[Ahmed] Omar [Saeed] Sheikh, "the man who murdered Osama bin Laden" |
Ce blog privilégie la réflexion de fond, et ne traite normalement pas d'actualité immédiate. J'ai néanmoins décidé de faire une exception ici, vu le silence quasi généralisé des médias (et, pour une fois, pas uniquement les médias francophones) sur cette étonnante affaire.
L'interview du 2 novembre 2007.
Pourtant, la nouvelle date déjà ! Le 2 novembre, Benazir Bhutto est interviewée par David Frost, à « Over the world », une émission en langue anglaise de Al Jazeera. Le mois précédent, à son retour au Pakistan, Benazir Bhutto échappe à un attentat qui avait fait 158 morts, mais qui n'entame pas sa détermination à poursuivre sa campagne pour l'élection présidentielle. Vous pouvez visualiser cette interview ici (version en anglais). A la sixième minute, et sans avoir l'air d'y toucher, Benazir parle d'Omar Sheikh, « the man who murdered Osama bin Laden ».
(Note n° 1: Omar Sheikh est un ancien membre de l'ISI (services secrets pakistanais), membre d'Al-Qaeda, et acoquiné avec la pire des mafias, dont la pègre indienne. Avec un patron de l'ISI, le général Mahmoud Ahmad , il est soupçonné d'être un des commanditaires de l'attentat du 11 septembre 2001. C'est e.a. lui qui transféra à Mohammad Atta cent mille dollars la veille de l'attentat du 11/9. Et c'est un des meurtriers de Daniel Pearl. C'est dans le cadre de cette affaire qu'il sera arrêté par la police pakistanaise en février 2002, et condamné à mort en juillet de la même année.
Il croupit depuis dans une prison pakistanaise. Mahmoud Ahmad, lui, a été discrètement limogé de l'ISI).
Il semble que Benazir Bhutto n'a même pas réalisé ce qu'elle avait dit. Frost, l'intervieweur, semble lui non plus, n'avoir rien remarqué, alors que cette nouvelle aurait dû faire l'effet d'une bombe. L'ancien Premier ministre désigne du doigt "l'homme qui a assassiné ben Laden".
Est-ce un lapsus, est-ce un scoop ? Si c'est la seconde hypothèse, Al Jazeera tient peut-être là un scoop incroyable, mais son journaliste, David Frost, ne semble même pas s'en apercevoir : il n'interrompt pas Benazir Bhutto, ne pose aucune question, ne demande aucun éclaircissement !
Ce qui est plus étonnant encore, c'est que, depuis deux mois, les médias se refusent à commenter cette nouvelle étonnante ! Celle-ci n'est ni démentie, ni confirmée, et nos journaux continuent à se concentrant sur des détails de la mort de Benazir Bhutto (est-elle morte d'une balle, ou en cherchant à s'extraire de la voiture, etc...) alors qu'un élément capital pourrait peut-être expliquer sa mort ! En savait-elle trop sur cette affaire ? Est-ce quelque chose qu'on ne lui aurait pas pardonné ?
Scoop ou lapsus ?
Soyons francs, la possibilité d’un lapsus n’est certainement pas à exclure. Elle est même la plus probable : sur la vidéo, Benazir Bhutto paraît dans « un état second », les yeux décavés, fatiguée et sans doute un peu ébranlée (n’oublions pas qu’elle a déjà échappé à un premier attentat gravissime, à peine rentrée au pays). Peut-être voulait-elle parler de Daniel Pearl, comme le suggèrent certains (j'ai lu quelque part que, le lendemain sur la chaîne américaine CNN1, elle disait que Ben Laden était en vie). Toujours est-il que ça ne dispensait pas la presse d’en parler, quitte à explorer les pistes qui pouvaient amener à cette conclusion.
La dernière vidéo de Ben Laden.
Celle-ci a été rendue publique sur Al-Jazira le vendredi 7 septembre 2007. C’est la première vidéo depuis octobre 2004. Ben Laden y apparaît, la barbe teintée au henné noir (signe de guerre, chez les salafistes, où les hommes évitent de se teinter par coquetterie), mais vieilli, le teint terreux, à bout de forces. Ce qui correspond à l’idée d’un homme qui a – à tout le moins – de sérieux problèmes rénaux, et de grosses difficultés, malgré les tonnes d'argent et les complicités dont il bénéficie, à se faire soigner correctement.
