jeudi 9 novembre 2017

Al Andalus, l'invention d'un mythe, de Serafin Fanjul: contes, légendes, clichés et réalité d'une civilisation (26.10.2017)


Dans l’Europe actuelle confrontée à une immigration musulmane continue, on aime bien se référer au modèle de cohabitation pacifique des trois cultures d’Al-Andalus.

L’histoire de l’Hispanie musulmane ou d’Al-Andalus est ainsi un enjeu archétypique. Au Moyen Âge, la Péninsule ibérique aurait connu une remarquable et inhabituelle cohabitation pacifique entre juifs, chrétiens et musulmans. Une admirable symbiose culturelle qui aurait duré vaille que vaille du VIIIe siècle jusqu’à l’expulsion des juifs en 1492, voire, jusqu’à l’expulsion des morisques en 1609.
Serafín Fanjul, affirme qu’il s’agissait, dans la réalité des FAITS, d’« un régime très semblable à l’apartheid sud-africain » et d’une époque globalement « terrifiante ». Soulignant que les motifs et les facteurs de luttes et d’affrontements entre l’Espagne musulmane et l’Espagne chrétienne ont été prédominants pendant toute la période concernée, il montre qu’Al-Andalus a été tout sauf un modèle de tolérance.

Il ne s’agit pas pour lui de nier qu’il y a eu des éléments de communication culturelle (surtout d’origine hellénistique) jusqu’au XIIe siècle. Mais il s’agit de montrer qu’il n’y a jamais eu un merveilleux système mixte sur lequel aurait reposé la cohabitation pacifique ; qu’il n’y a jamais eu un mode de vie partagé par tous, une même perception du monde valable pour tous.


Al Andalus, l'invention d'un mythe, de Serafin Fanjul: contes, légendes, clichés et réalité d'une civilisation (26.10.2017)



Mis à jour le 26/10/2017 à 10h35 | Publié le 26/10/2017 à 06h01

Dans son essai Al Andalus, l'invention d'un mythe, Serafin Fanjul déconstruit le mythe romantique d'un islam éclairé dans l'Espagne médiévale.




Nous avons tous entendu parler d'al-Andalus, mais qui sait précisément ce que recouvrent ces deux mots magiques? Un paradis perdu au cœur d'un Moyen Âge obscur où musulmans, juifs et chrétiens devisaient à l'ombre de la grande mosquée de Cordoue. Une sorte d'anti-Daech en somme… Mais les historiens sont méchants. Voilà que le rêve se dissipe et qu'une autre réalité apparaît. Avec Al Andalus, l'invention d'un mythe, Serafin Fanjul ne va pas se faire que des amis, en Espagne évidemment mais aussi en France. «Les hommes croient ce qu'ils désirent», disait Jules César. Le mythe d'al-Andalus est calqué sur le désir que naisse ou renaisse ce fameux «islam des Lumières» que tant d'esprits appellent de leurs vœux. N'a-t-il pas existé dans une Hispanie conquise au VIIIe siècle par quelques dizaines de milliers de guerriers arabes et berbères venus d'Afrique du Nord qui créèrent une civilisation inédite à laquelle coopérèrent les trois religions du Livre?

«Les femmes semblent exclusivement destinées à donner le sein aux enfants. Cet état de servitude a détruit en elles la faculté de parvenir à de grandes choses (…)»
Averroès, médecin et philosophe arabe d'origine espagnole

À travers 700 pages d'une terrible précision, Fanjul, docteur en philologie sémitique, professeur de littérature arabe et ancien directeur du Centre culturel hispanique du Caire, broie la légende d'un multiculturalisme précoce et éclairé. Il défait un mythe qui doit beaucoup au romantisme et à son exotisme de pacotille. Antifranquiste, Serafin Fanjul n'est pas précisément un militant de l'Espagne catholique. Armé d'une immense érudition, il s'est intéressé de près à ce que disent les chroniques de l'époque et les a confrontées aux clichés ambiants. Le résultat est à la fois comique et salutaire. Car on rit dans ce livre qui n'est pourtant pas facile à lire, surtout pour nous Français qui connaissons mal l'histoire de l'Espagne.  «La cohabitation de toutes les races et de toutes les religions avait créé une atmosphère morale pure et exquise (…) il s'agissait de la même civilisation que celle qui régnait dans la Bagdad des Mille et Une Nuits, mais dépourvue de tout ce que l'Orient a pour nous d'obscur et de monstrueux. L'air subtil et rafraîchissant de la Sierre Morena l'avait occidentalisée», écrit l'arabiste Garcia-Gomez en 1959.

Tueries et pogroms
- Crédits photo : serafin

À propos de cohabitation, Fanjul nous rappelle la longue et fastidieuse liste des tueries de chrétiens sans oublier les pogroms qui ont essaimé l'histoire d'al-Andalus entre la conquête arabe et sa reconquête par les rois catholiques qui se termine par la prise de Grenade en 1492. Il nous rappelle ce en quoi consistait le statut de dhimmi pour un non-musulman: par exemple, ne pas parler à voix haute à un musulman ou ne pas construire une maison plus haute que la sienne. Al-Andalus, paradis sensuel, comme se complut à l'imaginer Théophile Gautier?

Fanjul nous remémore qu'elles étaient les prescriptions d'un islam devenu très rigoriste sous l'influence des Almohades. Interdiction de tous les jeux, notamment les dames et les échecs, prohibition de la musique et relégation des femmes. Les islamistes n'ont rien inventé. Les femmes? Voilà ce qu'en dit Averroès qui fut d'ailleurs mis au ban: «Elles semblent exclusivement destinées à donner le sein aux enfants. Cet état de servitude a détruit en elles la faculté de parvenir à de grandes choses (…) leur vie passe comme celle des plantes, au service de leurs maris. C'est de là que vient la misère qui dévore nos villes, étant donné qu'elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes.» 

Al-Andalus, paradis de l'échange interreligieux? Il y eut, à certaines périodes et dans certains lieux, des échanges cordiaux mais ils ne furent pas la règle, plutôt l'exception. Ce dans un monde où les mariages mixtes étaient rares du fait de l'impureté présumée des autres communautés. «Les tentatives de rapprochement doctrinal pacifique sont anciennes chez les chrétiens tandis qu'elles brillent par leur absence chez les musulmans, mais cela ne signifie pas que les chrétiens aient été fondamentalement meilleurs.» Fanjul fait preuve dans ce livre d'un esprit voltairien, le sarcasme en moins. Il conclut: «Ce que l'islam a perdu n'est en rien un paradis originel (…) Que les musulmans réfléchissent donc et ne nous impliquent pas dans leurs frustrations et leurs échecs: ce sont les leurs avant toute chose.»

«Al Andalus l'inventiond'un mythe», de Serafin Fanjul, traduit de l'espagnol par Nicolas Klein, L'Artilleur, 708 p., 28 €.


Rémi Brague, historien de la philosophie et spécialiste de l'islam. - Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

Rémi Brague: «L'importance de l'héritage arabe en Espagne est exagérée»

L'historien de la philosophie et spécialiste de l'islam a lu l'essai de Serafin Fanjul.

LE FIGARO. - Dans son livre, Serafin Fanjul déconstruit ce qu'il appelle le «mythe d'al-Andalus». Sur quoi repose celui-ci?

