jeudi 16 novembre 2017

Islamisme et politique 15.11.2017

Comment la France parraine une sortie de crise dans l'affaire Hariri (16.11.2017)
Les prières de rue interdites dans les Hauts-de-Seine (16.11.2017)
Invité par Emmanuel Macron, Saad Hariri arrivera samedi à Paris (15.11.2017)
Zineb El Rhazoui : «Les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France» (15.11.2017)
Charlie Hebdo : pour Valls, Plenel utilise «les mêmes mots que Daech» (15.11.2017)
Affaire Ramadan: 130 personnalités soutiennent Mediapart (12.11.2017)
De Jérusalem à Moscou, comment la presse accueille le nouveau Charlie (14.01.2015)
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Du Pays Basque à la Colombie, ils nous racontent leur vie sous le terrorisme
Comment vivre avec le terrorisme ? (16.11.2017) 
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Comment la France parraine une sortie de crise dans l'affaire Hariri (16.11.2017)
Par Georges Malbrunot
Mis à jour le 16/11/2017 à 19h07 | Publié le 16/11/2017 à 18h55
INFOGRAPHIE - L'Arabie saoudite va laisser partir son allié Saad Hariri, attendu à Paris, où il travaillera à une feuille de route avant son retour au Liban.
Envoyé spécial à Riyad

La crise a été contenue, mais il reste à traiter les racines. Saad Hariri, le premier ministre libanais démissionnaire, confiné à Riyad depuis dix jours, a accepté l'invitation qu'Emmanuel Macron lui a transmise à venir en France. C'est Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, en visite à Riyad pour finaliser l'affaire avec les autorités saoudiennes, qui l'a annoncé jeudi matin. «Il peut partir quand il veut», a assuré peu après son homologue saoudien, Adel al-Joubeir.
Saad Hariri devrait arriver samedi à Paris pour y séjourner quelques jours avec sa famille avant de regagner Beyrouth, a déclaré le président libanais, Michel Aoun. L'intéressé a été moins précis: «je vous le dirai plus tard», a répondu Hariri depuis sa résidence où il venait de recevoir Jean-Yves Le Drian.
«Soit Hariri maintient sa démission, ce qui est probable, soit il estime qu'il peut corriger les dérives qu'il a dénoncées»
Un diplomate français
Depuis près de deux semaines, son sort faisait l'objet d'informations contradictoires. Le président Aoun accusait l'Arabie de le «détenir» à Riyad, où il aurait été gardé, toujours selon Michel Aoun, par des mercenaires privés. Ce que dément Riyad, d'où le chef du gouvernement libanais avait annoncé sa démission fracassante le 4 novembre, un an après être parvenu à former un gouvernement avec le Hezbollah dans un pays où Saoudiens et Iraniens s'affrontent par relais interposés.
Finalement, la détermination française a payé. Emmanuel Macron a eu deux entretiens téléphoniques mardi et mercredi avec le prince héritier Mohammed Ben Salman, nouvel homme fort de l'Arabie. «Le président et MBS ont aussi échangé par SMS», confie une source informée. De son côté, Jean-Yves Le Drian a eu une heure d'entretien en tête-à-tête mercredi soir avec MBS, tandis que François Gouyette, l'ambassadeur de France à Riyad, a vu deux fois Saad Hariri. «Il pourrait aller mieux», glisse un autre de ses visiteurs.
Que fera Hariri maintenant qu'il est libre? «C'est lui qui décide, souligne un diplomate français. Soit il maintient sa démission, ce qui est probable, soit il estime qu'il peut corriger les dérives qu'il a dénoncées.» Celles-ci portent sur la mainmise du Hezbollah et de son parrain iranien sur la gestion du Liban. Les prochains jours de Saad Hariri en Arabie puis à Paris seront mis à profit pour établir «une feuille de route» afin de consolider une sortie de crise.
Si on veut contrer le Hezbollah, nous devons renforcer les institutions étatiques libanaises, c'est-à-dire l'armée et les forces de sécurité intérieure, proches du camp Hariri»
Une source diplomatique française
Saoudiens et Français resteront à la manœuvre. En invitant Hariri à Paris, Macron a offert une porte de sortie au prince héritier. Mais Riyad campe sur une position très dure contre le Hezbollah et l'Iran. Pour éviter que la tension croissante au Liban ne se traduise par des dérapages, Paris compte transmettre des messages aux Iraniens, aux Saoudiens mais aussi aux différents responsables libanais. «Si on veut contrer le Hezbollah et son appareil militaire, souligne-t-on de source diplomatique française, nous devons renforcer les institutions étatiques libanaises, c'est-à-dire l'armée, les forces de sécurité intérieure, proches du camp Hariri, et plus largement les groupes politiques qui veulent rééquilibrer la situation.» Mais Paris ne veut pas de déstabilisation du Liban, donc pas d'attaque frontale ou d'actions saoudiennes qui pourraient envenimer la situation, comme l'expulsion des expatriés libanais vivant dans le Golfe.
La France compte ramener son allié saoudien à une «vision moins négative». Mais Riyad estime avoir été «trompé» au Liban. «Lorsqu'il y a un an Michel Aoun a été accepté par tout le monde comme président de la République, les Saoudiens nous avaient dit OK, mais on n'y croit pas, confie un diplomate français. Aujourd'hui, ils trouvent que Hariri a été une couverture plus qu'un rempart contre l'expansionnisme du Hezbollah.» Au fil des mois, la rancœur a grossi. Proche du pouvoir, le journaliste Adwan al-Ahmari en fait une description cinglante. «Saad Hariri a été une marionnette entre les mains du Hezbollah», qui l'a forcé par exemple à accepter l'envoi d'un nouvel ambassadeur chez le président syrien Bachar el-Assad, l'ennemi de l'Arabie.
«Si les Saoudiens ont laissé partir Hariri à Paris, c'est qu'il a signé une reconnaissance de dette envers l'Arabie, comme les princes devront s'y résoudre s'ils veulent retrouver la liberté»
Un homme d'affaires installé à Riyad
Mais au-delà du Liban et de la Syrie, le royaume a d'autres griefs. «Il y a huit mois environ, ajoute Adwan al-Ahmari, les Saoudiens ont convoqué Hariri pour lui montrer des preuves des actions de déstabilisation du Hezbollah au Yémen, à Bahreïn et au Koweït». Le message était clair: «On vous aide au Liban, alors agissez chez vous contre le Hezbollah!» Et puis le 4 novembre encore est survenu un tir de missile, intercepté au-dessus de l'aéroport de Riyad, à partir du territoire yéménite, «un acte de guerre», selon l'Arabie. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, estiment plusieurs sources françaises et saoudiennes. Riyad et Paris sont convaincus qu'il s'agit d'un missile iranien, opéré par les houthistes, grâce à la coopération d'experts du Hezbollah.
Si l'Arabie a donné l'impression de maltraiter son allié Saad Hariri, c'est aussi que le prince héritier a des reproches à lui adresser. «Hariri a la nationalité saoudienne, il a donc été traité comme les princes saoudiens corrompus», relève un homme d'affaires à Riyad, allusion à l'arrestation de nombreux membres de la famille royale, ainsi que des hommes d'affaires fortunés, ce même 4 novembre.
Le comité anticorruption accuse le premier ministre libanais de s'être copieusement engraissé en Arabie. Saad Hariri était lié en affaires avec le prince Abdel Aziz Ben Fahd, fils de l'ancien roi Fahd, et le magnat Bakr Ben Laden, tous deux mis aux arrêts au Ritz Carlton de Riyad. «Si les Saoudiens ont laissé partir Saad à Paris, c'est qu'il a signé une reconnaissance de dette envers l'Arabie, comme les princes devront s'y résoudre s'ils veulent retrouver la liberté», croit savoir l'homme d'affaires. Pour financer ses réformes, MBS souhaite faire revenir dans les caisses de l'État les milliards de la corruption. Mais sur ce volet de la crise, Paris est beaucoup plus silencieux. Rafic Hariri, père de Saad et premier ministre assassiné en 2005 à Beyrouth, était très proche de l'ancien président de la République Jacques Chirac. Bref, une crise aux multiples ramifications.

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Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient
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Les prières de rue interdites dans les Hauts-de-Seine (16.11.2017)
Par Stéphane Kovacs
Publié le 16/11/2017 à 19h42
À Clichy-la-Garenne, les fidèles de l'ancienne mosquée ont été invités à se rendre dans un autre lieu de culte de la commune.
Rejoindre le nouveau centre cultuel de Clichy-la-Garenne, dédoubler les offices, trouver un terrain à acheter… Mais, en tout cas, plus de prières de rue. Lors d'une réunion de médiation, jeudi après-midi, sous l'égide du préfet des Hauts-de-Seine, plusieurs pistes de sortie de crise ont été proposées aux fidèles musulmans de cette commune qui, depuis plus de huit mois, priaient dans les rues. Mais d'emblée, le préfet Pierre Soubelet a prévenu: «Les prières de rue, c'est terminé, a-t-il martelé. Il n'y en aura pas demain, ni le vendredi d'après. Ni à Clichy, ni dans les Hauts-de-Seine.»
«Maintenant c'est clair, il n'y aura plus de prières de rues à Clichy. Et même en France, parce que ça va créer un précédent. »
Rémi Muzeau, le maire LR de Clichy-le-Garenne
Après deux heures et demie de discussions parfois tendues, le maire LR Rémi Muzeau se dit «très heureux» de ce dénouement. «Surtout du fait que la manifestation des élus de vendredi dernier ait enfin permis cette réunion, clame-t-il. Maintenant c'est clair, il n'y aura plus de prières de rues à Clichy. Et même en France, parce que ça va créer un précédent.» Mercredi, devant l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, avait lui-même été ferme: «Il ne peut y avoir de prières de rue» à Clichy-la-Garenne, avait-il assuré, tout en soulignant que les musulmans de cette ville devaient «avoir un lieu de culte décent».
La préfecture et la mairie ont fait une proposition à l'Union des associations musulmanes de Clichy-la-Garenne (UAMC), l'association qui priait chaque vendredi aux abords de l'hôtel de ville, depuis son expulsion, en mars, d'un lieu de culte au centre-ville: rejoindre le centre cultuel et culturel musulman de la rue des Trois-Pavillons, dont le vice-président, Noureddine Bahri, était présent à la réunion. Ce lieu de culte est situé à moins d'un quart d'heure à pied du centre, avec un arrêt du bus (gratuit) juste en face. «Nous avons 2000 m2 de locaux tout à fait dignes et, le vendredi, comme nous sommes très nombreux, nous organisons deux prières, à 13 heures et à 14 heures», détaille Mohamed Bechari, président de ce centre, qui dirige aussi la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF). Mais l'UAMC le juge «trop excentré, trop exigu et pas aux normes de sécurité», ce qui est démenti par le maire. «On poursuivra la discussion et la réconciliation entre les deux obédiences musulmanes dès lundi, avec les conseils des deux parties», précise Me Rémi-Pierre Drai, l'avocat du maire.
Deux plaintes
Une discussion qui s'annonce encore longue et compliquée. «La pierre d'achoppement, c'est que la Ville aurait souhaité que les plaintes annoncées dans la presse soient retirées, mais l'UAMC a refusé», poursuit Me Drai. Après le rassemblement d'élus contre les prières de rue, vendredi dernier, l'UAMC avait en effet annoncé le dépôt de deux plaintes auprès du parquet de Nanterre: l'une contre X pour «violence aggravée», «participation à un groupement formé en vue de la préparation d'actes de violences», «manifestation illicite» et l'autre contre le maire pour «diffamation et incitation à la haine raciale». «Comment faire une concertation s'ils déposent des plaintes?», interroge l'élu, qui assure cependant qu'il n'y a «aucune animosité» entre lui et l'UAMC. Jeudi soir, Hamid Kazed, son président, ne souhaitait pas faire de commentaire. En attendant, «ce vendredi sera le premier, depuis 34 semaines, où je n'entendrai pas le muezzin sous mes fenêtres!», soupire un fonctionnaire de la mairie. Quant à Rémi Muzeau, il ne regardera «même pas par la fenêtre» : «Je suis sûr, clame-t-il, qu'il n'y aura personne.»

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Grand reporter, chargée des questions de société
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Invité par Emmanuel Macron, Saad Hariri arrivera samedi à Paris (15.11.2017)
Par Georges Malbrunot
Mis à jour le 16/11/2017 à 13h11 | Publié le 15/11/2017 à 19h17
VIDÉOS - Le premier ministre libanais démissionnaire, qui est toujours en Arabie saoudite, séjournera quelques jours avec sa famille dans la capitale française avant de regagner Beyrouth, a déclaré jeudi le président libanais Michel Aoun.
Envoyé spécial à Riyad
Paris plutôt que Beyrouth pour éviter une aggravation de la crise. Emmanuel Macron avait invité mercredi le premier ministre libanais démissionnaire Saad Hariri, confiné à Riyad depuis dix jours, à venir en France avec sa famille. Ce jeudi matin, l'intéressé a finalement accepté la proposition, a fait savoir le ministre français des Affaires étrangères. Il y arrivera samedi et y séjournera quelques jours avec sa famille avant de regagner Beyrouth, a précisé un peu plus tard le président libanais Michel Aoun.
Jean-Yves Le Drian est arrivé mercredi soir dans la capitale saoudienne, où il a rencontré le prince héritier et homme fort de l'Arabie, Mohammed Ben Salman (MBS). Dans l'après-midi, le chef de l'État s'était entretenu au téléphone avec MBS et Saad Hariri. Ce jeudi matin, le chef de la diplomatie française devait rencontrer le premier ministre libanais, après avoir participé à une conférence sur la jeunesse organisée par la fondation de MBS.
Jean-Yves Le Drian ne devrait pas repartir avec la famille Hariri. «Elle a besoin de plusieurs jours pour quitter Riyad, souligne-t-on à l'Élysée, car Saad Hariri a des enfants qui sont scolarisés en Arabie.» Interrogé sur la question, le ministre français a déclaré sans autre précision: «l'agenda de Saad Hariri appartient à Saad Hariri».
« Nous avons besoin d'un Liban fort, d'une intégrité territoriale au Liban, et nous avons besoin d'avoir des dirigeants qui soient justement libres de leurs choix et de les exprimer »
Emmanuel Macron
Manifestement concertée avec la partie saoudienne, cette invitation «pour quelques jours» est, a précisé Emmanuel Macron, «un geste d'amitié et une volonté marquée de la France de contribuer au retour au calme et à la stabilité au Liban». «Nous avons besoin d'un Liban fort, d'une intégrité territoriale au Liban, et nous avons besoin d'avoir des dirigeants qui soient justement libres de leurs choix et de les exprimer», a ajouté le chef de l'État. Est-ce un répit dans une crise qui menaçait de plonger le Liban dans une instabilité lourde de dangers? «Ce n'est plus un problème saoudien, c'est un problème libanais», confiait en début d'après-midi, au Figaro, Adwan al-Ahmari, journaliste au quotidien saoudien al-Hayat.
Ces derniers jours, la pression est montée sur l'Arabie. Un recours devant le Conseil de sécurité de l'ONU n'était pas à exclure en cas de refus saoudien de laisser partir son allié libanais. «Hariri est ici de sa propre volonté et il peut partir quand il veut», a répété jeudi le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir.
Saad Hariri a démissionné le 4 novembre depuis l'Arabie saoudite, où sa famille possède des intérêts financiers. Une démission sous la contrainte, accuse la classe politique libanaise. Pour le président de la République, Michel Aoun, son premier ministre était «détenu» à Riyad. Pour que sa démission soit conforme à la Constitution libanaise, Paris réclamait de son allié saoudien que Saad Hariri puisse lui-même venir la présenter au président Aoun. En choisissant Paris, une formule de compromis pourrait avoir été trouvée. Elle permettrait à Riyad de sauver la face, en évitant d'emblée un retour triomphal au pays du Cèdre du chef de gouvernement. «Mais ce n'est pas du tout un exil politique», précise-t-on à l'Élysée.
Emmanuel Macron s'est fortement impliqué depuis une semaine, rencontrant Mohammed Ben Salman à Riyad, recevant ensuite le chef de la diplomatie libanaise à Paris, avant de s'entretenir finalement au téléphone mercredi après-midi avec MBS et Saad Hariri.
C'est un incontestable succès pour le chef de l'État. Emmanuel Macron a proposé mardi à MBS d'accueillir le chef du gouvernement libanais, selon l'Élysée, avant un nouvel appel téléphonique mercredi. Le président n'a entamé qu'il y a une semaine «un dialogue personnel» avec le nouvel homme fort de l'Arabie, un jeune, comme lui, partisan, lui aussi, de réformer son pays.
«Notre souci, insiste-t-on à l'Élysée, reste que Saad Hariri revienne à Beyrouth clarifier sa situation.» Démissionnera-t-il? Des tractations vont probablement commencer à Paris cette fois entre les différents acteurs du dossier libanais.
En déclenchant cette crise, l'Arabie saoudite entendait dénoncer l'influence grandissante du Hezbollah, la formation chiite libanaise pro-iranienne, non seulement au Liban, mais aussi en Irak et au Yémen. Une prochaine sortie de Saad Hariri d'Arabie ne signifiera pas pour autant la fin de la crise.
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Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient
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Zineb El Rhazoui : «Les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France» (15.11.2017)


Mis à jour le 15/11/2017 à 20h22 | Publié le 15/11/2017 à 20h12



FIGAROVOX/ENTRETIEN - Survivante de l'équipe de Charlie Hebdo, la journaliste analyse la polémique qui oppose le journal satirique à Mediapart. Pour elle, deux ans après les attentats de Paris, une partie des élites médiatiques et politiques est toujours dans le déni.

