Bernard Houdin, conseiller spécial de
l’ancien président ivoirien.
Quels enjeux politiques se cachent derrière le procès de Laurent Gbagbo ?
La CPI a-t-elle été instrumentalisée?
Comment les élections de 2010
ont-elles été truquées en Côte d’Ivoire au profit d’Alassane Ouattara, rival de
Gbagbo et grand ami de Sarkozy ?
Quelles pourraient être les conséquences de sa
libération ?
En novembre 2011, Laurent
Gbagbo est incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale
(CPI) pour quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité. Mais ce 1er
octobre commencera une audience de demande d’acquittement, sur l’instigation
des juges. Que s’est-il passé durant ces sept dernières années pour justifier
un tel retournement de situation ?
Pour nous, il ne s’agit pas d’un
retournement de situation. C’est la suite logique d’une réalité que nous avions
toujours décrite. Je me souviens avoir été invité sur le plateau d’une chaîne
d’information française le 11 avril 2011, alors que les chars français
pénétraient la résidence présidentielle en Côte d’Ivoire. J’avais déclaré que
l’Histoire “avec un grand H” donnerait raison à Laurent Gbagbo. Aujourd’hui,
nous voyons effectivement s’effriter tout le vernis de ce storytelling fabriqué
patiemment au nom de la communauté internationale. Une communauté internationale
qui a bon dos.
Laurent Gbagbo n’aurait jamais
dû être déféré devant la CPI ?
Tout d’abord, la CPI est une cour
pénale fondée sur le droit et le statut de Rome plus particulièrement. Une
chose est très claire : aucun ressortissant d’un pays non-signataire du
statut de Rome ne peut être déféré devant la CPI. C’est, d’ailleurs, ce que les
Américains viennent de réaffirmer avec force ces jours-ci. En novembre 2011,
quand Gbagbo est transféré, la Côte d’Ivoire n’a pas signé le statut de Rome.
Il a fallu qu’Alassane Ouattara bricole pour donner un semblant de légalité à
ce procès. Il a ainsi signé le statut de Rome en 2013, deux ans après
l’arrestation de Laurent Gbagbo. Mais le statut de Rome n’était pas conforme à
la Constitution ivoirienne ! Ouattara a donc modifié la Constitution en
2015. Autrement dit, la signature du statut de Rome en 2013 n’était pas valable
et Ouattara a parjuré la Constitution. C’est d’ailleurs une habitude chez lui.
Pourquoi ce tour de
passe-passe ?
La fuite des mails de l’ancien
procureur de la CPI, Luis-Moreno Ocampo, a révélé un montage entre la
diplomatie française, Ouattara et la CPI pour transférer Gbagbo à La Haye.
Certains courriels n’ont pas encore été publiés, mais j’ai pu me les procurer.
Ils seront un jour mis sur la table. D’après ces documents, il apparait très
clairement que les Français et Ocampo ont cherché jusqu’au dernier moment une
solution pour contourner le problème du statut de Rome que la Côte d’Ivoire
n’avait pas signé. Cinq jours avant la chute de Gbagbo, le 6 avril 2011,
l’ambassadeur de la France aux Nations unies écrivait encore à ses collègues du
Quai d’Orsay et à Luis-Moreno Ocampo. Il leur expliquait que la solution ne
pourrait pas venir du Conseil de sécurité de l’ONU. Certains de ses confrères y
étaient réticents, notamment le représentant de l’Inde. L’ambassadeur français
le décrit d’ailleurs comme hystérique sur le sujet : pas question que le
Conseil de sécurité envoie devant la CPI un dirigeant qui n’a pas signé le
statut de Rome. Rappelons que l’Inde elle-même n’a pas signé ce statut.
L’ambassadeur indien serait surement « content »d’apprendre que son
homologue français le traite d’”hystérique” !