Rémi BRAGUE. - D'abord, une précision sur le mot: al-Andalus n'est pas l'Andalousie actuelle, qui est une des provinces de l'Espagne, correspondant en gros à la vallée du Guadalquivir, à l'extrême sud de la Péninsule. Le mot arabe désigne tout ce qui, à partir de 711, y est passé sous domination islamique. Elle s'est étendue loin vers le nord, puisque seules y échappaient les Asturies, le Pays basque et navarrais, la Catalogne. Puis elle a reculé par à-coups, jusqu'à la fin du royaume de Grenade en 1492. Le mythe a plusieurs aspects. Pour simplifier, distinguons-en trois. Il y a d'abord l'idée d'un niveau de civilisation matérielle et de culture exceptionnel dans l'ensemble de la population; puis celle d'une coexistence harmonieuse entre juifs, chrétiens et musulmans dans un climat de tolérance, la «convivencia» tant chantée; enfin, la thèse d'Américo Castro selon laquelle les cultures juive et islamique auraient exercé une influence décisive et durable sur l'Espagne. Fanjul attaque ces trois dimensions du mythe, mais insiste surtout sur la dernière, sans pour autant imaginer une continuité parfaite entre toutes les étapes de l'histoire espagnole, et sans non plus ménager ses sarcasmes contre la légende franquiste d'une Espagne éternelle.

«La mythification du passé sert de compensation à des peuples dont la situation présente est peu brillante»
Rémi Brague

En quoi ce mythe est-il une «chimère» aux yeux de l'auteur?

Tout simplement en ce qu'il ne repose sur rien, ou presque: tout au plus des cas isolés, des exceptions censées représenter la règle. Quant au niveau culturel de l'Andalus, il signale de pures galéjades: treize mille mosquées à Cordoue! Quant à l'importance prétendue de l'héritage arabe, elle est exagérée: ainsi, les mots d'origine arabe représentent 0,50 % du vocabulaire espagnol, et aucun ne concerne la vie intellectuelle ou spirituelle. Les anachronismes abondent: on attribue aux Arabes le figuier dit de Barbarie, venu du Mexique, l'arc outrepassé, attesté au IIIe siècle romain, byzantin et wisigoth (269), le patio des maisons sévillanes, qui date de la Renaissance, ou la mantille, de la fin du XVIIIe siècle. Dans beaucoup de cas, on est en présence du phénomène répandu de l'«invention des traditions» chère à l'historien britannique Eric Hobsbawm: ce que l'on croit ancestral et «typique» ne remonte pas plus haut que le XIXe siècle.

Sur la convivencia, Fanjul dit l'essentiel: elle ressemblait plutôt à l'apartheid sud-africain; les communautés ne se mêlaient pas et se haïssaient souvent. Mais ce n'était pas son principal propos. Là-dessus, je renvoie au gros livre de Fernandez-Morera, The Myth of the Andalusian Paradise (2016).

Selon Fanjul, l'idéalisation d'al-Andalus est fondée sur un mélange d'ignorance et d'idéologie mi-victimaire, mi-exotique. Êtes-vous d'accord avec cette analyse?

L'ignorance des choses espagnoles est monumentale en France, où la proximité des langues nous donne l'illusion de la familiarité.

L'exotisme est double. Il est d'abord chronologique, c'est le rêve, partagé aussi par bien des Espagnols, d'une sorte de paradis perdu. Pour les autres Européens, un second exotisme, spatial, s'y superpose. Depuis longtemps, l'Espagne abrite plusieurs de nos fantasmes. Esthétiques, d'abord: castagnettes et toreros. Mais surtout moraux. Ce fut d'abord la «légende noire», répandue aux XVIe et XVIIe siècles par des plumitifs à la solde des dirigeants anglais, français et hollandais, légitimant le pillage des galions qui portaient en Espagne les métaux précieux de l'Amérique. Elle fut reprise au XVIIIe par des gens qui n'avaient jamais franchi les Pyrénées. Puis, au XIXe siècle, on eut l'image d'un peuple si pittoresque resté primitif et au sang chaud, celui d'Hernani et de Carmen. Fanjul cite des phrases à se tordre: Mérimée croyant arabes des monuments gothiques ou baroques; Gautier disant en 1840 que l'Espagne catholique n'existe plus.

Le ressort psychologique de la victimisation est puissant: la mythification du passé sert de compensation à des peuples dont la situation présente est peu brillante.

«Les intellectuels musulmans ont des opinions très ­variées, comme leurs équivalents d'autres religions. Certains font d'al-Andalus un slogan à multiples fonctions»
Rémi Brague

Quel statut a al-Andalus aux yeux des intellectuels musulmans? Celui d'un paradis perdu de l'islam, ou d'un projet d'avenir non seulement pour l'Espagne, mais aussi pour l'Europe?

La perte de territoires jadis dominés est pour beaucoup de musulmans l'objet d'une mémoire douloureuse, bien plus que ne l'est pour les chrétiens le passage à l'islam de régions qui avaient pourtant été le berceau du christianisme, comme la Turquie et le Proche-Orient. Les intellectuels musulmans ont des opinions très variées, comme leurs équivalents d'autres religions. Certains font d'al-Andalus un slogan à multiples fonctions. Après l'échec d'Alexandrie et de la Bosnie, il sert à présenter le visage d'un islam bigarré et tolérant. Chez certains exaltés, il alimente le rêve de la reconquête d'une terre autrefois soumise, d'une contre-reconquista, donc. Ce sont eux qui demandent qu'on leur «rende» la mosquée-cathédrale de Cordoue, d'ailleurs elle-même construite sur les ruines d'une église…

Serafin Fanjul est à la fois philologue et professeur de littérature arabe. Comment jugez-vous ce livre sur le plan de l'érudition? Vous a-t-il fait découvrir des éléments que vous ignoriez?

Fanjul a enseigné à la Complutense de Madrid, sans doute la meilleure université d'Espagne, la langue et la littérature arabes, dont il a traduit plusieurs chefs-d'œuvre. Or, curieusement, l'accent du livre porte moins sur les textes arabes que sur l'histoire de l'Espagne. Je ne suis nullement spécialiste de ces questions et ne me risquerai pas à juger. En tout cas, le livre m'a appris mille choses dont je n'avais pas la moindre idée, mille petits faits historiques ou détails de vie quotidienne: habillement, cuisine, architecture. Sans compter un réjouissant sottisier d'auteurs français, espagnols, italiens.

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Juifs, chrétiens et musulmans: l’Espagne médiévale ne fut pas l’éden multiculturel qu’on croit
Entretien avec l'historien espagnol Serafín Fanjul (2/2)
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Averroès faisant amende honorable devant la mosquée de Fès, vers 1195. AFP. COLL. PRIVÉE / LEEMAGE.

Professeur de littérature arabe et historien, Serafin Fanjul vient de publier une somme magistrale, Al-Andalus. L’invention d’un mythe (L’Artilleur, 2017). En développant une réflexion poussée sur l’identité nationale espagnole, il bat en brèche le mythe d’un paradis multiculturel mis en place par les huit siècles de domination musulmane. Loin d’une symbiose entre chrétiens, juifs et musulmans, Al-Andalus formait une société foncièrement inégalitaire, guerroyant contre les royaumes chrétiens du Nord, soumettant les minorités en son sein. Entretien (2/2)

