Le premier livre sur la place de l'islam durant la Première Guerre mondiale, durant laquelle 600.000 soldats musulmans servirent la France.
Entre 1914 et 1918, l'Allemagne de Guillaume II cherche par bien des moyens à allumer dans les Empires français et anglais une rébellion massive des musulmans. Pour ce faire, quoi de mieux que de pousser le sultan de Constantinople à proclamer la guerre sainte contre les chrétiens ? Tout est pensé, mûri, réfléchi par les stratèges allemands : le panislamisme et le djihad assureront la victoire du Reich.
Ce projet, pris très au sérieux dans les ministères de Berlin, Londres et Paris, fut un échec, au sein d'un Empire ottoman en décomposition comme au Maghreb : Marocains, Tunisiens et Algériens servirent massivement dans l'armée française, et tous payèrent leur fidélité au prix du sang. Si les peuples musulmans exigèrent, durant et après la guerre, des droits nouveaux, ce fut le panarabisme, non le panislamisme, qui servit d'étendard commun.
Pour rendre compte de cette réalité totalement méconnue, et pourtant passionnante, de l'histoire de la Grande Guerre et restituer tant les plans allemands que les questions qui traversèrent alors le monde musulman sous domination européenne, il fallait la connaissance intime de la période et le sens du récit de Jean-Yves Le Naour.
Commentaire aj : Lorsque j'ai vu l'annonce de ce livre, je me suis rapidement jeté dessus pour deux raisons essentielles :
- le côté assez exotique d'une thématique relativement peu traitée de la WWI (en l'occurrence, le cas de l'Empire Ottoman, sur lequel il n'existe pas grand chose en français) ;
- le fait d'aborder des troupes coloniales françaises (et notamment d'Afrique du Nord) sous un angle différent.
On laissera le côté un peu sensationnel du titre "Djihad", vis à vis de notre actualité, même si j'en conviens que c'est probablement assez vendeur.
L'ouvrage est centré sur le plan allemand d'alliance avec l'Empire Ottoman pour perturber l'effort de guerre des Empire coloniaux français et britannique (voir Russe, pour essentiellement les raisons du Caucase). Le projet dessiné sous l'impulsion des orientalistes allemands visait, par l'appel à une guerre sainte du Calife ottoman, à provoquer automatiquement la révolte de l'ensemble des sujets musulmans des deux empires coloniaux adverses. D'où une politique allemande orienté sur le renforcement de l’amitié avec l'Empire Ottoman (en plein effondrement) et à présenter Guillaume II comme le protecteur de l'Islam.
Dans la pratique, les choses seront radicalement différentes et aboutiront à un échec total de "l'arme miracle" :
- il est vrai qu'au déclenchement de la guerre, le Calife Ottoman n'est plus grand-chose, la réalité du pouvoir étant entre les mains des "Jeunes-Turcs", dont l'orientation religieuse est davantage vers une "laïcité" (sans rentrer dans les débats sur le contenu de la notion) ;
- le poids du calife commandeur des croyants dans la communauté musulmane mondiale est des plus limités, notamment dans le cas français, dans un Maroc sans réel lien religieux hiérarchique, une Algérie dont les liens sont désormais anciens, une Afrique Noire qui n'y a jamais été unie. Reste la Tunisie, de Protectorat récent. L'idée d'un Calife Pape Musulman (selon la théorie allemande) est donc assez éloigné de la réalité ;
- la notion du Djihad est, par ailleurs, difficilement conciliable sur le plan religieux avec le déroulement de la guerre : en l'occurrence, une guerre contre certains infidèles chrétiens, tout en étant allié à d'autres infidèles chrétiens.
Résultat : le plan allemand tombe entièrement l'eau dès les premiers mois : les populations locales d'Afrique du Nord font preuve d'une fidélité que ce soit à l'arrière ou sur le front (les tentatives de retournement des prisonniers de guerre étant là encore un échec total).
Certes, tout n'est pas parfait dans les territoires concernés et plusieurs tensions éclatent, mais elles tiennent davantage à des problématiques locales : défaut de la pacification de certaines régions du Maroc et des confins saharien, amenant certains chefs rebelles à profiter de l'aide allemande ou résistance à la conscription par peur de voir les fils mourir en une terre lointaine (tout en reconnaissant le soutien économique à la France). On est davantage vers du nationalisme ou des revendications locales qui apparaissent du fait d'un affaiblissement de la présence militaire du colonisateur qu'à un résultat de l'appel germanique au Djihad.
Inversement, on note côté français une réelle psychose face à cette menace qui ne se matérialisera jamais. D'où une série de réponses tenant à l'usage de la contre-propagande ou par des mesures afin d'améliorer les conditions des troupes musulmans sur le front (tentative de respect des jours fériés religieux, des rites funéraires islamiques..., etc...). Le seul réel échec sera dans l'après-guerre avec l'incapacité de réformer le régime colonial local malgré des tentatives concrètes des pouvoirs constituants français : comme par exemple le projet d'attribution de la nationalité française aux combattants. Réformes qui seront, néanmoins, bloqués par les différentes institutions/groupements de colons sur place.
Le thème de l'ouvrage est profondément intéressant, il souffre cependant d'un gros défaut : la matière est finalement assez limité. Oui, le projet allemand est intéressant à présenter, ainsi que les raisons de son échec. Mais finalement cet échec rapide implique un remplissage sur les 250 pages (à mon sens la moitié aurait été largement suffisant) ou alors il aurait été intéressant d'en raconter davantage sur l'Empire Ottoman en guerre (ce dernier acteur essentiel sur le sujet n'est que peu présent, sauf pour la déclaration engageant le Djihad et le rappel bref des grandes opérations). L'ouvrage est davantage centré sur le couple français-allemand par l'intermédiaire des soldats musulmans. De même, il est dommage de ne pas avoir d'éléments concrets sur le cas anglais face au même problème (là encore, uniquement quelques éléments rapidement signalés).
Enfin, et comme souvent avec les ouvrages de Jean-Yves le Naour, je suis assez partagé. Oui, la qualité de la plume est certaine, l'écriture particulièrement dynamique et plaisante à lire. L'auteur sait parfaitement raconté l'histoire, tout en conservant le rigueur de l'historien. Mais il a parfois tendance à s'emporter sur certaines expressions donnant une impression (certes erronée, mais présente) de partialité. Notamment dans le cas de cet ouvrage, on a parfois l'impression de voir l'auteur se moquer ouvertement des projets allemands, des dirigeants ottomans qui apparaissent parfois comme stupides. Et c'est un aspect qui me gêne souvent chez cet auteur, même si je lui reconnais une impressionnante maîtrise de l'écriture, que je lui envie largement.