Prières de rue à Clichy : lettre ouverte de Céline Pina au ministre de l'Intérieur (11.11.2017)
À Clichy, les élus battent le pavé contre les prières de rue (10.11.2017)
Prières de rue à Clichy : lettre ouverte de Céline Pina au
ministre de l'Intérieur (11.11.2017)
Par Céline Pina Mis à jour le 11/11/2017 à 16:42 Publié le 11/11/2017 à 15:51
FIGAROVOX/TRIBUNE - Céline
Pina interpelle le ministre de l'Intérieur au sujet des prières de rue,
organisées chaque semaine depuis huit mois à Clichy, et qui ont conduit les
élus locaux à manifester. Pour l'essayiste, il est de la responsabilité de
l'État de rétablir l'ordre public.
Ancienne élue locale, Céline
Pina est essayiste et militante. Elle avait dénoncé en 2015 le salon de «la
femme musulmane» de Pontoise et a récemment publié Silence Coupable (éditions Kero,
2016). Avec Fatiha Boutjalhat, elle est la fondatrice de Viv(r)e la
République, mouvement citoyen laïque et républicain appelant à
lutter contre tous les totalitarismes et pour la promotion de l'indispensable
universalité de nos valeurs républicaines.
Monsieur le ministre de
l'intérieur,
Comme vous ne pouvez pas
l'ignorer, à Clichy, depuis 8 mois, tous les vendredis, des individus
envahissent la voie publique par centaines, déplient des tapis de prière,
perturbent ostensiblement la circulation afin de mettre en scène des prières de
rue, censées faire croire que les musulmans ne disposent d'aucun lieu de culte
pour se réunir dans cette ville. Un spectacle qui a pour objet d'installer dans
les têtes l'image d'un pays persécutant une religion afin d'accréditer le
discours des militants de l'islam politique. Ceux-ci construisent leur démarche
de sectarisation et leur politique de recrutement sur la haine et le ressentiment.
Or rien de mieux que l'appel à défendre une religion et des fidèles, présentés
comme humiliés dans leur foi par une société intolérante, pour susciter
l'indignation et lier toute une communauté. La victimisation est souvent la
première marche de la radicalisation.
Et pour cela tous les moyens sont
bons: c'est ainsi qu'à Clichy, ce chantage s'exerce, alors même que la ville
dispose de deux mosquées, que lors de certains prêches en plein air des
discours très radicaux ont été entendus et qu'une partie des manifestants ne
sont pas Clichois, mais participent à une démarche militante.
Monsieur le ministre, vous
avez une autorité hiérarchique sur le préfet. A tel point qu'aujourd'hui sa
démission est devenue la vôtre.
Or, bien que la situation soit de
notoriété publique et dure depuis fort longtemps, ni le préfet, ni la députée
de la circonscription ne s'en émeuvent. Ils ont laissé le rapport de force
s'installer, les habitants subir cette pression. Or, Monsieur le ministre, si
vous ne pouvez rien faire pour inciter la députée à prendre ses
responsabilités, vous avez une autorité hiérarchique sur le préfet. A tel point
qu'aujourd'hui sa démission est devenue la vôtre.
Or comme tous les habitants
peuvent le constater l'absence de réaction de l'Etat comme celle, fort tardive,
des élus, démontre, tous les vendredis, qu'à Clichy la force met en pièce le
droit pendant que ceux chargés de le faire respecter détournent les yeux. A se
demander à quoi servent les institutions si la virulence, la violence et le chantage
suffisent pour s'approprier, contrôler des portions de territoire et faire un
pied de nez aux autorités en investissant des lieux symboliques. Ici un
boulevard très passant non loin de la mairie, histoire d'être visible et de
démontrer qui a le pouvoir. Le vrai. Celui qui s'affranchit de toute obligation
autre que ses propres intérêts, celui qui exerce son bon vouloir sans frein ni
limite, en s'offrant en prime le luxe de se transformer en accusateur public et
de passer pour l'offensé. En ignorant ces provocations, Monsieur le Ministre de
l'intérieur, vous n'envoyez pas un message de retenu et de maîtrise mais de
lâcheté et d'abandon.
