclare avoir effectué des «mises en concurrence entre prestataires pour obtenir des meilleurs tarifs, via des appels d'offres». «C'est la manière normale de procéder. On n'a pas le droit de négocier de gré à gré, comme l'a apparemment fait l'équipe Macron».


Ivan Rioufol : «An I, pourquoi Macron se trompe de route» (03.05.2018)

Par Ivan Rioufol
Publié le 03/05/2018 à 20h14
CHRONIQUE - La mascarade imprègne ce quinquennat bâti sur la communication, c'est-à-dire les signes, les symboles, le verbe.
Au fait, des nouvelles de François Fillon? La justice, si pressée de l'abattre dans les trois derniers mois de la présidentielle, a repris son pas lent. L'assassinat politique du favori de la droite, à qui la victoire tendait les bras, a été mené avec un tel professionnalisme que l'affaire est entendue sans avoir été jugée: ci-gît l'homme coupable, évidemment coupable. Ces jours-ci, des hagiographes d'Emmanuel Macron rehaussent, à l'occasion de l'an I de son élection (7 mai 2017), la marche de l'homme seul qui décroche l'Élysée à la hussarde. «Je suis le fruit d'une brutalité de l'histoire, d'une effraction», s'amuse d'ailleurs le chef de l'État. Son exploit doit, pour sûr, à ses qualités de tacticien propulsé par une solide base arrière. Mais il reste un cadavre dans le placard. Et Macron a profité du crime. L'exécution a été conduite grâce à une collaboration opportune entre la presse de gauche et le Parquet national financier, sous tutelle du pouvoir exécutif. Un coup d'État légal, en somme.
Macron dirige la France à rebours de l'histoire qui s'écrit. Son narcissisme semble l'avoir convaincu de n'écouter que lui
Or depuis, Macron dirige la France à rebours de l'histoire qui s'écrit. Son narcissisme semble l'avoir convaincu de n'écouter que lui. Quand il déclare à Jean-Pierre Pernaut: «Je sais où je veux emmener le pays», il montre un autoritarisme qui l'éloigne d'une société en colère contre les erreurs des puissants. Quand il dit à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel: «Je crois dans une Europe souveraine», il affirme un choix postnationalqui se heurte à la renaissance des nations. Rien d'étonnant de l'entendre dire, à propos du hongrois Viktor Orban, chef de file des souverainistes, qu'il «ne partage rien de ses valeurs». Quand le président parle de la France, c'est pour rappeler ses crimes coloniaux ou esclavagistes, déplorer ses échecs dans les cités, ou s'inquiéter, devant des étudiants américains, de «l'ancien antisémitisme français […] qui reprend de l'ampleur». L'explosion des nouvelles «passions antijuives» (1), portées par des musulmans, n'a pourtant rien d'un phénomène franco-français…
Cette autoflagellation, entretenue par Macron, ne peut qu'aggraver la démoralisation nationale, ce mal dont la France doit s'extraire. La bien-pensance humanitariste habite le chef de l'État. Cette pensée facile voit des racistes et des xénophobes chez ceux qui constatent le lien entre l'immigration de masse et l'insécurité culturelle. Or ces bons apôtres n'ont rien à dire quand des mouvements noirs «antiracistes» appellent ce week-end, à Saint-Denis, à une conférence internationale destinée aux «non-Blancs». Parmi les thèmes: «Quelles alliances avec la gauche blanche?» Pour le 1er Mai, un «cortège antiraciste non-mixte racisée» (sic) appelait à défiler contre le «blantriarcat». «Je ne céderai pas à la tyrannie des minorités», a promis le chef de l'État. Mais cette posture est un leurre: pour la Macronie, les Français vont avoir à s'habituer aux nouveaux venus, et non l'inverse.
L'enterrement politique de Fillon, trop vieille France pour ses sicaires , n'a pas été celui d'un «ancien monde», en dépit de ce que dit Macron. Cette France oubliée est en pleine ébullition. Elle n'entend pas disparaître sous les pelletées de mépris jetées par des technocrates parlant globish, sous les protections de Jacques Attali, Alain Minc et Daniel Cohn-Bendit, parrains décatis de Jupiter. La prétention du président à incarner la «transformation» du pays, voire de l'Europe et même des États-Unis, dit son insatiable ambition. Cependant, si le président se retourne, que voit-il? Des concitoyens perplexes devant l'hypnotiseur ; une Allemagne tourmentée qui prend ses distances ; une Italie qui tourne le dos. Quant à Donald Trump, que le président assure pouvoir influencer en évitant la rupture avec l'Iran, il prend une envergure internationale qui laisse loin derrière son prétendu mentor. Le rapprochement de Trump avec la Corée du Nord lui vole déjà la vedette.
Libéralisme de façade
Reste l'énergie insolente du jeune président et la sympathie que dégage son épouse. Les images du couple redonnent de la fraîcheur à la politique. Les mots vaches qu'envoie, ces jours-ci, François Hollande à son successeur sont ceux d'un homme qui ne sut jamais bien jouer au président. Pour autant, la mascarade imprègne ce quinquennat bâti sur la communication, c'est-à-dire les signes, les symboles, le verbe. «Je vais toujours au conflit», assure le président impétueux. L'opinion lui sait gré de ne pas reculer devant les syndicats de cheminots en grève. Mais il ne faudrait pas que le gouvernement, par les concessions qu'il négocie, décourage demain les sociétés privées du ferroviaire par un cahier des charges trop contraignant. Derrière les mots tranchés, la main tremble. Les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, qui menacent d'en découdre, n'ont été que très partiellement évacués. Mardi, le pouvoir a montré sa pusillanimité en laissant des casseurs d'extrême gauche mettre à sac le quartier d'Austerlitz, à Paris.
Le culte de l'État retarde une authentique politique libérale, reconnaissable à la baisse des impôts et des dépenses publiques
Le magazine économique américain Forbes promeut Macron à sa une et le présente comme «le leader des marchés libres». Le chef de l'État y annonce sa décision de supprimer l'«exit tax», instituée par Nicolas Sarkozy pour limiter le départ des investisseurs. Les entrepreneurs fortunés peuvent dire merci au chef de l'État, au contraire des petits retraités ponctionnés. Toutefois, il est inexact de voir un libéralisme thatchérien dans sa politique. La baisse des impôts sur les fortunes et les sociétés n'a pas empêché la dépense publique d'augmenter de 2,5 % en 2017. Le désendettement de l'État n'est pas amorcé. Au contraire, le premier ministre a prévenu que la dette de la SNCF, qui avoisine les 50 milliards d'euros, serait reprise par les contribuables. Le projet imprécis de service national universel, conçu pour durer un mois, est un gadget évalué à 3 milliards d'euros par an. Le culte de l'État retarde une authentique politique libérale, reconnaissable à la baisse des impôts et des dépenses publiques.
Borloo, pensée fausse
Illustration d'une pensée fausse très «macronienne»: Jean-Louis Borloo et son plan Banlieue. Il consiste à verser toujours plus d'argent sur les cités pour acheter la paix sociale. Nulle part ne sont évoqués dans son rapport le séparatisme culturel désiré, le refus de vivre ensemble, l'islamisation qui crève les yeux. Il se dit néanmoins que Macron ne serait pas chaud pour arroser le sable. Le président sortirait-il enfin du radotage progressiste?
(1) Pierre-André Taguieff, «Judéophobie, la dernière vague», Fayard

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Les anti-PMA s'imposent aux États généraux de la bioéthique (03.05.2018)
Par Agnès Leclair et Service InfographieMis à jour le 03/05/2018 à 22h28 | Publié le 03/05/2018 à 19h44
INFOGRAPHIE - Selon le bilan du Comité d'éthique, les Français ont largement participé à cette consultation citoyenne.
C'est l'heure du premier bilan chiffré pour les États généraux de la bioéthique, marqués par une participation importante mais aussi par de fortes divergences. «Quel monde voulons-nous pour demain?» interpellait à la mi-janvier le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour lancer cette vaste consultation citoyenne sur des thèmes tels que l'intelligence artificielle, les tests génétiques, les neurosciences mais aussi la fin de vie et la procréation médicalement assistée (PMA).
À sa clôture, le 30 avril, force est de constater que les Français ont été très nombreux à vouloir donner une réponse, souvent inquiète ou prudente, à cette grande interrogation. Il faut dire que cette consultation était chargée d'enjeux alors que le sujet de l'extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibatairespose la question du maintien de deux grands piliers de la bioéthique française, l'anonymat et la gratuité du don (gamètes, organes…) inscrits dans la loi en 1994.
Le CCNE, en charge de l'organisation des débats, s'est félicité jeudi d'une «importante mobilisation» des citoyens. Selon son décompte, 29.032 personnes ont participé à la discussion sur le site Internet dédié à ces états généraux et 18.500 citoyens ont débattu dans les quelque 250 événements organisés en région. En parallèle, l'instance de réflexion a effectué 150 auditions d'associations, sociétés savantes, institutions ou groupes de courants de pensée philosophiques ou religieux, reflétant l'avis de «plusieurs millions de personnes». Dernier outil de cette consultation, l'avis d'un comité citoyen de 22 personnes sur les thématiques de la fin de vie et des tests génétiques sera rendu public début juin, en même temps que le rapport de synthèse du CCNE sur les états généraux.
La PMA en tête des préoccupations
Faut-il y voir un effet de souffle de la mobilisation contre le mariage pour tous en 2013 et en 2014? Les opposants à l'élargissement de la PMA, aujourd'hui réservée aux seuls couples hétérosexuels infertiles, se sont mobilisés en nombre. Leur forte présence dans les débats en régions s'est confirmée sur le site des États généraux de la bioéthique. Le thème de la PMA est sans conteste celui qui a suscité le plus d'intérêt en ligne. Pas loin de la moitié (45 %) des 64.985 contributions des participants ont été dédiées à la procréation contre 24 % à la fin de vie, 12 % aux cellules-souches et à la recherche sur l'embryon. Les autres sujets, comme l'intelligence artificielle ou la santé et l'environnement, ont rencontré un intérêt plus limité.
«Ces votes montrent qu'il n'y a pas d'attente d'évolution de la PMA chez les Français et que les militants du “droit à l'enfant” sont une ultraminorité»
Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous
À lui seul, le thème de la PMA a fait l'objet de 317.386 votes, soit plus d'un tiers des 832.773 votes enregistrés sur le site. Des votes majoritairement opposés à l'ouverture de la PMA, à rebours des derniers sondages selon lesquels six Français sur dix sont favorables à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes. «Les participants ont surestimé l'importance des votes, relativise le médiateur de la consultation et ancien président de la Halde, Louis Schweitzer. Ces votes ne sont pas représentatifs de l'opinion des citoyens car ce sont les plus motivés qui s'expriment. Avec ce système, nous avons avant tout voulu mesurer le degré d'intérêt pour les sujets et leur sensibilité en fonction du nombre de votants.»
«Ces votes montrent qu'il n'y a pas d'attente d'évolution de la PMA chez les Français et que les militants du “droit à l'enfant” sont une ultraminorité, estime la présidente de la Manif pour tous, Ludovine de La Rochère. La diversité des arguments exprimés sur le site est représentative de la société française.» La Manif pour tous pointe cependant un «problème de prise en compte des arguments pour et contre» sur le site. En tout, le médiateur des États généraux indique avoir reçu 150 réclamations, essentiellement sur la consultation en ligne.
Favorable à la PMA pour toutes, SOS homophobie dénonce de son côté un «noyautage» et un «parasitage de ces espaces d'échanges par les anti-PMA». Favorable à une évolution de la loi, l'association juge que «l'atmosphère foncièrement hostile des premiers débats» a découragé «de nombreuses personnes concernées de s'y rendre, faussant ainsi la représentativité de tels événements». La clôture officielle des états généraux doit avoir lieu mi-juillet avant et la phase de révision de la loi, fin 2018 ou début 2019.

Prudent face à ces épineux sujets, le gouvernement veut se laisser du temps
Qu'il est loin le temps où la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, annonçait que le gouvernement allait ouvrir la PMA aux femmes homosexuelles et célibataires «en 2018», à l'occasion de la révision de la loi de bioéthique. Depuis, c'est silence radio. La ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui suit de près le dossier, a même demandé à tous ses collègues du gouvernement de ne plus s'exprimer sur ces thématiques (procréation et fin de vie, principalement), afin d'éviter toute interférence avec les États généraux de la bioéthique. Une consigne respectée à la lettre. Comme si l'exécutif craignait que ce débat ô combien électrique ne s'enflamme un peu plus.
Manifestement, Emmanuel Macron veut laisser le temps au temps, afin que chacun ait le sentiment d'avoir pu exprimer ses convictions. Deux dîners ont été organisés avec des penseurs et des autorités religieuses autour du président. Lors de son discours au Collège des Bernardins, le 10 avril, le chef de l'État s'est voulu rassurant auprès des évêques. «J'entends l'Église lorsqu'elle se montre rigoureuse sur les fondations humaines de toute évolution technique, a-t-il assuré. J'entends votre voix lorsqu'elle nous invite à ne rien réduire à cet agir technique dont vous avez parfaitement montré les limites.»
Éviter les dissensions en interne
Ce discours bienveillant est également destiné à éviter les dissensions en interne. Comme la société, l'exécutif est fracturé par des sensibilités différentes, amplifiées par le caractère transpartisan des membres du gouvernement. Il y a ceux qui, avant d'être nommés, ont signé des tribunes en faveur de la GPA (l'ex-socialiste et secrétaire d'État, Olivier Dussopt), ceux qui disaient faire confiance à la science en matière de droits de l'individu (le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard), ceux qui, au contraire, s'étaient dits opposés à la PMA, comme le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, la ministre auprès de Gérard Collomb, Jacqueline Gourault, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, ou encore le premier ministre, Édouard Philippe, qui a dit, depuis, avoir «évolué».
Le gouvernement sortira de son silence une fois remis les rapports du Comité consultatif national d'éthique et de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques. Du coup, le processus législatif sur le sujet ne s'achèvera pas en 2018.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 04/05/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Le général de Gaulle, réformateur social de l'après-guerre (02.05.2018)

