dimanche 29 octobre 2017

Islamisme et politique 28.10.2017

Colis piégés en Grèce: un suspect arrêté (28.10.2017)
Mogadiscio: double attentat à la voiture piégée (28.10.2017)
"Affaire Théo": 300 personnes rassemblées à Bobigny (28.10.2017)
François d'Orcival : «Là où l'État s'efface, le salafisme menace» (27.10.2017)
Ces djihadistes français en Syrie qui touchaient encore leurs allocations sociales (26.10.2017)
Turquie : Osman Kavala, condamné au silence (27.10.2017)
À Gaza, le chef des services de sécurité du Hamas échappe à une tentative d'assassinat (27.10.2017)
Au Maroc, les feux mal éteints d'al-Hoceima (27.10.2017)
Les soldats du futur se préparent pour le «champ de bataille 3.0» (27.10.2017)
La Belgique a demandé à la France la remise temporaire de Salah Abdeslam (27.10.2017)
Les préfets face au casse-tête de la rétention des clandestins (28.10.2017)
Gilles Kepel : «Le procès Merah, une radiographie de la contre-société salafiste» (26.10.2017)
Olivier Corel, Fabien Clain, Sabri Essid… les ombres fuyantes du procès d'Abdelkader Merah (26.10.2017)
Chez les Merah, laboratoire de la haine (26.10.2017)
Retour sur les quatre semaines du procès d'Abdelkader Merah
L'islam radical à l'assaut de l'entreprise (27.10.2017)
Guillaume Perrault : «Parisiens, fuyons la capitale !» (26.10.2017)
Éric Zemmour : «Derrière la campagne contre les porcs, c'est la porcherie qui flambe et que l'on nous cache» (27.10.2017)
Mathieu Bock-Côté : «Mon niqab au Canada» (27.10.2017)
Quand la France se réchauffera : tout ce qui va changer dans nos vies (27.10.2017)
Guet-apens contre la police à Sevran: 7 jeunes écroués (28.10.2017)
Police de sécurité du quotidien : Collomb lance la «grande concertation» (28.10.2017)
Natacha Polony : «Du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» (27.10.2017)
Carles Puigdemont, l'idéologue prêt à tout pour l'indépendance (27.10.2017)
Catalogne : «Un risque d'affrontements dans les prochaines semaines»


Colis piégés en Grèce: un suspect arrêté (28.10.2017)
Par Lefigaro.fr avec AFP
Mis à jour le 28/10/2017 à 15h40 | Publié le 28/10/2017 à 15h35
La police grecque a annoncé samedi l'arrestation d'un premier suspect, un Grec de 29 ans, dans l'affaire des colis piégés ayant ciblé au printemps les créanciers du pays, dont l'un avait blessé l'ancien premier ministre et banquier central, Lucas Papademos. Intercepté dans la matinée alors qu'il sortait d'un appartement loué sous un faux-nom dans le centre d'Athènes, l'homme transportait notamment deux pistolets 9 mm, un mécanisme de mise à feu à retardement, "des susbtances explosives et de la poudre" et "divers matériaux de fabrication d'engins à retardement", a précisé la police. Le suspect était connu des services de police pour militantisme anti-autoritaire, selon une source policière.
Premier ministre entre 2011 et 2012, au plus fort de la résistance du pays à la cure d'austérité imposée par l'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI), M. Papademos, 69 ans, avait été blessé le 25 mai par l'explosion d'une lettre piégée qu'il avait ouverte alors qu'il circulait en voiture à Athènes. Cet attentat, non revendiqué jusqu'à présent, suivait l'envoi en mars de paquets piégés au ministère allemand des Finances et au bureau du FMI à Paris dont une employée avait été légèrement blessée.
La Conspiration des Cellules de feu, un groupe anarchiste grec, avait revendiqué l'envoi à Berlin et les enquêteurs français lui ont imputé celui de Paris. Huit autres envois piégés -adressés notamment au commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici et au chef de file d'alors de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem- avaient été interceptés dans la foulée dans un bureau de poste athénien.
Le groupe Conspiration des Cellules de feu avait dans sa revendication affirmé agir dans le cadre d'un plan "Nemesis" (justice en grec) visant "le système de pouvoir". Le groupe, dont une dizaine de membres -la plupart très jeunes- purgent de lourdes peines de prison, figure sur la liste des organisations terroristes établie par Washington.

Mogadiscio: double attentat à la voiture piégée (28.10.2017)
Par Lefigaro.fr avec AFP et Reuters
Mis à jour le 28/10/2017 à 22h43 | Publié le 28/10/2017 à 17h31
Au moins 14 personnes ont été tuées samedi dans l'explosion à intervalle rapproché de deux véhicules piégés près d'un hôtel du nord de la capitale somalienne Mogadiscio, où des coups de feu ont aussi été entendus. Des tirs sporadiques ont toujours lieu, et deux combattants islamistes shebab semblent se trouver à l'intérieur de l'hôtel Nasa Hablod. Un haut responsable de la police et un ancien député figurent parmi les victimes.
"Une voiture piégée a explosé à l'entrée de l'hôtel Nasa Hablod et des coups de feu ont suivi. Nous n'avons pas les détails, mais cela ressemble à une attaque coordonnée. Un minibus piégé a aussi explosé à un carrefour proche", a expliqué un responsable de la police.
Des témoins ont confirmé que des coups de feu avaient suivi les deux explosions. Mais la zone était bouclée par les services de sécurité, et il n'était pas possible de déterminer si des hommes armés avaient pénétré dans l'hôtel. Les militants islamistes shebab ont pour habitude de faire exploser des véhicules piégés à l'entrée d'hôtels ou de bâtiments publics, avant de lancer un commando à l'intérieur pour faire le maximum de victimes.

"Affaire Théo": 300 personnes rassemblées à Bobigny (28.10.2017)
Par Lefigaro.fr avec AFP
Mis à jour le 28/10/2017 à 19h46 | Publié le 28/10/2017 à 19h43
Environ 300 personnes se sont rassemblées samedi à Bobigny pour demander "justice pour Théo", en présence du jeune homme gravement blessé lors de son interpellation à Aulnay-sous-Bois, et pour "toutes les victimes de violences policières". "On attend tous la justice de pied ferme", a lancé au mégaphone Théo, debout sur une petite tribune installée dans un parc à quelques mètres du tribunal.
"Si je suis venu aujourd'hui, c'est pour vous dire que, Dieu merci, je vais bien. Je peux encore vous remercier. Il y en a d'autres qui ne peuvent pas le faire", a-t-il lancé. "Il y en a qui sont partis dans des circonstances assez bizarres, d'autres qui sont partis sous les coups de la police. Aujourd'hui, il y en a encore qui sont frappés mais qui ne sont pas filmés, voilà pourquoi je dois m'exprimer en leur nom", a-t-il ajouté.
On est "devant le tribunal de Bobigny" pour "rappeler qu'on est toujours là, en attente de justice, et qu'il faut que justice soit faite pour Théo et pour tous les autres", a déclaré Mickaël, le frère de Théo, citant notamment les cas de Zyed et Bouna, deux adolescents morts dans un transformateur électrique il y a douze ans presque jour pour jour (27 octobre 2005), et Adama Traoré, mort lors de son interpellation l'été dernier dans le Val-d'Oise.
"Quand on dit que la France est le pays des droits de l'homme, c'est tous les hommes", a lancé la soeur de Théo, Eleonore: "Il y a les agresseurs et les victimes. Quel que soit le statut des personnes, l'uniforme n'est pas un bouclier d'invulnérabilité". Dans la foule, des panneaux dénonçaient "l'impunité policière" ou clamaient "La vie des noir.e.s compte".

Poitiers: une salariée d'un centre social tuée
  1.  

  1. Flash Actu
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Par Lefigaro.fr avec AFP
Mis à jour le 28/10/2017 à 22h47 | Publié le 28/10/2017 à 22h46
Une Guinéenne de 20 ans a été placée en garde à vue, soupçonnée d'avoir tuée samedi à l'arme blanche une salariée d'un centre d'accueil pour femmes à Poitiers. Les faits se sont déroulés vers 8 h 45 au sein du centre d'accueil pour femmes avec enfants "Cécile et Marianne" géré par le département de la Vienne.
La suspecte, qui était hébergée dans le centre avec sa fille, a été placée en garde à vue pour "homicide volontaire".
La salariée, âgée de 39 ans, originaire de Charente et sans enfant, vivait maritalement avec son compagnon et ses deux enfants, selon un communiqué du conseil départemental.
"Les services de l'aide sociale à l'enfance avaient effectué vendredi un signalement de cette personne pour mise en danger de sa fille. Le juge a maintenu la jeune femme et sa fille dans le lieu de vie", a précisé le département.