Il faut dire que cette affaire de
Clichy n'est pas qu'un épiphénomène local, elle nous parle de ce qui traverse
notre société jusqu'à la déchirure: ce conflit larvé entre logique tribale et
Etat de droit. Elle démontre par l'exemple l'impasse du clientélisme quand il
s'agit de faire émerger l'esprit citoyen et le danger qu'il représente pour
l'équilibre d'une société. Quand il se heurte à une communauté constituée, le
clientélisme la renforce dans sa logique de différenciation et de partition. Il
montre en acte que l'égalité et la justice n'est pas la mesure de l'action
publique quand elle sombre dans l'électoralisme. Il accompagne la fragilisation
de notre contrat social, car il prouve qu'il existe un chemin pour faire passer
ses dogmes religieux, traditions, règles et tabous au-dessus de la norme
républicaine. Ce chemin c'est celui de la force et de l'incivisme. Or c'est à ce
chemin de violence et de domination pure que vous êtes censée vous opposer en
tant que membre de l'exécutif, responsable de notre sécurité. En délégant à
l'Etat notre part de souveraineté, nous lui avons donné le droit d'exercer le
monopole de la violence légitime, cette violence dont seul l'Etat peut faire
usage dans le cadre du droit pour assurer la protection des habitants et la
pérennité des valeurs, principes et idéaux qui fondent notre nation. En ne le
faisant pas, vous dénouez petit à petit la promesse républicaine qui nous lie.
Si la force n'est plus à la loi, alors nous sommes tous à la merci les uns des
autres et nous ne sommes plus un peuple ni une nation.
La municipalité de Clichy: de
l'art de déplorer les effets dont on chérit les causes
Ainsi, cette dérive, qui a
commencé au niveau local, est bien relayée par votre incurie, celle du préfet
comme le manque d'esprit critique d'une certaine presse. En effet, alors
qu'hier, enfin, des élus décidaient de réagir, la plus grande partie de la
presse reprenait un titre qui donne une idée du degré de confusion mentale de
certains journalistes: «Clichy, la manifestation des élus perturbe la prière de
rue». Il semble à cette lecture que la prière de rue soit légitime et la
présence des élus, incongrue. De l'art d'inverser le sens d'un évènement…
Une confusion entretenue à
dessein: la prière de rue a déjà été utilisée comme mode de conquête
territoriale. Dans son livre, rue Jean-Pierre Timbaud, Géraldine Smith raconte
comment, alors que la mosquée était moitié vide, des prières étaient organisées
dans la rue pour marquer le territoire, montrer qui étaient les maîtres et
faire pression sur les élus, mais aussi les habitants qui comprennent vite qui
détient le pouvoir de leur nuire au quotidien.
En effet, quoi de mieux qu'une
promesse de mosquée, dont on confie la gestion à des associations dûment
identifiées pour qu'elles fassent voter leurs membres et affiliés.
Certes cela s'explique aussi par
un positionnement pour le moins malheureux du maire. Sous les mandats de Gilles
Catoire, le maire précédent, la ville avait déjà sombré dans le clientélisme.
Le problème de ce type de structuration politique est le même que quand on veut
mener une guerre en s'appuyant sur des mercenaires: le jour où le camp ennemi
paye mieux, vos troupes se débandent et vos alliés tournent les armes contre
vous. A trop investir sur les intérêts privés au détriment de l'intérêt
général, on perd toute légitimité et on est à la merci d'un retournement de
conjoncture. Et Gilles Catoire a péri de ce par quoi il avait longtemps assuré
sa survie.
La campagne électorale de Clichy
n'aura pas fait exception à ce qui se passe sur tous ces territoires gangrénés
par l'électoralisme où l'enjeu d'un supposé vote musulman suscite toutes les convoitises.
Vous avez été élu local, vous savez très bien de quoi je parle. En effet, quoi
de mieux qu'une promesse de mosquée, dont on confie la gestion à des
associations dûment identifiées pour qu'elles fassent voter leurs membres et
affiliés, le but du jeu étant de détourner une partie des votes de leur
allégeance précédente pour emporter la mise grâce à un classique renversement
d'alliance. Cette fois-ci c'est Rémi Muzeau, le candidat LR, qui a su être le
plus convaincant, s'engageant sur un bail emphytéotique (petite astuce
permettant de ne pas payer le terrain sur lequel la mosquée est construite),
tout comme son adversaire d'ailleurs.
En période d'attaques
terroristes et d'alerte vigipirate maximale, nous mobilisons nombre de
policiers pour protéger des prières de rue illégales, qui durent depuis
plusieurs mois…
Finalement, un lieu de prière a
bel et bien été construit, mais il ne permet pas de montrer ses muscles et sa
puissance: il n'est pas en centre-ville. Or les mouvements liés à l'Islam
politique sont très attachés à la visibilité et à la centralité, c'est parce
qu'elles maîtrisent parfaitement les codes symboliques du pouvoir.