Causeur. Dans votre essai Al-Andalus. L’invention d’un mythe (L’Artilleur, 2017), vous déconstruisez l’image idyllique de l’Espagne musulmane que certains intellectuels espagnols ont construite a posteriori. En comparant certaines périodes d’Al-Andalus à l’Afrique du Sud sous l’Apartheid, ne commettez-vous pas un anachronisme ?
Serafin Fanjul. Je n’établis pas un parallèle entre al-Andalus et l’apartheid sud-africain, je dis seulement qu’il y a une certaine similitude entre les deux. Et en vérité, cette similitude existe en raison de la séparation des communautés religieuses et raciales, des droits très supérieurs accordés aux musulmans et au-contraire des statuts inférieurs qu’avaient les membres des deux autres communautés. Il y avait aussi entre les musulmans des différences de degré de noblesse et de prééminence selon leur appartenance au groupe des berbères, des muladis (les chrétiens d’origine hispanique convertis à l’islam), des arabes « baladis » (les premiers à avoir pénétré dans la péninsule, en 711) et des arabes commandés par Baldj, arrivés en 740.
Dans al-Andalus, les personnes n’avaient de valeur et n’étaient des sujets de droit qu’en tant que membres d’une communauté et non pas en tant qu’individus. La pierre de touche était évidemment les mariages mixtes. Il était impossible pour une musulmane de se marier avec un chrétien ou un juif, et il était même difficile pour une femme « arabe  d’origine » de se marier avec un muladi (un chrétien converti à l’islam) en vertu du concept de Kafa’a (proportionnalité), et dans la mesure ou celle-ci était considérée comme ayant un sang de niveau supérieur. Quand la domination politique et militaire a été inversée et que les musulmans sont devenus minoritaires, la situation a été maintenue mais cette fois au détriment de ces derniers.
Les textes écrits dans al-Andalus abondent en allusions discriminatoires et insultantes contre les chrétiens et les juifs. Ces derniers se sont matérialisées, pour ne citer que quelques exemples,  par la persécution antichrétienne du IXe siècle à Cordoue, par le pogrom de 1066 à Grenade, par les déportations de juifs au Maroc au XIIe siècle, ou par les fuites massives de chrétiens et de juifs vers l’Espagne chrétienne dès le IXe siècle.
Vous décrivez un choc des civilisations et d’un état de guerre quasi-permanents entre chrétiens, juifs et musulmans…
La première fois que j’ai lu l’expression « choc des civilisations » ce n’est pas sous la plume d’Huntington, mais dans l’œuvre majeure de Fernand Braudel La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, dont la publication remonte à 1949. Je crois interpréter correctement Braudel en affirmant pour ma part, en accord avec lui, que la langue nous égare en suggérant derrière le syntagme « choc des civilisations » l’idée de grandes confrontations guerrières. Il ne s’agit pas du tout de cela, mais plutôt de confrontations quotidiennes à petite échelle, réitératives, dans la vie courante, entre des cosmogonies différentes, des notions de base, des conceptions du monde dissemblables, des morales civiques ou sexuelles, des concepts politiques élémentaires, mais qui sont déterminants dans la relation des êtres humains avec le pouvoir : la soumission totale ou l’exercice de droits et la conscience de posséder des droits. Et cela sans entrer dans des questions plus concrètes comme la position de la femme ou celle des minorités religieuses, qui heureusement ont été depuis longtemps dépassées en Europe, alors que dans les pays musulmans elles demeurent intactes ou suscitent des convulsions graves lorsqu’elles sont débattues.
Je n’ai jamais écrit qu’il y avait un état de guerre permanent dans la péninsule ibérique médiévale entre deux blocs antagoniques et irréductibles. Et cela parce que je sais parfaitement que cela n’a pas été le cas jusqu’à ce que la Reconquête se consolide comme grand projet national au XIIe et XIIIe siècles. Je sais aussi, bien sûr, qu’il y a encore eu par la suite des alliances croisées avec des royaumes de taïfas musulmans, des interventions de troupes chrétiennes (même franques) ou musulmanes contre des princes chrétiens comme cela avait été le cas depuis le IXe siècle.
Le monde d’Averroès et Maimonide était-il si apocalyptique ?
Je ne crois pas qu’il soit très heureux de citer Averroès et Maïmonide comme deux exemples de liberté de pensée et de confraternité des communautés dans al-Andalus. Averroès était un néoplatonicien qui a été persécuté en tant que libre penseur par les Almohades. Quant au juif Maïmonide, il a été obligé de s’islamiser. Exilé au Maroc avec sa famille, il est allé ensuite en Égypte où il est retourné au judaïsme. Découvert et dénoncé par un habitant d’al-Andalus, il a été accusé d’apostasie et n’a pu finalement sauver sa vie que grâce à l’intervention du cadi Ayyad. Maïmonide expose bien sa position et son état d’esprit à l’égard des chrétiens et des musulmans dans son  Épitre au Yémen.
Comment en arrivez-vous à justifier politiquement l’expulsion des juifs et des morisques (maures convertis au christianisme) de l’Espagne chrétienne ?
J’essaie seulement d’expliquer ces événements. Nous ne pouvons pas nous limiter à voir les événements du passé comme bons ou mauvais, alors qu’ils sont tout simplement irréversibles. La seule chose que nous puissions faire, c’est de nous en rapprocher le plus honnêtement possible pour essayer de les comprendre. Et dans le cas ou notre bonne foi et notre volonté régénératrice sont sincères, il nous faut essayer de ne pas les répéter.
