Louise
Arbour (ONU) : «Ceux qui critiquent le pacte sur les migrations ont participé à
sa rédaction»
Macron,
le président qui ne savait pas être président - Il fait les erreurs du
technocrate qu'il est
Alfredo
Olmedo, un Bolsonaro argentin - L'Argentine ressemble de plus en plus à son
voisin brésilien
Luc Ferry : «Pourquoi tant de violences gratuites?»
Par Luc
Ferry
Publié le 28/11/2018 à 18h18
CHRONIQUE - Le «prix du progrès» que nous payons aujourd'hui
est celui d'une véritable liquidation des valeurs et des autorités
traditionnelles auxquelles s'adossait la civilité.
Selon une enquête publiée dans Le Figaro en février dernier, il y aurait eu 283.631 actes de violences
commis au cours de l'année 2017, soit une moyenne
de 777 agressions par jour et une augmentation de 3,4 % par
rapport à l'année précédente. Or, toujours selon cette enquête, il s'agit
de violences «non crapuleuses», autrement dit d'actes de barbarie ou de
haine commis sans but lucratif ni intérêt manifeste autre que la
décompensation d'une agressivité latente, toujours prête à passer à l'acte.
Ces violences «gratuites» peuvent frapper n'importe qui,
mais elles s'exercent au premier chef contre tout ce qui ressemble de près ou
de loin à une autorité - pompiers, conducteurs de bus, professeurs, mais
avant tout policiers, comme on le voit dans les débordements qui accompagnent
désormais toutes les manifestations.
Il est indéniable que nous vivons aujourd'hui une crise
de l'autorité, une crise qui n'a aucun équivalent dans le passé
Ces chiffres traduisent une situation insupportable que
Gérard Collomb a fort bien décrite, hélas au moment de son départ. Comment
l'expliquer? Il est indéniable que nous vivons aujourd'hui une crise de
l'autorité, une crise qui n'a aucun équivalent dans le passé. Elle est à
mon sens l'effet d'une tendance lourde que je décris depuis des années dans mes
livres, la conséquence ultime d'un siècle qui, du point de vue de la
critique des valeurs et des autorités traditionnelles, ne ressemble à aucun
autre.
Il suffit d'adopter une vue cavalière sur l'histoire de la
haute culture pour mesurer l'ampleur des révolutions dont notre continent
fut le théâtre: en à peine un siècle, nous avons déconstruit la
tonalité en musique, avec Schönberg et le dodécaphonisme ; nous avons
aussi abandonné la figuration en peinture, avec l'avènement du cubisme et de
l'abstraction ; dans le même temps, ce sont aussi les règles classiques
de la littérature qui furent bouleversées avec Joyce et le nouveau roman,
comme celles du théâtre avec Beckett ou Ionesco, de la danse, avec Béjart
et Pina Bausch…
Bien au-delà du domaine artistique, ce sont toutes les
figures traditionnelles du surmoi, des morales conventionnelles, religieuses ou
«bourgeoises», qui furent ébranlées comme jamais dans notre histoire.
Si nous considérons la vie de tous les jours, et non plus seulement la
sphère élitiste des avant-gardes artistiques et littéraires, les bouleversements
sont plus frappants encore.
Notre monde, tout simplement, a vécu ce que les
historiens appellent désormais la «fin des paysans»
Le village dans lequel j'ai passé mon enfance, dans le
Vexin, pas très loin de Paris, a changé sans doute davantage en cinquante ans
qu'en cinq cents ans. Quand je dis à mes filles qu'il n'y avait pas de
voitures à l'époque dans ce petit bourg, hormis celle du maire, qui possédait
une «traction avant», et la Bugatti de mon père, parce qu'il était pilote de
course, que seules quelques rares charrettes tirées par des percherons
sillonnaient les rues, qu'on allait chercher le lait et les œufs, non dans un
supermarché, mais à la ferme, où l'on assistait en direct à la traite
des vaches, que les femmes faisaient la lessive au lavoir, avec des
battoirs qui ressemblaient à de grosses raquettes de ping-pong ;
quand je leur raconte que les paysans «faisaient les foins» à la faucille
et coupaient le blé mur avec une faux, qu'ils liaient les gerbes à la ficelle
et faisaient avec des meules qui nous servaient de maisonnettes, elles me
regardent comme si je sortais de Jurassic Park… Si j'ajoute que mes frères et
moi nous disputions le matin le privilège de moudre le café dans
un «moulin à bras» dont le petit tiroir inférieur dégageait une odeur
délicieuse, elles n'ont aucune chance de partager mon expérience.
Notre monde, tout simplement, a vécu ce que les
historiens appellent désormais la «fin des paysans», non seulement leur
remplacement par «l'agriculteur», mais une diminution sans précédent de leur
nombre: il y avait environ six millions de paysans dans la France des années
cinquante, il reste aujourd'hui à peine plus de 300.000 exploitations
agricoles. Cette fascinante déconstruction des traditions fut en dernière
instance l'effet de cette «destruction créatrice» dont Schumpeter a montré
qu'elle était la logique de fond du capitalisme. Or elle présente deux
facettes: d'un côté des innovations magnifiques et une émancipation gagnée pour
certaines catégories de la population, à commencer par les femmes dont les
jeunes générations semblent oublier qu'elles n'avaient pas le droit de vote jusqu'au
lendemain de la guerre, mais de l'autre, une véritable liquidation des
valeurs et des autorités traditionnelles auxquelles s'adossait la
civilité. Et c'est ce «prix du progrès» que nous payons aujourd'hui.
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Publié le 28/11/2018 à 17h38
CHRONIQUE - Pierre Vermeren, professeur à la Sorbonne, est
un des rares universitaires français de sa génération à se consacrer à
l'Afrique du Nord contemporaine. Dans son nouveau livre, il dépeint les opposants
qui ont tenu tête aux régimes autocratiques à Rabat, Alger et Tunis et rêvent
aujourd'hui d'un printemps maghrébin.
Depuis les figures épiques de la dissidence soviétique,
depuis Soljenitsyne qui aurait eu 100 ans hier, les dissidents dans le
monde ont pris d'autres couleurs, d'autres accents, d'autres chemins. Ils ne
sont plus des solitaires charismatiques, auteurs d'œuvres cultes. Ils sont peu
connus et protéiformes, passant de la rue aux réseaux sociaux et vice versa, et
ils peuvent, parfois, renverser des pouvoirs qu'on pensait indéboulonnables.
Au moment où la littérature politique ne traite plus que du
retour des régimes autoritaires et de la mort des démocraties, le livre à
quatre mains de Pierre Vermeren et Khadija Mohsen-Finan sur Les
Dissidents du Maghreb nous rappelle que le désir de démocratie ne
meurt pas partout. Il nous force aussi à poser le regard sur une zone
sous-traitée dans la géopolitique contemporaine par rapport au Proche-Orient et
aux pétromonarchies du Golfe. Car un flou «touristique» efface le Maroc et la
Tunisie de nos radars, et une gêne postcoloniale jette un silence pudique sur
le désastre algérien. Or le Maghreb a toujours été, dans la longue durée,
structuré par l'Europe. Le désert du Sud le sépare de l'Afrique noire, et l'Orient
arabe ou turc n'a pas eu la même force d'attraction économique et culturelle.
» LIRE AUSSI - Pierre Vermeren: «Le réveil berbère, la tragique frustration
des déshérités du Maghreb»
«Ces pays ne se sont massivement fabriqué un imaginaire
arabe que depuis les décolonisations», nous dit Vermeren, qui est l'un des
rarissimes universitaires spécialistes du Maghreb - à savoir le Maroc,
l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Cet homme né dans les Ardennes a découvert
le Maroc lors de sa khâgne à Nancy, grâce à un proviseur qui y avait enseigné.
Subjugué par ces cultures et ce pays, il a vécu six ans à Rabat, et a choisi
d'étudier cette civilisation maghrébine quand les historiens du monde musulman
de sa génération tournaient leurs regards vers le Moyen-Orient.
«Ces dernières années, il n'y a eu en France que deux ou
trois spécialistes de cette zone, mais cette situation commence à se corriger»
Pierre Vermeren
Cela explique sans doute que «ces dernières années il n'y
ait eu en France que deux ou trois spécialistes de cette zone, mais cette
situation commence à se corriger», constate-t-il. C'est un peu court en effet
pour des pays si proches par l'histoire et la géographie. Les auteurs dressent
donc dans ce livre un tableau très détaillé des conflits entre la société
civile maghrébine et les pouvoirs autoritaires post-coloniaux, même si on
regrette que le cas libyen ait été laissé de côté.
Est-ce parce que les dissidences ont toujours été
surveillées et réprimées que l'auteur n'a pas vu venir les printemps arabes? Il
avait estimé dans une interview, au début des émeutes tunisiennes, que Ben Ali
«ne serait pas renversé». «C'est vrai, je n'ai pas cru que c'était possible, je
m'étais laissé gagner par le fatalisme qui dominait les analyses de ces pays.»
Qui d'ailleurs l'avait prévu? Les pays du Maghreb étaient restés d'une
stabilité impressionnante et ils avaient fini par convaincre les observateurs
de leur résilience. Pourtant, on les a souvent donnés pour morts. «On a prédit
combien de fois la fin de la monarchie marocaine? Et combien d'experts étaient
persuadés que le FLN capitulerait pendant la guerre civile, entre 1992 et
2002?»Le FLN est finalement sorti vainqueur de la triste décennie noire,
200.000 morts plus tard.
