Publié le 01/11/2017 à 17h45
CHRONIQUE - L'historien anglais
Tom Holland se penche sur les vraies origines de l'islam. Un culot qui mérite
d'être salué quand les djihadistes se réclament d'une «guerre sainte» dont on ne
voit pas de trace au VIIe siècle.
À l'Ombre de l'épée, Tom
Holland, Éd. Saint-Simon, 377 p, 22,90 euros.
- Crédits photo : Saint Simon
Il a les cheveux blonds et
l'accent oxfordien d'un Lawrence d'Arabie, mais il n'a pas chevauché de chameau
à la tête d'une armée de tribus arabes. Pourtant, dans le documentaire qu'il a
réalisé pour la télévision anglaise à partir du livre dont nous traitons ici,
il se met volontiers en scène entre Médine et La Mecque, bivouaquant avec
les chameliers. Car il est fasciné, lui aussi, par la puissante civilisation
qui a jailli de ces territoires stériles et inhabités. Cette fascination le
pousse à pister une vérité introuvable, celle de l'origine de l'islam, qui
glisse entre les doigts de l'historien comme les grains de sable du désert,
quand elle est limpide aux yeux du «fidèle» qui écoute la parole de Dieu.
Les attentats commis au nom de
l'islam auront au moins forcé l'Occident à considérer ce monothéisme tard venu
dont il s'est désintéressé à partir du XVIIIe siècle. On ne compte plus
les livres publiés sur le djihad, le sunnisme et le chiisme, etc. Celui de Tom
Holland s'ajoute donc à une longue liste d'exégèses. Mais il se propose
d'examiner les origines du phénomène plutôt que ses derniers développements. Et
il le fait avec un certain culot.
Un flibustier de l'histoire
«J'ai reçu des menaces pour ce
livre qui a été reçu comme une insulte par beaucoup de musulmans pieux, mon
intention n'était pas de les choquer, car pour moi la foi et l'histoire se
déroulent sur des plans différents.»
Tom Holland
Car Tom Holland n'est pas un
universitaire, c'est un flibustier de l'histoire, un Walter Scott dont le style
ampoulé nous perd parfois dans le labyrinthe d'une histoire déjà complexe. Mais
il ose conjecturer sur un temps dont nous ne savons plus rien. «Jamais un
universitaire spécialiste de cette période ne pourrait dire les choses de façon
aussi directe», reconnaît Holland qui a la liberté du franc-tireur. Latiniste,
auteur de traductions et de livres sur l'Empire romain, dont un best-seller
intitulé Rubicon, Holland s'est lancé un jour le défi de comprendre comment une
poignée d'hommes à cheval ont pu conquérir un si vaste territoire au
VIIe siècle après Jésus-Christ, en étant si loin des centres de pouvoirs,
et s'offrant le luxe, par-dessus le marché, de créer une nouvelle religion et
donc une nouvelle civilisation. Cette question l'a amené à des conclusions peu
conformes au dogme de l'islam, qui lui ont donné du fil à retordre. «J'ai reçu
des menaces pour ce livre qui a été reçu comme une insulte par beaucoup de
musulmans pieux, mon intention n'était pas de les choquer, car pour moi la foi
et l'histoire se déroulent sur des plans différents», nous dit-il.
Tom Holland avait décidé de
passer outre ce conseil cher à John Ford: «Quand la légende devient la réalité,
on imprime la légende.» C'est donc encore un auteur européen, d'origine
chrétienne, qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Quand Ernest Renan écrivit
La vie de Jésus, publié en 1860, il était lui-même un ancien séminariste en
rupture avec l'Église. Il la connaissait de l'intérieur, et son propos avait
toutes les raisons d'encourir les foudres du Vatican. Ce n'est pas le cas de
Tom Holland dont le livre illustre l'impatience de l'intelligentsia européenne
éclairée à convertir les savants du monde arabo-musulman aux exigences de la
critique historique.