C’est malheureusement toute l’Europe médiévale qui s’est appliquée à marginaliser et persécuter les juifs, avec de fréquents massacres et des mises à sac de quartiers juifs. Dans l’Espagne chrétienne, ce mouvement s’est produit plus tard. Si en 1212 les troupes castillanes d’Alphonse VIII ont protégé les juifs de Tolède contre les francs venus à cette occasion, en revanche, en 1348 et 1391, la situation était radicalement différente. Il y a eu alors une grande quantité de morts, d’exactions et de conversions forcées. Les juifs convertis au christianisme et ceux qui avaient maintenu leur foi, après les tentatives de conversion massive des années 1408-1415, ont cependant coexisté tout au long du XVe siècle. Au début, les Rois catholiques ont essayé de faire en sorte que les juifs et les mudéjares (musulmans) demeurent sur les lieux où ils vivaient et conservent leurs fonctions. Ils dépendaient directement du roi, payaient un impôt spécial de capitation et recevaient en échange une protection face a la société, mais toujours avec l’idée qu’à long terme on parviendrait à les convertir. Au XIIe et XIIIe siècles les communautés juives de l’Espagne chrétienne avaient augmenté considérablement alors que celles d’al-Andalus en étaient venues à disparaitre en raison de l’action des Almohades. A la même époque, la persécution des juifs redoublait en Europe. Cette attitude générale a fini par atteindre l’Espagne, stimulée par le fait que quelques juifs se livraient à l’usure et participaient au recouvrement des impôts, motifs qui irritaient les populations exploitées les plus pauvres et les incitaient à des réactions aussi brutales que totalement injustes. Jean Ier, en 1390, et Isabelle Ière, en 1477, avaient dû freiner les ardeurs belliqueuses des membres les plus exaltés du clergé.
Quelle était la situation des sujets juifs du royaume catholique de Castille ?
À  la veille de l’expulsion de 1492, il y avait  environ cent mille juifs dans la couronne de Castille et une vingtaine de mille en Aragon. Une minorité était riche, mais la majorité ne l’était pas (il s’agissait d’agriculteurs, d’éleveurs, d’horticulteurs, d’artisans du textile, du cuir et des métaux). La protection dans les terres des seigneurs de la noblesse était plus directe et plus efficace que celle du domaine royal. Les juifs y exerçaient des professions libérales comme la médecine en dépit des interdits. Parmi les juifs proches des Rois catholiques il y avait notamment Abraham Seneor, grand rabbin de Castille, Mayr Melamed, Isaac Abravanel, Abraham et Vidal Bienveniste. L’attitude des Rois catholiques n’était pas antijuive mais elle ne contribua pas non plus à éliminer l’hostilité populaire ni à contredire les arguments doctrinaux contre les juifs. Le plus grand connaisseur actuel de l’Espagne des Rois catholiques, Miguel Ángel Ladero Quesada, écarte les motifs économiques pour expliquer l’expulsion (qui était en fait plutôt préjudiciable pour les revenus de la Couronne). Il  l’attribue plutôt à la volonté de résoudre le problème des convertis judaïsant, problème qui avait déjà justifié l’établissement de la nouvelle inquisition en 1478. On croyait alors que les juifs, par leur seule présence et en raison des liens familiaux qui les unissaient avec de nombreux convertis, contribuaient à empêcher l’assimilation ou l’absorption. D’autre part, comme les juifs n’étaient pas chrétiens, ils ne pouvaient pas faire l’objet d’enquêtes de la part de l’Inquisition. Le climat d’euphorie de la chrétienté triomphante après la prise de Grenade en 1492, aida les inquisiteurs à convaincre les Rois catholiques de la nécessité de l’expulsion. D’autant qu’à cette époque de plein affermissement du pouvoir royal, une idée se répandait de plus en plus: celle selon laquelle seule l’homogénéité de la foi pouvait garantir la cohésion du corps social, indispensable au bon fonctionnement de la monarchie. Nous savons aujourd’hui que ces idées étaient injustes et erronées, mais elles avaient alors cours dans toute l’Europe. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler l’antisémitisme féroce de Luther, la persécution des huguenots, des protestants en Espagne, en Italie et en France, ou des catholiques dans les différents pays d’Europe du nord au cours des siècles suivants.
Quant aux musulmans, je crois savoir qu’ils n’ont pas été épargnés par l’Espagne catholique…
La politique de la Couronne envers les musulmans a été erratique et souvent contradictoire. Les mudéjares (musulmans sous la domination des chrétiens) avaient subsisté depuis le XIIIe siècle bien qu’en nombre décroissant. L’expulsion comme châtiment pour rébellion (1264) à Niebla et Murcie, l’exil volontaire pour ne pas être soumis au pouvoir chrétien et l’attraction qu’exerçait le royaume de Grenade, avaient finalement vidé l’Andalousie occidentale de ses musulmans. Après la prise de Grenade, les mudéjares ont été autorisés à émigrer ou à rester en conservant leur religion, mais en 1498 les pressions pour qu’ils se convertissent ont été tellement fortes qu’elles ont provoqué la rébellion des Alpujarras (1499-1502) avec pour conséquence le décret de baptême forcé ou l’expulsion. La fuite volontaire et clandestine de morisques s’est ensuite accrue en raison des fatwas et des exhortations des jurisconsultes musulmans (al-Wansharisi, ibn Yuma’a) qui condamnaient la permanence en territoire chrétien pour ne pas s’exposer au danger de perdre la foi et de finir christianisé. En 1526, une nouvelle rébellion de morisques (crypto-musulmans officiellement chrétiens) a éclaté dans la Sierra d’Espadan et l’explosion finale, le grand soulèvement de Grenade, Almeria et Malaga, s’est produit en 1568. Dès le début du XVIe siècle, il a été interdit aux morisques de quitter l’Espagne en raison des effets négatifs que cela pouvait avoir sur les caisses de la Couronne. Il leur a été également interdit de s’approcher des côtes à moins de dix kilomètres pour éviter leur fuite ou les empêcher de collaborer activement avec les pirates barbaresques et turcs qui dévastaient le littoral espagnol.
Et la population catholique, était-elle aussi hostile que la Couronne aux ex-musulmans devenus morisques ?
L’hostilité de la population chrétienne à l’égard des morisques n’a fait qu’augmenter au cours des événements. Elle a culminé avec la prise de conscience de leur refus de s’intégrer dans la société majoritaire. A nouveau, le peuple et le bas clergé ont exacerbé leur antipathie pour les morisques, ce qui en retour a renforcé la haine et le rejet par ces derniers de la majorité dominante, un cercle vicieux qui ne pouvait être rompu que par le maillon le plus faible, en dépit des opinions contraires des autorités politiques les plus hautes, de la noblesse de certaines régions (qui avait des travailleurs morisques comme en Aragon et à Valence), voire du roi lui-même. Entre 1609 et 1614, environ trois cent mille morisques qui ont quitté l’Espagne surtout en direction du nord de l’Afrique.