Le transfert de Laurent Gbagbo
à La Haye était déjà anormal sur la forme. Sur le fond aussi, le dossier s’est
manifestement dégonflé…
Les charges étaient un montage
total. Pour rappel, la CPI est composée de deux chambres. La chambre
préliminaire doit d’abord confirmer les charges que le procureur aurait
trouvées. Ensuite, si le dossier est validé, il passe au tribunal. En 2013, le
dossier de Gbagbo était recalé par deux juges sur trois de la chambre
préliminaire. Gbagbo devait donc être libéré. Mais la France a fait pression
pour que la décision soit ajournée. C’était une première dans l’histoire de la
CPI. La procureure Bensouda disposait d’une année supplémentaire pour revoir
son dossier et apporter des preuves suffisantes sur les charges. Un an plus
tard donc, le dossier repasse à nouveau devant la chambre préliminaire. L’une
des juges relève que c’est une copie du dossier précédent et qu’il n’a aucune
chance d’aboutir devant le tribunal. Mais cette fois, le dossier est validé par
deux juges contre un.
Si le dossier était le même,
pourquoi n’a-t-il pas encore été recalé ?
Ça pourrait être un scandale dans
le scandale. C’est la voix du juge allemand qui a fait basculer la balance. Son
revirement a permis de confirmer les charges contre Gbagbo. La décision
d’ouvrir un procès était prise le 12 juin 2014. Huit jours plus tard, ce juge
quittait la CPI, un an avant la fin de son mandat, pour raison de santé. Et en
juillet, il décédait. Nous nous demandons dès lors si le juge avait toutes ses
facultés pour décider de confirmer les charges. Ou bien si sa voix a été
utilisée pour faire basculer la position de la chambre préliminaire. La défense
de Gbagbo a demandé une expertise médicale sur les derniers mois de sa vie, le
président de la CPI l’a refusée.
Le procès de Laurent Gbagbo
s’ouvre donc le 28 janvier 2016. La juge belge de la chambre préliminaire
avait-elle raison finalement?
Oui, elle avait prédit que le
dossier ne tiendrait pas devant la cour. Et c’est ce qui est arrivé. La
procureure devait tout démontrer, faire passer 138 témoins devant la barre pour
appuyer ses thèses et prouver que Gbagbo avait un plan commun pour se maintenir
au pouvoir. Deux ans plus tard, 56 témoins ont été abandonnés en cours de route
et les auditions se sont arrêtées au 82e. Quant au plan commun, l’adjoint du
procureur, Eric MacDonald, a expliqué qu’il n’y a pas de preuves écrites.
Toutefois, il a appelé la cour à déduire l’existence de ce plan commun à partir
de tout ce qui a été dit. En fait, le dossier de la procureure relève de la
tautologie. Aucune preuve sérieuse. Si bien qu’après le passage de 82 témoins,
le juge de la CPI, l’Italien Cuno Tarfusser, a demandé à Bensouda de fournir un
rapport intermédiaire. Il voulait savoir si la procureure pensait pouvoir
démontrer les charges requises avec ses témoins. Anticipant la suite des
événements, Tarfusser demandait également à la procureure s’il ne fallait pas
requalifier les charges retenues contre Gbagbo.
Mais la procureure Bensouda a
persisté et signé !
Tout à fait, elle a voulu
continuer sur sa lancée. De son côté, la défense a remis son dossier. Une
version expurgée de 48 pages est disponible sur le site de la CPI. Elle démolit
complètement les thèses de Bensouda. Si bien qu’en juin dernier, la cour a déclaré
que le dossier était clos. Plus une ligne ne pouvait être ajoutée. La cour
autorisait en outre la défense à plaider l’acquittement directement. Ce n’est
pas anodin. Ça veut dire que la cour estime que les remarques de la défense sur
les témoins de la procureure sont déjà suffisantes et que la défense n’a même
pas besoin de faire passer ses propres témoins pour plaider l’acquittement.
Enfin, la cour a indiqué que la justice devait être rendue publiquement, c’est
pourquoi une audience se tiendra le 1er octobre. Je signale au passage que
cette audience devait initialement se tenir le 10 septembre. Elle a d’abord été
reportée à la demande du procureur. Ensuite, Bensouda a introduit à la dernière
minute un nouveau document de mille pages, sans doute pour retarder les choses.