Ce qui se joue à Clichy n'est
donc pas une lutte pour que les musulmans puissent pratiquer leur culte dans de
bonnes conditions, ce qui serait tout à fait entendable, mais un rapport de
force où il convient de montrer que la puissance de la foi et le refus d'obéir
à la loi font reculer toutes les autorités constituées. La chose est en passe
d'être démontré puisqu'en période d'attaques terroristes et d'alerte vigipirate
maximale, nous mobilisons nombre de policiers pour protéger des prières de rue
illégales, qui durent depuis plusieurs mois… Cela ne vous dérange vraiment pas?
C'est à cause de cela que les
militants de forces laïques et leur leader, Laurence Marchand-Taillade ont
manifesté le 3 novembre et que des élus se sont mobilisés le 10 autour de Rémi
Muzeau pour manifester contre ces démonstrations de force. Que Rémi Muzeau ait
largement alimenté le clientélisme qu'il se prend en boomerang est vrai. Pour
autant il est temps que la préfecture et le ministère de l'Intérieur arrêtent
de jouer avec le feu et rétablissent l'ordre à Clichy. En laissant depuis 8
mois un groupe constitué occuper l'espace public et faire étalage de sa force
et de son incivisme aux yeux de tous, c'est notre contrat social que l'on
affaiblit. Car si la force et l'incivisme gagnent à Clichy alors ce petit jeu
se mènera ailleurs. Et c'est bien maille à maille, par cette autre forme de
violence qu'est le refus de la civilité, que l'on détricote la démocratie. A
refuser d'ouvrir les yeux sur ses phénomènes, vous nous exposez tous.
Certes l'erreur est humaine et
nous vous pardonnerions bien volontiers d'avoir tardé à ouvrir les yeux si la
prise de conscience intervient maintenant. Mais c'est en désespoir de cause que
j'écris cela, car en la matière le nouveau pouvoir auquel vous appartenez
ressemble trait pour trait à cet ancien monde tant décrié dont vous étiez
également un représentant. Ceci étant dit, n'hésitez pas à me donner tort sur
cette question en faisant preuve de fermeté et de réactivité et je serai
heureuse de saluer votre action.
Céline Pina
À Clichy, les élus battent le pavé contre les prières de rue
(10.11.2017)
REPORTAGE - Chaque vendredi
depuis mars, des musulmans investissent la voie publique par centaines,
réclamant un nouveau lieu de culte.
La Marseillaise contre un prêche
en arabe. Le
face-à-face était tendu, ce vendredi à 13 heures, aux abords de l'hôtel de
ville de Clichy (Hauts-de-Seine). Boulevard Jean-Jaurès, derrière une banderole
«Stop aux prières de rue illégales», une soixantaine d'élus de la région
parisienne s'avance, écharpe tricolore en bandoulière, entourant le maire (LR)
Rémi Muzeau. Place du Marché, ce sont quelque 150 musulmans qui installent
tapis et enceintes sur le trottoir. Au milieu, une poignée de militants laïcs,
et des Clichois souvent en colère. «L'espace public ne peut pas être ainsi
accaparé!, s'exclame Valérie Pécresse, présidente du conseil régional
d'Île-de-France. Et ce n'est pas au maire de Clichy de régler cette situation
tout seul, c'est le rôle de l'État!»
Devant les élus, un jeune
Maghrébin hurle: «Les fachos dehors!». Un militant Front national réplique: «Le
seul fascisme qu'il y a en France, il est religieux, et c'est le vôtre!» Les
fidèles - qui peuvent être jusqu'à 600 selon les vendredis - sont beaucoup
moins nombreux que d'habitude. «On aimerait bien que ça s'arrête!, soupire le
patron de la pizzeria Le Sicilien, devant laquelle est garée une longue file de
camions des forces de l'ordre. Ils prient, c'est bien, mais faut pas que ça
gêne commerçants et riverains!»
