Lancé le 6 février sur Twitter, le hashtag recense des
milliers de témoignages de femmes ayant subi harcèlement et agressions
sexuelles dans la ville sainte.
La Kaaba, au cœur de la mosquée de La Mecque lors du
pèlerinage du Hadj, en Arabie saoudite, le 22 juin 2017.
Après #BalanceTonPorc, le hashtag #MeToo, lancé sur Twitter
dans la foulée de l’affaire Weinstein à l’automne 2017, fait de nouveau des
émules. Sur #MosqueMeToo (MosquéeMoiAussi, en français), des femmes musulmanes
relatent leurs expériences de harcèlement et d’agressions sexuelles lors du
hadj, le pèlerinage rassemblant plus de deux millions de fidèles chaque année à
La Mecque, en Arabie saoudite.
Depuis son lancement mardi 6 février, le hashtag a essaimé
dans le monde entier : des milliers de tweets en anglais, en turc, en arabe
dialectal et en farsi ont été publiés, à l’image de l’éventail, très varié, des
croyants présents à La Mecque. En 2017, deux tiers des pèlerins étaient
étrangers (soit 1,313 million de personnes) et la moitié était des femmes.
Plus de 2 000 tweets en vingt-quatre heures
C’est l’éditorialiste et auteure américano-égyptienne Mona
Eltahawy qui est la première à avoir utilisé le hashtag #MosqueMeToo, en
partageant un article passé jusqu’alors inaperçu sur le harcèlement sexuel subi
par certaines femmes lors du pèlerinage.
« Il y a quelques années, j’ai commencé à raconter que
j’avais été agressée sexuellement pendant le hadj. J’ai écrit dessus dans mon
livre en 2015. C’est difficile de parler des agressions qui arrivent dans des
lieux sacrés. J’espère que toutes celles qui prennent la parole aujourd’hui
peuvent aider celles qui, pour quelque raison que ce soit, ne peuvent pas
parler maintenant. »
L’article, publié le 5 février sur le média anglophone à
destination des jeunes du monde arabe StepFeed, relaie notamment le témoignage
de Sabica Khan, une Pakistanaise musulmane ayant raconté sur Facebook son
expérience à La Mecque. Tandis qu’elle faisait le tawaf (rituel consistant à
tourner sept fois autour de la Kaaba), des hommes ont touché avec insistance,
puis pincé ses fesses. De nombreuses femmes avaient alors répondu à son statut
Facebook, racontant qu’elles avaient vécu les mêmes agressions.
« JE N’AI JAMAIS AUTANT ÉTÉ HARCELÉE QUE DANS LA VILLE
SAINTE »
La création du hashtag #MosqueMeToo a permis de multiplier
les témoignages et de les rendre plus visibles : en quelques heures, il est
devenu l’un des dix les plus utilisés en Iran le 6 février.
« C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne dis jamais
“oui”, lorsqu’on me demande si je veux retourner à La Mecque. Je n’ai jamais
autant été harcelée que dans la ville sainte », explique une femme sur Twitter.
« On leur demande de se taire »
« Les gens pensent que La Mecque est le lieu le plus sacré
pour les musulmans et donc que personne n’y ferait rien de mal. C’est
totalement faux, explique une blogueuse indonésienne vivant en Italie. Une
fois, quelqu’un a touché mes seins, puis les a pressés. J’étais choquée. Le mec
derrière moi a fait semblant de ne rien avoir fait et a filé. J’étais tellement
choquée que j’ai juste fondu en larmes en silence. »
SE TAIRE AU NOM DE L’ISLAM, « C’EST À LA FOIS INJUSTE ET
OPPRESSANT »
Mona Eltahawy, qui se définit comme « musulmane libérale »,
inscrit sa prise de parole dans une démarche féministe, qu’elle avait entamée
en 2015 en publiant son ouvrage Voiles et Hymens : pourquoi le Moyen-Orient a
besoin d’une révolution sexuelle :
« Cela m’a pris des années avant que je puisse parler des
attouchements [subis] pendant le hadj. J’ai gardé le silence non seulement à
cause de la honte mais aussi pour que les musulmans n’aient pas une mauvaise
image. Même, aujourd’hui, quand je dis avoir [subi] des attouchements pendant
le hadj, je suis accusée d’inventer ou j’entends dire que je calomnie l’islam.
»
Face aux critiques venant d’internautes musulmans accusant
le hashtag de « salir l’islam », l’éditorialiste du Guardian, Aisha Sarwari,
rejoint la démarche de Mona Eltahawy, soulignant dans un tweet que « les femmes
musulmanes comme les autres femmes souffrent de harcèlement, mais quand cela
arrive dans un contexte religieux, on leur demande de se taire au nom d’une
cause plus grande. C’est à la fois injuste et oppressant. »
LE MONDE | 13.02.2018 à 17h54 • Mis à jour le 14.02.2018 à 12h46