Comment la France
parraine une sortie de crise dans l'affaire Hariri (16.11.2017)
Les prières de rue
interdites dans les Hauts-de-Seine (16.11.2017)
Invité par Emmanuel
Macron, Saad Hariri arrivera samedi à Paris (15.11.2017)
Zineb El Rhazoui :
«Les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France»
(15.11.2017)
Charlie Hebdo : pour Valls, Plenel utilise
«les mêmes mots que Daech» (15.11.2017)
Affaire Ramadan:
130 personnalités soutiennent Mediapart (12.11.2017)
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Comment la France parraine une sortie de crise dans l'affaire
Hariri (16.11.2017)
INFOGRAPHIE - L'Arabie saoudite
va laisser partir son allié Saad Hariri, attendu à Paris, où il travaillera à
une feuille de route avant son retour au Liban.
Envoyé spécial à Riyad
La crise a été contenue, mais il
reste à traiter les racines. Saad Hariri, le premier ministre libanais
démissionnaire, confiné à Riyad depuis dix jours, a accepté l'invitation
qu'Emmanuel Macron lui a transmise à venir en France. C'est Jean-Yves
Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, en visite à Riyad pour finaliser
l'affaire avec les autorités saoudiennes, qui l'a annoncé jeudi matin. «Il peut
partir quand il veut», a assuré peu après son homologue saoudien, Adel
al-Joubeir.
Saad Hariri devrait arriver
samedi à Paris pour y séjourner quelques jours avec sa famille avant de regagner
Beyrouth, a déclaré le président libanais, Michel Aoun. L'intéressé a été moins
précis: «je vous le dirai plus tard», a répondu Hariri depuis sa résidence où
il venait de recevoir Jean-Yves Le Drian.
«Soit Hariri maintient sa
démission, ce qui est probable, soit il estime qu'il peut corriger les dérives
qu'il a dénoncées»
Un diplomate français
Depuis près de deux semaines, son
sort faisait l'objet d'informations contradictoires. Le
président Aoun accusait l'Arabie de le «détenir»
à Riyad, où il aurait été gardé, toujours selon Michel Aoun, par des
mercenaires privés. Ce que dément Riyad, d'où le chef du gouvernement libanais
avait annoncé sa démission fracassante le 4 novembre, un an après être
parvenu à former un gouvernement avec le Hezbollah dans un pays où Saoudiens et
Iraniens s'affrontent par relais interposés.
Finalement, la détermination
française a payé. Emmanuel Macron a eu deux entretiens téléphoniques mardi et
mercredi avec le prince héritier Mohammed
Ben Salman, nouvel homme fort de l'Arabie. «Le président et MBS ont aussi
échangé par SMS», confie une source informée. De son côté, Jean-Yves Le Drian a
eu une heure d'entretien en tête-à-tête mercredi soir avec MBS, tandis que
François Gouyette, l'ambassadeur de France à Riyad, a vu deux fois Saad Hariri.
«Il pourrait aller mieux», glisse un autre de ses visiteurs.
Que fera Hariri maintenant qu'il
est libre? «C'est lui qui décide, souligne un diplomate français. Soit il
maintient sa démission, ce qui est probable, soit il estime qu'il peut corriger
les dérives qu'il a dénoncées.» Celles-ci portent sur la mainmise du Hezbollah
et de son parrain iranien sur la gestion du Liban. Les prochains jours de Saad
Hariri en Arabie puis à Paris seront mis à profit pour établir «une feuille de
route» afin de consolider une sortie de crise.
Si on veut contrer le
Hezbollah, nous devons renforcer les institutions étatiques libanaises,
c'est-à-dire l'armée et les forces de sécurité intérieure, proches du camp
Hariri»
Une source diplomatique française
Saoudiens et Français resteront à
la manœuvre. En invitant Hariri à Paris, Macron a offert une porte de sortie au
prince héritier. Mais Riyad campe sur une position très dure contre le
Hezbollah et l'Iran. Pour éviter que la tension croissante au Liban ne se
traduise par des dérapages, Paris compte transmettre des messages aux Iraniens,
aux Saoudiens mais aussi aux différents responsables libanais. «Si on veut
contrer le Hezbollah et son appareil militaire, souligne-t-on de source
diplomatique française, nous devons renforcer les institutions étatiques
libanaises, c'est-à-dire l'armée, les forces de sécurité intérieure, proches du
camp Hariri, et plus largement les groupes politiques qui veulent rééquilibrer
la situation.» Mais Paris ne veut pas de déstabilisation du Liban, donc pas
d'attaque frontale ou d'actions saoudiennes qui pourraient envenimer la
situation, comme l'expulsion des expatriés libanais vivant dans le Golfe.
La France compte ramener son
allié saoudien à une «vision moins négative». Mais Riyad estime avoir été
«trompé» au Liban. «Lorsqu'il y a un an Michel Aoun a été accepté par tout le
monde comme président de la République, les Saoudiens nous avaient dit OK, mais
on n'y croit pas, confie un diplomate français. Aujourd'hui, ils trouvent que
Hariri a été une couverture plus qu'un rempart contre l'expansionnisme du
Hezbollah.» Au fil des mois, la rancœur a grossi. Proche du pouvoir, le
journaliste Adwan al-Ahmari en fait une description cinglante. «Saad Hariri a
été une marionnette entre les mains du Hezbollah», qui l'a forcé par exemple à
accepter l'envoi d'un nouvel ambassadeur chez le président syrien Bachar
el-Assad, l'ennemi de l'Arabie.
«Si les Saoudiens ont laissé
partir Hariri à Paris, c'est qu'il a signé une reconnaissance de dette envers
l'Arabie, comme les princes devront s'y résoudre s'ils veulent retrouver la
liberté»
Un homme d'affaires installé à
Riyad
Mais au-delà du Liban et de la
Syrie, le royaume a d'autres griefs. «Il y a huit mois environ, ajoute Adwan
al-Ahmari, les Saoudiens ont convoqué Hariri pour lui montrer des preuves des
actions de déstabilisation du Hezbollah au Yémen, à Bahreïn et au Koweït». Le
message était clair: «On vous aide au Liban, alors agissez chez vous contre le
Hezbollah!» Et puis le 4 novembre encore est survenu un tir de missile,
intercepté au-dessus de l'aéroport de Riyad, à partir du territoire yéménite,
«un acte de guerre», selon l'Arabie. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder
le vase, estiment plusieurs sources françaises et saoudiennes. Riyad et Paris
sont convaincus qu'il s'agit d'un missile iranien, opéré par les houthistes,
grâce à la coopération d'experts du Hezbollah.
Si l'Arabie a donné l'impression
de maltraiter son allié Saad Hariri, c'est aussi que le prince héritier a des
reproches à lui adresser. «Hariri a la nationalité saoudienne, il a donc été
traité comme les princes saoudiens corrompus», relève un homme d'affaires à
Riyad, allusion à l'arrestation
de nombreux membres de la famille royale, ainsi que des hommes d'affaires
fortunés, ce même 4 novembre.
Le comité anticorruption accuse
le premier ministre libanais de s'être copieusement engraissé en Arabie. Saad
Hariri était lié en affaires avec le prince Abdel Aziz Ben Fahd, fils de
l'ancien roi Fahd, et le magnat Bakr Ben Laden, tous deux mis aux arrêts au
Ritz Carlton de Riyad. «Si les Saoudiens ont laissé partir Saad à Paris, c'est
qu'il a signé une reconnaissance de dette envers l'Arabie, comme les princes
devront s'y résoudre s'ils veulent retrouver la liberté», croit savoir l'homme
d'affaires. Pour financer ses réformes, MBS souhaite faire revenir dans les
caisses de l'État les milliards de la corruption. Mais sur ce volet de la
crise, Paris est beaucoup plus silencieux. Rafic Hariri, père de Saad et
premier ministre assassiné en 2005 à Beyrouth, était très proche de l'ancien
président de la République Jacques Chirac. Bref, une crise aux multiples
ramifications.
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Les prières de rue interdites dans les Hauts-de-Seine
(16.11.2017)
À Clichy-la-Garenne, les fidèles
de l'ancienne mosquée ont été invités à se rendre dans un autre lieu de culte
de la commune.
Rejoindre le nouveau centre
cultuel de Clichy-la-Garenne, dédoubler les offices, trouver un terrain à
acheter… Mais, en tout cas, plus
de prières de rue. Lors d'une réunion de médiation, jeudi après-midi, sous
l'égide du préfet des Hauts-de-Seine, plusieurs pistes de sortie de crise ont
été proposées aux fidèles musulmans de cette commune qui, depuis plus de huit
mois, priaient dans les rues. Mais d'emblée, le préfet Pierre Soubelet a
prévenu: «Les prières de rue, c'est terminé, a-t-il martelé. Il n'y en aura pas
demain, ni le vendredi d'après. Ni à Clichy, ni dans les Hauts-de-Seine.»
«Maintenant c'est clair, il
n'y aura plus de prières de rues à Clichy. Et même en France, parce que ça va
créer un précédent. »
Rémi Muzeau, le maire LR de
Clichy-le-Garenne
Après deux heures et demie de
discussions parfois tendues, le maire LR Rémi Muzeau se dit «très heureux» de
ce dénouement. «Surtout du fait que la manifestation des élus de vendredi
dernier ait enfin permis cette réunion, clame-t-il. Maintenant c'est clair, il
n'y aura plus de prières de rues à Clichy. Et même en France, parce que ça va
créer un précédent.» Mercredi, devant l'Assemblée nationale, le ministre de
l'Intérieur, Gérard Collomb, avait lui-même été ferme: «Il ne peut y avoir de
prières de rue» à Clichy-la-Garenne, avait-il assuré, tout en soulignant que
les musulmans de cette ville devaient «avoir un lieu de culte décent».
La préfecture et la mairie ont
fait une proposition à l'Union des associations musulmanes de Clichy-la-Garenne
(UAMC), l'association qui priait chaque vendredi aux abords de l'hôtel de
ville, depuis son expulsion, en mars, d'un lieu de culte au centre-ville:
rejoindre le centre cultuel et culturel musulman de la rue des Trois-Pavillons,
dont le vice-président, Noureddine Bahri, était présent à la réunion. Ce lieu
de culte est situé à moins d'un quart d'heure à pied du centre, avec un arrêt
du bus (gratuit) juste en face. «Nous avons 2000 m2 de locaux tout à fait
dignes et, le vendredi, comme nous sommes très nombreux, nous organisons deux
prières, à 13 heures et à 14 heures», détaille Mohamed Bechari,
président de ce centre, qui dirige aussi la Fédération nationale des musulmans
de France (FNMF). Mais l'UAMC le juge «trop excentré, trop exigu et pas aux
normes de sécurité», ce qui est démenti par le maire. «On poursuivra la
discussion et la réconciliation entre les deux obédiences musulmanes dès lundi,
avec les conseils des deux parties», précise Me Rémi-Pierre Drai, l'avocat
du maire.
Deux plaintes
Une discussion qui s'annonce
encore longue et compliquée. «La pierre d'achoppement, c'est que la Ville
aurait souhaité que les plaintes annoncées dans la presse soient retirées, mais
l'UAMC a refusé», poursuit Me Drai. Après le rassemblement d'élus contre
les prières de rue, vendredi dernier, l'UAMC avait en effet annoncé le dépôt
de deux plaintes auprès du parquet de Nanterre: l'une contre X pour
«violence aggravée», «participation à un groupement formé en vue de la
préparation d'actes de violences», «manifestation illicite» et l'autre contre
le maire pour «diffamation et incitation à la haine raciale». «Comment faire
une concertation s'ils déposent des plaintes?», interroge l'élu, qui assure
cependant qu'il n'y a «aucune animosité» entre lui et l'UAMC. Jeudi soir, Hamid
Kazed, son président, ne souhaitait pas faire de commentaire. En attendant, «ce
vendredi sera le premier, depuis 34 semaines, où je n'entendrai pas le muezzin
sous mes fenêtres!», soupire un fonctionnaire de la mairie. Quant à Rémi
Muzeau, il ne regardera «même pas par la fenêtre» : «Je suis sûr,
clame-t-il, qu'il n'y aura personne.»
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Invité par Emmanuel Macron, Saad Hariri arrivera samedi à
Paris (15.11.2017)
VIDÉOS - Le premier ministre
libanais démissionnaire, qui est toujours en Arabie saoudite, séjournera
quelques jours avec sa famille dans la capitale française avant de regagner
Beyrouth, a déclaré jeudi le président libanais Michel Aoun.
Envoyé spécial à Riyad
Paris plutôt que Beyrouth pour
éviter une aggravation de la crise. Emmanuel Macron avait invité mercredi le
premier ministre libanais démissionnaire Saad Hariri, confiné à Riyad depuis
dix jours, à venir en France avec sa famille. Ce jeudi matin, l'intéressé a
finalement accepté la proposition, a fait savoir le ministre français des
Affaires étrangères. Il y arrivera samedi et y séjournera quelques jours avec
sa famille avant de regagner Beyrouth, a précisé un peu plus tard le président
libanais Michel Aoun.
Jean-Yves Le Drian est arrivé
mercredi soir dans la capitale saoudienne, où il a rencontré le prince héritier
et homme fort de l'Arabie, Mohammed Ben Salman (MBS). Dans l'après-midi, le
chef de l'État s'était entretenu au téléphone avec MBS et Saad Hariri. Ce jeudi
matin, le chef de la diplomatie française devait rencontrer le premier ministre
libanais, après avoir participé à une conférence sur la jeunesse organisée par
la fondation de MBS.
Jean-Yves Le Drian ne devrait pas
repartir avec la famille Hariri. «Elle a besoin de plusieurs jours pour quitter
Riyad, souligne-t-on à l'Élysée, car Saad Hariri a des enfants qui sont scolarisés
en Arabie.» Interrogé sur la question, le ministre français a déclaré sans
autre précision: «l'agenda de Saad Hariri appartient à Saad Hariri».
« Nous avons besoin d'un Liban
fort, d'une intégrité territoriale au Liban, et nous avons besoin d'avoir des
dirigeants qui soient justement libres de leurs choix et de les exprimer »
Emmanuel Macron
Manifestement concertée avec la
partie saoudienne, cette invitation «pour quelques jours» est, a précisé
Emmanuel Macron, «un geste d'amitié et une volonté marquée de la France de
contribuer au retour au calme et à la stabilité au Liban». «Nous avons besoin
d'un Liban fort, d'une intégrité territoriale au Liban, et nous avons besoin
d'avoir des dirigeants qui soient justement libres de leurs choix et de les
exprimer», a ajouté le chef de l'État. Est-ce un répit dans une crise qui
menaçait de plonger le Liban dans une instabilité lourde de dangers? «Ce n'est
plus un problème saoudien, c'est un problème libanais», confiait en début
d'après-midi, au Figaro, Adwan al-Ahmari, journaliste au
quotidien saoudien al-Hayat.
Ces derniers jours, la pression
est montée sur l'Arabie. Un recours devant le Conseil de sécurité de l'ONU
n'était pas à exclure en cas de refus saoudien de laisser partir son allié
libanais. «Hariri est ici de sa propre volonté et il peut partir quand il
veut», a répété jeudi le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir.
Saad Hariri a
démissionné le 4 novembre depuis l'Arabie saoudite, où sa famille possède
des intérêts financiers. Une démission sous la contrainte, accuse la classe
politique libanaise. Pour le président de la République, Michel Aoun, son
premier ministre était «détenu» à Riyad. Pour que sa démission soit conforme à
la Constitution libanaise, Paris réclamait de son allié saoudien que Saad Hariri
puisse lui-même venir la présenter au président Aoun. En choisissant Paris, une
formule de compromis pourrait avoir été trouvée. Elle permettrait à Riyad de
sauver la face, en évitant d'emblée un retour triomphal au pays du Cèdre du
chef de gouvernement. «Mais ce n'est pas du tout un exil politique»,
précise-t-on à l'Élysée.
Emmanuel Macron s'est fortement
impliqué depuis une semaine, rencontrant Mohammed Ben Salman à Riyad, recevant
ensuite le chef de la diplomatie libanaise à Paris, avant de s'entretenir
finalement au téléphone mercredi après-midi avec MBS et Saad Hariri.
C'est un incontestable succès
pour le chef de l'État. Emmanuel Macron a proposé mardi à MBS d'accueillir le
chef du gouvernement libanais, selon l'Élysée, avant un nouvel appel téléphonique
mercredi. Le président n'a entamé qu'il y a une semaine «un dialogue personnel»
avec le nouvel homme fort de l'Arabie, un jeune, comme lui, partisan, lui
aussi, de réformer son pays.