«Des agitateurs incitent à des
prières de rue chaque vendredi sur le plus grand boulevard de la ville menant à
Paris»
Rémi Muzeau, maire de Clichy
Le bras de fer a commencé voilà
plus de huit mois. «Le 22 mars, on a été expulsé, par référé, de notre lieu de
culte en centre-ville, raconte Hamid Kazed, président de l'Union des
associations musulmanes de Clichy (UAMC). Et ça pour construire une médiathèque
provisoire dont on ne voit toujours rien! Non seulement le maire ne nous a
jamais reçus, mais il a fait installer une grande banderole «stop aux prières
de rue illégales» pour mieux diviser la population!» À la mairie, on s'insurge:
«Au contraire, il y a eu de multiples tentatives de médiation, qui n'ont jamais
abouti.» «Depuis juillet 2016, deux associations musulmanes occupaient en toute
illégalité des locaux appartenant à la Ville après la fin du bail précaire et
révocable qui leur avait été délivré par l'ancienne équipe municipale,
rappelle-t-on. Elles ont refusé de rejoindre le nouveau lieu de culte pour des
raisons encore floues et ont appelé à des prières de rue. Le maire leur avait
proposé l'installation d'une salle de prière complémentaire sur un terrain
municipal et la mise à disposition de salles à la Maison des associations pour
les activités d'éveil culturel. Ces deux propositions n'ont reçu aucune
réponse.» À noter que la médiathèque ouvrira «avant Noël», promet le maire.
Pourquoi l'UAMC récuse-t-elle le
nouveau lieu de prière, rue des Trois-Pavillons, à environ 15 minutes à pied du
centre-ville? «Trop petit, trop excentré, et indigne», juge Hamid Kazed. «Ah,
moi aussi j'aimerais mieux être au cœur de Paris!, sourit Mohamed Bechari,
président de ce nouveau centre cultuel et culturel, qui dirige aussi la Fédération
nationale des musulmans de France (FNMF). Mais je remercie le maire, qui a
facilité l'acheminement des fidèles en mettant en place une signalisation très
précise et un arrêt du bus (gratuit) juste en face! Ici, tous les musulmans
sont les bienvenus. Nous avons 2000 m² de locaux tout à fait dignes et, le
vendredi, comme nous sommes très nombreux, nous organisons deux prières, à 13
heures et à 14 heures. Mais je précise qu'on est ni Frères musulmans, ni
salafistes...»
«Le budget de l'Intérieur
doit-il être consacré à la protection de prières de rue illégales?»
Depuis mars, donc, «des
agitateurs incitent à des prières de rue chaque vendredi sur le plus grand
boulevard de la ville menant à Paris, déplore Rémi Muzeau. Ces fidèles, qui ne
sont pas tous Clichois, puisqu'on en voit beaucoup repartir en métro ensuite,
sont manipulés par des gens qui veulent bafouer la République et stigmatiser
notre ville». La semaine dernière déjà, le parti Forces laïques était venu
demander la fin de «ces manifestations organisées dans la plus grande
illégalité». «On peut y entendre en arabe des appels à la violence, qui ont été
relayés sur les réseaux sociaux, sans qu'aucune mesure de répression ne soit
prise à l'encontre des organisateurs, soutenus depuis le début par le CCIF,
s'indigne Laurence Marchand-Taillade, sa présidente. Et les forces de l'ordre,
missionnées par la Préfecture, sont là en nombre. Le budget de l'Intérieur
doit-il être consacré à la protection de prières de rue illégales?» Le 13
octobre dernier, des tracts d'un certain «Mrap» (Mouvement pour le respect et
l'adoration du Prophète) ont été récupérés après la prière sur les trottoirs,
rapporte le maire. On peut y lire notamment, sous le sous-titre «Mécréants»:
«vous les mettrez à mort ou vous leur ferez subir le supplice de la croix (...)
Vous les chasserez de leur pays».
Aucune loi n'interdit
spécifiquement les prières de rue. D'après la loi de 1905, les «cérémonies,
processions et autres manifestations extérieures d'un culte» sont autorisées à
condition de ne pas entraver le «passage des rues» ni de troubler la
tranquillité publique. «Rendez-vous compte qu'il y a peu, huit femmes de
chambre d'un hôtel ont manifesté contre leurs conditions de travail, et elles
ont écopé chacune d'une amende de 68 euros!, se récrie Rémi Muzeau. Pendant ce
temps, j'ai plusieurs fois interpellé l'État de manière officielle, face à ce
statu quo inacceptable pour la tranquillité des riverains, pour le respect de
la laïcité et pour l'État de droit. En vain.» La Place Beauvau n'a pas non plus
répondu aux sollicitations du Figaro.
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