Cette endurance des oligarchies maghrébines est très bien
racontée dans ce livre, tout comme le jeu du chat et de la souris entre les
dissidents et des pouvoirs qui manient les coups de bâton et la carotte. À
chaque fois, la transition ou le changement sont donc remis au lendemain.
«Entre 1987 et 1992, un réel horizon d'attente est apparu au Maghreb, non sans
rappeler le moment des indépendances», écrivent les auteurs, soulignant le
mimétisme d'Alger et Tunis, proches de Moscou, quand le bloc soviétique se
délita. Mais le surgissement de l'islam politique dès 1992 a périmé d'un coup
ces rêves d'ouverture.
«Sans le 11 Septembre, le régime de Ben Ali se serait
effondré dix ans plus tôt»
Un dissident
Puis les attentats du 11 septembre 2001 ont encore
renforcé les régimes en place. Ils devenaient plus que jamais les gardiens de
l'Occident face aux guérilleros du djihad. «Sans le 11 Septembre, le régime de
Ben Ali se serait effondré dix ans plus tôt», estime un dissident interrogé
dans le livre. Les auteurs ont raison de pointer que c'est la grande différence
entre les dissidences maghrébines et celles d'Europe de l'Est. L'Occident a été
ouvertement hostile aux «démocraties populaires», mais il a soutenu les vieux
autocrates sur l'autre rive de la Méditerranée pour garantir le contrôle des
flux migratoires et la lutte contre l'islamisme.
Bien sûr, il ne faut pas confondre la situation propre à
chaque pays. L'Algérie est isolée dans un immobilisme mortifère et ses élites
sorties de l'indépendance ne tiennent que grâce à la manne pétrolière ; le
Maroc est l'allié préféré de l'Occident, et il jouit d'une continuité de
soixante ans grâce à sa monarchie inscrite dans les fibres du pays ; la
Tunisie a parié comme le Maroc sur une alliance avec l'Europe. Mais le régime
de Ben Ali n'a pas senti sa propre dérive, qui le coupait du peuple. «Après son
deuxième mariage, Ben Ali a donné les clés à son épouse et ses amis mafieux,
ils ont poussé de plus en plus loin les limites de l'arbitraire, et la
bourgeoisie les a lâchés », résume Vermeren. Aujourd'hui, le pays
s'efforce encore de bricoler un compromis historique inédit entre
fondamentalistes et laïques. «Dans les trois pays du Maghreb que nous étudions,
ces deux modèles sont clairement en concurrence dans les esprits: les pays du
Golfe soutiennent le premier, et les Occidentaux ne soutiennent pas
suffisamment le second», insiste l'auteur.
«De cette aventure fugace il demeure un point clé : le
regard sur cette région a changé et on sait qu'un autre Maghreb est désormais
possible»
Pierre Vermeren
Car le printemps 2011 a prouvé la force d'attraction du
modèle démocratique auprès des jeunesses maghrébines, plus éduquées et au
contact du monde. «De cette aventure fugace il demeure un point clé: le regard
sur cette région a changé et on sait qu'un autre Maghreb est désormais
possible», nous dit Vermeren. Les insurrections spontanées, provoquées par des
«citoyens protestataires» d'un nouveau genre peuvent donc surgir à tout moment,
revendiquant un minimum de droits et surtout la fin d'un système gangrené par
la corruption. «Ces nouveaux dissidents n'entrent pas dans les combines
politiciennes, ce ne sont pas des militants en lien avec une opposition
organisée. Les appareils d'État ont donc du mal à les contrôler», écrivent les
auteurs.
- Crédits photo : Belin
La monarchie marocaine ou la république algérienne sont à
nouveau fragilisées par cette nouvelle donne. Mais leur renversement paraît
moins probable qu'en Tunisie. «La peur du chaos est immense, et même si les
gens aspirent à autre chose, ils ne voient pas de solutions réalistes et
non-violentes.» Personne n'a encore trouvé la martingale pour conjuguer
démocratie et prospérité dans cette région du monde. Et l'Europe ne semble plus
capable de s'y atteler. Les cris de ces dissidents-là auront encore longtemps
le goût âcre des vrais raisins de la colère.
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Éric Zemmour
: «Délivrez-nous des optimistes !»
Par Eric
Zemmour
Publié le 28/11/2018 à 17h13
CHRONIQUE - Yves Roucaute nous offre une ode progressiste à
l'avenir. Un manichéisme technophile qui balaye avec dédain les inquiétudes
même les plus légitimes.
Georges Bernanos nous avait prévenus. Le monde est partagé
entre pessimistes et optimistes ; si ceux-ci sont des «imbéciles heureux»,
ceux-là ne sont rien d'autre que des «imbéciles malheureux».
Après la vogue inattendue des «imbéciles malheureux» d'il y
a quelques années, les «imbéciles heureux» se sont ressaisis et ont repris le
pouvoir dans l'édition. «Non, ce n'était pas mieux avant», nous répètent-ils en
boucle. Yves Roucaute est de ces optimistes-là. Optimiste au carré. Lui ne se
contente pas de démolir le passé, de dénoncer ce qu'il appelle «les
apocalyptiques» ; il exalte l'avenir avec des trémolos dans la voix,
peignant tout en rose. Tout va bien se passer, nous rassure-t-il, comme le
chirurgien à la veille d'une opération délicate. Bien sûr, notre «imbécile
heureux» est un esprit fort brillant et cultivé. Une culture foisonnante qui
lui donne parfois un air de Pic de La Mirandole. Notre agrégé de
philosophie cloue ses maîtres au pilori avec la désinvolture du bon élève, de
Platon à Kant, de Spinoza à Hegel.
L'homme de Roucaute dit toujours «je» et jamais «nous» ;
«moi d'abord, moi d'accord» est son slogan
Pour lui, l'homme n'est pas un animal naturel ni religieux
ni politique. There is no society, semble-t-il nous crier, à la
manière de Margaret Thatcher. Son individualisme est absolu. C'est un
narcissisme. Pour lui, tout pouvoir est totalitaire ; tout chef est un
«prêtre-roi» ; toute mystique politique est à rejeter dans la «pensée
magico-religieuse». L'homme de Roucaute dit toujours «je» et jamais
«nous» ; «moi d'abord, moi d'accord» est son slogan. Il est le grand
créateur de tout, il est «Homo creator» au lieu d'Homo sapiens. Il est «celui
qui crée». Il est Dieu. Et ne tolère ni Dieu ni maître, dans une espèce
d'anarchisme puéril. Tout à son rejet absolu des dieux, il ne se rend pas
compte qu'il fait de l'Homme un Dieu, dans une sorte «d'idée chrétienne devenue
folle», selon la formule de Chesterton.
Son progressisme n'est pas moins absolutiste. Robot, homme
augmenté, intelligence artificielle, GPA, PMA, Roucaute prend tout sans
barguigner. Le chômeur deviendra alors plus créatif ; quelle différence
entre les lunettes et l'œil artificiel, entre la canne et la jambe bionique? Il
y a chez notre auteur une passion ingénue pour le progrès qui ressemble à celle
qui habitait les hommes du XIXe siècle. Comme une «pensée
magico-religieuse» de substitution. Il y a du Jules Verne dans Roucaute. Mais
depuis lors, le XXe siècle nous a appris que le progrès industriel a
permis Verdun et Hiroshima, la quête messianique du progrès social a donné le
Goulag, le progrès médical a favorisé l'explosion démographique.
Son ignorance, évidemment délibérée, des rapports de
force et de la géostratégie est l'angle mort de son progressisme énamouré
Nous savons que tout «progrès» - qu'il serait idiot de
nier - se paye au prix fort. Roucaute n'en a cure. Il balaye, sans
vraiment les discuter loyalement, les craintes qui hantent les peuples
d'Europe: grand remplacement et grand déclassement. Il faut dire qu'il se moque
des peuples d'Europe et de leurs angoisses existentielles: pour lui, il n'y a
pas de peuples, pas de nations, pas de territoires, pas de racines, pas de
traditions. Tout cela relève de «la terre et les morts» de Barrès qu'il faut
éliminer. Tout cela est le produit de ces États qu'il voue aux gémonies. Il y a
chez Roucaute une détestation pour les sédentaires et une passion pour le
nomadisme qui rappelle le Bernard-Henri Lévy des années 1980. Une fascination
pour les «barbares» que devaient sans doute ressentir certains patriciens
romains à la fin de l'Empire…
Tout à son admiration effrénée pour les grands créateurs,
les Bill Gates, les Steve Jobs, les Mark Zuckerberg, ou le fondateur chinois du
réseau social Alibaba, il ne voit pas qu'il n'y a pas de succès mondial des
Gafa californiens sans les esclaves chinois qui travaillent pour eux, et sans
la puissance protectrice de l'armée américaine ; qu'il n'y a pas d'Alibaba
sans le protectionnisme mis en œuvre par le Parti communiste chinois. Son
ignorance, évidemment délibérée, des rapports de force et de la géostratégie
est l'angle mort de son progressisme énamouré. Il fait penser à cet auteur
britannique qui, en 1913, expliquait qu'il ne pourrait pas y avoir de guerre
entre l'Angleterre et l'Allemagne, car leurs échanges commerciaux et intérêts
économiques communs étaient trop importants.