«Notre souci, insiste-t-on à
l'Élysée, reste que Saad Hariri revienne à Beyrouth clarifier sa situation.»
Démissionnera-t-il? Des tractations vont probablement commencer à Paris cette
fois entre les différents acteurs du dossier libanais.
En déclenchant cette crise,
l'Arabie saoudite entendait dénoncer l'influence grandissante du Hezbollah, la
formation chiite libanaise pro-iranienne, non seulement au Liban, mais aussi en
Irak et au Yémen. Une prochaine sortie de Saad Hariri d'Arabie ne signifiera
pas pour autant la fin de la crise.
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Zineb El Rhazoui : «Les collaborationnistes du fascisme islamique
sont nombreux en France» (15.11.2017)
Mis à jour le 15/11/2017 à 20h22 | Publié le 15/11/2017 à 20h12
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Survivante
de l'équipe de Charlie Hebdo, la journaliste analyse la polémique
qui oppose le journal satirique à Mediapart. Pour elle, deux ans
après les attentats de Paris, une partie des élites médiatiques et politiques
est toujours dans le déni.
LE FIGARO. - Entre Charlie
Hebdo et Mediapart, la polémique atteint un grand degré de
virulence. Le directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a été brocardé
par Charlie Hebdo pour sa proximité avec Tariq
Ramadan. Et, dans son éditorial, Riss accuse désormais Plenel de
«condamner à mort une deuxième fois» sa rédaction…
Zineb EL RHAZOUI. - C'est
bien curieux, mais cette polémique me rappelle qu'après l'attaque terroriste
de Charlie Hebdo, alors que nous n'avions pas encore enterré nos
morts, certaines voix avaient déjà donné la même sempiternelle tournure au
débat public: «je ne suis pas Charlie» et «halte à l'islamophobie» en supputant
que les «musulmans» étaient les véritables victimes. Après les attentats
terroristes du 13 novembre, ceux qui s'étaient un peu trop émus du sort
des morts et des blessés ont eu droit à des accusations à peine masquées de
racisme parce qu'ils auraient plutôt dû s'émouvoir du sort des victimes des
attentats terroristes de Beyrouth. Après les attentats de Nice où des bébés ont
été broyés dans leurs poussettes pendant qu'ils regardaient des feux
d'artifice, le débat public accusait encore une fois la France de racisme pour
avoir rechigné à accueillir des burkinis sur la même plage...
Le 12 novembre, Mediapart
a publié une tribune de soutien à Plenel signée par 130 personnalités
accusant Charlie Hebdo d'attiser un climat de «haine».
«Je me pose la question de
l'opportunité de s'en prendre à Charlie Hebdo comme un porte-étendard de la
«haine» une semaine après que cet hebdo eut été visé par une campagne de
menaces de mort particulièrement violente»
Zineb El Rhazoui
Cette tribune refuse que la ligne
éditoriale islamo-complaisante de Mediapart soit questionnée. Je me pose la
question de l'opportunité de s'en prendre à Charlie Hebdocomme un
porte-étendard de la «haine» une semaine après que cet hebdo eut été visé par une campagne de menaces de mort
particulièrement violente. Mediapart fait d'ailleurs partie des organes de
presse qui défendent l'idée selon laquelle les «musulmans» seraient de plus en
plus des «victimes» depuis les attentats.
Pour ma part, je fais partie
d'une maison journalistique où le mot «victime» a une signification très
réelle, sanglante, qui se vit dans la douleur de l'absence et dans la peur de
la récidive. J'ai envie de dire aux signataires: vous ne remuez pas le petit
doigt lorsque des confrères sont menacés de mort, en revanche, vous faites bloc
lorsque la moustache d'Edwy Plenel et surtout ses accointances avec Tariq
Ramadan sont tournées en dérision?
Charlie Hebdo a-t-il
bien fait de pointer la complicité de Plenel et de Ramadan sur le plan
idéologique?
Je ne fais plus partie de la
rédaction de Charlie Hebdo, mais si j'y travaillais encore, j'aurais sans doute
approuvé ce Plenel-bashing, où rien ne souffre si ce n'est son ego. Dans un
journal satirique, ce genre d'ironie est trop précieux pour le laisser passer.
Plenel, en s'affichant fièrement avec Ramadan et en dédiabolisant sa figure, a
misé sur le mauvais cheval. L'admettre aurait été plus noble que de se cacher
derrière une tribune signée par de nombreux intellectuels à la probité et à
l'honnêteté avérées, mais aussi par des islamistes, des amis de Tariq Ramadan
et autres idiots utiles des islamistes.
» LIRE AUSSI - Riss: «Les “islamo-gauchistes”
sont tellement démagogiques qu'ils en perdent toute crédibilité»
«L'islamisme n'est pas en soi
une chose grave», a déclaré la coprésidente de la société des journalistes de
Mediapart, Jade Lindgaard...
Cette consœur pêche au mieux par
inculture, au pire par racisme. Soit elle ignore ce qu'est le projet islamiste
dans le domaine politique et n'a jamais étudié les codes civils et pénaux des
théocraties islamiques du monde arabe et d'ailleurs ; soit elle considère
que nous autres «musulmans» devons être condamnés à être régis par la coutume
et la superstition. Si Mme Lindgaard était née musulmane à Marrakech, à Annaba,
à Assiout, à Hofouf ou à Djalalabad, elle serait privée de libertés aussi
élémentaires que travailler, étudier, se parfumer, penser, sortir, boire un
verre, choisir son époux, hériter à égalité avec ses frères ou encore se rendre
au cimetière pour enterrer les siens. Son affirmation est une insulte à tous
ceux qui se battent pour la liberté dans le monde musulman au péril de leur
vie.
«Ceux que j'appelle les
collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France»
Zineb El Rhazoui
Les cas de Mediapart et Plenel
sont-ils isolés?
Malheureusement, ceux que
j'appelle les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en
France. Ils sévissent dans tous les domaines. Dans les médias, ce sont tous ces
journaux fiers de «défendre les musulmans» alors qu'ils auraient honte d'en
faire autant avec les «chrétiens». En politique, ce sont tous ceux qui
s'obstinent à traiter les «musulmans» comme une communauté au lieu de les voir
simplement comme des individus. Dans le débat public, ce sont tous ceux qui
considèrent que critiquer le christianisme est conforme à l'esprit des Lumières
(et sur ce point ils ont raison), mais que critiquer l'islam est de
l'«islamophobie» et du racisme. Ce sont tous ceux qui acceptent un féminisme au
rabais pour les femmes nées musulmanes. Ce sont tous ceux qui considèrent les
«musulmans» comme un nouveau prolétariat et consentent à ce qu'un musulman ne
puisse jamais échapper à son identité.
Ces personnes ont pourtant
droit, comme les autres, à la liberté d'expression et d'opinion...
Les seules limites à la liberté
d'expression sont celles de la loi, que nous sommes tous, surtout en tant que
journalistes, tenus de respecter. En dehors de ces limites, chacun a le droit
de dire que la terre n'est pas ronde s'il le souhaite, il devrait en être
libre. Toutefois, la société doit aussi être libre de le tourner en dérision,
de dénoncer son discours comme ridicule ou dangereux. Aussi, personne ne conteste
le droit de M. Plenel d'être une groupie de Tariq Ramadan. Simplement, il
devrait faire preuve de plus d'humilité lorsque ses amitiés intellectuelles
s'avèrent moins honorables qu'il ne le prétendait.
Dans votre livre 13,
vous aviez raconté la nuit du 13 novembre. Deux ans après, qu'est-ce qui a
changé?
«Nos politiques, comme une
bonne partie des élites médiatiques, font preuve d'un déni déconcertant face au
terrorisme islamique»
Zineb El Rhazoui
Dans la société, beaucoup de
choses. Mais nos politiques, eux, comme une bonne partie des élites
médiatiques, font preuve d'un déni déconcertant face au terrorisme islamique.
Ils continuent de refuser de faire le lien entre les crimes de masse commis au
nom de l'islam et les aspects plus «banals» de la radicalisation islamique. À
tous ceux-là, j'ai envie de proposer d'aller vivre quelques mois dans une
théocratie islamique, ils sauront alors ce qu'est l'aboutissement du projet
islamiste auquel ils veulent bien donner une chance en France.
J'ai envie de leur dire que,
s'ils nous considèrent vraiment comme leurs égaux, nous autres «musulmans», eh
bien qu'ils nous reconnaissent les mêmes droits qu'ils exigent pour eux-mêmes:
la liberté. Pas celle de «porter le voile» ou de se retrancher dans le
communautarisme, non. Nous méritons la même liberté qu'en Occident: celle de
critiquer la dictature des théocraties, de rire de notre héritage, de rejeter
le joug de notre religion, de choisir notre orientation sexuelle, et de jouir
de l'égalité femmes-hommes.
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Journaliste au Figaro et
responsable du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio
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Charlie Hebdo : pour Valls, Plenel utilise «les mêmes mots que
Daech» (15.11.2017)
LE SCAN POLITIQUE - Interrogé sur
la polémique qui enfle entre Charlie Hebdo et Mediapart,
l'ancien premier ministre a pris la défense du journal satirique accusant Edwy
Plenel, le fondateur du site d'informations, d'émettre «un appel au meurtre».
Tout est parti d'un dessin. La
semaine dernière, Charlie Hebdo consacrait sa une au directeur
de Mediapart, Edwy Plenel. Le caricature sous-entendait que le journaliste
était au courant des accusations
de viols et d'agressions sexuelles portées sur l'islamologue
controversé Tariq Ramadan, sans n'avoir rien dit. Les jours suivants, de
nombreuses figures du monde politico-médiatique se sont indignées, à commencer
par le principal concerné Edwy Plenel. Selon lui, «la une de Charlie
Hebdo fait partie d'une campagne plus générale» de «guerre aux
musulmans» dans laquelle le fondateur de Mediapart inclut Manuel Valls.
«Edwy Plenel n'est pas
n'importe qui»
Sur BFM TV mercredi, l'ancien Premier ministre a
vivement réagi aux propos d'Edwy Plenel. «C'est un appel au meurtre. Ce n'est
pas une petite polémique. Edwy Plenel n'est pas n'importe qui», a-t-il tout
d'abord tonné. «Tous ces mots: guerre contre les musulmans, croisade... Ce sont
exactement les mêmes mots, c'est la même sémantique utilisée par les
islamistes, utilisée par la propagande de Daech», a-t-il poursuivi.
«Je veux qu'ils reculent, je
veux qu'ils rendent gorge»
Manuel Valls s'affiche ainsi dans
la lignée de l'édito de Riss publié mercredi dans le nouveau numéro de Charlie
Hebdo. Parlant lui aussi d'un «appel au meurtre», le directeur de la
rédaction du journal satirique estime qu'Edwy Plenel a désigné «Charlie Hebdo
comme un agresseur supposé des musulmans» et «adoube ceux qui demain voudront
finir le boulot des frères Kouachi».
«Quand vous avez une partie de la
rédaction de Mediapart qui explique
que l'islamisme en tant que tel, en soi, n'est pas un problème grave, qui
explique que je suis l'héritier de Déat, c'est-à-dire des fascistes des années
30, moi qui lutte contre l'antisémitisme, qui ai fait face à une campagne
ignoble antisémite, qui lutte contre tous les racismes (...), qui accuse des
intellectuels de mener des croisades, on nous désigne», a-t-il insisté.
Manuel Valls a dénoncé
«l'égarement de cette gauche. C'est là où la phrase de 2016, la mienne, reste
prémonitoire, sur les gauches irréconciliables. Oui, ce sont des gens
dangereux». «Je veux qu'ils reculent, je veux qu'ils rendent gorge, je veux
qu'ils soient écartés du débat public. Non pas par l'interdiction, ce n'est pas
le sujet. Mais qu'ils perdent, qu'ils perdent ce combat, cette bataille
d'idées. Nous la menons pour la République et je la mène pour les musulmans de
France. Parce que c'est nous qui les protégeons. C'est pas Edwy Plenel et ses
sbires».
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Affaire Ramadan: 130 personnalités soutiennent Mediapart
(12.11.2017)
130 personnalités ont signé une
tribune en soutien à Mediapart après queCharlie
Hebdo et l'ancien premier ministre Manuel Valls ont reproché au site
d'avoir protégé l'islamologue Tariq Ramadan, accusé de viol, a annoncé dimanche
le site d'information.
«Il semble bien que nous soyons
confrontés ici à une campagne politique qui, loin de défendre la cause des
femmes, la manipule pour imposer à notre pays un agenda délétère, fait de haine
et de peur», soulignent dans cette tribune les écrivains Patrick Chamoiseau et
Jean-Claude Carrière, l'économiste Thomas Piketty, la militante féministe
Caroline De Haas, l'ex-député PS Christian Paul ou l'artiste Sarkis.
Charlie Hebdo avait
titré mercredi sur une caricature du directeur du site Edwy Plenel accompagnée
du titre «Affaire Ramadan, Mediapart révèle : "On ne
savait pas"», en référence aux deux
plaintes pour viol déposées contre Tariq Ramadan.
Les détracteurs de Mediapart et
d'Edwy Plenel leur reprochent d'avoir gardé ces faits sous silence et débattu
avec Tariq Ramadan.«Mediapart est l'un des rares grands moyens
d'information français à avoir publié une enquête fouillée sur Tariq Ramadan»,
répliquent les signataires de la tribune.
«Tout doit avoir le droit de se
dire, de s'écrire et de se représenter, et cela doit être dit et répété,
particulièrement pour Charlie Hebdo», affirment les signataires de
la tribune, en ajoutant: «Nous avons aussi le droit d'écrire que la Une de
Charlie de cette semaine est diffamatoire, et haineuse».
Les signataires dénoncent «une
campagne de délation, dont "l'argumentaire" défie la logique, la
justice, et la morale». «La campagne inique menée contre Mediapart et sa
rédaction est dangereuse: elle vise le symbole d'une presse libre, indépendante
des pouvoirs quels qu'ils soient, au service du droit de savoir des citoyennes
et des citoyens», poursuivent-ils.
Charlie Hebdo n'a pas
expliqué le sens de cette Une mais son journaliste Fabrice Nicolino a déclaré
jeudi sur Facebook qu'il répondrait «sur le fond» dans le prochain numéro
de Charlie Hebdo. Le journal satirique a notamment reçu le soutien
de Renaud Dély, directeur du journal Marianne, qui a expliqué dans
un édito que «Charlie peut tout se permettre».
Charlie Hebdo avait
déjà consacré la Une de son précédent numéro à Tariq Ramadan, représentant le
théologien le pantalon déformé par un énorme sexe en érection et proclamant:
«Je suis le 6e pilier de l'islam».
Le titre «VIOL, La défense de
Tariq Ramadan» accompagnait ce dessin, qui a valu à l'hebdomadaire des menaces
de mort. Le journal a porté plainte et une enquête a été ouverte.
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le préfet s'engage à mettre un terme aux prières de rue
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pour une "mise à l'abri" des migrants à Paris avant l'hiver
De Jérusalem à Moscou, comment la presse accueille le
nouveau Charlie (14.01.2015)
Par Pierre
Avril, Cyrille
Louis, Florentin
Collomp, Delphine
Minoui, Patrick
Saint-Paul,Nicolas
Barotte, Richard
Heuzé et Jean-Jacques
MévelMis à jour le 14/01/2015 à 15h02 | Publié le 14/01/2015 à 09h53
REVUE DE PRESSE - Le
Figaro a demandé à ses correspondants à travers le monde comment la
presse reçoit le nouveau numéro de l'hebdomadaire satirique.