« La Catalogne a été économiquement favorisée par l’Etat espagnol »
Entretien avec l'historien espagnol Serafín Fanjul (1/2)
 - 12 novembre 2017
Manifestation en faveur de l'unité espagnole. Sipa. Numéro de reportage : AP22122660_000013.

Professeur de littérature arabe et historien, Serafin Fanjul vient de publier un essai magistral, Al-Andalus. L’invention d’un mythe (L’Artilleur, 2017). En développant une réflexion poussée sur l’identité nationale espagnole, il bat en brèche le mythe d’un paradis multiculturel mis en place par les huit siècles de domination musulmane. En écho à l’actualité, il réagit ici aux arguments économiques et identitaires des indépendantistes catalans, pour lesquels Madrid et Barcelone sont irréconciliables. Entretien (1/2).

Daoud Boughezala. Depuis bientôt un siècle, l’ombre d’une sécession basque et catalane plane au-dessus de l’Espagne. Ces tensions ne sont-elles pas consubstantielles à la nation espagnole moderne ?
Serafín Fanjul. Il n’y a pas de séparatisme « consubstantiel » à une nation. Le séparatisme est toujours le résultat, d’une part, de facteurs sociaux, politiques et économiques et, d’autre part, d’interprétations idéologiques qui le promeuvent à long terme avec plus ou moins de succès. Tous les États européens dont la composition est hétérogène connaissent ce problème.
Au XIXe siècle, ce sont les Basques et les Catalans qui ont été les plus fermes défenseurs de la devise « Dieu, la patrie  le et roi » (à laquelle ils ajoutaient les « Vieilles lois » c’est-à-dire les « Fueros », les fors français). Au cours des trois guerres carlistes, ils ont lutté en faveur du prétendant traditionaliste, don Carlos, et de ses successeurs, en revendiquant les Fueros que les libéraux de la nation avaient éliminés pour que l’ensemble de la population de l’Espagne ait les mêmes droits et devoirs, suivant en cela le modèle français qui représentait alors la modernité. À la fin du XIXe siècle, le fondateur du nationalisme basque, Sabino Arana, a défendu un ethnocentrisme basque. Il a crée un corpus idéologique et une armature politique sur lesquels se sont construits et développés au XXe siècle le Parti nationaliste basque et tout un mouvement indépendantiste. À l’origine, les composants idéologiques du nationalisme basque étaient ultra-catholiques, réactionnaires dans le domaine économique et expressément  hostiles (pour ne pas dire méprisants et insultants) envers les « métèques », les émigrants des autres régions d’Espagne qui venaient travailler au Pays basque en raison d’une industrialisation rapide, surtout dans la province de Bizcaye.
Aujourd’hui, le régime économique spécial du Pays basque est de nos jours la source de graves tensions avec Bruxelles en raison de la « discrimination positive » qu’il établit en matière d’impôts, d’aide aux investissements, de franchises, etc.
Quid de la Catalogne ? Depuis quelques années, la région autonome semble se détacher irrémédiablement du royaume d’Espagne…
Rappelons que lors du référendum pour l’approbation de la Constitution espagnole, en 1978, le pourcentage des votes favorables en Catalogne était supérieur à celui de Madrid. Le Premier ministre Adolfo Suárez, a offert en 1978 au mouvement Convergencia y Unio, parti nationaliste catalan alors majoritaire, la possibilité d’adopter le même système que le pays basque. Mais les catalans l’ont longtemps refusé car ils jugeaient qu’il n’était pas suffisamment avantageux pour eux. Ce n’est qu’à la fin des années 2000, sous Zapatero, qu’ils ont commencé à le réclamer, alors que les conditions générales avaient changé et qu’il était devenu très difficile d’imposer aux régions les plus pauvres une nouvelle norme discriminatoire.
Le nationalisme catalan ne s’est-il donc pas toujours construit contre Madrid ?
Le mouvement politique catalaniste est né à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, avec des cadres tels que Prat de la Riba, Cambó et Maciá. Il n’était pas à l’origine indépendantiste mais autonomiste. Très présent dans le milieu de la bourgeoisie catalane, il était rejeté par la gauche (socialiste et anarchiste) qui  n’y voyait qu’une création du patronat et des propriétaires. Le catalanisme politique s’est affirmé juste après que l’Espagne a perdu Cuba (1898), lorsque les commerçants catalans ont été privés de leurs monopoles et privilèges économiques sur l’île, lesquels étaient à l’origine du malaise d’une partie de la population cubaine et ce qui d’ailleurs poussait cette dernière à réclamer l’indépendance. Un détail est révélateur de l’état d’esprit de l’époque : la nuit où le président américain McKinley a déclaré la guerre à l’Espagne, le Grand théâtre du Lycée de Barcelone a interrompu sa séance et la foule a écouté et applaudi, pendant deux heures, les discours et les proclamations enflammées en faveur de l’Espagne et contre les Yankees agresseurs.
D’ailleurs, durant un siècle et demi, la Catalogne a bénéficié d’un traitement économique spécial qui protégeait les produits catalans à l’intérieur du marché espagnol par des droits de douane élevés semblables à ceux en vigueur pour l’Angleterre et la France (surtout dans le cas des textiles). Ce traitement de faveur a canalisé les investissements de l’État espagnol majoritairement vers la Catalogne en provoquant la décapitalisation d’autres régions comme la Galice, l’Andalousie et l’Estrémadure.  En réalité, même sous le franquisme, 70% des investissements de l’Institut national de l’industrie sont allés en Catalogne !
Dans ce cas, pourquoi l’Espagne peine-t-elle tant à rassembler son peuple sous la bannière d’un grand récit national ?
Depuis la Constitution de 1978, il n’y a plus de grand « récit » ou de « roman national », mais plutôt des versions distinctes d’événements semblables, notamment dans les livres d’histoire et de géographie  de chaque communauté autonome.
Au XIXe siècle, tous les pays d’Europe qui ont identifié l’État et la nation ont développé des facteurs qui pouvaient favoriser l’unité et la cohésion en se référant à des éléments historiques communs, des coutumes, des droits consensuels, des langues et des intérêts économiques et spirituels. Ils l’ont fait tantôt à partir de modèles centralisés (France), tantôt à partir d’agrégations ou d’unifications (Italie, Allemagne). Dans certains cas, cela n’a pas été sans conséquences négatives pour les langues locales les moins répandues ou sans projections extérieures. L’Espagne ne s’est pas distinguée dans cet effort, bien que le poids économique du castillan ait porté préjudice à la langue basque, mais sans qu’il y ait eu pour autant de directives politiques édictées contre elle.
Cela n’a pas été le cas pour le catalan.  Quant au galicien, bien qu’alors majoritairement utilisé par la population, il s’est vu reléguer à un plan  secondaire en raison du prestige social attaché au castillan.
Comment le castillan, communément appelé espagnol, cohabite-t-il avec les langues régionales à l’école ?
Cela varie suivant les régions. Dans les écoles Catalogne, il est quasiment impossible de retrouver l’espagnol, une langue qui compte pourtant 550 millions de locuteurs à travers le monde… Au Pays basque, le castillan coexiste avec le basque. En Galice, dans la communauté valencienne et aux Baléares, il a de sérieuses difficultés. Je me demande d’ailleurs si on pourrait, de la même façon, écarter l’italien en Sicile, l’allemand en Bavière, le français en Corse ou l’anglais en Irlande du nord ! A Madrid, il n’y a pas le moindre ressentiment contre les catalans en tant que groupe humain parce que nous savons parfaitement tout ce que nous avons en commun.
Avec un tel niveau de défiance, craignez-vous une explosion de l’Espagne ?
Je ne crois pas. Il existe bien quelques autres exemples de nationalismes dans d’autre régions d’Espagne, notamment le nationalisme galicien, mais à court et à moyen terme ils ont bien peu de chance de s’affirmer comme des forces hégémoniques.
Au fond, à quand remonte l’idée d’une identité nationale et d’une conscience de soi espagnoles que le franquisme a ensuite essentialisée ?
Jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles, il n’y a pas eu à proprement parler d’Espagnols, même au sens le plus large, bien que l’on puisse alléguer l’existence de textes antérieurs qui parlent de « toute l’Espagne ». En fait, le mot même « espagnol » est une création française qui reflète la manière dont, depuis la France, on percevait des traits communs aux gens de l’autre côté des Pyrénées.
Depuis l’arrivée des Romains (218 av. J.-C.) jusqu’à celle des musulmans en 711, il y a presque neuf siècles de romanisation (les wisigoths sont demeurés pour l’essentiel dans l’espace culturel latino-chrétien), mais il m’a toujours semblé abusif de considérer « espagnols », à partir de la seule géographie, les romains nés en Hispanie, comme les Goths du royaume de Tolède ou les musulmans d’al-Andalus qui, dans leur majorité ignoraient l’idée selon laquelle il y aurait plus tard, « sur la même terre », un pays appelé Espagne, avec une langue, une culture, des institutions politiques, juridiques et religieuses complètement différentes, sinon antagoniques.
L’idée essentialiste de l’Espagne, comme continuum historique, provient du XIXe siècle et il faut en chercher l’origine chez des penseurs et des historiens conservateurs et nationalistes bien antérieurs à Franco (par exemple Javier Simonet, Menéndez Pelayo, Vázquez de Mella, Ramiro de Maeztu ou Menéndez Pidal). Le principal représentant de l’idéologie essentialiste est l’historien Claudio Sánchez Albornoz, qui a été Président de la République en exil jusqu’à la mort de Franco, ce qui semble indiquer qu’il ne devait pas être très franquiste. Son œuvre est par ailleurs très vaste et techniquement digne de respect bien que je sois en désaccord avec son fil conducteur qu’il prolonge jusqu’à la nuit des temps. Mes désaccords avec Albornoz touchent un point crucial : sa vision idéaliste de l’Histoire le conduisait à considérer « espagnols » les musulmans habitants de l’ensemble qu’on appelle Al-Andalus.
à suivre…

