lundi 19 février 2018

Islamisme et politique 16.02.2018


Éric Zemmour : «Ce qu'il faut comprendre et retenir de l'affaire Mennel Ibtissem» (16.02.2018)
L'insatiable appétit des Chinois pour les terres agricoles françaises (11.02.2018)
Projet de loi asile et immigration : la lourde charge de Cambadélis contre Collomb (16.02.2018)
Bruno Retailleau au chevet des chrétiens d'Orient (16.02.2018)
Qat : le fléau somalien (16.02.2018)
La jeune Afrique aux portes de la vieille Europe (16.02.2018)
Guillaume Roquette : «La loi du plus fort» (16.02.2018)
Pierre Nora : «La dictature de la mémoire menace l'Histoire» (16.02.2018)


François d'Orcival : «Cette gauche qui s'en prend aux Blancs…» (16.02.2018)

Par François d'Orcival
Publié le 16/02/2018 à 08h15
CHRONIQUE - Les ateliers en «non-mixité raciale» ­véhiculent un racisme anti-blanc.
Le parquet de Bobigny a classé la plainte dans l'indifférence générale. C'était pourtant une plainte déposée par le ministre de l'Éducation nationale contrele syndicat SUD Éducation 93 pour diffamation envers l'État - oui l'État, accusé de racisme! Classement? Cette affaire est un révélateur. Au mois de novembre dernier, le syndicat SUD Éducation 93 annonçait qu'il allait faire «l'analyse du racisme d'État dans la société et en particulier dans l'Éducation nationale» en organisant des ateliers en «non-mixité raciale», c'est-à-dire à l'exclusion des Blancs… «Que comptez-vous faire?» demande le 21 novembre à l'Assemblée Cécile Rilhac, députée LREM, précédemment chef d'établissement scolaire, qui interpelle le ministre de l'Éducation nationale.
Désolé d'avoir appris «avec beaucoup de tristesse l'initiative d'un syndicat d'organiser deux ateliers séparant les “racialisés” des “non-racialisés”», Jean-Michel Blanquer attaque: «L'expression utilisée est absolument scandaleuse! […] On parle de “non-mixité raciale”, de “blanchité”, de “racisés”, les mots les plus épouvantables du vocabulaire politique sont utilisés au nom d'un prétendu antiracisme alors qu'ils véhiculent évidemment un racisme.» Il informe alors les députés qu'il porte plainte contre SUD Éducation 93. Réaction des élus? Tous se lèvent d'un même mouvement: longue ovation. Y compris Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen! Seuls quatre élus de la France insoumise restent assis. Eh bien, ce sont ceux-là qui vont triompher…
Quatre jours plus tard, Libération titre: «Y a-t-il vraiment un “racisme d'État”?» Deux tribunes suivent, l'une d'une blogueuse féministe qui justifie l'expression «racisme d'État» et la «blanchité», l'autre d'un chercheur du CNRS qui conseille à Blanquer de «faire un stage d'antiracisme» ; en face, un entretien avec Michel Wievorka, seul à approuver le ministre. Deux contre un: tout est bon pour démolir un homme qui plaît trop à l'opinion et déplaît tant à la «gauchosphère». La plainte va-t-elle au moins aboutir? Même pas! Le 7 février, le parquet classe sans suite. Circulez!
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Éric Zemmour : «Ce qu'il faut comprendre et retenir de l'affaire Mennel Ibtissem» (16.02.2018)
Par Eric Zemmour
Publié le 16/02/2018 à 07h45
CHRONIQUE - Les réflexions pseudo-«complotistes» de Mennel Ibtissem ne sont pas des erreurs de jeunesse, mais sont cohérentes avec son milieu et sa culture.
Ce fut leur affaire Dreyfus. Une affaire Dreyfus du pauvre. Avec des Zola de bar-tabac et des Barrès sans talent. Avec la télé et les réseaux sociaux à la place des journaux et des prétoires. Avec une jeune chanteuse à la place du capitaine. Devoir renoncer à son quart d'heure de gloire sur TF1, c'est aujourd'hui pire qu'être envoyé au bagne de l'île du Diable!
La jeune chanteuse s'appelle Mennel Ibtissem, est belle à se damner et chante du Leonard Cohen sirupeux en anglais et en arabe. On découvre qu'avant d'enchanter les jurés de «The Voice», elle avait parsemé son compte Twitter de réflexions sarcastiques doutant de la culpabilité des djihadistes, y voyant la main de l'Etat français «terroriste». Aussitôt, le feu prend sur les réseaux sociaux et TF1 est sommée de virer la «complotiste». Qui préfère se retirer dignement.
La guerre est alors déclarée. Entre les pour et les contre. Entre les avocats de la belle et ses contempteurs. Ses thuriféraires énamourés la regardent avec des yeux concupiscents de vieux barbons de Molière lutinant Célimène. Ses accusateurs y voient une Mata Hari islamiste. Les premiers plaident pour le droit à l'erreur d'une «jeunesse française». Les seconds reconnaissent la patte de Tariq Ramadan et des Frères musulmans. Ceux-ci devraient se rappeler leur combat permanent pour la liberté d'expression. Cette jeune fille y a droit comme chacun d'entre nous. Elle a le droit de douter des vérités officielles. De le dire publiquement sans être sanctionnée pour «délit d'opinion».
Tous les signes extérieurs d'assimilation, que la République jadis imposait de gré ou de force, manquent à cette jeune fille
Mais curieusement, ce n'est pas ce que plaident ses avocats autoproclamés. Leur défense sonne faux. Cette jeune fille porte un prénom coranique, comme on disait naguère dans les documents de l'Administration. Elle arbore un ostentatoire turban, version chic du voile islamique. Et chante en arabe. Prénom, vêtement, langue, tous les signes extérieurs d'assimilation, que la République jadis imposait de gré ou de force, et qui ont fabriqué des générations de Français à partir des immigrés italiens, espagnols, russes, polonais, kabyles, etc., manquent à cette jeune fille. Ce n'est pas un hasard mais une volonté délibérée, réfléchie. C'est typiquement ce que le bon sens populaire appelle une «Française de papier». Cela ne lui ôte aucun droit ni n'en fait une citoyenne de seconde zone. Mais cela marque la différence entre le droit et la réalité, entre le point de vue des élites et celui du peuple.
Quand les belles âmes viennent nous expliquer, frémissantes d'indignation, que les barbus, les Frères musulmans, les salafistes et les djihadistes se réjouissent du rejet de cette jeune chanteuse, pour mieux l'attirer, elle et ses semblables, dans leurs filets, ils se trompent et nous trompent. Les réflexions pseudo- «complotistes» de Mennel Ibtissem ne sont pas des erreurs de jeunesse, mais sont cohérentes avec son milieu et sa culture. Avec cette contre-société qui est en train de forger dans de nombreuses banlieues un peuple dans le peuple.
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Journaliste, chroniqueur
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L'insatiable appétit des Chinois pour les terres agricoles françaises (11.02.2018)

Par Edouard de Mareschal
Mis à jour le 11/02/2018 à 20h04 | Publié le 11/02/2018 à 17h55
ENQUÊTE - Un consortium chinois aux multiples activités vient d'acheter 900 hectares dans l'Allier, en toute discrétion, après avoir mené une première opération similaire dans l'Indre. Ces grandes acquisitions, qui font flamber les prix des terres, irritent de plus en plus les agriculteurs locaux.