François d'Orcival : «Là où l'État s'efface, le salafisme menace» (27.10.2017)
Par François d'Orcival
Mis à jour le 27/10/2017 à 09h17 | Publié le 27/10/2017 à 09h00
CHRONIQUE - Les préfets chargés de sélectionner les villes candidates pour tester la police de sécurité du quotidien doivent accorder la priorité à celles qu'il faut reconquérir.
La police de sécurité du quotidien? Trente villes y sont déjà candidates pour servir de test. Un conseil aux préfets chargés de la sélection: qu'ils accordent la priorité aux villes à reconquérir - par exemple Garges-lès-Gonesse (42.000 habitants), en limite du Val-d'Oise et de la Seine-Saint-Denis où le taux de délinquance, notamment avec le trafic de stupéfiants dans ses «quartiers sensibles», est en train d'y incruster le salafisme. Qui y prend garde?
Garges-lès-Gonesse, son taux de chômage, son taux de délinquance, son trafic de stupéfiants…
Il suffit pourtant d'examiner ce qu'il s'y est passé aux législatives de juin dernier pour le comprendre. Dans une commune gérée par la droite, un professeur d'histoire-géographie, Samy Debah, crée la surprise. Il se présentait pour la première fois, sans étiquette, avec un programme aussi neutre que possible (combattre le chômage, promouvoir l'école). Au premier tour, il arrive en tête, chez lui, à Garges (devant le maire de Sarcelles et député PS de la circonscription, François Pupponi), il devance les candidats de La France insoumise, du FN, du PCF. Au second tour, il reste premier, à plus de 55 %! Battu par Pupponi dans le reste de la circonscription, il proclame: «C'est une défaite qui a le goût de la victoire!» À quoi doit-il son succès local? À sa véritable étiquette, celle de fondateur du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui n'est autre que le cœur du recrutement salafiste. Voilà la clé.
La population de Garges-lès-Gonesse a quadruplé dans les années 1960-1980 ; le tiers de ses habitants ont aujourd'hui moins de 20 ans, les deux tiers de ces enfants sont nés de parents étrangers. Ses quartiers datent de la «république des grands ensembles». Pendant cinquante ans, le PC tint tout, avec ses employés municipaux, ses réseaux associatifs et culturels. En 1995, à bout de souffle, il céda la commune à la droite. Une forte communauté musulmane s'était implantée dans les quartiers (trois mosquées, deux lieux de prière) ; les modérés qui s'en occupaient allaient être chassés par des radicaux qui se substituaient aux communistes d'autrefois: éducation populaire, culturelle, sportive, etc. Voilà pourquoi Samy Debah a pu dire, en juin dernier: «On est dans une dynamique extraordinaire qu'on va développer dans l'avenir…» Là où la République s'efface, le salafisme menace.
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Ces djihadistes français en Syrie qui touchaient encore leurs allocations sociales (26.10.2017)
Par Christophe Cornevin
Mis à jour le 26/10/2017 à 12h25 | Publié le 25/10/2017 à 17h45
Depuis 2008, un groupe entier de la Brigade criminelle s'est spécialisé dans la traque du financement de l'État islamique.
Frapper les djihadistes au portefeuille pour mieux les faire tomber, un peu à la manière des barons de la drogue ou des «figures» de la prohibition d'antan. Terriblement efficace, l'attaque de l'islam radical et de ses réseaux sous l'angle financier est devenue l'un des points forts de l'antiterrorisme. Depuis 2008, un groupe entier de la Brigade criminelle travaille sur cette matière sensible et donne des résultats. Venant en appui des sections antiterroristes dès le stade des perquisitions, ces spécialistes de l'escroquerie, des abus de confiance de la banqueroute ou encore des abus de biens sociaux passent au peigne très fin les facturettes, les mandats, les bilans comptables et autres copies de chèques. Objectif: utiliser toutes les techniques d'enquêtes pour trouver du renseignement.
«Daech ne peut plus rétribuer ses combattants comme avant (...). Les familles et les entourages restés en France sont donc sollicités pour faire acheminer de l'argent frais»
Stéphane, chef du groupe financier de la Brigade criminelle
«Quand un individu rejoint une filière, il coupe son téléphone, achète des billets et vide son compte car, dans son esprit, il s'agit d'un départ sans retour», témoigne Stéphane, chef du groupe financier dont le maître mot est: «suivre l'argent». Les fils sont d'autant plus intéressants à tirer depuis la France que Daech est devenu exsangue.
«En pleine déroute dans les zones de combat, l'État islamique n'a plus de revenus propres depuis qu'il a perdu la main sur le commerce du coton et du pétrole, décrypte ce policier en col blanc. L'organisation ne peut donc plus rétribuer ses combattants comme avant alors que ceux-ci doivent payer toujours leurs logements, leur nourriture et même leur équipement. Les familles et les entourages restés en France sont donc sollicités pour faire acheminer de l'argent frais.»
Les policiers ont débusqué des escroqueries à la vente par correspondance, des kits permettant de fabriquer de faux dossiers de crédit à la consommation, un peu à la manière d'Amedy Coulibaly, le tueur de l'Hyper Cacher, qui avait financé l'achat de son arsenal en montant un dossier chez Cofidis. À la faveur de recherches plus poussées, ils se sont aussi aperçus qu'environ 20 % des combattants français identifiés sur zone continuaient à recevoir des allocations sociales. «Munis de leurs cartes avec photos, des parents percevaient les fonds venant de Pôle emploi ou de la caisse d'allocation familiale avant de les envoyer par mandat en direction des zones de combats via la Turquie notamment», note Stéphane.
Un réseau international de collecteur de fonds
Selon nos informations, 420 virements frauduleux ont été mis au jour en 2016. Explorant le filon financier, le groupe spécialisé de la Brigade criminelle a débusqué une tentaculaire affaire internationale de collecteurs de fonds servant à financer l'État islamique. Devant l'ampleur du dossier, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de la Sous-direction antiterroriste (Sdat), de l'Office central en charge de la grande délinquance financière (Ocrgdf) mais aussi d'Europol ont été aussi sollicités. Agissant dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte depuis novembre 2015, les policiers ont identifié pas moins de 210 collecteurs turcs mais aussi libanais.
Au total, le trafic porterait sur un montant global plus de 2 millions d'euros, dont 500.000 euros seraient partis de France entre mi-2012 et mi-2017. Selon un dernier pointage, 190 expéditeurs français ont été identifiés. Depuis lors, l'Europe s'est organisée pour donner l'alerte en cas de transfert de fonds suspects. Pour les aides indûment obtenues, les policiers ont fait en sorte de couper le robinet en communiquant aux organismes sociaux abusés le nom des bénéficiaires ayant disparu du territoire national. Plus que jamais, ils pensent que le trépas de Daech passera aussi par l'organisation de son asphyxie financière.
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Turquie : Osman Kavala, condamné au silence (27.10.2017)
Par Delphine Minoui
Publié le 27/10/2017 à 09h00
Cet homme d'affaires turc a été arrêté le 18 octobre dernier pour des motifs inconnus et est interrogé par la police antiterroriste du président Erdogan. Mécène attentif aux multiples identités qui forment la Turquie, il oeuvrait pour faire connaître le génocide arménien dans son propre pays.
Notre correspondante à Istanbul
Sa grandeur d'esprit est à la hauteur du désarroi qui secoue la société civile depuis son arrestation. «Osman Kavala n'a jamais cessé de travailler en faveur de la réconciliation, du dialogue et pour le soutien de l'Etat de droit en Turquie», avance Emma Sinclair-Webb, de l'association Human Rights Watch. Mercredi 18 octobre au soir, le célèbre mécène turc aux boucles rousses et aux yeux bleus venait d'atterrir à l'aéroport Atatürk d'Istanbul quand la police est allée le cueillir dans l'avion pour l'escorter jusqu'au siège de la section antiterroriste. Placé en garde à vue, il ne sait toujours pas ce qui lui est reproché. «L'enquête reste secrète», précise son avocat. Une perquisition a également eu lieu au siège de sa fondation, Culture Anatolie (Anadolu Kültür), et son ordinateur a été confisqué. Encore sous le choc, son épouse ose croire à un «malentendu» et prêche la discrétion.
«Cette détention arbitraire ­illustre, la dérive fascinante du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan qui cherche à intimider tous ceux qui ont une orientation différente de la sienne.»
Frank Engel, député européen
«Je ne suis malheureusement pas surpris», tranche le député européen Frank Engel en référence à la vague de purges et d'arrestations qui ébranle le pays depuis le putsch raté du 15 juillet 2016. «Cette détention arbitraire illustre, dit-il, la dérive fascisante du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan qui cherche à intimider tous ceux qui ont une orientation différente de la sienne.» D'Osman Kavala, rencontré à Istanbul le 12 avril 2015 lors des commémorations du centenaire dugénocide arménien, il garde en mémoire «un homme extrêmement ouvert et généreux» qu'il écouta défendre avec sensibilité un fait historique que les autorités turques ont toujours nié. «En fait, aucune cause ne lui échappe», poursuit-il. L'homme d'affaires hyperactif avait ouvertement soutenu, en 2013, les manifestations de Gezi contre la destruction d'un parc en faveur d'un projet immobilier. Plus récemment, au printemps 2017, il avait appelé à boycotter le référendum sur le renforcement des pouvoirs du Président. Passionné d'art, Osman Kavala est aussi le directeur de Depo, une ex-fabrique de tabac transformée en salle d'exposition. Cette semaine, un séminaire sur l'intégration des petits réfugiés syriens dans le système éducatif turc devait y avoir lieu. Quant à la question kurde, elle ne lui a jamais échappé. «Il revenait justement de Gaziantep, dans le sud-est du pays, dans le cadre d'un projet mené en partenariat avec l'Institut Goethe, quand il a été arrêté», précise le député.
Un tournant inquiétant
Né à Paris en 1957, Osman Kavala incarne une Turquie ouverte sur le monde et occidentale que l'AKP (le parti islamo-conversateur au pouvoir) entend aujourd'hui façonner à son image. C'est après des études à Manchester qu'il était revenu à Istanbul à la mort de son père, en 1982, pour piloter l'entreprise familiale. Fervent défenseur du patrimoine de son pays, et de sa diversité culturelle, il avait alors cofondé la maison d'édition Iletisim et n'a, depuis, jamais cessé de soutenir la reconstruction de monuments historiques, y compris des églises arméniennes. Une curiosité d'esprit et un sens de l'altruisme qui tranchent avec l'image que donnent de lui les médias progouvernementaux: qualifié de «Soros rouge» par le quotidien Günes, en allusion au philanthrope américain d'origine hongroise (dont le nom est associé aux fameuses «révolutions de velours»), il serait, prétend le journal pro-AKP Yeni Safak, «la figure clé du financement du terrorisme». Ces derniers jours, une pléthore d'articles l'accusent, pêle-mêle, d'avoir financé Gezi, flirté avec les pro-Gülen (en référence au commanditaire présumé du putsch raté) et donné de l'argent au PKK. «Ces accusations sans fondement entrent dans la triste logique complotiste de la construction d'un ennemi public. Elles sont, aussi, un message adressé aux autres ONG», estime Frank Engel. «Son arrestation marque un tournant inquiétant dans la répression du mouvement de défense des droits de l'homme en Turquie», se désole son ami Benjamin Abtan, président d'European Grassroots Antiracist Movement (Egam).
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Journaliste
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À Gaza, le chef des services de sécurité du Hamas échappe à une tentative d'assassinat (27.10.2017)
Par Cyrille Louis
Publié le 27/10/2017 à 16h18
Tawfik Abou Naïm a été blessé vendredi après-midi par l'explosion de sa voiture alors qu'il sortait d'une mosquée.
Correspondant à Jérusalem
Les lésions semblent légères mais l'affront est cinglant. Tawfik Abou Naïm, chef des services de sécurité intérieure du Hamas dans la bande de Gaza, a été blessé par l'explosion de son véhicule près de la mosquée Abou al-Hussein, en lisière du camp de réfugiés de Nusseirat, vendredi après la prière de la mi-journée. Rapidement évacué vers l'hôpital al-Shifa, il a reçu dans l'après-midi la visite de plusieurs responsables politiques dont le chef du mouvement islamiste, Ismaïl Haniyeh.

Le leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a rendu visite à Tawfik Abou Naïm, à l'hôpital de Gaza, peu après l'explosion de son véhicule. - Crédits photo : Handout ./REUTERS
Sur des photos prises à cette occasion, il semble avoir été atteint par des éclats aux bras, à la tête et au dos. Le ministère de l'Intérieur a dénoncé une «tentative d'assassinat manquée» tandis que le Hamas dénonçait «un acte lâche perpétré par des ennemis du peuple palestinien».
L'attaque menée contre ce proche de Yahya Sinwar, nouvel homme fort du Hamas à Gaza, intervient alors que le mouvement traverse un période de forte turbulence. Isolés et affaiblis par le blocus israélo-égyptien, ses dirigeants se sont résignés le 17 septembre dernier à remettre les clés de l'enclave qu'ils contrôlent depuis dix ans à l'Autorité palestinienne (AP) de Mahmoud Abbas.
Celle-ci doit en principe reprendre le contrôle des trois points de passage vers Israël et l'Egypte en milieu de semaine prochaine. Les habitants de l'enclave espèrent que ce transfert de compétence sera rapidement suivi d'une amélioration de la situation humanitaire. Mais certaines voix reprochent au Hamas d'avoir capitulé un peu vite alors que le président Abbas reste très évasif sur la levée des restrictions imposées ces derniers mois dans l'espoir de le faire céder.
Le Hamas déjà victime de djihadistes
Âgé d'une cinquantaine d'années, Tawfik Abou Naïm a longuement séjourné dans les prisons israéliennes avant d'être relâché en 2011 dans le cadre de l'accord sur la libération du soldat israélien Gilad Shalit. De retour à Gaza, il s'est imposé dans l'orbite de Yahya Sinwar et compte parmi les principaux acteurs du récent rapprochement avec l'Egypte. Résolu à tenir la bride courte aux salafistes djihadistes qui prolifèrent dans l'enclave, il a annoncé en mai 2016 le renforcement des contrôles à la frontière avec la péninsule du Sinaï afin d'empêcher la circulation des combattants affiliés à l'Etat islamique. «Nous n'accepterons jamais que notre territoire serve de base arrière à ceux qui attaquent nos frères égyptiens», avait alors prévenu Tawfik Abou Naïm, confiant vouloir écrire «une nouvelle page» dans la relation entre le mouvement islamiste et son puissant voisin.
Le fait que le Hamas n'ait pas immédiatement accusé Israël après la tentative d'assassinat perpétrée vendredi midi est, en soi, révélateur. Les dirigeants du mouvement n'ignorent pas que l'arrestation de nombreux salafistes djihadistes au cours des derniers mois a créé un fort ressentiment. Une partie de la population de la bande de Gaza, déçue par l'incapacité du mouvement islamiste à améliorer leur situation matérielle ainsi qu'à vaincre Israël par les armes, se laisse séduire par le discours encore plus radical des djihadistes. Le 17 aôut dernier, un membre de la branche militaire du Hamas a été tué par la ceinture d'explosifs portée par l'un d'entre eux à Rafah, dans le sud de l'enclave, alors que celui-ci tentait de s'infiltrer en Egypte. L'attentat, sans précédent, avait aussitôt été dénoncé par les brigades Ezzeddine al-Qassam comme «le fruit d'une pensée tordue qui n'a rien à voir avec notre idéal de résistance».
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Au Maroc, les feux mal éteints d'al-Hoceima (27.10.2017)

Par Stéphanie Wenger
Mis à jour le 27/10/2017 à 19h37 | Publié le 27/10/2017 à 19h17
REPORTAGE - La mort effroyable d'un vendeur de poisson, il y a un an, avait entraîné une vague de contestation qui perdure.
Al-Hoceima
Le port d'al-Hoceima est désert. En raison du temps et d'un mouvement de grève, les chalutiers sont à quai. Deux petits étals proposent quand même la pêche de quelques marins sortis braver les averses et la houle. «Crevettes, soles, rougets, calamars: poisson frais, poisson d'aujourd'hui», lance un vendeur à quelques habitués. «Mouhcine Fikri? C'était un type bien. Que Dieu le garde», dit le commerçant, en mémoire de cet homme de 31 ans, mort à quelques kilomètres de là, il y a un an, le 28 octobre 2016. Son décès, survenu dans des circonstances terribles, a lancé une révolte qui ne s'est toujours pas apaisée.
«Le 28, on va ­baisser nos rideaux et descendre dans la rue, c'est un devoir. Ceux qui sont en prison en ce moment pour le peuple, on leur doit bien ça»
Yassinen un commerçant
En octobre et en novembre, pendant deux mois, la pêche à l'espadon est théoriquement interdite. Mais dans les faits, le commerce de l'espèce menacée battait son plein l'année dernière, et des pêcheurs aux officiels, tout le monde y trouvait son compte. En cette nuit menant au 29 octobre, les forces de l'ordre saisissent pourtant les poissons de Mouhcine Fikri et les jettent dans un camion à benne pour les détruire. Entre les policiers et les pêcheurs, les esprits s'échauffent. Dans la mêlée, Mouhcine Fikri se jette dans le camion benne pour tenter de récupérer son précieux chargement. Le mécanisme est déclenché, il meurt broyé. Son supplice émeut al-Hoceima, ville enclavée du nord du Maroc, frappée par le chômage et où la débrouille, plus ou moins légale, est un impératif de vie. Mais dans la cité et au-delà, le destin de Mouhcine est surtout perçu comme une nouvelle illustration de la hogra, le mépris, qui frappe les habitants du Rif, cette région à l'histoire frondeuse.
Sur le deuil et la colère naît un mouvement de contestation, le hirak. Nasser Zefzafi, un chômeur de 39 ans, l'incarne rapidement. Cet enfant du pays, très populaire, porte fort la voix des habitants, leurs revendications économiques et sociales. Toute l'année est émaillée de manifestations, certaines dégénérant en affrontements très violents.
Les annonces de chantiers se multiplient, les mosquées sont sollicitées dans la remise au pas, lorsqu'un imam dénonce la contestation dans son très officiel prêche du vendredi, le bouillant Zefzafi lui arrache le micro et s'écrie: «Est-ce que les mosquées sont faites pour Dieu ou pour le makhzen?», un terme qui désigne les autorités. Quelques jours plus tard, il est arrêté, beaucoup d'autres militants suivront, de simples sympathisants aussi. Lors du ramadan à al-Hoceima, et dans les villages alentour, manifestations et marches sont quotidiennes. Certaines tournent mal, les arrestations se poursuivent.
Réponse sécuritaire
Un an après la mort de Mouhcine Fikri, ce n'est pas seulement son supplice, mais tout le film de cette année que les habitants d'al-Hoceima se rembobinent. Du côté des autorités, on veut montrer que la réponse sécuritaire implacable s'accompagne d'une fermeté envers les décideurs. Le roi Mohammed VI a limogé ce mardi trois ministres et d'autres responsables. En cause, les errements et retards d'«al-Hoceima phare de la Méditerranée», ce gigantesque plan de développement lancé en 2015 et non abouti. La Cour des comptes s'est saisie du dossier.
Un nouveau gouverneur a été nommé fin juin, des fonctionnaires ont été remerciés, les projets endormis ont repris ou dépassent enfin le stade du cahier des charges. Dans la rue, de grands panneaux annoncent ici un théâtre et un centre de musique, là une résidence. Et la région devrait avoir enfin son université: les sites possibles sont en discussion. Les rues résonnent du bruit du marteau-piqueur, on doit contourner des tuyaux posés sur les trottoirs: les canalisations sont en pleine réfection.
Perché en haut d'une colline, le centre d'oncologie a cristallisé toutes les frustrations, illustrant parfaitement le dialogue de sourds entre les autorités et les habitants. Le centre existait bien avant, mais sous-équipé. Aujourd'hui, le scanner 3D arrivé en juillet fonctionne: «Le voilà, on l'a attendu longtemps, commente le Dr Abdallah Eissa, radio-oncologue, on peut maintenant traiter des cancers de la sphère ORL, digestifs, de la prostate… Avec cette technique, il est possible d'agir de manière très localisée sans endommager d'autres organes.» Habiba El Jarmouni apprécie: sa fille, désormais décédée, ayant souffert d'un cancer du poumon à 17 ans, elle a dû pendant toute sa maladie la conduire à Casablanca pour ses traitements, un périple d'au moins dix heures de route. «Et moi j'avais les moyens. Ce scanner, c'est une vraie amélioration pour ceux qui devaient se déplacer à Fès ou à Oujda. Le hirak, c'est positif, c'était programmé depuis longtemps, reconnaît-elle, mais ça traînait.»
Retour au port où les responsables maritimes disent assurer désormais un contrôle tatillon et sensibiliser les pêcheurs au respect du repos biologique pour l'espadon. Redouane n'a pas l'air si convaincu: «C'est comme ça pendant deux mois, on ne pêche pas Abou sif (l'espadon)». Pour l'instant, ni manifestation, ni rassemblement ne sont annoncés pour le 28 octobre, mais beaucoup y pensent. «Bien sûr que j'irai, pourquoi je n'irais pas? Je l'ai vu mourir, s'échauffe Redouane. J'irai et je crierai pour la libération des détenus. On n'a rien à perdre.»
Me Rachid Belaali est un homme méticuleux: sur une feuille de papier blanc, il énumère les dossiers des militants du hirak poursuivis à al-Hoceima. La colonne de chiffres fait toute la hauteur d'une feuille A4, rien que pour la première instance: 270 personnes, ils sont 90 en appel. Ils ne sont que trois avocats pour tous ces dossiers. «Personne à al-Hoceima ne peut croire que le hirak est habité par des motifs dangereux, leurs revendications sont légitimes», souligne l'avocat. Les condamnations sont dures ici, 18 mois de prison en moyenne, sans faits de violence établis pour la plupart, insiste-t-il. Les quelques grâces royales n'ont rien apaisé, le signal est passé: les militants qui restent libres se font très discrets, mais les idées et la détermination du hirak sont intactes. Commerçant, Yassine, comme beaucoup, est décidé: «Le 28, on va baisser nos rideaux et descendre dans la rue, c'est un devoir. Ceux qui sont en prison en ce moment pour le peuple, on leur doit bien ça.»