Georges Bensoussan a dérangé les idéologues de "la mythologie al-Andalous" qui postulent que l’islam est une religion tolérante à l’égard des autres monothéismes (13 novembre 2017)
Dans "Autopsie d'un déni d'antisémitisme", Barbara Lefebvure revient sur le procès de Georges Bensoussan, symptôme inquiétant d'un grand malaise dans notre société dès qu'il s'agit d'Islam.
Nouvel antisémitisme
Publié le 13 Novembre 2017
Atlantico : Dans quel but avez-vous écrit ce livre ?
Barbara Lefebvre : En mars dernier, après le rendu du jugement prononçant la relaxe de Georges Bensoussan dans le procès qui lui avait été intenté à l’initiative du Collectif contre l’islamophobie en France, il nous a paru nécessaire d’éclairer l’opinion sur ce qui s’était joué au cours des mois écoulés dans cette affaire. Ce livre revient sur ce qui s’est passé dès le lendemain de l’émission radiophonique de France Culture Répliques en octobre 2015 où Georges Bensoussan a prononcé les mots qui lui ont valu de comparaître quatorze mois plus tard pour "délit de provocation à la discrimination, la haine, la violence à l égard d’un groupe de personnes en raison de l’appartenance à une religion déterminée", en l’occurrence l’islam.
Quatorze mois de calomnie, de mensonges. Georges Bensoussan a subi des attaques personnelles, des intimidations jusque dans son cadre professionnel, lui dont l’honnêteté et la rigueur des travaux historiques n’ont jamais été mis en cause, ce dont Pierre Nora ou Elisabeth de Fontenay ont témoigné au procès. Ce fut une année pénible pour cet homme dont nous connaissons la probité et l’attachement aux valeurs humanistes. Se faire traiter de raciste et être traîné devant les tribunaux de son pays ont été un déchirement pour nous qui le connaissions, pour lui surtout. 
Tant que le procès n’avait pas eu lieu, que les juges ne s’étaient pas prononcés, nous avions soutenu Georges Bensoussan de façon amicale et discrète notamment en créant une page Facebook de soutien. Nous ne voulions pas entrer dans les polémiques créés par des gens qui cherchaient d’abord à nuire à l’historien, auteur d’ouvrages qui mettent à mal certaines idées toutes faites. Une fois la relaxe prononcée, nous avons voulu rassembler des textes analysant le pourquoi et le comment de ce procès inique. Ce devait être une courte brochure, finalement c’est un livre de deux-cents pages. L’ouvrage n’est pas un outil de défense de Georges Bensoussan, son avocat est là pour cela et il saura trouver les mots avec autant de brio et de pertinence que le 25 janvier 2017 pour l’appel en mars prochain – puisque le CCIF bien que déclaré par la Cour irrecevable dans leur constitution de partie civile a fait appel.
Ce livre est d’abord un décryptage des mécanismes du déni du réel sur l’antisémitisme dans le monde musulman. Le livre montre bien que c’est d’abord une partie de l’œuvre de Georges Bensoussan qui nourrit la haine de certains idéologues. Il les a rendus fous de rage car il fait partie de ces rares chercheurs qui décrivent les ressorts historiques et culturels de l’antisémitisme arabo-musulman. Il en avait souligné la banalisation et la violence dans l’ouvrage collectif paru en 2002 les Territoires perdus de la République. Ce livre, beaucoup de gens en parlent sans l’avoir lu. Beaucoup de gens ont aussi décidé depuis sa parution de faire taire ceux qui tentent de faire émerger cette vérité. Son ouvrage Juifs en pays arabes. Le grand déracinement paru en 2012 est une somme historique contestée par aucun historien, mais qui a déchaîné les idéologues qui veulent diffuser ce que j’appellerai globalement "la mythologie al-Andalous" qui postule que l’islam est une religion tolérante l’égard des autres monothéismes. Or la situation des Chrétiens et des Juifs dans le monde musulman c’est une condition de soumission, de sujets, de dominés, depuis les conquêtes et le pacte d’Omar au VIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, enfin là où il en reste (pour les Juifs, moins de 4000 personnes pour l’essentiel au Maroc et en Tunisie contre 900 000 en 1948…). Ces idéologues veulent faire accroire que la rupture dans cette lune de miel judéo-arabe est née avec le sionisme et la création d’Israël. Or nombre d’historiens montrent qu’il n’en est rien, que la judéophobie est constitutive de la doctrine islamique et qu’elle a été entretenu au fil des siècles pour devenir une banalité culturelle. Dire cela c’est être raciste dans la France de 2017 !

Comment décririez-vous ce déni du réel ?
Ce déni du réel s’accompagne non seulement de l’affirmation de contre-vérités mais aussi d’un dévoiement de l’antiracisme pour faire taire ceux qui disent le réel de cet antisémitisme là. Quand il s’agit de dénoncer voire trainer en justice les antisémites délirants de Rivarol ou Dieudonné, les choses semblent aller de soi. Quand il s’agit de dénoncer celui du PIR (nb : Parti des Indigènes de la République) ou de Medhi Meklat, les regards gênés se détournent et on abandonne celui qui s’en émeut publiquement à la meute qui l’accuse d’islamophobie.
On peut alors vous traîner devant les tribunaux pour l’usage d’un article indéfini qui signe votre arrêt de mort intellectuelle : les au lieu de certains, cela montre que vous essentialisez donc que vous êtes racistes. Quand Houria Bouteldja du PIR, le CCIF et bien d’autres de leurs alliés idéologiques obsédés par le post-national, disent "les blancs", "les juifs", "les Français", "les souchiens", ce n’est pas de l’essentialisation racistes puisque c’est de l’antiracisme. Ils ne parlent pas à une clientèle, ils parlent au nom de tous, ils essentialisent en permanence : "les musulmans", "les noirs", "les racisés", "les femmes racisées", mais ce n’est pas du racisme, c’est du progressisme ou du féminisme !     
Nous avons donc voulu raconter dans le détail qui fut à la manœuvre dans cette procédure, sous quelles motivations. Montrer comment derrière l’historien c’est aussi le coordinateur de deux ouvrages basés sur des témoignages de terrain, Les territoires perdus de la République et Une France soumise, qu’on voulait atteindre. Montrer comment les associations antiracistes se sont embarquées dans cette galère. Logiquement pour la LDH et le MRAP qui sont des alliés objectifs du CCIF. Moins logiquement pour SOS Racisme ou la LICRA qui ne sont pas connus pour leur alliance avec l’islamo-gauchisme ou l’islamisme tout court. La LICRA en particulier y aura laissé des plumes, des dissensions internes à cause de l’affaire Bensoussan la fracturent désormais en profondeur. Nous avons voulu expliquer précisément pourquoi une personnalité comme Mohamed Sifaoui a pu se retrouver assis à côtés de ceux qu’il présente comme ses ennemis, à savoir le CCIF pour attaquer Georges Bensoussan avec autant de virulence. A chaque fois, ce qui était en jeu c’était nier la réalité d’un antisémitisme d’origine arabo-musulmane culturellement enraciné, violent et mortifère. Sifaoui essaie de faire croire que cet antisémitisme est une invention des islamistes, c’est un non sens historique, mais cela a un sens pour le politiquement correct actuel qui veut croire à la possibilité d’un "vivre ensemble" construit sur l’aveuglement collectif. Nous voulions aussi montrer que ce déni a des conséquences tragiques qui ne concernent pas que les Français juifs. Ce déni du réel qui prend parfois la forme d’une novlangue multiculturaliste politiquement correcte est un danger mortel pour l’identité démocratique de la France.  