Londres entre soutien et
volonté de ne pas heurter
Au Royaume-Uni, les réactions à
la publication de la dernière édition de Charlie Hebdo sont
tiraillées entre le soutien à la rédaction décimée et à la liberté d'expression
d'un côté et, de l'autre, la volonté de ne pas heurter la sensibilité de la
communauté musulmane. Le Muslim Council of Britain appelle, dans une lettre
signée par des dizaines d'imams, à la modération. «La plupart des musulmans
vont inévitablement être blessés, offensés et dérangés par la publication des
caricatures», estiment-il, tout en appelant à des réactions de «tolérance», de
«patience» et de «compassion». Certains journaux dont le Guardian, The
Independent et The Times ont imprimé une image de la
une de Charlie Hebdo, le Financial Times montre
prudemment une photo du dessinateur Luz tenant cette une, «pour sa valeur
d'information». Le prêcheur islamiste britannique Anjem Choudary qualifie la
caricature de Mahomet d' «acte de guerre punissable de la peine capitale dans
la loi de la charia» et menace de «représailles inévitables». Cela n'a pas
découragé Ila Aghera, propriétaire d'une maison de la presse de Charlton Kings,
un petit village de l'Ouest de l'Angleterre, de commander cent exemplaires du
nouveau Charlie. Elle croule sous les demandes de réservations de clients. Le
journal sera vendu au Royaume-Uni à partir de vendredi par certains
distributeurs. D'autres, dont WH Smiths, refusent de le distribuer.
La presse allemande salue «le
journal de la survie»
En Allemagne, 10.500 exemplaires
de Charlie Hebdo seront disponibles en français à partir de
samedi. Le journal satirique sera aussi disponible dans une traduction
allemande. Mais, comme en France, il devrait être rapidement épuisé. Mercredi
matin, beaucoup de journaux reproduisaient la une de Charlie Hebdo,
par exemple en pleine page de der pour Bild, le quotidien le plus
lu du pays.
Sur internet, Der
Spiegel parle du «journal de la survie» pour cette nouvelle édition
de Charlie Hebdo. Pour le quotidien économique, il s'agit plutôt
«du combattant». Pour Die Welt, le journal a fait valoir «son droit
au blasphème». Contrairement à d'autres médias en Europe, les journaux
allemands ont quasiment tous reproduits, depuis une semaine, les dessins de Charlie
Hebdoau nom de la défense de la liberté d'expression. Le Hamburger
Morgenpost, qui avait titré «autant de liberté doit pouvoir exister», a sans
douté été visé pour cette raison par une tentative d'incendie. Les
auteurs n'ont pas encore été arrêtés.
Dans le quotidien Süddeutsche
Zeitung, c'est en page intérieure qu'on trouve la reproduction de la une
figurant Mahomet en train de pleurer, sous le titre: «Le fossé». Le journal
s'intéresse à la fracture au sein des sociétés européennes entre une partie des
musulmans et la majorité de la population.
Charlie Hebdo publié
en français en Italie
En moins de deux heures,
l'édition spéciale du Fatto Quotidiano, l'unique journal italien
ayant choisi d'encarter Charlie Hebdo dans ses pages ce
mercredi, a été épuisée. Ce quotidien politique qui tire normalement à
120.000/130.000 exemplaires a doublé sa diffusion ordinaire pour offrir à ses
lecteurs le supplément de seize pages, en français, du journal dirigé désormais
par Gérard Biard. Précédé d'un avis: «Supplément obligatoire et gratuit».
«Quand nous avons appelé vendredi la rédaction de Paris, nous nous sommes
entendus répondre: un grand merci. Vous êtes le seul journal italien à nous
l'avoir demandé», explique le directeur du Fatto Quotidiano Antonio
Padellaro. Il ajoute: «Luz nous a dit qu'il avait pleuré en dessinant Mahomet
qui pleure. Alors nous aussi nous avons pleuré. Parce que nous sommes cinglés.
C'est pourquoi nous publions aujourd'hui Charlie Hebdo». L'encart
sera également publié dans les éditions de jeudi et de vendredi du quotidien.
Toujours gratuitement. L'édition spéciale est largement reprise et commentée
dans les autres quotidiens italiens, qui publient de nombreuses
caricatures. La Repubblica publie un commentaire sur «la
vocation minoritaire des caricaturistes devenus héros».
Ruée sur Charlie à
Bruxelles
20.000 exemplaires pour un pays
qui partage avec la France une langue, beaucoup d'émotions et un solide sens de
la dérision, c'est peu. En Belgique, l'édition historique de Charlie
Hebdo a disparu des kiosques à la première heure. Et même en Flandre,
les éditions web des journaux comme De Standaard traquent
l'arrivée promise de camions chargés de «plusieurs milliers» de copies
supplémentaires.
La Belgique devait recevoir
30.000 copies, mais il en manque 10.000 qui ne seront en vente que demain
jeudi. Les distributeurs privilégient Bruxelles et la région francophone de
Wallonie. Une seconde commande a été lancée pour 60.000 exemplaires de plus.
«Nous pourrions facilement en écouler 500.000 ou 600.000 et nous faisons
malheureusement beaucoup de déçus», dit Tom Vermersch, directeur d'AMP,
au Standaard, le grand quotidien flamand. Les ventes de journaux
français en Belgique ont triplé depuis les attentats de Paris et la presse
belge a augmenté son tirage de 30 %, d'après l'AMP.
La loi russe rappelée aux
rédactions
L'organisme de contrôle des
médias russes, Roskomnadzor, a demandé aux médias nationaux de s'abstenir de
publier des caricatures religieuses, afin de ne pas provoquer des «tensions
interreligieuses dans la société russe». «En lien avec la tragédie française,
Roskomnadzor a conduit un travail prophylactique avec les médias fédéraux et
nationaux. La loi russe qui interdit d'utiliser les médias aux fins d'activités
extrémistes a été rappelée aux rédactions» explique cet organisme qui appelle
ces derniers à «exprimer leur solidarité sous d'autres formes». Malgré ces
recommandations, la une de Charlie Hebdo était néanmoins
largement visible sur Internet. Le site Gazeta Ru a salué «le numéro des
survivants». En revanche, le quotidien Kommersant, considéré «de
référence», ne publie, mercredi, aucun article sur l'histoire du nouveau numéro
de Charlie Hebdo. Auparavant, dans la lointaine péninsule du
Kamchatka (extrême orient), la branche régionale de Roskomnadzor avait
distribué une lettre aux médias régionaux les enjoignant de ne pas «publier la
moindre caricature relative à une figure religieuse». Cette information a
provoqué une polémique au sein des rares médias libéraux.
Ce numéro de Charlie
Hebdo «perpétue l'attitude irrévérente pour laquelle il est connu»
selon la presse israélienne
Les journaux israéliens décrivent
par le menu, sans vraiment prendre position sur le fond, l'édition spéciale
de Charlie Hebdo parue ce mercredi. «Ce numéro perpétue
l'attitude irrévérente, et parfois offensante, pour laquelle le journal est
bien connu en France», relève le site d'information Ynet, qui s'attarde sur
quelques caricatures et détaille: «L'une montre une célèbre religieuse en train
de pratiquer une fellation, une autre représente un Musulman, un Chrétien et un
Juif qui se partagent le monde». Le quotidien Israel Hayom, proche
du premier ministre Benyamin
Nétanyahou, relève que la caricature de Mahomet publiée en première page a
aussitôt déclenché de vigoureuses condamnations dans plusieurs pays arabes.
«Les milieux islamistes ont prévenu que la diffusion du journal risque de
provoquer de nouveaux attentats», souligne le journal, qui a choisi de mettre
cette menace en exergue à sa une. Le site du quotidien de centre gauche Haaretz,
visiblement «bluffé», souligne pour sa part que le
numéro s'est arraché sitôt mis en kiosque, tout en s'inquiétant les
accusations de «racisme» formulées par un dignitaire religieux égyptien après
la diffusion de sa couverture.
En Égypte, le mufti craint que
le nouveau Charlie attise la haine
Au Caire, le grand mufti n'a pas
attendu la sortie du nouveau Charlie Hebdopour réagir. Dès mardi,
alors que la une du premier numéro post-attentat inondait déjà les réseaux
sociaux, Chaouki Allam s'est
élevé contre un «acte raciste qui va accentuer les tensions et la haine en
France et dans le monde». La semaine passée, cette personnalité influente
du monde arabo-musulman avait fermement condamné l'assassinat des dessinateurs
et collaborateurs de l'hebdomadaire satirique français. Une réaction partagée
par le pouvoir - le président Sissi a appelé en personne François Hollande - et
par une partie de la rue: quelques dizaines de personnes ont levé, dimanche,
leur stylo lors des marches du syndicat de la presse en hommage aux
journalistes assassinés et en soutien à la liberté d'expression. Mais en
Egypte, comme dans les autres pays du Proche-Orient, on ne badine pas avec le
Prophète. Nombreux sont les citoyens qui, à l'instar du mufti, voient dans
cette nouvelle caricature de Mahomet une forme de provocation inutile, comme
celles qui avaient enflammé la rue arabe en 2005. «Tuer des journalistes est
inacceptable. Je comprends la tristesse des Français. Mais insulter le
prophète, ça, je ne peux l'accepter. Chez nous, Mahomet, c'est sacré. On n'y touche
pas», estime Nadia, une institutrice.
Une nouvelle démonstration de
défiance, selon la presse officielle chinoise
Pékin,
qui n'a pas mâché ses critiques visant les «excès» de la liberté d'expression
en France après les attentats de la semaine passée à Paris, n'a pas encore
réagit officiellement au dernier numéro de Charlie Hebdo. Cependant,
des universitaires proches du gouvernement chinois dénoncent une nouvelle
provocation envers l'Islam, alors que le web de la République populaire est
partagé entre condamnation et hommage au courage de l'hebdomadaire satirique.
Le quotidien officiel, Global
Times, juge que la dernière couverture de Charlie Hebdo,
montrant le Prophète est «une nouvelle démonstration de défiance». Signalant
que le gouvernement n'a pas encore réagit officiellement, le journal cite Zhao
Lei, professeur de relations internationales à l'Ecole du Comité Central du
Parti Communiste Chinois, pour lequel l'édition post-attentat de Charlie
Hebdo démontre «un sens de supériorité profondément enraciné parmi les
nations européennes».
Sur Weibo, le Twitter chinois,
certains comme Maineimu saluent le «courage de Charlie Hebdo».
D'autres sont incrédules. Telle Rosiafrance, qui s'étonne: «Est-ce vrai que
tout est pardonné?». «Cela montre que Charlie a reculé.
L'esprit de Charlie est déjà mort», estime encore François
Shushu (Oncle François). D'autres, comme Zhang Jiteng, dénoncent une nouvelle
provocation. «Je ne comprends pas le sens de la couverture du nouveau Charlie
Hebdo : le Prophète est-il du même côté que Charlie? Ce
comportement va irriter les terroristes et les inciter à des actes encore plus
fous», juge-t-il.
L'ensemble des médias chinois a
condamné les attentats qui ont fait 17 morts en France. Cependant, nombre de
médias officiels ont aussi critiqué les dérives de la liberté d'expression.
Ainsi, l'agence officielle Chine nouvelle a jugé lundi que le massacre de la
rédaction de Charlie Hebdo «ne devrait pas être réduit à une
attaque contre la liberté d'expression, car la liberté elle-même a ses
limites». Le Global Times a quant à lui dénoncé la montée du
«choc des civilisations» en France.
La presse chinoise est
strictement contrôlée par les autorités communistes, qui ont récemment
emprisonné des dizaines de journalistes, avocats, universitaires ou
internautes, muselant toute voix critique dans un mouvement sans précédent
depuis des années. Jeudi soir, les forces de police ont perturbé un hommage, à
Pékin, du Club des correspondants étrangers en Chine (FCCC), aux caricaturistes
de presse assassinés en France.
VIDÉO - Le journal turc Cumhuriyet publie
quatre pages de Charlie Hebdo.
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Politiques, journalistes, intellos: enquête sur les agents
d'influence de l'islam (06.10.2017)
ENQUÊTE - Intellectuels,
responsables politiques ou acteurs associatifs, ils investissent l'espace
médiatique. A leurs yeux, le musulman incarne la nouvelle figure de l'opprimé
et il importe de le défendre contre l'homme blanc, qu'ils accusent de toutes
les fautes.
Peu importe l'origine, la
religion, la couleur de peau ou le sexe. L'islamosphère est un club dont les
membres se cooptent selon un seul critère: la lutte contre l'oppresseur, à
savoir l'homme blanc ou, à l'occasion, la femme blanche de plus de 50 ans,
et leurs complices arabes. Ils honnissent Alain Finkielkraut, dont ils
dénoncent régulièrement l'«hystérie» contre l'islam, Elisabeth Badinter, qui a
le culot de «ne pas craindre d'être traitée d'islamophobe», et peut-être plus
encore Kamel Daoud, coupable entre autres méfaits d'avoir dénoncé «la misère
sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme» après les
agressions de la nuit du Nouvel An à Cologne, en 2016.
L'islamosphère étend son
influence dans le monde intellectuel, politique, dans les médias et les réseaux
associatifs. Elle a ses rendez-vous annuels, comme les Y'a bon Awards. Sous
couvert de «distinguer» les auteurs de propos racistes, cette cérémonie s'est
muée en tribunal médiatico-mondain de l' «islamophobie». Le «camp
d'été anticolonial» est également très prisé, même s'il est «réservé
uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d'Etat en
contexte français», autrement dit, s'il est interdit aux Blancs.
Le noyau dur
Les membres de l'islamosphère
entretiennent des liens à géométrie variable avec les organisations musulmanes
de France, elles-mêmes travaillées par la montée du fondamentalisme. Ces
associations, censées organiser le culte et représenter une «communauté» en
plein essor évaluée entre 4 et 7 millions de personnes, étaient à
l'origine regroupées par nationalités. C'était ce que l'on appelait «l'islam
consulaire», avec quatre organisations principales: la Fédération nationale de
la Grande Mosquée de Paris, proche de l'Algérie ; la Fédération nationale
des musulmans de France et sa branche dissidente, le Rassemblement des
musulmans de France, soutenus par le Maroc ; le Comité de coordination des
musulmans turcs de France, sous l'influence d'Ankara.
Ce quadrillage historique a
progressivement perdu de son emprise, notamment du fait de la poussée de trois
formes de fondamentalisme. Le plus ancien est celui des pays du Golfe comme
l'Arabie saoudite, qui diffuse
le wahhabisme, idéologie religieuse ultrarigoriste, et finance la
construction de mosquées, comme celles de Strasbourg, Saint-Denis et Cergy.
Plus récemment, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) -
rebaptisée Musulmans de France (MDF) en avril dernier - s'est imposée comme un
acteur majeur. Fondée en 1983 par des étudiants tunisiens dans la mouvance des
Frères musulmans - une organisation d'origine égyptienne prônant l'instauration
d'une société islamique régie par la charia -, l'UOIF est très active sur le
terrain social. Son président actuel, Amar
Lasfar, recteur de la mosquée de Lille-Sud, appelle officiellement au
respect des valeurs de la République. «Mais grâce à l'UOIF, les Frères
musulmans ont réussi leur implantation ici, notamment avec des visées communautaristes,
comme l'ouverture d'écoles privées musulmanes», estime Mohamed Louizi, un
ancien cadre de cette organisation, auteur du livre Pourquoi j'ai
quitté les Frères musulmans (Michalon). Enfin, la mouvance salafiste,
très minoritaire mais la plus radicale, s'est implantée sur le territoire de
manière plus souterraine, sans organisation fédératrice. Selon le ministère de
l'Intérieur, elle contrôle au moins 120 lieux de culte sur les 2500 que compte
le pays.
LE CCIF
Entre l'islam cultuel et l'islam
«citoyen», il existe des passerelles, au premier rang desquelles le
Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), créé en 2003. Le CCIF,
qui revendique 14.000 membres, continue son combat fondateur contre la loi de
2004, qui proscrit le port des signes religieux ostentatoires à l'école. Il
dénonce aussi celle de 2010, qui a notamment interdit le voile intégral dans la
rue, ou encore la loi El Khomri de 2016, qui permet aux employeurs d'imposer
une «neutralité idéologique et religieuse» à leurs salariés. Pour le CCIF, ces
textes sont des «permis de discriminer».
Depuis les attentats du 13 novembre 2015,
le CCIF dénonce la montée d'une « islamophobie sécuritaire ».
Centré sur la lutte contre les
«actes islamophobes», le CCIF les recense à sa manière. Aux agressions et
menaces déjà dénombrées par le ministère de l'Intérieur, le CCIF y ajoute des
discriminations et cas n'ayant pas forcément fait l'objet de plaintes. «Le CCIF
a une conception très large de l'islamophobie», analyse l'historien du droit
Jean-Christophe Moreau, coauteur du livre Islamophobie, la contre-enquête
(Plein Jour). Selon lui, le CCIF inventorie des actes selon des critères qui
dénotent «un délire de persécution, voire une complaisance à l'égard de l'islam
radical», tels que des expulsions d'imams controversés ou des fermetures de
mosquées proches de la mouvance salafiste. Depuis les attentats du
13 novembre 2015, le CCIF dénonce la montée d'une «islamophobie
sécuritaire».