Par Sébastien Lapaque
Mis à jour le 03/05/2018 à 10h50 | Publié le 02/05/2018 à 16h15
Sous les cendres de Vichy, de Laurent Lasne, retrace l'échec du Général qui a voulu ouvrir une «troisième voie» entre le communisme et le capitalisme : la participation.
Dans un précédent livre intitulé De Gaulle, une ambition sociale foudroyée: chronique d'un désenchantement (Le Tiers livre, 2009), Laurent Lasne s'est attaché à éclairer l'échec du projet de l'Association du capital et du travail (ACT) que le père de la Ve République croyait pouvoir imposer à la bourgeoisie nationale et aux couches technocratiques lorsqu'il est revenu aux affaires en 1958. Envisageant avec sérieux « la question sociale, toujours posée jamais résolue» depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale, le Général voulait ouvrir une «troisième voie» entre le communisme et le capitalisme: la participation. Hélas, les gaullistes sensibles à cette idée étaient peu nombreux dans les gouvernements de Michel Debré (1959-1962) et de Georges Pompidou (1962-1968). Et parmi les intellectuels, ceux qu'on disait «de gauche», René Capitant, Louis Vallon, Léo Hamon, n'étaient qu'une poignée.
Juste prix, juste profit, union des classes: du référendum d'avril 1969 à la bérézina électorale de mai 2017, la droite a mis quatre décennies à liquider les éléments clefs de la doctrine sociale gaulliste. Dans le fond, expliquera le Général à Malraux, elle n'avait jamais voulu en entendre parler: « Je tombe sur la participation. La participation, c'était un symbole, vous voyez ce que je veux dire.» La destinée de Charles de Gaulle se résume ainsi à un long malentendu avec sa tradition et sa famille politique.
Dans Sous les cendres de Vichy, Laurent Lasne explique de quelle manière un officier d'infanterie né dans un milieu catholique à la fin du XIXe siècle, marqué par le royalisme sentimental de son père, Henri, a pu se forger un corpus idéologique aussi insolite. Grand lecteur, curieux de tout, il avait nourri sa réflexion sur la misère provoquée par l'impitoyable organisation économique moderne à des sources variées: doctrine sociale de l'Église, théorie méthodique de l'action inspirée par Bergson, idéal progressiste de la démocratie chrétienne.
Socialisme utopique

- Crédits photo : Editions Le Tiers Livre
Le plus étonnant, c'est la place importante faite aux notions d'association, de mutuelle et de coopérative, qui doivent beaucoup au premier mouvement ouvrier français, à ce «socialisme utopique» de Fourier et Proudhon moqué par Marx. Selon nous, Laurent Lasne sous-estime l'importance de la doctrine catholique sociale des saint-cyriens René de La Tour du Pin et Albert de Mun dans le corpus gaullien. Charles de Gaulle était et de droite et de gauche, d'avant-hier et d'après-demain. Ce serait mentir de dire qu'il a toujours été insensible aux idées de Charles Maurras et de Maurice Barrès. Mais il les a métabolisées.
Sous les cendres de Vichy, c'est l'histoire de cette étonnante métabolisation idéologique et de la confrontation avec l'histoire de l'ambition sociale gaulliste après la Libération. Et celle de son échec, provisoire, puis terminal, dans une France sans cesse trahie par l'égoïsme de classe de ses dirigeants. «Tragiques destinées de ces peuples, où l'énergie et le caractère des élites n'ont jamais été à la hauteur des vertus et de la bonne volonté d'en bas», observait déjà le jeune Charles de Gaulle en 1920.
«Sous les cendres de Vichy», de Laurent Lasne, Éditions Le Tiers Livre, 250 p., 16 €.

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La France face à la guerre froide (03.05.2018)
Par Eric Roussel
Mis à jour le 03/05/2018 à 09h46 | Publié le 03/05/2018 à 07h00
Georges-Henri Soutou analyse un demi-siècle de politique française face au bloc de l'Est, les questions de l'armement nucléaire, de la place de la France dans l'Otan et des relations avec Moscou.
L'écroulement du mur de Berlin en novembre 1989, suivi très vite de la décomposition de l'empire soviétique, a sidéré les contemporains. Aucun responsable occidental ne s'attendait à un tel événement. Et le caractère somme toute pacifique de cette mutation formidable a induit l'idée selon laquelle le processus avait quelque chose de naturel, voire d'inéluctable. Rien de plus inexact. Comme le rappelle avec force Georges-Henri Soutou, ce fut la course aux armements - singulièrement la guerre des étoiles imposée par les États-Unis - qui força l'URSS à mettre genoux à terre. George Kennan et Ronald Reagan furent bel et bien les deux artisans de ce séisme. Gorbatchev n'a jamais cherché à le cacher.
La France, dans cette gigantesque partie de bras de fer qui débuta pendant la Seconde Guerre mondiale, joua un rôle moins décisif mais, à coup sûr, original. Dans cette fresque magistrale, Georges-Henri Soutou, maître incontesté de l'histoire des relations internationales, montre bien l'étonnante continuité des positions françaises face à l'Union soviétique, sous deux Républiques et quelle que soit l'orientation des locataires de l'Élysée. Avant même la fin des hostilités, en décembre 1944, le général de Gaulle posa les premiers jalons lors de son voyage à Moscou. Face à Staline, en qui il voyait l'héritier des tsars, il joua une partition très personnelle: au prix de concessions concernant la Pologne et la signature d'un pacte dirigé contre l'Allemagne, il réussit à donner l'impression de jouer dans «la cour des grands». Par la suite, Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, continua dans une large mesure sur cette lancée, l'obsession des responsables français étant la renaissance du danger allemand. Avec l'accentuation de la confrontation Est-Ouest, à partir de 1947, le camp occidental eut tendance à faire bloc mais Georges-Henri Soutou souligne à juste titre que la prépondérance de l'atlantisme en France dura peu de temps: à peine quelques années à partir de 1950. Dès 1954, Pierre Mendès France, lors de son bref passage au pouvoir, adopta vis-à-vis des États-Unis une ligne loyale mais indépendante, préfigurant à bien des égards celle qui sera poursuivie après le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958.
«Un nouveau système européen»
La politique étrangère de ce dernier a fait l'objet d'innombrables analyses parfois très divergentes. Certains l'ont taxé de complaisance à l'égard de l'Union soviétique pendant la guerre et d'autres l'ont soupçonné de pratiquer une forme de neutralisme. Pièces d'archives à l'appui, Georges-Henri Soutou rétablit la vérité: le fondateur de la Ve République envisageait en réalité «un nouveau système européen qui permettrait de dépasser la guerre froide et qui établirait un nouvel équilibre sur le continent, entre une Russie désidéologisée d'une part et une Europe occidentale dirigée de Paris de l'autre». Mais la mise en œuvre de cette diplomatie fut progressive, la prise de distance avec Washington et le rapprochement avec Moscou ne se produisant qu'après 1966, date du second voyage du Général en URSS. Pour de Gaulle, le système communiste était vermoulu, et déjà se profilait la possibilité d'envisager une Europe de l'Atlantique à l'Oural, au sein de laquelle l'Allemagne, un jour (lointain) réunifiée, pourrait trouver sa place.

- Crédits photo : Tallandier
Contrairement à des interprétations polémiques, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing ne devaient pas remettre en cause fondamentalement cette ligne. L'un comme l'autre voyaient certes l'URSS sous un jour moins irénique que leur illustre prédécesseur ; dans une certaine mesure, ils se rapprochèrent des États-Unis, sans jamais pour autant accepter la moindre tutelle. François Mitterrand qui eut à gérer la fin de l'Union soviétique et le problème de la réunification de l'Allemagne se révéla, paradoxalement, plus gaullien encore, quand il proposa la construction d'une grande Europe qui, ressemblant beaucoup à celle rêvée par le Général, se heurta à la volonté des anciens pays communistes de conserver la protection américaine. Comme le montre lumineusement Georges-Henri Soutou, Mitterrand entendait mettre à profit le grand bouleversement alors en cours pour tenter de faire émerger sur le Vieux Continent un autre modèle que le capitalisme classique. À l'instar de Gorbatchev, il croyait le système soviétique réformable, susceptible d'évoluer, de se rapprocher du socialisme. Illusion qui se dissipa quand l'URSS s'effondra comme un château de cartes. Gorbatchev eut surtout le mérite de ne pas chercher à arrêter par la force la grande mutation historique qui mit fin à la guerre froide.
La Guerre froide de la France , de Georges-Henri Soutou,Tallandier, 588 p., 25,90 €.

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En Israël, le mois de mai de tous les dangers (02.05.2018)
Par Cyrille Louis
Mis à jour le 02/05/2018 à 22h28 | Publié le 02/05/2018 à 20h36
ENQUÊTE - Menace de confrontation avec l'Iran et le Hezbollah, nucléaire iranien, inauguration de l'ambassade des États-Unis à Jérusalem, manifestations à Gaza… La première quinzaine de mai est une succession de rendez-vous à haut risque pour l'État hébreu, qui redoute une escalade sur plusieurs fronts.
Correspondant à Jérusalem

Le général de réserve Amos Yadlin n'est pas connu pour son goût des formules à l'emporte-pièce. Cet ancien pilote de chasse, qui commanda les renseignements militaires et dirige aujourd'hui l'Institut d'études pour la sécurité nationale (INSS), est l'un des experts israéliens les plus influents dans le champ des affaires stratégiques. Il y a une dizaine de jours, il a provoqué un petit électrochoc en déclarant au quotidien Yedioth Ahronoth: «Quand je regarde la séquence qui s'annonce, je me dis que l'État d'Israël n'a pas connu de mois de mai aussi dangereux depuis 1967 et 1973.»
La comparaison n'est pas innocente. À la veille de la guerre des Six Jours, la population et ses dirigeants succombèrent à une profonde crise d'angoisse tandis que l'ennemi mobilisait sur tous les fronts. Fallait-il craindre une invasion égyptienne? Ou bien un raid de la Syrie sur la Galilée? Un demi-siècle plus tard, l'État hébreu a bien sûr considérablement renforcé sa supériorité militaire. Mais son complexe d'encerclement a tout récemment été réactivé par la multiplication des tensions à ses frontières. «Nous ne sommes pas en guerre, a précisé lundi le général Yadlin lors d'un échange avec la presse étrangère, mais nous devons nous préparer à plusieurs événements qui sont susceptibles de conduire à une escalade entre le 12 et le 15 mai prochain.»
Le front iranien est à première vue le plus volatil. L'État hébreu, dont les dirigeants disent vouloir empêcher «à tout prix» une implantation durable des «gardiens de la révolution» en Syrie, leur a récemment porté plusieurs coups durs.
«Vous venez de commettre une erreur historique, une folie qui vous entraîne dans une confrontation directe avec l'Iran»
Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, après les frappes israéliennes contre la base T-4
Le plus spectaculaire fut l'attaque, dimanche soir, d'une base proche de Hama sur laquelle les Iraniens venaient apparemment de réceptionner plusieurs dizaines de missiles. Selon des sources citées par la chaîne américaine NBC News, le raid a été conduit par des F-35 israéliens. Il a provoqué une immense explosion, dans laquelle au moins vingt-six militaires, dont une majorité d'Iraniens, auraient trouvé la mort.
Allaeddine Boroujerdi, le président de la commission parlementaire des affaires étrangères, a promis que son pays «répliquerait en temps et en lieu à cette agression». Des menaces plus claires encore avaient été formulées après les frappes israéliennes contre la base T-4, près de Palmyre, le 9 avril dernier. Quatorze combattants, dont au moins sept Iraniens, avaient alors été tués. Hassan Nasrallah, le chef de la milice libanaise chiite Hezbollah, avait prévenu: «Cette attaque, la première depuis sept ans à viser délibérément des gardiens de la révolution, constitue un tournant qui ne peut être ignoré. Vous venez de commettre une erreur historique, une folie qui vous entraîne dans une confrontation directe avec l'Iran.»
Certains experts israéliens, impressionnés par cette escalade militaire et verbale, estiment qu'il sera difficile d'éviter une conflagration entre deux puissances aux objectifs si manifestement contradictoires. La République islamique, dont les gardiens de la révolution et les milices affidées ont joué un rôle clé dans le sauvetage de Bachar el-Assad, semble résolue à pousser son avantage. Les stratèges israéliens affirment qu'elle cherche à acheminer des systèmes de défense antiaérienne sophistiqués, des missiles balistiques et des drones de combat sur le territoire syrien. «Tout site sur lequel nous constatons une tentative iranienne de s'y implanter militairement sera attaqué», a prévenu Avigdor Lieberman, le ministre de la Défense.
«La détermination de part et d'autre est telle qu'un affrontement entre Israël et l'Iran à la frontière nord peut désormais survenir à tout moment - demain, dans une semaine ou dans un mois»
Amos Yadlin, général israélien de réserve, directeur de l'Institut d'études pour la sécurité nationale (INSS)
Le 10 février dernier, l'armée de l'air israélienne a visé un poste de commande iranien sur la base T-4 en réponse à l'interception d'un drone apparemment muni d'explosifs au-dessus de Beït Shéan. «Les Iraniens préparent la riposte, assure Amos Harel, le correspondant militaire du quotidien Haaretz, et l'armée israélienne est en état d'alerte.» Amos Yadlin, le directeur de l'INSS, met en garde: «La détermination de part et d'autre est telle qu'un affrontement à la frontière nord peut désormais survenir à tout moment - demain, dans une semaine ou dans un mois.»
Les signaux contradictoires envoyés par Donald Trump
La première quinzaine du mois de mai se présente comme une succession de rendez-vous à haut risque. Dans l'hypothèse où l'Iran choisirait de répliquer par l'intermédiaire du Hezbollah, le parti-milice se sentira vraisemblablement plus libre de ses mouvements après les élections législatives libanaises auxquelles il participe dimanche 6 mai. Mais la plupart des experts estiment que la République islamique ne passera pas à l'action avant le samedi 12. Le président des États-Unis, Donald Trump, doit en effet décider à cette date s'il proroge l'accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015, ou s'il choisit au contraire de rétablir les sanctions contre le régime. «Les Iraniens hésiteront probablement à frapper d'ici là. À défaut d'espérer convaincre Washington, ils ont tout intérêt à ne pas braquer les capitales européennes. En cas de rétablissement des sanctions américaines, ceux-ci auront après tout leur mot à dire sur leur applicabilité par les groupes européens qui opèrent en Iran», observe Ofer Zalzberg, analyste au centre de réflexion International Crisis Group.
Le 14 mai, 70e anniversaire de la déclaration d'indépendance de l'État hébreu, est une autre date à surveiller. La nouvelle ambassade des États-Unis à Jérusalem doit être inaugurée ce jour-là en présence des autorités israéliennes ainsi que de hauts responsables américains, dont la fille de Donald Trump, Ivanka, ainsi que son mari Jared Kushner. Le président américain, visiblement désireux d'entretenir le suspense, n'en a pas moins laissé entendre ces derniers jours qu'il pourrait faire le voyage. Le transfert de l'ambassade, annoncé le 6 janvier dernier, a été reçu comme un coup de poignard par les Palestiniens. Cette décision constitue à leurs yeux un revirement inacceptable par rapport aux positions traditionnelles des États-Unis sur le statut de la ville. Donald Trump a depuis lors envoyé des signaux contradictoires, indiquant tantôt que «Jérusalem a été retiré de la table des négociations» et assurant le lendemain que les frontières de la souveraineté israélienne seront définies par des négociations. Les principales factions ont d'ores et déjà appelé la population à manifester sa colère à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, mais le niveau de mobilisation est difficile à anticiper. «On peut aussi imaginer que les groupes armés cherchent à gâcher la fête en tirant des roquettes ou en commettant des attaques contre des Israéliens», complète Ofer Zalzberg.
Signe d'une fébrilité inhabituelle, les députés israéliens ont accepté d'assouplir la procédure de déclaration de guerre
Point d'orgue annoncé de cette séquence délicate, d'importants rassemblements doivent être organisés le 15 mai dans la bande de Gaza. Les Palestiniens commémoreront alors le 70e anniversaire de la «catastrophe» (nakba, en arabe) que constitua pour eux la création d'Israël. Les «marches du retour», qui se déroulent dans cette perspective chaque vendredi depuis le 30 mars le long de la frontière avec l'État hébreu, ont jusqu'à présent réuni des milliers, voire des dizaines de milliers de participants, dont la plupart ont protesté dans le calme. L'armée, résolue à dissuader les plus déterminés de franchir la frontière, a ouvert le feu. Une quarantaine d'entre eux ont été tués et près de 1.900 autres ont été blessés par balle.
Ce lourd bilan a conduit l'ONU et plusieurs pays européens à dénoncer «un usage excessif de la force», «des tirs indiscriminés» ainsi qu'à réclamer une enquête indépendante. Beaucoup craignent que les manifestations du 15 mai, auxquelles le Hamas et les autres factions palestiniennes appellent d'ores et déjà à se rendre en masse, ne se terminent mal. «L'armée n'a pas de bonne solution, admet le journaliste Amos Harel, car elle ne voudra pas prendre le risque de laisser des milliers de Palestiniens accéder aux localités israéliennes situées de l'autre côté de la frontière.» Amos Yadlin, qui accuse le Hamas d'«utiliser des civils pour détruire la frontière», prévient: «Si l'armée se laisse déborder, il y aura un bain de sang.»
Accusé par certains de dramatiser à l'excès ce «mois de mai explosif», l'ancien chef des renseignements militaires a depuis lors précisé qu'il faisait confiance aux généraux israéliens pour gérer le délicat alignement d'étoiles. «Je ne serais pas surpris qu'un ou plusieurs de ces fronts ne s'embrase, dit-il, mais l'armée est préparée à faire face.» Le journaliste Amos Harel et l'analyste Ofer Zalzberg relativisent aussi les risques de guerre à court terme. «Ni l'Iran, ni le Hezbollah, ni le Hamas ne souhaitent s'engager dans une confrontation totale avec Israël», explique ce dernier, tout en reconnaissant que les tensions actuelles accroissent les risques d'incident imprévu. Signe d'une fébrilité inhabituelle, les députés israéliens ont accepté lundi d'assouplir la procédure de déclaration de guerre. Le premier ministre, qui devait jusqu'à présent recueillir une majorité des voix au sein de son gouvernement pour prendre une telle décision, pourra désormais se contenter du soutien de son ministre de la Défense en cas de «situation extrême».