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Les soldats du futur se préparent pour le «champ de bataille 3.0» (27.10.2017)
Par Alain Barluet
Mis à jour le 27/10/2017 à 20h16 | Publié le 27/10/2017 à 17h59
ENQUÊTE - Pour l'armée de terre, l'innovation rime avec l'«hyperconnection» de tous les acteurs du champ de bataille : fantassins, blindés, drones, hélicoptères, satellites. Les robots et les systèmes autonomes, déjà présents, seront monnaie courante sur les théâtres d'opérations. Des évolutions qui créeront aussi de nouvelles vulnérabilités.
D'un simple mouvement de la main, sans prononcer une parole, le chef de section communique ses ordres. Parler avec des gestes pour rester discret lors d'une opération militaire, l'habitude est aussi ancienne que l'art de la guerre. Sauf qu'ici, celui qui mène ses hommes sur le terrain ne s'adresse pas seulement à ceux qui se trouvent dans son champ de vision, mais interagit avec ses équipes géolocalisées et fait remonter l'information en temps réel vers le centre de commandement situé à distance. Des capteurs placés dans l'un de ses gants analysent la position de ses doigts, de son bras et de son corps. Et un logiciel décode ses gestes en langage tactique: sans un être détecté, il peut ainsi transmettre des informations sur les positions de l'adversaire, solliciter l'appui d'un hélicoptère, déclencher des secours et les diriger vers un blessé.
«La complexité du milieu terrestre liée à son hétérogénéité est un puissant aiguillon pour l'innovation. Seule celle-ci permettra de réduire le “brouillard de la guerre”»
Général Jean-Marc Duquesne, délégué général du GICAT
Cet «interpréteur de langage tactique», conçu par Thales, n'est qu'une des multiples innovations élaborées dans les laboratoires des grands groupes industriels ou des start-up du domaine de la défense. L'explosion des technologies numériques s'apprête à transformer la manière dont le combattant se déplace, communique, se protège et engage le feu contre l'adversaire. Ces mutations accélérées ne concernent pas seulement les marins ou les aviateurs, souvent perçus comme appartenant à des armées plus «technologique», mais également les fantassins. «Le temps est révolu où l'armée de terre était considérée comme peu technologique», déclarait récemment le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser. Le défi de l'innovation passe par une «approche intégrée et globale» entre ses principaux acteurs, ce qui n'est pas toujours aisé: armée, Direction générale de l'armement (DGA), grands groupes industriels, PME-ETI, start-up…
«La complexité du milieu terrestre liée à son hétérogénéité est un puissant aiguillon pour l'innovation. Seule celle-ci permettra de réduire ce que les militaires appellent le “brouillard de la guerre”», estime le général Jean-Marc Duquesne - en «deuxième section» (2S), c'est-à-dire ayant quitté l'uniforme -, délégué général du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT). Dissiper le brouillard de la guerre… Fixées sur le casque, les jumelles de vision nocturne augmentées, en fusionnant les images infrarouges et thermiques, permettent déjà de voir dans l'obscurité totale. Grâce à elles, le combattant immergé au cœur du «champ de bataille numérisé» pourra bientôt «décamoufler» un ennemi embusqué, avoir devant les yeux en permanence toutes les informations utiles (compas magnétique, GPS…) et enregistrer sa mission à des fins de «retex» (retour d'expérience).
La protection des soldats du « champ de bataille 3.0 » sera assurée par des essaims de ­drones opérant en réseau qui signaleront d'éventuelles menaces et contribueront à déclencher la riposte
Traditionnellement, les militaires en opération répètent l'action au moyen d'une simple caisse à sable. Celle-ci cédera la place à un écran tactile affichant à la demande - tels des calques successifs - toutes les données du champ de bataille: topographie, voies de communication, positions amies et ennemies, portées des tirs selon l'armement employé. La «caisse à sable numérique» mise au point par la société Nexter permet de préparer une mission et de la conduire en temps réel. La machine intègre des scénarios, accélère la boucle des décisions, diffuse des ordres aux différentes entités sur le terrain - équipées de tablettes - et facilite leur coordination, ce qui devrait notamment diminuer le risque de tirs fratricides.

Le système FÉLIN II, produit par Safran Electronics & Défense, équipera les soldats de l'armée de terre. Il intègre tous les équipements militaires modernes: optronique pour les opérations de jour et de nuit, communication, protection... Le tout logé dans une veste de combat.
Dans leur véhicule de combat, surveillé par des caméras extérieures, les soldats du «champ de bataille 3.0» pourront se concentrer sur leur mission. Leur protection sera assurée par des essaims de drones opérant en réseau qui signaleront d'éventuelles menaces et contribueront à déclencher la riposte. Dans la cabine, l'équipage sera équipé de capteurs intégrés aux casques et détectant toute somnolence ou performances «dégradées» - des matériels développés par une TPE française, Physip. Les convois logistiques seront robotisés et comprendront des véhicules automatisés.
En cas de panne, un membre de l'équipage, porteur de lunettes connectées munies d'une caméra (Renault Trucks Défense), sera immédiatement mis en relation avec un expert technique qui effectuera un télédiagnostic et la réparation à distance. Des puces autoriseront le suivi en temps réel de l'usure des matériels. Une «maintenance prédictive» devrait ainsi optimiser le plan de charge et le coût de l'entretien. «À l'avenir, on pourrait aussi envisager d'appliquer cette technologie au combattant, pour mesurer sa fatigue ou son stress», explique le général (2S) Alain Bouquin, conseiller défense de Thales. Le cyber est une priorité. «Se protéger contre des attaques, être résilient, n'est pas suffisant», estime le général Bouquin, pour qui une «utilisation offensive est nécessaire afin de pénétrer dans les systèmes de l'adversaire et les piéger».
Scorpion vise un saut technologique et opérationnel : la connectivité, à l'horizon 2025, entre l'ensemble des acteurs du combat aéroterrestre : fantassins, blindés, drones, hélicoptères, satellites...
Les bases militaires et autres sites sensibles, même les plus complexes, pourraient être surveillés par des drones «rondiers» accomplissant leur mission de façon autonome. «Les robots et systèmes sont déjà présents dans les armées. En 2030, ils seront devenus des acteurs ordinaires dans le domaine des opérations militaires», souligne le rapport «Chocs futurs» du Secrétariat général de la défense nationale (SGDSN). Il faut «adapter nos équipements, anticiper les besoins et catalyser les bonnes idées», résume le général Rémi Fouilland, le chef de la Section technique de l'armée de terre (STAT).

Les fantassins pourraient également être assistés à l'avenir d'un exosquelette qui les suivra dans toutes leurs activités, réduisant ainsi la fatigue et la pénibilité durant la marche ou la manutention de charges lourdes.
Dans le terrestre, la modernisation est avant tout incarnée par Scorpion. Ce programme phare, dont les bases ont été posées en 2000, prévoit le renouvellement d'équipements souvent âgés de plus de 30 ans, comme le véhicule de l'avant blindé (VAB) et l'engin blindé de reconnaissance AMX 10RC. Mais il vise aussi un saut technologique et opérationnel: la connectivité, à l'horizon 2025, entre l'ensemble des acteurs du combat aéroterrestre: fantassins, blindés, drones, hélicoptères, satellites…
Les travaux pour l'étape 2 de Scorpion sont en cours afin d'intégrer les avancées en matière de robotique, de big data et de communication. «C'est tout l'enjeu de la prochaine loi de programmation militaire 2019-2025 en matière de recherche et développement», relève le général Duquesne, en déplorant que le terrestre soit souvent à cet égard un parent pauvre.
«Nos soldats seront-ils capables d'aller au feu s'ils passent leur vie derrière des ordinateurs ?»
Le chef d'état-major de l'armée de terre
L'indispensable construction d'une armée «high-tech» l'expose en même temps à des failles potentielles. «Le cyberespace est générateur de vulnérabilités nouvelles qui font de notre souveraineté numérique un enjeu prioritaire», note ainsi la Revue stratégique qui vient d'être présentée. Les révolutions technologiques - d'ailleurs largement développées par le domaine civil -, si elles constituent de formidables opportunités, menacent aussi la supériorité des armées occidentales. Car elles deviennent accessibles aux ennemis «asymétriques», États faillis, groupes terroristes et même individus. Face aux géants américain et chinois, les Européens ne sont pas les mieux organisés pour relever le défi.
«Nous devons être assez agiles pour accompagner l'accélération des progrès technologiques et éviter tout décrochage», souligne le «patron» de l'armée de terre, le général Bosser. Et de pointer un autre écueil : «Nos soldats seront-ils capables d'aller au feu s'ils passent leur vie derrière des ordinateurs?», s'interroge le chef d'état-major de l'armée de terre, en insistant pour «marier haute technologie et rusticité». «Action terrestre future», un document prospectif récent, «prône un modèle d'équilibre» et relève que «la supériorité technologique continuera de peser dans l'affrontement».
Emmanuel Macron plaide pour une Agence européenne
Où placer le curseur entre le besoin immédiat des forces et l'innovation sur le long terme? L'Onera, le centre de recherche aérospatiale - qui s'intéresse aussi au terrestre -, s'attache aux études amont. C'est le cas, par exemple, concernant les réseaux de capteurs pour la surveillance et le renseignement ou la détection des «départs de coups» - de la mitrailleuse au missile antichar. Des recherches jugées indispensables pour anticiper les évolutions majeures - et les programmes d'armement de demain.
«Ce n'est pas en améliorant la bougie que l'on inventera l'électricité», dit le PDG de l'Onera, Bruno Sainjon. Avec d'autres personnalités, il vient de lancer un appel pour une «initiative européenne sur l'innovation de rupture». Une démarche inscrite dans le sillage d'Emmanuel Macron qui plaidait, fin septembre, pour une Agence européenne, à l'image de la Darpa américaine (Defence advance research projects Agency), une agence du Pentagone d'où sont sortis Internet et le GPS…La ministre des Armées, Florence Parly, s'y est rendue la semaine dernière. «Cela impliquerait de notre part un changement de logiciel, en acceptant d'avoir 80 % d'échecs», remarque Cédric Perrin, vice-président (LR) de la commission de la défense du Sénat.
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Journaliste
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La Belgique a demandé à la France la remise temporaire de Salah Abdeslam (27.10.2017)
Par Le figaro.fr et AFP agencePublié le 27/10/2017 à 16h23
Le seul survivant des commandos du 13 novembre, incarcéré en France, sera jugé en décembre pour la fusillade survenue à Bruxelles quelques jours avant son arrestation. Les modalités sur le transfert du détenu ne sont, pour l'heure, pas arrêtées.
La Belgique a officiellement demandé à la France que Salah Abdeslam, seul survivant des commandos djihadistes ayant attaqué Paris le 13 novembre 2015, incarcéré en région parisienne, lui soit remis pour être jugé à Bruxelles en décembre dans une autre affaire.
Il s'agit du procès d'une fusillade avec des policiers survenue à Bruxelles le 15 mars 2016, trois jours avant l'arrestation de Salah Abdeslam dans la capitale belge. Il devra répondre avec un complice, Sofiane Ayari, arrêté en même temps que lui, de «tentative d'assassinat dans un contexte terroriste sur plusieurs policiers». Contre toute attente, Abdeslam a souhaité comparaître à ce procès.
Sa «remise temporaire» à la Belgique avait fait l'objet d'un accord début octobre entre le procureur fédéral belge et le procureur de Paris. Pour concrétiser cet accord, le tribunal de première instance de Bruxelles a délivré le 19 octobre un «mandat d'arrêt européen» transmis quatre jours plus tard «aux autorités françaises compétentes», a précisé le parquet fédéral dans un communiqué. Selon une source judiciaire, c'est la cour d'appel de Paris qui en est le destinataire. Elle devrait statuer dans les prochains jours.
Les modalités du transfert ne sont pas arrêtées
«Aucun détail ni aucun commentaire ne seront donnés sur les modalités exactes du transfert de Salah Abdeslam», a souligné le parquet fédéral belge dans son bref communiqué. Lundi, la Direction de l'Administration pénitentiaire française avait indiqué que rien n'était encore «acté» pour le transfèrement du détenu. Celui-ci se fera sous haute sécurité sachant que le Français d'origine marocaine est détenu en France dans des conditions extrêmement rigoureuses, à l'isolement et sous vidéosurveillance permanente. Le procès à Bruxelles doit se dérouler du 18 au 22 décembre.
Plusieurs médias belges avaient évoqué la possibilité de faire venir Salah Abdeslam à l'audience en hélicoptère quotidiennement depuis sa cellule de Fleury-Mérogis. Mais une autre option est également sur la table: faire séjourner le terroriste en Belgique le temps du procès. Seulement, la seule prison de haute sécurité du pays se situe à Bruges, à environ 100 kilomètres de Bruxelles. Les services de sécurité estimeraient que le trajet entre la ville flamande et le tribunal est trop risqué pour transporter un détenu de cette importance. Aucune de ces deux possibilités n'a été retenue à l'heure actuelle.
Le 15 mars 2016, au 60 rue du Dries à Forest, commune de l'agglomération bruxelloise, six policiers, français et belges, avaient essuyé des tirs d'armes automatiques en perquisitionnant un logement supposé inhabité, où ils pensaient trouver des traces du passage des djihadistes ayant frappé Paris le 13 novembre 2015, tuant 130 personnes. Trois policiers avaient été blessés, et l'un des occupants du logement, un djihadiste algérien, avait été tué dans l'échange de coups de feu, en couvrant la fuite de deux autres hommes par l'arrière. Les deux fuyards, Salah Abdeslam et Sofiane Ayari - un jeune d'origine tunisienne qu'il avait convoyé depuis Ulm, en Allemagne, avec d'autres djihadistes en octobre 2015 -, seront finalement arrêtés ensemble le 18 mars 2016 à Bruxelles.
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Les préfets face au casse-tête de la rétention des clandestins (28.10.2017)
Par Jean-Marc Leclerc et Service InfographieMis à jour le 28/10/2017 à 16h24 | Publié le 27/10/2017 à 18h38
INFOGRAPHIE - Mis sous pression par le ministre de l'Intérieur, les préfets se disputent le maigre quota des places en centre de rétention. Ce qui peut aboutir à des situations ubuesques, selon la police.
Pour la première fois depuis bien longtemps, jeudi, il ne restait plus une seule place disponible dans l'ensemble des centres de rétention administrative, les fameux CRA, qui accueillent les clandestins en vue de leur éventuelle expulsion. Elles étaient toutes occupées: 1755 places au total, en incluant les 184 disponibles outre-mer.