Depuis le mois de novembre, 900 hectares de terre dans l'Allier sont passés dans l'escarcelle de l'Empire du milieu. La conquête s'est faite sans arme ni violence, mais dans le secret de conseils d'administration chinois et de cabinets de notaires français. Pourquoi ont-ils fait ça? Que comptent-ils en faire? Autant de questions sans réponses pour le maire de Thiel-sur-Acolin, l'une des communes où se trouvent une partie de ces terres désormais chinoises. «Je ne peux rien vous dire pour la simple et bonne raison qu'on ne m'a informé de rien du tout, tranche d'emblée Daniel Marchand, le maire de ce village de moins de mille habitants. On aurait aimé rencontrer les propriétaires, ou au moins leurs représentants. Pour un maire, c'est quand même la moindre des choses de savoir ce qu'il se passe dans sa commune.»
« L'équation est simple : la Chine compte 20 % de la population mondiale et dispose de moins de 10 % des terres arables pour la nourrir» 
Christophe Dequidt, communicant et co-auteur du «Tour du monde des moissons»
Le nouveau propriétaire est une filiale d'une société anonyme chinoise, Reward Group International. Ce consortium aux activités tentaculaires, qui vont de l'immobilier à la production de produits d'entretien ménagers en passant par l'agroalimentaire, poursuit en France un objectif très clair: «Mettre les céréales françaises sur les tables chinoises.»Son patron, l'homme d'affaires Keqin Hu, se targue de posséder «en France huit grandes fermes en propriété permanente». Pour répondre aux exigences croissantes de la classe moyenne chinoise, il souhaite ouvrir une chaîne de boulangeries haut de gamme, en contrôlant l'ensemble du processus industriel, de la moisson en France jusqu'aux étals de pains et viennoiseries en Chine. Dans ses acquisitions, Keqin Hu est guidé par un impératif premier: «Développer l'industrie au service de la patrie.»
Car ce rachat n'est pas qu'un projet industriel et commercial. C'est aussi un investissement stratégique. «L'équation est simple: la Chine compte 20 % de la population mondiale et dispose de moins de 10 % des terres arables pour la nourrir», explique Christophe Dequidt, communicant et auteur avec Sylvie Dequidt du Tour du monde des moissons, livre dans lequel sont étudiés les systèmes agricoles d'une quinzaine de pays, dont la Chine. «Ils doivent nécessairement se tourner vers l'étranger, ajoute-t-il. Et le modèle agricole français est très apprécié pour son rendement, son savoir-faire et l'organisation de ses filières.»
L'acquisition de terres françaises peut aussi répondre à une logique purement financière. «Dans un pays tel que la Chine, où la croissance est à deux chiffres, il y a énormément de capitaux disponibles, souligne Marie-Hélène Schwoob, ingénieur agronome et chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Les investisseurs peuvent donc être tentés d'abriter leurs actifs dans la pierre ou dans la terre. Sans oublier que cela présente aussi des opportunités d'optimisation fiscale.» Cet exemple a provoqué un électrochoc médiatique, mais les Chinois sont loin d'être les seuls à investir dans la terre de l'Hexagone: les Français le font aussi, bien sûr, tout comme les Allemands, les Belges ou les Hollandais - pour ne citer que les Européens.
Face à cette financiarisation du foncier, les Safer (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) sont impuissantes. Créées dans les années 1960 pour veiller à l'aménagement du territoire, favoriser l'installation des jeunes et limiter les phénomènes de concentration, elles sont aujourd'hui incapables de juguler une tendance en constante accélération. En dix ans, 20 % des terres agricoles sont passées entre les mains de sociétés anonymes. Lorsque la Safer de l'Allier a eu vent du projet de Reward Group International, il était déjà trop tard pour qu'elle exerce son droit de préemption au profit d'un autre acheteur.
Une faille juridique bien connue
«Comme elle ne pouvait rien faire, elle n'a pas répondu lorsque le notaire lui a notifié l'acte de vente», raconte Marc Bernardet, adjoint aux finances à Thiel-sur-Acolin. Car le groupe chinois s'est appuyé sur une faille juridique bien connue dans le monde rural: les Safer ne peuvent exercer leur droit de préemption que sur la totalité d'une exploitation agricole. Il suffit donc, pour le vendeur, de se constituer en société avant de céder la quasi-totalité des parts de l'exploitation à l'acheteur. C'est précisément ce qui s'est passé dans l'Allier, où le propriétaire français a revendu toutes ses terres formées en groupements agricoles, tout en gardant une ou deux parts dans chacune d'elles.
Avant de mettre la main sur les terres bourbonnaises, Keqin Hu avait déjà réalisé une opération similaire dans l'Indre. Entre fin 2014 et avril 2016, son fonds d'investissement Hong Yang rachetait plusieurs sociétés civiles d'exploitation agricole à Châtillon-sur-Loire, Vendœuvres ou Clion. Au total, 1700 hectares de terres sont passés dans son giron. Pour se faire, il peut compter sur l'intercession de Marc Fressange. Cet homme d'affaires français, diplômé de HEC, a fondé une entreprise d'export de produits du terroir français en Chine. Pour le compte de Keqin Hu, il entre systématiquement dans la gérance des sociétés agricoles rachetées.
«La conséquence est simple : cela crée une pression foncière qui rend la terre inaccessible aux jeunes agriculteurs»
Jean-Paul Dufrègne, député communiste de la circonscription
Dans l'Allier, l'opération financière fait grincer des dents. Le montant de la transaction n'est pas public, mais il oscillerait entre 10 à 12 millions d'euros. «Impossible de partir de cette somme pour extrapoler un prix à l'hectare, tempère Pierre Marnay, directeur général de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes. Car elle comprend aussi les comptes de la société, les contrats en cours, l'état des stocks, le matériel et les bâtiments agricoles…» Mais, pour le député communiste de la circonscription Jean-Paul Dufrègne, la transaction n'a aucun rapport avec la réalité du marché. «Ici, l'hectare vaut entre 2500 et 3000 euros, estime-t-il. Ajoutons 3000 euros par hectare pour l'installation des drains et des rampes d'arrosage, et on reste à des niveaux trois fois supérieurs à ceux du marché. La conséquence est simple: cela crée une pression foncière qui rend la terre inaccessible aux jeunes agriculteurs.»
«Les banques investissent des sommes folles pour afficher leurs logos sur des trimarans, mais il n'y a plus personne pour aider un jeune agriculteur à s'installer»
Jean Taboulot
Effectivement, l'opération financière n'a pas échappé aux jeunes agriculteurs du canton. Jean Taboulot est installé sur une exploitation à la sortie de Thiel, sur la route de Dompierre. Aujourd'hui, avec son associé, ils exploitent une ferme de 460 hectares et 360 têtes de race charolaise. Mais dans sa jeunesse, Jean a travaillé pour le propriétaire alsacien qui a revendu ses terres aux Chinois. «Je ne dirai jamais de mal de cet homme, prévient-il d'emblée. Monsieur M. a investi dans les années 1980, à un moment où on en avait besoin. Il y avait tout à faire: drainer, installer des pivots pour irriguer…» Mais lorsque cet homme a revendu, impossible pour un jeune agriculteur de s'aligner. «C'est malheureux, mais les banques ne font plus leur travail. Elles investissent des sommes folles pour afficher leurs logos sur des trimarans, mais il n'y a plus personne pour aider un jeune agriculteur à s'installer, lâche Jean Taboulot. Il aurait fallu diviser le lot par trois ou quatre, mais la Safer ne fait pas son travail.»
Après soixante ans d'existence, les Safer sont face à un défi inédit. Certains les jugent dépassées et militent, parfois au sein même du ministère de l'Agriculture, pour leur disparition pure et simple. Dans le projet de loi sur la société de confiance, le gouvernement proposait d'expérimenter leur suppression dans plusieurs départements. Mais Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle, a obtenu le retrait de l'article en commission à l'Assemblée nationale. «Plutôt que de les supprimer sous prétexte qu'elles ne fonctionnent plus, j'estime au contraire qu'il faut tout faire pour les réparer», dit-il. En pointe sur le sujet, l'élu avait fait voter, fin décembre 2016, une proposition de loi pour lutter contre l'accaparement des terres agricoles. La disposition permettait notamment aux Safer d'intervenir dans une vente, comme celles de l'Allier et de l'Indre. Mais l'initiative a été censurée par le Conseil constitutionnel. «Les Sages considèrent cette disposition contraire à la liberté d'entreprendre, explique Dominique Potier. Pour ma part, je maintiens qu'elle viserait au contraire à protéger la liberté d'entreprendre des jeunes agriculteurs, plutôt que de laisser les terres à des fonds de pension ou à des nations étrangères.»
Avec un groupe de députés, dont Jean-Paul Dufrègne, Dominique Potier est «reparti à la bagarre». Au sein d'une commission d'information sur le foncier, dont il est le corapporteur, il prépare une nouvelle mouture de son texte afin de le rendre conforme à la Constitution. Objectif: l'intégrer à la prochaine loi sur l'agriculture, annoncée par le ministre Stéphane Travert.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 12/02/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Journaliste Web.
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Projet de loi asile et immigration : la lourde charge de Cambadélis contre Collomb (16.02.2018)
Par Pierre Lepelletier
Mis à jour le 16/02/2018 à 12h26 | Publié le 16/02/2018 à 12h15