Très actif sur les réseaux
sociaux avec ses 350.000 soutiens, le CCIF n'a aucun lien officiel avec les
organisations musulmanes cultuelles, dont il a longtemps critiqué la relative
passivité. Mais ses dirigeants sont régulièrement invités au rassemblement
annuel de l'UOIF au Bourget, tandis que l'islamologue suisse Tariq Ramadan,
petit-fils du fondateur des Frères musulmans en Egypte, participe à des galas
de levée de fonds pour le CCIF.
- Crédits photo : Le Figaro
Magazine
LES INTELLECTUELS
Tariq Ramadan présente bien, ce
qui lui a valu d'être omniprésent dans les médias jusqu'à ses déclarations en
faveur d'un «moratoire» sur la lapidation des femmes adultères. S'il est - un
peu - moins souvent invité, ses
ouvrages font toujours recette, notamment au salon de l'UOIF au Bourget.
Récemment, il s'y est illustré en déclarant à propos de Mohamed Merah, auteur
des tueries de Toulouse et de Montauban, que «ce pauvre garçon» était, certes,
«coupable et à condamner», mais qu'il fut lui-même «la victime d'un ordre
social qui l'avait déjà condamné, lui et des millions d'autres, à la
marginalité, à la non-reconnaissance de son statut de citoyen à égalité de
droit et de chance». «Mohamed, au nom si caractérisé, fut un citoyen français
issu de l'immigration avant de devenir un terroriste d'origine immigrée. Son
destin fut très tôt enchaîné à la perception que l'on avait de ses origines», a
affirmé Tariq Ramadan devant un public acquis à ses thèses.
Des monuments de l'intelligentsia
française, Edgar Morin en tête, fréquentent volontiers l'islamologue.
Le sociologue vient même de
publier aux Editions Don Quichotte L'Urgence et l'Essentiel, un
dialogue avec Tariq Ramadan. Edgar Morin a très tôt introduit dans le débat
public l'idée que les musulmans étaient les nouveaux damnés de la terre.
Accusant Alain Finkielkraut de «penser que les musulmans sont inassimilables»,
le sociologue conteste toute recrudescence de l'antisémitisme. Selon lui, ce
terme est brandi pour fournir à Israël des justifications à sa politique. Une
thèse proche de celle défendue par Pascal Boniface. Fondateur et directeur de
l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), il a essayé en
vain au début des années 2000 d'infléchir la position du PS, qu'il estimait
«trop pro-israélienne». Plus récemment, il a jugé que l'impact du terrorisme
islamiste était «sans commune mesure avec le nombre de morts qu'il peut
susciter». «Ne tombe-t-on pas dans le piège des terroristes en leur donnant
tant d'importance?» s'est-il interrogé.
Emmanuel Todd est encore plus
catégorique. Le sociologue a écrit dans Qui est Charlie? (Seuil),
son livre sur les manifestations qui ont suivi les attentats de 2015: «La
focalisation sur l'islam révèle en réalité un besoin pathologique des couches
moyennes et supérieures de détester quelque chose ou quelqu'un, et non pas
simplement la peur d'une menace montant des bas-fonds de la société, même si le
nombre des départs de jeunes djihadistes vers la Syrie ou l'Irak mérite aussi
une analyse sociologique.» Selon lui, «la xénophobie, hier réservée aux milieux
populaires, migre vers le haut de la structure sociale. Les classes moyennes et
supérieures cherchent leur bouc émissaire.» «On est dans une blessure
narcissique, la nostalgie d'une Europe dominante. (…) La laïcité est devenue un
instrument de guerre contre ceux qui mettraient en péril notre culture», estime
en écho Raphaël Liogier, un autre sociologue, tandis que l'historien Jean
Baubérot précise l'accusation: «Pour l'extrême droite, une partie de la droite,
et même pour certaines personnes à gauche, la défense de la laïcité est devenue
un moyen de stigmatiser les musulmans.»
La lutte contre l'«islamophobie»
peut aussi passer par la recherche de justifications sociales à la délinquance,
et dans ce registre, la jeune génération n'est pas en reste. Geoffroy de
Lagasnerie, sociologue et philosophe né en 1981, s'est fait remarquer en
écrivant le 14 septembre dans Libérationune tribune «En défense des accusés du quai de Valmy». Ces
individus sont passés en correctionnelle pour avoir incendié une voiture de
police avec ses occupants dans le cadre d'une manifestation du collectif
Urgence notre police assassine. «Réagir de manière politiquement juste à ce qui
s'est passé le 18 mai 2016 devrait consister à affronter ces questions et
à en tirer les leçons, pas à s'indigner, ou à distribuer quelques années de
prison à des militants qui n'ont au fond fait qu' exprimer par leurs actes une
inquiétude et une colère collective», préconise le sociologue-philosophe.
- Crédits photo : Le Figaro
Magazine
LES RELAIS MÉDIATIQUES
«Les islamo-gauchistes sont
certes une minorité, remarque la philosophe Elisabeth Badinter, mais influente
et largement relayée par des grands médias et journalistes de gauche qui, par
là même, se coupent du pays réel.» Mediapart et Libération ouvrent
régulièrement leurs colonnes à des associations qui gravitent autour de
l'islamosphère, ou hébergent des blogueurs qui en font partie. Edwy Plenel,
cofondateur de Mediapart,
estime qu'«aujourd'hui, l'islam
est devenu le bouc émissaire principal dans les discours intellectuels,
politiques et médiatiques». En 2015, il a écrit un essai intitulé Pour les
musulmans (La Découverte). «Pour les musulmans n'est pas un message de
compassion pour des victimes, explique-t-il. C'est un livre d'égal à égal, pour
dire aux musulmans qu'ils doivent revendiquer le droit d'être français et
musulmans.» Pour Nasser Ramdane Ferradj, fondateur du Collectif des musulmans
progressistes et laïques, Edwy Plenel «a façonné une jeune génération de
journalistes en imprimant sur celle-ci l'idée que toutes les critiques de
l'islam et des extrémistes de notre religion sont des attaques racistes contre
tous les musulmans». «Il épouse la stratégie de l'islam politique jusqu'à en
devenir une pièce maîtresse pour son enracinement en France», accuse cet ancien
vice-président de SOS Racisme.
Entre autres combats, le patron
de Mediapart défend le voile islamique au nom d'une fidélité à une «laïcité
originelle» qu'il oppose au «laïcisme», «cheval de Troie des discriminations».
La question du voile a suscité la naissance d'une étrange conception du
féminisme, qui considère son port comme une «liberté». Les figures de proue de
ce mouvement sont Rokhaya Diallo, qui se définit elle-même comme «une féministe
intersectionnelle et décoloniale», Sihame Assbague, ancienne porte-parole de
Stop le contrôle au faciès et coorganisatrice du fameux «camp d'été anticolonial»
interdit aux Blancs, ou encore Caroline de Haas. L' ex-directrice de campagne
de l'écolo Cécile Duflot à la présidentielle a traité de «merde raciste» tous
ceux qui ont eu le malheur de lier les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 à
Cologne à la présence de migrants en Allemagne. Sur le même sujet, la députée
France insoumise Clémentine Autain avait tweeté: «Entre avril et
septembre 1945, deux millions d'Allemandes violées par des soldats. La
faute à l'islam?»
Comme Mediapart, Libération manifeste
de la bienveillance vis-à-vis de ce nouveau «féminisme». L'association Lallab,
qui se définit comme «areligieuse, aconfessionnelle et apartisane», se fixe
pour objectif de «lutter contre les préjugés sur les femmes musulmanes».
Préjugés dont l'association assure qu'ils s'exercent particulièrement à
l'encontre des femmes voilées. Lallab a voulu étoffer son équipe en y intégrant
des volontaires du service civique, ce qui a suscité une levée de boucliers
d'associations de défense de la laïcité comme le Printemps républicain. La
décision de confier des volontaires à Lallab a, du coup, été suspendue, ce qui
a provoqué la fureur de l'islamosphère. Libération a accueilli une tribune
de soutien à l'association qui dénonce chez les adversaires de Lallab «une
intolérance, voire une paranoïa, qui s'exerce à l'égard d'une seule religion:
l'islam». Parmi les signataires de cette pétition, l'ex-candidat du PS à la
présidentielle Benoît Hamon, l'écologiste Julien Bayou, porte-parole d'EELV,
Pascal Boniface, Rokhaya Diallo, ou encore l'historienne Mathilde Larrère.
Cette dernière, très présente sur les réseaux sociaux, avait déjà violemment
reproché à Nicolas Sarkozy d'avoir déclaré en 2016: «Quelle que soit la
nationalité de vos parents, jeunes Français, à un moment où vous devenez
français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c'est Vercingétorix.» «Chercher
ce type d'origines fantasmées à la nation française a un sens historique»,
avait tempêté l'experte, tweetant dans un langage beaucoup moins châtié à
propos de la formule de l'ex-président: «Tu crois avoir touché le fond et non
le mec il creuse encore… C'est affligeant et très inquiétant.»
Libération s'est
également illustré en publiant au lendemain des attentats de novembre 2015
une tribune intitulée «Nous sommes unis», signée par des responsables syndicaux
ou religieux, mais surtout des dirigeants du CCIF et des militants réputés
proches des Frères musulmans. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de
la laïcité, l'a également signée. Cette publication a sonné le début de
l'affrontement public entre Jean-Louis Bianco et Manuel Valls, alors Premier
ministre, sous l'autorité duquel l'Observatoire de la laïcité est placé.
Jean-Louis Bianco, qui s'inquiète davantage de la montée d'une éventuelle
intolérance contre l'islam que des infractions à la laïcité commises par les
tenants de l'islam politique, est contesté pour sa conception de la laïcité au
sein même de l'organisme, dont plusieurs membres ont démissionné.
Au Bondy Blog, l'islamosphère
n'est pas seulement bienvenue : elle est chez elle.
Au Bondy
Blog, l'islamosphère n'est pas seulement bienvenue: elle est chez elle.
Média en ligne créé en 2005 pendant les émeutes en banlieue pour faire parler
des jeunes présentés comme privés de parole dans les médias officiels, le Bondy
Blog a multiplié les dérives. Il a notamment accueilli de nombreux articles du blogueur
Mehdi Meklat, auteur de tweets racistes, antisémites, homophobes et misogynes.
«Fallait lui casser les jambes à ce fils de pute», a tweeté Meklat, sous le
pseudonyme de Marcelin Deschamps, après qu'Alain
Finkielkraut s'est fait insulter pour avoir voulu voir Nuit debout place de la
République. Meklat n'est plus le bienvenu au Bondy Blog, de même qu'un
autre de ses contributeurs, Badroudine Saïd Abdallah, qui avait notamment
tweeté: «Sans les Arabes nous n'aurions pas eu Mohamed Merah et Smaïn. RIP à
eux.» Plus récemment, le Bondy Blog a mené ce qu'il a appelé une
«contre-enquête» dans le bar-PMU de Sevran, en Seine-Saint-Denis, où France 2
avait filmé en décembre 2016 des réactions hostiles à la présence des
femmes.
- Crédits photo : Le Figaro
Magazine
LES POLITIQUES
En campagne pour la primaire
«citoyenne» de la gauche, Benoît Hamon avait lui aussi critiqué ce reportage de
France 2, où des hommes dont les visages n'étaient pas montrés expliquaient que
les femmes n'avaient pas à se rendre dans les cafés. «Dans ce café, il n'y a
pas de mixité, expliquait l'un d'eux. On est à Sevran, on n'est pas à Paris.»
«C'est des mentalités différentes. C'est comme au bled!» ajoutait un autre.
Dans un premier temps, Benoît Hamon avait cherché des justifications sociales
plutôt que religieuses à cette misogynie, en assurant: «Historiquement, dans
les cafés ouvriers, il n'y avait pas de femmes.» Puis il avait reconnu une
«maladresse» et précisé: «Ce que je voulais dire, c'est que le sexisme n'est
pas l'apanage des musulmans.»
Comme le souligne l'essayiste
Caroline Fourest, Benoît Hamon a beaucoup varié dans ses positions sur
l'islamisme. Ils ont mené ensemble une campagne de soutien à Ayaan Hirsi Ali,
menacée de mort pour avoir écrit le court-métrage Soumission lorsqu'elle était
députée néerlandaise. Son réalisateur Theo Van Gogh a été assassiné par un
djihadiste néerlandais d'origine marocaine.
Mais pendant la campagne de la
primaire, l'ancien ministre de l'Education avait choisi comme porte-parole
Alexis Bachelay, l'un des rares élus à avoir participé à un dîner de gala
annuel du CCIF. En janvier 2016, alors député PS des Hauts-de-Seine, il
n'a pas hésité à inviter Yasser Louati, un porte-parole de l'association, à
s'exprimer à Gennevilliers à la tribune d'une réunion publique consacrée à «la
France face au terrorisme». Proche de Pascal Boniface, qu'il a invité à son
lancement de campagne, Benoît Hamon entretient des relations cordiales avec
certains membres de l'islamosphère. En 2011, il s'est même rendu à la soirée
annuelle des Y'a bon Awards.
Le parti créé par Emmanuel Macron
pendant la campagne n'est pas exempt, lui non plus, d'affinités sulfureuses. Il
a fallu que la presse s'empare du cas de Mohamed Saou, référent d'En Marche!
dans le Val-d'Oise, pour que le candidat se résolve à mettre «en réserve» de
ses fonctions cet adepte du «Je ne suis pas Charlie». Jusqu'à une période
récente, La République en marche comptait aussi dans ses rangs à l'Assemblée
nationale un soutien dévoué du CCIF: M'jid El Guerrab. Connu pour avoir agressé
à coups de casque de moto un cadre du PS en août dernier, il avait signé en 2015
une lettre ouverte au premier secrétaire de l'époque, Jean-Christophe
Cambadélis, pour défendre la présence de Corinne Narassiguin au dîner de gala
du CCIF en tant que porte-parole du PS. M'jid El Guerrab a démissionné de LREM
après avoir été mis en examen pour «violences volontaires avec arme», mais est
toujours député.
La France insoumise de Jean-Luc
Mélenchon pratique la collusion avec l'islamosphère à bien plus grande
échelle. La
députée de Paris Danièle Obono, l'une de ses élues les plus emblématiques,
s'exprime sur le sujet tous les jours ou presque. La semaine dernière encore,
elle a déclaré sur BFMTV: «Un agent de la RATP qui refuse de conduire un bus
après une femme, est-ce que c'est le signe d'une radicalisation? Non, c'est le
signe d'un préjugé contre les femmes». Jean-Luc Mélenchon, qui se targue
toujours d'être un républicain, la défend systématiquement. Son argument ultime
contre tous ceux qui s'inquiètent de la montée de l'islam politique:
«Foutez-nous la paix avec les religions!»
A la gauche de la gauche, les
ralliements aux thèses en vogue dans l'islamosphère sont légion. Le Nouveau
Parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot et de Philippe Poutou y adhère
en bloc, en pratiquant lui aussi l'«intersectionnalité» des luttes, par exemple
pour le voile islamique - une candidate voilée avait porté les couleurs du NPA
aux régionales en 2010 - et contre les violences commises par des policiers,
que Philippe Poutou a proposé de désarmer. En mars 2015, à Saint-Denis, le
NPA a tenu avec des associations musulmanes et des représentants du PCF et
d'Attac, mouvement altermondialiste, un «meeting contre l'islamophobie et le
climat de guerre sécuritaire». Le Parti des Indigènes de la République (PIR) y
participait également. Ce groupuscule est surtout connu grâce à Houria
Bouteldja, sa porte-parole, qui accuse l'Etat français d'être néocolonialiste,
raciste et islamophobe. En novembre 2011, elle a cosigné un manifeste
dénonçant le soutien exprimé à Charlie Hebdo après l'incendie
de ses locaux.
Le PIR n'a aucune implantation
locale et son influence est dérisoire, comparée à celle de la myriade
d'associations islamistes qui, sous couvert d'action sociale, quadrille la
France. Le député du Val-d'Oise, que l'interdiction du cumul des mandats a
contraint à quitter cette année son fauteuil de maire de Sarcelles, affirme que
des «réseaux salafistes» ont tenté d'infiltrer plusieurs villes du département.