- Crédits photo : infographie/le figaro
Gérard Collomb pourrait se satisfaire de la situation et estimer que son discours de fermeté face à l'immigration illégale a finalement payé. Seulement voilà: cet état de fait témoigne au contraire des limites de l'exercice. Il aura suffi de quelques jours seulement pour démontrer à quel point les préfets manquent de moyens pour appliquer la circulaire du ministre de l'Intérieur sur les éloignements d'illégaux. Car la saturation quasiment immédiate des CRA signifie bien que l'expulsion systématique de clandestins délinquants promise par Emmanuel Macron n'est qu'un vœu pieux.
La circulaire mode d'emploi de Gérard Collomb fut diffusée le 16 octobre dernier. Elle devait permettre de tirer les leçons du scandale du tueur de Marseille, Ahmed Hanachi, cet islamiste qui poignarda à mort deux jeunes femmes, le 1er octobre dernier, alors qu'il aurait dû être expulsé en Tunisie, si l'administration avait fait son travail.
Depuis les larmes du préfet de la région Rhône-Alpes, démis de ses fonctions après ce ratage - tout autant attribué d'ailleurs à son secrétaire général de préfecture, lui-même écarté -, l'administration essaie, tant bien que mal, de faire vivre les consignes parisiennes. Avec une certaine fébrilité.
Une guerre en coulisse
Un détenu de Grenoble placé dans un CRA à Lille ; un clandestin interpellé à Briançon et escorté à Toulouse, après être passé par Marseille, puis Montpellier: 1400 kilomètres parcourus, mobilisant plusieurs équipes de fonctionnaires, pour être soumis in fine au bon vouloir d'un magistrat de Gap. «Tout le monde se rue sur le maigre quota de places disponibles, même si elles sont à l'autre bout du pays. Peu importe les coûts et les conditions des transferts. Et je ne vous parle pas des effectifs dévorés par ces missions d'escorte, surtout le week-end, au détriment de la sécurité quotidienne dont on nous fait déjà tout un plat. C'est n'importe quoi!», proteste le truculent Jean-Louis Martini, responsable régional de Synergie-officiers dans la Cité phocéenne.
«Le temps est compté entre l'arrestation et la présentation au juge des libertés qui peut remettre l'individu dehors au seul prétexte que nous avons une heure de retard»
Jean-Louis Martini, responsable régional de Synergie-officiers à Marseille
Un brigadier mobilisé sur un transfert raconte: «Il faut respecter l'itinéraire Michelin, car le temps est compté entre l'arrestation et la présentation au juge des libertés qui peut remettre l'individu dehors au seul prétexte que nous avons une heure de retard.» En France, 85 % des procédures d'éloignement échouent pour mille raisons.
«Le top en distance, renchérit Jean-Louis Martini, c'est l'Ajaccio-Metz annulé in extremis il y a 24 heures! Il y avait aussi bataille entre Marseille et Nice pour une place miraculeuse et c'est Nice qui l'a raflée, ruinant ainsi des heures de procédures effectuées par les fonctionnaires marseillais. Voilà la réalité!» Son syndicat a jeté un froid en demandant à ce «que les officiers ne soient plus pris en otage par les préfets afin de régler leurs comptes avec le ministre de l'Intérieur après l'éviction du préfet de Lyon».
Une guerre en coulisse, vraiment? «Ce n'est pas du tout cela, assure un grand commis de l'État. Les préfets sont des individualistes disciplinés et il ne leur viendrait pas l'esprit de se liguer contre leur ministre. Ils s'impliquent pleinement, voilà tout!» Une nouvelle doctrine aurait ainsi émergé sous Collomb, celle de l'éloignement pour «raison d'ordre public». «Dès qu'un clandestin est muni de son passeport, s'il est ressortissant d'un pays qui reprend ses nationaux, s'il est délinquant, qui plus est un délinquant violent, l'administration le placera en CRA coûte que coûte, en vue de son éloignement», explique un préfet. Idem pour les détenus étrangers illégaux dangereux.
Gérard Collomb a promis 150 agents de plus dans les services des étrangers des préfectures en 2018 et 200 places supplémentaires en CRA d'ici à la fin de l'année. C'est insuffisant au regard des 90.000 à 100.000 clandestins arrêtés chaque année. Le message de fermeté du tandem Macron-Collomb peut porter utilement au-delà des frontières. Mais encore faut-il qu'en interne, leur administration y croit également.

La création d'une nouvelle place en centre de rétention coûterait 100.000 euros
«Sans places de rétention en nombre suffisant, la politique migratoire de Macron est vouée à l'échec.» Le député LR des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, l'affirme.  Il rappelle que dans le projet de la droite à la présidentielle figurait  la création de 1800 places en CRA, pour doubler le volume en le portant à 3600 places. Concrètement, selon lui, il faudrait créer 600 places par an sur trois ans. Coût d'investissement estimé: 100.000 euros par place, «ce qui imposerait une masse budgétaire de 60 millions d'euros en 2018, 2019 et 2020». Il évalue également le coût de fonctionnement de ces établissements à 6000 euros par place, pour un budget global de 10,8 millions d'euros par an, une fois le programme terminé.
«Sans places de rétention en nombre suffisant, la politique migratoire de Macron est vouée à l'échec»
Éric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes
Le ministère de l'Intérieur en a-t-il  les moyens? Un expert en préfecture assure que «le problème des CRA est identique à celui des prisons: nous payons l'imprévoyance ou l'idéologie des années passées».
Selon lui, «la question des CRA est plus simple à régler cependant.  Car au lieu de construire des établissements coûteux qui vont mettre trois ans à émerger, l'État peut acheter des bâtiments tout faits et les aménager à moindre coût, comme des hôtels de type Formule 1.» La solution a déjà été retenue pour  le CRA de Lyon-Saint-Exupéry.

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Gilles Kepel : «Le procès Merah, une radiographie de la contre-société salafiste» (26.10.2017)
Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 27/10/2017 à 11h40 | Publié le 26/10/2017 à 19h49
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Pour l'islamologue, le procès d'Abdelkader Merah révèle les failles de la haute hiérarchie policière et de la justice en même temps que l'univers mental, familial et culturel des djihadistes.
LE FIGARO. - Les meurtres de Mohamed Merah ont inauguré une nouvelle ère de terreur…
Gilles KEPEL. - Les assassinats par Mohamed Merah des enfants juifs et de leur professeur de l'école Ozar Hatorah, après ceux de militaires français d'origine arabo-musulmane et considérés comme «apostats», le 19 mars 2012, marquent la fin de la sanctuarisation de la France depuis les attentats de Khaled Kelkal en 1995 et ceux du «gang des ch'tis» islamistes de Roubaix en 1996. Seize ans sans le moindre attentat grâce aux services de renseignements français qui avaient bien compris le logiciel pyramidal d'al-Qaida et étaient capables d'arrêter des terroristes potentiels préventivement.
«Au carrefour entre la délinquance, le salafisme et la prison, Merah est le prototype du djihadisme de troisième génération qui va ensuite faire 239 morts en France, selon le même modèle, dans les années 2015-2016»
Gilles Kepel
Le problème est qu'ils n'ont pas anticipé que la prison deviendrait l'ENA du djihad. C'est notamment dans les prisons que s'est mis en place ce que j'appelle le djihadisme de troisième génération. Un djihadisme réticulaire qui se construit dans des allers-retours avec le Moyen-Orient. Merah n'est pas du tout un loup solitaire, contrairement à ce que prétendait l'ancien directeur central du renseignement intérieur,Bernard Squarcini. Il a été socialisé dans le milieu salafiste djihadiste toulousain, dont le point névralgique était la communauté d'Artigat régie par l'«émir blanc», Olivier Corel, où sont passées toutes les «stars» du djihadisme français, comme les frères Clain, le clan de Sabri Essid (demi-frère par alliance de Merah), ou encore l'Albigeois Thomas Barnouin.
Merah a baigné dans cet univers et a voyagé au Caire et au Proche-Orient vraisemblablement pour apprendre le maniement des armes, comme le montre sa maîtrise de celles-ci lors des meurtres. Au carrefour entre la délinquance, le salafisme et la prison, il est le prototype du djihadisme de troisième génération qui va ensuite faire 239 morts en France, selon le même modèle, dans les années 2015-2016.
Pouvait-on alors imaginer la tuerie de Charlie Hebdo?
À l'époque , le «Sham», la Syrie n'est pas encore une terre de djihad vers où vont les jihadistes français. L'aller-retour entre le territoire de l'Etat islamique de Daech et les banlieues populaires (Molenbeek, Saint Denis et autres) va ensuite permettre les tueries de Charlie Hebdo et de l'Hyper cacher et surtout celles du 13 novembre, au Bataclan et ailleurs. Cette phase aurait peut-être pu être évitée si on avait tiré plus vite les leçons de l'affaire Merah, pris au sérieux le mécanisme du djihad de troisième génération dont il constitue le prototype, au lieu de se fourvoyer avec la pseudo-théorie du «loup solitaire». Mécanisme dont les bases ont été posés dès 2005 avec la publication, sur Internet, du livre d'Abou Moussab Al-Souri, Appel à la résistance islamique globale.
«Abdelkader Merah clame qu'il ne reconnaît pas les lois fran­çaises mais uniquement celles d'Allah, telles qu'il les interprète. En ce sens, il est une « métonymie » de cette vision du monde, qui reste présente aujourd'hui en France»
Gilles Kepel
Aujourd'hui le djihadisme de troisième génération semble contenu par nos services…
Paradoxalement, alors que se déroule le procès Merah, cette phase-là de terreur semble avoir épuisé son modèle opératoire. C'est, en effet, l'aller-retour avec Raqqa et les réseaux de communication de l'État islamique qui rendait ce système possible. Les groupes réticulaires, qui passaient sous les radars du renseignement, ont bénéficié d'opportunités qui se sont traduites par les 239 morts déplorés entre la tuerie de Charlie Hebdo et l'assassinat du père Hamel en juillet 2016. Mais les djihadistes peu formés et structurés n'ont pas tenu la distance. Les services de renseignement ont fini par comprendre le fonctionnement de ce nouveau type de djihadisme et su le contrer, et la chute de Raqqa le rend inopérant car la coordination via les messageries cryptées avec les jihadistes dans l'Hexagone ne peut plus fonctionner.
C'est la fin d'une période, la djihadosphère exprime son malaise et prépare le djihadisme de quatrième génération, dans une certaine confusion pour l'instant. Même si, en termes d'opérationnalité terroriste, le système a pris un coup décisif, la doxa salafiste djihadiste est toujours là. C'est frappant dans les propos d'Abdelkader Merah (le frère de l'assassin) qui ne regrette rien de sa formation. Pour lui, ce procès est une tribune. Il clame qu'il ne reconnaît pas les lois françaises mais uniquement celles d'Allah, telles qu'il les interprète. En ce sens, Abdelkader Merah est une «métonymie» de cette vision du monde, qui reste présente aujourd'hui en France.
Elle reste présente dans les mentalités, et on a un aperçu de la manière dont elle s'est construite, depuis l'œdipe familial, les violences domestiques, le trafic de stupéfiants, la délinquance, jusqu'à être «sublimée» par la violence rédemptrice de l'idéologie salafiste djihadiste. Mais on en voit aussi les limites: les individus qui la portent ont été formés à la va-vite, contrairement à l'époque de Ben Laden qui disposait d'une véritable organisation.
Que révèle ce procès?
«Ce mépris du travail de ceux qui connaissent le terrain dans les quartiers populaires, de ceux qui ont étudié l'idéologie salafiste djihadiste, a coûté très cher à la nation»
Gilles Kepel
C'est un procès profondément frustrant. Il arrive bien trop tard, cinq ans - et plus d'un quinquennat - après les faits. Les familles des victimes attendent des réponses, mais aussi la nation tout entière. Dans une telle affaire, le procès devrait permettre de socialiser le deuil, par un phénomène de catharsis. Hélas, il n'en prend pas la direction… J'ai rarement vu un procès se passer si mal avec du brouhaha, des insultes et des suspensions de séances - alors que la justice réclame la sérénité. Il y a une vive réaction du public et des parties civiles, qui s'estiment frustrés de la vérité, ce qui est compréhensible.
Bien sûr, cela tient d'abord à la disparition du principal intéressé: celui qui devrait être là, c'est Mohamed Merah. Pour des raisons qui restent incompréhensibles après l'audition du chef du Raid de l'époque, Amaury de Hauteclocque, il a été tué alors qu'il aurait dû être neutralisé vivant. Ce que le procès a confirmé, c'est que les services de renseignement toulousains l'avaient tout à fait identifié et que leur hiérarchie parisienne les a empêchés de travailler en leur ordonnant notamment de privilégier la piste d'extrême droite. Un temps énorme a été perdu du fait du dysfonctionnement de la haute hiérarchie policière de l'époque. Ce mépris du travail de ceux qui connaissent le terrain dans les quartiers populaires, de ceux qui ont étudié l'idéologie salafiste djihadiste, a coûté très cher à la nation.
Ce procès s'apparente aussi à une plongée dans l'univers mental, social et culturel des djihadistes.
S'il est frustrant sur le plan politique et judiciaire, ce procès a une extraordinaire fonction révélatrice sociale et psychologique. Celle de dire la réalité intime d'une cité populaire à travers l'exacerbation de sa barbarie. Réalité dont nos dirigeants ainsi que les classes moyennes et supérieures des centres-villes n'ont aucune idée. Le procès Merah est une biopsie de cet univers.
«Il est frappant de constater qu'après des décennies passées en France, sa mère parle toujours très mal français et qu'il faut faire appel à un traducteur à la barre»
Gilles Kepel
Dans l'environnement où vivait Mohamed Merah prospère une véritable contre-société en rupture culturelle profonde. Il est frappant de constater qu'après des décennies passées en France, sa mère parle toujours très mal français et qu'il faut faire appel à un traducteur à la barre. Cette rupture très radicale avec la France aboutit à une coïncidence troublante: le meurtre à l'école juive a lieu le 19 mars 2012, cinquante ans jour pour jour après la mise en œuvre du cessez-le-feu dans la guerre d'Algérie. Et Mohamed Merah recommence la guerre contre la France, mais cette fois-ci sur son territoire. On se réjouit dans son entourage qu'il ait «mis la France à genoux».
Dans cette contre-société, le salafisme djihadiste fait feu de tout bois: il se greffe sur la délinquance non pour la supprimer, mais la rationaliser aux fins du djihad, et il récupère en la travestissant la mémoire de la guerre d'indépendance algérienne. Abdelkader Merah peut à la fois se présenter comme un modèle religieux et reconnaître avoir assisté au vol du T-MAX par son frère. Il prétend avoir été «otage de ce vol», assure que cet acte «en tant que musulman» n'était pas «licite». Dans la doctrine salafiste djihadiste cependant, il est licite de «faire du butin» sur les kouffar, les «mécréants».
Rappelons aussi que dans ce quartier, plusieurs dizaines de jeunes s'étaient rassemblés trois jours après la mort de Merah pour honorer sa mémoire, mettant sur le même plan leur douleur et celle des familles des victimes du tueur au scooter. Dans la nébuleuse djihadiste, ce dernier est célébré comme un «martyr» emblématique et un modèle à imiter. Des graffitis «Vive Merah», «Vengeance» ou «Nique la kippa» avaient alors été nettoyés à la hâte.