Mais la semaine dernière, le juge-président Tarfusser confirmait la date du 1er
octobre. On arrive au bout du chemin.
Pourquoi vouloir retarder la
libération de Laurent Gbgabo ?
L’objectif en le déferrant devant
la CPI était de l’exclure totalement. Il fallait tourner la page après la crise
électorale de 2011. Mais c’est tout l’inverse qui va se produire finalement. Un
ancien ambassadeur de France à Abidjan m’a dit un jour : “On a voulu
détruire Laurent Gbagbo, on a voulu le mettre au cachot pour ne plus en
entendre parler. Mais il va sortir en Mandela.” En effet, Laurent Gbagbo
est devenu un symbole, pas seulement en Côte d’Ivoire, mais ailleurs aussi en
Afrique. Sa libération sera donc perçue comme une victoire sur l’ingérence et
on peut s’attendre à voir la foule l’accueillir.
Nous n’allons pas tourner la
page, mais plutôt nous replonger dans les origines de la crise ivoirienne pour
mieux comprendre les enjeux de ce procès. Père de l’indépendance, Félix
Houpouhët-Boigny a régné sur le pays jusqu’en 1993. Depuis, le climat politique
est particulièrement instable. En 2000, Laurent Gbagbo est élu président, mais
son rival Alassane Ouattara conteste le scrutin. Une tentative de putsch est
organisée en 2002, elle débouche sur des affrontements qui opposent l’armée
ivoirienne à des forces rebelles occupant le nord du pays. Qui sont ces
rebelles, qui les soutient et quelles sont leurs motivations ?
La crise ivoirienne remonte selon
moi à la nomination d’Alassane Ouattara comme Premier ministre en 1990 par un
Houphouët-Boigny vieillissant. Le ver était amené dans le fruit. On se retrouve
ensuite avec cette élection de 2000. Gbagbo n’avait rien fait pour organiser le
scrutin. C’était un simple candidat, les élections devaient mettre fin à la
transition après le coup d’État militaire du général Guéï en 1999. Le général
était convaincu qu’il l’emporterait. Personnellement, j’avais discuté avec
beaucoup d’Ivoiriens et j’étais sûr qu’ils allaient plébisciter un civil pour
en finir avec le régime militaire. Et c’est ce qui s’est passé. Guéï a alors
voulu s’opposer au résultat des urnes, mais Gbagbo a mobilisé les Ivoiriens en
leur disant que le général entendait leur voler leur victoire. Une marée
humaine a déferlé sur Abidjan et Guéï a disparu.
Gbagbo est donc élu, mais dès
2002, il y a un coup d’État qui échoue et qui est transformé en rébellion.
Ce putsch vient du Burkina-Faso,
avec des troupes en partie ivoiriennes composées de personnes qui avaient fui
la Côte d’Ivoire pour se réfugier au Burkina durant les années Guéï. La
rébellion peut en outre compter sur une logistique militaire et financière. Il
est aujourd’hui amplement démontré que les Français ont entraîné ces troupes au
Burkina. On a même les noms des officiers. On sait aussi que Ouattara leur a
apporté un soutien financier de l’aveu-même d’un de ses chefs militaires. La
vidéo d’un meeting est encore visible sur YouTube. Ce chef raconte : “C’est
le docteur Alassane Ouattara qui nous donnait 25 millions pour nous préparer,
c’est le docteur Alassanne Ouattara qu’on va mettre au pouvoir, etc.”
J’ai par ailleurs une expérience
personnelle assez éclairante. En 2002, je dirigeais une entreprise à Abidjan,
j’avais du personnel à défendre et je sentais qu’il y avait des tensions avec
la France. J’ai donc demandé à m’entretenir avec un proche de Jacques Chirac et
je lui ai demandé pourquoi la France avait appuyé la rébellion. Il m’a répondu
en substance : “On a battu Jospin, maintenant qu’il n’y a plus de
cohabitation à l’Élysée, il est temps de virer ses copains socialistes en
Afrique.” Il me parlait même de transition militaire. Ses paroles tranchaient
profondément avec les beaux discours qu’on entend habituellement sur la
démocratie en Afrique. Des élections avaient enfin pu être organisées en Côte
d’Ivoire en 2000, Laurent Gbagbo avait été élu, la France l’avait reconnu et
voilà qu’elle était à nouveau prête à repasser la main aux militaires !