LE SCAN POLITIQUE - Discret depuis sa défaite aux législatives, l'ancien premier secrétaire du PS est sorti de son silence. Dans une tribune au Huffington Post, il critique vivement la politique migratoire menée par le ministre de l'Intérieur et ancien socialiste, Gérard Collomb.
«Mon cher Gérard», commence poliment Jean-Christophe Cambadélis. Le reste de la lettre, publiée vendredi sur le site du Huffington Post, est bien plus cinglant. Retiré pour le moment de la vie politique après sa défaite aux législatives, l'ancien premier secrétaire du PS n'a pas pris de gants pour s'en prendre à Gérard Collomb, son ancien collègue socialiste, aujourd'hui ministre de l'Intérieur. Il dénonce vivement sa politique migratoire et le projet de loi asile et immigration qui sera mis sur la table du conseil des ministres la semaine prochaine.
«Tu sais tout cela, parce que tu sais d'où tu viens»
L'ancien patron du Parti socialiste s'indigne notamment des propos de Gérard Collomb qui estime que l'on «ne pouvait pas avoir une augmentation exponentielle du nombre de migrants». «Un ancien président de la République, pour parler des réfugiés, avait choisi la métaphore plombière. Il voulait colmater des brèches, arrêter les fuites d'eau. Tu as préféré opter pour le confort de l'abstraction mathématique. La plomberie a le défaut de ne pas être une science exacte. Elle astreint au rafistolage, ce qui n'est pas très noble. Avec la fonction exponentielle, on est dans le domaine du sérieux, de l'objectif, du quantifié, de l'éprouvé. De l'incontestable, même. C'est pratique. Cela met à distance», raille par exemple Jean-Christophe Cambadélis, rappelant les propos de Nicolas Sarkozy en 2015. L'ancien chef de l'État comparait en effet l'arrivée des migrants à une grosse fuite d'eau.
«Tu sais au fond de toi qu'il n'y a rien d'équilibré dans la politique migratoire que tu conduis»
Le projet de loi asile et immigration porté par le ministre de l'Intérieur divise jusque dans les rangs de la majorité. Dernier débat vif: la proposition de loi sur le placement en rétention des demandeurs d'asile «dublinés». «En écrivant ta politique migratoire avec les mots qui ont cours dans les entrepôts d'Amazon ou de FedEx, tu perds de vue l'essentiel. Tu es d'autant plus enclin à sacrifier la décence et les principes que rien dans tes mots ne t'y renvoie», le critique Jean-Christophe Cambadélis.
«Tu sais au fond de toi qu'il n'y a rien d'équilibré dans la politique migratoire que tu conduis. Tu sais que tous ceux qui travaillent à l'accueil des migrants n'accepteront jamais les nouvelles règles que tu proposes. Tu sais même que les réfugiés préfèreront errer dans les rues plutôt que d'aller dans des camps - et le zéro SDF ne sera qu'un autre horizon lointain», raille-t-il en référence à la promesse d'Emmanuel Macron visant à loger tous les sans-abris. Avant de conclure: «Tu sais tout cela, parce que tu sais d'où tu viens.»
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Bruno Retailleau au chevet des chrétiens d'Orient (16.02.2018)
Par Guyonne de Montjou
Mis à jour le 16/02/2018 à 14h35 | Publié le 16/02/2018 à 09h15
Le président du groupe LR au Sénat a effectué, du 6 au 10 janvier, un déplacement en Irak et au Liban.
Ils ont saccagé les églises avec une méticulosité terrible. Ils ne se sont pas contentés de les brûler, ils en ont détruit les images au burin, parfois taillées depuis des siècles dans la pierre. Leur objectif était clair: anéantir les personnes autant que leur culture.» De retour en France après un séjour en Irak début janvier, le sénateur de Vendée Bruno Retailleau, ancien fidèle soutien de François Fillon, détaille les exactions de Daech. L'agenda chargé de cette rentrée politique et le tollé dans l'Ouest provoqué par l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes n'ont pas émoussé sa mobilisation en faveur des minorités persécutées du Moyen-Orient. Cette mission de protection qui «est inscrite dans l'histoire de France depuis Saint Louis et François Ier», comme il aime à le rappeler, l'a conduit à reprendre la présidence, au Sénat, en sus de celle du groupe LR, d'un groupe de solidarité, de liaison et de vigilance concernant les chrétiens et les minorités.
Bruno Retailleau se félicite des initiatives de solidarité locales qu'il a pu observer
Après trois ans d'efforts de la coalition internationale, le «califat» de l'Etat islamique a enfin été anéanti. Cependant, le traumatisme subsiste, comme la menace de résurgence: ce sont autant de freins au retour des déplacés. Ainsi, deux mois après que Bagdad a annoncé une victoire définitive contre Daech en Irak, chrétiens, yézidis et autres membres de communautés minoritaires sont loin d'avoir regagné leur maison. «Sur la plaine de Ninive, explique Bruno Retailleau, j'ai observé que dans les villes comme Qaraqosh où les chrétiens étaient majoritaires avant la guerre, une moitié d'entre eux est revenue s'installer. En revanche, déplore-t-il, dans une ville comme Mossoul, où leur sécurité n'est pas garantie car ils se sentent en minorité par rapport aux musulmans, ils ne sont pas rentrés.» Là pourtant, dans la grande ville du nord de l'Irak, 400 étudiants chrétiens, qui étaient partis étudier à Kirkouk, au Kurdistan irakien, sont courageusement revenus à l'université aux côtés des étudiants musulmans lors de la dernière rentrée. Autre signe d'espoir, après quatre ans d'un silence apeuré, Noël a de nouveau été fêté à l'église Saint-Paul de Mossoul, en la présence de dignitaires musulmans. «Certaines personnalités se révèlent dans la tragédie», constate Mgr Pascal Gollnisch, directeur de L'Œuvre d'Orient, une ONG active qui finance des projets au plus près des populations. Bruno Retailleau se félicite à son tour des initiatives de solidarité locales qu'il a pu observer: «J'ai vu que dans un certain nombre de villages, des comités de reconstruction avec des bénévoles, parfois autour d'un prêtre, se montaient. Des Irakiens, toutes religions confondues, photographiaient les maisons détruites pour estimer les coûts de reconstruction. En l'absence d'aide de l'Etat, pour l'heure, ce sont plutôt les églises qui prennent en charge cet effort.»
Lundi dernier, une conférence des donateurs pour l'Irak s'est ouverte au Koweït. A la clé, des dons importants pour le pays, épuisé par quatorze années de conflit. Mais l'essentiel est ailleurs. Au-delà des dégâts matériels, c'est l'âme du peuple qu'il faut réanimer: «Nous devons aider à restaurer une certaine conception de la citoyenneté, seule apte à garantir la cohabitation de toutes les communautés religieuses au sein d'une même entité nationale.» A Bartella, Qaramlesh, Bashiqa où à Erbil où il a rencontré les déplacés, le successeur vendéen de Philippe de Villiers a entrevu «une lueur d'espoir s'allumer dans les yeux de (ses) interlocuteurs» dès qu'ils ont compris qu'il était français. Là, certainement, puise-t-il quelques forces, voire, qui sait, cette fibre lyrique qu'on ne lui soupçonnait pas: «Les chrétiens sont un peu comme les abeilles dans l'environnement, note-t-il. Là où ils se trouvent, ils font le pont entre les religions et sont le signe de la bonne santé de la concorde civile.»
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Qat : le fléau somalien (16.02.2018)
Dans la corne de l’Afrique, ces feuilles vertes euphorisantes sont consommées quotidiennement. Un business juteux pour les négociants et ruineux pour les usagers.
De nos envoyés spéciaux à Mogadiscio et à Maua, Jean-Marc Gonin (texte) et Pascal Maitre/Cosmos (photos)
La matinée tire à sa fin et le soleil brûle déjà. Mogadiscio, la capitale somalienne, vit au ralenti. Les piétons recherchent l’ombre des murs blanchis à la chaux, les artisans somnolent couchés à même les planches sur des sommiers semblables à de larges tables, et les animaux – chiens, moutons, bourricots –, paressent à l’abri des maigres acacias. Au marché de Beerta, en lisière du centre-ville, la torpeur cache l’impatience. Couvertes de tôle ondulée appuyée sur des poteaux de bois grossier, les échoppes alignées sont encore vides. On dirait une étendue de terre battue peuplée de quelques marchands oisifs. Tous n’attendent qu’une chose : l’arrivage quotidien de qat.
Quand les trois camions franchissent l’un après l’autre le portail de ce marché de gros gardé par des hommes en armes telle une réserve d’or, leur irruption dans un nuage de poussière déclenche l’effervescence. D’un coup, tout le monde se lève et se précipite vers les poids lourds. On crie, on se bouscule, on se menace. Des hommes grimpent aux ridelles vers les sacs de jute empilés. Un à un, ils jettent les ballots gonflés de feuilles vertes, immédiatement récupérés par des portefaix qui se les disputent entre eux. Certes, le nom du grossiste destinataire est écrit sur chaque sac mais celui qui le transporte jusqu’à son étal aura droit à une récompense inestimable : une poignée de qat.
Dans les échoppes, le jute est prestement décousu pour libérer le précieux feuillage. Les grosses bottes sont divisées en petits bouquets. Les revendeuses des rues – àMogadiscio, la vente du qat est assurée par des femmes – les entassent ensuite dans des paniers ou des cabas ronds. Munies de leurs achats, elles quittent l’enceinte de Beerta sans délai. Devant le portail, des dizaines de rickshaws, moteur en marche, attendent leur passagère. A peine le qat entassé sur le plancher des véhicules et les vendeuses installées sur la banquette, une nuée de tuk-tuk – autre appellation de ces taxis triporteurs – fond sur le centre-ville où des acheteurs en manque tournent en rond. Comme tous les toxicomanes, leur ration quotidienne les obsède.