Selon le renseignement américain, les analyses d’authentification permettent d’être quasiment sûrs que c’était bien ben Laden dans la vidéo, mais la datation reste incertaine : toutes les références faites des événements actuels (par exemple, l’élection de Sarkozy ou de Gordon Brown), sont énoncés quand l’image vidéo ne bouge pas. Ce problème « technique » pourrait servir à camoufler une bande son trafiquée.
Or, dans l’hypothèse ou Benazir Butto n’aurait pas fait de lapsus *et* était correctement informée, cela voudrait effectivement dire que Osama Ben Laden serait mort depuis …fin 2001, début 2002 au plus tard, puisque son assassin présumé est en prison depuis cette date.
Peu probable ! Non seulement un certain nombre de témoignages (dont ceux de soldats français) semblent prouver le contraire, mais il faudrait que toutes les vidéos de Ben Laden aient été enregistrées avant fin 2001, et surtout, il faudrait admettre que l'état de santé de Ben Laden (que l'on sait de celui-ci par rapport aux premières vidéos s'est fait en à peine quelques mois. Difficilement imaginable.
Les mobiles pour lesquels Ben Laden aurait pu être assassiné par un autre musulman, ne manquent pas. En accélérant la perspective du rétablissement du Califat, il a aiguisé les appétits des responsables politiques et religieux musulmans. A commencer par ceux de tous les dirigeants de pays islamiques, sunnites ou chiites, et d’abord les principaux d'entre-eux: ceux dArabie Saoudite, du Pakistan, d'Iran, de Syrie, de Lybie, etc. .. mais aussi les challengers, les « free-lance » qui se profilent à la faveur du djihad mondial. A cet égard, la pseudo "laïcité" de certains pays et dirigeants arabes ne doit pas non plus faire illusion (Cf. Note n° 2). Ainsi, dans ce domaine comme dans d'autres, Saddam Hussein était un précurseur. En 1990, donc bien avant la première guerre du Golfe, il fait bâtir en Irak des mosquées pharaoniques et se fait appeler le nouveau Saladin du monde arabe, soutient les "martyrs" palestiniens, et s'empare du Koweit, non simplement pour une raison de frontières historiques, comme on le dit par erreur, mais comme première étape vers l'appropriation des lieux saints, base indispensable à l'établissement de « son » califat. Bien qu'il ait permis à des cellules sunnites d'AL Qaeda de s'entraîner en Irak en 2002/2003, Saddam Hussein, était bien, à ce titre, un rival (précoce) de Ben Laden.
( Note n° 2. Comme l'explique très bien, Lucien-Samir Oulahbib dans un remarquable article intitulé "Nationalisme Arabe et Islamisme: les deux faces d'une même médaille",la prétendue opposition entre islamisme et nationalisme arabe relève d'une conception occidentale parfaitement erronée : si le nationalisme arabe a certes prétendu moderniser l’islam, il n’a jamais cherché à se séparer du religieux, ni de la notion de Oumma (Communauté des croyants) pensée comme d'une "Essence" immuable. Entre le nationalisme arabe et l'islamisme, il n'y a donc pas d'opposition sur les objectif de fond, à savoir la résurgence de la grandeur d’autrefois, le Califat, mais seulement sur les moyens d’y parvenir : la renaissance (‘Nahda’) pour le premier en s’inspirant des efforts de modernisation prônée au début du XIXe siècle par certains intellectuels installés en Europe; et le retour à l’imitation des pieux ancêtres (‘al-salaf al-salih’ qui donna le mot salafisme) pour le second. L'islam se définissant comme LA religion même, il était totalement exclu que le nationalisme arabe (ou sa variante socialiste) prenne pour socle une idéologie distincte de - et, a fortiori, en opposition avec - ce dernier. Même Mustafa Kemal, dit Atatürk, celui qui aura été le plus loin en matière de « laïcité », n’osera jamais franchir la ligne rouge, précisant toujours que le kémalisme n’était pas une idéologie.