Vous semblez remettre en cause l'Etat et le système judiciaire à travers cet ouvrage. Que leur reprochez-vous ?
Nous ne remettons pas du tout en cause l’Etat, pas plus que le système judiciaire.
Nous sommes dans un Etat de droit et la justice est souveraine. D’ailleurs, ce procès aurait pu ne pas se tenir car une erreur de procédure permettait à Georges Bensoussan de s’y soustraire comme cela lui a été proposé en ouverture du procès par la Cour. Il a refusé de bénéficier de cette erreur matérielle. Il n’avait pas supporté ces mois de calomnie pour renoncer à démontrer sa bonne foi. 
Nous avons simplement été stupéfaits que le Parquet décide de poursuivre après la plainte du CCIF déposée plusieurs mois après les faits, et ce malgré les auditions de Georges Bensoussan devant la police à deux reprises qui avait explicité ses propos au regard du contexte de l’émission où ils avaient été prononcés. Impossible de savoir s’il y a eu là un ordre venu du politique auprès du Procureur de la République. C’est indémontrable. Le fait est que le Parquet a validé la plainte. Dès lors la machine judiciaire était lancée.
La justice a fait son travail avec conscience, elle a consacré beaucoup de temps à auditionner tous les témoins ce 25 janvier 2017. L’audience a duré près de douze heures ! La relaxe a été motivée de façon rigoureuse. Nous publions, dans le livre, le jugement. Tout le monde se fera son opinion, c’est cela un Etat de droit. Nous n’avons donc rien à redire de la justice comme institution. Mais, en sortant à 1 heure du matin de cette interminable audience, nous étions entre l’envie de rire et de pleurer : comment peut-on encombrer la justice française de telles procédures. 
Douze heures et des centaines d’heures de travail pour des juges, des greffiers etc. pour une expression sur la dimension culturelle de la judéophobie arabo-musulmane ("l’antisémitisme tété au lait de la mère") et une assertion sur les ratés de l’intégration ("un autre peuple qui se constitue au sein de la société française"). Le président Hollande disait à peu de choses près la même chose à Davet et Lhomme, je cite : "comment peut-on éviter la partition? Car c'est quand même ça qui est en train de se produire: la partition», après avoir dit "qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute" ou encore que le voile islamique est "un asservissement"… 
Sans parler de propos du même acabit de personnalités de premier plan qui ont été cités lors du procès, dont Sifaoui qui témoignait contre Bensoussan, ce qui n’a pas été sans suscité l’hilarité, c’était l’arroseur arrosé en quelque sorte. La présidente lui a ainsi demandé quelle différence existait entre les propos de Bensoussan et lui qui avait parlé il y a quelques années de sociétés arabes "nourries à la mamelle de la haine antisémite"… Idem pour la sociologue Nacira Guénif témoin pour le CCIF et proche du PIR qui a convenu sans difficulté devant les juges que yahoud (juif en arabe) était une insulte en soi dans le monde arabe. Mais, elle a expliqué que c’était une expression qui n’avait pas un sens antisémite puisqu’elle est "d’usage courant, donc elle doit être contextualisée". La salle a frémi, certains ont ri tant l’argument était ridicule et contre-productif pour les parties civiles qu’elle représentait. La présidente n’a d’ailleurs pas manqué de le lui faire remarquer. Dans ses écrits et son action militante, madame Guenif n’a pas ce genre de tolérance contextuelle quand il s’agit de condamner le racisme anti-arabe ou anti-noir. Deux poids, deux mesures.
Mais vous dénoncez la judiciarisation du débat d’idées dont ce procès est selon un énième exemple…
Ce n’est l’Etat de droit que nous accusons, c’est plutôt l’état de notre droit. Comment notre arsenal juridique démocratique, pluraliste, humaniste peut-il être ainsi dévoyé par les adversaires même de la loi républicaine ? Comment le Parquet n’a-t-il pas vu dans cette affaire que l’accusation ne reposait sur rien, que la justice était victime d’une énième instrumentalisation de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse par les ennemis de la liberté d’expression ? Cette instrumentalisation dure depuis longtemps, mais cela s’accentue depuis une dizaine d’années.
La concurrence mémorielle est en fait une course à la victimisation qui conduit des groupes identitaires à lancer des procédures couteuses. Il serait d’ailleurs intéressant un jour de comprendre où elles trouvent l’argent pour financer ces campagnes d’intimidation judiciaire dans toutes les démocraties. 
Il suffisait de réécouter l’émission pour comprendre le contexte dans lequel les propos de Georges Bensoussan s’inscrivaient. La Cour l’a fait. Pour nous qui avons assisté au procès, même si nous regrettions d’être là, nous avons vu la justice travailler et bien travailler. Les auditions allaient au fond des choses. La présidente du tribunal était une juge absolument rigoureuse : les faits rien que les faits. Ce qui a été dit en octobre 2015 était-il raciste ? Elle a scrupuleusement décortiqué l’émission, a remis en ordre l’analyse de Bensoussan qui avait été déformée par l’extraction de deux phrases prononcées sur une heure d’intense débat entre Patrick Weil et Georges Bensoussan sous l’arbitrage d’Alain Finkielkraut. 
La justice a fait son travail. Et elle a relaxé Georges Bensoussan. Comme Bruckner quelques mois auparavant. La jeune Procureur quant à elle, à cours d’arguments juridiques, a inventé un nouveau délit espérant que cela suffirait à faire condamner l’historien : la "provocation dans le champ lexical" ! Les juristes apprécieront. On est bien dans la judiciarisation du débat d’idées.
Cette instrumentalisation du droit par des associations comme le CCIF qui ont pour objet la contestation de nos lois, était évidente. La présidente du tribunal semblait ainsi assez exaspérée par la représentante du CCIF, l’avocate voilée Lila Charef qui en est devenue la présidente depuis, qui n’hésitait pas devant la Cour à dénoncer les lois stigmatisantes antimusulmanes de la République ! Elle a été plusieurs fois recadrée par la Cour qui lui demandait de rester dans le sujet. C’est cela que nous dénonçons : l’instrumentalisation de la justice par des groupes identitaires, communautaires, qui utilisent nos prétoires comme une tribune médiatique et idéologique. Une cour de justice n’a pas ce rôle. 
Ils savent le plus souvent qu’ils vont être déboutés, ou même que la plainte qu’ils initient n’ira pas à son terme mais peu leur importe : ils calomnient, ils attirent l’attention des médias sur eux, ils font croire à leurs clientèles qu’ils s’activent pour "la cause". C’est ainsi que ces associations communautaristes qui ne concernaient dans les années 1990 que quelques dizaines de membres se sont affirmées et se sont imposées auprès des médias, des pouvoirs publics. 
Cette question de la judiciarisation du débat d’idées, de l’intimidation judiciaire pour limiter la liberté d’expression est l’objet de notre association créée aux lendemains du procès.
Ce sera d’ailleurs l’objet d’une soirée-débat parisienne que nous organisons le 20 novembre. 
Quelles sont les contradictions du nouvel antiracisme ?
Ce procès a été l’occasion en effet de voir l’état de l’antiracisme en France. Ce n’est pas glorieux. Mais il en va ainsi de toutes les belles idées lorsqu’elles passent à la moulinette de la bien-pensance qu’induit leur institutionnalisation. Le "devoir de mémoire" en fait aussi les frais, la cause féministe aussi… L’antiracisme professionnel a deux visages désormais. D’une part, l’antiracisme institutionnel qui s’apparente à une guimauve politiquement correcte qui perd lentement mais sûrement toute légitimité par un équilibrisme intellectuel et politique au nom du "pasdamalgame". Ces associations sont des partenaires des pouvoirs publics pour faire croire au rêve du "vivre ensemble", concept qui n’a ni réalité sociologique ni sens philosophique. La plupart des Français le ressentent, le disent, alors on les traite de pessimistes, de vieux grognons, voire de xénophobes ou de racistes. Cette soupe tiède antiraciste n’a plus guère d’audience, sauf chez les élites urbaines des centres-villes qui ne sont pas concernés au quotidien par le racisme, ni le sexisme ou l’antisémitisme tel qu’ils se déploient aujourd’hui dans notre pays et presque partout en Europe comme des enquêtes transnationales le montrent. Et d’autre part, il y a l’antiracisme identitaire indigéniste. Celui-là ce n’est pas vraiment la soupe tiède de SOS ou la LICRA, c’est au contraire un radicalisme. Il fonctionne sur la dénonciation du racisme incarné par l’Homme blanc hétérosexuel bourgeois. Il assume son racialisme comme le montre l’ouvrage d’Houria Bouteldja Les Blancs, les Juifs et nous. Un grand nombre de personnes qui soutiennent cette pensée dite postcoloniale ne regarde le monde qu’avec les lunettes binaires "colonisateurs = blancs racistes / colonisés = arabes et noirs antiracistes". Ce postulat non seulement simpliste mais faux est à la base de la pensée indigéniste qui est fondamentalement ségrégationniste donc raciste. 