LE FIGARO. - Entre Charlie Hebdo et Mediapart, la polémique atteint un grand degré de virulence. Le directeur de Mediapart, Edwy Plenel, a été brocardé par Charlie Hebdo pour sa proximité avec Tariq Ramadan. Et, dans son éditorial, Riss accuse désormais Plenel de «condamner à mort une deuxième fois» sa rédaction…
Zineb EL RHAZOUI. - C'est bien curieux, mais cette polémique me rappelle qu'après l'attaque terroriste de Charlie Hebdo, alors que nous n'avions pas encore enterré nos morts, certaines voix avaient déjà donné la même sempiternelle tournure au débat public: «je ne suis pas Charlie» et «halte à l'islamophobie» en supputant que les «musulmans» étaient les véritables victimes. Après les attentats terroristes du 13 novembre, ceux qui s'étaient un peu trop émus du sort des morts et des blessés ont eu droit à des accusations à peine masquées de racisme parce qu'ils auraient plutôt dû s'émouvoir du sort des victimes des attentats terroristes de Beyrouth. Après les attentats de Nice où des bébés ont été broyés dans leurs poussettes pendant qu'ils regardaient des feux d'artifice, le débat public accusait encore une fois la France de racisme pour avoir rechigné à accueillir des burkinis sur la même plage...
Le 12 novembre, Mediapart a publié une tribune de soutien à Plenel signée par 130 personnalités accusant Charlie Hebdo d'attiser un climat de «haine».
«Je me pose la question de l'opportunité de s'en prendre à Charlie Hebdo comme un porte-étendard de la «haine» une semaine après que cet hebdo eut été visé par une campagne de menaces de mort particulièrement violente»
Zineb El Rhazoui
Cette tribune refuse que la ligne éditoriale islamo-complaisante de Mediapart soit questionnée. Je me pose la question de l'opportunité de s'en prendre à Charlie Hebdocomme un porte-étendard de la «haine» une semaine après que cet hebdo eut été visé par une campagne de menaces de mort particulièrement violente. Mediapart fait d'ailleurs partie des organes de presse qui défendent l'idée selon laquelle les «musulmans» seraient de plus en plus des «victimes» depuis les attentats.
Pour ma part, je fais partie d'une maison journalistique où le mot «victime» a une signification très réelle, sanglante, qui se vit dans la douleur de l'absence et dans la peur de la récidive. J'ai envie de dire aux signataires: vous ne remuez pas le petit doigt lorsque des confrères sont menacés de mort, en revanche, vous faites bloc lorsque la moustache d'Edwy Plenel et surtout ses accointances avec Tariq Ramadan sont tournées en dérision?
Charlie Hebdo a-t-il bien fait de pointer la complicité de Plenel et de Ramadan sur le plan idéologique?
Je ne fais plus partie de la rédaction de Charlie Hebdo, mais si j'y travaillais encore, j'aurais sans doute approuvé ce Plenel-bashing, où rien ne souffre si ce n'est son ego. Dans un journal satirique, ce genre d'ironie est trop précieux pour le laisser passer. Plenel, en s'affichant fièrement avec Ramadan et en dédiabolisant sa figure, a misé sur le mauvais cheval. L'admettre aurait été plus noble que de se cacher derrière une tribune signée par de nombreux intellectuels à la probité et à l'honnêteté avérées, mais aussi par des islamistes, des amis de Tariq Ramadan et autres idiots utiles des islamistes.
«L'islamisme n'est pas en soi une chose grave», a déclaré la coprésidente de la société des journalistes de Mediapart, Jade Lindgaard...
Cette consœur pêche au mieux par inculture, au pire par racisme. Soit elle ignore ce qu'est le projet islamiste dans le domaine politique et n'a jamais étudié les codes civils et pénaux des théocraties islamiques du monde arabe et d'ailleurs ; soit elle considère que nous autres «musulmans» devons être condamnés à être régis par la coutume et la superstition. Si Mme Lindgaard était née musulmane à Marrakech, à Annaba, à Assiout, à Hofouf ou à Djalalabad, elle serait privée de libertés aussi élémentaires que travailler, étudier, se parfumer, penser, sortir, boire un verre, choisir son époux, hériter à égalité avec ses frères ou encore se rendre au cimetière pour enterrer les siens. Son affirmation est une insulte à tous ceux qui se battent pour la liberté dans le monde musulman au péril de leur vie.
«Ceux que j'appelle les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France»
Zineb El Rhazoui
Les cas de Mediapart et Plenel sont-ils isolés?
Malheureusement, ceux que j'appelle les collaborationnistes du fascisme islamique sont nombreux en France. Ils sévissent dans tous les domaines. Dans les médias, ce sont tous ces journaux fiers de «défendre les musulmans» alors qu'ils auraient honte d'en faire autant avec les «chrétiens». En politique, ce sont tous ceux qui s'obstinent à traiter les «musulmans» comme une communauté au lieu de les voir simplement comme des individus. Dans le débat public, ce sont tous ceux qui considèrent que critiquer le christianisme est conforme à l'esprit des Lumières (et sur ce point ils ont raison), mais que critiquer l'islam est de l'«islamophobie» et du racisme. Ce sont tous ceux qui acceptent un féminisme au rabais pour les femmes nées musulmanes. Ce sont tous ceux qui considèrent les «musulmans» comme un nouveau prolétariat et consentent à ce qu'un musulman ne puisse jamais échapper à son identité.
Ces personnes ont pourtant droit, comme les autres, à la liberté d'expression et d'opinion...
Les seules limites à la liberté d'expression sont celles de la loi, que nous sommes tous, surtout en tant que journalistes, tenus de respecter. En dehors de ces limites, chacun a le droit de dire que la terre n'est pas ronde s'il le souhaite, il devrait en être libre. Toutefois, la société doit aussi être libre de le tourner en dérision, de dénoncer son discours comme ridicule ou dangereux. Aussi, personne ne conteste le droit de M. Plenel d'être une groupie de Tariq Ramadan. Simplement, il devrait faire preuve de plus d'humilité lorsque ses amitiés intellectuelles s'avèrent moins honorables qu'il ne le prétendait.
Dans votre livre 13, vous aviez raconté la nuit du 13 novembre. Deux ans après, qu'est-ce qui a changé?
«Nos politiques, comme une bonne partie des élites médiatiques, font preuve d'un déni déconcertant face au terrorisme islamique»
Zineb El Rhazoui
Dans la société, beaucoup de choses. Mais nos politiques, eux, comme une bonne partie des élites médiatiques, font preuve d'un déni déconcertant face au terrorisme islamique. Ils continuent de refuser de faire le lien entre les crimes de masse commis au nom de l'islam et les aspects plus «banals» de la radicalisation islamique. À tous ceux-là, j'ai envie de proposer d'aller vivre quelques mois dans une théocratie islamique, ils sauront alors ce qu'est l'aboutissement du projet islamiste auquel ils veulent bien donner une chance en France.
J'ai envie de leur dire que, s'ils nous considèrent vraiment comme leurs égaux, nous autres «musulmans», eh bien qu'ils nous reconnaissent les mêmes droits qu'ils exigent pour eux-mêmes: la liberté. Pas celle de «porter le voile» ou de se retrancher dans le communautarisme, non. Nous méritons la même liberté qu'en Occident: celle de critiquer la dictature des théocraties, de rire de notre héritage, de rejeter le joug de notre religion, de choisir notre orientation sexuelle, et de jouir de l'égalité femmes-hommes.

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Charlie Hebdo : pour Valls, Plenel utilise «les mêmes mots que Daech» (15.11.2017)
Par Pierre Lepelletier
Publié le 15/11/2017 à 11h53
LE SCAN POLITIQUE - Interrogé sur la polémique qui enfle entre Charlie Hebdo et Mediapart, l'ancien premier ministre a pris la défense du journal satirique accusant Edwy Plenel, le fondateur du site d'informations, d'émettre «un appel au meurtre».
Tout est parti d'un dessin. La semaine dernière, Charlie Hebdo consacrait sa une au directeur de Mediapart, Edwy Plenel. Le caricature sous-entendait que le journaliste était au courant des accusations de viols et d'agressions sexuelles portées sur l'islamologue controversé Tariq Ramadan, sans n'avoir rien dit. Les jours suivants, de nombreuses figures du monde politico-médiatique se sont indignées, à commencer par le principal concerné Edwy Plenel. Selon lui, «la une de Charlie Hebdo fait partie d'une campagne plus générale» de «guerre aux musulmans» dans laquelle le fondateur de Mediapart inclut Manuel Valls.
«Edwy Plenel n'est pas n'importe qui»
Sur BFM TV mercredi, l'ancien Premier ministre a vivement réagi aux propos d'Edwy Plenel. «C'est un appel au meurtre. Ce n'est pas une petite polémique. Edwy Plenel n'est pas n'importe qui», a-t-il tout d'abord tonné. «Tous ces mots: guerre contre les musulmans, croisade... Ce sont exactement les mêmes mots, c'est la même sémantique utilisée par les islamistes, utilisée par la propagande de Daech», a-t-il poursuivi.
«Je veux qu'ils reculent, je veux qu'ils rendent gorge»
Manuel Valls s'affiche ainsi dans la lignée de l'édito de Riss publié mercredi dans le nouveau numéro de Charlie Hebdo. Parlant lui aussi d'un «appel au meurtre», le directeur de la rédaction du journal satirique estime qu'Edwy Plenel a désigné «Charlie Hebdo comme un agresseur supposé des musulmans» et «adoube ceux qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi».
«Quand vous avez une partie de la rédaction de Mediapart qui explique que l'islamisme en tant que tel, en soi, n'est pas un problème grave, qui explique que je suis l'héritier de Déat, c'est-à-dire des fascistes des années 30, moi qui lutte contre l'antisémitisme, qui ai fait face à une campagne ignoble antisémite, qui lutte contre tous les racismes (...), qui accuse des intellectuels de mener des croisades, on nous désigne», a-t-il insisté.
Manuel Valls a dénoncé «l'égarement de cette gauche. C'est là où la phrase de 2016, la mienne, reste prémonitoire, sur les gauches irréconciliables. Oui, ce sont des gens dangereux». «Je veux qu'ils reculent, je veux qu'ils rendent gorge, je veux qu'ils soient écartés du débat public. Non pas par l'interdiction, ce n'est pas le sujet. Mais qu'ils perdent, qu'ils perdent ce combat, cette bataille d'idées. Nous la menons pour la République et je la mène pour les musulmans de France. Parce que c'est nous qui les protégeons. C'est pas Edwy Plenel et ses sbires».
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Affaire Ramadan: 130 personnalités soutiennent Mediapart (12.11.2017)
Par Le Figaro.fr avec AFP
Mis à jour le 12/11/2017 à 17h16 | Publié le 12/11/2017 à 16h29
130 personnalités ont signé une tribune en soutien à Mediapart après queCharlie Hebdo et l'ancien premier ministre Manuel Valls ont reproché au site d'avoir protégé l'islamologue Tariq Ramadan, accusé de viol, a annoncé dimanche le site d'information.
«Il semble bien que nous soyons confrontés ici à une campagne politique qui, loin de défendre la cause des femmes, la manipule pour imposer à notre pays un agenda délétère, fait de haine et de peur», soulignent dans cette tribune les écrivains Patrick Chamoiseau et Jean-Claude Carrière, l'économiste Thomas Piketty, la militante féministe Caroline De Haas, l'ex-député PS Christian Paul ou l'artiste Sarkis.
Charlie Hebdo avait titré mercredi sur une caricature du directeur du site Edwy Plenel accompagnée du titre «Affaire Ramadan, Mediapart révèle : "On ne savait pas"», en référence aux deux plaintes pour viol déposées contre Tariq Ramadan.
Les détracteurs de Mediapart et d'Edwy Plenel leur reprochent d'avoir gardé ces faits sous silence et débattu avec Tariq Ramadan.«Mediapart est l'un des rares grands moyens d'information français à avoir publié une enquête fouillée sur Tariq Ramadan», répliquent les signataires de la tribune.
«Tout doit avoir le droit de se dire, de s'écrire et de se représenter, et cela doit être dit et répété, particulièrement pour Charlie Hebdo», affirment les signataires de la tribune, en ajoutant: «Nous avons aussi le droit d'écrire que la Une de Charlie de cette semaine est diffamatoire, et haineuse».
Les signataires dénoncent «une campagne de délation, dont "l'argumentaire" défie la logique, la justice, et la morale». «La campagne inique menée contre Mediapart et sa rédaction est dangereuse: elle vise le symbole d'une presse libre, indépendante des pouvoirs quels qu'ils soient, au service du droit de savoir des citoyennes et des citoyens», poursuivent-ils.
Charlie Hebdo n'a pas expliqué le sens de cette Une mais son journaliste Fabrice Nicolino a déclaré jeudi sur Facebook qu'il répondrait «sur le fond» dans le prochain numéro de Charlie Hebdo. Le journal satirique a notamment reçu le soutien de Renaud Dély, directeur du journal Marianne, qui a expliqué dans un édito que «Charlie peut tout se permettre».
Charlie Hebdo avait déjà consacré la Une de son précédent numéro à Tariq Ramadan, représentant le théologien le pantalon déformé par un énorme sexe en érection et proclamant: «Je suis le 6e pilier de l'islam».
Le titre «VIOL, La défense de Tariq Ramadan» accompagnait ce dessin, qui a valu à l'hebdomadaire des menaces de mort. Le journal a porté plainte et une enquête a été ouverte.