«Ça a commencé par du soutien scolaire dans une maison de quartier, puis dans
une MJC, puis ils ont présenté des candidats aux élections de délégués de
parents d'élèves», énumère-t-il. Finalement, au second tour des législatives,
François Pupponi a dû affronter Samy Debah, fondateur du CCIF, qui s'est
présenté comme candidat «indépendant». Qu'il a battu largement, bien que selon
lui, la candidate de La France insoumise ait appelé à voter «contre Pupponi».
«Ce qu'on appelle l'“islamo-gauchisme”, je l'ai vécu en direct», soupire le
député socialiste. Il ne sera sans doute pas le dernier à faire cette
expérience.
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Dans un quartier difficile de Reims, le miracle du CP
dédoublé (16.11.2017)
REPORTAGE - À l'école
Mougne-Tixier, la mesure éducative phare d'Emmanuel Macron fait consensus.
«Je mets cinq cubes dans ma boîte
magique et j'en retire trois. Combien m'en reste-t-il?» Exercice classique en
classe de CP pour appréhender la soustraction, déjà abordée en maternelle. À
ceci près que la classe de Frédérique Bolot compte seulement onze élèves. Et
que les différents résultats trouvés, presque aussi nombreux, à 6 ans, que
le nombre d'élèves, sont affichés au tableau, puis disséqués, un par un. 53
ou 7. Des résultats à première vue farfelus qui, si l'on prend le temps de
s'y intéresser, répondent à de vraies logiques.
«Tout est plus simple, plus
serein. Et moi, je suis plus posée»
La maîtresse de la classe
dédoublée de CP à l'école Mougne-Tixier de Reims
Petite brune fluette toute vêtue
de rose, Sondos a trouvé le bon résultat. Aujourd'hui, elle est même capable de
l'expliquer. Scolarisée depuis la mi-septembre à l'école Mougne-Tixier de Reims
(Marne), classée en éducation prioritaire renforcée (REP+), cette petite Syrienne,
arrivée en France depuis peu avec sa famille, n'a pas de difficultés avec le
langage, universel, des mathématiques. Le petit effectif de ce CP lui permet de
ne pas être perdue dans l'apprentissage de la lecture. Au même titre que deux
autres enfants de la classe, qui sont en difficulté. «Chaque élève a son temps
de parole», explique la maîtresse, qui, dans un exercice autour des sons, les
fait passer deux par deux au tableau pour représenter une syllabe. «Tout est
plus simple, plus serein. Et moi, je suis plus posée», conclut-elle.
Luxe inespéré ou véritable
nécessité? Depuis la rentrée 2017, conformément aux promesses de campagne
présidentielle d'Emmanuel Macron, les CP de REP+, où se concentrent les
difficultés scolaires, ont été dédoublés (soit 8 % des effectifs de CP). Ces
classes à douze devraient concerner, d'ici la fin du quinquennat, tous
les CP et CE1 de l'éducation prioritaire (REP et REP+). Mesure éducative phare
du président Macron, ces classes réduites doivent mener à «100% de réussite»,
selon la formule répétée par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation.
« Reims est devenu, au fil des
années, une annexe du 93»
Un membre d'un syndicat
d'enseignants local
À l'école Mougne-Tixier, les deux
CP à 20 élèves ont ainsi cédé la place à trois CP réduits. Dans cette
grosse structure de 164 élèves, les effectifs fluctuent tout au long de
l'année, en raison de l'important turnover de familles souvent en attente de
logement. Il y a trois ans encore, cette école du quartier des Châtillons, qui
alterne pavillons et grands ensembles de logements de 17 étages de la tour
des Argonautes, n'était pas classée en Éducation prioritaire. Mais la situation
évolue. Quartier défavorisé de Reims, marqué par les difficultés d'emploi, les
Châtillons n'ont pas la réputation d'insécurité du quartier Croix-Rouge, où
résida Saïd Kouachi, l'un des auteurs de l'attentat contre Charlie
Hebdo. Il n'empêche qu'en avril 2016 un incendie sans doute volontaire,
selon la police, a dévasté une partie de l'école maternelle Mougne-Tixier.
L'école élémentaire a alors accueilli les 150 écoliers. À 150 km de Paris,
«Reims est devenu, au fil des années, une annexe du 93», résume un syndicat
d'enseignants local. En ce froid mois de novembre, peu de monde dans les rues
de ce quartier encore verdoyant, à dix minutes en voiture du centre-ville de
Reims et de sa cathédrale.
Dans la salle de classe de
Frédérique Bolot, l'extraverti Narek lève sans cesse le doigt, Timeo, l'agité,
est régulièrement repris par la maîtresse, et la timide Zeynep sait déjà
écrire, en toute discrétion, les soustractions. Avec elle, la maîtresse a mis
en place un suivi particulier pour la stimuler. Avec cet effectif réduit, dans
une ambiance presque familiale, Frédérique Bolot a pu mettre en place une
pédagogie réellement différenciée. Elle est installée sur une table, au même
niveau que ses élèves. Pas de temps mort, pas de brouhaha. Le passage entre
deux séquences est fluide. «Les élèves sont autonomes plus rapidement»,
explique-t-elle.
En France, comme ailleurs, on
apprend mieux lorsqu'on est moins nombreux
Et s'il y avait une critique à ce
dispositif, elle serait liée au manque d'émulation, parfois, dans le petit
groupe. Un point qui ne fait pas le poids face aux aspects forcément positifs.
En France, comme ailleurs, on apprend mieux lorsqu'on est moins nombreux. Un
point sur lequel l'Hexagone, avec 19 élèves par enseignant, a encore des
progrès à faire dans l'OCDE, où la moyenne se situe à 15.
Dans l'école Mougne-Tixier,
l'espace ne manque pas. Les tables vides, au fond de la classe, peuvent servir
au tutorat. Dans cette école, il n'y a pas eu besoin de cloisons montées dans
l'urgence, comme on a pu le voir en Île-de-France, pour mettre en place coûte
que coûte la mesure Macron. Contraintes
budgétaires obligent, elle n'a pas réellement fait l'objet de moyens
spécifiques. Le gouvernement a dû ponctionner des postes au dispositif «Plus de
maîtres que de classes» (une co-intervention de deux enseignants dans une même
classe), imaginé sous le quinquennat précédent. À la rentrée prochaine, le
dédoublement des classes devrait être étendu. Sans que le budget de l'Éducation
nationale ait prévu de créations de postes. «Dans une académie comme Reims, le
risque est de déshabiller les zones rurales des départements de la Haute-Marne
et des Ardennes», avertit le SE-Unsa, qui pointe les inégalités qui pourraient
alors en découler.
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Les agressions contre les sapeurs-pompiers en hausse
(15.11.2017)
En 2016, 2.280 sapeurs-pompiers ont
déclaré avoir été victimes d'une agression physique en intervention. Un chiffre
en hausse de 17,6 % par rapport à 2015.
Le métier de sapeur-pompier est
de plus en plus risqué. Volontaires et professionnels ont déclaré avoir subi
2.280 agressions au cours de l'année 2016, selon une note de l'Observatoire
national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publiée ce
mercredi. Un
chiffre en hausse de 17,6 % en un an. Ces agressions ont
occasionné 1.613 journées d'arrêt de travail (+ 36,1% par rapport à 2015).
414 véhicules ont été endommagés, ce qui représente un préjudice financier de
283.442 euros. Ces chiffres «fournissent une tendance, précise Vincent
Delbecque, adjoint au chef de l'ONDRP. Les données sont recueillies par un
dispositif de signalement. Il n'y a pas d'obligation à déclarer les faits.»
«Nous sommes devenus des cibles,
comme les policiers, déplore André Goretti, président de la Fédération autonome des
sapeurs-pompiers. La prise de risque est une part du métier. Mais porter
secours et se faire agresser, c'est inconcevable. Le gouvernement doit prendre
des mesures pour stopper ces actes inadmissibles.»
La région la plus touchée est la
Nouvelle-Aquitaine, avec 406 agressions en 2016, contre 132 l'année précédente.
Pourtant, c'est aussi celle où le taux de plaintes est le plus faible, autour
de 6,9 %. À l'échelle nationale, moins de deux tiers des pompiers ont
porté plainte (58,6 % d'entre eux).
Le lieutenant-colonel Fabrice
Tailhardat, patron des pompiers de Haute-Saône, encourage pourtant à le faire:
«En portant plainte, on souhaite principalement que l'agresseur prenne
conscience de ses actes. L'aspect financier doit également être pris en compte.
Cette semaine, une personne alcoolisée a donné une douzaine de coups à
l'ambulance et l'a endommagée.» Or, pour faire jouer les assurances, une plainte
est nécessaire.
«Les agressions verbales,
c'est tous les jours»
La note de l'ONDRP ne
comptabilise que les violences physiques. «Les agressions verbales, c'est tous
les jours. C'est devenu habituel», affirme André Goretti. Certaines agressions
marquent psychologiquement les sapeurs-pompiers. Les volontaires, qui
représentent 40,5 % de l'ensemble, sont les plus vulnérables. «Un
psychologue est disponible pour tout le département.
Dans les cas les plus graves, on
fait appel à lui, explique Fabrice Tailhardat. Mais quand les pompiers
subissent des violences de la part de personnes alcoolisées par exemple,
certains pompiers rentrent à la caserne et passent à autre chose. Il y a un
phénomène de banalisation.» En Haute-Saône, à partir de 22 heures, en cas de violences
urbaines avérées (comme des incendies de voitures ou de poubelles), les
pompiers attendent l'arrivée de la police pour intervenir.
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Paris
Le terminal de Rafah, ce goulet qui étrangle les Palestiniens
(15.11.2017)
REPORTAGE - Unique porte de
sortie pour les Palestiniens de Gaza souhaitant se rendre à l'étranger, le
passage de Rafah reste clos malgré les promesses de réouverture nées de
l'accord de réconciliation entre factions palestiniennes. Plus de 25.000
candidats au voyage sont contraints de patienter.
De notre envoyé spécial à Gaza
Le supplice enduré par Alaf
al-Saafini n'est pas sans rappeler celui de Tantale. Depuis qu'elle a décroché
en 2015 son diplôme de médecin à l'université islamique de Gaza, l'élégante
jeune femme a plusieurs fois cru que le sort lui tendait la main. Il y eut
d'abord cette bourse inespérée pour aller poursuivre ses études à l'hôpital
universitaire de la Charité, en Allemagne, à laquelle elle dut renoncer faute
de pouvoir s'extirper de l'enclave palestinienne. Puis, au printemps dernier,
cette offre d'emploi à Dubaï. Visa en poche, elle prépara ses valises, déboursa
les 1 700 dollars requis pour valider sa formation et inscrivit son
nom sur la longue liste de ceux qui entendent gagner l'Égypte par le terminal
de Rafah. Mais une fois encore, le siège hermétique imposé à la bande de Gaza
contraria ses plans. «Après plusieurs mois d'attente, on m'a appelée le samedi
14 octobre pour m'informer que je pourrais passer le lendemain», se
souvient la jeune femme, qui sortit alors faire d'ultimes emplettes avant le
grand voyage. «Comme je pénétrais dans un magasin, poursuit-elle, les gens
autour de moi se sont mis à parler d'un attentat qui venait d'être commis dans
le Sinaï. On a appris dans la foulée que l'Égypte avait décidé de reporter
l'ouverture du point de passage. À bientôt 30 ans, j'ai vu ce jour-là mes
espoirs partir en fumée…»
Prisonniers dans l'enclave
Pris au piège d'un territoire
sous blocus depuis une décennie, quelque 26 000 Palestiniens enregistrés
auprès des autorités attendent, sans trop oser y croire, la réouverture du
terminal de Rafah. L'Autorité présidée par Mahmoud Abbas, qui en a récemment
repris le contrôle dans le cadre d'un
accord de réconciliation avec le Hamas, a promis un retour rapide à la
normale. Ses fonctionnaires se sont déployés au point de passage et la date du
1er novembre a un temps été évoquée, puis celle du 15 - avant qu'un
nouveau report soit annoncé à quelques heures de l'échéance. «La réouverture interviendra
en fonction des conditions de sécurité dans le Sinaï», ont de leur côté précisé
les autorités égyptiennes. Confrontés à une
violente insurrection djihadiste dans cette péninsule désertique, les
services de renseignements du président Abdel Fattah al-Sissi ne veulent
surtout pas voir la frontière avec Gaza se muer en passoire à travers laquelle
les militants de l'État islamique pourraient circuler librement. Et ils ne sont
peut-être pas prêts à se priver totalement de l'efficace moyen de pression, à
la fois sur le Hamas et sur l'Autorité palestinienne, que constitue la maîtrise
du terminal.
« La réouverture interviendra
en fonction des conditions de sécurité dans le Sinaï »
La position des autorités
égyptiennes
Depuis le début 2017, Rafah n'a
ouvert que 14 jours et seuls 2624 voyageurs ont été autorisés à quitter Gaza.
«Les politiciens continuent de nous faire miroiter des promesses, mais nous
avons de plus en plus de mal à y croire», soupire Mona el-Banna, 23 ans, qui
cherche depuis janvier dernier à rejoindre son mari parti étudier en Turquie.
Pour elle comme pour l'immense majorité des habitants de l'enclave, il est à
peu près impossible d'obtenir un permis de transiter par Israël si bien que l'Égypte
fait figure d'unique porte de sortie. «Si j'avais pensé un instant que je
risquais de me trouver bloquer ainsi, jamais je n'aurais choisi de revenir
faire mon internat à l'hôpital Shifa», grimace Wala Faez, une Palestinienne de
26 ans qui a fait ses études de médecine au Caire et s'efforce en vain,
depuis cinq mois, d'y retourner pour entamer sa spécialisation en gynécologie.
Abeer Aarouk, 47 ans, se
cramponne au mince espoir soulevé par le retour de l'Autorité palestinienne.
Piégée à Gaza depuis avril dernier, elle a échoué avec ses quatre fils, ses
deux belles-filles et deux de ses petits-enfants au troisième étage d'un
immeuble miséreux dans le quartier de Sheikh Radwane. Leurs valises,
entreposées sous une couverture qui s'effiloche, forment un sinistre monticule
dans un coin de la pièce nue. Rentrée de Khartoum (Soudan), où elle s'est
établie il y a cinq ans avec son mari, pour assister au mariage de deux de ses
filles, Abeer prévoyait au départ de ne passer que deux semaines à Gaza. «Le
temps de profiter un peu de la famille», soupire-t-elle. Mais la fermeture
quasi permanente de Rafah les a contraints à prolonger leur séjour. «Je n'ai
pas inscrit mes fils à l'école ou à l'université car on espère pouvoir repartir
d'un moment à l'autre - si bien qu'ils passent leurs journées à traîner sans
rien faire et à se gaver d'antidouleurs pour calmer leur déprime», déplore,
impuissante, la mère de famille, qui se rend chaque semaine au ministère des
Affaires civiles pour vérifier que son nom est bien inscrit sur la liste des
candidats au départ. «Lors de notre dernière visite, on avait le
numéro 1850, soupire Abed, l'un de ses fils. Alors, même si le terminal
rouvre, nous devrons sûrement attendre plusieurs jours avant de pouvoir
passer.»
« Mon mari, qui refuse de
rentrer depuis 2005, me dit qu'il ne veut plus me voir mettre les pieds ici.
Mais je ne peux pas me résigner à couper complètement les ponts avec ma
famille»
Abeer
La situation actuelle, Abeer ne
le sait que trop, n'a rien d'exceptionnel. Par deux fois déjà, elle s'est
retrouvée prisonnière de la bande de Gaza. Il y a une dizaine d'années d'abord,
peu après la prise de pouvoir du Hamas, lorsqu'elle dut attendre dix-neuf mois
avant de pouvoir franchir clandestinement la frontière autrefois poreuse avec
la péninsule du Sinaï. Puis en 2014, quand elle fut coincée à Gaza durant près
de sept mois alors qu'elle prévoyait à l'origine de n'y passer qu'une semaine.
«Mon mari, qui refuse de rentrer depuis 2005, me dit qu'il ne veut plus me voir
mettre les pieds ici. Mais malgré toutes ces difficultés, je ne peux pas me
résigner à couper complètement les ponts avec ma famille et l'endroit où j'ai
grandi», dit-elle tristement.