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Vers une sortie de crise en Arménie (03.05.2018)

Par Le figaro.fr
Publié le 03/05/2018 à 10h53
Le chef de l'opposition, Nikol Pachinian, a appelé ses partisans à lever le blocage du pays. Le parti majoritaire a finalement accepté de soutenir sa candidature au poste de premier ministre.
«La question est réglée.» Mercredi, devant des dizaines de milliers de ses partisans réunis à Erevan, capitale arménienne, le leader de l'opposition Nikol Pachinian s'est montré particulièrement optimiste. Il estime avoir reçu le soutien de tous les groupes parlementaires, préalable nécessaire à son élection au poste de premier ministre. Un tel scrutin signerait le dénouement de la crise politique qui paralyse l'Arménie depuis maintenant trois semaines.
Mardi, Pachinian avait échoué à se faire élire. Le Parti républicain, qui dispose de 58 des 105 sièges du Parlement, n'avait pas voté pour lui, préférant soutenir, sans succès, son propre candidat. Pachinian n'avait récolté que 45 des 53 voix nécessaires pour l'emporter. Cet échec avait porté le mouvement de contestation populaire à son paroxysme. Nikol Pachinian avait appelé ses partisans «à la désobéissance civile» dans l'ensemble du pays. La capitale, Erevan, était restée paralysée toute la journée, routes, métros et trains étant passé sous le contrôle des manifestants.
«Nous proclamerons notre victoire»
Les responsables du parti républicain ont fini par céder, en fin de journée, annonçant que leur formation ne présentera pas de candidat au prochain scrutin, prévu le 8 mai, et soutiendra celui qui récoltera un minimum de soutien des autres formations du Parlement. «Le 8 mai, la République d'Arménie aura un premier ministre constitutionnellement élu», a ainsi assuré le président du groupe parlementaire.
Un résultat satisfaisant pour Nikol Pachinian qui a invité ses milliers de partisans à rentrer chez eux pour «se reposer». «Le 8 mai, nous serons 500.000 personnes à nous réunir ici et nous proclamerons notre victoire», a-t-il lancé à la foule, vêtu comme à son habitude de son t-shirt treillis et de sa casquette noire.

Des dizaines de milliers de personnes étaient réunies pour écouter le discours du leader de l'opposition. - Crédits photo : Sergei Grits/AP
Manipulation
Depuis trois semaines, de nombreux Arméniens manifestent quotidiennement contre ce qu'ils estiment être une manipulation du pouvoir en place. En 2017, une réforme constitutionnelle, applicable cette année, avait fait de l'Arménie une république parlementaire, transférant au premier ministre la majorité des pouvoirs du président. Serge Sarkissian, qui dirige le pays depuis 10 ans et effectue son deuxième et dernier mandat présidentiel, avait annoncé qu'il était candidat à ce poste de premier ministre renforcé, prolongeant ainsi artificiellement son règne.
Face à ce tour de passe-passe très poutinien, une partie des Arméniens étaient immédiatement descendus dans la rue pour protester. Cela n'avait pas empêché les parlementaires d'élire mi-avril Sarkissian au poste de premier ministre, aggravant par là même les manifestations. Dans le même temps, Pachinian était arrêté. Mais face à la pression de la rue, Sarkissian avait fini par relâcher l'opposant et à démissionner, le 23 avril. «Nikol Pachinian avait raison, j'avais tort», s'excusa-t-il. Depuis, la situation restait cependant bloquée par ses partisans, majoritaires au Parlement. Un premier ministre par intérim a été nommé pour diriger le pays.

Le 2 mai, les partisans de Nikol Pachinian bloquent les rues de la capitale, Erevan. - Crédits photo : GLEB GARANICH/REUTERS
Si le 8 mai les parlementaires ne parviennent pas à élire un nouveau chef de gouvernement, l'Assemblée sera dissoute et des élections convoquées au maximum un mois et demi plus tard. Compte tenu du mouvement qui traverse actuellement le pays, les politologues estiment que le Parti républicain, actuellement majoritaire, pourrait être balayé lors d'une élection anticipée. Une donnée que les députés auront certainement en tête mardi prochain lorsqu'il leur faudra se mettre d'accord sur le nom du premier ministre.
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Arménie : ces activistes derrière la «révolution de velours» (02.05.2018)
Par Régis Genté et Service InfographieMis à jour le 02/05/2018 à 19h22 | Publié le 02/05/2018 à 19h15
REPORTAGE - Une longue histoire de mobilisations a nourri le mouvement de contestation en train d'emporter le régime de Serge Sarkissian.

Après le refus du Parlement, mardi, d'élire Nikol Pachinian premier ministre, l'opposant a demandé aux Arméniens de bloquer le pays mercredi matin à 8 h 15. À cette heure précise, les rues d'Erevan ont été fermées, ainsi que la route menant à l'aéroport et l'accès à certains édifices publics. «Nous avons appris de nos précédents mouvements qu'il ne faut pas centraliser l'action en un point de la ville, explique Armen Grigorian, un des cerveaux de la révolution arménienne et coordinateur de projets dans l'ONG Transparency International. Un des moments importants dans cette prise de conscience a été la contestation de l'élection parlementaire d'avril 2017. On s'est retrouvés coincés dans une rue, la police est intervenue et quarante-six manifestants ont été blessés.»
La dure leçon d'avril 2017 a été retenue, après bien d'autres engrangées au fil des combats ayant marqué l'Arménie depuis son indépendance en 1991. «On a compris, par exemple, qu'il fallait rester sur une ligne pacifiste, après notamment être entrés en force dans le Parlement en 2004. Cela ne nous a menés à rien et a aidé le pouvoir à nous dépeindre comme irresponsables», raconte Arsen Kharatian, 36 ans, membre fondateur du Contrat civique de Nikol Pachinian, avant que la formation ne devienne pleinement un parti politique.
Malgré un régime qui s'est durci pendant les deux mandats présidentiels de Serge Sarkissian - le premier a notamment été inauguré avec la mort le 1er mars 2008 de dix manifestants qui protestaient contre de nouvelles élections falsifiées -, les mobilisations civiques se sont multipliées: en 2010, pour sauver le cinéma en plein air Moscou, architecture moderniste des années 1960 que le capitalisme mafieux arménien s'apprêtait à démolir ; en 2011, pour préserver les chutes de Trchkan alors que des industriels lorgnaient le site ; la même année, pour empêcher la destruction du parc Mashtots au centre de la capitale ; en 2013, contre l'augmentation des tarifs des transports publics et, en 2015, avec le mouvement «voch t'alanin» («Pas de vol») contre la hausse du prix de l'électricité…
«On a compris qu'il fallait rester sur une ligne pacifiste. Être entrés en force dans le Parlement, en 2004, ne nous a menés à rien et a aidé le pouvoir à nous dépeindre comme irresponsables»
Arsen Kharatian, membre fondateur du Contrat civique de Nikol Pachinian
À chaque fois, la créativité et la détermination ont été au rendez-vous. «Un groupe de 6.000 personnes, liées entre elles par des pages Facebook et d'autres médias sociaux, étaient au cœur de ces actions. Lorsque, en 2012, quelqu'un a été tué par balles dans un restaurant de Ruben Harapétian, un oligarque au profil criminel qui finançait le parti présidentiel, nous nous sommes mis à plusieurs juristes pour prouver sa responsabilité, se souvient Mher Arshakian, activiste de 42 ans, qui a étudié le droit en Suisse. Lors de la remise de conclusions par ses avocats, la veille d'une audition, alors qu'ils auraient dû le faire neuf jours avant, nous nous sommes mis à une dizaine pour étudier les 1.000 pages du dossier et, le lendemain matin, nous présentions nos observations à la justice, avec des poches sous les yeux mais heureux.»
«Pour moi, c'est l'action “On paie 100  drams” (monnaie nationale) qui a joué un rôle très important dans notre éducation citoyenne. C'était en 2011 pour s'opposer à l'augmentation injustifiée des tarifs des transports publics. L'idée était de payer 100 drams à chaque fois qu'on prenait le bus, et non 150, comme le voulaient les autorités, témoigne Gohar Saroyan, activiste de tous les combats et employée dynamique dans le secteur des technologies de l'information. Chaque autobus est devenu un lieu de désobéissance civile. Quant au mouvement, il a amené des gens d'horizons sociaux très différents à agir ensemble.» En juillet 2013, l'augmentation desdits tarifs était annulée.
Un mouvement imaginé par une douzaine de personnes
Ces mobilisations sont les petites rivières qui ont conduit au fleuve en train d'emporter le régime de Serge Sarkissian. «Ces actions étaient formidables, mais pas politisées. Du coup, le pouvoir disait ok, on a compris, mais cela ne changeait rien. C'est le système qu'il fallait changer», explique Arsen Kharatian. Et selon ce dernier, la «clique au pouvoir» a été attendue au tournant lorsque Serge Sarkissian a voulu changer la Constitution pour rester au pouvoir, comme premier ministre, et ainsi enchaîner avec un troisième mandat présidentiel qui ne disait pas son nom.
«En 2014, Sarkissian a promis de ne pas devenir chef du gouvernement s'il changeait la Constitution, puis il l'a changée en 2015. Personne ne l'a cru et nous nous sommes préparés à empêcher cela. En mars dernier, une douzaine d'activistes expérimentés se sont rassemblés chaque jour pour mettre en place un plan contre son projet. Nous avons alors réfléchi à nos expériences et étudié celles utilisées à l'étranger», révèle Arsen Kharatian.
La «révolution de velours» arménienne a donc été imaginée par une douzaine de têtes, qui ont lancé en mars «Rejeter Serge». Mais le mouvement s'est ensuite appuyé sur des milliers d'autres activistes vivant dans le même univers depuis des années. Trois semaines plus tard, ils étaient contactés par le parti de Nikol Pachinian et décidaient d'agir ensemble.