En conclusion : nationalisme ou socialisme arabe ne peuvent prétendre qu’à moderniser superficiellement la façade institutionnelle et sociétale de l'islam, mais certainement pas son contenu. Voilà qui pose clairement les limites de la soi-disant « laïcité » en pays musulman, et le refus catégorique de nos soi-disant laïques, en ce compris, malgré le mythe, Atatürk (*), d’épouser vraiment les valeurs de la modernité, que ce soit au plan politique comme au plan des libertés individuelles.
(*) pour une compilation de fait, de 1923 à 2003, illustrant cette "laïcité" à la turque :Liberté religieuse: Retour sur la laïcité à la turque
Saddam Hussein était donc un rival « laïque », ou, plus exactement islamo-laïque de Ben Laden, tout comme l'était, (et l'est encore, dans l'hypothèse improbable ou Ben Laden serait encore en vie) Pervez Musharraf , l'actuel président du Pakistan, un autre candidat « laïque » au titre de Calife. Ou encore, Recep Tayyip Erdoğan, actuel président de la Turquie.
Dans un tout autre style, son adversaire (et un autre candidat au titre de Calife), Akbar (Hachemi Bahrémani) Rafsandjani, le véritable patron (*) de la mollacratie iranienne, est lui, un islamo-mollah version khomeyniste qui mise, lui sur la tradition chiite revisitée par le khomeynisme pour arriver à ses fins). Mais on en trouve bien d’autres. A commencer par les islamistes traditionnels, chiites ou sunnites. Comme, par exemple, l’islamo-royaliste sunnite Abdallah d'Arabie Saoudite, qui inonde l'occident de pétrodollars pour consolider le wahhabisme en occident. Et, bien entendu la kyrielle de petits islamo-mondialistes que Ben Laden a inspiré, et qui sont tellement pressés d’en découdre directement avec l’Occident, dans un grand djihad mondial, qu’ils ne prennent même plus la peine de commencer par le passage obligé : le renforcement de l’islam au sein de nations arabes (et des nations vassales noires d’Afrique) qu’elles soient islamo-nationalistes ou islamo-royalistes, d’obédience shiite ou sunnite.
(*) mollacratie ou théocratie des mollahs, sous les dehors d’une « république islamique » dont, contrairement à ce que nous disent les médias désinformateurs, le président Ahmadinejad n’a qu’une fonction symbolique, destiné à justifier l’appellation « république », et n’est qu’une marionnette comme une autre dans le spectacle de Grand Guignol que nous joue en permanence celui qui déteint les vraies clés du pouvoir en Iran, Rafsandjani.
Bref, qu'ils soient islamo-laïques, islamo-nationalistes, islamo-socialistes, islamo-traditionnalistes, (version royaliste sunnite ou version « république » des mollahs shiites comme Rafsandjani), ou encore d’autres islamo-internationalistes comme Ben Laden lui-même, ils sont tous engagés dans une guerre intra-musulmans qui a pour enjeu pour la suprématie de leur faction, dans la perspective du rétablissement du Califat, une guerre féroce, qui ne fait pas de quartiers.
La carcasse de Ben Laden pourrit sans doute quelque part...
Ben Laden, à la recherche de qui Benazir Bhutto prétendait partir lors d’une interview, est sans doute mort depuis un bout de temps déjà. Souffrant d’importants problèmes rénaux nécessitant des dialyses, constamment contraint de mener une vie cachée, tant pour échapper aux américains qu’aux chasseurs de primes et surtout, à ses coreligionnaires, motivés tant par la perspective de faire main basse sur sa fortune, que par celle de prendre sa place, les chances qu’il ait pu se faire soigner correctement pendant ces sept années sont minces. La dernière vidéo, qui nous montre un homme en état de délabrement physique avancé (et non pas « en bonne santé » comme le prétend l’Agence de Falsification de Presse AFP, qui, décidément, n’aura jamais les yeux en face des trous) en apporte l’éclatante confirmation. A moins qu’il n’ait été assassiné par un autre musulman. Un autre musulman islamo-internationaliste adepte du djihad mondial comme lui, comme semblait le penser Benazir Bhutto. Ou un musulman islamo-laïque, un musulman islamo-nationaliste, un musulman islamo-socialiste, un musulman islamo-agent secret de l’ISI, un musulman islamo-traditionnel Sunnite, un musulman islamo-traditionnel Chiite, un musulman islamo-quelque chose, (bref un autre musulman quoi !) pour de sourdes raisons de luttes intestines et/ou de racket.