«Une guerre ne se gagne jamais. On gagne seulement la
paix», proclame-t-il dans un bel élan pacifiste. C'est pourtant l'exact
contraire
Ainsi Roucaute a-t-il une solution miracle pour faire la
paix entre Israéliens et Palestiniens: «Quand ces derniers pourront créer en
toute sérénité et se lancer dans une joyeuse concurrence à l'innovation, alors
vous aurez la paix.» Et de comparer avec les Allemands, Italiens et Japonais,
d'après la Seconde Guerre mondiale qui, «pardonnés par leurs vainqueurs», se
sont lancés dans la compétition économique. Roucaute oublie seulement un
détail: Allemands et Japonais ont d'abord été écrasés sous les bombes ; et
ils sont toujours sous protectorat de leur vainqueur américain. «Une guerre ne
se gagne jamais. On gagne seulement la paix», proclame-t-il dans un bel élan pacifiste.
C'est pourtant l'exact contraire. L'Angleterre gagne à Waterloo et elle impose
un siècle de paix britannique sur le monde. L'Amérique écrase l'Allemagne et le
Japon en 1945, et nous vivons toujours le règne de l'Empire américain.
- Crédits photo : Calmann Levy
C'est parce que Richelieu, que Roucaute déteste, a gagné la
guerre de Trente Ans (1618-1648), que la France de Louis XIV a pu dominer
l'Europe. Qu'il y eut l'éclosion de ces auteurs qu'il adore, La Fontaine,
Molière, Racine, et que Colbert put - comme il l'en loue - faire
venir les ingénieurs de toute l'Europe, comme aujourd'hui, la Silicon Valley
attire les plus brillants étudiants du monde (dont beaucoup de Français) pour
faire tourner les Gafa! C'est le «hard power» qui protège le «soft power», pas
l'inverse.
Roucaute ne voit rien de tout cela. Mais Roucaute se moque
des peuples, des nations, des guerres, des empires. Roucaute ne voit que Lui,
si beau en son miroir. Même notre planète n'est qu'une «terre et des morts» de
plus. Bientôt, une fusée interplanétaire l'emmènera, lui et les «happy few» qui
pourront vivre plusieurs siècles, accompagnés de leurs robots et de leurs
enfants commandés sur catalogue, coloniser une autre planète.
Bon voyage! Les «imbéciles malheureux» garderont la vieille
maison.
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L'éditorial
du Figaro: «Bombe à fragmentation»
Publié le 28/11/2018 à 20h18
Par Arnaud de La Grange
L'initiative laisse dubitatif. À l'heure où le multilatéralisme
est sous le feu roulant des attaques trumpiennes, l'ONU se lance dans une
affaire qui divise un peu plus au lieu de rassembler. Son pacte mondial sur les
migrations suscite des levées de boucliers. Une «bonne intention» se transforme
une fois de plus en bombe à fragmentation, européenne et internationale.
Certes, le pacte est censé mettre de l'ordre dans un
phénomène chaotique. Certes, il se veut respectueux de la souveraineté des
États et non contraignant. Mais en se donnant pour but d'assurer des migrations
«régulières», il ne peut qu'inquiéter. Alors que monte un peu partout la
crainte d'une immigration de masse, il donne une idée de flux permanent que la
démographie annonce grossissant. Ici et là, le texte est vu comme un signal
dangereux incitant à se mettre en route vers des eldorados trompeurs.
Le résultat est inverse à celui recherché: ce pacte
migratoire à l'utilité douteuse électrise encore plus le sujet, divise les
États, nourrit la défiance des opinions. Et l'on se dit que l'ONU devrait plutôt
consacrer son énergie à assurer le droit des populations à vivre sur leurs
terres. En étant notamment plus efficace dans la résolution des conflits et le
développement. Un droit d'asile existe pour les réfugiés et il faut le
préserver. Les migrations «économiques», elles, saignent des pays entiers de
leurs forces vives. La Corée du Sud serait-elle ce qu'elle est aujourd'hui si
en 1953 sa population avait fui massivement un pays désolé?
Il est évident que les peuples se sont toujours nourris
d'apports extérieurs. Il est tout aussi patent que ces flux de populations ne
se passent bien que s'ils sont mesurés. Les mouvements massifs et les
déséquilibres finissent toujours par provoquer tensions, rejets et conflits.
Scrutin après scrutin, on voit que la question migratoire est devenue une
préoccupation majeure des peuples. Elle fait monter les extrêmes et mine nos
démocraties. La responsabilité internationale commanderait de ne pas jeter
d'huile sur le feu.
Louise
Arbour (ONU) : «Ceux qui critiquent le pacte sur les migrations ont participé à
sa rédaction»
Par Cyrille
Louis
Mis à jour le 28/11/2018 à 20h53 | Publié le 28/11/2018 à 18h32
INTERVIEW - La représentante spéciale du secrétaire général
des Nations unies réaffirme que le pacte sur les migrations, qui doit être
adopté les 10 et 11 décembre lors de la conférence de Marrakech, n'est pas
contraignant pour les États.
Louise Arbour a été procureure en chef auprès du Tribunal
pénal international pour l'ex-Yougoslavie puis pour le Rwanda. Elle est
aujourd'hui la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies
pour les migrations.
LE FIGARO. - Le «pacte mondial pour des migrations
sûres, ordonnées et régulières» focalise les critiques de plusieurs pays
européens. Quelle est l'origine de cette initiative?
Louise ARBOUR. - Si l'on se penche sur l'histoire
des Nations unies, on observe que la question des mobilités humaines a toujours
été sinon un tabou, du moins un sujet difficile à aborder. C'est tellement vrai
que, jusqu'il y a deux ans, l'Organisation internationale des migrations
n'était pas organiquement rattachée à l'ONU. Les premiers efforts pour se
saisir du problème ont été engagés sous l'impulsion de Kofi Annan, mais il a
fallu attendre l'automne 2016 pour que l'Assemblée générale des Nations unies
approuve la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants. L'ironie
de l'histoire est que cet appel à engager une concertation internationale pour
mieux gérer les flux de populations a été lancé à la demande de pays européens
confrontés une crise migratoire sans précédent. Ceux-ci ont pris part à la
concertation organisée dans la foulée et leurs points de vue ont été défendus
par l'Autriche durant les six mois de négociations qui ont abouti, le
13 juillet, à un accord sur le texte.
Quels sont les objectifs de ce pacte?
J'invite chacun à le lire afin de dissiper les caricatures
qu'en font ses détracteurs. Il s'agit d'un
texte non contraignant qui envisage les migrations internationales sous
tous leurs aspects et invite à mettre en place des projets de coopération afin
de réduire leur impact négatif et de faire en sorte qu'elles contribuent
davantage au développement durable. Il propose de réduire les facteurs qui
poussent les gens à quitter leur pays, de soutenir les pays d'accueil, de
lutter plus efficacement contre l'immigration clandestine et les trafics
d'êtres humains, de favoriser les voies de migration légale ou encore d'aider
aux migrants en situation de vulnérabilité. Il appelle aussi à créer les
conditions leur permettant de contribuer pleinement au développement de leur
pays d'origine en y envoyant une partie de l'argent qu'ils gagnent.
«Croyez-vous vraiment que la totalité des pays membres de
l'ONU, à l'exception des États-Unis, se seraient engagés dans un processus qui
viserait à saper leur souveraineté ?»
Louise Arbour
Plusieurs pays, dont la Hongrie, affirment que le pacte
vise à «légaliser l'immigration clandestine».
J'aimerais savoir sur quoi ils fondent cette analyse, dès
lors que ce texte appelle à combattre les migrations irrégulières et
chaotiques. Il n'est ni favorable ni défavorable à la migration comme telle,
mais constate une réalité et rappelle que celle-ci va probablement s'accentuer.
On dénombre aujourd'hui 258 millions de migrants (contre 25 millions
de réfugiés couverts par la Convention de 1951). Leur part dans la population
mondiale est passée de 2,7 % en 2000 à 3,4 % aujourd'hui.
Contrairement à ce que pensent souvent les opinions publiques, la plupart de
ces personnes ont effectué leur déplacement de façon légale. Ceux qui se
trouvent en situation irrégulière sont souvent des gens dont le visa a expiré,
des étudiants qui prolongent leur séjour pour gagner un peu d'argent en
travaillant au noir…
On vous reproche aussi de vouloir créer un «droit à la
migration».
Je ne veux pas faire de procès d'intention mais, quand
j'entends cela, je me demande si ces gens s'expriment par ignorance ou par
mauvaise foi. En droit international, les citoyens d'un pays donné ont le droit
d'y demeurer, d'y entrer et d'en sortir. Il n'existe pas de droit à entrer dans
un autre pays, sauf si celui-ci le leur accorde spécifiquement.
Ces pays redoutent plus que tout que le pacte ne porte
atteinte à leur souveraineté.
C'est absurde. Le texte affirme, au paragraphe 15, que
la souveraineté des États prime en matière de politique migratoire. Bien sûr,
il rappelle aussi que les migrants sont protégés par un certain nombre de
principes, mais il n'ajoute rien au droit existant. Croyez-vous vraiment que la
totalité des pays membres de l'ONU, à
l'exception des États-Unis, se seraient engagés dans un processus qui
viserait à saper leur souveraineté? La réalité, c'est que les États européens
ont été présents tout au long des négociations et qu'ils ont pesé sur le
contenu du texte, parfois à la ligne près. Ils ont notamment insisté sur la
nécessité de faciliter le retour des migrants vers leur pays d'origine lorsque
leur demande d'asile a été rejetée. Le pacte propose d'ailleurs une série
d'options politiques ou de meilleures pratiques permettant à chaque pays de
calibrer ses choix politiques à la lumière de considérations nationales.