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PUBLIÉ PAR PIERRE LURÇAT LE 5 MAI 2018

Il faut lire attentivement le discours de Mahmoud Abbas, prononcé le 1er mai devant le Conseil national palestinien à Ramallah, que l’institut MEMRI vient de traduire intégralement.
Il est intéressant et révélateur à plusieurs titres, et le plus intéressant n’est pas forcément ce qui a attiré l’attention des médias et les condamnations de l’UE et de plusieurs pays occidentaux, ceux-là mêmes qui ont depuis longtemps présenté Abbas comme un “modéré” et comme le seul “partenaire” possible du “processus de paix” israélo-palestinien.
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Le Hamas et les “manifestants pacifiques”
Sur le sujet de la “marche du retour” organisée par le Hamas à la frontière de Gaza, Abbas montre en quelques mots l’inanité de l’opposition souvent établie entre les “radicaux” du Hamas et les “pragmatiques” du Fatah et de l’Autorité palestinienne. « J’ai entendu que les frères de la direction du Hamas à Gaza parlent d’une résistance pacifique et populaire. C’est une bonne chose. De fait, ce qui arrive à la frontière de [Gaza], dans le cadre du Soulèvement du Retour, est une résistance pacifique et populaire”.

Non seulement Abbas soutient la “résistance pacifique” du Hamas, mais il qualifie les dirigeants du Hamas à Gaza de “frères”… Le plus intéressant est toutefois la suite de son propos : « Mais je demande honnêtement que vous éloignez les enfants un peu plus loin de la portée des balles. Tenez les enfants à distance. Nous ne voulons pas devenir un peuple de personnes mutilées”.
Ainsi, le président de l’AP expose crûment le grand mensonge des “manifestants pacifiques” et ce qui fait le coeur de la propagande palestinienne : l’utilisation des enfants comme chair à canon et la volonté du Hamas de susciter le plus grand nombre de victimes civiles dans sa propre population, à des fins de propagande, pour exposer Israël aux critiques occidentales…
Les Juifs, l’argent et l’antisémitisme marxiste
Le point du discours d’Abbas qui a fait couler le plus d’encre et suscité les condamnations internationales est celui relatif à l’antisémitisme, qu’il attribue à la fonction remplie par les juifs dans l’économie. En réalité, Abbas se montre à cet égard un élève fidèle de la pensée marxiste, à laquelle il a été abreuvé lors de son séjour à l’université Patrice Lumumba de Moscou, dans les années 1980 ( C’est lors de ce séjour à Moscou qu’Abbas a rédigé sa thèse négationniste intitulée “Les relations secrètes entre le nazisme et le mouvement sioniste”, dont il reprend certains éléments dans son discours de Ramallah).

C’était Karl Marx. [Il a dit que] la raison de la haine des juifs n’était pas leur religion, mais leur fonction dans la société. C’est une question différente. Ainsi la question juive, qui était prévalente dans tous les pays européens… le [sentiment] antijuif n’était pas dû à leur religion, mais à leur fonction dans la société, qui avait à voir avec l’usure, les banques, etc.” Rappelons la phrase tristement fameuse de Marx, dans La question juive, dont Abbas reprend à son compte la thèse antisémite : “Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son dieu profane ? L’argent”.
Mais le plus intéressant et révélateur dans le discours d’Abbas n’est pas là. Dans la foulée de son attaque contre les Juifs usuriers, il explique très sérieusement que la preuve (de la cause “objective” de la haine contre les juifs) est le fait qu’ils n’ont jamais subi la moindre haine dans les pays musulmans… “La meilleure preuve de cela est qu’il y avait des juifs dans les pays arabes, alors comment expliquer qu’il n’y a jamais eu un seul incident contre les juifs, uniquement du fait qu’ils étaient juifs? Vous pensez que j’exagère? Je vous mets au défi de trouver un seul incident contre les juifs, dû au seul fait qu’ils étaient juifs, dans un quelconque pays arabe”.
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Abbas, le KGB et l’invention du peuple palestinien
Aux yeux de Mahmoud Abbas, qui reprend ainsi une vieille antienne de la propagande arabe, l’antisémitisme n’existe pas dans les pays arabes (d’ailleurs, les Arabes sont sémites, selon un fameux sophisme). Il rejoint ainsi la fameuse affirmation, pièce centrale de l’édifice idéologique anti-sioniste, qui veut que le monde arabe-musulman soit exempt de tout antisémitisme.

Abbas, créature de l’ex-URSS et du KGB, dont il a servi d’agent sous le nom de code de “Krotov” (la “taupe” en russe…) comme l’ont récemment révélé les chercheurs Isabella Ginor et Gideon Remez en exhumant des documents d’archive des services secrets soviétiques, a succédé à Yasser Arafat dans le rôle de dirigeant du “peuple palestinien”. Comme Arafat avant lui, Abbas est un pur produit de la diplomatie secrète soviétique, qui s’est servie de la cause palestinienne – largement inventée par le KGB – pour promouvoir ses intérêts au Moyen-Orient.Le mouvement national palestinien peut se flatter d’être sans doute le seul nationalisme contemporain qui a bénéficié du double soutien de l’Allemagne nazie (à l’époque du tristement célèbre Mufti de Jérusalem, Amin Al-Husseini, oncle d’Arafat) et de l’URSS.
Dans la période de grand chamboulement géopolitique et idéologique que nous vivons actuellement, les mensonges sur lesquels s’est édifiée l’idéologie pro-palestinienne et pro-arabe sont en train de voler en éclats les uns après les autres. Après le tabou de l’antisémitisme musulman, qui a été mis à jour par un manifeste courageux, à l’initiative de Philippe Val et d’autres, c’est le mensonge palestinien qui est en train d’être exposé au grand jour.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre Lurçat pour Dreuz.info.

La chambre des Lords veut bloquer le Brexit s'il n'est pas négocié avec l'Union européenne (30.04.2018)
Majoritairement pro-Union européenne, les Lords ont adopté un amendement qui donne au Parlement le pouvoir d'empêcher le divorce avec Bruxelles en l'absence d'accord. 
Theresa May, le 16 avril 2018, à Londres.  (PRU / AFP)

franceinfo avec AFPFrance Télévisions
Mis à jour le 30/04/2018 | 23:49
publié le 30/04/2018 | 23:49
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LA NEWSLETTER ACTUNous la préparons pour vous chaque matin
Le Brexit pourrait-il être remis en cause ? La chambre des Lords britannique a adopté, lundi 30 avril, un amendement au projet de loi sur le Brexit donnant au Parlement le pouvoir d'empêcher le gouvernement de quitter l'Union européenne en l'absence d'accord avec Bruxelles.
Majoritairement pro-Union européenne, la chambre des Lords –  l'équivalent du Sénat – a adopté le texte à 335 voix contre 244. Cette proposition offre aux parlementaires la possibilité "de suggérer de nouvelles négociations", voire de décider d'un maintien dans l'Union européenne, a expliqué le Lord conservateur Douglas Martin Hogg, un des signataires.
Un camouflet pour Theresa May
Jusque-là, le gouvernement conservateur de Theresa May avait indiqué qu'il laisserait le Parlement voter sur l'accord de divorce, tout en affirmant qu'en cas de rejet, la seule option resterait une sortie sans accord. Ce qu'entend empêcher ce nouvel amendement. Le texte doit toutefois revenir dans les prochaines semaines devant les députés, qui l'avaient adopté en janvier et qui pourraient donc supprimer cet amendement.
Avec ce vote, l'exécutif britannique encaisse un énième revers. Avant même son adoption, un porte-parole de la Première ministre avait prévenu que l'amendement risquait "d'affaiblir la main du Royaume-Uni dans les négociations sur le Brexit".
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Pour Donald Trump, «un client armé» aurait pu sauver des vies lors des attentats à Paris (04.05.2018)
Par Yohan Blavignat
Mis à jour le 04/05/2018 à 22h14 | Publié le 04/05/2018 à 21h51
À la convention annuelle de la NRA, le puissant lobby pro-armes à feu, organisée à Dallas ce vendredi, le président américain a vivement défendu le doit de posséder une arme, jugeant que la présence de personnes armées aurait pu limiter le drame du 13-Novembre en France.
Six semaines après la fusillade de Parkland, en Floride, qui a fait 17 morts, les mots de Donald Trump à l'occasion de la convention annuelle de la National Rifle Association (NRA), le premier lobby américain des armes, étaient scrutés de près. Dans la ville texane de Dallas, où la culture des armes est particulièrement vivace, le locataire de la Maison-Blanche, accompagné du vice-président Mike Pence, a affiché son soutien à cette «grande organisation qui aime son pays» et a affirmé que les attentats du 13-Novembre à Paris auraient fait moins de morts si les victimes avaient été armées.
«Personne n'a d'arme à Paris et on se souvient tous des 130 personnes tuées»
Donald Trump
«Personne n'a d'arme à Paris et on se souvient tous des 130 personnes [tuées] et du nombre énorme de personnes horriblement, horriblement blessées», a-t-il affirmé dans son discours. «Elles ont été tuées brutalement par un petit groupe de terroristes qui avaient des armes. Ils ont pris leur temps et les ont tués un par un. Boum, viens là; boum, viens là; boum, viens là», a raconté le président, en faisant avec la main le geste d'un djihadiste tirant au pistolet sur les victimes. «Mais si un employé, ou juste un client avait eu une arme, ou si l'un de vous dans l'assistance avait été là avec une arme pointée dans la direction opposée, les terroristes aurait fui ou se seraient faits tirer dessus, et ça aurait été une toute autre histoire», a-t-il poursuivi.
Donald Trump a également exhorté les défenseurs du droit à posséder une arme à soutenir les candidats républicains aux élections de mi-mandat en novembre prochain, avertissant que les démocrates feraient tout pour limiter le Deuxième amendement de la Constitution américaine qui protège le droit pour un citoyen de détenir une arme. «La seule chose qui se dresse entre les Américains et la suppression du Deuxième amendement est la présence des conservateurs au Congrès», a-t-il martelé devant une foule de 70.000 personnes.
C'est la quatrième année de suite que Donald Trump assiste à cette convention. La NRA a largement financé la campagne de Donald Trump en 2016. Au total, le lobby conservateur avait versé au candidat républicain plus de 30 millions de dollars, établissant un nouveau record de dons. Donald Trump est, d'ailleurs, le premier président depuis Ronald Reagan à s'exprimer régulièrement aux conventions de la NRA. Ce vendredi, quelque 80.000 personnes étaient présentes pour écouter le discours du chef de l'État.
En 2017, Donald Trump avait déclaré lors de cette convention: «Vous êtes venus à mon aide, je vais maintenant venir à la vôtre (...). Vous avez désormais un ami et un champion à la Maison-Blanche». Cette allocution très commentée avait enterré tout espoir de changement de la législation en faveur d'un contrôle plus efficace des armes à feu.
Un contexte différent
Le discours de ce vendredi s'inscrit toutefois dans un tout autre contexte. Depuis la fusillade dans un lycée de Floride le 14 février et la plus grande manifestation contre les armes à feu de l'histoire américaine organisée à Washington le 24 mars dernier, de nombreuses voix se sont élevées - notamment au sein de la jeunesse - contre les fabricants d'armes à feu aux États-Unis et la dissémination des fusils d'assaut dans le pays. Le tireur, Nikolas Cruz, âgé de 19 ans, avait ouvert le feu dans son ancien établissement de Parkland avec un fusil semi-automatique type AR-15, acheté légalement malgré des antécédents psychologiques. Le drame a généré une mobilisation nationale, aiguillée par les lycéens rescapés de la fusillade, pour exiger un durcissement de la législation sur les armes à feu, qui font plus de 30.000 morts par an dans le pays.
L'émotion suscitée par le drame de Parkland avait même failli ébranler les convictions de Donald Trump, dont les positions sur les armes à feu ont évolué au fil des années. Après avoir épinglé publiquement plusieurs élus républicains pour leurs liens avec la NRA, le président républicain, qui se décrit comme «un fan» de l'organisation, a par ailleurs pris une mesure relativement consensuelle en demandant l'interdiction des «bump stocks». Ce dispositif qui permet de tirer en rafale a été utilisé lors de la fusillade la plus meurtrière de l'histoire du pays: 58 morts lors d'un concert de musique country à Las Vegas en octobre 2017. Il a également évoqué le relèvement de l'âge légal pour acheter des armes semi-automatiques, de 18 à 21 ans, une idée combattue par la NRA.
Dans les faits, aucune avancée législative majeure n'a été opérée, le Congrès à majorité républicaine y étant opposé. Le lobby pro-armes, qui revendique environ cinq millions de membres, est pour beaucoup dans cet immobilisme. Après Parkland, le président de la NRA, Wayne LaPierre, a notamment dénoncé «la politisation honteuse de la tragédie», en référence aux appels à une régulation plus sévère. Sa porte-parole, Dana Loesch, fustige régulièrement «les médias dangereux» qui s'affichent anti-armes.
Paradoxalement, les armes ont été bannies du site du meeting organisé ce vendredi, conformément aux ordres du Secret Service, la police d'élite chargée de la protection des hauts responsables aux États-Unis.
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Journaliste

Liban : le Hezbollah, force incontournable du jeu politique (04.05.2018)

