Source :
30 Juillet 2016
Que Daech soit une créature contrariée de certains services secrets, qu’elle soit un croisement de l’intelligence anglo-américaine et des pétrodollars du Qatar et de l’Arabie Saoudite, comme autrefois Al-Qaïda, cela ne fait plus l’ombre d’un doute. Que l’on disculpe en revanche totalement le Coran et le Hadith des crimes de Daech en affirmant qu’ils n’ont rien à voir avec l’islam, cela dénote une attitude défensive et apologétique qui se base sur le refus de la réalité historique et la négation des faits théologiques.
A chaque fois que se produit un attentat ou que le monde découvre une atrocité commise par Daech, on entend immédiatement des affirmations du genre “ça n’a rien à voir avec l’islam”, ou “ces gens-là n’ont jamais lu le Coran”.
Ces arguments sont souvent bien intentionnés et sincères, mais ils sont, hélas, faux et intellectuellement malhonnêtes. Ils n’aident ni à comprendre la réalité ni à avancer pour sortir de cette impasse historique dans laquelle le monde musulman s’est englué. Les fanatiques qui se réclament de Daech parlent et agissent à l’intérieur de l’islam. Leurs convictions, leurs actes et leur vision du monde se veulent comme une réplique parfaite de l’islam des origines.
Les adeptes de Daech appliquent le Coran à la lettre, font des hadiths le fondement même de leur vie quotidienne, et veulent reproduire intégralement la première forme politique connue de l’islam, le califat. Leur univers est certes fantasmé et anachronique, mais il correspond à une réalité qui a existé il y a 14 siècles. Le nier ou refuser de le reconnaître serait un aveuglement.
Les textes religieux sont l’alpha et l’oméga des soldats de Daech. Comme les autres groupes jihadistes (Al Qaïda, les groupes égyptiens des années 1980-1990), ils justifient massivement leurs actes par des références au Coran et à la Sunna. Leurs documents, leurs communiqués et leurs livres sont construits comme des démonstrations théologiques et religieuses. Ils s’appuient sur des versets et des hadiths qui sont le résultat d’un contexte particulier, marqué par les guerres menées par le prophète Mohammed contre ses adversaires et la naissance du premier État musulman à Médine. Des versets comme “tuez les infidèles où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les”, ou un hadith qui énonce que “le jihad est le plus haut sommet de l’islam”, sont cités abondamment par les intégristes de Daech. Ils ne les ont pas inventés ni détournés de leur sens littéral.
Le Coran, comme tous les autres livres religieux, contient des passages violents et belliqueux. Ils sont l’expression de leur temps et le contexte de leur révélation. Le calife Ali, cousin et gendre du prophète, résumait l’affaire en une formule limpide et clairvoyante: “Le Coran c’est deux lignes écrites dans un livre. Ce sont les hommes qui les interprètent”, disait-il. Lui qui a été assassiné aux premières années de l’islam par un fanatique qui préfigurait les sectaires de Daech. Notre refus de voir cette vérité en face, de reconnaître la part de violence dans l’islam et de vouloir la dépasser nous entraîne dans une spirale d’hypocrisie et de déni de réalité.
Les théories du complot, la rhétorique creuse et vaine et le rejet de toute responsabilité sont les manifestations d’un malaise et d’une impasse. En rabâchant des slogans comme “pas d’ijtihad en présence d’un texte” et “le Coran est valable en tout lieu et tout temps”, on s’est empêchés d’avoir une lecture rationnelle et historique des textes religieux. Le regard critique, l’usage de la raison et l’adaptation à notre monde seront toujours sacrifiés et relégués au second plan. Et, entre-temps, les fanatiques de Daech continueront leur lecture littérale et mortifère des mêmes textes religieux que nous partageons avec eux.
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Qui est l'auteur ?
Abdallah Tourabi, islamologue marocain. Article paru dans TelQuel.ma, le 20 novembre 2015.