De Jérusalem à Moscou, comment la presse accueille le nouveau Charlie (14.01.2015)
Par Pierre AvrilCyrille LouisFlorentin CollompDelphine MinouiPatrick Saint-Paul,Nicolas BarotteRichard Heuzé et Jean-Jacques MévelMis à jour le 14/01/2015 à 15h02 | Publié le 14/01/2015 à 09h53
REVUE DE PRESSE - Le Figaro a demandé à ses correspondants à travers le monde comment la presse reçoit le nouveau numéro de l'hebdomadaire satirique.
Londres entre soutien et volonté de ne pas heurter
Au Royaume-Uni, les réactions à la publication de la dernière édition de Charlie Hebdo sont tiraillées entre le soutien à la rédaction décimée et à la liberté d'expression d'un côté et, de l'autre, la volonté de ne pas heurter la sensibilité de la communauté musulmane. Le Muslim Council of Britain appelle, dans une lettre signée par des dizaines d'imams, à la modération. «La plupart des musulmans vont inévitablement être blessés, offensés et dérangés par la publication des caricatures», estiment-il, tout en appelant à des réactions de «tolérance», de «patience» et de «compassion». Certains journaux dont le GuardianThe Independent et The Times ont imprimé une image de la une de Charlie Hebdo, le Financial Times montre prudemment une photo du dessinateur Luz tenant cette une, «pour sa valeur d'information». Le prêcheur islamiste britannique Anjem Choudary qualifie la caricature de Mahomet d' «acte de guerre punissable de la peine capitale dans la loi de la charia» et menace de «représailles inévitables». Cela n'a pas découragé Ila Aghera, propriétaire d'une maison de la presse de Charlton Kings, un petit village de l'Ouest de l'Angleterre, de commander cent exemplaires du nouveau Charlie. Elle croule sous les demandes de réservations de clients. Le journal sera vendu au Royaume-Uni à partir de vendredi par certains distributeurs. D'autres, dont WH Smiths, refusent de le distribuer.
La presse allemande salue «le journal de la survie»
En Allemagne, 10.500 exemplaires de Charlie Hebdo seront disponibles en français à partir de samedi. Le journal satirique sera aussi disponible dans une traduction allemande. Mais, comme en France, il devrait être rapidement épuisé. Mercredi matin, beaucoup de journaux reproduisaient la une de Charlie Hebdo, par exemple en pleine page de der pour Bild, le quotidien le plus lu du pays.
Sur internet, Der Spiegel parle du «journal de la survie» pour cette nouvelle édition de Charlie Hebdo. Pour le quotidien économique, il s'agit plutôt «du combattant». Pour Die Welt, le journal a fait valoir «son droit au blasphème». Contrairement à d'autres médias en Europe, les journaux allemands ont quasiment tous reproduits, depuis une semaine, les dessins de Charlie Hebdoau nom de la défense de la liberté d'expression. Le Hamburger Morgenpost, qui avait titré «autant de liberté doit pouvoir exister», a sans douté été visé pour cette raison par une tentative d'incendie. Les auteurs n'ont pas encore été arrêtés.
Dans le quotidien Süddeutsche Zeitung, c'est en page intérieure qu'on trouve la reproduction de la une figurant Mahomet en train de pleurer, sous le titre: «Le fossé». Le journal s'intéresse à la fracture au sein des sociétés européennes entre une partie des musulmans et la majorité de la population.
Charlie Hebdo publié en français en Italie
En moins de deux heures, l'édition spéciale du Fatto Quotidiano, l'unique journal italien ayant choisi d'encarter Charlie Hebdo dans ses pages ce mercredi, a été épuisée. Ce quotidien politique qui tire normalement à 120.000/130.000 exemplaires a doublé sa diffusion ordinaire pour offrir à ses lecteurs le supplément de seize pages, en français, du journal dirigé désormais par Gérard Biard. Précédé d'un avis: «Supplément obligatoire et gratuit». «Quand nous avons appelé vendredi la rédaction de Paris, nous nous sommes entendus répondre: un grand merci. Vous êtes le seul journal italien à nous l'avoir demandé», explique le directeur du Fatto Quotidiano Antonio Padellaro. Il ajoute: «Luz nous a dit qu'il avait pleuré en dessinant Mahomet qui pleure. Alors nous aussi nous avons pleuré. Parce que nous sommes cinglés. C'est pourquoi nous publions aujourd'hui Charlie Hebdo». L'encart sera également publié dans les éditions de jeudi et de vendredi du quotidien. Toujours gratuitement. L'édition spéciale est largement reprise et commentée dans les autres quotidiens italiens, qui publient de nombreuses caricatures. La Repubblica publie un commentaire sur «la vocation minoritaire des caricaturistes devenus héros».
Ruée sur Charlie à Bruxelles
20.000 exemplaires pour un pays qui partage avec la France une langue, beaucoup d'émotions et un solide sens de la dérision, c'est peu. En Belgique, l'édition historique de Charlie Hebdo a disparu des kiosques à la première heure. Et même en Flandre, les éditions web des journaux comme De Standaard traquent l'arrivée promise de camions chargés de «plusieurs milliers» de copies supplémentaires.
La Belgique devait recevoir 30.000 copies, mais il en manque 10.000 qui ne seront en vente que demain jeudi. Les distributeurs privilégient Bruxelles et la région francophone de Wallonie. Une seconde commande a été lancée pour 60.000 exemplaires de plus. «Nous pourrions facilement en écouler 500.000 ou 600.000 et nous faisons malheureusement beaucoup de déçus», dit Tom Vermersch, directeur d'AMP, au Standaard, le grand quotidien flamand. Les ventes de journaux français en Belgique ont triplé depuis les attentats de Paris et la presse belge a augmenté son tirage de 30 %, d'après l'AMP.
La loi russe rappelée aux rédactions
L'organisme de contrôle des médias russes, Roskomnadzor, a demandé aux médias nationaux de s'abstenir de publier des caricatures religieuses, afin de ne pas provoquer des «tensions interreligieuses dans la société russe». «En lien avec la tragédie française, Roskomnadzor a conduit un travail prophylactique avec les médias fédéraux et nationaux. La loi russe qui interdit d'utiliser les médias aux fins d'activités extrémistes a été rappelée aux rédactions» explique cet organisme qui appelle ces derniers à «exprimer leur solidarité sous d'autres formes». Malgré ces recommandations, la une de Charlie Hebdo était néanmoins largement visible sur Internet. Le site Gazeta Ru a salué «le numéro des survivants». En revanche, le quotidien Kommersant, considéré «de référence», ne publie, mercredi, aucun article sur l'histoire du nouveau numéro de Charlie Hebdo. Auparavant, dans la lointaine péninsule du Kamchatka (extrême orient), la branche régionale de Roskomnadzor avait distribué une lettre aux médias régionaux les enjoignant de ne pas «publier la moindre caricature relative à une figure religieuse». Cette information a provoqué une polémique au sein des rares médias libéraux.
Ce numéro de Charlie Hebdo «perpétue l'attitude irrévérente pour laquelle il est connu» selon la presse israélienne
Les journaux israéliens décrivent par le menu, sans vraiment prendre position sur le fond, l'édition spéciale de Charlie Hebdo parue ce mercredi. «Ce numéro perpétue l'attitude irrévérente, et parfois offensante, pour laquelle le journal est bien connu en France», relève le site d'information Ynet, qui s'attarde sur quelques caricatures et détaille: «L'une montre une célèbre religieuse en train de pratiquer une fellation, une autre représente un Musulman, un Chrétien et un Juif qui se partagent le monde». Le quotidien Israel Hayom, proche du premier ministre Benyamin Nétanyahou, relève que la caricature de Mahomet publiée en première page a aussitôt déclenché de vigoureuses condamnations dans plusieurs pays arabes. «Les milieux islamistes ont prévenu que la diffusion du journal risque de provoquer de nouveaux attentats», souligne le journal, qui a choisi de mettre cette menace en exergue à sa une. Le site du quotidien de centre gauche Haaretz, visiblement «bluffé», souligne pour sa part que le numéro s'est arraché sitôt mis en kiosque, tout en s'inquiétant les accusations de «racisme» formulées par un dignitaire religieux égyptien après la diffusion de sa couverture.
En Égypte, le mufti craint que le nouveau Charlie attise la haine
Au Caire, le grand mufti n'a pas attendu la sortie du nouveau Charlie Hebdopour réagir. Dès mardi, alors que la une du premier numéro post-attentat inondait déjà les réseaux sociaux, Chaouki Allam s'est élevé contre un «acte raciste qui va accentuer les tensions et la haine en France et dans le monde». La semaine passée, cette personnalité influente du monde arabo-musulman avait fermement condamné l'assassinat des dessinateurs et collaborateurs de l'hebdomadaire satirique français. Une réaction partagée par le pouvoir - le président Sissi a appelé en personne François Hollande - et par une partie de la rue: quelques dizaines de personnes ont levé, dimanche, leur stylo lors des marches du syndicat de la presse en hommage aux journalistes assassinés et en soutien à la liberté d'expression. Mais en Egypte, comme dans les autres pays du Proche-Orient, on ne badine pas avec le Prophète. Nombreux sont les citoyens qui, à l'instar du mufti, voient dans cette nouvelle caricature de Mahomet une forme de provocation inutile, comme celles qui avaient enflammé la rue arabe en 2005. «Tuer des journalistes est inacceptable. Je comprends la tristesse des Français. Mais insulter le prophète, ça, je ne peux l'accepter. Chez nous, Mahomet, c'est sacré. On n'y touche pas», estime Nadia, une institutrice.
Une nouvelle démonstration de défiance, selon la presse officielle chinoise
Pékin, qui n'a pas mâché ses critiques visant les «excès» de la liberté d'expression en France après les attentats de la semaine passée à Paris, n'a pas encore réagit officiellement au dernier numéro de Charlie Hebdo. Cependant, des universitaires proches du gouvernement chinois dénoncent une nouvelle provocation envers l'Islam, alors que le web de la République populaire est partagé entre condamnation et hommage au courage de l'hebdomadaire satirique.
Le quotidien officiel, Global Times, juge que la dernière couverture de Charlie Hebdo, montrant le Prophète est «une nouvelle démonstration de défiance». Signalant que le gouvernement n'a pas encore réagit officiellement, le journal cite Zhao Lei, professeur de relations internationales à l'Ecole du Comité Central du Parti Communiste Chinois, pour lequel l'édition post-attentat de Charlie Hebdo démontre «un sens de supériorité profondément enraciné parmi les nations européennes».
Sur Weibo, le Twitter chinois, certains comme Maineimu saluent le «courage de Charlie Hebdo». D'autres sont incrédules. Telle Rosiafrance, qui s'étonne: «Est-ce vrai que tout est pardonné?». «Cela montre que Charlie a reculé. L'esprit de Charlie est déjà mort», estime encore François Shushu (Oncle François). D'autres, comme Zhang Jiteng, dénoncent une nouvelle provocation. «Je ne comprends pas le sens de la couverture du nouveau Charlie Hebdo : le Prophète est-il du même côté que Charlie? Ce comportement va irriter les terroristes et les inciter à des actes encore plus fous», juge-t-il.
L'ensemble des médias chinois a condamné les attentats qui ont fait 17 morts en France. Cependant, nombre de médias officiels ont aussi critiqué les dérives de la liberté d'expression. Ainsi, l'agence officielle Chine nouvelle a jugé lundi que le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo «ne devrait pas être réduit à une attaque contre la liberté d'expression, car la liberté elle-même a ses limites». Le Global Times a quant à lui dénoncé la montée du «choc des civilisations» en France.
La presse chinoise est strictement contrôlée par les autorités communistes, qui ont récemment emprisonné des dizaines de journalistes, avocats, universitaires ou internautes, muselant toute voix critique dans un mouvement sans précédent depuis des années. Jeudi soir, les forces de police ont perturbé un hommage, à Pékin, du Club des correspondants étrangers en Chine (FCCC), aux caricaturistes de presse assassinés en France.
VIDÉO - Le journal turc Cumhuriyet publie quatre pages de Charlie Hebdo.
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Politiques, journalistes, intellos: enquête sur les agents d'influence de l'islam (06.10.2017)
Par Judith Waintraub
Mis à jour le 07/10/2017 à 13h22 | Publié le 06/10/2017 à 09h00
ENQUÊTE - Intellectuels, responsables politiques ou acteurs associatifs, ils investissent l'espace médiatique. A leurs yeux, le musulman incarne la nouvelle figure de l'opprimé et il importe de le défendre contre l'homme blanc, qu'ils accusent de toutes les fautes.
Peu importe l'origine, la religion, la couleur de peau ou le sexe. L'islamosphère est un club dont les membres se cooptent selon un seul critère: la lutte contre l'oppresseur, à savoir l'homme blanc ou, à l'occasion, la femme blanche de plus de 50 ans, et leurs complices arabes. Ils honnissent Alain Finkielkraut, dont ils dénoncent régulièrement l'«hystérie» contre l'islam, Elisabeth Badinter, qui a le culot de «ne pas craindre d'être traitée d'islamophobe», et peut-être plus encore Kamel Daoud, coupable entre autres méfaits d'avoir dénoncé «la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme» après les agressions de la nuit du Nouvel An à Cologne, en 2016.
L'islamosphère étend son influence dans le monde intellectuel, politique, dans les médias et les réseaux associatifs. Elle a ses rendez-vous annuels, comme les Y'a bon Awards. Sous couvert de «distinguer» les auteurs de propos racistes, cette cérémonie s'est muée en tribunal médiatico-mondain de l' «islamophobie». Le «camp d'été anticolonial» est également très prisé, même s'il est «réservé uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d'Etat en contexte français», autrement dit, s'il est interdit aux Blancs.
Le noyau dur
Les membres de l'islamosphère entretiennent des liens à géométrie variable avec les organisations musulmanes de France, elles-mêmes travaillées par la montée du fondamentalisme. Ces associations, censées organiser le culte et représenter une «communauté» en plein essor évaluée entre 4 et 7 millions de personnes, étaient à l'origine regroupées par nationalités. C'était ce que l'on appelait «l'islam consulaire», avec quatre organisations principales: la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris, proche de l'Algérie ; la Fédération nationale des musulmans de France et sa branche dissidente, le Rassemblement des musulmans de France, soutenus par le Maroc ; le Comité de coordination des musulmans turcs de France, sous l'influence d'Ankara.
Ce quadrillage historique a progressivement perdu de son emprise, notamment du fait de la poussée de trois formes de fondamentalisme. Le plus ancien est celui des pays du Golfe comme l'Arabie saoudite, qui diffuse le wahhabisme, idéologie religieuse ultrarigoriste, et finance la construction de mosquées, comme celles de Strasbourg, Saint-Denis et Cergy. Plus récemment, l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) - rebaptisée Musulmans de France (MDF) en avril dernier - s'est imposée comme un acteur majeur. Fondée en 1983 par des étudiants tunisiens dans la mouvance des Frères musulmans - une organisation d'origine égyptienne prônant l'instauration d'une société islamique régie par la charia -, l'UOIF est très active sur le terrain social. Son président actuel, Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille-Sud, appelle officiellement au respect des valeurs de la République. «Mais grâce à l'UOIF, les Frères musulmans ont réussi leur implantation ici, notamment avec des visées communautaristes, comme l'ouverture d'écoles privées musulmanes», estime Mohamed Louizi, un ancien cadre de cette organisation, auteur du livre Pourquoi j'ai quitté les Frères musulmans (Michalon). Enfin, la mouvance salafiste, très minoritaire mais la plus radicale, s'est implantée sur le territoire de manière plus souterraine, sans organisation fédératrice. Selon le ministère de l'Intérieur, elle contrôle au moins 120 lieux de culte sur les 2500 que compte le pays.
LE CCIF
Entre l'islam cultuel et l'islam «citoyen», il existe des passerelles, au premier rang desquelles le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), créé en 2003. Le CCIF, qui revendique 14.000 membres, continue son combat fondateur contre la loi de 2004, qui proscrit le port des signes religieux ostentatoires à l'école. Il dénonce aussi celle de 2010, qui a notamment interdit le voile intégral dans la rue, ou encore la loi El Khomri de 2016, qui permet aux employeurs d'imposer une «neutralité idéologique et religieuse» à leurs salariés. Pour le CCIF, ces textes sont des «permis de discriminer».
Depuis les attentats du 13 novembre 2015, le CCIF dénonce la montée d'une « islamophobie sécuritaire ».
Centré sur la lutte contre les «actes islamophobes», le CCIF les recense à sa manière. Aux agressions et menaces déjà dénombrées par le ministère de l'Intérieur, le CCIF y ajoute des discriminations et cas n'ayant pas forcément fait l'objet de plaintes. «Le CCIF a une conception très large de l'islamophobie», analyse l'historien du droit Jean-Christophe Moreau, coauteur du livre Islamophobie, la contre-enquête (Plein Jour). Selon lui, le CCIF inventorie des actes selon des critères qui dénotent «un délire de persécution, voire une complaisance à l'égard de l'islam radical», tels que des expulsions d'imams controversés ou des fermetures de mosquées proches de la mouvance salafiste. Depuis les attentats du 13 novembre 2015, le CCIF dénonce la montée d'une «islamophobie sécuritaire».
Très actif sur les réseaux sociaux avec ses 350.000 soutiens, le CCIF n'a aucun lien officiel avec les organisations musulmanes cultuelles, dont il a longtemps critiqué la relative passivité. Mais ses dirigeants sont régulièrement invités au rassemblement annuel de l'UOIF au Bourget, tandis que l'islamologue suisse Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans en Egypte, participe à des galas de levée de fonds pour le CCIF.