«La famille de Mohammed Merah, dont il est le produit imprévisible, c'est les Atrides à la mode salafiste», analyse Gilles Kepel. - Crédits photo : uu
Le quartier des Izards n'est situé qu'à quelques kilomètres du cœur du vieux Toulouse magnifiquement rénové avec son célèbre Capitole: c'est la face sombre de la Ville rose. Comment a-t-on pu ne pas voir à ce point cette réalité toute proche? Comment expliquer de telles fractures au sein d'une même ville? Cela pose la question des échecs des politiques urbaines. Il y a un énorme problème de gouvernance, de cohérence de fonctionnement.
L'imposition fiscale massive des classes moyennes a-t-elle servi à construire un gigantesque assistanat social qui maintient des populations dans leur ghettoïsation et provoque leur désintégration, ouvrant la voie aux dérives que documente ce procès et aboutissant, à travers la délinquance et le mépris des valeurs de la société et de l'État, à l'idéologie salafiste de rupture puis au passage à la violence djihadiste, tout en «grattant» au maximum les allocations et autres services sociaux? L'un des enjeux majeurs du mandat d'Emmanuel Macron est de repenser de fond en comble le pacte social et l'organisation du travail pour éviter cette fracture qui sans cela nous sera fatale.
Merah est aussi le produit de son environnement familial…
Ce procès met en effet en lumière la dimension de névrose familiale que le djihad pousse au paroxysme. La famille de Mohamed Merah, dont il est le produit imprévisible, c'est les Atrides à la mode salafiste. Le père, Mohamed Benalel Merah, est trafiquant de drogue, condamné et expulsé, polygame ; la mère, Zoulikha, entretient une relation œdipienne particulièrement complexe avec ses fils.
Abdelkader, le prévenu, exerce une forte influence intellectuelle depuis l'enfance sur Mohamed. Il se fait surnommer «Ben Laden» dans la cité et ira jusqu'à poignarder son frère aîné Abdelghani, et tentera de faire du fils de celui-ci un militant. Il y a aussi Sabri Essid, le «demi-frère», djihadiste en Syrie. Et enfin la sœur, Souad Merah, qui a tenté de rejoindre le «Califat» avec ses quatre enfants, avant de se réfugier probablement en Algérie. La doctrine salafiste djihadiste a permis l'interpénétration entre un drame familial multiforme et la perpétration du crime le plus barbare au cœur de la société française.
Le témoignage de Zoulikha Merah, la mère de Mohamed Merah, a fait couler beaucoup d'encre…
J'ai été frappé par la «prestation» de la mère. Si la presse la présente comme une menteuse et une manipulatrice, pour ceux qui détestent l'État français, elle apparaît au contraire comme «la voix qui résiste à l'oppression», la mère qui aime son fils. Elle est d'ailleurs encouragée dans ce jeu dangereux par l'avocat de la défense, qui n'hésite pas à la comparer à Albert Camus et à citer la célèbre phrase de l'écrivain à propos de la guerre d'Algérie: «Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère.»
«La mère de Merah, avec sa tenue islamique ostensible, s'est servi du procès comme d'une tribune et a imposé à la ­barre sa parole comme un discours alternatif à celui du peuple et de la nation française»
Gilles Kepel
Il est tout de même difficile et scabreux d'associer Mohamed Merah à une lutte de libération nationale. Cette rhétorique rappelle celle des djihadistes qui légitiment leur combat en le présentant comme une lutte de libération comparable à celle menée pour l'indépendance de l'Algérie ou encore à la résistance antinazie. Que le tribunal, même à son corps défendant, puisse donner le sentiment que ce type de discours n'est plus un propos criminel, mais un discours qui a sa légitimité et relativise les valeurs de la société française et de l'institution qui va juger au nom du peuple français est extrêmement préoccupant.
La mère de Merah, avec sa tenue islamique ostensible, s'est servi du procès comme d'une tribune et a imposé à la barre sa parole comme un discours alternatif à celui du peuple et de la nation française. Son fils, Abdelkader, fait de même. Il a, en effet, passé son temps à le répéter: «Vous, Français, vous avez vos valeurs. Nous, nous avons les nôtres.» Pour lui, il n'y a pas de hiérarchie. Il anticipe sa condamnation mais ne reconnaît pas la justice qui n'est pas la sienne.
L'un des fils conducteurs de ce procès est la haine des protagonistes pour la France. Comment en est-on arrivé là?
La contre-société des cités a été sanctifée par le salafisme. Même quand il ne prône pas la violence, il rationalise le refus des valeurs sur lesquelles repose la nation. Cela pose la question de savoir comment on peut encore faire société dans la multiplicité des quartiers des villes de la République? D'où la nécessité de s'attaquer aux causes profondes du terrorisme et pas seulement aux symptômes, même si les mesures sécuritaires sont bien sûr nécessaires à court et moyen terme.
«On ne peut plus laisser des territoires et des populations entières en marge de la société française et continuer à subventionner la délinquance par le RSA»
Gilles Kepel
On ne peut plus laisser des territoires et des populations entières en marge de la société française et continuer à subventionner la délinquance par le RSA. Il faut intégrer les outsiders dans l'univers des insiders, en particulier dans le monde du travail. Si nous ne faisons pas cela, la contre-société salafiste continuera à grandir avec les conséquences que l'on sait, jusqu'à une fracture irréfragable. Une réflexion profonde doit aussi être menée sur le fonctionnement de la justice, y compris dans sa dimension carcérale. Après ses erreurs tragiques en 2012, la hiérarchie policière a été capable de se transformer et de remporter de vrais succès.
Ce n'est pas le cas dans la justice: la question de l'incarcération des djihadistes n'est toujours pas résolue, comme on l'a vu avec la volte-face sur les «unités dédiées» à ceux-ci, qui ont été supprimées après la tentative d'assassinat d'un surveillant dans celles-ci. Aujourd'hui, les djihadistes voient la prison comme une étape valorisée, car ils peuvent lire, approfondir leurs connaissances, faire du prosélytisme et trouver de nouvelles recrues. Et on a vu l'échec des politiques hâtives de «déradicalisation», avec la fermeture du centre en milieu ouvert pour djihadistes… La machine judiciaire doit impérativement se repenser face au défi djihadiste, malgré les pesanteurs d'un corps extrêmement institutionnalisé et hiérarchisé. Sur ces questions, il est clair qu'elle n'a pas su identifier les compétences dont elle aurait pourtant bien besoin…
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Olivier Corel, Fabien Clain, Sabri Essid… les ombres fuyantes du procès d'Abdelkader Merah (26.10.2017)

Par Stéphane Durand-Souffland
Mis à jour le 26/10/2017 à 19h25 | Publié le 26/10/2017 à 18h02
Plusieurs personnes, dont l'influence sur le frère du terroriste est sans cesse rappelée, échappent toujours à la justice.
La justice antiterroriste a la réputation de ratisser large. Or, dans le dossier Merah, plusieurs personnes dont l'influence sur Abdelkader est sans cesse rappelée au procès, dont le verdict est attendu le 2 novembre, sont passées à travers les mailles du filet. À commencer par Souad, sœur de Mohamed et Abdelkader Merah. De nombreux témoignages décrivent l'ultra radicalité de cette femme qui, à Toulouse, portait la burka. N'a-t-elle pas déclaré un jour qu'elle pourrait commettre un attentat suicide avec ses propres enfants, afin qu'ils aillent tous ensemble au paradis?
Ultra radicalisée, Souad Merah réside actuellement en Algérie. Elle n'a jamais été mise en examen
Mariée à un certain Abdelouahed El-Baghdadi, condamné la semaine dernière à Paris à neuf ans de prison pour djihadisme, elle avait cherché à se rapprocher de lui quand il combattait en Syrie. Officiellement, elle est restée du côté turc de la frontière… Souad Merah réside actuellement en Algérie. Elle n'a jamais été mise en examen.
D'autres noms ont été régulièrement prononcés lors des débats devant la cour d'assises: Corel, Clain, Essid. Sabri Essid est celui qui a mis Abdelkader Merah, petit voyou de la cité des Izards, sur le chemin du salafisme. Ce prêcheur efficace, décrit par l'accusé visiblement admiratif comme portant la barbe et une tenue traditionnelle, roulant en Mercedes cabriolet, fascinait nombre de jeunes paumés du quartier, qu'il envoyait en apprentissage à la mosquée tenue par ses amis. Un ancien responsable du renseignement toulousain a évoqué à la barre son «fanatisme incroyable», son inclination pour la «violence totale», son «discours manichéen». Tout un symbole: Abdelkader Merah a arrangé le remariage de sa mère avec le père de Sabri Essid, parti combattre en Syrie.
«Redoutables propagandistes»
Ce missionnaire extrémiste fait partie de la garde rapprochée des frères Jean-Michel et Fabien «Omar» Clain, ce dernier ayant prêté sa voix à Daech pour la revendication des attentats du 13 novembre 2015. Ces «redoutables propagandistes», pour reprendre les termes du policier toulousain, sont des rouages essentiels de la filière d'Artigat, du nom du village ariégeois où habite son gourou, Olivier Corel. De son vrai nom Abdel Ilat Al-Dandachi, Syrien né en 1946 et naturalisé dans les années 1980, il est aussi connu comme l'«émir blanc». Il dispense un enseignement jusqu'au-boutiste, fondé sur la haine des «mécréants» et le mépris pour les autres mouvances jugées trop modérées. Abdelkader Merah était aussi un familier de MM. Corel et Clain.
Soupçonné d'être la tête pensante d'un réseau de formation de combattants islamistes, l'«Émir blanc» a bénéficié d'un non-lieu en 2009, contrairement à Sabri Essid et Fabien Clain. C'est Olivier Corel qui a envoyé ses messagers dans les quartiers défavorisés de Toulouse pour y recruter des adeptes ; tandis que les frères Clain se voyaient attribuer le secteur de la Reynerie, Sabri Essid s'occupait des Izards.
Alors que tous les regards convergent, au procès d'Abdelkader Merah, dans la direction d'Artigat, Olivier Corel n'a fait l'objet d'aucune poursuite dans le dossier. De même, Sabri Essid et les frères Clain n'ont pas été renvoyés aux assises, ne serait-ce que symboliquement puisque, s'ils sont encore en vie, ils se trouvent quelque part entre la Syrie et l'Irak.