Par Sunniva Rose
Mis à jour le 04/05/2018 à 20h11 | Publié le 04/05/2018 à 20h05
REPORTAGE - Le Parti de Dieu, pro-iranien, veut peser sur les élections législatives prévues pour le 6 mai. Ses prouesses militaires sont un atout et le bilan économique du pays, désastreux, lui offre des arguments faciles.
Envoyée spéciale dans la Bekaa
Dans le village verdoyant d'Ali Nahri, dans la plaine de la Bekaa au Liban, le drapeau jaune du Hezbollah est omniprésent. Le mouvement politico-militaire chiite est fortement implanté dans cette région voisine de la Syrie. Quelques jours avant les élections législatives prévues pour le 6 mai, les partisans du candidat local du Hezbollah, Anouar Jomaa, prennent le café devant la maison de location qui fait office de QG.
«S'il est élu, notre député défendra nos idées. En premier lieu, notre droit aux armes», déclare Ali Badra, 27 ans. Il alterne une semaine au Liban, une semaine en Syrie, où il se bat avec plusieurs milliers d'autres jeunes du Hezbollah pour défendre le régime de Bachar el-Assad. Contre qui? «Le Front al-Nosra et l'Armée syrienne libre», répond-il, sans donner plus de détails.
Au nom de la lutte contre Israël, le Hezbollah est la seule milice à avoir gardé ses armes après la fin de la guerre civile libanaise (1975-1990). «Si les Libanais vivent en paix, c'est grâce à ces jeunes-là», renchérit Anouar Jomaa, ancien journaliste de la télévision du Hezbollah, al-Manar, qui se lance pour la première fois en politique. Dans son salon, trône un portrait souriant du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
Le Parti de Dieu, pro-iranien, tire sa force politique au Liban de ses prouesses militaires. Six ans après s'être battu contre Israël en 2006, il s'est engagé aux côtés de Bachar el-Assad pour combattre la rébellion syrienne. Une expérience qui lui a permis d'appuyer l'armée libanaise lorsqu'elle a combattu l'État islamique à la frontière libano-syrienne l'été dernier.
«S'il est élu, notre député défendra nos idées. En premier lieu, notre droit aux armes »
Ali Badra
«Les chiites, qui représentent entre 35 % et 40 % de la population libanaise, se sentent menacés par les groupes djihadistes sunnites. Ils se positionnent naturellement derrière l'acteur politique le plus fort», observe Joseph Daher, maître de conférences à l'université de Lausanne. «Le Hezbollah s'est imposé comme le représentant de tous les chiites. C'est sa force.»
Et tant pis pour les chiites indépendants qui tentent de faire campagne contre le Hezbollah. Ali el-Amine, candidat dans le Sud-Liban, fief du parti, s'est fait rouer de coups par une trentaine de jeunes lorsqu'il a tenté de coller une de ses affiches dans son village natal de Chakra. Selon lui, le Hezbollah est derrière l'attaque. Le parti dément. «Je ne représente objectivement aucun danger en termes de votes, mais c'est important pour le Hebzollah de montrer que personne ne s'oppose à lui parmi les chiites», explique-t-il.
Si le Hezbollah est fort, c'est surtout parce que ses opposants sont faibles. L'alliance pro-occidentale du 14 Mars, née à la suite de l'assassinat du premier ministre Rafic Hariri en 2005, est divisée. Selon Hanin Ghaddar, chercheuse invitée au Washington Institute, «la rhétorique anti-Hezbollah du 14 Mars, caractéristique des dernières élections législatives, s'est atténuée. Et tout le monde se souvient de sa démonstration de force de mai 2008 à Beyrouth, lorsque le Hezbollah a prouvé sa capacité à changer le cours de la politique libanaise avec ses armes».
Si le Hezbollah est fort, c'est surtout parce que ses opposants sont faibles
Le bilan économique du pays, désastreux, offre également des arguments faciles pour le Hezbollah. À près de 150 % du PIB, la dette publique libanaise est la troisième plus élevée au monde, derrière le Japon et la Grèce. Dans un discours, le 21 avril dernier, Hassan Nasrallah accusait le Courant du futur - dirigé par le premier ministre Saad Hariri (sunnite) - d'avoir «échoué» dans sa gestion économique du Liban, alors que le Hezbollah peut se targuer d'avoir «protégé le pays».
«Grâce à l'éclatement du paysage politique et l'apathie générale, personne ne remet en cause les slogans du Hezbollah», souligne Joseph Bahout, chercheur invité à la Fondation Carnegie, basée à Washington. «Après neuf ans de blocage de la vie politique, on s'attendait à un débat plus conséquent sur les grands enjeux politiques et économiques. Mais les Libanais se retrouvent face à des listes incohérentes. Les mêmes partis s'allient dans certaines régions et pas dans d'autres, simplement pour que leurs candidats soient élus.» Repoussées plusieurs fois, les dernières élections législatives remontent à 2009.
Une nouvelle loi électorale votée l'année dernière avait pourtant donné espoir aux petits partis de percer en introduisant un mode de scrutin proportionnel. Mais le système de voix préférentielle renforce le vote confessionnel dans un pays où 18 communautés religieuses coexistent. Avec son allié Amal, le Hezbollah semble être parti pour remporter à nouveau l'écrasante majorité des 27 sièges réservés aux chiites au Parlement.

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Propos antisémites: Israël refuse les excuses du président palestinien (04.05.2018)
Par Camille Calvier et AFP agencePublié le 04/05/2018 à 17h45
Le 30 avril dernier, Mahmoud Abbas avait suggéré, lors d'un discours, que les massacres perpétrés contre les juifs d'Europe étaient dus à leur rôle social, notamment dans le secteur bancaire, et non pas à l'antisémitisme. Il a présenté ses excuses dans un communiqué, ce vendredi.
Mea culpa. Le président palestinien Mahmoud Abbas a présenté des excuses, ce vendredi, après les propos, largement dénoncés comme étant antisémites par la communauté internationale, qu'il avait tenus lundi dernier lors de la réunion du Conseil national palestinien, le Parlement de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).
«Si mes propos devant le Conseil national palestinien ont offensé des gens, en particulier des gens de confession juive, je leur présente mes excuses», a déclaré Mahmoud Abbas dans un communiqué où il assure condamner l'Holocauste et «l'antisémitisme sous toutes ses formes». Il a ajouté réaffirmer son «respect total pour la religion juive, ainsi que pour toutes les religions monothéistes», précisant qu'il n'avait pas intention d'offenser les personnes de confession juive.
Israël a tout de suite réagi par l'intermédiaire du ministre de la Défense. Sur Twitter, Avigdor Lieberman a déclaré refuser les excuses du dirigeant palestinien. Mahmoud Abbas «est un pathétique négationniste de la Shoah qui a écrit un doctorat sur la négation de la Shoah, puis un livre sur la négation de la Shoah», a écrit le ministre en faisant référence à des écrits passés qui ont déjà valu des accusations d'antisémitisme au président palestinien. Mahmoud Abbas est soupçonné d'antisémitisme depuis la publication de sa thèse de doctorat en 1983, dans laquelle il doutait du nombre de victimes de l'Holocauste et évoquait des collaborations entre sionistes et nazis en vue de peupler la Palestine sous mandat britannique de juifs.
Réélu à la tête de l'OLP
Le 30 avril dernier, le président palestinien avait suggéré, lors d'un discours devant les délégués du parlement de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), que les massacres perpétrés contre les juifs d'Europe étaient dus au rôle social des juifs (notamment dans le secteur bancaire), et non pas à l'antisémitisme. Il avait invoqué «trois livres» écrits par des juifs comme preuves créditant ses propos.
Dans un contexte international traversé par de vives tensions sur la question des territoires palestiniens, les propos du président Abbas lui avaient valu les condamnations communes des Israéliens, des Américains, des Européenns et de l'ONU. Les relations entre les Palestiniens et l'administration américaine ne sont pas au beau fixe depuis la décision du président Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël et d'y transférer l'ambassade des États-Unis actuellement à Tel-Aviv. Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou avait lui aussi réagi en accusant Mahmoud Abbas d'antisémitisme et de négationnisme sur Twitter mercredi dernier, exhortant la communauté internationale à le condamner.
Le dirigeant palestinien a d'ailleurs été réélu ce vendredi président du comité exécutif de l'OLP, organisation représentante des Palestiniens, après une réunion de quatre jours au Conseil national palestinien, organisé en Cisjordanie occupée. À 82 ans, Mahmoud Abbas a été unanimement approuvé à ce poste, qui vaut office de «président de l'État de Palestine». Le dirigeant avait lui même convoqué cette réunion, la première depuis 22 ans, afin d'établir une stratégie en guise de réponse à la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël.
Le conflit israélo-palestinien n'est plus que jamais d'actualité. Un grand mouvement de contestation, appelé «la grande marche du retour», fait rage depuis le 30 mars. Il revendique le droit des Palestiniens de retourner sur les terres dont ils ont été chassés ou qu'ils ont fuies à la création d'Israël en 1948. Plus d'une quarantaine de Palestiniens ont été tués par l'armée israélienne, dans des affrontements à la frontière dans la bande de Gaza, depuis le début de la contestation.
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Camille Calvier
Theresa May confortée par les élections locales en Grande-Bretagne (04.05.2018)
Par Florentin Collomp
Publié le 04/05/2018 à 17h12
La déroute annoncée des conservateurs au profit de l'opposition travailliste ne s'est pas produite. La première ministre marque des points dans les bastions du Brexit.
Correspondant à Londres
Les conservateurs et les travaillistes sortent au coude-à-coude d'un test électoral grandeur nature en Grande-Bretagne. Les deux grands partis recueillent chacun 35% des voix exprimées lors du scrutin local de jeudi, destiné à renouveler 150 conseils municipaux et territoriaux à travers le pays. Ils sont suivis par les centristes du Parti libéral démocrate, proeuropéen, à 16%. Le parti europhobe Ukip (United Kingdom Independence Party) s'effondre et perd l'essentiel de ses sièges remis en jeu.
La vague de gauche attendue, notamment à Londres, ne s'est pas matérialisée. Ce scrutin était présenté depuis des mois comme à haut risque pour le leadership de Theresa May. La première ministre a évité l'écueil et pourra, du moins dans l'immédiat, conforter son autorité, surtout mise en mal dans son propre parti qui se déchire sur le Brexit. Aucun des arrondissements convoités par le Labour dans la capitale, qui avait massivement voté pour rester dans l'Union européenne, ne passe à gauche, notamment ceux de Westminster, Wandsworth, Kensington & Chelsea ou Barnet. Dans ce quartier du nord de Londres à forte population juive, les travaillistes ont été affectés par les polémiques récurrentes sur l'antisémitisme au sein du parti.
«Attentes trop élevées» du Labour
La droite traditionnelle, quant à elle, a regagné du terrain aux dépens de l'Ukip. Elle enregistre ses meilleures performances dans les régions où le vote pour le Brexit était le plus élevé. «Les électeurs qui ont voté pour quitter l'UE sont ceux qui apportent le plus de soutien à Theresa May», note le professeur de sciences politiques John Curtice. Mais pas seulement.
En visite dans la municipalité de Wandsworth, au sud de Londres (qui avait voté à 72% contre la sortie de l'Europe), conservée par les Tories, Theresa May s'est promise de «capitaliser sur ce succès pour l'avenir». «Le Labour pensait pouvoir prendre le contrôle, ils ont tout fait pour, c'était l'un de leurs objectifs prioritaires, et ils ont échoué», s'est-elle réjouie.
« Le Labour paye le prix d'avoir eu des attentes trop élevées. »
John Curtice, professeur de sciences politiques
En face, le leader travailliste Jeremy Corbyn s'est lui aussi félicité de «résultats solides». «Je suis naturellement déçu là où nous avons perdu terrain. Mais si vous regardez le tableau d'ensemble, le Labour a gagné de nombreux sièges à travers le pays, beaucoup de voix à des endroits où cela n'avait jamais été le cas», a-t-il poursuivi.
Les travaillistes se sont offert une victoire dans le port de Plymouth, repris à la droite. Ils enregistrent certes une progression par rapport au dernier scrutin local, mais ne creusent pas l'écart de façon suffisante avec le parti au pouvoir pour espérer un renversement du rapport de forces. «Le Labour paye le prix d'avoir eu des attentes trop élevées», souligne John Curtice.
Correspondant à Londres
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Les désillusions de Feriana, fief de la révolution tunisienne (04.05.2018)