La réouverture permanente du
point de passage, par lequel transitèrent plus de 200 000 Palestiniens
durant le bref mandat du président islamiste Mohammed Morsi, ne semble guère
envisageable tant que l'Autorité palestinienne, l'Égypte et Israël ne seront
pas tombés d'accord sur un régime de contrôle des entrées et des sorties. La
mission européenne Eubam, qui fut chargée en 2005 de superviser ces opérations
avant de suspendre son activité deux ans plus tard en raison de la prise de
pouvoir du Hamas, s'est récemment déclarée prête à reprendre du service à
condition que les conditions de sécurité soient réunies. Mais on ignore si
l'État hébreu accepterait de ressusciter l'accord sur les accès et les
mouvements. Celui-ci autorisait à l'époque la libre circulation des
Palestiniens entre l'Égypte et Gaza, mais soumettait au contrôle israélien le
transit des ressortissants étrangers ainsi que celui des marchandises. «Nous
attendons pour l'heure que les parties nous informent officiellement de leurs
intentions», glisse une source européenne.
Un mariage sous forme d'adieux
Assise dans le salon familial, Raneen
Ziara ignore tout de ces subtilités mais subodore que les belles promesses de
l'Autorité doivent être considérées avec prudence. Son sourire vif, rehaussé
d'une pointe de rouge à lèvres, dissimule mal la nervosité avec laquelle elle
manipule l'anneau serti de pierres précieuses à l'annulaire de sa main droite.
«Je me suis fiancée le 3 septembre 2015, précise la jeune femme, et
attends depuis de rejoindre l'homme qui, comme le veut la tradition, me passera
cette bague à l'autre main.» Ingénieur dans les télécommunications, ce cousin
éloigné qui réside en Arabie saoudite est tombé amoureux de Raneen il y a huit
ans, lors d'une visite à Gaza. Malgré les obstacles et les réticences de la
famille, le jeune homme lui a depuis fait porter sa bague de fiançailles par un
Palestinien autorisé à faire le pèlerinage de La Mecque. Mais la crainte
de se retrouver pris au piège, et de perdre ainsi un statut de résident
saoudien qu'il doit régulièrement renouveler, l'a fait renoncer à venir
chercher sa promise à Gaza. Au printemps dernier, c'est donc Raneen qui s'est
inscrite sur la liste des candidats au départ vers l'Égypte. Sa valise,
préparée avec soin, attend depuis lors dans un coin de sa chambre. «Le
8 septembre dernier, mes parents et moi avons organisé une fête de mariage
symbolique en présence de plusieurs centaines de membres de ma famille - qui
était en réalité une cérémonie d'adieu, raconte la jeune femme, dont le regard
se voile soudain de tristesse. J'avais revêtu ma robe blanche et un message
enregistré par mon fiancé a été diffusé dans la salle des fêtes. Mais en mon
for intérieur, je ne me suis jamais sentie aussi seule.»
Comme tant d'autres Palestiniens
prisonniers de Gaza, Raneen Ziara hésite entre la tentation de baisser les bras
et la rage de se fabriquer une vie normale en dépit de l'adversité. Ambitieuse,
elle rêve de poursuivre ses études de journalisme pour décrocher un emploi
digne de ce nom une fois qu'elle sera installée en Arabie saoudite. «Un jour de
désespoir, j'ai appelé mon fiancé pour l'encourager à tout laisser tomber pour
repartir de zéro avec une autre femme. Mais il m'a dit qu'il ne renoncerait
jamais», sourit-elle. Sa mère, qui la couve d'un regard bienveillant,
l'encourage aussi à ne pas se décourager. Quitte à prendre sur elle pour taire
les craintes que lui inspire l'avenir. «D'un côté, je prie pour ma fille puisse
enfin réaliser son rêve, murmure-t-elle tandis que Raneen s'éloigne un instant
pour rajuster son voile couleur crème. Mais, de l'autre, je tremble à l'idée
que nous ne nous reverrons peut-être jamais…»
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Une mutation de la longévité chez certains Amish ?
(16.11.2017)
Une forme inactivée d'un gène
pourrait être l'un des responsables d'un gain de dix ans en durée de vie.
Une communauté amish a peut-être
fourni involontairement une des clés pour comprendre le vieillissement. Une
équipe de la Northwestern University de Chicago (Illinois) a réussi à
convaincre 177 Amish de se prêter à des analyses génétiques: résultat, une
simple mutation d'un gène porté par le chromosome 7 apparaît nettement corrélée
à la longévité de ceux qui l'ont. Ils auraient une longévité augmentée de dix
ans par rapport aux autres. Ainsi qu'une meilleure protection contre les
maladies telles que le
diabète ou les pathologies cardio-vasculaires (résultats publiés dans
la revue Science Advances).
Sur les 177 personnes
testées, 43 étaient porteuses de la mutation. Leur sang contenait nettement
moins de protéines PAI-1 que celui des personnes non porteuses de la mutation
L'étude s'est intéressée à 177
hommes et femmes, de 18 à 85 ans, de la communauté amish de la ville de Berne,
en Indiana (fondée en 1852 par 70 fervents Amish venus de Berne en Suisse). Les
scientifiques, avertis par des études antérieures, ont recherché la présence
d'une mutation (Serpine 1) bien particulière: celle-ci éteint le gène qui
commande la fabrication de la protéine PAI-1 (inhibiteur de l'activateur du
plasminogène 1), impliquée dans les phénomènes de vieillissement
cellulaire. Des études sur la souris avaient montré que le taux de PAI-1
montait chez des souris au fur et à mesure qu'elles vieillissaient. Son taux
est également plus élevé chez
les obèses et les diabétiques.
Sur les 177 personnes
testées, 43 étaient porteuses de la mutation. Leur sang contenait
nettement moins de protéines PAI-1 que celui des personnes non porteuses de la
mutation. Ayant relevé parallèlement toutes les données physiques (poids,
tension, taux d'insuline, de cholestérol, etc.), ainsi que les données
généalogiques sur trois générations, ils ont pu établir que les porteurs de la
mutation avaient un avantage de longévité de dix ans par rapport aux Amish qui
n'avaient pas la mutation, et par rapport à la population générale.
Nouvelle piste de recherche
Les chercheurs ont également pu
montrer que cela avait une influence sur un autre indicateur de la sénescence,
les télomères des chromosomes des globules blancs. Ces petites structures d'ADN
situées aux extrémités des chromosomes sont comme les embouts en plastique qui
empêchent les lacets de s'effilocher. Plus une cellule vieillit, plus le
«capuchon» des chromosomes raccourcit. Lorsqu'il est trop court, cela empêche
la cellule de se diviser et elle devient sénescente. Les
Amish porteurs de la mutation avaient des télomères de 10% plus longs
que les autres.
Les chercheurs ont également
pu montrer que cela avait une influence sur un autre indicateur de la
sénescence, les télomères des chromosomes des globules blancs
«Nous avons confirmé avec cette
étude les résultats de précédentes études suggérant que la longueur des
télomères est liée à l'âge chronologique et est en grande partie héréditaire»,
écrivent ainsi les auteurs de ces travaux. Si ce genre de groupe intéresse
particulièrement les chercheurs, c'est qu'il s'agit de populations où, au vu de
leur mode de vie, la génétique ressemble à celles de groupes isolés sur des
îles. Les mutations y sont plus simples à suivre. Et on sait que ces
communautés présentent des particularités: elles sont beaucoup moins sujettes à
l'asthme et aux
allergies.
Si les auteurs de l'étude
estiment qu'une nouvelle piste de recherche sur les phénomènes du vieillissement est
bien ouverte, ils soulignent que bien d'autres études seront nécessaires pour
confirmer cette corrélation et, surtout, pour expliquer les mécanismes en jeu.
Il y a peu de chances pour que cette mutation d'un seul gène soit la seule
responsable de ce vieillissement retardé.
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Zimbabwe : le «Crocodile» Emmerson Mnangagwa en embuscade
(16.11.2017)
L'ancien vice-président, réputé
pour sa brutalité, serait à l'origine du coup contre Robert Mugabe.
Le Zimbabwe vogue dans le
flou. Deux
jours après la chute de Robert Mugabe, poussé loin du pouvoir par les
militaires, les Zimbabwéens restent interloqués. Jamais, depuis son
indépendance, le pays n'avait connu d'autre chef que Mugabe, devenu au fil des
années une sorte de monarque. Au Zimbabwe, «l'État, c'est Mugabe», souligne ainsi,
et en français, le quotidien sud-africain Mail and Guardian.
«L'armée redoutait d'hériter
d'un président qui ne lui convenait pas. Il lui fallait agir en urgence pour
l'éviter»
Knox Chitiyo, du centre de
réflexion Chatham House
La
fin de l'ère Mugabe semble pourtant aujourd'hui acquise. Alors que l'armée
a pris dans le calme, mercredi à l'aube, le contrôle des principaux points de
la capitale, le vieux chef d'État est hors-jeu. Selon, les autorités
sud-africaines, le président Jacob Zuma s'est entretenu avec son homologue, qui
a confirmé qu'il était aux arrêts chez lui et «qu'il allait bien». Son épouse,
Grace, dont
les velléités de succéder à son mari sont à l'origine de la crise, et
plusieurs ministres, des «jeunes» considérés comme proches de la première dame,
sont aussi retenus dans une résidence officielle. Le parti au pouvoir, la
Zanu-PF, est pour l'instant maté, silencieux, hormis Kudzai Chip, le leader de
la puissante branche des jeunes du mouvement, qui dans un bref message à la
télévision s'est excusé de s'en être pris aux militaires quelques jours
auparavant.
Révolution actée
La communauté internationale
apparaît, elle aussi, avoir acté en grande partie cette révolution de
palais. L'Union
africaine comme Washington, Londres ou Paris ont certes condamné le
coup de force, appelant à «la retenue» et au rétablissement de «l'ordre
constitutionnel», mais se gardant bien d'exiger le retour du vieux président.
Conscients qu'un putsch n'était plus acceptable, le porte-parole de l'armée
s'est empressé d'affirmer qu'il ne s'agissait pas «d'un coup d'État» contre le
président, mais
d'une opération contre «les
criminels» l'entourant. Cela ne trompe personne mais permet de gagner
du temps. En fait, «l'armée redoutait d'hériter d'un président qui ne lui
convenait pas. Il lui fallait agir en urgence pour l'éviter», confirme Knox
Chitiyo, du centre de réflexion Chatham House.
L'avenir du président et celui
de sa femme se négocieraient difficilement avec un exil et une immunité à la
clé
Le problème pour les officiers
est maintenant de trouver une sortie pérenne et légale à la crise. Emmerson
Mnangagwa se pose en dauphin le plus évident. L'ex-vice-président, dont le
limogeage le 6 novembre a précipité les choses, est aussi l'ancien ministre de
la Défense, très proche des militaires. Le scénario envisagé serait de rétablir
Mnangagwa dans sa fonction - le vice-président étant constitutionnellement le
successeur -, puis d'en faire le président de fait lors du congrès de la
Zanu-PF qui se tiendra en décembre. Pour que cet habillage tienne, il faut que
Mugabe accepte sa chute.
Or le vieux président s'y
refuserait encore, n'ignorant pas qu'il tient là son dernier atout. Et Mugabe,
toute sa vie le montre, est un joueur et un joueur talentueux. Jeudi, plusieurs
intermédiaires, dont deux envoyés la SADC, l'organisation régionale, et un
prêtre, faisaient donc les médiateurs. L'avenir du président et celui de sa
femme se négocieraient difficilement avec un exil et une immunité à la clé.
Emmerson Mnangagwa, en exil et dont on était sans nouvelles officiellement
jeudi, n'est pas forcément étonné de cette impasse. D'après l'agence Reuters,
des documents des services de renseignements zimbabwéens montrent que le coup
est en préparation depuis au moins un an, en collaboration avec des pays
voisins et l'opposition. Le retour mercredi à Harare de Morgan Tsvangirai, le
chef du MDC, le principal parti d'opposition, à l'étranger depuis des mois pour
soigner un cancer, accréditerait cette hypothèse et celle d'un nouveau
gouvernement d'union nationale. Jeudi, il a appelé Mugabe à démissionner sans
s'avancer davantage.
Le supposé nouvel homme fort
Emmerson Mnangagwa, 75 ans (…)
n'a pas précisément l'image d'un réformateur. Celui que l'on surnomme le
« Crocodile », pour sa brutalité, est même longtemps passé pour un dur du
régime
Car l'union n'est pas forcément
évidente. Emmerson Mnangagwa, 75 ans, le supposé nouvel homme fort, n'a pas
précisément l'image d'un réformateur. Celui que l'on surnomme le «Crocodile», pour
sa brutalité, est même longtemps passé pour un dur du régime. Depuis son retour
sur les devants de la scène en 2014, il s'est attaché à polir son image,
offrant celle d'un dirigeant raisonnable, prêt à des compromis pour redresser
l'économie moribonde du Zimbabwe comme ouvrir les bras aux fermiers blancs
chassés de leurs terres. Ce discours, tout comme ses liens puissants dans le
secteur minier, lui a valu des soutiens diplomatiques.
Imaginer un Zimbabwe enfin ouvert
et démocratique avec un tel homme a sa tête reste un défi. Car, ministre sans
discontinuer depuis 1980, baron de la Zanu-PF, le Crocodile est un très proche
de Mugabe, avec lequel il a partagé les années de lutte pour l'indépendance.
Très jeune, il rejoint le combat contre le régime raciste de Rhodésie. Dans les
années 1960, il échappe de justesse au peloton d'exécution, car mineur, mais se
trouve condamné à dix ans de prison. C'est là qu'il s'attache à Robert Mugabe
dont il devient l'âme damnée. La Zanu-PF et Mugabe arrivés au pouvoir, il est
chargé des renseignements et de la sécurité intérieure, se transformant en
homme des basses œuvres et véritable numéro deux du régime. Une spécialité qui
ne l'a pas empêché d'étendre ses talents hors du pays. Pendant la guerre dans
le Congo voisin, au cours des années 1990, il a coordonné l'intervention des
forces zimbabwéennes, amassant au passage, d'après un télégramme diplomatique
américain dévoilé par WikiLeaks, une fortune considérable. Des accusations
qu'il n'a jamais pris la peine de démentir. Sûr de lui, il a l'habitude de se
comparer volontiers au crocodile, son totem, «qui ne frappe qu'au bon moment».
Le bon moment est sans doute venu.
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Sur le dark Web, un passeport américain vaut entre 4 et 4000
euros (15.11.2017)
Des chercheurs en sécurité ont
enquêté sur le fonctionnement du marché noir sur le dark Web. Données
personnelles, papiers d'identité et logiciels de piratage informatique y sont
vendus à des prix dérisoires.
Le dark Web, cette partie
d'Internet non indexée par les moteurs de recherche, inquiète autant qu'il
fascine. Les pages secrètes qu'il comprend sont accessibles via des logiciels
spécifiques tels que Tor, et garantissent un relatif anonymat à leurs
visiteurs. Privilégiées par les personnes soucieuses du respect de leur vie
privée, elles sont également le terrain de jeu de différents réseaux criminels.
Dans cette arrière-cour du Web, certains biens et services sont vendus à des
prix dérisoires, selon un rapport de la société de sécurité Flashpoint.
L'entreprise a mené une enquête
en écumant les places de marché internationales les plus fréquentées du dark
Web, et en portant son attention sur les produits les plus facilement
accessibles. Parmi eux, les passeports américains sont particulièrement
recherchés. Ils sont le plus souvent vendus sous trois formats, précise le
rapport: des scans, qui peuvent fonctionner au motif d'une perte de l'original,
des modèles à remplir soi-même, et des documents physiques. Les simples
photocopies peuvent être revendues entre 4 et 55 euros, contre 2520 à 4200
euros pour les passeports physiques, dérobés à leur détenteur ou fabriqués sur
mesure. Un passeport européen reviendra en moyenne à 170 euros, contre 420 pour
un passeport russe, selon les données de la start-up française CybelAngel, contactée par le Figaro.
Une centaine d'euros pour une
cyberattaque
D'après Flashpoint, le dark Web
regorge également de logiciels destinés à lancer une cyberattaque. Les ransomwares, ces programmes malveillants destinés à
chiffrer les données de leurs cibles avant d'exiger le versement d'une rançon
sont proposés sous forme d'abonnement. Il est possible d'en acquérir un pour 67
à 85 euros par jour. Un mois entier d'utilisation reviendra entre 1180 et 1700
euros. Des «botnets», ces réseaux de machines utilisés pour lancer des attaques
par déni de service et saturer la capacité d'un serveur, peuvent être loués
pour seulement 8 euros, pour une attaque d'une heure, le montant dépendant de
la durée de l'opération et de la nature de ses cibles. Les attaques les plus
complexes ciblant par exemple un gouvernement ou des sites Web de banques,
peuvent revenir à une centaine d'euros par heure. «Pour embaucher un hacker,
une soixantaine d'euros suffit», ajoute un représentant de CybelAngel.