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LES INTELLECTUELS
Tariq Ramadan présente bien, ce qui lui a valu d'être omniprésent dans les médias jusqu'à ses déclarations en faveur d'un «moratoire» sur la lapidation des femmes adultères. S'il est - un peu - moins souvent invité, ses ouvrages font toujours recette, notamment au salon de l'UOIF au Bourget. Récemment, il s'y est illustré en déclarant à propos de Mohamed Merah, auteur des tueries de Toulouse et de Montauban, que «ce pauvre garçon» était, certes, «coupable et à condamner», mais qu'il fut lui-même «la victime d'un ordre social qui l'avait déjà condamné, lui et des millions d'autres, à la marginalité, à la non-reconnaissance de son statut de citoyen à égalité de droit et de chance». «Mohamed, au nom si caractérisé, fut un citoyen français issu de l'immigration avant de devenir un terroriste d'origine immigrée. Son destin fut très tôt enchaîné à la perception que l'on avait de ses origines», a affirmé Tariq Ramadan devant un public acquis à ses thèses.
Des monuments de l'intelligentsia française, Edgar Morin en tête, fréquentent volontiers l'islamologue.
Le sociologue vient même de publier aux Editions Don Quichotte L'Urgence et l'Essentiel, un dialogue avec Tariq Ramadan. Edgar Morin a très tôt introduit dans le débat public l'idée que les musulmans étaient les nouveaux damnés de la terre. Accusant Alain Finkielkraut de «penser que les musulmans sont inassimilables», le sociologue conteste toute recrudescence de l'antisémitisme. Selon lui, ce terme est brandi pour fournir à Israël des justifications à sa politique. Une thèse proche de celle défendue par Pascal Boniface. Fondateur et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), il a essayé en vain au début des années 2000 d'infléchir la position du PS, qu'il estimait «trop pro-israélienne». Plus récemment, il a jugé que l'impact du terrorisme islamiste était «sans commune mesure avec le nombre de morts qu'il peut susciter». «Ne tombe-t-on pas dans le piège des terroristes en leur donnant tant d'importance?» s'est-il interrogé.
Emmanuel Todd est encore plus catégorique. Le sociologue a écrit dans Qui est Charlie? (Seuil), son livre sur les manifestations qui ont suivi les attentats de 2015: «La focalisation sur l'islam révèle en réalité un besoin pathologique des couches moyennes et supérieures de détester quelque chose ou quelqu'un, et non pas simplement la peur d'une menace montant des bas-fonds de la société, même si le nombre des départs de jeunes djihadistes vers la Syrie ou l'Irak mérite aussi une analyse sociologique.» Selon lui, «la xénophobie, hier réservée aux milieux populaires, migre vers le haut de la structure sociale. Les classes moyennes et supérieures cherchent leur bouc émissaire.» «On est dans une blessure narcissique, la nostalgie d'une Europe dominante. (…) La laïcité est devenue un instrument de guerre contre ceux qui mettraient en péril notre culture», estime en écho Raphaël Liogier, un autre sociologue, tandis que l'historien Jean Baubérot précise l'accusation: «Pour l'extrême droite, une partie de la droite, et même pour certaines personnes à gauche, la défense de la laïcité est devenue un moyen de stigmatiser les musulmans.»
La lutte contre l'«islamophobie» peut aussi passer par la recherche de justifications sociales à la délinquance, et dans ce registre, la jeune génération n'est pas en reste. Geoffroy de Lagasnerie, sociologue et philosophe né en 1981, s'est fait remarquer en écrivant le 14 septembre dans Libérationune tribune «En défense des accusés du quai de Valmy». Ces individus sont passés en correctionnelle pour avoir incendié une voiture de police avec ses occupants dans le cadre d'une manifestation du collectif Urgence notre police assassine. «Réagir de manière politiquement juste à ce qui s'est passé le 18 mai 2016 devrait consister à affronter ces questions et à en tirer les leçons, pas à s'indigner, ou à distribuer quelques années de prison à des militants qui n'ont au fond fait qu' exprimer par leurs actes une inquiétude et une colère collective», préconise le sociologue-philosophe.

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LES RELAIS MÉDIATIQUES
«Les islamo-gauchistes sont certes une minorité, remarque la philosophe Elisabeth Badinter, mais influente et largement relayée par des grands médias et journalistes de gauche qui, par là même, se coupent du pays réel.» Mediapart et Libération ouvrent régulièrement leurs colonnes à des associations qui gravitent autour de l'islamosphère, ou hébergent des blogueurs qui en font partie. Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart,
estime qu'«aujourd'hui, l'islam est devenu le bouc émissaire principal dans les discours intellectuels, politiques et médiatiques». En 2015, il a écrit un essai intitulé Pour les musulmans (La Découverte). «Pour les musulmans n'est pas un message de compassion pour des victimes, explique-t-il. C'est un livre d'égal à égal, pour dire aux musulmans qu'ils doivent revendiquer le droit d'être français et musulmans.» Pour Nasser Ramdane Ferradj, fondateur du Collectif des musulmans progressistes et laïques, Edwy Plenel «a façonné une jeune génération de journalistes en imprimant sur celle-ci l'idée que toutes les critiques de l'islam et des extrémistes de notre religion sont des attaques racistes contre tous les musulmans». «Il épouse la stratégie de l'islam politique jusqu'à en devenir une pièce maîtresse pour son enracinement en France», accuse cet ancien vice-président de SOS Racisme.
Entre autres combats, le patron de Mediapart défend le voile islamique au nom d'une fidélité à une «laïcité originelle» qu'il oppose au «laïcisme», «cheval de Troie des discriminations». La question du voile a suscité la naissance d'une étrange conception du féminisme, qui considère son port comme une «liberté». Les figures de proue de ce mouvement sont Rokhaya Diallo, qui se définit elle-même comme «une féministe intersectionnelle et décoloniale», Sihame Assbague, ancienne porte-parole de Stop le contrôle au faciès et coorganisatrice du fameux «camp d'été anticolonial» interdit aux Blancs, ou encore Caroline de Haas. L' ex-directrice de campagne de l'écolo Cécile Duflot à la présidentielle a traité de «merde raciste» tous ceux qui ont eu le malheur de lier les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 à Cologne à la présence de migrants en Allemagne. Sur le même sujet, la députée France insoumise Clémentine Autain avait tweeté: «Entre avril et septembre 1945, deux millions d'Allemandes violées par des soldats. La faute à l'islam?»
Comme MediapartLibération manifeste de la bienveillance vis-à-vis de ce nouveau «féminisme». L'association Lallab, qui se définit comme «areligieuse, aconfessionnelle et apartisane», se fixe pour objectif de «lutter contre les préjugés sur les femmes musulmanes». Préjugés dont l'association assure qu'ils s'exercent particulièrement à l'encontre des femmes voilées. Lallab a voulu étoffer son équipe en y intégrant des volontaires du service civique, ce qui a suscité une levée de boucliers d'associations de défense de la laïcité comme le Printemps républicain. La décision de confier des volontaires à Lallab a, du coup, été suspendue, ce qui a provoqué la fureur de l'islamosphère. Libération a accueilli une tribune de soutien à l'association qui dénonce chez les adversaires de Lallab «une intolérance, voire une paranoïa, qui s'exerce à l'égard d'une seule religion: l'islam». Parmi les signataires de cette pétition, l'ex-candidat du PS à la présidentielle Benoît Hamon, l'écologiste Julien Bayou, porte-parole d'EELV, Pascal Boniface, Rokhaya Diallo, ou encore l'historienne Mathilde Larrère. Cette dernière, très présente sur les réseaux sociaux, avait déjà violemment reproché à Nicolas Sarkozy d'avoir déclaré en 2016: «Quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, à un moment où vous devenez français, vos ancêtres, ce sont les Gaulois et c'est Vercingétorix.» «Chercher ce type d'origines fantasmées à la nation française a un sens historique», avait tempêté l'experte, tweetant dans un langage beaucoup moins châtié à propos de la formule de l'ex-président: «Tu crois avoir touché le fond et non le mec il creuse encore… C'est affligeant et très inquiétant.»
Libération s'est également illustré en publiant au lendemain des attentats de novembre 2015 une tribune intitulée «Nous sommes unis», signée par des responsables syndicaux ou religieux, mais surtout des dirigeants du CCIF et des militants réputés proches des Frères musulmans. Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, l'a également signée. Cette publication a sonné le début de l'affrontement public entre Jean-Louis Bianco et Manuel Valls, alors Premier ministre, sous l'autorité duquel l'Observatoire de la laïcité est placé. Jean-Louis Bianco, qui s'inquiète davantage de la montée d'une éventuelle intolérance contre l'islam que des infractions à la laïcité commises par les tenants de l'islam politique, est contesté pour sa conception de la laïcité au sein même de l'organisme, dont plusieurs membres ont démissionné.
Au Bondy Blog, l'islamosphère n'est pas seulement bienvenue : elle est chez elle.
Au Bondy Blog, l'islamosphère n'est pas seulement bienvenue: elle est chez elle. Média en ligne créé en 2005 pendant les émeutes en banlieue pour faire parler des jeunes présentés comme privés de parole dans les médias officiels, le Bondy Blog a multiplié les dérives. Il a notamment accueilli de nombreux articles du blogueur Mehdi Meklat, auteur de tweets racistes, antisémites, homophobes et misogynes. «Fallait lui casser les jambes à ce fils de pute», a tweeté Meklat, sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps, après qu'Alain Finkielkraut s'est fait insulter pour avoir voulu voir Nuit debout place de la République. Meklat n'est plus le bienvenu au Bondy Blog, de même qu'un autre de ses contributeurs, Badroudine Saïd Abdallah, qui avait notamment tweeté: «Sans les Arabes nous n'aurions pas eu Mohamed Merah et Smaïn. RIP à eux.» Plus récemment, le Bondy Blog a mené ce qu'il a appelé une «contre-enquête» dans le bar-PMU de Sevran, en Seine-Saint-Denis, où France 2 avait filmé en décembre 2016 des réactions hostiles à la présence des femmes.