Leur revirement menace-t-il la viabilité du pacte
migratoire?
Il est bien sûr très décevant de constater qu'à l'issue d'un
processus multilatéral sur des enjeux globaux qui a impliqué 192 pays, une
dizaine d'entre eux ne sont plus prêts à coopérer alors qu'ils ont participé à
sa rédaction. Leurs dirigeants craignent visiblement de se retrouver en
porte-à-faux avec leur opinion publique. Certains nous ont notifié leur
intention, d'autres ont choisi de l'exprimer par voie de presse. Mais leur
signature n'est pas requise pour l'adoption du pacte migratoire à la conférence
de Marrakech, les 10 et 11 décembre. Je choisis pour ma part de retenir
que ce
n'est pas toute l'Europe qui se désengage du processus.
Ce pacte migratoire ne risque-t-il pas de rester un
catalogue de beaux principes sans impact réel?
Il appartient à chaque État de déterminer les prochaines
étapes quant à sa mise en œuvre. Son adoption n'est que la première étape d'un
projet qui vise à mieux gérer une réalité qui ne va pas disparaître, quoi qu'en
pensent ceux qui s'opposent à la présence de migrants sur leur sol. Les pays européens
qui en critiquent le principe n'ont-ils pas intérêt à ce que soit mise en place
une meilleure gestion de l'offre et la demande en matière de main-d'œuvre
immigrée? Certains d'entre eux, confrontés à un déficit de main-d'œuvre,
gagneraient à ouvrir des voies d'accès au marché du travail pour les migrants
plutôt que de les laisser s'enfermer dans l'économie informelle ou dans un
milieu de travail où ils sont maltraités. Ces pays doivent avoir à l'esprit que
l'accueil de travailleurs migrants n'implique pas nécessairement de leur
accorder la citoyenneté.
La rédaction vous conseille :
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contient le pacte mondial sur les migrations soutenu par la France?
- «Le
Pacte de l'ONU sur les migrants va encourager l'immigration au lieu de
l'encadrer»
- Le
nombre de déplacés dans le monde s'élève à 68,5 millions, un nouveau
record
- L'Europe
se fracture sur les migrants
Diriger
une entreprise mobilise de multiples intelligences
Par Yann
Le Galès
Publié le 27/11/2018 à 21h58
Les membres du Cercle du Leadership décryptent les dix
intelligences qui permettent aux managers d'anticiper les transformations du
monde.
L'entreprise est un univers de raison cadenassé par des
chiffres et des process. Et ses dirigeants de purs esprits dont les plus
illustres représentants pourraient rivaliser avec les meilleurs algorithmes.
Cette approche a le mérite de la simplicité mais elle réduit les hommes et les
femmes qui travaillent dans les sociétés, animent des équipes, dirigent des
groupes à une seule dimension. Elle oublie que la complexité des personnes est
la richesse des entreprises.
» LIRE AUSSI - Didier Deschamps, lauréat du prix du Leadership 2018
Les auteurs réunis par le Cercle du Leadership le démontrent
brillamment en analysant toutes les formes d'intelligence adaptées au monde du
travail. Car l'intelligence ne peut pas être réduite à «sa forme la plus
convenue, celle de la logique cartésienne», constate Philippe Wattier,
président fondateur du Cercle du Leadership qui rédige l'avant-propos du
livre Les intelligences multiples en entreprise. 10 compétences à
détecter, comprendre et développerpublié aux éditions Dunod auquel une
trentaine de membres du Cercle du Leadership, de dirigeants et d'experts ont
participé. Charles Darwin, Thomas Edison, Winston Churchill et Albert Einstein
qui furent des cancres, sont là pour témoigner que rater sa scolarité n'est pas
synonyme d'absence d'intelligence spectaculaire.
Dix formes d'intelligence
Soucieuse de mieux comprendre le duo intelligence et
entreprise, Raphaëlle Laubie, directeur général du Cercle du Leadership et
professeur affilié à ESCP Europe, retient dix intelligences: les intelligences
logique, sociale et corporelle déjà présentes dans la liste d'Howard Gardner,
professeur à l'université d'Harvard, auxquelles s'ajoutent l'intelligence
émotionnelle, l'intelligence stratégique, l'intelligence créative «qui fait
appel à l'intuition et à l imagination», l'intelligence contextuelle, l'intelligence
corporelle, l'intelligence pédagogique, l'intelligence spirituelle. Et
l'intelligence artificielle qui s'impose chaque jour davantage dans la vie
économique.
Des entrepreneurs incarcent ces différentes formes
d'intelligence. Steve Jobs qui réinventa Apple avec l'iPad et l'iPhone est
«l'expression emblématique» de l'intelligence stratégique. Philippe Ginestet,
le fondateur de la chaîne de magasins Gifi qui a notamment racheté Tati et veut
devenir un géant de la distribution discount, est un manager logique.
Richard Branson qui a créé des compagnies dans le transport
aérien, la distribution d'articles culturels ou le tourisme spatial et Serge
Trigano qui a fondé la chaîne hôtelière Mama Shelter, sont des exemples
d'intelligence créative. Mais il serait dangereux de réduire ce type de
personne à un profil type. «Je vois l'lintelligence créative comme une
caractéristique qui s'exprime de façon très diverse chez les individus, observe
Philippe Maillard, directeur général adjoint France chez Suez. Vous avez les
créatifs visionnaires, les créatifs stratéges, les créatifs «poil à gratter»,
les créateurs structurés».
Savoir écouter
Attention car ces formes d'intelligence peuvent avoir une
dimension obscure. Elles ne sont pas synonymes de martingale assurant le
succès. L'intelligence existentielle ou sociale qui se caractérise notamment
par la largeur de vision et la puissance de conviction «peut produire des
patrons dont l'entêtement dans leurs propres convictions, après avoir conduit
aux sommets les entreprises qui leur ont été confiées, les conduisent
inexorablement à leur perte, sourds à tout avertissement, à tout conseil»,
observe Jean-Pierre Hulot, membre du conseil d'administration du groupe IGS.
Le grand défi pour les entreprises et les managers est donc
d'oser laisser s'épanouir ces multiples intelligences pour les combiner afin
d'inventer un management cocktail adapté à un monde nouveau.
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Bris
Rocher: «Je me suis créé un code de conduite»
Par Thomas
Lestavel
Mis à jour le 27/11/2018 à 21h25 | Publié le 27/11/2018 à 21h00
INTERVIEW - Le PDG du groupe Rocher qui a reçu le Prix du
Leadership 2018 dans la catégorie Espoir, analyse les cinq mantras qui guident
son action.
Bris Rocher, PDG du groupe Rocher qui compte parmi ses
marques Yves Rocher, Pierre Ricaud, Daniel Jouvance et Petit Bateau, prône
l'exemplarité. Le dirigeant qui a commencé à travailler à 16 ans, se forme en
lisant notamment des ouvrages anglo-saxons de management. Le Prix du Leadership catégorie Espoir est
décerné par le Cercle du Leadership en partenariait avec Cadremploi et Le
Figaro Economie.
LE FIGARO.- Vous dirigez depuis 2006 le groupe Rocher fondé
par votre grand-père. Qu'est-ce qui vous rend le plus fier quand vous repensez
à ces douze années à la tête de l'entreprise familiale .
Bris ROCHER.- Ma plus grande fierté est que nous
ayons racheté les actions détenues par Sanofi (NDLR: en 2012) et repris en main
notre destinée. Nous sommes repassés de 30% du capital à 100%. En général c'est
le contraire qui se passe dans les entreprises familiales, qui finissent tôt ou
tard par perdre le contrôle..Nous nous inscrivons dans la durée et c'est un
engagement clair vis-à-vis de tous nos salariés. Le groupe Rocher n'est pas
coté. Je ne dois pas délivrer le meilleur résultat sur l'année en cours. Je
recherche le meilleur équilibre entre la performance annuelle et les
investissements de long-terme.
Mon autre satisfaction majeure concerne la modernisation de
notre offre. Nous avons su nous réinventer, en passant de la vente par
correspondance aux magasins physiques. Au début des années 2000, notre
marque-phare se banalisait. Nous avons engagé un travail énorme sur la refonte
des produits, l'identité visuelle et les boutiques. Yves Rocher se place
aujourd'hui comme la marque favorite des Français (NDLR: elle arrive en tête du
classement OC&C des enseignes de beauté en 2018, devant Sephora et Nocibé).
Nous avons aussi remis au goût du jour les autres marques - Petit Bateau par
exemple, qui était une belle endormie quand nous l'avons rachetée en 1988.
Quelle est votre conception du leadership?
Pour moi le dirigeant est à la fois un manager qui gère les
affaires courantes et un leader qui donne la direction et embarque les troupes.
Au fil des années, je me suis créé un «code de conduite» avec cinq principes.