Cerise sur le gâteau, mon interlocuteur avait même déjà un candidat au poste.
C’était Mathias Doué, inconnu du grand public à l’époque, il deviendra chef
d’état-major quelques années plus tard. Son nom réapparaitra dans l’affaire du
bombardement de Bouaké .Cet entretien avec une personnalité française de haut
rang, mondialement connue, mais dont je préfère taire le nom pour le moment,
m’a montré toute la profondeur de la Françafrique. Elle est prégnante à un niveau
insoupçonnable. En Côte d’Ivoire, les Français avaient « dans le
tiroir » tout un tas de solutions au choix.
Laurent Gbagbo reste malgré
tout au pouvoir après la tentative de putsch en 2002. Mais le pays est divisé
en deux, la rébellion occupant le Nord. Les accords de paix et les reprises de
combats se succèdent jusqu’en 2010 et l’organisation d’élections. Gbagbo est
déclaré vainqueur par le Conseil constitutionnel tandis que la Commission
électorale indépendante adoube Ouattara. Comment expliquer cette surprenante
situation ?
Précisons tout d’abord que
c’était un scrutin où il était difficile de tricher. En effet, Gbagbo avait
obtenu le bulletin unique comme autrefois. De plus, avant que l’urne ne parte,
un dépouillement était effectué dans le bureau de vote et validé d’un
procès-verbal signé par les représentants de chaque parti. Néanmoins, au
premier tour, nous avons rapidement remarqué des résultats excessivement
ouattaristes au nord du pays. À Korhogo par exemple, Ouattara faisait 90 %
des voix contre à peine 4 % pour Bédié. Et ne parlons même pas de Gbagbo.
Le tout dans un climat de violence avéré.
Le président sortant est tout
de même arrivé devant au premier tour…
Oui, Gbagbo a obtenu 38,04 % des
voix, Ouattara 32,07 % et Bédié arrivait troisième avec 25,24 %. Les
soupçons d’irrégularité dans le nord du pays avaient poussé Gbagbo à nous
demander si, sur base de réclamations, il pourrait obtenir 50 %. C’était
impossible. D’après nos calculs, il aurait pu monter jusqu’à 42 ou 43 %.
Nos estimations se rapprochaient d’ailleurs des sondages Sofres qui prévoyaient
44 % pour Gbagbo. C’était donc insuffisant pour éviter un second tour.
Ce second tour voit Alassane
Ouattara passer en tête. Grâce au report des voix de Bédié?
La victoire de Ouattara était mathématiquement
impossible. J’avais observé les élections depuis le quartier général du parti
de Gbagbo, où nous avions installé une sorte de centre névralgique. Une
trentaine de techniciens y étaient connectés avec leurs ordinateurs et leurs
portables aux bureaux de vote pour suivre les résultats en direct. Sans savoir
ce qui allait se passer au-delà de la ligne de démarcation, nous avions fait
des calculs en imaginant que Ouattara obtiendrait 100 % des votes au Nord.
Même sur base de ces prévisions, et avec tous les résultats qui nous étaient
parvenus dans le reste du pays, Gbagbo arrivait premier avec 51 %. Pour
nous, c’était réglé. Et pourtant, dans l’hôtel du Golfe, le président de la
commission électorale annonce Ouattara vainqueur avec 54,10 % des voix.