Le qat consommé à Mogadiscio pousse dans la région de Maua, sur les flancs du mont Kenya. Ci-dessus, les cultivateurs kényans apportent chaque jour leur récolte au marché d’Athiru Gaiti, où des négociants établissent le prix selon la qualité et la fraîcheur. A gauche, une femme emballe du qat dans des feuilles de bananier pour l’exportation : les feuilles ainsi protégées vont prendre l’avion pour Toronto, où la consommation de qat est légale.
Chaque jour, le même scénario se reproduit. Immuable. A Mogadiscio comme à Bosasso ou à Kismaayo, à Bardera comme à Baidoa, du nord au sud et d’est en ouest, la Somalie croule sous le qat tous les après-midi. Comme à Djibouti ou au Yémen, sur l’autre rive de la mer Rouge, cette drogue est un fléau national qui dévaste la société : accoutumance, violence, diminution de l’appétit, somnolence. 
Dans la corne de l’Afrique, cela fait des siècles que l’on consomme cette plante. En arabe, qat (ou khat) signifie arbuste. Il est originaire de cette région, soit du Yémen, soit d’Ethiopie, selon les sources. Aujourd’hui, le qat pousse essentiellement dans ces deux pays ainsi qu’au Kenya, à des altitudes supérieures à 1 600 mètres. En mâchant ses feuilles, on libère une substance psychotrope, la cathinone, qui stimule et rend euphorique – ce sont les bourgeons et les jeunes rameaux qui en contiennent le plus. Ses effets sont comparables aux amphétamines : elle soulage la fatigue et atténue la sensation de faim. Selon le site du ministère de la Santé, Drogue Info Service, sa consommation régulière entraîne tolérance et dépendance. En d’autres termes, l’usager ressent une perte d’efficacité du qat et son organisme en réclame davantage et plus souvent. Reconnaissables à leurs dents brunâtres, ceux qui en mâchent chaque jour développent des symptômes de paranoïa, subissent des accès de violence et peuvent nourrir des idées suicidaires. Insomnies, troubles de la sexualité et dénutrition viennent compléter ce sombre tableau.
A peine acheté, le qat est consommé sans délai. Cet homme vient de jeter les feuilles les plus grosses et ne garde que les plus tendres. Une à une, il les met dans sa bouche pour former une boule contre la joue qu’il va mâcher pendant des heures tout en avalant des rasades de thé.
Dans la corne de l’Afrique le quat est consommé depuis des siècles. En machant ses feuilles, on libère une substance psychotrope, la cathinone, qui stimule et rend euphorique. 
A 1 700 m. d’altitude, dans une plantation du village de Munoru (Kenya), une cueilleuse travaille au milieu des arbustes.
Le qat consommé à Mogadiscio pousse dans la région de Maua, sur les flancs du mont Kenya.
Les cultivateurs kényans apportent chaque jour leur récolte au marché d’Athiru Gaiti, où des négociants établissent le prix selon la qualité et la fraîcheur.
Les avions chargés de qat, en provenance de Nairobi, atterrissent chaque jour sur l'aéroport de Mogadicio.