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LES POLITIQUES
En campagne pour la primaire «citoyenne» de la gauche, Benoît Hamon avait lui aussi critiqué ce reportage de France 2, où des hommes dont les visages n'étaient pas montrés expliquaient que les femmes n'avaient pas à se rendre dans les cafés. «Dans ce café, il n'y a pas de mixité, expliquait l'un d'eux. On est à Sevran, on n'est pas à Paris.» «C'est des mentalités différentes. C'est comme au bled!» ajoutait un autre. Dans un premier temps, Benoît Hamon avait cherché des justifications sociales plutôt que religieuses à cette misogynie, en assurant: «Historiquement, dans les cafés ouvriers, il n'y avait pas de femmes.» Puis il avait reconnu une «maladresse» et précisé: «Ce que je voulais dire, c'est que le sexisme n'est pas l'apanage des musulmans.»
Comme le souligne l'essayiste Caroline Fourest, Benoît Hamon a beaucoup varié dans ses positions sur l'islamisme. Ils ont mené ensemble une campagne de soutien à Ayaan Hirsi Ali, menacée de mort pour avoir écrit le court-métrage Soumission lorsqu'elle était députée néerlandaise. Son réalisateur Theo Van Gogh a été assassiné par un djihadiste néerlandais d'origine marocaine.
Mais pendant la campagne de la primaire, l'ancien ministre de l'Education avait choisi comme porte-parole Alexis Bachelay, l'un des rares élus à avoir participé à un dîner de gala annuel du CCIF. En janvier 2016, alors député PS des Hauts-de-Seine, il n'a pas hésité à inviter Yasser Louati, un porte-parole de l'association, à s'exprimer à Gennevilliers à la tribune d'une réunion publique consacrée à «la France face au terrorisme». Proche de Pascal Boniface, qu'il a invité à son lancement de campagne, Benoît Hamon entretient des relations cordiales avec certains membres de l'islamosphère. En 2011, il s'est même rendu à la soirée annuelle des Y'a bon Awards.
Le parti créé par Emmanuel Macron pendant la campagne n'est pas exempt, lui non plus, d'affinités sulfureuses. Il a fallu que la presse s'empare du cas de Mohamed Saou, référent d'En Marche! dans le Val-d'Oise, pour que le candidat se résolve à mettre «en réserve» de ses fonctions cet adepte du «Je ne suis pas Charlie». Jusqu'à une période récente, La République en marche comptait aussi dans ses rangs à l'Assemblée nationale un soutien dévoué du CCIF: M'jid El Guerrab. Connu pour avoir agressé à coups de casque de moto un cadre du PS en août dernier, il avait signé en 2015 une lettre ouverte au premier secrétaire de l'époque, Jean-Christophe Cambadélis, pour défendre la présence de Corinne Narassiguin au dîner de gala du CCIF en tant que porte-parole du PS. M'jid El Guerrab a démissionné de LREM après avoir été mis en examen pour «violences volontaires avec arme», mais est toujours député.
La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon pratique la collusion avec l'islamosphère à bien plus grande échelle. La députée de Paris Danièle Obono, l'une de ses élues les plus emblématiques, s'exprime sur le sujet tous les jours ou presque. La semaine dernière encore, elle a déclaré sur BFMTV: «Un agent de la RATP qui refuse de conduire un bus après une femme, est-ce que c'est le signe d'une radicalisation? Non, c'est le signe d'un préjugé contre les femmes». Jean-Luc Mélenchon, qui se targue toujours d'être un républicain, la défend systématiquement. Son argument ultime contre tous ceux qui s'inquiètent de la montée de l'islam politique: «Foutez-nous la paix avec les religions!»
A la gauche de la gauche, les ralliements aux thèses en vogue dans l'islamosphère sont légion. Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot et de Philippe Poutou y adhère en bloc, en pratiquant lui aussi l'«intersectionnalité» des luttes, par exemple pour le voile islamique - une candidate voilée avait porté les couleurs du NPA aux régionales en 2010 - et contre les violences commises par des policiers, que Philippe Poutou a proposé de désarmer. En mars 2015, à Saint-Denis, le NPA a tenu avec des associations musulmanes et des représentants du PCF et d'Attac, mouvement altermondialiste, un «meeting contre l'islamophobie et le climat de guerre sécuritaire». Le Parti des Indigènes de la République (PIR) y participait également. Ce groupuscule est surtout connu grâce à Houria Bouteldja, sa porte-parole, qui accuse l'Etat français d'être néocolonialiste, raciste et islamophobe. En novembre 2011, elle a cosigné un manifeste dénonçant le soutien exprimé à Charlie Hebdo après l'incendie de ses locaux.
Le PIR n'a aucune implantation locale et son influence est dérisoire, comparée à celle de la myriade d'associations islamistes qui, sous couvert d'action sociale, quadrille la France. Le député du Val-d'Oise, que l'interdiction du cumul des mandats a contraint à quitter cette année son fauteuil de maire de Sarcelles, affirme que des «réseaux salafistes» ont tenté d'infiltrer plusieurs villes du département. «Ça a commencé par du soutien scolaire dans une maison de quartier, puis dans une MJC, puis ils ont présenté des candidats aux élections de délégués de parents d'élèves», énumère-t-il. Finalement, au second tour des législatives, François Pupponi a dû affronter Samy Debah, fondateur du CCIF, qui s'est présenté comme candidat «indépendant». Qu'il a battu largement, bien que selon lui, la candidate de La France insoumise ait appelé à voter «contre Pupponi». «Ce qu'on appelle l'“islamo-gauchisme”, je l'ai vécu en direct», soupire le député socialiste. Il ne sera sans doute pas le dernier à faire cette expérience.
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Dans un quartier difficile de Reims, le miracle du CP dédoublé (16.11.2017)
Par Caroline Beyer
Mis à jour le 16/11/2017 à 19h44 | Publié le 16/11/2017 à 19h39
REPORTAGE - À l'école Mougne-Tixier, la mesure éducative phare d'Emmanuel Macron fait consensus.
«Je mets cinq cubes dans ma boîte magique et j'en retire trois. Combien m'en reste-t-il?» Exercice classique en classe de CP pour appréhender la soustraction, déjà abordée en maternelle. À ceci près que la classe de Frédérique Bolot compte seulement onze élèves. Et que les différents résultats trouvés, presque aussi nombreux, à 6 ans, que le nombre d'élèves, sont affichés au tableau, puis disséqués, un par un. 53 ou 7. Des résultats à première vue farfelus qui, si l'on prend le temps de s'y intéresser, répondent à de vraies logiques.
«Tout est plus simple, plus serein. Et moi, je suis plus posée»
La maîtresse de la classe dédoublée de CP à l'école Mougne-Tixier de Reims
Petite brune fluette toute vêtue de rose, Sondos a trouvé le bon résultat. Aujourd'hui, elle est même capable de l'expliquer. Scolarisée depuis la mi-septembre à l'école Mougne-Tixier de Reims (Marne), classée en éducation prioritaire renforcée (REP+), cette petite Syrienne, arrivée en France depuis peu avec sa famille, n'a pas de difficultés avec le langage, universel, des mathématiques. Le petit effectif de ce CP lui permet de ne pas être perdue dans l'apprentissage de la lecture. Au même titre que deux autres enfants de la classe, qui sont en difficulté. «Chaque élève a son temps de parole», explique la maîtresse, qui, dans un exercice autour des sons, les fait passer deux par deux au tableau pour représenter une syllabe. «Tout est plus simple, plus serein. Et moi, je suis plus posée», conclut-elle.
Luxe inespéré ou véritable nécessité? Depuis la rentrée 2017, conformément aux promesses de campagne présidentielle d'Emmanuel Macron, les CP de REP+, où se concentrent les difficultés scolaires, ont été dédoublés (soit 8 % des effectifs de CP). Ces classes à douze devraient concerner, d'ici la fin du quinquennat, tous les CP et CE1 de l'éducation prioritaire (REP et REP+). Mesure éducative phare du président Macron, ces classes réduites doivent mener à «100% de réussite», selon la formule répétée par Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation.
« Reims est devenu, au fil des années, une annexe du 93» 
Un membre d'un syndicat d'enseignants local
À l'école Mougne-Tixier, les deux CP à 20 élèves ont ainsi cédé la place à trois CP réduits. Dans cette grosse structure de 164 élèves, les effectifs fluctuent tout au long de l'année, en raison de l'important turnover de familles souvent en attente de logement. Il y a trois ans encore, cette école du quartier des Châtillons, qui alterne pavillons et grands ensembles de logements de 17 étages de la tour des Argonautes, n'était pas classée en Éducation prioritaire. Mais la situation évolue. Quartier défavorisé de Reims, marqué par les difficultés d'emploi, les Châtillons n'ont pas la réputation d'insécurité du quartier Croix-Rouge, où résida Saïd Kouachi, l'un des auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo. Il n'empêche qu'en avril 2016 un incendie sans doute volontaire, selon la police, a dévasté une partie de l'école maternelle Mougne-Tixier. L'école élémentaire a alors accueilli les 150 écoliers. À 150 km de Paris, «Reims est devenu, au fil des années, une annexe du 93», résume un syndicat d'enseignants local. En ce froid mois de novembre, peu de monde dans les rues de ce quartier encore verdoyant, à dix minutes en voiture du centre-ville de Reims et de sa cathédrale.
Dans la salle de classe de Frédérique Bolot, l'extraverti Narek lève sans cesse le doigt, Timeo, l'agité, est régulièrement repris par la maîtresse, et la timide Zeynep sait déjà écrire, en toute discrétion, les soustractions. Avec elle, la maîtresse a mis en place un suivi particulier pour la stimuler. Avec cet effectif réduit, dans une ambiance presque familiale, Frédérique Bolot a pu mettre en place une pédagogie réellement différenciée. Elle est installée sur une table, au même niveau que ses élèves. Pas de temps mort, pas de brouhaha. Le passage entre deux séquences est fluide. «Les élèves sont autonomes plus rapidement», explique-t-elle.
En France, comme ailleurs, on apprend mieux lorsqu'on est moins nombreux
Et s'il y avait une critique à ce dispositif, elle serait liée au manque d'émulation, parfois, dans le petit groupe. Un point qui ne fait pas le poids face aux aspects forcément positifs. En France, comme ailleurs, on apprend mieux lorsqu'on est moins nombreux. Un point sur lequel l'Hexagone, avec 19 élèves par enseignant, a encore des progrès à faire dans l'OCDE, où la moyenne se situe à 15.
Dans l'école Mougne-Tixier, l'espace ne manque pas. Les tables vides, au fond de la classe, peuvent servir au tutorat. Dans cette école, il n'y a pas eu besoin de cloisons montées dans l'urgence, comme on a pu le voir en Île-de-France, pour mettre en place coûte que coûte la mesure Macron. Contraintes budgétaires obligent, elle n'a pas réellement fait l'objet de moyens spécifiques. Le gouvernement a dû ponctionner des postes au dispositif «Plus de maîtres que de classes» (une co-intervention de deux enseignants dans une même classe), imaginé sous le quinquennat précédent. À la rentrée prochaine, le dédoublement des classes devrait être étendu. Sans que le budget de l'Éducation nationale ait prévu de créations de postes. «Dans une académie comme Reims, le risque est de déshabiller les zones rurales des départements de la Haute-Marne et des Ardennes», avertit le SE-Unsa, qui pointe les inégalités qui pourraient alors en découler.

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Les agressions contre les sapeurs-pompiers en hausse (15.11.2017)
Par Pauline Dumonteil
Publié le 15/11/2017 à 20h48
En 2016, 2.280 sapeurs-pompiers ont déclaré avoir été victimes d'une agression physique en intervention. Un chiffre en hausse de 17,6 % par rapport à 2015.
Le métier de sapeur-pompier est de plus en plus risqué. Volontaires et professionnels ont déclaré avoir subi 2.280 agressions au cours de l'année 2016, selon une note de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publiée ce mercredi. Un chiffre en hausse de 17,6 % en un an. Ces agressions ont occasionné 1.613 journées d'arrêt de travail (+ 36,1% par rapport à 2015). 414 véhicules ont été endommagés, ce qui représente un préjudice financier de 283.442 euros. Ces chiffres «fournissent une tendance, précise Vincent Delbecque, adjoint au chef de l'ONDRP. Les données sont recueillies par un dispositif de signalement. Il n'y a pas d'obligation à déclarer les faits.»
«Nous sommes devenus des cibles, comme les policiers, déplore André Goretti, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers. La prise de risque est une part du métier. Mais porter secours et se faire agresser, c'est inconcevable. Le gouvernement doit prendre des mesures pour stopper ces actes inadmissibles.»
La région la plus touchée est la Nouvelle-Aquitaine, avec 406 agressions en 2016, contre 132 l'année précédente. Pourtant, c'est aussi celle où le taux de plaintes est le plus faible, autour de 6,9 %. À l'échelle nationale, moins de deux tiers des pompiers ont porté plainte (58,6 % d'entre eux).
Le lieutenant-colonel Fabrice Tailhardat, patron des pompiers de Haute-Saône, encourage pourtant à le faire: «En portant plainte, on souhaite principalement que l'agresseur prenne conscience de ses actes. L'aspect financier doit également être pris en compte. Cette semaine, une personne alcoolisée a donné une douzaine de coups à l'ambulance et l'a endommagée.» Or, pour faire jouer les assurances, une plainte est nécessaire.
«Les agressions verbales, c'est tous les jours»
La note de l'ONDRP ne comptabilise que les violences physiques. «Les agressions verbales, c'est tous les jours. C'est devenu habituel», affirme André Goretti. Certaines agressions marquent psychologiquement les sapeurs-pompiers. Les volontaires, qui représentent 40,5 % de l'ensemble, sont les plus vulnérables. «Un psychologue est disponible pour tout le département.
Dans les cas les plus graves, on fait appel à lui, explique Fabrice Tailhardat. Mais quand les pompiers subissent des violences de la part de personnes alcoolisées par exemple, certains pompiers rentrent à la caserne et passent à autre chose. Il y a un phénomène de banalisation.» En Haute-Saône, à partir de 22 heures, en cas de violences urbaines avérées (comme des incendies de voitures ou de poubelles), les pompiers attendent l'arrivée de la police pour intervenir.
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Le terminal de Rafah, ce goulet qui étrangle les Palestiniens (15.11.2017) 
Par Cyrille Louis
Mis à jour le 15/11/2017 à 20h12 | Publié le 15/11/2017 à 20h08
REPORTAGE - Unique porte de sortie pour les Palestiniens de Gaza souhaitant se rendre à l'étranger, le passage de Rafah reste clos malgré les promesses de réouverture nées de l'accord de réconciliation entre factions palestiniennes. Plus de 25.000 candidats au voyage sont contraints de patienter.

De notre envoyé spécial à Gaza

Le supplice enduré par Alaf al-Saafini n'est pas sans rappeler celui de Tantale. Depuis qu'elle a décroché en 2015 son diplôme de médecin à l'université islamique de Gaza, l'élégante jeune femme a plusieurs fois cru que le sort lui tendait la main. Il y eut d'abord cette bourse inespérée pour aller poursuivre ses études à l'hôpital universitaire de la Charité, en Allemagne, à laquelle elle dut renoncer faute de pouvoir s'extirper de l'enclave palestinienne. Puis, au printemps dernier, cette offre d'emploi à Dubaï. Visa en poche, elle prépara ses valises, déboursa les 1 700 dollars requis pour valider sa formation et inscrivit son nom sur la longue liste de ceux qui entendent gagner l'Égypte par le terminal de Rafah. Mais une fois encore, le siège hermétique imposé à la bande de Gaza contraria ses plans. «Après plusieurs mois d'attente, on m'a appelée le samedi 14 octobre pour m'informer que je pourrais passer le lendemain», se souvient la jeune femme, qui sortit alors faire d'ultimes emplettes avant le grand voyage. «Comme je pénétrais dans un magasin, poursuit-elle, les gens autour de moi se sont mis à parler d'un attentat qui venait d'être commis dans le Sinaï. On a appris dans la foulée que l'Égypte avait décidé de reporter l'ouverture du point de passage. À bientôt 30 ans, j'ai vu ce jour-là mes espoirs partir en fumée…»

Prisonniers dans l'enclave

Pris au piège d'un territoire sous blocus depuis une décennie, quelque 26 000 Palestiniens enregistrés auprès des autorités attendent, sans trop oser y croire, la réouverture du terminal de Rafah. L'Autorité présidée par Mahmoud Abbas, qui en a récemment repris le contrôle dans le cadre d'un accord de réconciliation avec le Hamas, a promis un retour rapide à la normale. Ses fonctionnaires se sont déployés au point de passage et la date du 1er novembre a un temps été évoquée, puis celle du 15 - avant qu'un nouveau report soit annoncé à quelques heures de l'échéance. «La réouverture interviendra en fonction des conditions de sécurité dans le Sinaï», ont de leur côté précisé les autorités égyptiennes. Confrontés à une violente insurrection djihadiste dans cette péninsule désertique, les services de renseignements du président Abdel Fattah al-Sissi ne veulent surtout pas voir la frontière avec Gaza se muer en passoire à travers laquelle les militants de l'État islamique pourraient circuler librement. Et ils ne sont peut-être pas prêts à se priver totalement de l'efficace moyen de pression, à la fois sur le Hamas et sur l'Autorité palestinienne, que constitue la maîtrise du terminal.



« La réouverture interviendra en fonction des conditions de sécurité dans le Sinaï »

La position des autorités égyptiennes

Depuis le début 2017, Rafah n'a ouvert que 14 jours et seuls 2624 voyageurs ont été autorisés à quitter Gaza. «Les politiciens continuent de nous faire miroiter des promesses, mais nous avons de plus en plus de mal à y croire», soupire Mona el-Banna, 23 ans, qui cherche depuis janvier dernier à rejoindre son mari parti étudier en Turquie. Pour elle comme pour l'immense majorité des habitants de l'enclave, il est à peu près impossible d'obtenir un permis de transiter par Israël si bien que l'Égypte fait figure d'unique porte de sortie. «Si j'avais pensé un instant que je risquais de me trouver bloquer ainsi, jamais je n'aurais choisi de revenir faire mon internat à l'hôpital Shifa», grimace Wala Faez, une Palestinienne de 26 ans qui a fait ses études de médecine au Caire et s'efforce en vain, depuis cinq mois, d'y retourner pour entamer sa spécialisation en gynécologie.
Abeer Aarouk, 47 ans, se cramponne au mince espoir soulevé par le retour de l'Autorité palestinienne. Piégée à Gaza depuis avril dernier, elle a échoué avec ses quatre fils, ses deux belles-filles et deux de ses petits-enfants au troisième étage d'un immeuble miséreux dans le quartier de Sheikh Radwane. Leurs valises, entreposées sous une couverture qui s'effiloche, forment un sinistre monticule dans un coin de la pièce nue. Rentrée de Khartoum (Soudan), où elle s'est établie il y a cinq ans avec son mari, pour assister au mariage de deux de ses filles, Abeer prévoyait au départ de ne passer que deux semaines à Gaza. «Le temps de profiter un peu de la famille», soupire-t-elle. Mais la fermeture quasi permanente de Rafah les a contraints à prolonger leur séjour. «Je n'ai pas inscrit mes fils à l'école ou à l'université car on espère pouvoir repartir d'un moment à l'autre - si bien qu'ils passent leurs journées à traîner sans rien faire et à se gaver d'antidouleurs pour calmer leur déprime», déplore, impuissante, la mère de famille, qui se rend chaque semaine au ministère des Affaires civiles pour vérifier que son nom est bien inscrit sur la liste des candidats au départ. «Lors de notre dernière visite, on avait le numéro 1850, soupire Abed, l'un de ses fils. Alors, même si le terminal rouvre, nous devrons sûrement attendre plusieurs jours avant de pouvoir passer.»
« Mon mari, qui refuse de rentrer depuis 2005, me dit qu'il ne veut plus me voir mettre les pieds ici. Mais je ne peux pas me résigner à couper complètement les ponts avec ma famille»
Abeer
La situation actuelle, Abeer ne le sait que trop, n'a rien d'exceptionnel. Par deux fois déjà, elle s'est retrouvée prisonnière de la bande de Gaza. Il y a une dizaine d'années d'abord, peu après la prise de pouvoir du Hamas, lorsqu'elle dut attendre dix-neuf mois avant de pouvoir franchir clandestinement la frontière autrefois poreuse avec la péninsule du Sinaï. Puis en 2014, quand elle fut coincée à Gaza durant près de sept mois alors qu'elle prévoyait à l'origine de n'y passer qu'une semaine. «Mon mari, qui refuse de rentrer depuis 2005, me dit qu'il ne veut plus me voir mettre les pieds ici. Mais malgré toutes ces difficultés, je ne peux pas me résigner à couper complètement les ponts avec ma famille et l'endroit où j'ai grandi», dit-elle tristement.
La réouverture permanente du point de passage, par lequel transitèrent plus de 200 000 Palestiniens durant le bref mandat du président islamiste Mohammed Morsi, ne semble guère envisageable tant que l'Autorité palestinienne, l'Égypte et Israël ne seront pas tombés d'accord sur un régime de contrôle des entrées et des sorties. La mission européenne Eubam, qui fut chargée en 2005 de superviser ces opérations avant de suspendre son activité deux ans plus tard en raison de la prise de pouvoir du Hamas, s'est récemment déclarée prête à reprendre du service à condition que les conditions de sécurité soient réunies. Mais on ignore si l'État hébreu accepterait de ressusciter l'accord sur les accès et les mouvements. Celui-ci autorisait à l'époque la libre circulation des Palestiniens entre l'Égypte et Gaza, mais soumettait au contrôle israélien le transit des ressortissants étrangers ainsi que celui des marchandises. «Nous attendons pour l'heure que les parties nous informent officiellement de leurs intentions», glisse une source européenne.
Un mariage sous forme d'adieux
Assise dans le salon familial, Raneen Ziara ignore tout de ces subtilités mais subodore que les belles promesses de l'Autorité doivent être considérées avec prudence. Son sourire vif, rehaussé d'une pointe de rouge à lèvres, dissimule mal la nervosité avec laquelle elle manipule l'anneau serti de pierres précieuses à l'annulaire de sa main droite. «Je me suis fiancée le 3 septembre 2015, précise la jeune femme, et attends depuis de rejoindre l'homme qui, comme le veut la tradition, me passera cette bague à l'autre main.» Ingénieur dans les télécommunications, ce cousin éloigné qui réside en Arabie saoudite est tombé amoureux de Raneen il y a huit ans, lors d'une visite à Gaza. Malgré les obstacles et les réticences de la famille, le jeune homme lui a depuis fait porter sa bague de fiançailles par un Palestinien autorisé à faire le pèlerinage de La Mecque. Mais la crainte de se retrouver pris au piège, et de perdre ainsi un statut de résident saoudien qu'il doit régulièrement renouveler, l'a fait renoncer à venir chercher sa promise à Gaza. Au printemps dernier, c'est donc Raneen qui s'est inscrite sur la liste des candidats au départ vers l'Égypte. Sa valise, préparée avec soin, attend depuis lors dans un coin de sa chambre. «Le 8 septembre dernier, mes parents et moi avons organisé une fête de mariage symbolique en présence de plusieurs centaines de membres de ma famille - qui était en réalité une cérémonie d'adieu, raconte la jeune femme, dont le regard se voile soudain de tristesse. J'avais revêtu ma robe blanche et un message enregistré par mon fiancé a été diffusé dans la salle des fêtes. Mais en mon for intérieur, je ne me suis jamais sentie aussi seule.»
Comme tant d'autres Palestiniens prisonniers de Gaza, Raneen Ziara hésite entre la tentation de baisser les bras et la rage de se fabriquer une vie normale en dépit de l'adversité. Ambitieuse, elle rêve de poursuivre ses études de journalisme pour décrocher un emploi digne de ce nom une fois qu'elle sera installée en Arabie saoudite. «Un jour de désespoir, j'ai appelé mon fiancé pour l'encourager à tout laisser tomber pour repartir de zéro avec une autre femme. Mais il m'a dit qu'il ne renoncerait jamais», sourit-elle. Sa mère, qui la couve d'un regard bienveillant, l'encourage aussi à ne pas se décourager. Quitte à prendre sur elle pour taire les craintes que lui inspire l'avenir. «D'un côté, je prie pour ma fille puisse enfin réaliser son rêve, murmure-t-elle tandis que Raneen s'éloigne un instant pour rajuster son voile couleur crème. Mais, de l'autre, je tremble à l'idée que nous ne nous reverrons peut-être jamais…»