Le premier, c'est de faire du sport et de vivre sainement. «Prends soin de ton
corps pour que ton âme ait envie d'y rester», dit le proverbe indien. C'est
très important pour moi, car le sport me maintient dans un état d'esprit
positif. Mes quatre autres principes sont les suivants: agir en conséquence ;
indiquer une direction et pas me contenter de gérer ; regarder la réalité telle
qu'elle est et non telle que j'aimerais qu'elle soit ; ne pas considérer
uniquement les obstacles mais la manière de les contourner. Ces cinq mantras
dictent ma conduite dans mon quotidien de PDG.
«Je me considère comme un « avid learner », j'ai soif
d'apprendre. J'ai commencé à travailler à l'âge de 16 ans. Je n'ai pas fait
d'études alors je me raccroche au bon sens, et je lis beaucoup».
L' un de vos rôles est d'indiquer une direction. Quelle
est cette direction?
Ma priorité actuelle est l'internationalisation. En cinq
ans, nous avons réduit notre dépendance à la zone euro, qui ne pèsera plus que
la moitié du chiffre d'affaires l'an prochain contre deux tiers il y a cinq
ans. Le challenge d'après sera d'affronter l'ère digitale. Je crois beaucoup au «social
selling». Il s'agit d'un nouveau type de vente directe, reprenant l'esprit des
réunions à domicile type Tupperware, mais dématérialisé sur les réseaux sociaux
comme WhatsApp ou Facebook. Un e-commerce humanisé, en quelque sorte, ce qui le
distingue d'Amazon. Mon objectif est d'augmenter la part du «social selling» à
hauteur du retail dans les ventes dans les dix prochaines années.
Quelle est la force du groupe Rocher face à ses concurrents?
Nous avons toujours été un peu pionniers, en prenant des
initiatives qui ont surpris puis se sont révélées pertinentes. Quand, dans les
années 1950, mon grand-père a lancé une marque de cosmétique naturelle au fin
fond de la Bretagne, personne n'y croyait. Le choix de la vente par
correspondance n'était pas évident non plus. Aujourd'hui nous sommes la seule
marque de cosmétique au monde à détenir plus de 150 magasins physiques sur le
continent africain. En Italie, nous expérimentons le «social selling», ce
qu'aucun de nos concurrents ne fait.
Bien sûr, nous commettons aussi beaucoup d'erreurs. J'ai
tendance à être impatient, je ne laisse pas toujours entièrement sa chance à un
projet s'il ne délivre pas rapidement des résultats. Nous avons par exemple opéré
un retrait d'une de nos marques de Colombie car les résultats n'étaient pas au
rendez-vous, mais après réflexion, nous aurions mieux fait de rester.
Comment définissez-vous votre style de management?
J'aime aller de l'avant, je prône le dépassement de soi, ce
qui peut être épuisant pour les équipes il faut bien l'avouer! Je cherche à
maîtriser la complexité. Je me considère comme un «avid learner», j'ai soif
d'apprendre. J'ai commencé à travailler à l'âge de 16 ans, à la mort de mon
père. Je n'ai pas fait d'études alors je me raccroche au bon sens, et je lis
beaucoup. J'essaie d'être ouvert sur notre monde et de comprendre ses mutations.
Quels livres vous ont le plus marqué?
J'ai adoré «Sapiens» de Yuval Noah Harari pour la mise en
perspective qu'il offre à un monde tenté de se replier sur lui-même. Je suis en
train de lire son dernier ouvrage, «21 leçons pour le XXIème siècle». Je ne
partage pas toutes ses analyses mais il a le grand mérite de poser les bonnes
questions et d'ouvrir les yeux du lecteur sur les changements en cours.
Je pense aussi à certains ouvrages anglo-saxons, que j'ai
lus en anglais. J'ai beaucoup apprécié «From zero to one» de Peter Thiel (NDLR:
fondateur de PayPal et de Palantir Technologies), qui est une sorte de manuel
sur la manière d'innover demain. Je citerai également «The Hard Thing About
Hard Things» de Ben Horowitz (NDLR: serial-entrepreneur et investisseur renommé
de la Silicon Valley). Ce pionnier de la tech délivre un message qui me parle
beaucoup: nous avons une fâcheuse tendance à nous mettre des verrous dans la
tête. A nous d'enlever ces verrous psychologiques qui nous empêchent d'avancer.
Dans un chapitre mythique intitulé «Nobody cares», il cite
l'exemple de cet entraîneur de football américain confronté à la blessure de
ses trois joueurs-stars. Extrêmement préoccupé, le coach consulte un ami qui
lui répond: «Tout le monde se fout de tes problèmes. Entraîne les joueurs qu'il
te reste et fais du mieux avec ce que tu as. Pendant que tu te prends la tête,
tu ne fais pas avancer la situation». Son équipe n'a pas terminé en tête cette
année-là mais elle est montée en compétence. Puis les trois talents se sont
remis de leur blessure. La saison d'après, il a remporté le championnat.
«J'essaie de prendre du recul en lisant des livres et en
m'aérant l'esprit par le sport, mais ce n'est pas suffisant. Alors je consulte
énormément de gens».
Qui vous challenge au quotidien?
Comme tous les dirigeants d'entreprise, j'ai souvent la tête
dans le guidon. J'essaie de prendre du recul en lisant des livres et en
m'aérant l'esprit par le sport, mais ce n'est pas suffisant. Alors je consulte
énormément de gens. J'aime «frotter les esprits», il en sort toujours quelque
chose de différent. Par exemple je respecte énormément mon oncle Jacques
Rocher, qui siège au conseil d'administration du groupe, pour sa capacité de
recul extraordinaire. Il ne voit pas l'entreprise uniquement comme une entité
business mais comme faisant partie de la société et du monde. Il préside la
Fondation Yves Rocher et il a été élu maire de La Gacilly, la commune du
Morbihan où se situe le siège du groupe.
Quelle personne vous a le plus inspiré?
Même si je n'aime pas mettre les gens sur un piédestal, je
dirais mon grand-père pour sa vision et mon père pour sa capacité à entraîner.
Mon grand-père voulait créer une marque de beauté naturelle qui soit accessible
au plus grand nombre de femmes. Il a bâti son entreprise avec une vision: la
nature est notre futur. La Terre possède un patrimoine d'une richesse
incroyable. Aucun laboratoire cosmétologique ou pharmaceutique ne peut
rivaliser avec la nature, qui a derrière elle 4 milliards d'années d'évolutions
et d'adaptations. Les botanistes ont découvert 300.000 plantes mais il y en a
encore autant à découvrir! Les plantes et le végétal sont l'actif principal du
groupe Rocher. Nous avons donc le devoir de respecter et de préserver la
planète. Notre mission d'entreprise, qui est de rendre à la nature ce qu'elle
nous offre chaque jour, engage nos communautés. C'est justement ça qui rend
notre groupe pérenne.
A quelle compétence faites-vous le plus attention quand
vous recrutez un collaborateur?
L'exemplarité. Que la personne fasse ce qu'elle dit et
qu'elle dise ce qu'elle fait.
Comment faites-vous pour mobiliser vos troupes dans les
périodes de doute ou de difficultés?
La clé pour affronter les tempêtes, c'est de gérer
l'entreprise en bon père de famille. Nous ne dépensons pas plus que ce que nous
gagnons. Notre dette est maîtrisée, nous ne jouons pas avec le feu. Cela nous
permet de tenir la distance. Les équipes savent que notre bilan est sain et que
l'entreprise a des marges de manœuvre si elle traverse une mauvaise passe.
Vous êtes bronzé en ce mois de novembre…
Je reviens de Turquie et d'Israël où nous avons bouclé
récemment des acquisitions. Il a fait un temps magnifique. Je suis resté le
week-end à Tel Aviv pour fêter mes 40 ans !
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Ricard: «Je souhaite mettre fin aux silos»
Didier
Deschamps livre ses secrets de manager
Par Baptiste
Desprez et Laurent
LouëtMis à jour le 27/11/2018 à 20h05 | Publié le 27/11/2018 à 20h00
EXCLUSIF - Le sélectionneur des Bleus, lauréat du Prix du
Leadership 2018, se confie longuement au Figaro sur sa manière
de choisir et d'animer une équipe.
L'automne et ses feuilles mortes balaient les allées du
mythique Clairefontaine, le centre d'excellence du football français paré des
deux étoiles synonymes des victoires acquises en Coupe du monde en 1998 et
2018. Symbole historique et témoin de ces deux sacres, l'un décroché en tant
que capitaine de la bande à Aimé Jacquet, l'autre aux manettes d'une sélection
victorieuse en Russie, Didier Deschamps nous a reçus le 13 novembre lors de
l'ultime rassemblement de l'équipe de France au «Château». Souriant, détendu et
ravi de pouvoir converser sur les rôles de manager et de leader de sa fonction
de sélectionneur, «DD» s'est longuement confié et a dévoilé sa méthode. Le
Prix du Leadership est décerné par le Cercle du Leadership en partenariat avec
Cadremploi et Le
Figaro Economie .
LE FIGARO. - Quand avez-vous pris conscience que vous
aviez l'âme d'un leader?
Didier DESCHAMPS. - C'est dans mes gènes. Il y a
des personnes qui naissent leaders, certains sont des suiveurs et d'autres
plutôt neutres. C'est aussi une question d'éducation. On se construit au fil
des années. Le leadership se développe avec le temps mais pour moi -et ce n'est
pas prétentieux de le dire, il ne faut pas le prendre comme tel- cela a été
naturel. On ne peut pas se réveiller le matin, claquer des doigts et se dire:
«Je vais être leader». Ce n'est pas comme ça que cela marche. Il faut être
reconnu et légitime en interne. Pour ma part, être un leader n'a jamais été un
fardeau ou quelque chose qui m'a pompé de l'énergie. Je l'ai fait naturellement
car j'étais comme ça. Je sentais les choses de cette façon, avec une démarche
collective.