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Chez les Merah, laboratoire de la haine (26.10.2017)

Par Stéphane Durand-Souffland
Mis à jour le 26/10/2017 à 19h50 | Publié le 26/10/2017 à 18h58
RÉCIT - Le procès d'Abdelkader Merah, frère du «tueur au scooter», dresse le portrait terrifiant d'une famille emportée par l'islam radical.
«La haine, écrivait Kierkegaard, c'est l'amour qui a sombré.» Le naufrage aura été spectaculaire chez les Merah. Ce n'est pas d'une famille qu'il s'agit, mais d'une sorte de laboratoire de la détestation dont le procès d'Abdelkader Merah, 35 ans, explore les inquiétants recoins.
Il y a peut-être eu de l'amour dans le foyer de Mohamed Merah père et de son épouse Zoulikha. Sans quoi on se demande ce qui a sombré après leur divorce, survenu au milieu des années 1990. C'est à partir de cet événement banal que tout part à vau-l'eau. L'épouse, que son mari, condamné pour trafic de stupéfiants, brutalisait, se retrouve seule avec ses trois garçons - Abdelghani, Abdelkader et Mohamed - et ses deux filles - Souad et Aïcha. Les mâles se battent entre eux et battent leur mère. L'aîné, Abdelghani, alcoolique et délinquant, tourne le dos à l'islam qui n'était que mollement pratiqué dans le logement familial des Izards, quartier défavorisé de Toulouse. Aïcha s'intègre à la société française - elle est coiffeuse.
«Pour nous, l'islam, c'était quelque chose de moyenâgeux. Sabri Essid nous a montré qu'on pouvait être musulman et avoir une belle voiture, une belle femme»
Abdelkader Merah
Mais les trois autres se font récupérer par les salafistes qui écument les banlieues de la Ville rose. Le véritable chef de la famille, c'est à présent Olivier Corel, l'«émir blanc» d'Artigat, village d'Ariège d'où il professe un islam guerrier. Abdelkader Merah a raconté comment l'un des émissaires de l'«émir», Sabri Essid, avait conquis les Izards en 2006, débarquant au volant d'un coupé Mercedes, portant barbe, cheveux longs et costume traditionnel. «Pour nous, explique celui qui est accusé d'avoir été le complice de son frère cadet, l'islam c'était quelque chose de moyenâgeux. Il nous a montré qu'on pouvait être musulman et avoir une belle voiture, une belle femme.»
En 2006, le petit voyou Abdelkader Merah, qui avait crié «vive Ben Laden!» le 11 septembre 2001 à une époque où il vivait comme un «mécréant», a entrepris de devenir un «émir», un «élu d'Allah», analyse un policier spécialiste de l'islamisme. Si cet ancien pensionnaire de foyers pour enfants difficiles bat moins sa mère, il lui choisit un second mari en la personne du père du pieux Sabri Essid - ce qui ne l'empêche pas de se fâcher avec Zoulikha Aziri. Il ne fréquente plus son aîné qu'il avait, avant sa conversion, attaqué à coups de couteau. Il est brouillé avec son cadet, le très incontrôlable Mohamed - l'ordonnance de mise en accusation qualifie de «troubles et complexes» les liens entre les deux salafistes. Il n'adresse plus la parole à Souad, bien qu'elle partage ses convictions islamistes et porte la burka. Inutile de préciser que ses relations avec Aïcha sont exécrables.
«Pour Kader, ce procès n'a aucune valeur, il est fier de ce qu'a fait Mohamed car, selon lui, il est mort en martyr»
Théodore, neveu d'Abdelkader Merah
La seule personne de la famille qui l'intéresse, c'est son neveu Théodore, fils d'Abdelghani et d'Anne C., française non musulmane et qui, comble de la provocation pour des intégristes barbus, a même un aïeul juif dans sa branche paternelle. Chez les Merah, on déteste les Français, les juifs, les Américains, bref, tout ce qui s'apparente à un «kouffar» (impie).
Théodore devient un enjeu, une cible à convertir quand il atteint une dizaine d'années. Son «oncle Kader» lui bourre le crâne de notions religieuses intolérantes et morbides, lui présente Olivier Corel, mais sa mère tient bon et empêche le jeune garçon de se laisser duper. Théodore est venu témoigner aux assises. Il est élève en classe préparatoire et brigue une grande école de commerce. «Kader m'a beaucoup parlé, explique-t-il. Il évoquait surtout le djihad spirituel, par la parole. Il se préparait à mourir pour Dieu. Il voulait m'emmener faire le tour des morgues. Pour lui, ce procès n'a aucune valeur, il est fier de ce qu'a fait Mohamed car, selon lui, il est mort en martyr.»
«C'était comme un monstre à trois têtes. Pour moi, c'était Souad la plus dangereuse, Kader n'aurait jamais commis d'attentats»
Théodore, neveu d'Abdelkader Merah
«Mohamed m'a choqué en me montrant des vidéos de décapitation, poursuit son neveu sur un ton mesuré. Lui, Souad et Kader étaient dans la même idéologie, mais je n'ai jamais entendu Kader l'appuyer au sujet du djihad armé. C'était comme un monstre à trois têtes. Pour moi, c'était Souad la plus dangereuse, Kader n'aurait jamais commis d'attentats.» Mais le jeune homme pense que l'aîné connaissait probablement le dessein du cadet, et qu'il n'a rien fait pour le dissuader: «Si vous n'intervenez pas, c'est que vous cautionnez», conclut Théodore, rescapé du laboratoire de la haine.
En mars 2012, les attaques de Mohamed Merah prennent la police de court. Certes, elle avait un œil sur cette fratrie radicalisée, mais il lui aura fallu du temps, beaucoup trop de temps, pour démasquer le «tueur au scooter». Le 11, il tue à Toulouse un militaire, Imad Ibn Ziaten, pour venger ses «frères» tués par l'armée française en Afghanistan. La PJ penche pour un règlement de comptes crapuleux, et interroge sans ménagement la famille du défunt sur un éventuel intérêt du soldat assassiné pour les stupéfiants. La mère de la victime, Latifa, musulmane, issue comme les frères Merah d'un milieu très modeste, est venue à la barre des assises donner une leçon de tolérance religieuse, de citoyenneté et d'intégration républicaine.
Produit d'une forme de haine universelle
Le 15 mars 2012, Mohamed Merah est à Montauban, et ouvre le feu sur un groupe de trois parachutistes: Loïc Liber, grièvement blessé, Mohamed Legouad et Abel Chennouf, tués sur le coup. Là encore, la police tâtonne, envisage la piste de l'extrême droite. La mère de Caroline, veuve d'Abel Chennouf, a raconté comment, à la morgue, avec une brutalité inouïe, on avait restitué à sa fille l'alliance en argent de son époux, «couverte de sang», sans prendre la peine de la nettoyer.
Le 19 mars, Mohamed «Abou Youssouf» Merah se présente à Toulouse devant l'école juive Ozar Hatorah, muni d'un pistolet-mitrailleur Uzi et d'une autre arme de poing. L'Uzi s'enraye dès la première rafale. Il dégaine sa seconde arme et tue Jonathan Sandler, ses fils Gabriel et Arié, ainsi que la petite Myriam Monsonego. Il a filmé ses crimes avec une caméra Gopro. Il est enfin identifié, localisé et, le 22 mars, il tombe sous les balles du Raid, après avoir opposé une résistance farouche aux forces de l'ordre.
Produit d'une forme de haine universelle qui s'exprime librement chez sa mère et de la violence intrafamiliale, Mohamed Merah s'est radicalisé en prison en 2008, deux ans après la conversion de son frère aîné, qui l'encourage à prendre le chemin d'un islam rigoriste et lui fournit de la documentation choisie. Il sort enragé d'une période de détention, condamné pour divers délits sans envergure. Il estime avoir été puni à tort pour un vol de sac à main, sentence qui avait de surcroît révoqué le sursis assortissant plusieurs autres petites peines prononcées auparavant.
«Mohamed était à fond dans la religion. Il m'avait demandé combien de personnes on pouvait écraser avec un camion»
Un policier entendu par la cour d'assises
Dans une lettre à Abdelkader, il écrit: «C'est une épreuve mais je sais précisément ce que je vais faire en sortant. Je souhaite qu'Allah me venge de ces kouffars.» Ses codétenus précisent qu'il commence à s'habiller en djellaba et à chausser des babouches, interdisant qu'on écoute de la musique. «Mohamed Merah était à fond dans la religion, selon un policier entendu par la cour d'assises. Il m'avait demandé combien de personnes on pouvait écraser avec un camion.»
Plus tard, à l'instar de son frère aîné parti pour plusieurs longs séjours au Caire - officiellement pour «apprendre l'arabe littéraire afin de pouvoir lire le Coran» dans le texte -, Mohamed Merah se rend en Afghanistan et au Pakistan où il reçoit vraisemblablement le feu vert d'un émir pour massacrer à sa guise au nom d'une branche d'al- Qaida, qui revendique les tueries d'«Abou Youssouf al Firansi» (le Français).
Ce parcours, cinq ans après, n'étonne plus. Mais en mars 2012, nul n'avait compris qu'un nouveau genre de terrorisme venait de naître, pratiqué par un individu faussement isolé, abreuvé de haine dès son plus jeune âge et, surtout, dont le but était de mourir les armes à la main, comme si sa mort ne trahissait pas un ultime naufrage.

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Retour sur les quatre semaines du procès d'Abdelkader Merah
Le procès d'Abdelkader Merah, 35 ans, s'est ouvert lundi 2 octobre devant la cour d'assises spécialement composée de Paris. Frère aîné de Mohamed Merah, il est accusé d'avoir aidé le terroriste islamiste à assassiner sept personnes en mars 2012. Nos journalistes Stéphane Durand-Souffland, Caroline Piquet, Julien Licourt et Alexis Feertchak couvrent le procès.

Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également. Il a reconnu avoir fourni un soutien logistique au "tueur au scooter".
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RÉCIT - Le procès d'Abdelkader Merah, frère du «tueur au scooter», dresse le portrait terrifiant d'une famille emportée par l'islam radical.

Plusieurs personnes, dont l'influence sur le frère du terroriste est sans cesse rappelée, échappent toujours à la justice.

Les services du renseignement intérieur à Toulouse avaient recommandé de «judiciariser» le dossier du «tueur au scooter» plus d'un an avant ses attaques terroristes. Une requête refusée par deux fois.

EN DIRECT - Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également. Il a reconnu avoir fourni un soutien logistique au "tueur au scooter".
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Mercredi, la cour d'assises de Paris a entendu les témoignages bouleversants des proches des victimes de Mohamed Merah.

Le juge d'instruction, cité comme témoin par la défense du frère du tueur au scooter, a peiné à convaincre.

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EN DIRECT - Le frère aîné de Mohamed Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également. Il a reconnu avoir fourni un soutien logistique au «tueur au scooter».
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Le coaccusé d'Abdelkader Merah reconnaît toutefois avoir fourni le pistolet-mitrailleur utilisé à l'école juive Ozar Hatorah en 2012.

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Prosélyte mais pas djihadiste, «musulman orthodoxe» mais pas «musulman terroriste», il joue de subtilités et de biais.

EN DIRECT - Abdelkader Merah, qui est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah, est interrogé ce vendredi sur son engagement religieux. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également pour avoir fourni un soutien logistique au "tueur au scooter".
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EN DIRECT - Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également pour avoir fourni un soutien logistique au "tueur au scooter".
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VIDÉO - Appelée à témoigner ce mercredi au procès de son fils, Zoulikha Aziri assure qu'Abdelkader est allé en Égypte «en vacances» et ne parlait «jamais» d'islam radical à la maison.

Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également. Il a reconnu avoir fourni un soutien logistique au "tueur au scooter".
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EN DIRECT - Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah.
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Abdelkader Merah est accusé d'avoir sciemment facilité "la préparation" des crimes de son frère Mohamed en l'aidant notamment à dérober le scooter utilisé lors des assassinats de sept personnes, dont trois enfants juifs, entre les 11 et 19 mars 2012 à Toulouse et Montauban.
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Aucune question ne déstabilise l'accusé qui joue d'intelligence pour se défausser.

EN DIRECT - Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité des sept assassinats terroristes commis par son frère Mohamed Merah. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également. Il a reconnu avoir fourni un soutien logistique au "tueur au scooter".
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VIDÉO - Après 15 jours de débats, la complicité d'Abdelkader avec son frère n'a pas été établie.

EN DIRECT - Abdelkader Merah est jugé pour complicité d'assassinat, au côté de Fettah Malki, délinquant toulousain, poursuivi pour avoir fourni des armes au «tueur au scooter», Mohamed Merah. En cette neuvième journée d'audience, l'accusation va tenter de démontrer qu'Abdelkader a apporté un réel soutien logistique à son frère.
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Le frère du tueur, Abdelkader Merah, est jugé depuis début octobre pour complicité d'assassinat, au côté de Fettah Malki, délinquant toulousain, poursuivi pour avoir fourni des armes au «tueur au scooter». Retrouvez ici les différents propos de cette huitième journée d'audience.
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VIDÉO - Trois policiers ont tenté, lundi à l'audience, d'établir qu'Abdelkader Merah connaissait les projets meurtriers de son frère.

Agent de maintenance, il était au volant du fourgon de l'établissement quand il a vu Mohamed Merah attaquer l'école et tuer un enseignant et trois enfants juifs. Mardi matin, il a témoigné à la barre la cour d'assises au procès d'Abdelkader Merah, qui comparaît pour «complicité».

EN DIRECT - Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité de sept assassinats terroristes commis par son frère. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également.
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VIDÉO - Trois policiers ont tenté, lundi à l'audience, d'établir qu'Abdelkader Merah connaissait les projets meurtriers de son frère.

VIDÉO - Un policier a dû convenir qu'il n'avait pas d'élément matériel prouvant l'implication directe de l'accusé dans les tueries de 2012.