Benazir Bhutto avait-elle la moindre chance en revenant au Pakistan ? ...
Certes, en s’intéressant de trop près aux islamistes (ici dans le sens de : musulmans engagés dans le djihad mondial), mais aussi à un certain nombre de secrets de l’ISI, (dont les membres sont eux-mêmes intriqués dans les diverses factions, à vocation nationaliste (au sens large : pseudo-laïques ou pas) ou internationalistes de l’islam (et portent parfois plusieurs casquettes), Benazir Bhutto n’améliorait pas ses chances de survie. Sa volonté de pourchasser les islamistes, avec l’aide des Etats-Unis si nécessaire, lui a valu bien des ennemis, y compris chez les fils de Ben Laden. Et elle s’en fait d’autres en demandant à la communauté internationale de cesser de soutenir le président Musharraf et en réclamant sa démission. Après avoir échappé le 18 octobre 2007, le jour même de son retour au Pakistan à un attentat, elle sera assassinée deux mois et demi plus tard, le 27 décembre.
Mais même en faisant l’impasse sur ses imprudences (et la campagne de calomnie dont elle a fait, en partie injustement, l'objet) une femme pouvait-elle encore penser sérieusement pouvoir diriger un pays islamiste aujourd'hui ? des musulmans pourraient-ils encore s’enorgueillir, dans un désir de fierté, un désir mimétique de copier l’occident dans sa modernité, de mettre à sa tête une femme ?
Répondre par l’affirmative serait oublier qu’aujourd’hui, ce ne sont plus seulement quelques zones tribales à la frontière de l’Afghanistan qui sont incontrôlées, mais de très larges pans du territoire. Ce serait oublier l’affaire révélatrice de la Mosquée Rouge, ce serait oublier que ce pays (qui dispose d’un arsenal nucléaire) est gangréné à un niveau inouï par le djihadisme, qui a pénétré profondément toutes ses institutions, et jusqu'à ses services secrets, rouage essentiel de la sécurité d'un pays qui dispose du feu nucléaire, et menace le pays d’implosion. Et ce serait oublier que cette fragile modernité que représentait encore le nationalisme (*) au Pakistan il y a encore une dizaine d’années a volé en éclat sous les coups de boutoir du fanatisme de l’islam le plus archaïque, déchaînant le barbarisme des masses aveugles.
(*) même si nous avons vu que, bien qu’en situation concurrente, le nationalisme et l’islamisme sont, en terre d’islam, des réalités non pas antinomiques mais idéologiquement liées, comme nous la remarquablement montré Lucien-Samir Oulahbib, et que le nationalisme arabe (mais aussi pakistanais, etc.) n’est en réalité qu’un islamo-nationalisme.
Non, décidément, Benazir Bhutto, pourtant deux fois premier ministre du Pakistan (du 29 mai 1988 au 6 décembre 1990, et du 19 octobre 1993 au 5 novembre 1996) n’avait aucune chance de devenir présidente ! Et encore moins de le rester !
(*) même si nous avons vu que, bien qu’en situation concurrente, le nationalisme et l’islamisme sont, en terre d’islam, des réalités non pas antinomiques mais idéologiquement liées, comme nous la remarquablement montré Lucien-Samir Oulahbib, et que le nationalisme arabe (mais aussi pakistanais, etc.) n’est en réalité qu’un islamo-nationalisme.
Non, décidément, Benazir Bhutto, pourtant deux fois premier ministre du Pakistan (du 29 mai 1988 au 6 décembre 1990, et du 19 octobre 1993 au 5 novembre 1996) n’avait aucune chance de devenir présidente ! Et encore moins de le rester !
For the times they are a-changing, chantait autrefois Bob Dylan.
...Il n'imaginait sans doute pas à quel point les temps allaient changer !