Des personnalités vous-ont elles influencé?
Influencé, c'est beaucoup dire. Ce n'est pas parce que
quelque chose a bien marché à tel endroit que ça fonctionnera à coup sûr
ailleurs. Des fois, oui, mais il faut sans cesse s'adapter au contexte ambiant,
aux particularités locales, aux personnes qui vous entourent au quotidien. C'est
valable aussi dans le monde de l'entreprise. J'ai retenu certaines choses ou
phrases de mes dirigeants qui m'ont amené à réfléchir, bien évidemment…
(sourire)
«Dans ce métier, à partir du moment où tu commences,
chaque jour te rapproche un peu plus de la fin»
Didier Deschamps
A qui pensez-vous?
Ça va lui faire plaisir, mais c'est sincère. Je pense à
Bernard Tapie (NDLR son ancien président à l'OM entre 1989 et 1994) qui m'a dit
des choses qui m'ont fait réfléchir. C'était un monstre de communication, avec
une expérience colossale. À titre personnel, j'ai toujours été à l'écoute. Il
me fallait cette réflexion. Il m'arrivait de penser des choses quand j'étais
joueur qui se sont avérées différentes quand je suis passé coach. Entre la vie
qui avance et le changement de métier, vous évoluez forcément.
Les spécialistes expliquent qu'une personne nommée à un
poste important à 100 jours pour analyser la situation…
(Il coupe). Je ne pense pas qu'on m'ait octroyé les
100 jours. Dans le football, ça n'existe pas. Moi, dès le lendemain du
premier match, je n'avais pas de confort ni d'état de grâce. Dans ce métier, à
partir du moment où tu commences, chaque jour te rapproche un peu plus de la
fin. Je disais ça même au début de mon mandat. Ce n'est pas une vision
négative, obsédante ou inquiétante, la vie est faite comme ça. Au haut niveau,
il faut des résultats. Tout le monde est logé à la même enseigne. Si tu n'en as
pas, tu connais la sentence.
Vivez-vous cette situation de la même manière quand vous
étiez joueur?
Non, joueur c'est la plus belle vie. Quand tu bascules du
côté entraîneur, sélectionneur ou manager, tu dépends des autres. Le rôle de
sélectionneur est important, mais sa réussite est celle des joueurs.
Quelles sont les qualités pour réussir comme
sélectionneur?
Manager, c'est gérer des êtres humains. Des jeunes, des
moins jeunes, des parents, des caractères, des personnalités, des sensibilités
différentes. Il est important de créer un lien, d'avoir une relation avec eux,
sans utiliser les mêmes mots ou avoir une approche identique. Au-delà du
sportif de haut niveau, le plus important pour moi est de connaître l'homme que
j'ai en face de moi. Savoir comment il réagit, ses qualités, ses faiblesses,
ses sensibilités. Ce sont des leviers importants dans les discussions
individuelles ou collectives par la suite.
Connaîssez-vous vos joueurs par coeur?
Je n'aurais pas cette prétention. Mais avant de les
convoquer, je fais en sorte d'avoir pas mal d'informations sur leur
personnalité. Je sais beaucoup de choses sur eux par des méthodes diverses et
variées. Je sais l'essentiel. Rien n'est jamais fait par hasard.
«Je me dois d'argumenter mes choix, mais surtout pas de
les justifier. Il y a des choses injustifiables et qui ne sont pas audibles par
ceux qui n'ont pas été pris. Je le comprends totalement»
Didier Deschamps
Vous travaillez comme un «profiler»...
Ah bon? Les critères sportifs sont les plus importants, mais
on ne peut pas dissocier l'homme du joueur de football. Il est important
d'avoir des éléments qui ont un vécu. C'est beaucoup de discussions et
d'échanges avant de prendre des décisions importantes. Même si choisir, c'est
éliminer, je prends du plaisir à faire ça. J'aimerais bien satisfaire tout le
monde, mais je ne peux pas. Je sais qu'à chaque fois, je fais des déçus. Cet
été, j'en ai fait beaucoup. J'essaie de les comprendre, mais c'est le haut
niveau.
Faire des choix délicats est-il difficile?
Oui. C'est dur à chaque fois. C'est encore plus difficile
pour eux. Mais celui qui ne fait jamais de choix n'a pas de problème. Dire oui
à certains et non à d'autres fait partie de mon métier. Après, je me dois
d'argumenter mes choix, mais surtout pas de les justifier. Il y a des choses
injustifiables et qui ne sont pas audibles par ceux qui n'ont pas été pris. Je
le comprends totalement. J'ai tout connu en tant que joueur. Cela m'aide tous
les jours dans ma fonction actuelle. Je ne sais sans doute pas ce qu'il faut
faire à tous les coups, mais je sais surtout ce qu'il ne faut pas faire.
Dans quel rôle du manager vous sentez-vous le plus
naturel: l'autorité, le sens, l'expertise ou le savoir-être?
Dans tous ceux -là! On évoque ici la gestion humaine. Celui
qui se lève le matin et dit: «Moi, je sais comment faire». Je lui tire mon
chapeau. Moi, je me lève le matin et je sais que je ne sais pas. Je peux
apprendre de tout le monde. Le manager à des rôles à remplir, oui. L'autorité,
c'est important, bien évidemment. Ce qui n'empêche pas d'avoir de la proximité.
Pour moi, ce qui est capital dans le cadre du football, c'est de définir
clairement le cadre de vie et le cadre de travail. Ces cadres, quoi qu'il
arrive, seront identiques pour tout le monde. Identiques pour celui qui a une
seule sélection comme pour celui qui en compte cent! Après, qu'il y ait un peu
de souplesse, c'est évident. Ce que j'attends de mes joueurs, je l'attends en
premier lieu de mon staff: unité, solidarité, enthousiasme et détermination.
Déléguez-vous facilement?
Déléguer? Je ne suis pas seul, mais c'est mon autorité. Je
suis celui qui fait les choix. J'ai un staff auquel j'accorde beaucoup de
responsabilités. C'est ingérable d'être seul aujourd'hui.
Didier Deschamps: «Je fais les choses comme je le sens, avec
le plus d'honnêteté et de professionnalisme possible.» - Crédits photo :
SEBASTIEN SORIANO/Le Figaro
Avez-vous conscience d'être un exemple?
Je ne veux pas tout mélanger, mais vous n'êtes pas les premiers
à me poser la question. Evidemment, la réussite sert souvent d'exemple. Cela
dit, sans aucune prétention, entre la sphère professionnelle et la sphère
sportive, il y a beaucoup de points communs mais aussi des différences. Tenez,
dans le sport, nous devons gérer la médiatisation. En entreprise, il y a un
bilan tous les six mois ou tous les ans. Le bilan peut être exposé mais c'est
une seule fois dans l'année, par rapport à la rentabilité ou non de
l'entreprise. En sélection, nous avons des examens tous les mois. Chez nous, la
différence entre un match gagné et un match perdu est colossale. Dans une
entreprise, la différence est balayée sur une période plus longue. Les
similitudes? C'est travailler en équipe pour un objectif commun.
Quelle image de manager aimeriez-vous laisser lorsque
vous quitterez la sélection?
Je ne sais pas… Sincèrement, mon image ne m'obsède pas. Je
fais les choses comme je le sens avec le plus d'honnêteté et de
professionnalisme possible. Je suis comme je suis. J'ai forcément des qualités
et certainement des défauts. Mes qualités, si elles sont poussées un peu trop,
peuvent devenir des défauts. Je ne me pose pas la question. Je ne suis pas là
pour laisser une image. Je suis dans le haut niveau. Lorsque j'étais joueur, je
voulais faire la plus belle carrière sportive possible. En tant que sélectionneur,
c'est pareil. Je veux aller le plus haut à travers les autres. Ce n'est pas ma
réussite personnelle, car ce sont les joueurs qui me l'offre. C'est pour ça que
je ne cherche pas à donner des leçons. C'est mon avis, point barre.
Quelles sont les règles de base pour lesquelles vous êtes
intransigeant?
D'abord, c'est le respect. Au sens large. Respect des
personnes, peu importe leur responsabilité. Chacun a un rôle. Toutes les
fonctions sont importantes. Il doit y avoir du respect entre les joueurs par
rapport aux règles de vie, que ce soit les rendez-vous collectifs, les tenues,
le respect des supporters ou des partenaires de la Fédération, même si les
joueurs n'en sont pas salariés. Sur le terrain, le respect passe par l'attitude
qu'ils doivent avoir sous le maillot de l'équipe nationale. Je n'aime pas le
mot «exemplarité», car tout le monde doit avoir le droit de commettre des
erreurs, parfois... C'est une fierté d'être en équipe de France mais ce sont
aussi des devoirs.
Comment créez-vous la confiance dans un groupe?
A travers les discussions. C'est l'état d'esprit qui est
capital, surtout lorsque l'on part pour vivre plusieurs semaines ensemble, 24
heures sur 24. Cela dit, je ne prends pas que des gens bien éduqués qui disent
«bonjour», «merci» et qui lèvent le doigt pour parler! Non, ce n'est pas ça.