Abdellah Tourabi, né en 1975 à Casablanca, est un chercheur, politologue et islamologue marocain (spécialiste de l’islam politique, en particulier des relations entre l’État et le mouvement islamiste de son pays), également journaliste et chroniqueur de presse.
Abdellah Tourabi naît en 1975 dans le quartier industriel Hay Mohammadi de Casablanca, d’un père magasinier au port de la ville et d’une mère femme au foyer1, dans une fratrie de neuf enfants1. Il suit un enseignement public primaire et secondaire sans y porter un grand intérêt1, puis entre à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca1 (université Hassan-II). En 2001, au cours de son troisième cycle en sciences politiques, des étudiants de Sciences Po Paris, rencontrés lors d’un séminaire, l’incitent à venir étudier dans la capitale française1. Il tente sa chance, réussit le concours d’entrée à Sciences Po1, atterrit dans une chambre de bonne à Clichy1, travaille dans une téléboutique dans le quartier parisien de Château Rouge — XVIIIe arrondissement — pour pourvoir à ses besoins et rembourser un emprunt familial1 et obtient, en 2003, un DEA en présentant un mémoire intitulé Attentats du 16 mai 2003 au Maroc : Anatomie d’un suicide collectif.
De retour au Maroc, il fait ses débuts dans la presse écrite, puis repart en France travailler au Conseil supérieur de l’audiovisuel tout en continuant ses activités journalistiques et en préparant une thèse sur l’islamisme dans son pays et l’histoire de l’islam, et enfin revient encore au Maroc1. Par la suite, après être devenu le directeur de la rédaction du mensuel historique francophone et arabophone Zamane en 2013 (relayant Youssef Chmirou, son directeur de la publication, qui avait assuré quelque temps cette tâche après le départ de Souleïman Bencheikh), il devient, en 2014, le directeur à la fois de la publication et de la rédaction de l’hebdomadaire généraliste francophoneTelquel remplaçant respectivement Fahd Iraqi et Hassan Hamdani à ces postes3.
Dans Le Chaos syrien : Printemps arabes et Minorités face à l’islamisme de Randa Kassis et Alexandre del Valle (2015), il est cité comme un intellectuel « qui ose dire haut et fort que les musulmans doivent “dépasser leurs réflexes de défense
pour affronter la part maudite de la religion” ».
Ces arguments sont souvent bien intentionnés et sincères, mais ils sont, hélas, faux et intellectuellement malhonnêtes. Ils n’aident ni à comprendre la réalité ni à avancer pour sortir de cette impasse historique dans laquelle le monde musulman s’est englué. Les fanatiques qui se réclament de Daech parlent et agissent à l’intérieur de l’islam. Leurs convictions, leurs actes et leur vision du monde se veulent comme une réplique parfaite de l’islam des origines.
Les adeptes de Daech appliquent le Coran à la lettre, font des hadiths le fondement même de leur vie quotidienne, et veulent reproduire intégralement la première forme politique connue de l’islam, le califat. Leur univers est certes fantasmé et anachronique, mais il correspond à une réalité qui a existé il y a 14 siècles. Le nier ou refuser de le reconnaître serait un aveuglement.
Les textes religieux sont l’alpha et l’oméga des soldats de Daech. Comme les autres groupes jihadistes (Al Qaïda, les groupes égyptiens des années 1980-1990), ils justifient massivement leurs actes par des références au Coran et à la Sunna. Leurs documents, leurs communiqués et leurs livres sont construits comme des démonstrations théologiques et religieuses. Ils s’appuient sur des versets et des hadiths qui sont le résultat d’un contexte particulier, marqué par les guerres menées par le prophète Mohammed contre ses adversaires et la naissance du premier État musulman à Médine. Des versets comme “tuez les infidèles où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les”, ou un hadith qui énonce que “le jihad est le plus haut sommet de l’islam”, sont cités abondamment par les intégristes de Daech. Ils ne les ont pas inventés ni détournés de leur sens littéral.