Qui est ce "nous" dont parle les Indigènes de la République ? En quoi est-ce raciste selon vous ?
Ce nous des "racisés", comme ils se dénomment, fonctionne sur le mode d’une double exclusion contraire aux principes même d’une démocratie qui affirme l’égalité des droits. Nous les descendants de colonisés sommes des exclus car nous avons désespérément essayé de nous conformer aux dominants blancs mais restons des victimes perpétuelles du système colonial incarné par la République et ses lois racistes. Cela est dit textuellement dans la plupart des textes de ces courants indigénistes. Logiquement, ils en déduisent : puisque nous sommes vos éternelles victimes, désormais nous affirmons notre refus de vous ressembler, nous assumons notre racisme anti-blanc et excluons de vivre avec les Blancs et les Juifs qui sont l’incarnation de ce racisme.
Cela commence par des rassemblements interdits aux "non racisés", comme il y en a régulièrement dans ces mouvements. 
Si cela ne s’appelle pas la sécession ou l’appel à la partition, qu’est-ce que c’est ? Si cela ne s’appelle du racisme, qu’est-ce que c’est ? Cet antiracisme raciste postcolonial qui est très puissant en Amérique du nord depuis au moins deux décennies, n’a qu’une vision racialisée des rapports sociaux. C’est lié originellement à la société américaine et au combat des afro-américains qui se sont radicalisés au fil des années. On a plaqué cela en France depuis vingt ans en prenant l’histoire coloniale comme alibi. Les indigénistes réinventent le système colonial sur le territoire national pour justifier leur violence politique et leur refus de faire nation avec leurs concitoyens français. Parce qu’ils ont d’abord et avant tout la haine de la France. Il faut déconstruire son histoire nationale, la détruire comme le dit ouvertement Bouteldja. 
L’antisémitisme est en outre constitutif de la vision du monde de ces antiracistes. C’est même une obsession pour eux. Pierre-André Taguieff l’avait déjà très bien analysé en 2002 en décrivant "cet antiracisme antijuif" qu’il décrivait comme un monstre idéologique. La sémantique antisioniste ne dissimule même plus la violence brute de cette judéophobie. D’ailleurs au cours du procès il a été montré à quel point cet antisémitisme puisait ses racines dans une histoire longue qui n’avait rien à voir avec le conflit israélo-palestinien. La création de l’Etat d’Israël n’a fait que raviver et accentuer le délire antijuif arabo-musulman préexistant. La question religieuse est absolument centrale sur ce sujet, la question géopolitique est mineure. Mais on se fait plaisir en Europe en croyant que cela n’a rien à voir avec la religion. C’est moins anxiogène de croire que la diplomatie y peut quelque chose. Le prétexte antisioniste recycle les préjugés antijuifs largement répandus dans le monde musulman depuis les origines de l’islam. Il a été revivifié depuis les années 1920-30 par la confrérie des Frères Musulmans dont un des membres le Grand Mufti de Jérusalem fut un allié officiel d’Hitler, puis par les écrits de Sayid Qutb dans les années 1950 qui constituent la base idéologique de cet antisémitisme arabe contemporain empruntant tant à la théologie islamique qu’à l’antisémitisme racial contemporain.

Mais ces mouvements indigénistes comme vous les nommez défendent souvent le modèle multiculturaliste ? En quoi cela ferait-il d’eux des racistes ?
Ces mouvements identitaires indigénistes détournent la réalité multiculturelle de nos sociétés démocratiques pluralistes pour la transformer en une idéologie multiculturaliste qui induit non seulement la ségrégation volontaire ("on ne veut pas être avec vous, les racistes") et surtout un refus de la loi commune : "Vos lois nous ne les reconnaissons pas, nous voulons des aménagements de ce droit à nos différences ethnoculturelles, sinon vous êtes racistes". Cela paraît un chantage mais les procès que ces groupes intentent et qui se multiplient montrent qu’il y a vraiment un projet politique derrière cette logorrhée grossière.
Ce projet politique est radical est contraire à notre vision démocratique libérale. Avec eux, on ne forme plus une nation de citoyens rassemblés au-delà de nos identités particulières, on est d’abord dans un devoir de loyauté indéfectible à l’égard de ceux qu’on considère comme nos semblables, qui ont la même couleur de peau que nous, la même religion, la même idéologie. Tous les autres sont récusés, exclus de ce "nous" que prétendent incarner les indigénistes, les islamistes et leurs alliés à l’extrême gauche. 
Cette vision qui ose se nommer "antiraciste", c’est le strict contraire du modèle démocratique occidental tel qu’il s’est forgé progressivement, avec des aléas, depuis plus de deux  siècles. Que ces groupes ne se reconnaissent pas dans ce modèle ne les obligent pas à croire qu’ils peuvent ou doivent le détruire ! A moins qu’ils ne portent un projet révolutionnaire de nature totalitaire ? Nous, nous avons une vision pluraliste de la société, pas ces antiracistes-là qui veulent l’apartheid. Nous poursuivons encore un idéal de liberté et d’égalité, eux veulent enchaîner chacun à ses origines, à son identité de naissance, à sa tribu. C’est beaucoup plus difficile de supporter intellectuellement le projet démocratique qui aspire à un constant perfectionnement de son modèle par le débat public, que de défendre un projet global de société sur le modèle des grandes idéologies théocratiques ou totalitaires. La servitude volontaire, La Boétie en a magnifiquement démonté les mécanismes au milieu du XVIè siècle, beaucoup devraient le relire. Mais La Boétie n’est pas un "racisé", il n’a rien à leur apprendre.
Michèle Tribalat analyse bien dans le livre comment ces antiracistes transforment la langue pour accabler leurs ennemis. Elle insiste sur ce qu’elle appelle "la judiciarisation de la langue" qui révèle l’appauvrissement non seulement de la langue mais surtout de la pensée. Avec ce genre de pseudo-antiracistes, qui ne sont pas tous des incultes loin s’en faut, une expression littéraire comme "tété au lait de la mère" usitée par Corneille, Racine, Mirabeau, Hugo devient un appel à la haine raciale ! Le procès contre Georges Bensoussan est un procès pour condamner "des mots" que des groupes identitaires ont voulu transformer en forme de racisme pour faire avancer une cause politique sécessionniste. 
Tout cela est loin d’être anecdotique. Cela concerne toute la société. Ce n’est pas une affaire entre Juifs et Musulmans comme certains veulent le faire croire pour maintenir le déni sur le danger totalitaire qui monte. Le philosophe Victor Klemperer l’a parfaitement illustré au sujet de la langue nazie dans LTI la langue du IIIè Reich paru en 1947 mais écrit sous le joug nazi. Il a montré comment la novlangue nazie avait consciencieusement corrompu la langue allemande, comment elle avait déstructuré le lexique pour déstructurer les esprits, la culture toute entière.
Oui la langue c’est le fondement de notre culture. Le logos nazi a détruit la culture allemande et permis la corruption de la société toute entière. Nous devrions être attentifs à toutes ces manipulations idéologiques de la langue, elle révèle bien des violences qui sont loin d’être symboliques. 



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