L'avion est à peine posé que les sacs sont chargés dans un pick-up et immédiatement transportés sur un marché. Sur chaque balle, les transitaires ont inscrit le nom du grossiste somalien destinataire de la marchandise.

Sur le marché de nuit, les vendeuses proposent leurs bottes à 10 dollars la pièce. Les acheteur examinent la fraîcheur des feuilles, notamment les plus petites, les seules qu’ils vont mâcher.
Une femme emballe du quat dans des feuilles de bananiers pour l’exportation. Ces feuilles ainsi protégées vont prendre l’avion pour Toronto, où la consommation est légale.
Censés protéger les réfugiés qui ont fui la famine pour trouver abri dans un camp entre Afgooye et Mogadiscio, ces deux miliciens mâchent du qat. Le rituel est immuable : dès que les vendeuses arrivent en début d’après-midi, les hommes arrêtent toute activité.
Un négociant du marché de nuit d’Hargeisa compte sa recette. Le marché du qat est juteux. Il sert, entre autres, au financement des milices somaliennes.
Les trois quarts de la population masculine s’adonnent à la consommation de qat. Partout, des hommes, assis sur un seuil de porte, parfois couchés à même le sol, dépiautent leur poignée de rameaux rougeâtres.
Parcourir les rues de Mogadiscio après 15 heures revient à errer au pays de la toxicomanie généralisée : les trois quarts de la population masculine s’y adonnent. Partout, des hommes, assis sur un seuil de porte, couchés à même le sol ou vautrés à l’arrière d’un pick-up, dépiautent leur poignée de rameaux rougeâtres. A leurs pieds, le sol est jonché de feuilles jetées parce que jugées insuffisamment fraîches et jeunes à leur goût. Une joue gonflée par la boule de qat formée des meilleurs rameaux, ils passent des heures immobiles, les yeux dans le vague, à laisser la substance agir. Seuls interludes, de grandes rasades de thé servent à réhydrater la bouche asséchée par cette plante aux effets astringents. Autant dire qu’il ne faut pas traîner dehors à partir d’une certaine heure. Certes, Mogadiscio n’est pas une ville de tout repos mais, dès que le soleil décline, mieux vaut ne pas se trouver sur le chemin de ces accros au qat souvent munis d’une kalachnikov ou d’un couteau. Les accès de colère induits par la drogue conduisent chaque soir à des  drames.
Un budget mensuel de 300 $, soit plus que le salaire moyen d’un somalien
Au-delà des humeurs belliqueuses qu’elle produit, cette addiction pèse lourd sur l’économie et le travail. Au détail, dans les rues de Mogadiscio, le qat se vend 10 dollars le bouquet. Les usagers en ont besoin chaque jour. Un accro doit donc dépenser 300 dollars par mois pour assouvir sa dépendance. Or le salaire net moyen d’un Somalien tourne autour de 250 dollars. La conséquence est évidente : ceux qui peuvent se le permettre y passent l’intégralité de leurs revenus et les plus pauvres doivent recourir à des moyens illégaux pour se procurer de l’argent. « Il n’est pas rare que des soldats ou des policiers somaliens se servent de leur arme pour braquer, explique un responsable de sécurité occidental à Mogadiscio. Et, avec l’argent volé, ils se paient leur ration de qat. » Ailleurs, ce sont des familles qui sont détruites, des foyers qui s’appauvrissent et des enfants qui souffrent. Quand l’essentiel des revenus est englouti par le qat, l’argent n’arrive pas jusqu’à la  maison.
Quand l’essentiel des revenus est englouti par le qat, l’argent n’arrive pas jusqu’à la maison
Surnommé Qaad Diid (arrête le qat !) par les Somaliens, Abukar Awale, 48 ans, a déclaré la guerre à cette addiction. Il en a lui-même consommé pendant des années. Quand il a émigré de Somalie pour l’Angleterre, il s’est installé en 1997 à Wembley, où le qat importé légalement se trouvait facilement sur le marché. Pendant sept ans, il a continué à en prendre avant de s’arrêter d’un coup, se rendant compte qu’il détruisait sa famille et son avenir. « Je perdais confiance en moi, explique-t-il, je devenais paranoïaque. » Du jour où il s’est libéré de sa dépendance, Abukar Awale a lancé une organisation de lutte contre la consommation de qat. Il a d’abord concentré ses efforts sur la Grande-Bretagne, où la communauté somalienne la pratiquait sans entraves. Sa campagne de sensibilisation a marché. Scientifiques, travailleurs sociaux, élus lui ont emboîté le pas pour réclamer son interdiction au Royaume-Uni, dernier pays de l’Union européenne où il était en vente libre – même les Pays-Bas, où la tolérance vis-à-vis de ce genre de substances n’est plus à démontrer, l’avaient prohibé en 2012. Alors ministre de l’Intérieur, Theresa May a décidé de mettre fin au négoce en 2013, mesure qui a pris effet en juin 2014.
Depuis cette victoire, Qaad Diid tente de faire du prosélytisme dans son pays d’origine. Il n’a pas encore osé faire campagne en Somalie même. Mais il a tenté des incursions dans deux États voisins – nés de sécessions avec la Somalie. Avec des fortunes diverses. Au Puntland, il a effectué une conférence devant des étudiants en février 2015, tandis qu’au Somaliland, il a été arrêté par les autorités avant qu’il ne puisse prendre la parole…