EN DIRECT - Abdelkader Merah est poursuivi pour complicité de sept assassinats terroristes commis par son frère. Un autre homme, Fettah Malki, comparaît également.
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VIDÉO - L'avocat d'Abdelkader Merah a révélé, jeudi après-midi, devant la cour d'assises de Paris, avoir reçu une lettre anonyme menaçant ses enfants d'«une balle dans la tête» si l'accusé n'était pas condamné.

VIDÉO - Le frère du terroriste qui a tué sept personnes en 2012 ainsi qu'un petit délinquant algérien sont accusés d'avoir été ses complices.

EN DIRECT - Abdelkader Merah, 35 ans, est jugé depuis lundi par la cour d'assises spéciale de Paris. Aujourd'hui, la cour se penche sur le profil de l'accusé.
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Personnalité complexe, le frère aîné du « tueur au scooter » était un petit voleur buveur et cogneur avant de se «convertir».

VIDÉO - L‘aîné de Mohamed Merah comparaît depuis lundi devant la justice. Il est soupçonné d'avoir aidé «le tueur au scooter» dans son entreprise mortifère. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Portrait.
EN DIRECT - Suivez le procès du frère de Mohamed Merah jugé pour «complicité d'assassinats»

EN DIRECT - Abdelkader Merah, 35 ans, est jugé à partir de ce lundi par la cour d'assises spéciale de Paris pour «complicité d'assassinats». Suivez le live de notre journaliste sur place, Caroline Piquet.
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INFOGRAPHIE - Il y a un peu plus de cinq ans, Mohammed Merah assassinait sept personnes, parmi lesquelles des militaires, un enseignant et trois enfants. À partir de lundi 2 octobre, son frère Abdelkader comparaît devant la justice pour complicité d'assassinats.

L'islam radical à l'assaut de l'entreprise (27.10.2017)
Par Judith Waintraub
Mis à jour le 27/10/2017 à 12h11 | Publié le 27/10/2017 à 09h00
EXCLUSIF - Dans un livre qu'il vient de publier, Denis Maillard raconte au travers d'expériences vécues tant dans des groupes publics que privés les offensives, souvent couronnées de succès, des prosélytes d'un islam rigoriste. Extraits.
• Le fondamentalisme musulman au cœur du problème
C'est précisément d'une «neutralité peu compromettante» qu'a usée le ministère du Travail pour la rédaction de son guide du fait religieux. Pouvait-il agir autrement? Non, sauf à être accusé de parti pris ou, pire, d'islamophobie. Car il ne faut pas se voiler la face, c'est principalement d'islam qu'on parle lorsqu'on évoque ce fameux «fait religieux» au travail. Il suffit d'ailleurs qu'un problème surgisse concernant une autre religion et chacun est comme soulagé ; le cas est immédiatement mis en exergue comme la preuve d'un traitement égal de toutes les religions. Pourtant c'est bien l'islam qui taraude les esprits. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Quoi qu'il en soit, le déni n'est pas de mise: le fait religieux musulman doit être nommé, dépassionné et problématisé, surtout si l'on veut le comprendre et permettre aux entreprises d'y apporter une réponse.
• Quand les dirigeants de la RATP tombent des nues
Fin novembre 2015. Deux semaines après les attentats de Paris et du Stade de France, la RATP est en crise. L'un des assassins du Bataclan, Samy Amimour, est un ancien machiniste de la Régie. […] En poste depuis moins d'un an, la nouvelle présidente, Elisabeth Borne, découvre alors des pratiques qu'elle ne soupçonnait pas et qui viennent démentir ses premières déclarations: «Aucun écart n'a été signalé depuis mon arrivée, a-t-elle martelé. Si c'est le cas, tout ce qui est sanctionnable doit être sanctionné.» Dans les couloirs du siège, les cadres du département bus et tramways n'en mènent pas large. Ils connaissent la réalité du terrain. Ils savent que, depuis quelque temps, Pavillons-sous-Bois est l'un de ces centres (il y en aurait deux autres en région parisienne) où le management a dû battre en retraite face à la force des revendications communautaires et religieuses. Pièces collectives fermées et inaccessibles à la direction (avec des soupçons de trafic), refus de certains machinistes de serrer la main aux femmes et même de toucher le volant après elles, autobus immobilisés pendant que les conducteurs font leurs prières… Les coups de canif à la sacro-sainte laïcité, règle d'airain dans les services publics, sont devenus légion […]
Qu'il s'agisse des manifestations de piété, des relations entre les hommes et les femmes, de l'intégration de nouveaux salariés ou encore de la peur du terrorisme, la RATP condense dans une même entreprise toutes les thématiques propres à l'expression de la religion au travail
Pourtant, dès 2005, une clause de neutralité avait été introduite dans le contrat de travail. En 2011, un premier code éthique avait même été publié. Mais l'initiative eut une portée plus symbolique que réelle. C'est l'époque où le syndicat Force ouvrière est surnommé «Force orientale» tant il apparaît poreux aux demandes communautaires. […] Entre le printemps 2013 et l'été 2014, Force ouvrière suspend l'adhésion de près de 200 de ses syndiqués. Motif: ces agents ne se conforment pas aux valeurs laïques de l'entreprise et du syndicat. […] Force ouvrière paiera le prix de cette décision. A la fin de 2014, le syndicat ne recueille que 9,6 % des voix et perd de peu sa représentativité à la RATP. Au profit d'un nouveau syndicat apparu récemment, le syndicat antiprécarité (SAP-RATP). Le nouveau venu rafle plus de 50 % des voix sur deux centres bus: dans le XVIIIe arrondissement de Paris et… aux Pavillons-sous-Bois, dépôt où avait travaillé Samy Amimour, le terroriste du Bataclan. Rebaptisé par certains agents le «Syndicat pour musulmans», le SAP inquiète la direction. […] En 2017, l'entreprise le reconnaît: lorsqu'un manager était alerté par un problème lié à l'affirmation religieuse, sa hiérarchie lui demandait généralement de se débrouiller pour le régler et de se concentrer en priorité sur la qualité de service. C'est en réalité autant à une banalisation des mœurs banlieusardes au sein d'une partie de l'entreprise qu'à son «islamisation» qu'on a assisté à la RATP à partir des années 2000. […] Qu'il s'agisse des manifestations de piété, des relations entre les hommes et les femmes, de l'intégration de nouveaux salariés ou encore de la peur du terrorisme, la RATP condense dans une même entreprise toutes les thématiques propres à l'expression de la religion au travail. […] Depuis les attentats, les dirigeants ont pris la mesure de la situation. […] Interrogés, certains agents décrivent leurs collègues notoirement religieux plus discrets désormais et moins enclins à revendiquer des aménagements spécifiques à leur croyance.

L'entreprise suédoise d'ameublement IKEA a choisi d'autoriser ses employés à porter des signes religieux distinctifs. Elle en a même fait un argument dans ses campagnes de recrutement. - Crédits photo : _ISA
• Ikea
L'entreprise suédoise a clairement pris parti pour la liberté religieuse. Ainsi, ses vendeuses sont autorisées à porter le voile. Quelles que soient leurs croyances religieuses, tous les salariés d'Ikea peuvent afficher un signe religieux distinctif, sous réserve que leur visage ne soit pas dissimulé, qu'ils puissent être identifiés comme faisant partie de l'entreprise grâce à un badge et un uniforme reconnaissable et que les règles de sécurité et d'hygiène soient respectées. Ce qui correspond certes strictement au code du travail, mais cherche avant tout à respecter l'identité de chacun.
• La polémique sur le burkini s'invite dans l'entreprise
La dispute s'est invitée également au sein de certaines entreprises, notamment les centres de vacances gérés par des entreprises du tourisme international. Avant 2016, celles-ci avaient peu réfléchi aux questions religieuses, la liberté des clients représentant jusqu'à présent la règle. C'était compter sans la «fièvre hexagonale» qui pousse alors des baigneurs à se plaindre aux responsables de sites ou aux maîtres-nageurs, et à nourrir leurs commentaires sur Tripadvisor de remarques sur le burkini: les uns pour le dénoncer, les autres pour demander qu'on fasse respecter leur droit de se vêtir comme bon leur semble. Au-delà de nos frontières, les médias étrangers se sont également emparés de cette affaire, le cas français étant montré du doigt comme islamophobe ou, au contraire, salué une nouvelle fois comme la pointe du combat pour la liberté de conscience. Dans certains pays comme l'Australie, des associations confessionnelles ont fait ouvertement campagne contre la France!
• Les jours fériés en question
Reste que les jours fériés, mais aussi le dimanche, deviennent de plus en plus source d'interrogations dans le monde du travail: pourquoi la religion catholique monopolise-t-elle les jours de congé au détriment des autres religions, qui doivent se contenter des miettes que les accords d'entreprise veulent bien leur attribuer? Jamais en retard d'une innovation, le think tank Terra Nova a proposé récemment que l'on alloue deux jours fériés aux religions juive et musulmane. Sous ses dehors de bon sens, ce genre de proposition montre, au contraire, que la confusion est maximale entre ce qui relève de la foi et ce qui touche aux traditions historiques ; entre le cultuel et le culturel. Au regard des méandres de l'histoire rappelés plus haut, il serait anachronique de repeupler soudainement le calendrier avec des jours de même type accordés à d'autres religions. Si pareille décision venait à être prise, les problèmes ne manqueraient pas de survenir: comment procéder? Quels critères choisir? Le nombre de croyants sur le territoire? L'assiduité des fidèles aux offices ou… le désordre que ces religions provoquent?

Le halal est une contrainte pour les employeurs mais représente aussi un formidable marché. En 2009, déjà, ce Leclerc de Vitry-sur-Seine s'était adapté à la demande. - Crédits photo : © Lahcène ABIB / SIGNATURES
• Le casse-tête du ramadan
Le ramadan, ce mois de jeûne annuel dans l'islam, pose d'autres questions aux entreprises. Elles concernent moins les jours de congé que l'aménagement des horaires. Surtout si le ramadan a lieu, comme cela a été le cas ces dernières années, durant les mois d'été, marqués par de fortes chaleurs et des journées plus longues qu'en hiver: les croyants demandent généralement à arriver et à partir plus tôt, au risque de désorganiser le service ou la production. La plupart du temps, ce type d'aménagement est laissé à la libre appréciation des managers et des chefs d'équipe ou de chantier, qui doivent répondre à un certain nombre de contraintes: combien de personnes sont concernées? La modification des horaires de certains est-elle compatible avec l'activité de tous? Le service des clients est-il correctement assuré? Quels sont les risques courus?
Même si les aménagements demandés ne sont pas acceptés par les entreprises, le jeûne a quand même lieu. Il y va de l'identité religieuse du croyant. Car le ramadan est devenu depuis quelques années, comme la consommation halal, le marqueur de l'identité musulmane. Les croyants, souvent issus de l'immigration, restaurent en quelque sorte leur fierté à travers l'ascèse d'un mois de privation. Le croyant démontre aux yeux de ses coreligionnaires sa maîtrise de lui-même, qui équivaut à une reconnaissance en bonne et due forme de sa piété et de son intégration dans la communauté. Ainsi, selon son rigorisme, celui-ci va s'infliger une pratique ascétique plus ou moins poussée. On voit, par exemple, régulièrement fleurir sur les sites Internet spécialisés des questions liés à la possibilité ou non d'avaler sa salive durant le ramadan…
Quoi qu'en disent les croyants, l'épreuve physique que représente un mois de jeûne fait souvent sentir ses effets sur le travail, surtout s'il est manuel. Et c'est avant tout la qualité de ce travail et la dangerosité due à la fatigue qui doivent servir de critère pour apprécier l'impact du ramadan. La religion n'a pas à interférer avec la manière de réaliser ses tâches ou les résultats de celles-ci.
• Halal ou haram: le code du travail à l'épreuve
Octobre 2010, dans le sillage de l'affaire de la crèche Baby Loup, les croyances religieuses au travail commencent à occuper les esprits et les journées de nombreux managers. Dans cette petite entreprise de transport et de livraison de la banlieue rouennaise, un chauffeur manutentionnaire refuse, au nom de sa religion, de décharger, de porter et, in fine, de livrer aux clients des caisses contenant de l'alcool. Ne pouvant lui proposer un autre emploi dans l'entreprise et pensant ramener le jeune homme à la raison, le patron conciliant demande à un imam de la commune de venir lui expliquer que son travail ne contrevient pas aux règles de l'islam. Le religieux s'exécute et l'affaire semble réglée. Il n'en est rien! La semaine suivante, l'employé se présente avec un autre imam pour lequel la manutention d'alcool est bel et bien proscrite… Coupant court aux querelles théologiques sur les quais de chargement de ses camionnettes, l'entreprise licencie le manutentionnaire au motif qu'il refuse d'exécuter son contrat de travail qui n'a pas été modifié par son employeur. […]
Certaines manières de vivre et de consommer dépassent largement les habituelles demandes de menus halal à la cantine de l'entreprise. Dans le monde du travail, elles rendent impossible la coexistence avec les autres collègues
Ce cas est, sur le fond, totalement identique à celui que nous avons eu à connaître dans une entreprise d'aide à domicile: chargée de faire les courses de plusieurs personnes âgées dépendantes, la salariée qui s'acquitte de cette tâche est une jeune femme voilée qui manifeste ainsi sa foi. Cette situation ne pose de problème à aucune des clientes. Un jour, au cours d'une visite de supervision pour savoir si tout se passe bien, l'une d'elles fait part de son incompréhension: sur la liste de ses courses figurent parfois quelques tranches de jambon blanc. Or le jambon manque à chaque fois à l'appel et elle ne comprend pas pourquoi. Interrogée, la jeune salariée reconnaît qu'elle évite d'acheter le jambon, se justifiant par le fait que sa religion lui interdit de toucher du porc. […] De telles manières de vivre et de consommer dépassent largement les habituelles demandes de menus halal à la cantine de l'entreprise. Dans le monde du travail, elles rendent impossible la coexistence avec les autres collègues. […] En 1987, Gilles Kepel avait proposé de parler d'une «extension du domaine du halal» pour qualifier cette transformation des formes héritées de la croyance dont il voyait les premières manifestations dans «les banlieues de l'islam» *. […] A cette explication toujours pertinente, nous souhaitons ajouter une autre évolution majeure liée à la modification des repères de la foi telle que nous la voyons à l'œuvre dans le monde du travail. Il s'agit d'une certaine rigidité identitaire de ces nouveaux croyants qui les pousse à se conformer à des normes et des rites encadrant leur existence et lui redonnant un sens.
• La tentation théologique
La tentation théologique est donc un piège pour l'entreprise. Car l'objet de cette dernière, nous aurons à y revenir, n'est pas la coexistence des croyances, mais l'organisation commune du travail en vue de la production. Le piège est d'autant plus grand qu'il se trouvera toujours une personne plus instruite en théologie (ou plus radicale) pour porter la contradiction, comme l'a illustré notre exemple. C'est d'ailleurs la stratégie déployée aujourd'hui par les salafistes. Mettant en exergue la laïcité, ils dénient à la France le fait d'être un pays chrétien, c'est-à-dire appartenant aux «Gens du Livre». Ce faisant, cet islam militant confond à dessein le cadre politique général et le cadre religieux individuel que la France distingue depuis la Révolution. Plus fondamentalement, le recours à l'argument théologique est une contradiction puisqu'il suppose de prendre appui sur des raisons religieuses pour en atténuer la portée. Or ce n'est pas le rôle d'un DRH. C'est en revanche celui des autorités musulmanes, qui devront tôt ou tard prendre à bras-le-corps les aspirations diffuses à la pureté religieuse des fidèles. Mais hors de l'enceinte de l'entreprise. Car choisir ce cadre pour y discuter théologie est bien la pire des solutions.