Ce résultat est bidon. Il y a un
problème fondamental dans les chiffres sur lequel les observateurs et les
journalistes auraient dû se pencher s’ils avaient fait leur travail. On a
annoncé 2,4 millions de voix pour Ouattara. C’était plus que ses voix du
premier tour additionnées à celles de Bédié. Or, au deuxième tour, tout le
monde avait constaté qu’il y avait moins de votants dans les bureaux. Ainsi, le
lendemain du scrutin, tous les journaux écrivaient sur la faible affluence et
se demandaient à qui profiterait l’abstention. Choi Young-jin, le représentant
des Nations unies, a publié un communiqué au sortir d’une réunion avec les
observateurs de la francophonie. Il constatait une affluence plus faible au
second tour et estimait qu’elle devrait avoisiner les 70 %. Plus tard dans
la soirée, le président de la commission électorale a publié un communiqué, le
seul qui a fait consensus avec les autres membres de la commission à la fois
pro-Gbagbo et pro-Ouattara : le taux officiel de participation au second tour
est de 70,84 %. Le secrétaire du parti d’Alassane Ouattara a également
déclaré dans un communiqué officiel du RDR : “Nous avions peur que le
taux de participation tombe à 60 %. Mais grâce à Dieu, il pourrait
atteindre les 70 %.” Autrement dit, ce taux de participation à
70 % est quasiment gravé dans le marbre. Mais si on se base sur les
chiffres communiqués à l’Hôtel du Golfe et qui donnent Ouattara vainqueur avec
2,4 millions de voix, c’est impossible, on arrive à un taux de participation de
81 % ! D’où vient la différence ?
Le camp de Gbagbo n’a-t-il pas
demandé un recomptage des votes ?
Si, cela a même été demandé à Ban
Ki-Moon par certains chefs d’États africains lors d’un sommet de l’Union
africaine en janvier 2011. Le secrétaire des Nations unies de l’époque a
répondu : “Recompter serait une injustice pour Ouattara.” D’où sort
cette phrase ? Avec le recul aujourd’hui, quand on voit l’état de la Côte
d’Ivoire et les aberrations de la CPI, nous pouvons dire que tout cela aurait
pu être évité il y a sept ans.
Le soir du 2 décembre 2010, la
Côte d’Ivoire se retrouve donc avec deux présidents. Personne ne reconnait sa
défaite. Qu’est-ce qui va permettre à Ouattara de s’imposer ?
Le représentant des Nations unies
a trompé la communauté internationale en outrepassant ses droits. Après les
accords de Ouagadougou, Ban Ki-Moon livrait un rapport au Conseil de sécurité
des Nations unies. Il remarquait que la situation avait bien évolué en Côte
d’Ivoire, que le président avait nommé un chef rebelle comme Premier ministre
et qu’il y avait la perspective d’élections. Si bien qu’en juillet 2007, le
Conseil de sécurité des Nations unies adoptait une résolution qui validait
l’accord de Ouagadougou et redéfinissait les pouvoirs du représentant de l’ONU
en Côte d’Ivoire. Sur base de cette résolution, la reconnaissance des résultats
des élections était transférée au Conseil constitutionnel. Ce qui veut dire
qu’en 2011, il ne revenait pas au représentant des Nations unies, Choi, de
donner les résultats des élections. Tout ce qu’il avait à faire, c’était de
valider ou pas le bon déroulement du scrutin d’un point de vue technique. Le
président d’Angola, José Eduardo dos Santos, l’a d’ailleurs remarqué en
recevant les vœux du corps diplomatique le 6 janvier 2011. Il a déclaré qu’en
Côte d’Ivoire, M. Choi avait pris une position qui n’était pas conforme à ses
prérogatives et avait trompé toute la communauté internationale.
C’est cette proclamation des
résultats par le représentant des Nations unies qui a isolé Gbagbo après les élections?
Bien sûr. A partir de là,
pratiquement tout le monde a suivi. La France par contre avait pris les
devants. Dès le lendemain des élections, Nicolas Sarkozy déclarait que Gbagbo
devait partir. Avant ça, alors qu’on comptait encore les bulletins de vote, un
étrange Tweet félicitait Ouattara pour sa victoire avec 55 % des
voix ! En remontant à la source, il est apparu que le message venait
d’Aurore Bergé, une jeune militante UMP. Comment pouvait-elle donner Ouattara
vainqueur alors que le comptage n’était pas fini ? Comment une jeune
militante du parti de Sarkozy pouvait-elle donner dimanche soir à Paris, alors
qu’on ouvrait les urnes à Abidjan, les chiffres qui allaient être proclamés le
jeudi ? Elle a expliqué que des amis lui avaient donné l’information, mais
a vite effacé son Tweet. Aurore Bergé est aujourd’hui députée pour LREM.