Par Maryline Dumas
Mis à jour le 04/05/2018 à 19h27 | Publié le 04/05/2018 à 19h17
Appelés à voter, dimanche, pour le premier scrutin local libre depuis la révolution de 2011, les Tunisiens devraient bouder les urnes.
À Feriana
Le printemps tunisien est parfois trompeur. Alors qu'un doux soleil avait illuminé la matinée, la pluie a ensuite inondé la ville de Feriana, à 350 km au sud-ouest de Tunis. Dans cette région agricole, l'eau est une richesse. Les habitants ne se sont pas plaints de devoir traverser les rues transformées en rivières, mais ils n'ont pas manqué de souligner qu'il reviendra à leur prochain conseil municipal de leur éviter pareils désagréments. Dimanche, pour la première fois depuis la révolution de 2011, les Tunisiens sont appelés à élire librement leurs élus locaux.
«Inch'Allah, la saison prochaine, il y aura un système pour que l'eau s'écoule», sourit Fatma, qui cherche à traverser au sec. Cette quinquagénaire n'a pas encore fait son choix: «Je ne voterai pas pour un parti, c'est tout ce que je sais. Ils n'ont apporté que corruption et lutte de pouvoir. Les promesses des élections (législatives et présidentielle) de 2014, elles se sont envolées!» À Feriana, située dans une région berceau de la révolution, cinq listes se présentent: deux sont indépendantes et trois représentent des partis politiques.
« Moi, je voterai pour la liste où les jeunes sont le plus mis en avant»
Chadly, enseignant retraité
Selon la loi, ces listes sont paritaires et comportent un sixième de jeunes de moins de 35 ans. «Moi, je voterai pour la liste où les jeunes sont le plus mis en avant, affirme Chadly, enseignant retraité. C'est eux qui ont fait la révolution, c'est à eux de prendre les commandes.»
Les jeunes ne semblent pourtant pas intéressés par ces élections. Dans le café de l'hôtel Mabrouk, à deux pas de la mairie, un groupe fume la chicha: «Nous n'irons pas voter, nous ne sommes même pas inscrits. Cela ne sert à rien.» Dimanche 29 avril, soldats et policiers, qui votaient par anticipation, ont donné le ton avec une participation de 6 % à Feriana. Au niveau national, celle-ci a atteint 12 %. «Une participation de 35 % serait déjà pas mal», commente un fonctionnaire. «C'est Nidaa Tounès (le parti présidentiel) et Ennahdha (le premier parti de l'Assemblée) qui vont en profiter. Leurs militants iront voter, quoi qu'il arrive. Nous, les indépendants, nous savons que notre électorat se trouve chez les abstentionnistes», explique Nasser Tlili de la liste Feriana pour tous. Le mode de scrutin proportionnel pourrait cependant permettre à chaque liste de siéger. «Cela va causer des problèmes de gestion. Il va falloir discuter, négocier», regrette Mohamed Lamine, présenté comme le «cheikh» du parti islamiste Ennahdha à Feriana. Il s'attend à 30 % de vote en faveur de sa formation: «Les partis sont critiqués à cause de la déception liée au chômage et à la pauvreté, mais ils vont remporter les élections car ce sont les mieux organisés.» Dans le gouvernorat de Kasserine, où se situe Feriana, le chômage est largement supérieur à la moyenne nationale de 15 %.
Multiplication des promesses
En tête de la liste indépendante Feriana pour tous, Ali Hermassi utilise sa puissance économique comme argument électoral. Pour ce dirigeant d'une dizaine d'entreprises, avec 500 employés et un chiffre d'affaires de 120 millions de dinars (40,6 millions d'euros), le 1,3 million de dinars (440.200 €) de budget et les 64 agents de Feriana ne pèsent guère. «Pour réussir, dit-il, il suffit d'être un bon gestionnaire. Mes priorités sont l'aménagement de la route principale et la propreté. Je vais aider la municipalité en prêtant le matériel de mes entreprises. Pour obtenir des fonds, je vais utiliser mes connaissances à Tunis.»
Abderahman Kachbouri, tête de liste de Feriana premier, lui, compte faire le ménage à la municipalité: «Les redevances ne sont pas toutes payées: si tu connais une personne bien placée dans l'administration, tu ne payes pas. Nous avons besoin de remettre les choses à leur place.» Les candidats multiplient les annonces et promettent le développement, alors que la ville se sent oubliée du pouvoir central. Mais peu sont au fait des contraintes, notamment budgétaires. D'autant que le code des collectivités locales, censé encadrer la décentralisation - tant demandée par la population - et les responsabilités des municipalités, n'a été voté que vendredi dernier.
«La mairie va tout faire ici. Nous allons avoir l'électricité et l'eau courante»
Aïd ­Belarbi
Le redécoupage est une autre difficulté que les candidats ne semblent pas avoir anticipée. Les territoires ont été redéfinis ces trois dernières années pour que tout le pays soit couvert par les municipalités, comme l'exige la Constitution de 2014. Ainsi, 86 communes ont été créées. Et Feriana, comme 191 autres villes, a incorporé trois hameaux et quelque 4000 habitants. Hannachi en fait partie. Pour rejoindre cette zone depuis Feriana, les habitants font du stop. «Nous n'avons que Dieu ici», soupire l'un d'eux. Près du dos-d'âne, construit par une famille après deux accidents, sur la seule route goudronnée, Aïd Belarbi et Mohamed Hadi dégustent un thé en débattant. Le premier veut se montrer positif: «La mairie va tout faire ici. Nous allons avoir l'électricité et l'eau courante», dit-il, sans vraiment y croire. Le second est catégorique: «Moi, j'étais contre l'intégration. Avant, on traitait avec le gouvernorat directement, maintenant on doit passer par la mairie. C'est une strate de plus.»
À la mairie de Feriana, gérée depuis 2011 par un fonctionnaire, les employés ne sont guère plus optimistes. Le fonds alloué par l'État est passé de quelque 256 500 euros à 217 500 euros entre 2016 et 2017. Arbi Harmassi, secrétaire générale de la municipalité, s'inquiète: «Il y a 27 km entre Skhirat (un des nouveaux hameaux) et Feriana, comment leur offrir tous les services de transport, déchets, voirie et autre? On a déjà du mal à gérer le quotidien avec un budget en diminution.» Un fonds spécial pour les nouvelles communes devrait apporter un coup de pouce dès que les élus prendront leurs fonctions. En attendant, à Feriana, la sécheresse de l'été devrait régler le problème des inondations.

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Alberto Toscano : «À sa façon, Bartali a défié le régime nazi» (04.05.2018)
Par Jean-Julien Ezvan
Mis à jour le 04/05/2018 à 21h17 | Publié le 04/05/2018 à 20h07
RENCONTRE - Le Tour d'Italie cycliste s'est, vendredi, élancé de Jérusalem. En hommage au champion italien qui sauva des Juifs. Son compatriote revisite cet incroyable destin.
Journaliste et écrivain italien, né en 1948 (l'année du deuxième succès sur le Tour de France de Gino Bartali), Alberto Toscano, à Paris depuis 1986, sillonne dans Un vélo contre la barbarie nazie (Éditions Armand Colin) l'histoire révélée seulement après la mort, en 2000, de Gino Bartali (surnommé «Gino le Pieux»). La légende du cyclisme (vainqueur notamment de deux Tours de France en 1938 et 1948 et de trois Tours d'Italie en 1936, 1937 et 1946) a participé au sauvetage de plusieurs centaines de Juifs persécutés par les nazis.

Gino Bartali. - Crédits photo : Rene Dazy/Rue des Archives/Rue des Archives Paris France
LE FIGARO. - En introduction de votre ouvrage, vous unissez Jesse Owens et Gino Bartali,  évoquant des moments où le sport fait l'histoire…
Alberto TOSCANO. - Il y a eu plusieurs moments dans l'Histoire avec un grand H où le sport a été un révélateur et parfois un moteur important, comme avec Jesse Owens aux Jeux olympiques de Berlin en 1936. Ses victoires ont été un défi pour le régime nazi et, à sa façon, Gino Bartali a défié le régime nazi. Il l'a fait en 1943, 1944 à un moment où l'Italie centrale, l'Italie septentrionale et une partie de l'Italie du Sud sont encore occupées par l'Allemagne. À ce moment où les Juifs, déjà persécutés, marginalisés par les fascistes, deviennent l'objet de tentatives de rafles et de déportations se déroule un épisode important de l'histoire italienne, la naissance d'un réseau de «déreligion» comme je l'ai appelé. Un réseau se crée pour aider les persécutés. Les protagonistes sont des évêques catholiques et des rabbins qui, après des siècles, des millénaires de polémiques, parfois des moments sanglants, se rassemblent. L'un des engrenages de ce réseau est Gino Bartali parce qu'il veut profiter de sa popularité pour transporter dans son vélo des faux papiers destinés à des centaines de Juifs qui sont hébergés, réfugiés, cachés en Italie.
Comment se débrouillait-il?
Il avait un prétexte extraordinaire, pour sa famille y compris: l'entraînement. C'était un grand champion cycliste qui avait gagné le Tour de France en 1938, le Tour d'Italie en 1936. C'était un grimpeur, un mythe. Il disait «il y a la guerre mais j'ai besoin de rester le champion que je suis, je dois parcourir des centaines et des centaines de kilomètres malgré la guerre, les contrôles». Ce prétexte, il l'utilisait avec sa femme, qui se doutait de quelque chose mais qui savait que c'était mieux pour elle et pour lui de ne pas savoir ; il l'utilisait avec les militaires de la Wehrmacht et aussi l'armée fasciste, qui effectuait des contrôles sur les routes de l'Italie centrale. Chaque jour, il montait sur son vélo. Entre Florence et Assise, il y a plus ou moins 200 kilomètres. Il faisait ce chemin à l'aller et au retour, parfois en s'arrêtant, parfois en faisant l'aller-retour en une seule journée avec de faux papiers. Cet engagement sportif et moral, humanitaire de cet homme extraordinaire est très touchant.
«Quand Bartali gagne, le Tour de France en 1938, tous les journalistes italiens sont là pour célébrer la gloire du Duce, du régime… mais il refuse de faire le salut et se signe»
Alberto Toscano
Le Tour d'Italie innove cette année pour lui rendre hommage…
C'est la première fois qu'une grande compétition par étapes démarre hors du continent européen. À Jérusalem, pour rendre hommage à Gino Bartali qui a été reconnu post-mortem par le mémorial de Yad Vashem comme «Juste parmi les nations». Le réseau a sans doute sauvé au moins 800 Juifs. Bartali était une pièce du réseau. Il n'a pas personnellement sauvé 800 Juifs mais il a participé à cette œuvre.
Ce départ du Giro a-t-il été facile à organiser?
L'idée de célébrer Bartali est née après sa mort. Bartali a toujours soigneusement évité de se glorifier. Il a gardé le silence absolu. Il disait: «Ce qui m'intéresse, ce sont mes succès sportifs. Toutes les autres choses me regardent personnellement, regardent mon âme mais je ne veux pas en parler.» Il n'a jamais voulu en parler. Après sa mort, en 2000, la République italienne lui a décerné la médaille d'or. L'organisation du Giro avec le départ de Jérusalem n'a pas été simple. Il y a aujourd'hui des tensions politiques très fortes. Confirmer le départ en Israël avec trois étapes mais le faire à l'intérieur des frontières reconnues par l'ONU est une affirmation de la fidélité aux valeurs de Gino Bartali en hommage à l'État d'Israël et en même temps une façon d'éviter des polémiques qui seraient déplacées. On ne peut pas rendre hommage à Gino Bartali en faisant des polémiques. La décision des organisateurs du Giro acceptée par l'État d'Israël qui tient à ce départ est intelligente et sage. C'est un événement sportif et politique. Au nom de la paix.
La famille de Bartali sera-t-elle présente sur le Giro?
Sa famille sera à Assise, le 16 mai, et certainement à Rome (le 27 mai, dernière étape, NDLR). Son fils aîné Andrea est décédé l'année dernière, les deux filles d'Andrea collaborent avec le musée de la mémoire, à Assise, qui sera rouvert le 16 mai. Les deux autres enfants de Gino seront à Assise.
«C'est la première fois qu'une grande compétition par étapes démarre hors du continent européen»
Alberto Toscano
Pour résumer Bartali, vous parlez  d'«antifascite exemplaire»,  en citant Gianni Mura, de «La Repubblica»…
Il a toujours refusé de prendre la carte du parti. Lors de la victoire de l'équipe de football d'Italie en finale de la Coupe du monde 1938, disputée au stade de Colombes, tous les joueurs et membres de l'encadrement, tous membres du parti fasciste, font le salut fasciste. Quand Bartali gagne, quelques jours après, le Tour de France, tous les journalistes italiens sont là pour célébrer la gloire du Duce, du régime… mais il refuse de faire le salut et se signe. C'est un défi au régime. Bartali avait un caractère particulier. Il avait mauvais caractère. Il adorait être polémique. Il avait une phrase emblématique: «Tout est faux, tout est à refaire.» Cette phrase exprimait sa façon d'être toujours insatisfait. C'était un grand râleur. Il avait l'ambition pour lui-même et pour la société de quelque chose de plus juste. Il était tout sauf un intellectuel, il avait quitté l'école à l'âge de 12 ans pour aller travailler. Il venait d'une famille de la campagne de Florence, mais il avait cette énorme envie de s'engager. Surtout, il ne tolérait pas l'arrogance et les arrogants. Et le numéro 1 des arrogants pour lui, c'était Mussolini…
Bartali-Coppi, c'était l'opposition de deux Italie?
J'évoque trois couples de personnages en disant que ces personnes sont en même temps des rivaux et des alliés dans les moments du besoin. Un très politique, celui du chef de la Démocratie chrétienne, Alcide De Gasperi, le président du Conseil de l'après-guerre, et Palmiro Togliatti, le chef du Parti communiste. Le deuxième, un couple de frères rivaux imaginaires Don Camillo-Peppone - le premier film de la série a d'ailleurs été réalisé par un Français, Julien Duvivier. Ils se disputent tout le temps mais quand la collectivité est en danger, crue du Pô… ils se réunissent. Et le troisième couple emblématique dans l'imaginaire collectif italien est composé de Coppi et Bartali. Coppi, homme marié qui avait une relation avec une femme mariée dans l'Italie des années 1950, condamné à une peine de prison (avec sursis) pour adultère, était devenu un symbole de transgression et d'une certaine Italie projetée vers un avenir industriel. Et Bartali, était, lui, le très catholique, le conservateur, le démocrate-chrétien, l'ami du Pape, l'homme de la tradition. Dans cette antinomie Coppi-Bartali, il y avait une rivalité sportive et il y avait autre chose, mais à la fin de leur vie ils sont devenus amis. C'est un symbole contradictoire mais optimiste de deux rivaux qui savent trouver une entente.