Tom Holland se pose une question
simple: qui
est le prophète Mahomet? La réponse est périlleuse, car Mahomet n'est pas
comme le Christ un personnage attesté par les récits nombreux de ses
contemporains. Il est au contraire un fantôme dont on ne sait où il a vraiment
vécu, un mystère enveloppé dans une énigme, dont les faits et gestes n'ont été
répertoriés nulle part de son vivant, et dont le nom n'apparaît nulle part non
plus dans les documents officiels du monde arabe ou byzantin 60 ans après sa
mort, en 632. Et il faudra attendre, deux cents ans, en l'an 830, pour la
première biographie du Prophète, écrite par Ibn Hicham.
Ce livre n'est pas le premier
à montrer que la fulgurante conquête arabe s'explique par d'autres raisons que
la volonté d'Allah.
Ce livre n'est pas le premier à
montrer que la fulgurante conquête arabe s'explique par d'autres raisons que la
volonté d'Allah. Des causes démographiques et géopolitiques précises ont
affaibli durablement les grands empires perse et byzantin au VIIe siècle.
À la fin du VIe siècle, la peste bubonique a ravagé tout le pourtour
méditerranéen, mais elle a épargné les Arabes, éloignés des grandes routes
commerciales et des ports. Puis une longue guerre a opposé l'Empire byzantin à
l'Empire perse. Elle les a épuisés. Les guerriers arabes qui font irruption en
Palestine et en Égypte, mais aussi entre le Tigre et l'Euphrate, profitent donc
de la vulnérabilité de territoires d'ordinaires imprenables.
Le plus surprenant est de
constater qu'aucune de ces conquêtes ne semble être menée au nom d'Allah. Les
comptes rendus de l'époque ne le mentionnent jamais. «Personne ne sait qui sont
ces cavaliers du désert et ce en quoi ils croient», nous dit Holland. Personne
ne semble s'en soucier. «Certains commentateurs de l'époque pensent qu'ils se
réclament du judaïsme et s'apprêtent à le répandre à nouveau.» Trente ans après
la mort de Mahomet, le seigneur arabe qui règne sur Jérusalem ne laisse rien
sur Mahomet, ni Allah.
Il faut donc supposer que ce
n'est pas «l'islam qui a donné naissance à l'Empire arabe, mais l'Empire arabe
qui a donné naissance à l'islam».
Alors, pourquoi leur nom
ressurgit-il? Parce que parfois le pouvoir terrestre doit se tourner vers le
pouvoir spirituel pour réussir ce qu'il ne peut pas faire: unir les tribus et
les peuples dans une foi commune. Il faut donc supposer que ce n'est pas
«l'islam qui a donné naissance à l'Empire arabe, mais l'Empire arabe qui a
donné naissance à l'islam». Ce n'est qu'après la victoire qu'il a fallu la
justifier. Et ainsi, soixante ans après la mort de Mahomet, l'islam est devenu
la religion officielle d'un monde arabe en gestation. Car ses chefs voulaient
se distinguer de leurs adversaires - ils ne pouvaient donc être chrétiens,
juifs ou zoroastriens.
Il fallait unifier et galvaniser
par une religion différente cet immense empire sur le point, déjà, de se fracturer.
Ibn Al Zubair, en 686, frappe la première monnaie au nom de Mahomet. Il n'aura
pas le temps d'être à l'islam ce que l'empereur Constantin a été au
christianisme, mais son rival s'en chargera. C'est ce que fera Abd Al Malik, le
cinquième calife omeyyade. C'est à lui, selon Holland, que l'on doit la
transformation de l'islam en religion officielle, et le récit d'un prophète
recevant la parole de Dieu entre La Mecque et Médine.
Holland suggère donc que le Coran
est une reconstruction a posteriori, faite pour servir les intérêts politiques
d'un peuple en plein essor, et placer son foyer mythique au cœur du désert.
Tant pis si de nombreuses références abrahamiques resteront présentes dans le
texte, montrant que Mahomet a probablement vécu non loin de la Palestine, au
sud de la mer Morte, où se trouvaient juifs et chrétiens. Comment un marchand
au milieu du désert fréquenterait-il des fermiers, des vignes et des
oliveraies? Toutes ces questions rythment le livre d'Holland. Elles n'ôtent
rien à l'exploit de ces Bédouins venus des confins du monde civilisé qui ont
fabriqué à partir de ses ruines une nouvelle civilisation.
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