Nous avons besoin de caractère et de qualité en équipe de France. Pendant
longtemps, on a reproché à ce groupe de manquer de leader. Ils se sont révélés
avec les événements mais ils avaient déjà ça en eux. Ce ne sont pas des
«béni-oui-oui». Le meilleur ciment, c'est le terrain, qui matérialise tout ce
qu'on a pu dire, faire et préparer. Je sais très bien qu'à qualité égale, c'est
le mental qui fait la différence. Il ne faut pas se voir plus beau que l'on
est.
«Entraîneur, j'ai les mêmes yeux que quand j'étais
joueur. Il est probable que ce sont ceux des autres qui ont changé. Il y a de
la reconnaissance, mais cela ne va changer ni mes yeux, ni ma vie»
Didier Deschamps
Le mot «exigence» revient souvent dans votre discours...
Oui, car je suis d'abord exigeant envers moi-même. Je le
suis énormément, parfois même trop. Je demande de l'exigence parce que l'on
peut toujours faire mieux. Toujours et dans n'importe quelle situation.
L'exigence au quotidien avec les joueurs, oui. C'est l'exigence du haut niveau,
où il est très difficile d'atteindre le succès et encore plus difficile de s'y
maintenir.
Comment féliciter et recadrer un footballeur
professionnel?
On a toujours tendance à ne pas assez souligner les choses
bien faites. Intervenir pour dire ce qui ne va pas est important, mais il faut
dire aussi ce qui est bien réalisé! Il faut avoir un équilibre. Ce ne sont pas
des grandes discussions, mais parfois, des petits mots, un aparté qui n'est pas
forcément conventionnel.Il faut dire les choses. Moi, je ne suis pas là pour
dire aux joueurs ce qu'ils ont envie d'entendre et leur faire plaisir. Ils le
savent. S'il y a des choses qui me semblent incohérentes et qui ne vont pas
dans le sens du collectif, je leur dis. Après, ils réfléchissent. Moi, je le
fais pour le bien du groupe, d'après ce que j'ai pu vivre, même si dans nos
échanges, je ne fais jamais référence à ma propre expérience.
Certains entraîneurs utilisent le conflit pour optimiser
les talents. Quelle est votre position?
Je ne suis pas dans le conflit mais certains fonctionnent
comme ça. Moi, mon souci, c'est plutôt de faire en sorte que l'on n'arrive pas
au conflit, au point de non-retour. Un conflit médiatique, jamais, car je pars
du principe que si j'ai des choses à dire, je le fais en direct, collectivement
ou individuellement. A l'extérieur, c'est un autre message.
«Le vrai voyage de découverte ne consiste pas à chercher
des nouvelles terres, mais à avoir de nouveaux yeux», écrivait Marcel Proust.
C'est une jolie phrase. Les yeux sont importants, car
l'observation est essentielle dans la relation humaine. Entraîneur, j'ai les
mêmes yeux que quand j'étais joueur. Il est probable que ce sont ceux des
autres qui ont changé. Il y a de la reconnaissance, mais cela ne va changer ni
mes yeux, ni moi-même, ni ma vie.
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Relativisme,
postvérité, discrédit des experts : le nouvel anti-intellectualisme
Par Eugénie
Bastié
Mis à jour le 25/11/2018 à 23h36 | Publié le 25/11/2018 à 23h28
ENTRETIEN - Tom Nichols*, auteur d'un essai remarqué aux
États-Unis, The Death of Expertise, est à la fois conservateur et
hostile à Trump. Il analyse la critique de plus en plus répandue de l'expertise
dans nos démocraties à l'ère du numérique.
LE FIGARO. - Dans votre livre, The Death of
Expertise («La Mort de l'expertise»), vous déplorez le fait que
l'ignorance soit désormais devenue une vertu. Qu'entendez-vous par là?
Tom NICHOLS. - Les gens ont toujours été
méfiants à l'égard des intellectuels et des experts. Il est tout à fait normal
de vouloir interroger votre docteur, surtout s'il vous annonce de mauvaises
nouvelles ou affirme quelque chose que vous ne voulez pas entendre. Ce qui est
différent aujourd'hui, ce n'est pas que les gens se défient des experts, c'est
qu'ils se pensent plus intelligents qu'eux, dans à peu près tous les domaines.
C'est une chose de dire à votre médecin: «J'aimerais un
second diagnostic.» C'en est une autre de lui dire: «Laissez-moi vous expliquer
l'oncologie et la virologie.» Dans presque tous les secteurs, de l'enseignement
à la diplomatie, en passant par des métiers aux compétences scientifiques très
techniques, j'ai rassemblé, histoire après histoire, les témoignages d'experts
rencontrant des profanes qui non seulement ne voulaient pas entendre parler de
leur expertise, mais prétendaient aussi leur adresser des reproches et des
conseils. «Vous êtes ambassadeur? Laissez-moi vous expliquer la diplomatie.»
C'est de la folie.
Vous décrivez l'ascendant croissant de l'émotion sur la
raison. Quelles sont les sources de ce nouvel anti-intellectualisme?
Je pense qu'il s'enracine dans deux aspects de la société
moderne: l'abondance et le narcissisme. Dans les pays développés, les gens ne
se considèrent pas généralement comme riches, mais ils mènent pourtant des vies
incroyablement faciles, même comparées à mon enfance dans les années 1960. Nous
tenons pour acquis que les choses fonctionnent - et je parle de choses simples
comme de l'eau saine, des voyages aériens en sécurité ou nos téléphones
portables. Je fais partie de la génération de personnes qui ont été vaccinées
contre la variole dans l'enfance, même pour des voyages de routine dans
certaines régions d'Europe, ce que mes plus jeunes étudiants trouvent
aujourd'hui étonnant.
«Il n'y a pas si loin du postmodernisme à la postvérité,
surtout lorsqu'on enseigne que la « vérité » est une sorte de construction
sociale plutôt que quelque chose de connaissable en soi»
Cette société d'abondance nous porte à penser que les choses
sont plus faciles qu'elles ne le paraissent, et ainsi nous sommes stupéfaits et
bouleversés lorsque les choses ne se passent pas comme nous le souhaitons. Et
nous nous mettons alors en colère de manière irrationnelle. Le plus grand
problème, cependant, est le narcissisme. Nous sommes maintenant à plusieurs
générations d'écart des mouvements
de rébellion de la jeunesse des années 1960, mais nous idéalisons toujours
la jeunesse et considérons la «remise en question de l'autorité» comme un but
en soi.
Nous avons élevé des générations d'enfants - du moins ici,
aux États-Unis, et je sais que c'est un problème dans certaines parties du
Canada et de l'Europe - qui se croient aussi intelligents que n'importe qui,
jugent que leurs opinions sur n'importe quel sujet ont de la valeur et qu'il
n'existe pas de réponses fausses. Nous avons créé un monde où est privilégiée
l'égalité devant la loi, et nous avons transformé cet objectif politique en
égalitarisme devenu fou. L'égalité, désormais, signifie «l'égalité à tous
égards». Ainsi, nous sommes devenus des défenseurs militants de nos goûts, de
notre confort et de nos croyances, et nous ne pouvons plus supporter d'entendre
que nous nous trompons sur un sujet.
Vous êtes un conservateur. Ne pensez-vous pas que le
relativisme culturel et le déclin de la culture générale sont une conséquence
de la déconstruction et de l'égalitarisme prônés par une certaine gauche, en
particulier à l'université?
Aux États-Unis, il est très à la mode de faire porter la
responsabilité de l'anti-intellectualisme à la droite et en
particulier aux évangéliques. Et il y a des raisons pour cela. Mais
oui, bien sûr: le postmodernisme à l'université, selon lequel la réalité dépend
de la perception qu'en a chacun, a contribué à jeter les bases qui ont détruit
la pensée critique lors des quatre dernières décennies. Il n'y a pas si loin du
postmodernisme à la postvérité, surtout lorsqu'on enseigne que la «vérité» est
une sorte de construction sociale plutôt que quelque chose de connaissable en
soi.
On a pu considérer, voilà quelques années, qu'Internet
permettrait la démocratisation du savoir. Cette supposition était-elle une
erreur?
Le problème avec Internet - et je suis un technophile qui
aime l'ère de l'information - est qu'il n'y a pas de gardiens. Sans gardiens,
Internet n'est pas une bibliothèque ou une université à ciel ouvert, mais un
carnaval: vous pouvez toujours obtenir ce que vous voulez, même si ce n'est pas
bon pour vous. Je rappelle toujours à mes étudiants qu'Internet ne vous dit pas
ce que vous avez besoin de savoir. Au contraire, il répondra à toutes les
questions stupides que vous lui posez, et vous donnera toujours la réponse que
vous êtes venu chercher.
Que faire pour réconcilier la démocratie et le savoir?
Tant les profanes que les experts doivent faire un effort.
Les experts partagent une partie de la responsabilité: ils ne sont pas assez
transparents sur leurs méthodes de travail ainsi que sur les erreurs qu'ils
commettent - et, comme tous les êtres humains, ils en commettent beaucoup. Ils
devraient tendre la main à leurs concitoyens. Or les experts préfèrent de plus
en plus parler uniquement entre eux, ce qui, à mon avis, est un aveu d'échec.