Le Coran, comme tous les autres livres religieux, contient des passages violents et belliqueux. Ils sont l’expression de leur temps et le contexte de leur révélation. Le calife Ali, cousin et gendre du prophète, résumait l’affaire en une formule limpide et clairvoyante: “Le Coran c’est deux lignes écrites dans un livre. Ce sont les hommes qui les interprètent”, disait-il. Lui qui a été assassiné aux premières années de l’islam par un fanatique qui préfigurait les sectaires de Daech. Notre refus de voir cette vérité en face, de reconnaître la part de violence dans l’islam et de vouloir la dépasser nous entraîne dans une spirale d’hypocrisie et de déni de réalité.
Les théories du complot, la rhétorique creuse et vaine et le rejet de toute responsabilité sont les manifestations d’un malaise et d’une impasse. En rabâchant des slogans comme “pas d’ijtihad en présence d’un texte” et “le Coran est valable en tout lieu et tout temps”, on s’est empêchés d’avoir une lecture rationnelle et historique des textes religieux. Le regard critique, l’usage de la raison et l’adaptation à notre monde seront toujours sacrifiés et relégués au second plan. Et, entre-temps, les fanatiques de Daech continueront leur lecture littérale et mortifère des mêmes textes religieux que nous partageons avec eux.
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Qui est l'auteur ?
Abdallah Tourabi, islamologue marocain. Article paru dans TelQuel.ma, le 20 novembre 2015.
Abdellah Tourabi, né en 1975 à Casablanca, est un chercheur, politologue et islamologue marocain (spécialiste de l’islam politique, en particulier des relations entre l’État et le mouvement islamiste de son pays), également journaliste et chroniqueur de presse.
Abdellah Tourabi naît en 1975 dans le quartier industriel Hay Mohammadi de Casablanca, d’un père magasinier au port de la ville et d’une mère femme au foyer1, dans une fratrie de neuf enfants1. Il suit un enseignement public primaire et secondaire sans y porter un grand intérêt1, puis entre à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca1 (université Hassan-II). En 2001, au cours de son troisième cycle en sciences politiques, des étudiants de Sciences Po Paris, rencontrés lors d’un séminaire, l’incitent à venir étudier dans la capitale française1. Il tente sa chance, réussit le concours d’entrée à Sciences Po1, atterrit dans une chambre de bonne à Clichy1, travaille dans une téléboutique dans le quartier parisien de Château Rouge — XVIIIe arrondissement — pour pourvoir à ses besoins et rembourser un emprunt familial1 et obtient, en 2003, un DEA en présentant un mémoire intitulé Attentats du 16 mai 2003 au Maroc : Anatomie d’un suicide collectif.
De retour au Maroc, il fait ses débuts dans la presse écrite, puis repart en France travailler au Conseil supérieur de l’audiovisuel tout en continuant ses activités journalistiques et en préparant une thèse sur l’islamisme dans son pays et l’histoire de l’islam, et enfin revient encore au Maroc1. Par la suite, après être devenu le directeur de la rédaction du mensuel historique francophone et arabophone Zamane en 2013 (relayant Youssef Chmirou, son directeur de la publication, qui avait assuré quelque temps cette tâche après le départ de Souleïman Bencheikh), il devient, en 2014, le directeur à la fois de la publication et de la rédaction de l’hebdomadaire généraliste francophoneTelquel remplaçant respectivement Fahd Iraqi et Hassan Hamdani à ces postes3.
Dans Le Chaos syrien : Printemps arabes et Minorités face à l’islamisme de Randa Kassis et Alexandre del Valle (2015), il est cité comme un intellectuel « qui ose dire haut et fort que les musulmans doivent “dépasser leurs réflexes de défense
pour affronter la part maudite de la religion” ».