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Natacha Polony : «Alexandre le petit» (04.05.2018)

Par Natacha Polony
Mis à jour le 04/05/2018 à 19h05 | Publié le 04/05/2018 à 19h02
CHRONIQUE - Le magazine américain Forbes et La Nouvelle Revue française ont publié deux entretiens d'Emmanuel Macron. La lecture concomitante de ces deux textes, dont la publication doit nourrir la légende forgée depuis un an, laisse perplexe.
«Au fond des victoires d'Alexandre, on trouve Aristote.» Cette remarque, lancée dans La Nouvelle Revue française par Michel Crépu et Alexandre Duval-Stalla, s'adresse à un président qui tente depuis un an de peindre l'autoportrait du technocrate en philosophe. Plus encore, au fil de cet entretien dans une revue autour de laquelle flottent tous les grands fantômes de la littérature française, se dessine par petites touches une sensibilité aux mots, une inscription dans l'histoire, qui veulent transcender le caractère désespérément prosaïque de la gestion de l'État pour hisser ce quinquennat jusqu'aux heures tragiques de l'histoire, celles où s'est joué le destin de la France. Alexandre, Aristote… et soudain le magazine Forbes.
La semaine où sort cette quintessence de pensée présidentielle, le magazine connu pour son classement des fortunes mondiales publie un autre entretien de celui qu'il baptise le «chef de file des marchés libres». La lecture concomitante de ces deux textes, dont la publication doit nourrir la légende forgée depuis un an, laisse perplexe. Le penseur et l'homme d'action? Aristote et Alexandre réunis en un jeune homme obsédé par la quête de sens? Ou plutôt Alcibiade, séduisant et pressé, beau parleur et ambitieux, qui conduisit Athènes à sa perte?
L'Emmanuel Macron de Forbesest tel que peut le rêver le magazine, parsemant son discours de «business friendly» et de «start-up». Il est question d'accélération, de changement, et, preuve ultime de son ébouriffante modernité, de «disruption». l'Emmanuel Macron deForbesdisrupte à tout-va. Il le martèle, une fois, deux fois: «there is no other choice». Il n'y a pas d'alternative.
La question est vertigineuse. Peut-on vibrer à l'écriture de Colette et Giono, et disserter sur une exit tax qui ne serait pas « business friendly ».
L'Emmanuel Macron de la NRF, pourtant, nous parle profondeur et temps long. Il cite Colette et Giono, et le parfum des fleurs dont leur écriture dessine les infinies subtilités. Colette et Giono qui, plus que tout autre auteur, ont su rendre par la puissance évocatoire d'une langue musicale le miracle d'une incarnation, ici et maintenant, dans un monde dont la beauté nous dépasse. Non seulement Colette et Giono ne disruptent pas, mais le monde qu'ils nous chantent est celui d'une humanité intemporelle. «Il y a de petites places désertes où, dès que j'arrive, en plein été, au gros du soleil, écrit Giono, Œdipe, les yeux crevés, apparaît sur un seuil et se met à beugler. Il y a des ruelles, si je m'y promène tard un soir de mai, dans l'odeur des lilas, j'y vois Vérone où la nourrice de Juliette traîne sa pantoufle.»
La question est vertigineuse. Peut-on vibrer à l'écriture de Colette et Giono, et disserter sur une exit tax qui ne serait pas «business friendly». Ou, pour le dire autrement, peut-il se concevoir un homme d'action qui porterait
en lui l'ironie délicieuse de Jean Giono vis-à-vis du progrès, le questionnement enfiévré de René Char sur la capacité des mots à nommer le réel sans en assécher le sens, un homme d'action qui concevrait son action en fonction de cette nécessité pour l'homme de s'inscrire dans ce qui le dépasse? Un homme d'action dont l'action serait véritablement orientée par ce que les livres auraient fait de lui?
L'Emmanuel Macron de laNRF parle d'un «cadre sensible et intellectuel qui demeure et influence le regard qu'on porte sur le monde», il disserte sur la rencontre entre le politique et la littérature. Mais il le fait à propos de sa propre figure romanesque, celle d'un Julien Sorel se rêvant en Napoléon. Il tance l'Europe, «vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel» qui, face au tragique ressurgi, pourrait renouer avec un souffle. Mais un souffle pour se porter jusqu'à quel sommet? Victor Hugo n'est cité qu'en passant: l'épopée macronienne est individuelle. Mais d'un individu qui n'est pas non plus l'esprit empreint de doute et de mesure d'un Montaigne face à la folie sanguinaire des Guerres de religion.
Ce début de siècle nous confronte à la possible dissolution de notre humanité dans le transhumain, à l'emprise de la technique sur la nature et sur l'homme, à la dissolution des liens de sociabilité qui permettaient la transmission des cultures, et bientôt à des bouleversements démographiques tels que l'Europe n'en a pas connu depuis le IVe siècle. Un politique qui serait autre chose qu'un technicien se donnerait pour objectif, par-delà
la recherche nécessaire d'un retour des investisseurs, de définir, face à ces enjeux, ce que serait une société vivable, une société respectueuse de la personne, au sens où l'entendait Emmanuel Mounier. À quoi sert la littérature, pour n'être pas que le vernis brillant et coloré dont on recouvre l'acceptation d'un utilitarisme qui est son exact contraire? Elle sert, dans la matérialité sonore des mots, à donner à voir l'homme, dans sa noirceur insondable et dans ses grandeurs soudaines, cet homme que le politique doit aimer tel qu'il est, et non tel qu'il faudrait qu'il soit. C'est à cette condition que ses lois seront justes et porteront l'espoir d'une société meilleure.

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François d'Orcival: «L'État responsable mais pas coupable» (04.05.2018)
Par François d'Orcival
Publié le 04/05/2018 à 10h00
CHRONIQUE - Comment l'État se dégage de ses responsabilités envers certains citoyens victimes de violences matérielles.
Qui va payer les dégâts? Il y a désormais des parcours à risque, des facs à risque, comme il y a des populations à risque: les parcours qu'empruntent les cortèges de grévistes et de manifestants d'où surgissent les casseurs, les facs qu'occupent les vandales.
Les universités sont propriété de l'Etat, lequel est son propre assureur, donc il paie. Mais si vous travaillez sur un parcours de manif, malheur à vous. Les agences bancaires, compagnies d'assurances, comptoirs de change
sont les premiers désignés aux barres de fer et cocktails Molotov, au nom de la lutte contre le capitalisme ; viennent ensuite les boutiques et berlines de luxe, au nom de la lutte des classes ; même les agences d'intérim sont visées, sans doute parce qu'elles fournissent du travail sans statut. C'est le saccage pour tous.
Les propriétaires de ces agences, de ces commerces défoncés, de ces voitures incendiées se retournent vers leurs assurances. Les moins dotés - ceux qui n'atteignent pas les 27.192 euros de ressources par an - peuvent aussi se présenter devant une commission d'indemnisation des victimes d'infractions et espérer une indemnité maximale de 4 531,19 euros (admirez le chiffre). Mais que se passe-t-il quand les dégâts se multiplient en se répétant? Le «taux de sinistralité» augmente et les malus tombent.
À quoi ça sert si l'Etat, qui autorise un défilé ou laisse faire une occupation, n'en assume pas les conséquences ?
Or, il existe un article (le L. 211-10) du code de la sécurité intérieure selon lequel «l'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens». Nous voilà rassurés… à tort! Car le célèbre «responsable mais pas coupable», l'Etat se l'applique à lui-même, c'est «la responsabilité sans faute».
Ainsi, la direction juridique de la Fédération française de l'assurance explique, par exemple, que l'article en cause ne s'applique pas lorsqu'un groupuscule agirait «à seule fin de casser et de piller» ; est exclue aussi, une action avec manches de pioche ou barres de fer, au motif qu'elle aurait un «caractère organisé et planifié»… Mais alors, à quoi ça sert si l'Etat, qui autorise un défilé ou laisse faire une occupation, n'en assume pas les conséquences? Il est vrai qu'à la fin, et de toute façon, qu'il soit contribuable ou assuré, c'est le même qui paiera.
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François d'Orcival


Éric Zemmour: «Service national inutile?» (04.05.2018)

Par Eric Zemmour
Publié le 04/05/2018 à 08h26
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Il ne faut pas se leurrer : le service militaire d'autrefois ne reviendra pas. Mais faut-il s'en plaindre ? Car l'armée ne peut à elle seule corriger les renoncements de l'école.
Il y a vingt ans, on était content qu'il s'en aille. Aujourd'hui, on est content qu'il revienne. Le service militaire suscite décidément des sentiments ambivalents. Lorsque Jacques Chirac le supprima, on voyait surtout ses défauts: inadapté aux nouvelles formes de guerre et d'intervention de l'armée française ; trop cher ; de plus en plus inégalitaire. Si Emmanuel Macron le rétablit, c'est qu'entre-temps on a la nostalgie de ses anciennes vertus: le rapprochement des classes sociales, quelles que soient les origines et les religions ; l'éducation civique et patriotique d'une classe d'âge ; l'apprentissage de l'obéissance, du sacrifice et de l'oubli de soi, contrepoint bienvenu à une société hédoniste qui exalte l'individualisme jusqu'au délire narcissique..
Mais il ne faut pas s'emballer. Le nouveau service national est le «Canada Dry» de l'ancien, un succédané factice qui en a le nom, mais pas la réalité. Et pour cause: l'armée sait bien qu'elle n'a pas besoin de cette cohorte de jeunes, inadaptés à la guerre moderne. Le service militaire était l'enfant de la «levée en masse» révolutionnaire ; il servait à rassembler sous les drapeaux toute une classe d'âge pour préparer une guerre de masses face à l'Europe en général, et l'Allemagne en particulier. Il n'est pas question, que l'on sache, de déclarer la guerre à l'Allemagne, même si Angela Merkel rejette les propositions de Macron sur la réforme de l'euro!
«Le nouveau service national est le “Canada Dry” de l'ancien, un succédané factice qui en a le nom, mais pas la réalité.»
Par ailleurs, ce n'est pas le service militaire qui a réconcilié les deux France, celle de l'école privée et de l'école publique, celle du roi et celle de la République, celle qui croyait en Dieu et celle qui n'y croyait pas ; mais la guerre. Celle de 1914-1918 avant tout. L'école avait fait l'essentiel du travail, autour d'un patriotisme qui reprenait habilement, sous le pavillon de la République, les héros et les valeurs aristocratiques de l'ancienne monarchie. Lavisse était un bonapartiste rallié au nouveau régime, qui savait ce qu'il faisait…
Tout l'inverse de l'école d'aujourd'hui qui, en dépit de la volonté de Blanquer, n'est toujours pas sortie de son idéologie de la déconstruction et continue, dans les programmes hérités des prédécesseurs de notre ministre, de privilégier l'égalité sur le savoir, et la réconciliation (hypothétique) des mémoires sur l'histoire unificatrice de la patrie.
Il ne faut pas se leurrer: en dépit des annonces fracassantes, le service militaire ne reviendra pas. Les armées ont tant besoin d'argent pour renouveler armement et équipement qu'elles n'accepteront jamais de dépenser des fortunes pour former des conscrits innombrables, mais pour la plupart inutiles. L'armée ne peut à elle seule corriger les renoncements d'une école qui, elle-même, croule sous les effets d'une invasion migratoire inouïe depuis des décennies. Il n'est pas sûr d'ailleurs que le service militaire à la papa n'aurait pas, s'il avait été maintenu, révélé lui aussi crûment les fractures irrémédiables de la société française. On ne le saura jamais.
Journaliste, chroniqueur
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Dans le Grand Nord, avec les soldats canadiens qui veillent sur leurs terres convoitées (04.05.2018)
Par Nicolas Ancellin
Mis à jour le 04/05/2018 à 13h11 | Publié le 04/05/2018 à 07h00
REPORTAGE - Nos reporters ont accompagné une mission de souveraineté de l'armée qui s'aventure sur ces immensités glacées balayées par le blizzard pour y faire flotter le drapeau à la feuille d'érable.
Le caporal Spencer MacCrae va devoir mettre le nez dehors. Assis sur une caisse de munitions, il commence à s'équiper à la lueur du petit poêle qui rougeoie dans l'obscurité de la tente. Au ras du sol, la température se maintient autour de 0 C°. Il est 2 heures 30 du matin, l'heure de vérifier le jerrycan. Tout est calme dans le camp de survie numéro 1, planté sur la glace d'un lac gelé du sud de l'île Victoria, dans le Nunavut, le territoire le plus septentrional du Canada. Emmitouflés dans leurs sacs de couchage et serrés les uns contre les autres, les sept hommes qui partagent le gîte de MacCrae dorment à poings fermés en attendant leur tour de garde. Une obligation: le système de chauffage, alimenté par un jerrycan de pétrole placé à l'extérieur, nécessite la surveillance d'un «gardien du feu», chargé de vérifier le niveau du carburant et de prévenir tout risque d'incendie. Dehors, avec une température ressentie de -58 C°, l'air glacé de la nuit polaire brûle comme de l'acide.