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Une mutation de la longévité chez certains Amish ? (16.11.2017)
Par Jean-Luc Nothias
Mis à jour le 16/11/2017 à 18h37 | Publié le 16/11/2017 à 18h16
Une forme inactivée d'un gène pourrait être l'un des responsables d'un gain de dix ans en durée de vie.
Une communauté amish a peut-être fourni involontairement une des clés pour comprendre le vieillissement. Une équipe de la Northwestern University de Chicago (Illinois) a réussi à convaincre 177 Amish de se prêter à des analyses génétiques: résultat, une simple mutation d'un gène porté par le chromosome 7 apparaît nettement corrélée à la longévité de ceux qui l'ont. Ils auraient une longévité augmentée de dix ans par rapport aux autres. Ainsi qu'une meilleure protection contre les maladies telles que le diabète ou les pathologies cardio-vasculaires (résultats publiés dans la revue Science Advances).
Sur les 177 personnes testées, 43  étaient porteuses de la mutation. Leur sang contenait nettement moins de protéines PAI-1 que celui des personnes non porteuses de la mutation
L'étude s'est intéressée à 177 hommes et femmes, de 18 à 85 ans, de la communauté amish de la ville de Berne, en Indiana (fondée en 1852 par 70 fervents Amish venus de Berne en Suisse). Les scientifiques, avertis par des études antérieures, ont recherché la présence d'une mutation (Serpine 1) bien particulière: celle-ci éteint le gène qui commande la fabrication de la protéine PAI-1 (inhibiteur de l'activateur du plasminogène 1), impliquée dans les phénomènes de vieillissement cellulaire. Des études sur la souris avaient montré que le taux de PAI-1 montait chez des souris au fur et à mesure qu'elles vieillissaient. Son taux est également plus élevé chez les obèses et les diabétiques.
Sur les 177 personnes testées, 43  étaient porteuses de la mutation. Leur sang contenait nettement moins de protéines PAI-1 que celui des personnes non porteuses de la mutation. Ayant relevé parallèlement toutes les données physiques (poids, tension, taux d'insuline, de cholestérol, etc.), ainsi que les données généalogiques sur trois générations, ils ont pu établir que les porteurs de la mutation avaient un avantage de longévité de dix ans par rapport aux Amish qui n'avaient pas la mutation, et par rapport à la population générale.
Nouvelle piste de recherche
Les chercheurs ont également pu montrer que cela avait une influence sur un autre indicateur de la sénescence, les télomères des chromosomes des globules blancs. Ces petites structures d'ADN situées aux extrémités des chromosomes sont comme les embouts en plastique qui empêchent les lacets de s'effilocher. Plus une cellule vieillit, plus le «capuchon» des chromosomes raccourcit. Lorsqu'il est trop court, cela empêche la cellule de se diviser et elle devient sénescente. Les Amish porteurs de la mutation avaient des télomères de 10% plus longs que les autres.
Les chercheurs ont également pu montrer que cela avait une influence sur un autre indicateur de la sénescence, les télomères des chromosomes des globules blancs
«Nous avons confirmé avec cette étude les résultats de précédentes études suggérant que la longueur des télomères est liée à l'âge chronologique et est en grande partie héréditaire», écrivent ainsi les auteurs de ces travaux. Si ce genre de groupe intéresse particulièrement les chercheurs, c'est qu'il s'agit de populations où, au vu de leur mode de vie, la génétique ressemble à celles de groupes isolés sur des îles. Les mutations y sont plus simples à suivre. Et on sait que ces communautés présentent des particularités: elles sont beaucoup moins sujettes à l'asthme et aux allergies.
Si les auteurs de l'étude estiment qu'une nouvelle piste de recherche sur les phénomènes du vieillissement est bien ouverte, ils soulignent que bien d'autres études seront nécessaires pour confirmer cette corrélation et, surtout, pour expliquer les mécanismes en jeu. Il y a peu de chances pour que cette mutation d'un seul gène soit la seule responsable de ce vieillissement retardé.

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Zimbabwe : le «Crocodile» Emmerson Mnangagwa en embuscade (16.11.2017)

Par Tanguy Berthemet
Mis à jour le 16/11/2017 à 19h19 | Publié le 16/11/2017 à 18h35
L'ancien vice-président, réputé pour sa brutalité, serait à l'origine du coup contre Robert Mugabe.
Le Zimbabwe vogue dans le flou. Deux jours après la chute de Robert Mugabe, poussé loin du pouvoir par les militaires, les Zimbabwéens restent interloqués. Jamais, depuis son indépendance, le pays n'avait connu d'autre chef que Mugabe, devenu au fil des années une sorte de monarque. Au Zimbabwe, «l'État, c'est Mugabe», souligne ainsi, et en français, le quotidien sud-africain Mail and Guardian.
 «L'armée redoutait d'hériter d'un président qui ne lui convenait pas. Il lui fallait agir en urgence pour l'éviter»
Knox Chitiyo, du centre de réflexion Chatham House
La fin de l'ère Mugabe semble pourtant aujourd'hui acquise. Alors que l'armée a pris dans le calme, mercredi à l'aube, le contrôle des principaux points de la capitale, le vieux chef d'État est hors-jeu. Selon, les autorités sud-africaines, le président Jacob Zuma s'est entretenu avec son homologue, qui a confirmé qu'il était aux arrêts chez lui et «qu'il allait bien». Son épouse, Grace, dont les velléités de succéder à son mari sont à l'origine de la crise, et plusieurs ministres, des «jeunes» considérés comme proches de la première dame, sont aussi retenus dans une résidence officielle. Le parti au pouvoir, la Zanu-PF, est pour l'instant maté, silencieux, hormis Kudzai Chip, le leader de la puissante branche des jeunes du mouvement, qui dans un bref message à la télévision s'est excusé de s'en être pris aux militaires quelques jours auparavant.
Révolution actée
La communauté internationale apparaît, elle aussi, avoir acté en grande partie cette révolution de palais. L'Union africaine comme Washington, Londres ou Paris ont certes condamné le coup de force, appelant à «la retenue» et au rétablissement de «l'ordre constitutionnel», mais se gardant bien d'exiger le retour du vieux président. Conscients qu'un putsch n'était plus acceptable, le porte-parole de l'armée s'est empressé d'affirmer qu'il ne s'agissait pas «d'un coup d'État» contre le président, mais d'une opération contre «les criminels» l'entourant. Cela ne trompe personne mais permet de gagner du temps. En fait, «l'armée redoutait d'hériter d'un président qui ne lui convenait pas. Il lui fallait agir en urgence pour l'éviter», confirme Knox Chitiyo, du centre de réflexion Chatham House.
L'avenir du président et celui de sa femme se négocieraient difficilement avec un exil et une immunité à la clé
Le problème pour les officiers est maintenant de trouver une sortie pérenne et légale à la crise. Emmerson Mnangagwa se pose en dauphin le plus évident. L'ex-vice-président, dont le limogeage le 6 novembre a précipité les choses, est aussi l'ancien ministre de la Défense, très proche des militaires. Le scénario envisagé serait de rétablir Mnangagwa dans sa fonction - le vice-président étant constitutionnellement le successeur -, puis d'en faire le président de fait lors du congrès de la Zanu-PF qui se tiendra en décembre. Pour que cet habillage tienne, il faut que Mugabe accepte sa chute.
Or le vieux président s'y refuserait encore, n'ignorant pas qu'il tient là son dernier atout. Et Mugabe, toute sa vie le montre, est un joueur et un joueur talentueux. Jeudi, plusieurs intermédiaires, dont deux envoyés la SADC, l'organisation régionale, et un prêtre, faisaient donc les médiateurs. L'avenir du président et celui de sa femme se négocieraient difficilement avec un exil et une immunité à la clé. Emmerson Mnangagwa, en exil et dont on était sans nouvelles officiellement jeudi, n'est pas forcément étonné de cette impasse. D'après l'agence Reuters, des documents des services de renseignements zimbabwéens montrent que le coup est en préparation depuis au moins un an, en collaboration avec des pays voisins et l'opposition. Le retour mercredi à Harare de Morgan Tsvangirai, le chef du MDC, le principal parti d'opposition, à l'étranger depuis des mois pour soigner un cancer, accréditerait cette hypothèse et celle d'un nouveau gouvernement d'union nationale. Jeudi, il a appelé Mugabe à démissionner sans s'avancer davantage.
Le supposé nouvel homme fort
Emmerson Mnangagwa, 75 ans (…) n'a pas précisément l'image d'un réformateur. Celui que l'on surnomme le « Crocodile », pour sa brutalité, est même longtemps passé pour un dur du régime
Car l'union n'est pas forcément évidente. Emmerson Mnangagwa, 75 ans, le supposé nouvel homme fort, n'a pas précisément l'image d'un réformateur. Celui que l'on surnomme le «Crocodile», pour sa brutalité, est même longtemps passé pour un dur du régime. Depuis son retour sur les devants de la scène en 2014, il s'est attaché à polir son image, offrant celle d'un dirigeant raisonnable, prêt à des compromis pour redresser l'économie moribonde du Zimbabwe comme ouvrir les bras aux fermiers blancs chassés de leurs terres. Ce discours, tout comme ses liens puissants dans le secteur minier, lui a valu des soutiens diplomatiques.
Imaginer un Zimbabwe enfin ouvert et démocratique avec un tel homme a sa tête reste un défi. Car, ministre sans discontinuer depuis 1980, baron de la Zanu-PF, le Crocodile est un très proche de Mugabe, avec lequel il a partagé les années de lutte pour l'indépendance. Très jeune, il rejoint le combat contre le régime raciste de Rhodésie. Dans les années 1960, il échappe de justesse au peloton d'exécution, car mineur, mais se trouve condamné à dix ans de prison. C'est là qu'il s'attache à Robert Mugabe dont il devient l'âme damnée. La Zanu-PF et Mugabe arrivés au pouvoir, il est chargé des renseignements et de la sécurité intérieure, se transformant en homme des basses œuvres et véritable numéro deux du régime. Une spécialité qui ne l'a pas empêché d'étendre ses talents hors du pays. Pendant la guerre dans le Congo voisin, au cours des années 1990, il a coordonné l'intervention des forces zimbabwéennes, amassant au passage, d'après un télégramme diplomatique américain dévoilé par WikiLeaks, une fortune considérable. Des accusations qu'il n'a jamais pris la peine de démentir. Sûr de lui, il a l'habitude de se comparer volontiers au crocodile, son totem, «qui ne frappe qu'au bon moment». Le bon moment est sans doute venu.

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Sur le dark Web, un passeport américain vaut entre 4 et 4000 euros (15.11.2017)
Par Elsa Trujillo
Publié le 15/11/2017 à 16h32
Des chercheurs en sécurité ont enquêté sur le fonctionnement du marché noir sur le dark Web. Données personnelles, papiers d'identité et logiciels de piratage informatique y sont vendus à des prix dérisoires.
Le dark Web, cette partie d'Internet non indexée par les moteurs de recherche, inquiète autant qu'il fascine. Les pages secrètes qu'il comprend sont accessibles via des logiciels spécifiques tels que Tor, et garantissent un relatif anonymat à leurs visiteurs. Privilégiées par les personnes soucieuses du respect de leur vie privée, elles sont également le terrain de jeu de différents réseaux criminels. Dans cette arrière-cour du Web, certains biens et services sont vendus à des prix dérisoires, selon un rapport de la société de sécurité Flashpoint.
L'entreprise a mené une enquête en écumant les places de marché internationales les plus fréquentées du dark Web, et en portant son attention sur les produits les plus facilement accessibles. Parmi eux, les passeports américains sont particulièrement recherchés. Ils sont le plus souvent vendus sous trois formats, précise le rapport: des scans, qui peuvent fonctionner au motif d'une perte de l'original, des modèles à remplir soi-même, et des documents physiques. Les simples photocopies peuvent être revendues entre 4 et 55 euros, contre 2520 à 4200 euros pour les passeports physiques, dérobés à leur détenteur ou fabriqués sur mesure. Un passeport européen reviendra en moyenne à 170 euros, contre 420 pour un passeport russe, selon les données de la start-up française CybelAngel, contactée par le Figaro.
Une centaine d'euros pour une cyberattaque
D'après Flashpoint, le dark Web regorge également de logiciels destinés à lancer une cyberattaque. Les ransomwares, ces programmes malveillants destinés à chiffrer les données de leurs cibles avant d'exiger le versement d'une rançon sont proposés sous forme d'abonnement. Il est possible d'en acquérir un pour 67 à 85 euros par jour. Un mois entier d'utilisation reviendra entre 1180 et 1700 euros. Des «botnets», ces réseaux de machines utilisés pour lancer des attaques par déni de service et saturer la capacité d'un serveur, peuvent être loués pour seulement 8 euros, pour une attaque d'une heure, le montant dépendant de la durée de l'opération et de la nature de ses cibles. Les attaques les plus complexes ciblant par exemple un gouvernement ou des sites Web de banques, peuvent revenir à une centaine d'euros par heure. «Pour embaucher un hacker, une soixantaine d'euros suffit», ajoute un représentant de CybelAngel.
Les places du marché du dark Web sont scrutées de près par les autorités. Fin juillet, les polices américaine et européenne ont annoncé la fermeture de deux très importantes plates-formes, Alphabay et Hansa, où circulaient de la drogue et des armes en toute discrétion. AlphaBay, la plus importante des deux, se présentait comme un «eBay du marché noir». Les transactions étaient payées en crypto-monnaies comme le bitcoin, afin de masquer l'identité des vendeurs et des clients. Longtemps considérée comme le plus grand site de vente de drogues en ligne au monde, la plate-forme Silk Road a été fermée par le FBI en octobre 2013. Son fondateur, le Californien Ross Ulbricht, a, lui, écopé de peine de réclusion criminelle à perpétuité.
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Journaliste pour la rubrique high tech & web.
@Elsa_Trujillo_
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Du Pays Basque à la Colombie, ils nous racontent leur vie sous le terrorisme
  1.  