Mais les profanes doivent aussi faire preuve d'un peu plus
d'humilité et se rappeler qu'une société moderne repose sur la division du
travail et que tout le monde ne peut pas tout savoir à tout moment. Ils doivent
dialoguer avec les experts en posant des questions et en écoutant les réponses,
et non en donnant des leçons à des personnes qui ont derrière eux des décennies
d'études et d'expérience dans leurs domaines respectifs. Plus important encore,
il faut réengager nos conversations sur la base de la bonne foi, plutôt que de
partir de l'hypothèse que nous sommes plus intelligents que tous les gens que
nous rencontrons.
* Tom Nichols est également professeur à l'US Naval
War College et à la Harvard Extension School. Il a publié The Death of Expertise. The Campaign Against
Established Knowledge and Whyit Matters , Oxford University Press USA,
non traduit en français.
Barbara Lefebvre : «Christophe Castaner et le 6 février
1934: la double faute du ministre»
Par Barbara
Lefebvre
Mis à jour le 26/11/2018 à 16h05 | Publié le 25/11/2018 à 19h06
TRIBUNE - Le ministre de l'Intérieur affiche fièrement son
ignorance de l'histoire et multiplie les amalgames grossiers, voire odieux,
pour «fasciser» les «gilets jaunes», déplore le professeur
d'histoire-géographie et essayiste.
Barbara Lefebvre, auteur de «Génération “J'ai le droit”»
(Albin Michel, 2018). - Crédits photo : Clairefond
Christophe Castaner, comme tant d'autres politiciens aux
connaissances historiques superficielles, devrait cesser les références au
passé pour argumenter au sujet de faits politiques présents. S'il avait la
culture littéraire et historique de De Gaulle, Mitterrand, Séguin ou
Chevènement, pour ne citer qu'eux, on serait ravis d'être éclairés par la
parole du ministre. Las. La fragilité de M. Castaner en termes de culture
générale est par trop criante.
Désormais, nos «grands hommes» s'appuient sur des
conseillers qui rédigent leurs discours truffés de références historiques
passées au tamis du politiquement correct pour donner de l'épaisseur à la
communication ou à la vile stratégie politicienne.
Déjà, le 16 avril dernier, M. Castaner interrogé
sur RTL au sujet de la dimension sexiste du hijab bottait en touche avec cette
comparaison extravagante: «Il y a quelques années, quand en France, y compris
nos mamans portaient un voile, portaient le voile catholique, on ne se posait
pas la question.» «Nos mamans» signifie qu'il situait ce fait social dans un
passé relativement proche puisque l'intéressé est né en 1966 ; il évoquait
donc les années 1950. Malgré
les railleries survenues après cette calamiteuse interview, Christophe
Castaner n'est jamais revenu sur ses propos pour nous éclairer sur ce fait
historique largement méconnu. J'invite toute personne ayant vu dans sa tendre
enfance des «mamans avec leur voile catholique» se promener dans les rues, à
porter témoignage de ce fait social si peu, voire pas du tout, étudié par les
historiens.
» LIRE AUSSI - «Non,
Monsieur Castaner, la mantille des catholiques n'a rien à voir avec le voile
islamique!»
Devenu ministre des Cultes, on espère qu'il a révisé ses
fiches. Sommes-nous néanmoins fondés à ressentir quelque inquiétude en l'imaginant
comme interlocuteur avec les représentants de l'islam au vu de sa connaissance
du «fait religieux» en France?
Le désormais ministre de l'Intérieur continue de nous
abreuver de références historiques douteuses, et le silence des journalistes
présents lors de la conférence de presse de samedi soir en dit long sur leur
propre culture historique. Interrogé sur la responsabilité de Mme Le Pen
dans le
choix des Champs-Élysées pour la mobilisation des «gilets jaunes»,
M. Castaner commence par répondre en faisant appel au passé. Pas n'importe
lequel. «Depuis 1934, il n'y a jamais eu de manifestations politiques sur les
Champs-Élysées, uniquement des rassemblements festifs», déclare-t-il d'un air
grave. Février 1934 d'un côté, un tweet de Marine Le Pen en
novembre 2018 de l'autre. Plus c'est gros, plus ça passe.
Rappelons donc les faits. Le 6 février 1934,
différentes ligues d'extrême droite (Camelots du roi, Jeunesses patriotes,
Solidarité française) ou de droite traditionaliste (Croix-de-Feu), mais aussi
des anciens combattants dont certains proches du Parti communiste et des
groupes de droite manifestent en face de la Chambre des députés, place de la
Concorde, et non pas sur les Champs-Élysées, première erreur historique.
Plusieurs dizaines de morts parmi les manifestants, chute du gouvernement
Daladier, formation d'un gouvernement dit d'union nationale dirigé par Gaston
Doumergue. On connaît la suite: la gauche du futur Front populaire soutient
l'idée d'une tentative de prise du pouvoir par les fascistes le 6 février
1934, ce qu'aujourd'hui la majorité des historiens récuse. C'est un autre sujet.
Tout est bon pour que le «nouveau monde» se maintienne au
pouvoir, y compris fausser le jeu politique et construire des face-à-face sans
avenir pour le peuple français
Deuxième erreur historique et non des moindres:
M. Castaner a oublié qu'après 1934 (où il ne se passa rien sur les
Champs-Élysées), trois grands moments politiques se sont déroulés sur les
Champs-Élysées.
D'abord le 11 novembre 1940, quelques semaines après
l'entrevue de Montoire officialisant la collaboration entre le régime de Vichy
et l'occupant, près de 3000 jeunes hommes, étudiants et lycéens bravent
l'interdiction allemande de célébrer publiquement l'armistice et la victoire
française de novembre 1918. Durant les jours précédents, des tracts se
diffusaient, se recopiaient, passaient de main en main pour mobiliser. Pas
besoin de Twitter ou de Facebook pour bâtir une résistance, on l'oublie un peu
vite de nos jours. Les voici, ces jeunes patriotes, en fin d'après-midi, qui
chantent La Marseillaise, crient «Vive de Gaulle» sur la place de
l'Étoile, non loin de la tombe du Soldat inconnu. Deux cents seront arrêtés par
l'armée allemande, plus de la moitié incarcérés un mois durant.
Autre oubli de notre ministre, le 26 août 1944. Rien
moins que le défilé de la victoire des troupes de Leclerc en présence du
général de Gaulle qui descendent l'avenue, là où quatre ans plus tôt les
troupes de l'occupant nazi avaient marché triomphantes. À moins que notre
actuel ministre-historien ne voie dans le défilé du 26 août 1944 qu'un
«rassemblement festif» sans connotation politique…
Enfin le 30 mai 1968, une immense manifestation
populaire en faveur du président de Gaulle, après les heurts estudiantins des
semaines précédentes, se déroule sur l'avenue parisienne noire de monde.
Quelques heures auparavant, de Gaulle avait annoncé la dissolution de
l'Assemblée nationale. La France gaulliste se rassemblait massivement pour lui
témoigner son soutien.
Les Français sont légitimes à désespérer de la médiocrité
de cette classe politique. Et ce n'est pas en déformant l'histoire que des
politiciens détourneront notre attention des enjeux actuels
On comprend bien la stratégie du ministre Castaner avec ses
gros sabots pour évoquer le 6 février 1934 quand on l'interroge sur un
tweet de la présidente du Rassemblement national. Il s'agit d'une part de
remettre Marine Le Pen au centre de l'échiquier politique comme principale
opposante au président Macron à l'orée des européennes, et d'autre part
d'entretenir la figure démoniaque du «fascisme lepéniste» aux portes du pouvoir
dans la perspective de 2022. Seul un nouveau face-à-face Macron-Le Pen pourrait
permettre au président un second quinquennat au train où vont les choses. La
manœuvre paraît grossière, mais tout est bon pour que le «nouveau monde» se
maintienne au pouvoir, y compris fausser le jeu politique et construire des
face-à-face sans avenir pour le peuple français.
La présidente du RN, de son côté, est complice de ce système
politicien dont elle use et abuse pour exister, par des postures tantôt de
victime, tantôt de résistante antisystème, de grandes déclarations tout aussi
démagogiques que celles de ses adversaires. Grâce au président et au
gouvernement qui l'ont remise en selle, Marine Le Pen a presque réussi à faire
oublier son échec cinglant lors du débat de l'entre-deux-tours du printemps
2018, son manque de tenue et de professionnalisme, ses tergiversations
politiques sur l'euro, son incompétence sur la politique économique. Elle
demeure le «meilleur» adversaire possible pour le président Macron, étant
entendu que M. Mélenchon se fait régulièrement hara-kiri. Quant à LR, ils ne
savent toujours pas où ils habitent, et on suppose que d'ici 2022 ils resteront
des SDF, des Sans Droite Fixe.
Les Français sont légitimes à désespérer de la médiocrité de
cette classe politique. Et ce n'est pas en déformant l'histoire que des
politiciens détourneront notre attention des enjeux actuels. Chaque jour, ils
viennent nous reprocher de pas partager leur optimisme dans le progrès, dans
les lendemains radieux de la mondialisation. Ils disqualifient ces «Gaulois
réfractaires au changement», ces ploucs de «gilets jaunes», ces intellectuels
antimodernes. Non, avertissait déjà Bernanos en février 1946, «la France
n'est pas pessimiste, mais elle réserve son espérance. On nous prêche aujourd'hui
l'optimisme comme on nous prêchait jadis le pacifisme, et pour les mêmes
raisons. L'optimisme qu'on nous prêche, c'est le désarmement de l'esprit».
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