À 1 700 mètres d’altitude, dans une plantation du village de Munoru (Kenya), une cueilleuse travaille au milieu des arbustes. Les feuilles se récoltent toute l’année.
A Maua, Abukar Awale ne serait pas le bienvenu. On le vouerait plutôt aux gémonies. Depuis que le Grande-Bretagne a mis un coup d’arrêt aux importations de qat, cette bourgade du Kenya a perdu gros – un chiffre d’affaires annuel estimé à 25 millions de dollars. Située dans le comté de Meru sur les flancs du mont Kenya, la ville vit de l’arbuste aux propriétés euphorisantes. Pas moins de 95 % du qat consommé à Mogadiscio pousse dans les plantations de la région. En langue meru, l’ethnie locale, on l’appelle miraa. Et, pour les agriculteurs, elle signifie miracle. Tout autour de Maua, sur les pentes du volcan éteint, on n’aperçoit qu’une mer ininterrompue de ces arbustes aux troncs gris et aux branches tortueuses. 
«Le commerce du qat, c’est une course contre la montre» - Jeremiah Kobia, négociant en gros à Maua
Le long des routes et des chemins, des colonnes d’ouvriers agricoles, hommes et femmes, se louent d’une plantation à l’autre pour cueillir les feuilles. « Le miraa, c’est une course contre la montre, explique Jeremiah Kobia, négociant en gros à Maua. Les feuilles fanent en quarante-huit heures et ne sont plus consommables. » Dès l’aube, les récolteurs sont à l’œuvre. Cornaqués par un ou une – les femmes sont nombreuses à travailler dans les plantations – contremaître, ils se concentrent sur les arbres désignés. Délicatement, ils coupent les tiges rouges, de la couleur de la rhubarbe, qu’ils posent ensuite dans un sac en bandoulière. 
Une fois la cueillette terminée, les propriétaires de l’exploitation filent à moto vers les marchés de la région, lestés de grosses bottes de qat tout frais. Le principal se tient tous les matins à Athiru Gaiti. Là, dès 7 heures du matin, les négociants attendent les fermiers sur une place aux allures de grand parking. Ces derniers portent la botte à vendre sur leur tête. Les négociants tournent autour d’eux pour juger la marchandise. « On la détecte à l’œil nu, dit Jeremiah Kobia. Plus le rouge des tiges est vif, meilleur est le qat. » Ce jour-là, une botte de qualité optimale se vend 1 500 shillings kényans (soit 600 KES le kilo), un peu moins de 15 dollars – à Mogadiscio, avec une botte comme celle-ci, les détaillants feront une trentaine de bouquets à 10 dollars pièce… Interrogée sur le prix, une agricultrice se lamente : « Avant que la Grande-Bretagne interdise la vente, on nous achetait la même botte pour 10 000 shillings (100 dollars) ! »

Ci-dessus, un camion arrive au marché de Breeta avec les sacs de qat. Il est parti avec sa cargaison de l’aéroport de Mogadiscio où atterrissent chaque jour plusieurs avions chargés de qat en provenance de Nairobi (Kenya). Sur chaque balle, les transitaires ont inscrit le nom du grossiste somalien destinataire de la marchandise.
Au bout d’une heure, les affaires sont terminées. Un agriculteur retardataire arrive en courant, tenant une grosse botte. En vain. Les négociants ont terminé leurs achats. Comme Jeremiah Kobia, ils enfourchent leur moto ou montent dans leur 4 x 4 pour gagner Maua au plus vite.
Quelques dizaines de bottes demeurent néanmoins sur place. Des négociants les apportent vers une spacieuse cabane en planches construite en lisière du marché. A l’intérieur, assises à même le sol, une vingtaine de femmes s’affairent à confectionner de petits bouquets de qat. Une fois les tiges assemblées, elles les enroulent dans de la feuille de bananier qu’elles saucissonnent ensuite avec un lien végétal. Le tout est ensuite glissé dans un sac en plastique. Cet emballage précautionneux visant à conserver l’humidité des feuilles est réservé à l’exportation lointaine. Ce qat-là va prendre un vol quotidien de Nairobi à Toronto (Canada), où vivent plusieurs dizaines de milliers de Somaliens. « Il y a cinq ans, cette cabane était une vraie ruche, raconte Laban Gitonga, un négociant âgé de 23 ans. Le qat destiné à l’Angleterre était conditionné ici pour partir par avion à Londres. » Jusqu’au 24 juin 2014, 56 tonnes de qat s’envolaient chaque année de Nairobi pour l’aéroport d’Heathrow. Autant dire qu’évoquer le simple nom de Theresa May sur le marché d’Athiru Gaiti provoque un début d’émeute. 
Loin des contrées désertiques et brûlantes où elle a ses origines, la diaspora somalienne domine le business du qat au Kenya
A Maua, la marchandise change de mains. Jeremiah Kobia, qui a regroupé le qat acheté le matin dans des gros sacs de jute, le vend en ville à des Somaliens. A 1 000 KES le kilo, il empoche un bénéfice de 40 %. Plusieurs milliers de Somaliens vivent dans cette bourgade située à 1 600 mètres d’altitude où il fait froid et humide. Loin des contrées désertiques et brûlantes où elle a ses origines, cette diaspora domine le business du qat au Kenya. Pourtant, elle n’en détient pas le monopole : le plus gros négociant de Maua, Stanley Karuti, est  kényan.
Les Somaliens de Maua n’aiment pas que l’on mette le nez dans leurs affaires. En fin d’après-midi, le long de la rue principale, sur des dizaines de pick-up alignés le long de hauts hangars s’entassent les sacs de qat. S’approcher pour poser quelques questions ou prendre quelques clichés provoque illico cris et menaces. Au point que la police locale doit intervenir. « Ils ne veulent pas qu’on se mêle du commerce du qat, explique un officier. Ne vous approchez pas de leurs véhicules ! »
S’intéresser de trop près aux voitures en cours de chargement n’est pas le seul danger. Il est encore plus périlleux de les croiser sur la route. Car les pick-up chargés de qat dévalent les quelque 300 kilomètres vers l’aéroport Wilson de Nairobi à tombeau ouvert. Ils doublent sur les routes de montagne sans la moindre visibilité. Les accidents sont si fréquents que les autorités kényanes ont hérissé la chaussée de ralentisseurs afin de freiner ces fous du volant (tous somaliens). Un chauffeur se vante d’arriver à destination en trois heures – le nôtre, qui roulait à une allure normale, en a mis cinq…

Un avion chargé de qat vient de se poser sur une piste en Somalie. Immédiatement déchargées sur un pick-up, les balles prennent le chemin du marché.
Au petit matin, sur le tarmac de Wilson, le deuxième aéroport de la capitale kényane, une quinzaine d’avions-cargos bimoteurs attendent la livraison quotidienne. «Le transport est organisé par les acheteurs et il est à leur charge,explique Stanley Karuti. Nous assurons seulement la livraison de la marchandise jusqu’à Wilson Airport.» Pour le négociant, cela représente deux pick-up chaque jour, soit deux tonnes de qat réparties en une vingtaine de sacs de 100 kilos. Lui aussi pleure la disparition du marché britannique. « Nous avons perdu 40 % de notre chiffre d’affaires. »
Quand les avions décollent un à un vers Mogadiscio, le qat contenu dans leur carlingue a été cueilli depuis à peine vingt-quatre heures. Deux heures plus tard, « l’escadrille de la came » touche le tarmac de la capitale somalienne. Le ballet est au point. Les camions sont prêts à recevoir la cargaison que toute une ville attend. Vers 11 heures du matin, ils franchiront le portail du marché de  Beerta.
La boucle est bouclée. Immuable, quotidienne, la noria du qat apporte aux habitants de la ville leur ration quotidienne. Tandis que négociants et transporteurs s’enrichissent, la population s’enfonce dans la toxicomanie et la pauvreté. Dans ce pays déchiré par plus d’un quart de siècle de guerre civile, où tout est à reconstruire et à réinventer, trois hommes sur quatre, accros à cette substance, vont perdre leur temps, leur santé et parfois leur vie à attendre puis à mâcher des heures ces maudites feuilles vertes. Dans cet enfer, le qat est un paradis plus qu’artificiel.