Mauvaise surprise: MacCrae constate que le jerrycan est presque vide. Dans quelques minutes, le chauffage s'éteindra et la tente se transformera progressivement en congélateur. Sans hésiter, le jeune soldat de la compagnie alpha du 2e bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry, l'un des régiments les plus décorés du Canada, se dirige vers l'abri voisin où il fait irruption pour demander de l'aide. L'homme de quart réagit aussitôt et opte pour la solution qui s'impose. Il sort à son tour, aide son camarade à changer une durite défectueuse et partage le contenu du jerrycan qui chauffe sa propre tente. Les 16 soldats qui participent à l'exercice de survie en milieu arctique ne devraient pas être changés en blocs de glace lorsque l'aube pointera.
Partis en reconnaissance à une quinzaine de kilomètres de leur camp de base de Cambridge Bay, ces hommes ne sont que la pointe avancée de la composante terrestre de l'opération «Nunalivut 2018». De ce nom, qui signifie «cette terre qui est la nôtre» dans la langue des Inuits, le Canada a fait un symbole. Celui de l'affirmation de sa souveraineté sur les confins nord de son territoire. Avec 36.000 îles éparpillées sur 4 millions de kilomètres carrés, le Haut-Arctique représente 40 % de la superficie du deuxième pays le plus vaste du monde. A lui seul, le Nunavut couvre une superficie grande comme quatre fois la France, mais n'est peuplé que de 36.000 habitants. Pour le gouvernement d'Ottawa, dans un contexte géopolitique où les enjeux du Grand Nord ne cessent de prendre de l'importance, il est vital d'assurer une présence sur ces immensités prises dans les glaces huit mois sur douze.
Une région très disputée

Planté sur la banquise, le camp des plongeurs est ravitaillé par un Twin Otter équipé de skis. - Crédits photo : © Stéphane Compoint
C'est surtout à partir de 2007 que le pays a réalisé l'urgence d'occuper davantage ses régions polaires. Cette année-là, sous couvert de recherche scientifique, deux sous-marins russes munis de bras mécaniques avaient planté un drapeau en titane à la verticale du pôle Nord géographique, par 4261 mètres de fond. Une provocation qui n'avait pas échappé aux pays riverains de l'Arctique, Norvège, Danemark, Etats-Unis et Canada en tête. D'autant qu'un contentieux opposait déjà Ottawa, Copenhague et Moscou au sujet de la dorsale de Lomonossov, une chaîne de montagnes sous-marine, qui passe précisément sous le pôle Nord. Longue de 1800 kilomètres, elle court des îles russes de Nouvelle-Sibérie à l'île canadienne d'Ellesmere en passant par le Groenland. Chacun des trois pays revendique la souveraineté sur la dorsale au motif qu'elle serait une extension de son plateau continental. Ce serpent de mer diplomatique a encore de beaux jours devant lui. Dramatisant quelque peu les enjeux, le Premier ministre de l'époque, Stephen Harper, avait pris les devants et lancé une politique de reconquête de ces terres glacées, fondée sur une présence militaire renforcée et une formule choc: «Notre souveraineté sur l'Arctique, soit nous l'utilisons, soit nous la perdons!»
1400 km de voie maritime
«Notre souveraineté sur l'Arctique, soit nous l'utilisons, soit nous la ­perdons !»
Stephen Harper, ancien Premier ministre canadien
Derrière la guéguerre des drapeaux, il s'agit surtout de garder la main sur un gigantesque réservoir de ressourcesnaturelles. Selon l'US geological Survey, 10 % des réserves mondiales de pétrole et 29 % des réserves de gaz se trouveraient autour de l'Arctique, dont 18 milliards de barils de pétrole pour la seule région du Nunavut. La proximité du pôle Nord est également truffée de gisements de diamant, de nickel, de cuivre, d'or et d'étain. Bien qu'encore difficiles d'accès - et donc trop chers à exploiter -, ces richesses pourraient devenir plus accessibles avec le réchauffement climatique.
Pour l'heure, en cette fin d'hiver, c'est sur les eaux gelées du Passage du Nord-Ouest que flotte le drapeau canadien, autour des tentes qui constituent le camp des plongeurs. Tout un symbole. Longue de 1400 kilomètres, cette voie maritime qui serpente entre les îles du Grand Nord, relie l'Atlantique au Pacifique, réduisant de 8000 kilomètres le trajet entre Londres et Tokyo. Avec l'accélération de la fonte des glaces, ce passage, aujourd'hui navigable durant quelques semaines de l'été arctique, pourrait le devenir beaucoup plus longtemps. Et redistribuer les cartes du commerce mondial. Problème: les Etats-Unis le considèrent comme un détroit international libre d'accès alors que le Canada y voit des eaux intérieures.
» LIRE AUSSI - La ruée vers l'Arctique

Entre plaines et lacs glacés de l'île Victoria, une patrouille part en mission de survie. - Crédits photo : © Stéphane Compoint
Sous la conduite du lieutenant de vaisseau Andrew MacLeod, poigne de fer et barbe à la limite de la longueur réglementaire, une trentaine d'hommes et une femme s'entraînent à l'immersion subglaciaire à une quarantaine de kilomètres de Cambridge Bay. Un défi d'abord logistique. Pompes, compresseurs, générateurs, carburant, vivres, tentes… pas moins de douze tonnes de matériel doivent être transportées sur le site de plongée. Non sans difficulté. Après quelques allers-retours, le Twin Otter, un petit bimoteur muni de skis permettant de se poser sur la glace, se retrouve cloué au sol sur le tarmac de Cambridge Bay pour cause d'avarie mécanique. «Nous adapter, voilà pourquoi nous sommes ici!», tranche le major Christopher Hartwick, l'officier d'infanterie qui commande la mission «Nunalivut». L'agenda des exercices qu'il doit mener est serré et reste à la merci des caprices de la météo. «Ici, le seul ennemi, c'est le climat, mais il est de taille!» ajoute-il avec réalisme. Sans attendre la pièce de rechange, qui doit arriver avec un deuxième avion basé à Yellowknife, à 800 kilomètres au sud, le major ordonne donc de poursuivre l'acheminement du matériel par motoneige.

Une cagoule néoprène en «bec de perroquet» évite la formation de buée qui gèle instantanément. - Crédits photo : © Stéphane Compoint
Guidés par quelques rangers, pour la plupart d'origine inuite, et qui sont les «yeux et les oreilles» du Canada dans ses régions les plus inhospitalières, plusieurs convois d'une douzaine de motoneiges s'organisent. On arrime le matériel sur les komatiks, lourds traîneaux de bois, et c'est parti pour 45 kilomètres de course dans le Grand Blanc. Au guidon de leurs machines fumantes, engoncés dans leurs treillis, les hommes ont l'air de spectres inquiétants. Les visages disparaissent complètement sous un masque, et une sorte de bec en caoutchouc fait saillie au milieu de la cagoule intégrale pour évacuer l'humidité de la respiration. Et gare à celui qui n'a pas assez protégé ses mains ou son visage. Le vent relatif de la course (50 km/h) transforme la température extérieure ressentie de -35 en un bon -55 °C. Le moindre centimètre carré de peau exposé à l'air libre gèle en quelques minutes.
«Ici, le seul ennemi, c'est le climat, mais il est de taille !»
Le major Christopher Hartwick
Sur le site de plongée, les travaux ont déjà commencé et rencontrent, eux aussi, quelques problèmes. Car la première tâche de l'équipe technique consiste à forer un trou d'environ cinq mètres carrés pour atteindre l'eau libre. «Avec un mètre soixante d'épaisseur de glace, ce n'est pas le genre de travail qui se fait à la petite cuillère!» confie Dan Aris, le technicien de l'agence recherche et développement du ministère de la Défense, chargée de concevoir et de tester de nouveaux équipements. En l'occurrence, une machine baptisée la «chaudière» - adaptée à partir d'une chaudière domestique renforcée. Fonctionnant à partir d'eau bouillante injectée sous la glace, elle agit comme une gigantesque perceuse. Las! A peine installés, une pompe, puis deux moteurs tombent en panne. Là encore, il faut remplacer, réparer, improviser.
Digne d'une capsule spatiale

Sous la glace: un univers bleuté mais aussi d'immenses gisements de ressources naturelles. - Crédits photo : © Stéphane Compoint
Lorsque le trou est enfin prêt et recouvert d'une tente bien chauffée, les plongeurs peuvent s'immerger. Nageurs de combat de l'armée, membres de la gendarmerie, des garde-côtes et de l'unité de plongée de la marine, tous sont des professionnels confirmés, mais beaucoup n'ont encore jamais expérimenté les eaux glaciales de l'Arctique. Valérie Leclair, une jeune femme de 33 ans, dont douze dans la marine, disparaît par l'ouverture où, tout à l'heure, un phoque est venu respirer. Fixée à son casque, une caméra retransmet en temps réel sur un écran de contrôle les images d'un univers bleuté au plafond d'opale. On y voit les efforts maladroits que déploie son compagnon en apesanteur pour tenter de marcher sur la glace, la tête en bas. Sous la tente, deux aides déroulent le gros câble torsadé qui tient lieu de fil d'Ariane, par lequel passe l'air respiré par les plongeurs, ainsi que leurs communications radio avec la surface. Ils n'évoluent qu'à une quinzaine de mètres de profondeur et ne s'éloignent pas au-delà d'une centaine de mètres, mais leurs brefs dialogues, retransmis par l'aquaphone, avec celui qu'ils appellent«su»(supervisor), qui dirige la plongée, rappellent les échanges entre une capsule spatiale et sa base terrestre.
Avec ces exercices, le Canada entend démontrer au monde sa capacité d'intervention, même en hiver, dans ses régions les plus isolées. Le message est clair: maîtriser l'intégralité du territoire national. Un objectif qui s'explique notamment par la forte augmentation de la fréquentation des régions polaires. Depuis une dizaine d'années, croisières et missions scientifiques s'y succèdent à un rythme accéléré et le trafic aérien y a été multiplié par dix. Pour tenir son rang de puissance arctique, le pays doit donc disposer d'une force d'intervention d'urgence, rapidement opérationnelle, par exemple, pour organiser des opérations de sauvetage en cas de catastrophe aérienne ou maritime, ou faire face à une marée noire. Même si le sujet n'est pas abordé, peut-être est-il aussi question de s'entraîner à l'installation ou à la maintenance de systèmes de détection de sous-marins, probablement mis en place à l'entrée et à la sortie du Passage du Nord-Ouest si convoité…

Les glaces du Passage du Nord-Ouest emprisonnent le navire de recherches «Martin Bergmann». - Crédits photo : © Stéphane Compoint
Une aube laiteuse se lève sur le camp de survie numéro 1. Le brouillard efface la ligne d'horizon et un soleil jaune se hisse péniblement dans un ciel d'un blanc uniforme. «Aujourd'hui, Koupak», a sobrement lâché Alan. «Koupak»: le Grand Blanc. Celui qui dissout le paysage, noie tout dans un halo cotonneux. Membre des rangers depuis trente ans, ancien trappeur, Alan Eliatiak, 69 ans (les rangers peuvent rester en service actif tant que leurs capacités physiques le leur permettent), connaît la région comme sa poche. Depuis quelques jours, il est devenu une légende parmi les soldats qu'il accompagne dans cet exercice de survie. Il se murmure respectueusement qu'Alan est né… dans un igloo!
Depuis le départ, cet Inuit au visage impassible orné d'une fine moustache leur tient lieu de boussole, de GPS et de meilleure assurance-vie contre tous les pièges de la banquise, le premier étant de se perdre. Avant-hier, c'est lui qui, sans hésiter, a guidé la colonne de motoneiges et choisi l'emplacement du bivouac, sur ce lac gelé, entre deux îlots rocheux. A ses côtés, la plupart des fantassins découvrent pour la première fois que leur propre pays peut ressembler à une fascinante planète glacée.
Affronter Koupak 

Les militaires s'entraînent à la construction d'un igloo, un abri qui peut sauver la vie. - Crédits photo : © Stéphane Compoint
Ce matin, Woody, Lorne, Matt et les autres se sont extirpés de leur sac de couchage, ont avalé une ration de combat mal réchauffée avant d'affronter Koupak. Au programme: pêche et construction d'un igloo, l'abri traditionnel qui, en situation d'urgence, peut sauver la vie. Des trous sont creusés dans la glace dont ne tardent pas à sortir des ombles chevaliers de quarante centimètres. Découpée en filet, cette variété de saumon se mange crue ou bouillie, en une soupe roborative. Ryan, l'autre ranger qui seconde Alan et dont le visage est couvert de cicatrices d'engelures, rappelle que la région de Cambridge Bay porte le nom inuit d'Ikaluktutiak (le lieu où l'on fait bonne pêche). Malgré une neige parfaite, compacte comme du polystyrène, la construction d'un abri se révèle plus délicate. A grands coups de scie et de machette, les fantassins s'attellent à la tâche avec l'enthousiasme de gamins chahuteurs. Alan sourit et laisse faire. Lorsque l'empilement des blocs de neige, mal taillés et mal ajustés, a atteint un mètre cinquante de hauteur, l'igloo s'effondre brusquement, à la consternation générale. La leçon sera retenue: dans ce grand vide blanc, gigantesque couloir nord-est que les météorologistes surnomment «l'allée du blizzard», affronter l'hiver ne s'improvise pas. La survie n'appartient pas au plus fort, mais au plus habile, au plus sobre, au plus endurant.

Réputés pour leur fiabilité, les vieux fusils Lee-Enfield font merveille sur le pas de tir. - Crédits photo : © Stéphane Compoint
Fin de mission. Dans la salle des fêtes de Cambridge Bay, les réjouissances battent leur plein: discours, danses folkloriques, chants de gorge - une spécialité inuite -, les autorités civiles de cette petite communauté de 1700 habitants ont déroulé le tapis rouge pour dire au revoir aux militaires de l'opération «Nunalivut». En présence de son état-major au complet, le major Hartwick, dans son discours, insiste sur les liens qui unissent désormais les forces armées aux habitants, qui peuvent compter sur eux pour les assister en toute circonstance. Resserrer les liens avec la population était d'ailleurs un objectif essentiel de sa mission.
Affirmer sa souveraineté
Mais en venant se frotter jusqu'ici au général Hiver, l'armée canadienne poursuit d'autres ambitions que de faire des trous dans la banquise, ou de tirer au fusil-mitrailleur par - 40 °C. Trois semaines durant, tandis que le gros des troupes écopait d'engelures et de bronchites sur le terrain, plusieurs spécialistes de la «coopération civilo-militaire» ont arpenté Cambridge Bay pour dresser l'inventaire complet des ressources et des besoins locaux. Un dossier sera remis au gouvernement du Nunavut, territoire fédéral créé depuis moins de vingt ans, afin de l'aider à planifier son développement et à formuler des demandes à Ottawa dont il dépend pour l'essentiel de son budget. «La souveraineté canadienne dans l'Arctique ne doit plus se faire sur des bases militaires, mais sur l'intégrité sociale et économique des populations locales», a déclaré le Premier ministre libéral Justin Trudeau à l'occasion d'un déplacement dans le Grand Nord en 2017. Pour le pays, un nouveau chapitre s'ouvre avec la conquête de sa dernière frontière.

Si vous souhaitez découvrir le Nunavut et les grands espaces canadiens de l'Arctique en toute sécurité, l'agence Grand Nord Grand Large, spécialiste reconnu des voyages polaires depuis plus de trente ans, peut vous proposer des formules sur mesure sur de nombreuses destinations. Contacter: Dominique, responsable Terres polaires. Grand Nord Grand Large, 75, rue de Richelieu 75002 Paris (01.40.46.05.14 ; www.gngl.com).
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