  1. Actualité

  1. International
Par Caroline PiquetYohan Blavignat et Anne-Laure FrémontMis à jour le 14/11/2017 à 09h20 | Publié le 04/11/2016 à 17h37
GRAND ANGLE - Ils viennent d'Algérie, d'Irlande du Nord ou du Pérou et ont été confrontés de près ou de loin au terrorisme. Ils ont accepté de remonter le temps pour nous raconter.
Charlie Hebdo, Paris et Saint-Denis, Nice, Magnanville, Saint-Etienne du Rouvray... Depuis plus de deux ans, la liste des attentats en France s'est allongée. «Habituez-vous à vivre avec le terrorisme», avait déclaré le premier ministre Manuel Valls, deux semaines après les tueries de janvier 2015.
Mais comment vivre avec cette menace? Cette question, nous l'avons posée l'an dernier à plusieurs citoyens originaires de pays ayant connu des périodes de terreur. Ils viennent du Pays Basque, du Sri Lanka, du Pérou, d'Irlande du Nord, d'Algérie et de Colombie. Tous, à un moment de leur vie, ont été confrontés de près ou de loin à cette violence, sans en être forcément victimes. Ils nous ont raconté leur histoire, leurs craintes mais aussi leur envie de «continuer à vivre normalement».
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Comment vivre avec le terrorisme ? (16.11.2017) 
Le Figaro a interrogé des citoyens de plusieurs pays ayant connu des périodes de terreur. Ils viennent du Pays Basque, du Sri Lanka, du Pérou, d’Irlande du Nord, d’Algérie et de Colombie. Tous, à un moment de leur vie, ont été confrontés de près ou de loin à cette violence, sans en être forcément victimes. 
Ils sont avocat, policier, journaliste, entrepreneur, enseignant. Des citoyens comme les autres, qui ont accepté de nous raconter leur histoire personnelle, leur quotidien et de poser un regard sur une époque aujourd’hui révolue mais toujours bien ancrée dans leur mémoire.
La situation de chacun de ces pays et de chacune de ces personnes est bien entendu unique. Il ne s’agit pas de les comparer mais de comprendre comment ils ont vécu ces périodes sombres, tout en “continuant à vivre normalement”. 
Espagne : Juan Puelles, une vie sous l’ETA
Ce policier de 51 ans vit à Bilbao au Pays Basque.

Juan Puelles, 51 ans. Crédits photo : Colectivo de Víctimas del Terrorismo. 
«J’ai toujours connu le terrorisme. Quand je suis né en 1965, l’ETA existait déjà depuis six ans. Au départ, je pensais que je ne serais jamais touché. Pour moi, ma famille ne faisait pas partie des cibles potentielles de l’organisation. Je mené une existence tranquille. Mais les choses ont changé quand mon frère Eduardo a intégré la police nationale, un objectif bien connu de l’ETA . C’était en septembre 1981. A partir de ce moment-là, j’ai commencée à réaliser que ma famille et moi serions confrontés à ce danger.
C’EST QUOI L’ETA ?
Fondée en 1959, l’organisation armée basque indépendantiste Euskadi Ta Askatasuna (ETA), “Pays basque et liberté” en basque, a tué et blessé des centaines de personnes et commis de nombreux enlèvements. Inscrite sur la liste officielle des organisations terroristes de plusieurs pays dont la France, l’ETA a déclaré son cessez-le-feu général en 2011.
Encore plus lorsque j’ai décidé de devenir agent de police en 1991. Comme mes collègues, je me suis mis à faire attention. Je changeais mes trajets quand j’allais au travail ou quand je rentrais chez moi. Je démarrais ma voiture à distance avec une télécommande. Comme ça, si elle était piégée, elle explosait sans que je sois à l’intérieur. Est-ce qu’on s’y habitue ? Oui. En tant qu’être humain, vous vous adaptez au monde qui vous entoure. Vous essayez de vivre normalement. Et c’est important de le faire pour garder la tête froide.
Durant ces 46 années de terrorisme, mon pire souvenir est sans conteste l’assassinat de mon frère Eduardo, alors inspecteur en chef de la Police nationale. Il était responsable de la cellule antiterroriste de l’ETA, au Pays basque.
J’ai appris sa mort par la télévision, le 19 juin 2009. Plus tôt dans la matinée, j’avais reçu un appel de ma mère, qui habitait près du lieu où avait explosé une voiture. Elle était inquiète, elle n’arrivait pas à joindre mon frère. J’ai essayé de la rassurer. Je pensais qu’il était justement occupé par l’attaque en cours. Mais lorsque j’ai vu aux informations que l’explosion s’était produite dans un parking où il avait l’habitude de se garer, j’ai rapidement compris que c’était lui…
Quand je vois ce qui arrive en France, j’ai envie de faire passer ce message : à chaque attaque, les terroristes cherchent à nous faire peur et à nous faire renoncer à nos valeurs démocratiques. Les Français doivent se battre pour les conserver et continuer à les revendiquer ! »
Irlande du Nord : les mémoires troublées d'Eimear O'Callaghan
Cette journaliste de 61 ans vit à Portstewart.

Eimear O’Callaghan, 61 ans. Crédits photo: DR.    
«J’avais 16 ans en 1972, l’année la plus sombre des Troubles [voir encadré]. Cette année-là, plus de 450 personnes ont été tuées. J’avais très peu de souvenirs de cette période, jusqu’à ce que je tombe sur mon journal intime de l’époque. En le lisant, j’ai été choquée: chaque jour, des morts et des morts. Un journal bien étrange pour une adolescente.
Si vous m’aviez demandé comment était ma jeunesse avant la découverte de ce journal, je vous aurais répondu “très heureuse”. Nous vivions dans notre quartier (catholique) d’Andersonstown, mes deux parents travaillaient, on partait en vacances, aucun membre de ma famille proche n’a été blessé… Pourtant, à la lecture de ce journal, je me rends compte que chaque jour je pleurais, chaque jour je priais en pensant qu’on ne passerait pas la nuit.
COMPRENDRE LES «TROUBLES»
Depuis 1921, l’île irlandaise est coupée en deux: au sud, la république d’Irlande (catholique), et au nord, l’autre partie de l’île rattachée au Royaume-Uni et à majorité protestante. Dans les années 1960 se développe le mouvement pour les droits civiques, inspiré des Etats-Unis. Ses militants entendent lutter contre les discriminations dont sont victimes les catholiques en Irlande du Nord. Ils organisent plusieurs marches, dont celle de Derry en 1968, qui est brutalement réprimée. C’est le point de départ d’affrontements sanglants, qui opposent les extrémistes des deux camps: catholiques «républicains» ou «nationalistes» d’un côté, protestants «unionistes» ou «loyalistes» de l’autre. Cette période d’affrontements, appelé les «Troubles» et durant laquelle 3500 personnes ont été tuées, va durer jusqu’en 1998 - année des accords de paix du vendredi Saint.
En 1972trois personnes que je connaissais ont été tuées par les loyalistes. On avait l’impression que l’étau se resserrait. On se levait avec la peur de les voir venir nous chercher. Tous les soirs, nous vivions au son des tirs de la rue. Quand je faisais mes devoirs, j’étais parfois contrainte d’éteindre la lumière par peur d’attirer l’attention. La peur faisait partie du quotidien. Si mon père mettait du temps à rentrer du travail, ma mère nous réunissait pour prier. A-t-il été enlevé ? Lui a-t-on tiré dessus? A-t-il été victime d’une bombe? On ne savait jamais qui allait être le prochain.
Les gens de l’IRA ne se montraient pas, mais ils étaient tout autour. Ils sont plusieurs fois  entrés chez nous pour pouvoir tirer de nos fenêtres. Comme personne n’avait confiance en la police, on ne bronchait pas.

Le service de bus ne fonctionnait plus. J’étais donc obligée d’aller à l’école à pied. Plus de 3 km le long de la Falls road, qui était au coeur du conflit. Je passais devant des soldats, des véhicules blindés, des barricades en feu, le cimetière où se déroulaient chaque jour les funérailles de républicains. Mais l’école, elle, ne fermait jamais. Même après le Bloody Sunday (quand l’armée britannique tira sur une foule de manifestants catholiques à Derry, faisant 13 victimes, ndlr), on pensait que les religieuses allaient annuler les examens, mais non. On ne comprenait pas pourquoi elles continuaient chaque matin à inspecter nos uniformes, à surveiller que nos jupes ne soient pas trop courtes, comme si de rien n’était. Peu importe ce qu’il se passait au-delà du portail, à l’école, pas un mot sur les “Troubles”. En y repensant aujourd’hui, c’était peut-être la seule normalité de notre quotidien.
En 1981, le journaliste Christian Bousquet explique le conflit en Irlande du Nord sur dans l'émission 7 sur 7, sur TF1. 
Il y avait une telle ségrégation à Belfast que je n’ai rencontré de protestants qu’une fois à l’université.  Aujourd’hui, je rends souvent visite à ma mère qui vit toujours dans notre maison d’Andersonstown. Rien n’a changé, et en même temps tout a changé. Je regarde aussi avec attention ce qu’il se passe en France, et je pense que c’est une situation dangereuse car je sais comment les communautés peuvent être diabolisées à cause de l’action d’une poignée de personnes… et comment une société peut facilement imploser.

photo : Eimear O’Callaghan en famille, à l’âge de 14 ans (debout derrière la chaise)
Algérie : les quatre années noires de Noureddine Khelassi
Ce journaliste de 61 ans a couvert les attentats islamistes qui ont frappé l’Algérie dans les années 1990.

Noureddine Khelassi, 61 ans est journaliste depuis 1979. Crédits photo: DR.      
« Au début, c’est la stupéfaction, l’effarement, le choc. On essaie de comprendre, on s’interroge. Qui ? Comment ? Est-ce que les choses vont s’arrêter là ? Et personne ne détient de réponse.
Chaque jour, on dénombrait des centaines d’actes de violences dans le pays : des attentats à la voiture piégée, des attaques ciblées qui visaient des policiers, militaires, fonctionnaires ou des citoyens lambda soupçonnés à tort ou à raison d’être des agents du pouvoir ou des mouchards.
RETOUR SUR «LA DÉCENNIE NOIRE»
Pendant une dizaine d’années, un violent conflit opposa le gouvernement algérien et divers groupes islamistes. On appela cette période « La décennie noire » ou encore « les années de braises ». Cette guerre civile débuta en décembre 1991, lorsque le gouvernement annula les élections législatives, de peur que le Front islamique du salut (FIS) ne prenne le pouvoir. De nombreux membres du FIS furent arrêtés. L’Etat d’urgence fut déclaré et des droits constitutionnels suspendus. 
En représailles, plusieurs groupes de guérilla islamistes commencèrent une lutte armée. D’abord contre les policiers et les militaires, puis contre les civils. Le 26 août 1992, l’attentat de l’aéroport d’Alger fit 9 morts et 128 blessés, selon un bilan officiel. Entre 60.000 et 150.000 personnes ont péri sur cette période et plus d’une centaine de journalistes ont été assassinés entre 1993 et 1997.
Il y avait aussi les “vrai-faux barrages militaires” sur la route. Les islamistes se grimaient et arrêtaient les gens, contrôlaient leurs papiers et dans le meilleur des cas, les abattaient par balle. Mais le plus souvent, le mode opératoire, c’était l’égorgement. Donc à chaque fois qu’il fallait franchir un check point, je me posais toujours la même question : vais-je le passer vivant ?
Il faut également parler des cadavres piégés, une technique déjà utilisée au temps de la guerre au Vietnam. Les islamistes appelaient les pompiers ou les policiers et lorsque ces derniers arrivaient et touchaient le cadavre, la bombe explosait. Dans les périodes creuses, nous avions une dizaine d’attentats par jour. C’était un quotidien absolument chaotique, de terreur. Moi-même, j’ai perdu des cousins, des amis, des voisins...
«Je ne restais pas plus de 10 minutes au même endroit» 
Malgré tout, on s’habitue et on continue à vivre. On sort, on va au restaurant, mais tout en prenant des précautions. En tant que journaliste, on tombait dans une sorte de semi-clandestinité et on apprenait à ne plus avoir d’habitudes. En clair, vous brouillez les repères qui peuvent vous rendre identifiables. Du coup, vous ne dormez plus régulièrement au même endroit. Personnellement, j’ai vécu dans cinq ou six lieux différents. Un jour par ci, un jour par là. Je ne rentrais jamais “chez moi” à la même heure et n’empruntais jamais le même chemin. Je faisais ça au feeling, à l’instinct.
De même, je ne restais pas plus de 10 minutes au même endroit. Quand je rentrais dans un café, je faisais en sorte de ne pas avoir le dos tourné à la porte. Je voulais toujours avoir une perspective pour voir d’où venait le danger. Au fil du temps, vous arrivez même à vous méfier de votre voisin, de votre famille. Il y en a qui étaient chargés de liquider leur propre frère ! Du côté du régime qui s’était engagé dans la lutte antiterroriste, il y a aussi eu des abus, des liquidations extrajudiciaires, des escadrons de la mort. J’ai d’ailleurs été menacé de mort parce que je travaillais dans un journal qui accordait la parole à tout le monde, y compris aux islamistes.
J’avais peur mais j’arrivais à surmonter mes craintes. De toute façon, il le fallait. Ne serait-ce que pour faire un bras d’honneur aux criminels tapis dans l’ombre et rendre hommage à ceux qui étaient morts.
En 1995, des journalistes de France 2 avait posé leurs caméras à Alger pour filmer le quotidien des Algérois face au terrorisme. 
Et puis avec le temps, la peur finit par se banaliser. Les lignes bougent. La première fois, vous avez éprouvé une épouvante terrible, la seconde fois, le même attentat se produit et votre sentiment de terreur s’amoindrit et ainsi de suite. C’est humain.
Conscient du risque que j’encourais, j’ai décidé de quitter l’Algérie en 1995. Ça a été très dur de partir, j’ai beaucoup culpabilisé. En fait, j’ai vécu deux épreuves : la peur face au terrorisme et la douleur de l’exil. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir retrouvé une vie normale en Algérie mais je fais encore des cauchemars violents qui me réveillent la nuit. Et quand vous sillonnez le pays, il y a encore ces fameux checkpoints, qui vous rappellent de mauvais souvenirs ».
Pour aller plus loin :
Pérou : Nadiezhda Agostini, si loin, si proche du Sentier Lumineux
Cette Péruvienne de 44 ans a créé son entreprise à Lille.