Les places du marché du dark Web
sont scrutées de près par les autorités. Fin juillet, les polices américaine et
européenne ont annoncé la fermeture de deux très importantes plates-formes, Alphabay et
Hansa, où circulaient de la drogue et des armes en toute discrétion. AlphaBay,
la plus importante des deux, se présentait comme un «eBay du marché noir». Les
transactions étaient payées en crypto-monnaies comme le bitcoin, afin de
masquer l'identité des vendeurs et des clients. Longtemps considérée comme le
plus grand site de vente de drogues en ligne au monde, la plate-forme Silk Road
a été fermée par le FBI en octobre 2013. Son fondateur, le Californien Ross
Ulbricht, a, lui, écopé de peine de réclusion criminelle à perpétuité.
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Journaliste pour la rubrique high
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@Elsa_Trujillo_
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Du Pays Basque à la Colombie,
ils nous racontent leur vie sous le terrorisme
Par Caroline
Piquet, Yohan
Blavignat et Anne-Laure
FrémontMis à jour le 14/11/2017 à 09h20 | Publié le 04/11/2016 à 17h37
GRAND ANGLE - Ils viennent
d'Algérie, d'Irlande du Nord ou du Pérou et ont été confrontés de près ou de
loin au terrorisme. Ils ont accepté de remonter le temps pour nous raconter.
Charlie Hebdo, Paris et
Saint-Denis, Nice, Magnanville, Saint-Etienne du Rouvray... Depuis plus de deux
ans, la liste des attentats en France s'est allongée. «Habituez-vous à vivre
avec le terrorisme», avait déclaré le premier ministre Manuel Valls, deux semaines
après les tueries de janvier 2015.
Mais comment vivre avec cette
menace? Cette question, nous l'avons posée l'an dernier à plusieurs citoyens
originaires de pays ayant connu des périodes de terreur. Ils viennent du Pays
Basque, du Sri Lanka, du Pérou, d'Irlande du Nord, d'Algérie et de Colombie.
Tous, à un moment de leur vie, ont été confrontés de près ou de loin à cette
violence, sans en être forcément victimes. Ils nous ont raconté leur histoire,
leurs craintes mais aussi leur envie de «continuer à vivre normalement».
Découvrez leurs
témoignages ici
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Comment vivre avec le
terrorisme ? (16.11.2017)
Le Figaro a interrogé
des citoyens de plusieurs pays ayant connu des périodes de terreur. Ils
viennent du Pays Basque, du Sri Lanka, du Pérou, d’Irlande du Nord, d’Algérie
et de Colombie. Tous, à un moment de leur vie, ont été confrontés de près ou de
loin à cette violence, sans en être forcément victimes.
Ils sont avocat, policier,
journaliste, entrepreneur, enseignant. Des citoyens comme les autres, qui ont
accepté de nous raconter leur histoire personnelle, leur quotidien et de poser
un regard sur une époque aujourd’hui révolue mais toujours bien ancrée dans
leur mémoire.
La situation de chacun de ces
pays et de chacune de ces personnes est bien entendu unique. Il ne s’agit pas
de les comparer mais de comprendre comment ils ont vécu ces périodes sombres,
tout en “continuant à vivre normalement”.
Espagne : Juan Puelles, une
vie sous l’ETA
Ce policier de 51 ans vit à
Bilbao au Pays Basque.
Juan Puelles, 51
ans. Crédits photo : Colectivo de Víctimas del Terrorismo.
«J’ai toujours connu le
terrorisme. Quand je suis né en 1965, l’ETA existait déjà depuis six ans. Au
départ, je pensais que je ne serais jamais touché. Pour moi, ma famille ne
faisait pas partie des cibles potentielles de l’organisation. Je mené une
existence tranquille. Mais les choses ont changé quand mon frère Eduardo a
intégré la police nationale, un objectif bien connu de l’ETA . C’était en
septembre 1981. A partir de ce moment-là, j’ai commencée à réaliser que ma
famille et moi serions confrontés à ce danger.
C’EST QUOI L’ETA ?
Fondée en 1959, l’organisation
armée basque indépendantiste Euskadi Ta Askatasuna (ETA), “Pays basque et
liberté” en basque, a tué et blessé des centaines de personnes et commis de
nombreux enlèvements. Inscrite sur la liste officielle des organisations
terroristes de plusieurs pays dont la France, l’ETA a déclaré son cessez-le-feu
général en 2011.
Encore plus lorsque j’ai décidé
de devenir agent de police en 1991. Comme mes collègues, je me suis mis à faire
attention. Je changeais mes trajets quand j’allais au travail ou quand je
rentrais chez moi. Je démarrais ma voiture à distance avec une télécommande.
Comme ça, si elle était piégée, elle explosait sans que je sois à l’intérieur.
Est-ce qu’on s’y habitue ? Oui. En tant qu’être humain, vous vous adaptez au
monde qui vous entoure. Vous essayez de vivre normalement. Et c’est important
de le faire pour garder la tête froide.
Durant ces 46 années de
terrorisme, mon pire souvenir est sans conteste l’assassinat de mon frère
Eduardo, alors inspecteur en chef de la Police nationale. Il était responsable
de la cellule antiterroriste de l’ETA, au Pays basque.
J’ai appris sa mort par la
télévision, le 19 juin 2009. Plus tôt dans la matinée, j’avais reçu un appel de
ma mère, qui habitait près du lieu où avait explosé une voiture. Elle était
inquiète, elle n’arrivait pas à joindre mon frère. J’ai essayé de la rassurer.
Je pensais qu’il était justement occupé par l’attaque en cours. Mais lorsque
j’ai vu aux informations que l’explosion s’était produite dans un parking où il
avait l’habitude de se garer, j’ai rapidement compris que c’était lui…
Quand je vois ce qui arrive en
France, j’ai envie de faire passer ce message : à chaque attaque, les
terroristes cherchent à nous faire peur et à nous faire renoncer à nos valeurs
démocratiques. Les Français doivent se battre pour les conserver et continuer à
les revendiquer ! »
Irlande du Nord : les mémoires
troublées d'Eimear O'Callaghan
Cette journaliste de 61 ans vit à
Portstewart.
Eimear O’Callaghan, 61
ans. Crédits photo: DR.
«J’avais 16 ans en 1972, l’année
la plus sombre des Troubles [voir encadré]. Cette année-là, plus de 450
personnes ont été tuées. J’avais très peu de souvenirs de cette période,
jusqu’à ce que je tombe sur mon journal intime de l’époque. En le lisant, j’ai
été choquée: chaque jour, des morts et des morts. Un journal bien étrange pour
une adolescente.
Si vous m’aviez demandé comment
était ma jeunesse avant la découverte de ce journal, je vous aurais répondu
“très heureuse”. Nous vivions dans notre quartier (catholique) d’Andersonstown,
mes deux parents travaillaient, on partait en vacances, aucun membre de ma
famille proche n’a été blessé… Pourtant, à la lecture de ce journal, je me
rends compte que chaque jour je pleurais, chaque jour je priais en pensant
qu’on ne passerait pas la nuit.
COMPRENDRE LES «TROUBLES»
Depuis 1921, l’île irlandaise est
coupée en deux: au sud, la république d’Irlande (catholique), et au nord,
l’autre partie de l’île rattachée au Royaume-Uni et à majorité
protestante. Dans les années 1960 se développe le mouvement pour les droits
civiques, inspiré des Etats-Unis. Ses militants entendent lutter contre les
discriminations dont sont victimes les catholiques en Irlande du Nord. Ils
organisent plusieurs marches, dont celle de Derry en 1968, qui est brutalement
réprimée. C’est le point de départ d’affrontements sanglants, qui opposent les
extrémistes des deux camps: catholiques «républicains» ou «nationalistes» d’un
côté, protestants «unionistes» ou «loyalistes» de l’autre. Cette période
d’affrontements, appelé les «Troubles» et durant laquelle 3500 personnes ont
été tuées, va durer jusqu’en 1998 - année des accords de paix du vendredi
Saint.
En 1972, trois
personnes que je connaissais ont été tuées par les loyalistes. On avait
l’impression que l’étau se resserrait. On se levait avec la peur de les voir
venir nous chercher. Tous les soirs, nous vivions au son des tirs de la rue.
Quand je faisais mes devoirs, j’étais parfois contrainte d’éteindre la lumière
par peur d’attirer l’attention. La peur faisait partie du quotidien. Si mon
père mettait du temps à rentrer du travail, ma mère nous réunissait pour prier.
A-t-il été enlevé ? Lui a-t-on tiré dessus? A-t-il été victime d’une bombe? On
ne savait jamais qui allait être le prochain.
Les gens de l’IRA ne se
montraient pas, mais ils étaient tout autour. Ils sont plusieurs fois
entrés chez nous pour pouvoir tirer de nos fenêtres. Comme personne
n’avait confiance en la police, on ne bronchait pas.
Le service de bus ne fonctionnait
plus. J’étais donc obligée d’aller à l’école à pied. Plus de 3 km le long de la
Falls road, qui était au coeur du conflit. Je passais devant des soldats, des
véhicules blindés, des barricades en feu, le cimetière où se déroulaient chaque
jour les funérailles de républicains. Mais l’école, elle, ne fermait jamais.
Même après le Bloody Sunday (quand l’armée britannique tira sur une foule de
manifestants catholiques à Derry, faisant 13 victimes, ndlr), on pensait que
les religieuses allaient annuler les examens, mais non. On ne comprenait pas
pourquoi elles continuaient chaque matin à inspecter nos uniformes, à
surveiller que nos jupes ne soient pas trop courtes, comme si de rien n’était.
Peu importe ce qu’il se passait au-delà du portail, à l’école, pas un mot sur
les “Troubles”. En y repensant aujourd’hui, c’était peut-être la seule
normalité de notre quotidien.
En 1981, le journaliste Christian
Bousquet explique le conflit en Irlande du Nord sur dans l'émission 7 sur 7,
sur TF1.
Il y avait une telle ségrégation
à Belfast que je n’ai rencontré de protestants qu’une fois à l’université.
Aujourd’hui, je rends souvent visite à ma mère qui vit toujours dans notre
maison d’Andersonstown. Rien n’a changé, et en même temps tout a changé. Je
regarde aussi avec attention ce qu’il se passe en France, et je pense que c’est
une situation dangereuse car je sais comment les communautés peuvent être
diabolisées à cause de l’action d’une poignée de personnes… et comment une
société peut facilement imploser.
photo : Eimear
O’Callaghan en famille, à l’âge de 14 ans (debout derrière la chaise)
Algérie : les quatre années
noires de Noureddine Khelassi
Ce journaliste de 61 ans a
couvert les attentats islamistes qui ont frappé l’Algérie dans les années 1990.
Noureddine Khelassi, 61 ans
est journaliste depuis 1979. Crédits photo: DR.
« Au début, c’est la
stupéfaction, l’effarement, le choc. On essaie de comprendre, on s’interroge.
Qui ? Comment ? Est-ce que les choses vont s’arrêter là ? Et personne ne
détient de réponse.
Chaque jour, on dénombrait des
centaines d’actes de violences dans le pays : des attentats à la voiture
piégée, des attaques ciblées qui visaient des policiers, militaires,
fonctionnaires ou des citoyens lambda soupçonnés à tort ou à raison d’être des
agents du pouvoir ou des mouchards.
RETOUR SUR
«LA DÉCENNIE NOIRE»
Pendant une dizaine d’années, un
violent conflit opposa le gouvernement algérien et divers groupes islamistes.
On appela cette période « La décennie noire » ou encore « les
années de braises ». Cette guerre civile débuta en décembre 1991, lorsque
le gouvernement annula les élections législatives, de peur que le Front
islamique du salut (FIS) ne prenne le pouvoir. De nombreux membres du FIS
furent arrêtés. L’Etat d’urgence fut déclaré et des droits constitutionnels
suspendus.
En représailles, plusieurs groupes
de guérilla islamistes commencèrent une lutte armée. D’abord contre les
policiers et les militaires, puis contre les civils. Le 26 août 1992,
l’attentat de l’aéroport d’Alger fit 9 morts et 128 blessés, selon un bilan
officiel. Entre 60.000 et 150.000 personnes ont péri sur cette période
et plus d’une centaine de journalistes ont été assassinés entre
1993 et 1997.
Il y avait aussi les “vrai-faux
barrages militaires” sur la route. Les islamistes se grimaient et arrêtaient
les gens, contrôlaient leurs papiers et dans le meilleur des cas, les
abattaient par balle. Mais le plus souvent, le mode opératoire, c’était
l’égorgement. Donc à chaque fois qu’il fallait franchir un check point, je me
posais toujours la même question : vais-je le passer vivant ?
Il faut également parler des
cadavres piégés, une technique déjà utilisée au temps de la guerre au Vietnam.
Les islamistes appelaient les pompiers ou les policiers et lorsque ces derniers
arrivaient et touchaient le cadavre, la bombe explosait. Dans les périodes
creuses, nous avions une dizaine d’attentats par jour. C’était un quotidien
absolument chaotique, de terreur. Moi-même, j’ai perdu des cousins, des amis, des
voisins...
«Je ne restais pas plus de 10
minutes au même endroit»
Malgré tout, on s’habitue et on
continue à vivre. On sort, on va au restaurant, mais tout en prenant des
précautions. En tant que journaliste, on tombait dans une sorte de
semi-clandestinité et on apprenait à ne plus avoir d’habitudes. En clair, vous
brouillez les repères qui peuvent vous rendre identifiables. Du coup, vous ne
dormez plus régulièrement au même endroit. Personnellement, j’ai vécu dans cinq
ou six lieux différents. Un jour par ci, un jour par là. Je ne rentrais jamais
“chez moi” à la même heure et n’empruntais jamais le même chemin. Je faisais ça
au feeling, à l’instinct.
De même, je ne restais pas plus
de 10 minutes au même endroit. Quand je rentrais dans un café, je faisais en
sorte de ne pas avoir le dos tourné à la porte. Je voulais toujours avoir une
perspective pour voir d’où venait le danger. Au fil du temps, vous arrivez même
à vous méfier de votre voisin, de votre famille. Il y en a qui étaient chargés
de liquider leur propre frère ! Du côté du régime qui s’était engagé dans la
lutte antiterroriste, il y a aussi eu des abus, des liquidations
extrajudiciaires, des escadrons de la mort. J’ai d’ailleurs été menacé de mort
parce que je travaillais dans un journal qui accordait la parole à tout le
monde, y compris aux islamistes.
J’avais peur mais j’arrivais à
surmonter mes craintes. De toute façon, il le fallait. Ne serait-ce que pour
faire un bras d’honneur aux criminels tapis dans l’ombre et rendre hommage à
ceux qui étaient morts.
En 1995, des journalistes de
France 2 avait posé leurs caméras à Alger pour filmer le quotidien des Algérois
face au terrorisme.
Et puis avec le temps, la peur
finit par se banaliser. Les lignes bougent. La première fois, vous avez éprouvé
une épouvante terrible, la seconde fois, le même attentat se produit et votre
sentiment de terreur s’amoindrit et ainsi de suite. C’est humain.
Conscient du risque que
j’encourais, j’ai décidé de quitter l’Algérie en 1995. Ça a été très dur de
partir, j’ai beaucoup culpabilisé. En fait, j’ai vécu deux épreuves : la peur
face au terrorisme et la douleur de l’exil. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir
retrouvé une vie normale en Algérie mais je fais encore des cauchemars violents
qui me réveillent la nuit. Et quand vous sillonnez le pays, il y a encore ces
fameux checkpoints, qui vous rappellent de mauvais souvenirs ».
Pour aller plus loin :
Pérou : Nadiezhda Agostini, si
loin, si proche du Sentier Lumineux
Cette Péruvienne de 44 ans a créé
son entreprise à Lille.