Censés protéger les réfugiés qui ont fui la famine pour trouver abri dans un camp entre Afgooye et Mogadiscio, ces deux miliciens mâchent du qat. Le rituel est immuable : dès que les vendeuses arrivent en début d’après-midi, les hommes arrêtent toute activité.

La jeune Afrique aux portes de la vieille Europe (16.02.2018)

Par Alexandre Devecchio
Publié le 16/02/2018 à 08h15
FIGAROVOX/LECTURE - Demain, la pression ­migratoire africaine, d'une ampleur sans précédent dans l'Histoire, sera le défi de l'Europe du XXIe siècle, prédit Stephen Smith, journaliste et auteur d'un essai intitulé La Ruée vers l'Europe.

Stephen Smith - Crédits photo : ©Hannah ASSOULINE/Opale/Leemage
«Et si Raspail n'était ni un prophète ni un romancier visionnaire, mais simplement un implacable historien de notre futur?», s'interrogeait Jean Cau au moment de la parution du Camp des Saints . Écrit en 1972, alors que le problème de l'immigration n'existait pas, ce roman décrivait l'invasion de l'Europe par des millions de «miséreux» venus du tiers monde et ses conséquences sur la civilisation occidentale. Quatre décennies plus tard, la réalité semble rejoindre la fiction. Stephen Smith n'est pas romancier, mais journaliste et universitaire. Il a tenu la rubrique «Afrique» de Libération puis du Monde. Et travaillé comme analyste pour les Nations unies et l'International Crisis Group. Son dernier essai, La Ruée vers l'Europe, fondé sur une enquête rigoureuse, a pourtant des allures de récit apocalyptique. L'Europe grisonnante se dépeuple tandis que l'Afrique émergente ressemble à «l'île de Peter Pan». L'Union européenne compte aujourd'hui 510 millions d'habitants vieillissants et l'Afrique, 1,25 milliard dont 40 % ont moins de 15 ans. En 2050, 450 millions d'Européens feront face à 2,5 milliards d'Africains.
Historiquement, l'Afrique était pourtant sous-peuplée. Cinquante fois grande comme la France, elle ne comptait qu'environ 150 millions d'habitants dans les années 1930. C'est alors que la donne démographique a basculé grâce aux progrès de l'hygiène, de la médecine et… de la politique coloniale de développement. Demain, la pression migratoire africaine, d'une ampleur sans précédent dans l'Histoire, sera le défi de l'Europe du XXIe siècle, prédit l'auteur: «La jeune Afrique va se ruer vers le Vieux Continent, cela est inscrit dans l'ordre des choses comme l'était, vers la fin du XIXe siècle, la “ruée vers l'Afrique” de l'Europe.» Contrairement à une idée reçue, c'est le relatif décollage du continent qui explique le phénomène de migration. Bien plus que «l'Afrique de la misère», c'est «l'Afrique émergente» qui se met en route. «Pour partir, il faut des diplômes, un petit pactole, un esprit qui permette d'échapper à une vision étriquée, rappelle Stephen Smith. Ce sont donc les forces vives qui s'en vont.» Autre paradoxe, les politiques de codéveloppement, censées aider les plus démunis à mieux vivre et rester chez eux, alimentent au contraire la ruée en aidant les pays pauvres à atteindre le seuil de prospérité à partir duquel leurs habitants disposent des moyens pour partir. «La jeunesse noire tourne le dos à la tribu des Vieux», écrivait Aimé Césaire. Cette jeunesse ne veut pas rêver de la modernité en faisant du lèche-écran. Elle veut vivre. Mais, comme l'ajoute Césaire, «pour vivre vraiment, il faut rester soi». L'amertume et le déracinement sont bien plus souvent au bout du chemin que l'eldorado promis. Pour l'auteur, la migration massive d'Africains vers l'Europe n'est dans l'intérêt ni de la jeune Afrique ni du Vieux Continent. Elle prive la première de ses cerveaux et de l'élan de sa jeunesse et met en péril le modèle social et culturel du second. Mais, pour lui, la ruée vers l'Europe est inéluctable.
La ruée vers l'Europe serait synonyme de fin de l'État providence
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- Crédits photo : _ISA
Et Smith d'envisager différents scénarios. Les deux principaux, «l'Eurafrique» et «l'Europe forteresse» sont, à son avis, deux impasses. Le premier a été envisagé au niveau européen et par les démographes de l'ONU dans un rapport, publié en 2000, intitulé «Migration de remplacement: est-ce une solution pour les populations en déclin et vieillissantes?» C'est sur ce rapport que Renaud Camus prendra appui pour développer sa sulfureuse théorie du «grand remplacement». L'idée était de faire venir en Europe près de 1 million d'immigrés par an pour stopper le déclin démographique et sauver le système de retraite et de Sécurité sociale. En réalité, note Smith en s'appuyant sur les travaux de l'économiste Paul Collier, «l'immigration massive d'Africains n'améliorerait en rien le ratio de dépendance du Vieux Continent». Le gain en termes de cotisations retraite ne compenserait pas les coûts engendrés par l'immigration en matière de sécurité, de soins ou d'éducation. Au contraire, pour Smith, la ruée vers l'Europe serait synonyme de fin de l'État providence. «Il ne subsistera en Europe que l'Etat de droit, le vieux Léviathan de Hobbes. Il aura alors fort à faire pour empêcher “la guerre du tous contre tous” dans une société sans un minimum de codes communs», écrit-il. «Sur le plan pratique, l'Europe forteresse est moins indéfendable qu'il n'y paraît.» Les conventions migratoires (qui «coupent le mal à sa source»), passées avec les pays de départ, ont déjà fait leur preuve. Mais, pour Smith, ces digues ne suffiront pas à contrer les nombreuses vagues qui s'annoncent. Et, sur le plan éthique, cette stratégie n'est, pour lui, pas recevable. Dans un article intitulé «Jean Raspail ou le splendide malentendu», le romancier Jérôme Leroy écrivait de l'auteur du Camp des Saints: «La contradiction, en effet, était rude, y compris pour Raspail lui-même, profondément catholique et royaliste. Perdre son âme en déclenchant un massacre pour sauver une civilisation ou perdre cette civilisation.» Stephen Smith ne dit pas autre chose: «Il y a une Europe qui a peur de perdre son “âme” et une autre qui veut à tout prix prouver qu'elle en a une.»
La Ruée vers l'Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, de Stephen Smith, Grasset, 268 p., 19, 50 €.
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Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Guillaume Roquette : «La loi du plus fort» (16.02.2018)