Tromper la communauté
internationale n’était pas suffisant, il fallait encore permettre à Alassane
Ouattara de s’imposer sur le terrain. L’intervention de la France a-t-elle été
décisive ?
Sans cette intervention, les
rebelles se seraient cassé les dents à Abidjan. Mais grâce à l’appui de l’armée
française, ils ont pu prendre la résidence présidentielle. Plusieurs documents
attestent cette coopération entre rebelles et soldats français. Sur une vidéo
du 11 avril, on peut voir le célèbre seigneur de guerre Wattao arrêter ses
hommes et leur dire de ne pas y aller : “Les Blancs vont s’en occuper“.
Un autre lui répond : “Si les Blancs n’y vont pas, nous on y va pas.”
Nous avons aussi des images des rebelles lorsqu’ils pénètrent à l’intérieur du
palais. Les soldats français se retirent au même moment et forment une espèce
de haie d’honneur. Les rebelles les applaudissent, les Français lèvent leur
pouce en retour. La France est allée jusqu’au bout en délogeant Gbagbo. Si son
armée n’était pas intervenue en avril 2011, Gbagbo serait toujours président.
Quel était l’intérêt de la
France dans cette affaire ?
Certes, après la défaite de
Jospin en 2002, le gouvernement français avait les coudées franches pour se
débarrasser de ses copains socialistes en Afrique. En Côte d’Ivoire toutefois,
la France n’a pas seulement commis un crime, mais une faute. Avec le recul,
c’est incompréhensible. Je connaissais des entrepreneurs français à Abidjan qui,
après l’élection de Gbagbo, avaient peur de voir un socialiste arriver au
pouvoir. Mais ils m’ont dit qu’aujourd’hui avec la gestion de Ouattara, ils
regrettent Gbagbo. Avant, ils avaient des rapports professionnels avec
l’administration ivoirienne. La situation est devenue dramatique pour eux
aujourd’hui. Même Bolloré avait téléphoné à Sarkozy au lendemain des élections
de 2010 pour lui dire que Gbagbo avait gagné. Bouygues avait par ailleurs
décroché un important contrat pour un pont sous Gbagbo. Total avait signé des
contrats d’exploration pétrolière. C’était une première en Côte d’Ivoire. Bref,
les entreprises françaises avaient de bonnes relations avec Gbagbo et ce
n’était pas dans l’intérêt de la France de s’ingérer de la sorte en Côte
d’Ivoire. C’est le noyau dur de la Françafrique qui a parlé, d’abord avec
Chirac puis avec Sarkozy, le grand ami d’Alassane Ouattara.
Comment la Côte d’Ivoire
a-t-elle évolué avec Ouattara ?
Gbagbo avait hérité d’une dette
de 9.000 milliards CFA. En 2011, quand Ouattara a pris le pouvoir, cette dette
était de 4.000 milliards CFA. Aujourd’hui, elle atteint les 12.000
milliards ! Les générations futures vont devoir payer ça. Par ailleurs, le
taux de pauvreté ne fait qu’augmenter et la Côte d’Ivoire est 172eme au classement
de l’Indice de Développement Humain.
La Côte d’Ivoire affiche
pourtant une belle croissance de 8 %…
Comme le dit la population
ivoirienne, les ponts et les routes ne se mangent pas. La croissance ne profite
pas à tout le monde. Ainsi, l’éducation, les soins de santé et les autres
services sociaux se trouvent dans une situation dramatique. Si bien que malgré
la croissance, bon nombre d’Ivoiriens fuient le pays.
Vous rencontrez régulièrement
Laurent Gbagbo. Dans quel état d’esprit est-il à la veille de cette importante
audience de non-lieu ?