Nadiezhda Agostini au Pérou, en
2015. Crédits photo: DR.
«Vivre au Pérou dans les années
1980 et 1990 laisse des traces. Le Sentier Lumineux, qui a émergé dans la
région d’Ayacucho, a rapidement mené des attaques dans la capitale, Lima, où
j’ai grandi. Au début, ils visaient principalement des tours électriques dans
des quartiers assez éloignés du centre-ville. Ces attaques avaient pour
conséquence de nous priver d’électricité pendant des semaines entières. On
s’éclairait donc à la bougie ou grâce à des lampes à kérosène. Je me souviens
d’ailleurs très bien qu’on allait régulièrement chercher du carburant dans les
magasins pour ne pas être à court. Cette situation a duré les vingt premières
années de ma vie.
C’EST QUOI LE SENTIER
LUMINEUX ?
Le Sentier Lumineux, fondé en
1970 par Abimael Guzman dans la province d’Ayacucho, est devenu dans les années
1980 une insurrection armée issue d’une dissidence du Parti communiste
péruvien. La guérilla opposant les militaires péruviens au Sentier Lumineux a
fait plus de 69.000 victimes entre 1980 et 2004. Le gouvernement péruvien
évalua le coût économique des activités terroristes du Sentier Lumineux à plus
de 16 milliards de dollars, l’équivalent de la dette extérieure du pays.
Nous n’allions pas au cinéma ou
au théâtre. En règle générale, nous évitions les lieux fréquentés par peur des
bombes. J’étais jeune et j’ai appris à vivre comme ça. On n’y allait pas, c’est
tout. On ne se posait pas de questions, même si c’était frustrant à
l’adolescence de ne pas pouvoir sortir avec des amis le soir.
De même, on ne voyageait que très
peu à l’intérieur du Pérou. C’était trop dangereux. Je me souviens notamment
d’une parade militaire à laquelle j’ai assisté à Iquitos, dans le nord du pays,
avec mes parents. À un moment, des militaires ont tiré en l’air pour manifester
leur joie, ce qui a créé un mouvement de panique dans la foule. On entendait
les gens crier : “Les guérilleros sont là!”, et on les voyait courir dans tous
les sens. Il y avait une sorte de paranoïa collective.
Quelques années plus tard, quand
j’avais une vingtaine d’années, je révisais chez moi quand une bombe a explosé
dans le bâtiment de l’entreprise IBM, à cent mètres de mon appartement. Pourtant,
je vivais dans un quartier bourgeois, bien protégé. En fait, tout le monde
était une cible potentielle. Les attaques pouvaient avoir lieu n’importe quand
et n’importe où. C’était sûrement ça le plus effrayant.
Malgré tout, j’ai eu de la chance
de vivre à Lima. La situation était bien plus difficile en province, dans les
fiefs du Sentier Lumineux. Pourtant, même relativement à l’abri, on avait
conscience de vivre dans la peur. Ce sentiment est fort. Mais nous n’avons
jamais pensé à quitter le Pérou.
Ce n’est qu’en 2003 que j’ai
finalement décidé de suivre mon mari en France. Aujourd’hui, je ne suis plus
hantée par les années de terrorisme de mes jeunes années, mais les attentats
qu’a connu la France ont ravivé des souvenirs enfouis. Le soir du 13 novembre,
j’ai beaucoup pleuré. Je voyais à la télévision ce qui m’avait traumatisé quand
j’étais petite. Je ne veux pas que mes enfants vivent dans la peur. Je ne veux
pas que ça recommence. C’est pour cela que je recommande aux Français de ne pas
laisser le terrorisme gagner. Il faut absolument continuer à vivre, continuer à
sortir. Il ne faut pas céder à la peur».
En 1985, Antenne 2 diffusait un
reportage sur le Sentier lumineux.
Pour aller plus loin :
Sri Lanka : les heures
d'angoisse de Vino Perera
Elle a quitté le Sri Lanka en
2012 et habite aujourd’hui à Aurillac, avec son époux et son fils de 14 ans.
Vino Perera, 43 ans. Crédits
photo: DR.
«Nous habitions Gampaha, une
ville située au nord-est de la capitale, Colombo. Mon mari, journaliste, a
quitté le Sri Lanka dès 2009, peu avant la fin de la guerre civile. Il a fui en
Inde, au Népal puis en France. Car le Sri Lanka était à l’époque l’endroit le
plus dangereux du monde pour un journaliste. Des dizaines d’entre eux ont été
tués, attaqués ou kidnappés.
Mon époux défendait les droits de
l’homme et la liberté de la presse. Il participait aux manifestations contre la
corruption et les meurtres des journalistes tamouls. Il était dans le
collimateur du gouvernement. Et ce même si nous sommes Cinghalais, comme la
majorité des Sri-Lankais.
LA GUERRE CIVILE AU SRI LANKA
Le conflit entre l’armée et la
guérilla tamoule (hindouiste), qui se battait pour obtenir un territoire
indépendant dans le nord et l’est de l’île sri-lankaise a duré de 1972 à mai
2009, quand l’armée a écrasé la rébellion dans le sang.
Ce fut l’un des conflits les plus
longs et sanglants d’Asie. Il a fait, selon l’ONU, environ 100.000 morts dans
ce pays où les Cinghalais, essentiellement bouddhistes, représentent plus de
70% de la population.
À Colombo, dans les années 2000,
il y avait des explosions tout le temps, des assauts militaires aériens, de la
violence partout. Et quand des attentats se produisaient, le gouvernement
pointait du doigt les journalistes, les accusant de disséminer leur idées
anti-gouvernementales.
Dans mon village il n’y avait que
des Cinghalais bouddhistes ou chrétiens. Nous n’avons jamais été attaqués
physiquement, mais le gouvernement avait monté les habitants contre nous.
Personne n’osait nous parler.
J’étais professeur et quand
j’allais travailler, mes collègues me regardaient d’un mauvais œil. Ils étaient
persuadés que nous recevions plein de dollars de pays étrangers à cause des
“activités” de mon époux. Mon fils devait lui aussi endurer le même calvaire:
ses camarades lui disaient “on a vu ton père à la télé, c’est un terroriste”.
Il ne voulait plus aller à l’école. J’avais tellement peur pour lui que j’ai
engagé un chauffeur pour l’y conduire tous les matins. Tout ceci a eu
d’importantes répercussions sur notre santé mentale.
«Je ne pouvais pas joindre mon
mari. Nos téléphones étaient sur écoute»
À l’époque, je vivais chez mes
parents avec mon fils, mais nous n’avions pas vraiment de vie de famille. Mon
mari rentrait rarement à la maison parce qu’il avait peur pour notre sécurité
et parce qu’il travaillait loin de chez nous : il lui fallait environ deux
heures pour rentrer de son bureau (à Colombo). Je ne pouvais pas le joindre car
nos téléphones étaient sur écoute.
La plupart du temps je ne savais
pas où il était. J’entendais parler de lui aux journaux télévisés. Ces
rendez-vous quotidiens terrorisaient mon fils: “Oh maman, je ne veux pas voir
les informations à la télévision”, implorait-il. Moi je regardais, la peur au
ventre, pour savoir où était mon époux.
Même si je n’arrêtais pas de lui
répéter que tout se passerait bien, c’était très dur en tant que mère. Sans
compter qu’on a reçu plusieurs coups de téléphone de menaces. Et que je n’ai
jamais pu me plaindre à la police car je ne savais pas qui était derrière ces
appels.
En 1989, France 3 avait envoyé
une équipe de journalistes au Sri Lanka pour comprendre le conflit qui opposait
tamouls et cinghalais.
Mon pire souvenir, c’est lors de
l’attaque d’un festival d’art cinghalais/tamoul qui se tenait à Colombo en
2003. Mon mari y était. Il a été blessé, mais je ne l’ai su que quand je l’ai
vu à la télévision, la tête en sang. Je n’ai réussi à aller le voir
à l’hôpital qu’au bout de deux jours.
Quand j’ai quitté le pays en
2012, j’avais encore très peur que l’on m’interroge, car des femmes de
journalistes avaient été arrêtées. Aujourd’hui, nous vivons tous les trois à
Aurillac. Mon mari travaille dans la photographie, moi j’apprends le
français avant de pouvoir retrouver un emploi. Mon fils va à l’école, il
apprend très vite. Nous sommes libres. Je ne pense pas qu’on retournera vivre
au Sri Lanka. Ce pays n’est plus pour nous.»
* Le nom a été changé
Pour aller plus loin: Sri Lanka: les plaies ouvertes de la guerre civile
Colombie : Patricia Monasalva,
vivre aux côtés des Farc
Cette avocate de 50 ans vit à
Yopal, à 400 km de Bogota.
Patricia Monasalva, à Yopal, à
400 km de Bogota en Colombie. Crédits photo: DR.
LE CONFLIT AVEC
LES FARC
Nées en 1964, les Forces armées
révolutionnaires de Colombie (Farc) sont la principale guérilla communiste
impliquée dans le confit armé colombien. Dans leurs actions contre les civils,
les Farc utilisaient les prises d’otages et les actes de torture. En 2012,
les rebelles FARC et le gouvernement ont entamé un processus de paix rejeté par référendum le 2 octobre dernier, mais dont les
modalités sont toujours discutées.
Dans les années 1980-90, d’autres
groupes armés ont opéré dans le pays, notamment l’ELN (armée de libération
nationale), d’obédience communiste, mais aussi les narcotrafiquants. En face, des groupes paramilitaires, fortement
anti-communistes, faisaient régner la terreur dans les zones rurales. En
plus de 50 ans, les estimations officielles font état de 260.000 morts, et
50.000 disparus.
«Il était très difficile de vivre
normalement en Colombie dans les années 1990. Les assassinats et les
enlèvements étaient monnaie courante. J’ai vécu mes premières années à Mongua,
un petit village de 1500 habitants dans l’Etat de Boyaca. Les Farc n’étaient
pas loin, cachés dans la jungle. On savait qu’ils étaient là, qu’ils
existaient, qu’ils venaient près de chez nous, mais personne ne pouvait les
identifier. Entre 1992 et 2000, la guérilla a multiplié les attaques dans
l’Etat de Boyaca. Durant tout ce temps, on ne pouvait pas aller boire un café
après 17 heures, ou sortir avec des amis. Même le dimanche, quand on se rendait
à l’église avec tout le village, on craignait une attaque. Etant donné qu’il y
avait beaucoup de monde, cela aurait été facile de faire un massacre. En
vérité, nous n’étions en sécurité nulle part.
Quelques années plus tard, j’ai
déménagé à Yopal, dans l’Etat de Casanare, particulièrement touché par la
violence. Malgré tout, j’ai réussi à y fonder une famille et à devenir avocate,
mais la peur ne m’a jamais quittée. On ne naît pas pour vivre dans la terreur
vous savez, cela ne s’apprend pas.
Désormais, le processus de paix
entre le gouvernement et les Farc est engagé. Je le soutiens, évidemment. Il
est important de tendre la main et de communiquer avec les terroristes. La paix
a toujours été l’unique solution. Trop d’innocents sont morts. Trop de
personnes ont vécu trop longtemps dans la peur. Il était temps que
cela cesse.»
Un policier colombien, après un
combat contre les Farc à Granada City, dans la province d’Antioquia, le 31
janvier 2001. Trois policiers et trois civils sont morts dans cet affrontement.
(© Str Old / Reuters)
et Adrien
Guilloteau (réalisation)
Image d’ouverture :
Des graffitis pro-ETA, en avril 1981, au Pays Basque. (©Rue des Archives/AGIP)
Françoise Héritier, anthropologue et militante féministe
(15.11.2017)
DISPARITION - Les travaux de
cette élève de Claude Lévi-Strauss, à qui elle avait succédé au Collège de
France, mettaient en exergue le caractère socialement construit de la
domination masculine.
Je l'ai toujours dit à mes étudiants,
et surtout à mes étudiantes. “Osez! Foncez!”» Voilà le message que voulait
faire passer Françoise Héritier dans son interview testamentaire publiée
dans Le Monde une dizaine de jours avant sa mort, à
84 ans, le 15 novembre 2017, jour de son anniversaire.
Directrice d'études à l'EHESS,
anthropologue reconnue, élève de Lévi-Straussauquel
elle succéda au Collège de France en 1982, Françoise
Héritier n'a jamais manqué à cet impératif qu'elle prescrivait à
autrui.
La domination masculine ne
correspond à aucune réalité biologique, elle est un héritage culturel qu'il
convient de déconstruire
Issue, selon ses mots, d'une
«petite bourgeoisie raisonnable sortie de la paysannerie» de la Loire, elle
poursuit à Paris de brillantes études au lycée Racine puis en hypokhâgne à
Fénelon. C'est en écoutant un séminaire de Claude Lévi-Strauss à la Sorbonne
sur la «parenté à plaisanterie à Fidji» qu'elle a une «révélation» et se tourne
vers l'ethnologie. En 1957, elle part pour l'Afrique, en mission en Haute-Volta
où elle rencontre l'anthropologue Michel Izard qui devient son mari.
Dans le sillage de la pensée
structuraliste, elle cherche à déterminer les «invariants» des sociétés
humaines. À partir de ses travaux sur la parenté en Afrique, elle constate
l'universalité de la «valeur différentielle des sexes», à savoir le fait que
dans toutes les sociétés la différence des sexes se fait au détriment des
femmes, les valeurs considérées comme positives étant systématiquement accolées
au sexe masculin. Aux trois piliers structurants de la société selon
Lévi-Strauss, «la prohibition de l'inceste, la répartition sexuelle des tâches,
une forme légale ou reconnue d'union stable», elle ajoute ce quatrième
invariant: «la valence différentielle des sexes».
L'exemple de Simone de
Beauvoir
D'où vient-elle? De la volonté de
contrôle de la reproduction par ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir
«exorbitant» qu'est la maternité. Depuis l'âge des cavernes, l'homme
chercherait à dominer les femmes, et les différences même physiques sont en
réalité des constructions sociales: l'homme se réserve les protéines et la
viande, pour donner à la femme de la «bouillie», ce qui aurait abouti à une
constitution plus fragile.
Mais Françoise Héritier n'est pas
seulement une scientifique, c'est aussi une militante. Comme Simone de
Beauvoir, elle met ses travaux au service de la cause féministe. Après Masculin/Féminin
I.La Pensée de la différence, où elle met en évidence la façon dont la
domination masculine est, selon elle, construite socialement, elle écrit Masculin/Féminin
II. Dissoudre la hiérarchie, qui est clairement un programme.
Contrairement à Claude Lévi-Strauss, «homme d'ordre», qui mettait en évidence
les structures sans chercher à les déconstruire, elle militera pour l'abolition
du patriarcat.
Elle fournit son logiciel à
toutes les luttes féministes: la domination masculine ne correspond à aucune
réalité biologique, elle est un héritage culturel qu'il convient de
déconstruire.
Elle raconta souvent dans des
interviews comment lui vint sa révolte contre la condition des femmes: lorsque,
en Auvergne, assise à la table paysanne de cousins de sa famille, elle voyait
la femme et la sœur servir, ne s'asseyant jamais, mangeant ce qui restait de la
carcasse du poulet.
«Notre société ne tolère pasla
frustration»
De cette indignation naîtront
plusieurs combats, parfois politiques. En 2012, elle intègre l'équipe de
Martine Aubry aux côtés de la militante féministe Caroline
De Haas pour la thématique «femmes». Elle appellera ensuite à voter
pour François Hollande pour «des raisons positives qui tiennent à son
programme, à son parcours et à l'homme qu'il est». Lors du débat pour le mariage
pour tous, elle prend position pour la loi Taubira, affirmant que le
mariage n'est pas sacré, et qu'il n'existe pas d'ordre naturel. Elle a cependant
exprimé son opposition à la gestation
pour autrui, qui selon elle conduirait immanquablement à des abus. «On
confond trop souvent le “droit de” et le “droit à”. Je sais bien que notre
société ne tolère pas la frustration, mais ce droit à l'enfant n'existe pas»,
disait-elle dans un entretien à L'Express.
«Je trouve ça formidable. Que
la honte change de camp est essentiel»
Françoise Héritier (à propos de
l'affaire Weinstein)
Interrogée dans sa dernière
interview au Mondesur la polémique engendrée par l'affaire
Weinstein, à la suite de laquelle de nombreuses femmes ont pris la parole
pour dénoncer leurs harceleurs, elle répond: «Je trouve ça formidable. Que la
honte change de camp est essentiel.»
Dans sa dernière intervention
télévisée à «La Grande Librairie» il y a quelques jours, elle apparaissait en
chaise roulante, mais le visage toujours rond et souriant. Elle y faisait cette
confidence en forme d'épitaphe: «La curiosité a été le moteur de mon
existence.»
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