Par Guillaume Roquette
Mis à jour le 16/02/2018 à 14h49 | Publié le 16/02/2018 à 08h45
L'ÉDITORIAL DU FIGARO MAGAZINE - Quand l'État n'est plus capable de défendre les citoyens, les individus ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour protéger ce qu'ils ont de plus précieux.
L'affaire a fait grand bruitau début du mois: des squatteurs occupent une maison en banlieue parisienne et refusent de déguerpir. À la police venue les déloger, ils opposent… le ticket de livraison d'une pizza prouvant qu'ils sont là depuis plus de 48 heures, rendant impossible une expulsion immédiate. Il faudra l'intervention musclée de jeunes de la cité voisine pour faire partir les roms qui avaient investi les lieux.
Deuxième épisode:dimanche dernier, on interroge sur ce dossier le secrétaire d'Etat chargé du Logement au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI. Julien Denormandie est formel: la police peut encore expulser des occupants illégaux après 48 heures… à condition toutefois qu'il s'agisse d'un domicile principal. Tant pis pour les malheureux propriétaires d'une résidence secondaire, ils devront engager une longue, coûteuse et aléatoire procédure judiciaire. Et qu'ils ne s'aventurent pas à vouloir récupérer eux-mêmes leur bien: leurs squatteurs pourraient les attaquer en justice pour violation de domicile! Cette situation abracadabrantesque ne choque apparemment personne, et en tout cas pas le ministre en charge du dossier. Qu'importe si le droit de propriété est considéré par la Constitution comme imprescriptible: l'essentiel est de ne pas déranger ceux qui ont trouvé un toit à leur goût.
«Le monde est plein de vertus chrétiennes devenues folles», écrivait Chesterton. Ainsi en est-il de la justice quand elle place les agressés en situation d'infériorité juridique par rapport à leurs agresseurs. Au nom du respect des libertés individuelles et des droits de la défense, c'est la victime qui se retrouve encourir les foudres de la loi. Et ça ne vaut pas que pour les squats: un commerçant n'a pas le droit d'afficher sur sa vitrine la photo du cambrioleur qu'il a identifié via sa caméra de surveillance. Même la police ne peut pas se défendre quand elle est attaquée, comme le prouvent les agressions dont elle fait quotidiennement l'objet.
Tolérance zéro
«Nul n'a le droit de se faire justice soi-même» rétorqueront, à juste titre, les gardiens des grands principes. Certes, mais c'est néanmoins ce qui finit par advenir quand l'Etat n'est plus capable de défendre les citoyens. À force de renoncements, le risque est de revenir «à ce que les philosophes des Lumières appelaient l'état de nature, dans lequel les individus ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour protéger ce qu'ils ont de plus précieux», relève l'Institut pour la justice, un think tank engagé aux côtés des victimes. On en a eu la démonstration dans l'affaire des squatteurs de la région parisienne: ils ont été délogés par des gros bras.
Il y a vingt-cinq ans, le maire républicain de New York, Rudolph Giuliani, avait mis en œuvre dans sa ville la stratégie dite de la vitre brisée: tout délit, même le plus petit acte de vandalisme ou d'incivilité, était systématiquement et rapidement sanctionné. Comme on pouvait s'y attendre, la délinquance a spectaculairement baissé. Ne pourrait-on pas s'inspirer de cette politique, plutôt que de laisser les squatteurs déguster leurs pizzas?
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Pierre Nora : «La dictature de la mémoire menace l'Histoire» (16.02.2018)
Par Alexandre Devecchio
Publié le 16/02/2018 à 08h00
Le grand historien, qui a lui même siégé pendant douze ans au Haut comité des commémorations nationales, revient sur la polémique déclenchée par l'inscription de Charles Maurras dans le Livre des commémorations nationales. L'académicien s'inquiète de la tendance actuelle à instrumentaliser le passé en fonction des critères du présent de façon anachronique et moralisatrice.
Que pensez-vous des polémiques autour de l'inscription des noms deLouis-Ferdinand Céline en 2011, de Charles Maurras et de Jacques Chardonne cette année, dans leLivre des commémorations nationales?
La situation où se trouve aujourd'hui le Haut comité des commémorations nationales, avec cette polémique, est liée à l'histoire même de ce comité. Il a été institué en 1998 et héritait d'une Délégation aux célébrations nationales, fondée en 1974 et présidée par Maurice Druon. Elle était destinée à orienter la politique des commémorations et des célébrations de l'Etat. J'ai moi-même siégé dans ce Haut comité pendant douze ans, entre 1998 et 2010, et j'ai vu se mettre en place une ambiguïté qui a pesé de plus en plus lourd. Cette liste des anniversaires possibles pour une élévation commémoratrice est vite devenue un beau recueil que nous avons eu plaisir à établir sous la présidence de Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Le recueil a pris de plus en plus d'ampleur. Il faut rappeler que, dans ces années 1990 et au tournant du siècle, nous étions en pleine inflation commémorative, tant au niveau national qu'au niveau local. Quelques années auparavant, en 1987, il y avait eu le millénaire capétien ; en 1989, le bicentenaire de la Révolution ; en 1990, l'année de Gaulle.
«Le Haut comité était devenu l'antenne qui distribuait un peu d'aide financière et de notoriété ­nationale aux commémorations locales.»
C'était comme si la France avait revécu en trois ans tout son passé monarchique, révolutionnaire et républicain. Mais le comité a tout de suite été écartelé entre deux contraintes. D'une part, les grandes commémorations lui échappaient parce qu'elles étaient la chasse gardée de l'Elysée et, d'autre part, nous étions inondés par les vœux locaux car c'était le moment où l'inflation commémorative a saisi les villes et les villages. Il s'agissait de commémorer aussi bien la première ascension du mont Blanc que l'invention des boîtes de conserve à Massy. Le Haut comité était devenu l'antenne qui distribuait un peu d'aide financière et de notoriété nationale aux commémorations locales. C'était, dès le départ, une cote mal taillée. Sur l'inscription à ce Livre des commémorations se sont tout de suite posés de nombreux problèmes: faut-il célébrer des hommes ou des événements et des dates? Quels sont les critères exacts de l'évaluation? Doit-on faire apparaître un homme à sa naissance ou à sa mort? S'est posé aussi assez vite le problème de savoir si ce livre était fait pour commémorer ou célébrer. Etait-il destiné à exalter les gloires nationales ou à faire l'inventaire des repères historiques de la nation? Pour répondre à cette ambiguïté, nous avions transformé les «célébrations nationales» en «commémorations nationales». Nous avions cru que le terme «commémorer», qui signifie rappeler à la mémoire, était assez clair. Nous nous sommes trompés car le public lui-même glisse d'un sens à un autre. C'est là qu'apparaît l'affaire Maurras.
Alors, fallait-il retirer la référence à Maurras (notamment du fait de son antisémitisme), du Livre des commémorations ?
C'est une tempête dans un verre d'eau, mais elle pose bien le problème de ce Haut comité. Maurras n'est pas réductible à son antisémitisme. Le personnage est bien plus riche et complexe. Maurras a été un des inspirateurs et des soutiens les plus notoires de Vichy et, à ce titre, condamné à la Libération à la prison à perpétuité. Soit. Mais son procès eût-il eu lieu non en 1945 mais en 1949, comme celui de Bousquet, il est hautement probable qu'il n'aurait pas été condamné aussi sévèrement. C'est un personnage qui, de toute évidence, fait partie de l'histoire de France, à travers l'Action française , le journal que Proust lisait tous les jours. Il a cristallisé le pôle antirépublicain qui, paradoxalement, fait partie de l'histoire de la République. Il a eu durant toute la IIIe République une influence énorme. Il incarnait une opposition cohérente et constituée. C'est d'ailleurs à ce titre que je lui ai consacré moi-même une des premières longues études, qu'on peut trouver dans Recherches de la France. Il a aussi été l'un des artisans de la renaissance de la mémoire occitane et félibréenne à travers Frédéric Mistral. C'est incontestablement un personnage qui permet de comprendre son époque. C'est aussi un vrai écrivain. Son Enquête sur la monarchieparue en 1902 révèle quelque chose sur l'ancien esprit de la France. Si on se met à émettre des jugements et peser la balance, qui va-t-on admettre et ne pas admettre? Ou bien on veut que ce Livre des commémorationssoit exclusivement une glorification des grands personnages et il faut en exclure Maurras et bien d'autres. Ou bien on veut que ce soit un outil pour se repérer dans le passé et alors il faut rassembler tous les grands témoins historiques de la nation.
De manière générale, n'a-t-on pas tendance aujourd'hui à trop commémorer?
C'est difficile à dire car la commémoration a beaucoup évolué, et toute l'époque secrète de la commémoration. La commémoration classique, qui correspondait à unemémoire nationale unitaire, dictait assez bien les noms et les dates qui méritaient d'être honorés.
«L'atomisation de la mémoire historique, qui pouvait jusqu'ici rassembler l'ensemble des Français, a laissé place aux mémoires particulières et à la concurrence entre ces dernières.»
Jusqu'à la fin du siècle dernier, il n'y avait que quelques commémorations nationales, pas plus de six ou sept, qui correspondaient généralement aux grandes dates de l'histoire nationale comme le 11 Novembre. Puis l'atomisation de la mémoire historique, qui pouvait jusqu'ici rassembler l'ensemble des Français, a laissé place aux mémoires particulières et à la concurrence entre ces dernières. La commémoration nationale s'est transformée en «commémorationnite» permanente qui signalait l'hégémonie de la mémoire montante par rapport à l'histoire et au travail historique. La mémoire militaire, par exemple, pourtant très unitaire jusqu'à la guerre de 1940, est devenue très fractionnée. Il y a eu la commémoration des morts en Indochine et celle des morts en Algérie. Les dates qu'il faudrait commémorer pour la fin de la guerre d'Algérie continuent à faire débat. La commémoration des grandes dates et des grands hommes s'est conjuguée à la commémoration culturelle locale. Lorsque je siégeais au Haut comité, je me souviens de la pression des groupes et des lobbys ou de la société des «amis de Untel» qui s'arrangeaient pour essayer de nous faire commémorer la naissance, la mort, l'œuvre, le livre le plus important, l'entrée à l'Académie française, etc. Dans ce contexte, se sont multipliées les commémorations dont on peut se dire qu'elles n'intéressaient que le groupe concerné. Cela s'est accompagné d'une dictature de la mémoire. Il fallait désormais disposer du passé en fonction des critères du présent de façon anachronique, moralisatrice et même, disons-le, discriminatoire. La mémoire de la Shoah ou des crimes nazis est beaucoup plus présente par exemple que celle des crimes du communisme.
Pourquoi cette indulgence dans la mémoire officielle et collective pour les crimes communistes?
Il a fallu attendre L'Archipel du Goulag, d'Alexandre Soljenitsyne, publié en 1973 à Paris, pour que s'opère une prise de conscience. Cela peut fort bien se comprendre. Ces crimes ont été plus présents à l'Est qu'à l'Ouest et ont, pour nous, moins de visages et de lieux. Certains d'entre nous ont des membres de leurs familles qui ont été déportés ou connaissent des voisins, des amis qui portent en eux cette mémoire. Il y a aussi des associations de fils et filles de déportés. Il n'y a pas l'équivalent pour la mémoire communiste. Les vecteurs mêmes de la mémoire sont moins présents et moins pressants. Enfin, il y a une rémanence de l'influence du Parti communiste qui a su longtemps diffuser et maintenir une image positive de lui-même. Si bien qu'aujourd'hui encore ses crimes ne sont pas admis de manière aussi unanime que les crimes nazis.
Au contraire de la diabolisation de la mémoire coloniale….
La montée en puissance de la mémoire coloniale contée par les Antillais ou les Africains a imposé une mauvaise conscience qui se répercute plaisamment jusque dans ce petit Livre des commémorations. On y trouve ainsi, côte à côte, Guillaume Guillon-Lethière, premier peintre de couleur à s'être imposé dans le monde de la peinture occidentale, et la première loi de 1818 interdisant la traite négrière… Tant que l'histoire coloniale permet d'enrichir notre connaissance de la période et de mettre en lumière des faits passés sous silence, on ne peut qu'approuver. Mais l'époque pousse à ne retenir de cette grande période de l'histoire que les faits accusateurs de l'histoire nationale, alors cela débouche sur une lecture manichéenne, en noir et blanc. Les associations ont tendance à prendre en otage l'Histoire et à ne retenir que ce qui accuse et condamne le colonisateur. On peut notamment rappeler la polémique absurde au début du quinquennat Hollande sur Jules Ferry. Le président de la République s'était lui-même fourvoyé en distinguant le «bon» Ferry, père de l'école primaire obligatoire et laïque et le «mauvais» Ferry, qui était colonisateur. Le livre de Mona Ozouf a fait litière de cette légende et montré qu'il s'agissait du même homme!
«Péguy avait dit du 14 juillet 1789 que la prise de la Bastille avait été, à elle-même, sa propre commémoration, 1968 est tout entier commémoratif.»
Macron a laissé entendre qu'il pourrait commémorer Mai 68…
Je ne vois pas ce qu'une commémoration officielle pourrait commémorer. Quelle date va-t-on choisir? Le début de l'occupation de la Sorbonne? Les accords de Grenelle? Le défilé des Champs-Elysées? Il ne faut pas oublier qu'à un an près, c'est 1968 qui a renversé le général de Gaulle. Il me paraît tout de même difficile de commémorer officiellement le déboulonnage de De Gaulle. Cela dit, il va bien y avoir une commémoration non officielle. Elle a déjà commencé. On peut citer le livre de Jean-Pierre Le Goff, La France d'hier, ou celui de Benjamin Stora, Mai 68 et après?ou celui de Ludivine Bantigny, 1968. De grands soirs en petits matins. Que 1968 soit un grand repère historique, plus ou moins artificiel, pour dater un changement rapide de la France, c'est certain. Cela touche les rapports entre les hommes et les femmes, la famille, l'entreprise, l'université, l'économie. A partir de 1968, il y a eu une sorte d'accélération vers un monde nouveau. Est-ce que cela se serait passé sans les événements de Mai? C'est possible, et même probable. Mais ces événements ont joué un rôle d'accélérateur social et de repère générationnel absolu. Et, pour les historiens, la commémoration de Mai 68 a commencé dès 1968. Entre mai et décembre 1968, il y a eu plus de 100 livres sur ces événements. De la même façon que Péguy avait dit du 14 juillet 1789 que la prise de la Bastille avait été, à elle-même, sa propre commémoration, 1968 est tout entier commémoratif. C'est la mémoire de 1789, de la révolution de 1848, de la Commune de Paris: Mai est le récapitulatif symbolique de la mémoire de la Révolution française. Mai 68 a grillé la politesse au bicentenaire de 1789. Ce concentré commémoratif a inauguré ce que j'ai appelé «l'ère de la commémoration».
Le Sénat polonais a voté une loi sur la Shoah, destinée à défendre l'image du pays. Le texte a déclenché une polémique mondiale…
Un sentiment d'horreur et d'effroi. Au prétexte que les camps nazis localisés en Pologne pendant la guerre n'étaient pas des camps polonais mais allemands, le gouvernement polonais cherche à faire oublier la politique antisémite de la Pologne et sa participation à l'extermination des Juifs soit sous forme directe, soit sous forme indirecte par inspiration des Allemands.
«Le problème de la loi Gayssot est complexe car elle a servi de modèle aux autres lois mémorielles, sans en être une à proprement parler.»
Il y a eu des pogroms et des liquidations exécutés par les Polonais eux-mêmes dès 1941. Des livres entiers ont été consacrés aux villages pogromisés comme celui de Jedwabne en juillet 1941. Après avoir été longtemps exclusivement attribué aux Einsatzgruppen (police politique du Troisième Reich), des historiens mettent en avant la responsabilité de civils polonais, peut-être à l'instigation des troupes allemandes. On ne peut pas nier la politique antisémite de la Pologne, qui s'est même déployée après la guerre où de nouveaux pogroms ont eu lieu sur les survivants juifs des camps. On peut citer notamment le massacre de Kielce en 1946, imputé dans un premier temps au service soviétique alors que les coupables étaient les Polonais eux-mêmes. Il y a un historique de l'antisémitisme polonais incontestable. C'est donc la poussée d'un nationalisme polonais exacerbé qui impose cette loi. C'est le type même d'ingérence du politique sur l'historique au nom de quoi nous avions fondé, sous la présidence de René Rémond, cette association, dont j'ai hérité après lui, qui s'appelle Liberté pour l'histoire et qui a lutté contre les lois mémorielles auxquelles le décret de 2012 du Conseil constitutionnel a, semble-t-il, mis fin…
Vous êtes opposé aussi bien à la loi Gayssot qu'à la loi Taubira…
Non, pas du tout de la même manière. Le problème de la loi Gayssot est complexe car elle a servi de modèle aux autres lois mémorielles, sans en être une à proprement parler. Robert Badinter a bien montré qu'il s'agissait d'une loi anti-négationniste et non mémorielle. Ce n'était pas une loi de qualification d'un passé lointain par un groupe de pression, mais une loi qui concernait la négation d'un fait historique évident. C'était donc une loi, non contre l'Histoire, mais en faveur de celle-ci. A titre personnel, je faisais tout de même partie du très petit nombre d'historiens, avec Pierre Vidal-Naquet (historien dreyfusard dont les parents eux-mêmes avaient été déportés) et Madeleine Rebérioux (alors présidente de la Ligue des droits de l'homme), qui y étaient hostiles. Nous avions bien des raisons au début du «faurissonisme» de souhaiter la sanction de la négation du génocide juif, mais nous craignions qu'en sanctuarisant un groupe, nous poussions les autres groupes victimisés à vouloir se sanctuariser eux-mêmes. C'est exactement ce qui est arrivé avec la loi Taubira.
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