Laurent Gbagbo est la personne la
plus extraordinaire que j’ai pu rencontrer dans ma vie. Après sept ans de
détention, après tout ce qui s’est passé en Côté d’Ivoire, il fait preuve d’une
résilience et d’une sérénité exceptionnelles. Il se projette déjà dans le
futur. Pas pour lui, mais pour la Côte d’Ivoire.
L’autre jour, il me
disait : “Je suis en prison depuis sept ans. Je regarde les
informations à la télévision. Ce qui me fait plaisir, c’est de voir nos idées
progresser en Afrique. C’est une victoire.” Je lui ai demandé s’il pensait
au président du Ghana qui avait prononcé un discours retentissant quelques
jours plus tôt. Akufo-Addo avait notamment déclaré que les Africains devaient
se prendre en charge, que l’aide extérieure n’allait pas leur permettre de s’en
sortir et qu’ils devaient compter sur leurs propres forces. Gbagbo m’a
répondu : “Oui ! En plus, ce que tu ne sais pas, c’est que ce Nana
Akufo-Addo était ministre des Affaires étrangères du président ghanéen Kufuor
pendant la crise ivoirienne, au début des années 2000. Il venait à Abidjan pour
des réunions de travail avec les autres membres du panel qui était censé nous
trouver une sortie de crise. Autour de la table, Akufo-Addo était un des gars
les plus virulents contre moi ! Aujourd’hui, il répète ce que je dis.
C’est pour ça qu’on a gagné.”
Quelles pourraient être les
conséquences d’une libération de Gbagbo ?
Ça va être une bouée de sauvetage
pour la France. Il suffit de voir ce qui se passe déjà avec Simone Gbagbo que
Ouattara a dû libérer. Les Français sont surpris par l’attitude de l’ancienne
première dame qui prône la réconciliation. C’est parce qu’ils avaient monté un
storytelling qui n’avait aucun lien avec la personnalité des Gbagbo. Les
Français devraient plutôt s’étonner de ce qu’eux ont fait en Côte d’Ivoire. Ils
doivent changer leur grille de lecture. Alors, ils comprendront mieux ce qui se
passe.
Prenez l’exemple du Mali. J’y ai
de nombreux contacts. Ils me conseillent de ne pas me promener avec un drapeau
français dans les rues de Bamako. La France y a pourtant 4.000 hommes engagés
dans l’opération Barkhane qui risquent de se faire tuer tous les jours pour
défendre la région. Mais la façon dont la France gère les choses aujourd’hui
n’est pas correcte. Nous sommes en 2018, les pays doivent être souverains et
les relations doivent mûrir.
Et en quoi la libération de
Laurent Gbagbo influencera-t-elle ces relations avec la France ?
Laurent Gbagbo est devenu un
symbole de la lutte pour la souveraineté et la fin de la persécution de
l’Afrique. Sa libération va permettre de tourner la page et d’écrire un nouveau
chapitre. D’autant plus qu’il est le candidat idéal pour ça. Laurent Gbagbo
n’est pas dans un esprit revanchard. Quand il avait été libéré, Nelson Mandela
avait dit qu’il ne pensait pas à la vengeance, il n’avait pas le temps pour ça.
Gbagbo est dans le même état d’esprit. Il veut que la Côte d’Ivoire se reprenne
et se développe. Il défend la réconciliation, tant en Côte d’Ivoire que dans
ses relations avec la France. C’est une occasion à saisir pour le gouvernement
français qui pourrait avoir un impact pas seulement en Côte d’Ivoire, mais dans
toute la région.
Vous êtes optimiste sur la
suite des événements ?
Je l’ai toujours été. Sans
pronostiquer sur le jour et l’heure, j’ai toujours dit que l’Histoire donnerait
raison à Laurent Gbagbo. C’est dans l’ordre des choses et dans l’intérêt
général. Un vent nouveau va souffler sur l’Afrique, beaucoup vont pouvoir
mettre en œuvre le célèbre slogan de Gbagbo : “Asseyons-nous et
discutons.”
SOURCE: Investig’Action
Image: Clara
Sanchiz
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