Nadiezhda Agostini au Pérou, en 2015. Crédits photo: DR.    
«Vivre au Pérou dans les années 1980 et 1990 laisse des traces. Le Sentier Lumineux, qui a émergé dans la région d’Ayacucho, a rapidement mené des attaques dans la capitale, Lima, où j’ai grandi. Au début, ils visaient principalement des tours électriques dans des quartiers assez éloignés du centre-ville. Ces attaques avaient pour conséquence de nous priver d’électricité pendant des semaines entières. On s’éclairait donc à la bougie ou grâce à des lampes à kérosène. Je me souviens d’ailleurs très bien qu’on allait régulièrement chercher du carburant dans les magasins pour ne pas être à court. Cette situation a duré les vingt premières années de ma vie.
C’EST QUOI LE SENTIER LUMINEUX ?
Le Sentier Lumineux, fondé en 1970 par Abimael Guzman dans la province d’Ayacucho, est devenu dans les années 1980 une insurrection armée issue d’une dissidence du Parti communiste péruvien. La guérilla opposant les militaires péruviens au Sentier Lumineux a fait plus de 69.000 victimes entre 1980 et 2004. Le gouvernement péruvien évalua le coût économique des activités terroristes du Sentier Lumineux à plus de 16 milliards de dollars, l’équivalent de la dette extérieure du pays. 
Nous n’allions pas au cinéma ou au théâtre. En règle générale, nous évitions les lieux fréquentés par peur des bombes. J’étais jeune et j’ai appris à vivre comme ça. On n’y allait pas, c’est tout. On ne se posait pas de questions, même si c’était frustrant à l’adolescence de ne pas pouvoir sortir avec des amis le soir.
De même, on ne voyageait que très peu à l’intérieur du Pérou. C’était trop dangereux. Je me souviens notamment d’une parade militaire à laquelle j’ai assisté à Iquitos, dans le nord du pays, avec mes parents. À un moment, des militaires ont tiré en l’air pour manifester leur joie, ce qui a créé un mouvement de panique dans la foule. On entendait les gens crier : “Les guérilleros sont là!”, et on les voyait courir dans tous les sens. Il y avait une sorte de paranoïa collective. 
Quelques années plus tard, quand j’avais une vingtaine d’années, je révisais chez moi quand une bombe a explosé dans le bâtiment de l’entreprise IBM, à cent mètres de mon appartement. Pourtant, je vivais dans un quartier bourgeois, bien protégé. En fait, tout le monde était une cible potentielle. Les attaques pouvaient avoir lieu n’importe quand et n’importe où. C’était sûrement ça le plus effrayant.
Malgré tout, j’ai eu de la chance de vivre à Lima. La situation était bien plus difficile en province, dans les fiefs du Sentier Lumineux. Pourtant, même relativement à l’abri, on avait conscience de vivre dans la peur. Ce sentiment est fort. Mais nous n’avons jamais pensé à quitter le Pérou.
Ce n’est qu’en 2003 que j’ai finalement décidé de suivre mon mari en France. Aujourd’hui, je ne suis plus hantée par les années de terrorisme de mes jeunes années, mais les attentats qu’a connu la France ont ravivé des souvenirs enfouis. Le soir du 13 novembre, j’ai beaucoup pleuré. Je voyais à la télévision ce qui m’avait traumatisé quand j’étais petite. Je ne veux pas que mes enfants vivent dans la peur. Je ne veux pas que ça recommence. C’est pour cela que je recommande aux Français de ne pas laisser le terrorisme gagner. Il faut absolument continuer à vivre, continuer à sortir. Il ne faut pas céder à la peur».
En 1985, Antenne 2 diffusait un reportage sur le Sentier lumineux. 
Pour aller plus loin :
Sri Lanka : les heures d'angoisse de Vino Perera
Elle a quitté le Sri Lanka en 2012 et habite aujourd’hui à Aurillac, avec son époux et son fils de 14 ans.

Vino Perera, 43 ans. Crédits photo: DR.    
«Nous habitions Gampaha, une ville située au nord-est de la capitale, Colombo. Mon mari, journaliste, a quitté le Sri Lanka dès 2009, peu avant la fin de la guerre civile. Il a fui en Inde, au Népal puis en France. Car le Sri Lanka était à l’époque l’endroit le plus dangereux du monde pour un journaliste. Des dizaines d’entre eux ont été tués, attaqués ou kidnappés.
Mon époux défendait les droits de l’homme et la liberté de la presse. Il participait aux manifestations contre la corruption et les meurtres des journalistes tamouls. Il était dans le collimateur du gouvernement. Et ce même si nous sommes Cinghalais, comme la majorité des Sri-Lankais.
LA GUERRE CIVILE AU SRI LANKA
Le conflit entre l’armée et la guérilla tamoule (hindouiste), qui se battait pour obtenir un territoire indépendant dans le nord et l’est de l’île sri-lankaise a duré de 1972 à mai 2009, quand l’armée a écrasé la rébellion dans le sang. 
Ce fut l’un des conflits les plus longs et sanglants d’Asie. Il a fait, selon l’ONU, environ 100.000 morts dans ce pays où les Cinghalais, essentiellement bouddhistes, représentent plus de 70% de la population.
À Colombo, dans les années 2000, il y avait des explosions tout le temps, des assauts militaires aériens, de la violence partout. Et quand des attentats se produisaient, le gouvernement pointait du doigt les journalistes, les accusant de disséminer leur idées anti-gouvernementales.
Dans mon village il n’y avait que des Cinghalais bouddhistes ou chrétiens. Nous n’avons jamais été attaqués physiquement, mais le gouvernement avait monté les habitants contre nous. Personne n’osait nous parler.
J’étais professeur et quand j’allais travailler, mes collègues me regardaient d’un mauvais œil. Ils étaient persuadés que nous recevions plein de dollars de pays étrangers à cause des “activités” de mon époux. Mon fils devait lui aussi endurer le même calvaire: ses camarades lui disaient “on a vu ton père à la télé, c’est un terroriste”. Il ne voulait plus aller à l’école. J’avais tellement peur pour lui que j’ai engagé un chauffeur pour l’y conduire  tous les matins. Tout ceci a eu d’importantes répercussions sur notre santé mentale.
«Je ne pouvais pas joindre mon mari. Nos téléphones étaient sur écoute»

À l’époque, je vivais chez mes parents avec mon fils, mais nous n’avions pas vraiment de vie de famille. Mon mari rentrait rarement à la maison parce qu’il avait peur pour notre sécurité et parce qu’il travaillait loin de chez nous : il lui fallait environ deux heures pour rentrer de son bureau (à Colombo). Je ne pouvais pas le joindre car nos téléphones étaient sur écoute.
La plupart du temps je ne savais pas où il était. J’entendais parler de lui aux journaux télévisés. Ces rendez-vous quotidiens terrorisaient mon fils: “Oh maman, je ne veux pas voir les informations à la télévision”, implorait-il. Moi je regardais, la peur au ventre, pour savoir où était mon époux.
Même si je n’arrêtais pas de lui répéter que tout se passerait bien, c’était très dur en tant que mère. Sans compter qu’on a reçu plusieurs coups de téléphone de menaces. Et que je n’ai jamais pu me plaindre à la police car je ne savais pas qui était derrière ces appels.
En 1989, France 3 avait envoyé une équipe de journalistes au Sri Lanka pour comprendre le conflit qui opposait tamouls et cinghalais. 
Mon pire souvenir, c’est lors de l’attaque d’un festival d’art cinghalais/tamoul qui se tenait à Colombo en 2003. Mon mari y était. Il a été blessé, mais je ne l’ai su que quand je l’ai vu à la télévision, la tête en sang. Je n’ai réussi à aller le voir à l’hôpital qu’au bout de deux jours.
Quand j’ai quitté le pays en 2012, j’avais encore très peur que l’on m’interroge, car des femmes de journalistes avaient été arrêtées. Aujourd’hui, nous vivons tous les trois à Aurillac. Mon mari travaille dans la  photographie, moi j’apprends le français avant de pouvoir retrouver un emploi. Mon fils va à l’école, il apprend très vite. Nous sommes libres. Je ne pense pas qu’on retournera vivre au Sri Lanka. Ce pays n’est plus pour nous.»
* Le nom a été changé
Colombie : Patricia Monasalva, vivre aux côtés des Farc
Cette avocate de 50 ans vit à Yopal, à 400 km de Bogota.
Patricia Monasalva, à Yopal, à 400 km de Bogota en Colombie. Crédits photo: DR.      
LE CONFLIT AVEC LES FARC 
Nées en 1964, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) sont la principale guérilla communiste impliquée dans le confit armé colombien. Dans leurs actions contre les civils, les Farc utilisaient les prises d’otages et les actes de torture. En 2012, les rebelles FARC et le gouvernement ont entamé un processus de paix rejeté par référendum le 2 octobre dernier, mais dont les modalités sont toujours discutées.
Dans les années 1980-90, d’autres groupes armés ont opéré dans le pays, notamment l’ELN (armée de libération nationale), d’obédience communiste, mais aussi les narcotrafiquants. En face, des groupes paramilitaires, fortement anti-communistes, faisaient régner la terreur dans les zones rurales. En plus de 50 ans, les estimations officielles font état de 260.000 morts, et 50.000 disparus.
«Il était très difficile de vivre normalement en Colombie dans les années 1990. Les assassinats et les enlèvements étaient monnaie courante. J’ai vécu mes premières années à Mongua, un petit village de 1500 habitants dans l’Etat de Boyaca. Les Farc n’étaient pas loin, cachés dans la jungle. On savait qu’ils étaient là, qu’ils existaient, qu’ils venaient près de chez nous, mais personne ne pouvait les identifier. Entre 1992 et 2000, la guérilla a multiplié les attaques dans l’Etat de Boyaca. Durant tout ce temps, on ne pouvait pas aller boire un café après 17 heures, ou sortir avec des amis. Même le dimanche, quand on se rendait à l’église avec tout le village, on craignait une attaque. Etant donné qu’il y avait beaucoup de monde, cela aurait été facile de faire un massacre. En vérité, nous n’étions en sécurité nulle part.
Quelques années plus tard, j’ai déménagé à Yopal, dans l’Etat de Casanare, particulièrement touché par la violence. Malgré tout, j’ai réussi à y fonder une famille et à devenir avocate, mais la peur ne m’a jamais quittée. On ne naît pas pour vivre dans la terreur vous savez, cela ne s’apprend pas.
Désormais, le processus de paix entre le gouvernement et les Farc est engagé. Je le soutiens, évidemment. Il est important de tendre la main et de communiquer avec les terroristes. La paix a toujours été l’unique solution. Trop d’innocents sont morts. Trop de personnes ont vécu trop longtemps dans la peur. Il était temps que cela cesse.»
Un policier colombien, après un combat contre les Farc à Granada City, dans la province d’Antioquia, le 31 janvier 2001. Trois policiers et trois civils sont morts dans cet affrontement. (© Str Old / Reuters)

et Adrien Guilloteau (réalisation)
Image d’ouverture : Des graffitis pro-ETA, en avril 1981, au Pays Basque. (©Rue des Archives/AGIP)

Françoise Héritier, anthropologue et militante féministe (15.11.2017)
Par Eugénie Bastié
Mis à jour le 15/11/2017 à 19h49 | Publié le 15/11/2017 à 19h45
DISPARITION - Les travaux de cette élève de Claude Lévi-Strauss, à qui elle avait succédé au Collège de France, mettaient en exergue le caractère socialement construit de la domination masculine.
Je l'ai toujours dit à mes étudiants, et surtout à mes étudiantes. “Osez! Foncez!”» Voilà le message que voulait faire passer Françoise Héritier dans son interview testamentaire publiée dans Le Monde une dizaine de jours avant sa mort, à 84 ans, le 15 novembre 2017, jour de son anniversaire.
Directrice d'études à l'EHESS, anthropologue reconnue, élève de Lévi-Straussauquel elle succéda au Collège de France en 1982, Françoise Héritier n'a jamais manqué à cet impératif qu'elle prescrivait à autrui.
La domination masculine ne correspond à aucune réalité biologique, elle est un héritage culturel qu'il convient de déconstruire
Issue, selon ses mots, d'une «petite bourgeoisie raisonnable sortie de la paysannerie» de la Loire, elle poursuit à Paris de brillantes études au lycée Racine puis en hypokhâgne à Fénelon. C'est en écoutant un séminaire de Claude Lévi-Strauss à la Sorbonne sur la «parenté à plaisanterie à Fidji» qu'elle a une «révélation» et se tourne vers l'ethnologie. En 1957, elle part pour l'Afrique, en mission en Haute-Volta où elle rencontre l'anthropologue Michel Izard qui devient son mari.
Dans le sillage de la pensée structuraliste, elle cherche à déterminer les «invariants» des sociétés humaines. À partir de ses travaux sur la parenté en Afrique, elle constate l'universalité de la «valeur différentielle des sexes», à savoir le fait que dans toutes les sociétés la différence des sexes se fait au détriment des femmes, les valeurs considérées comme positives étant systématiquement accolées au sexe masculin. Aux trois piliers structurants de la société selon Lévi-Strauss, «la prohibition de l'inceste, la répartition sexuelle des tâches, une forme légale ou reconnue d'union stable», elle ajoute ce quatrième invariant: «la valence différentielle des sexes».
L'exemple de Simone de Beauvoir
D'où vient-elle? De la volonté de contrôle de la reproduction par ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir «exorbitant» qu'est la maternité. Depuis l'âge des cavernes, l'homme chercherait à dominer les femmes, et les différences même physiques sont en réalité des constructions sociales: l'homme se réserve les protéines et la viande, pour donner à la femme de la «bouillie», ce qui aurait abouti à une constitution plus fragile.
Mais Françoise Héritier n'est pas seulement une scientifique, c'est aussi une militante. Comme Simone de Beauvoir, elle met ses travaux au service de la cause féministe. Après Masculin/Féminin I.La Pensée de la différence, où elle met en évidence la façon dont la domination masculine est, selon elle, construite socialement, elle écrit Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie, qui est clairement un programme. Contrairement à Claude Lévi-Strauss, «homme d'ordre», qui mettait en évidence les structures sans chercher à les déconstruire, elle militera pour l'abolition du patriarcat.
Elle fournit son logiciel à toutes les luttes féministes: la domination masculine ne correspond à aucune réalité biologique, elle est un héritage culturel qu'il convient de déconstruire.
Elle raconta souvent dans des interviews comment lui vint sa révolte contre la condition des femmes: lorsque, en Auvergne, assise à la table paysanne de cousins de sa famille, elle voyait la femme et la sœur servir, ne s'asseyant jamais, mangeant ce qui restait de la carcasse du poulet.
«Notre société ne tolère pasla frustration»
De cette indignation naîtront plusieurs combats, parfois politiques. En 2012, elle intègre l'équipe de Martine Aubry aux côtés de la militante féministe Caroline De Haas pour la thématique «femmes». Elle appellera ensuite à voter pour François Hollande pour «des raisons positives qui tiennent à son programme, à son parcours et à l'homme qu'il est». Lors du débat pour le mariage pour tous, elle prend position pour la loi Taubira, affirmant que le mariage n'est pas sacré, et qu'il n'existe pas d'ordre naturel. Elle a cependant exprimé son opposition à la gestation pour autrui, qui selon elle conduirait immanquablement à des abus. «On confond trop souvent le “droit de” et le “droit à”. Je sais bien que notre société ne tolère pas la frustration, mais ce droit à l'enfant n'existe pas», disait-elle dans un entretien à L'Express.
«Je trouve ça formidable. Que la honte change de camp est essentiel»
Françoise Héritier (à propos de l'affaire Weinstein)
Interrogée dans sa dernière interview au Mondesur la polémique engendrée par l'affaire Weinstein, à la suite de laquelle de nombreuses femmes ont pris la parole pour dénoncer leurs harceleurs, elle répond: «Je trouve ça formidable. Que la honte change de camp est essentiel.»
Dans sa dernière intervention télévisée à «La Grande Librairie» il y a quelques jours, elle apparaissait en chaise roulante, mais le visage toujours rond et souriant. Elle y faisait cette confidence en forme d'épitaphe: «La curiosité a été le moteur de mon existence.»

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