Chez Webhelp, opérateur international de centres d'appels, implanté à Saint-Avold, en Moselle, le port du voile est accepté pour les salariées qui font du télétravail. (Image d'illustration) - Crédits photo : Fred MARVAUX/REA
• Le voile
En quoi ce voile est-il si ennuyeux? Qui gêne-t-il réellement? Au-delà du fait que l'immense majorité des salariés (83 %) estime que l'entreprise doit rester un endroit neutre et ne pas prendre en considération les revendications d'ordre religieux, ce sont essentiellement les relations avec les clients qui apparaissent aujourd'hui comme le foyer central des problèmes liés au voile: les clients se plaignent.
Quelles sont, dès lors, les marges de manœuvre d'un chef d'entreprise dont la clientèle refuserait de travailler avec une de ses salariées parce qu'elle porte un voile? Demander à la salariée de le retirer présente plusieurs risques: celui d'aller au conflit et au licenciement ; celui aussi d'être accusé de discrimination ou d'islamophobie par certaines associations. Cela est régulièrement le cas avec le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), passé maître dans l'art d'utiliser ce type de contentieux pour faire avancer sa cause et fournissant aux femmes en question avocats et conseils en communication. […]
• La barbe
Comment différencier celle du salafiste de celle du hipster, ou celle du franc-maçon de celle du tatoueur gay? Comment différencie-t-on un signe acceptable d'un signe inacceptable? On chasse un signe par la porte, il se présente par la fenêtre, et il est rare en cette matière qu'un DRH soit sémiologue… Et parle en quelque sorte le langage des signes. Le cas s'est d'ailleurs présenté début 2016, quelques semaines après les attentats du 13 novembre: quatre agents de sécurité de l'aéroport d'Orly ont été licenciés pour avoir refusé de raser leur barbe comme le stipulait le règlement de leur entreprise. Alors que ces barbes n'avaient visiblement pas poussé en une nuit, leur employeur, l'agence Securitas, s'est prudemment retranché derrière son «code référentiel», qui stipule que les agents doivent être glabres. Les agents, pour leur part, ont fait d'eux-mêmes le lien entre barbe et religion, refusant de se raser parce que, à leurs yeux, cela portait atteinte à leur liberté religieuse.
Confrontés eux aussi à la montée des revendications religieuses, les syndicats, CGT et FO en tête, ont mis du temps à arrêter une stratégie face à l'islam rigoriste. - Crédits photo : JACQUES DEMARTHON/AFP
• Les fichés S
«Peut-on connaître nos fichés S?» C'est ce type de dilemme que nous confient ces derniers temps plusieurs DRH. L'un d'entre eux, responsable dans une entreprise de transport, a brusquement compris après l'attentat de Nice le danger potentiel lié à la libre circulation de ses camions, dont plusieurs centaines sillonnent chaque jour les différentes villes de France. Impossible pour lui de connaître tous les chauffeurs et encore moins les intérimaires embauchés pour pallier les absences des titulaires. Récemment, l'un de ces chauffeurs a d'ailleurs découvert des documents de propagande de l'Etat islamique oubliés par son dernier occupant dans le vide-poche d'un camion. L'intérimaire en question s'est empressé de prévenir son chef. Reste à savoir comment procéder avec le chauffeur incriminé? «Concernant ce cas, la police nous a expliqué que le chauffeur était fiché S et particulièrement surveillé, explique le DRH. Ils ont pu l'arrêter grâce à la découverte faite dans son camion. Mais peut-on connaître nos fichés S? poursuit-il, et comment identifier les signes de radicalisation?»
Depuis que l'une de ses salariées a été arrêtée pour terrorisme, la DRH d'une entreprise de soins à la personne est aux prises avec les mêmes interrogations. L'onde de choc a impacté toute l'entreprise. Comment aborder cette question, en parler avec les salariés? Comment, là aussi, détecter les signes susceptibles d'alerter sur la radicalisation d'un salarié? […] Il faut donc se garder de la confusion des concepts: porter un voile relève du fait religieux, faire l'apologie du terrorisme constitue la preuve d'une radicalisation.
Toutefois, la tolérance à l'expression du fait religieux doit être appréciée selon le contexte de l'entreprise et le secteur dans lequel elle évolue: la production nucléaire ou le transport de voyageurs, par exemple, ne développent pas la même sensibilité au fait religieux et aux risques de radicalisation qu'une enseigne de distribution ou une PME sous-traitante d'un groupe informatique. Chez les premières, la ligne rouge est plus vite franchie et le travail avec la police et les services de renseignement est permanent.
«Vous donnez bien aux gays, pourquoi pas à nous ?»
La représentante d'une organisation caritative musulmane au DRH de son entreprise
• La limite des politiques de diversité
«Vous donnez bien aux gays, pourquoi pas à nous?» La femme qui s'adresse ainsi au DRH de cette entreprise de nettoyage, très engagée dans la promotion de la diversité, est la responsable d'une association qui vient en aide aux plus démunis dans son quartier. Elle est musulmane pratiquante et a créé cette association d'obédience soufie avec d'autres croyantes de l'entreprise. La conversation, qui tourne au dialogue de sourds, a débuté quelques semaines plus tôt, lorsque cette femme a sollicité un entretien avec le directeur de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) afin de demander une subvention pour son association. Celui-ci a refusé au motif qu'il ne pouvait pas soutenir une association confessionnelle. La femme s'entête, invoque la discrimination. Elle prend argument que l'entreprise a déjà accordé des subventions à d'autres associations de femmes et même à une association qui soutient les gays et aurait fait défiler un char lors de la Gay Pride!… Tout cela est vrai, mais rien de religieux, lui rétorque le directeur. Il lui demande alors de rencontrer le DRH, car il ne veut rien avoir à faire avec les problèmes de croyances. En bout de course, c'est à ce dernier de «gérer le fait religieux».
• «Peut-on être soi-même au travail?»
Dans un monde du travail sans repères fixes, l'individu religieux va se rassurer avec les limites et les cadres que lui procure sa foi. Sauf que la stricte observance des rites qui en découlent le met au ban d'un monde commun du travail. C'est précisément l'exemple que nous avons eu à connaître au mois d'avril 2017, à Paris, lors d'un forum sur la vision du travail portée par les moins de 30 ans: dans la salle, une cinquantaine de jeunes de toute origine et de tout statut, étudiants, actifs, chômeurs, débattent autour d'une question: «Peut-on être soi-même au travail?» Majoritairement, ils répondent par la négative et s'en désolent: on ne peut pas aller en baskets ou en survêtement au travail, ce n'est pas normal! On ne veut pas se déguiser, on veut rester nous-mêmes! Etc. Le débat tourne en rond et porte sur des questions vestimentaires sans intérêt. Parmi tous ces débatteurs, plusieurs jeunes femmes sont voilées et on sent bien, petit à petit, que, derrière le port du survêtement, c'est aussi la question du voile qui a du mal à se frayer un chemin dans la discussion. Tel l'éléphant au milieu de la pièce, tout le monde le voit, mais personne n'en parle…

Quand la religion s'invite dans l'entreprise. Malaise dans le travail, de Denis Maillard, Fayard, 232 p., 18 €. - Crédits photo : éditeur
L'une des jeunes femmes va enfin crever l'abcès en énumérant toutes les discriminations qui l'empêchent d'être elle-même au travail et lui interdisent, selon elle, l'accès à l'emploi: sa couleur de peau - elle est noire -, le choix de ses vêtements et… son voile. Tout n'est pas sur le même plan, tente-t-on d'argumenter: «Votre peau, vous ne pouvez pas l'ôter, elle fait partie de vous, mais, votre voile, vous pouvez bien l'enlever? - C'est exactement la même chose, rétorque-t elle. Mon voile fait partie de moi, comme la couleur de ma peau. Ma religion, c'est moi!» Poursuivant la conversation un peu plus tard en aparté, celle-ci explique qu'elle a tenté de faire des études en ressources humaines, mais qu'elle a bien vu que sa religion, qui organise l'ensemble de sa vie, l'empêche d'être embauchée ou même d'obtenir un stage. Elle a donc décidé d'orienter ses études différemment et prévoit de créer sa propre entreprise pour rester elle-même et pouvoir embaucher des femmes voilées…
Les Banlieues de l'islam. Naissance d'une religion en France, de Gilles Kepel, Seuil, «Points»,
432 p., 10,50 €.
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Guillaume Perrault : «Parisiens, fuyons la capitale !» (26.10.2017)
Par Guillaume Perrault
Mis à jour le 27/10/2017 à 11h10 | Publié le 26/10/2017 à 19h57
ANALYSE - Le mouvement entre Paris et les provinces semble sur le point de s'inverser : les Parisiens délaissent la capitale qui devient invivable, pour les métropoles de France, explique Guillaume Perrault.


- Crédits photo : figaro
Guillaume Perrault est grand reporter à FigaroVox et au Figaro. Maître de conférences à Sciences Po, il enseigne l'histoire politique française et les institutions politiques. Son nouvel ouvrage, «Conservateurs, soyez fiers!», vient de paraître chez Plon.

En 1846, à Lille, lors de l'inauguration du chemin de fer qui allait relier la grande ville du nord à Paris, Berlioz interpréta une cantate qu'il avait composée pour l'événement à la demande de la municipalité, intitulée «Le Chant des chemins de fer». En digne homme du XIXe siècle, le grand compositeur ne doutait pas qu'il saluait là le progrès. Depuis lors, en tout cas, le nombre de Lillois  montés à Paris, comme on disait jadis, n'a cessé de croître.
Or, aujourd'hui, le mouvement entre Paris et les provinces semble sur le point de s'inverser. Déjà, certains Bordelais vouent aux gémonies le TGV qui, désormais, relie leur ville magnifique à la capitale en deux heures. Les Parisiens affluent sur les rives de la Garonne, contribuant à la flambée des prix de l'immobilier. Aussi un mouvement de mauvaise humeur est-il apparu. «Parisien, rentre chez toi»: cet autocollant, qui représente un TGV devant le centre-ville de Bordeaux, s'observe en de rares endroits, ces jours-ci, dans la ville de Montaigne. Des Bordelais de vieille souche et non dénués d'humour ont créé le «Front de libération bordeluche (bordelais en argot) face au parisianisme» (FLBP), actif sur les réseaux sociaux.
L'auteur de ces lignes, Parigot tête de veau, comprend la mauvaise humeur des Bordeluches
L'auteur de ces lignes, Parigot tête de veau, comprend la mauvaise humeur des Bordeluches. Voilà des années que les catégories populaires et même les classes moyennes ont dû quitter le centre-ville de leur agglomération (sauf les bienheureux qui bénéficient d'un logement social). La même boboïsation s'observe, au reste, dans toutes les métropoles de France, hormis Marseille. Cette dramatique uniformisation sociologique et culturelle est simplement plus avancée à Bordeaux qu'ailleurs.
Non, amis bordeluches, les Parisiens ne vont pas rentrer chez eux. Le temps est révolu où les habitants de la capitale regardaient de haut le reste du pays, jugaient leur sort enviable et s'écriaient après François Villon: «Il n'est bon bec que de Paris.» Rien n'est plus éloigné d'eux, désormais, que les manifestations de condescendance ingénue du Parisien pour le provincial qui abondaient depuis des siècles. On lisait ainsi, en 1855, sous la plume du journaliste Edmond Texier: «Ne croyez pas à la cigarette de la femme! C'est un mensonge, un truc, une ficelle pour prendre les gens des départements (…). Toutes les lorettes font semblant d'adorer la cigarette. Il y en a même un grand nombre qui s'entraînent au cigare afin d'agir plus vivement sur l'imagination des provinciaux que l'Exposition universelle va amener l'été prochain à Paris.» Tout cela est bien fini.
Désormais, c'est le Parisien qui fait pitié à tous les autres Français.
Désormais, c'est le Parisien qui fait pitié à tous les autres Français. Qui la capitale peut-il encore faire rêver? Ses rues sont d'une saleté repoussante, les couloirs du métro et du RER rivalisent de puanteur, et les SDF se multiplient. Un sentiment de clochardisation gagne les esprits.
Qui la capitale peut-il encore faire rêver ? Ses rues sont d'une saleté repoussante, les couloirs du métro et du RER rivalisent de puanteur
Pendant ce temps, Anne Hidalgo se flatte de transformer la vie des automobilistes parisiens en enfer, ouvre un camp de naturistes dans le bois de Vincennes (gageons qu'il va falloir ordonner aux militaires de Vigipirate d'en assurer la protection) et insulte les Parisiens qui la critiquent. Saluons donc la persévérance du site d'information Delanopolis, animé par Serge Federbusch, également contributeur au FigaroVox, qui fait plus pour dénoncer les folies du maire que tout le groupe LR du Conseil de Paris.
Au risque de heurter, la conclusion s'impose: il vaudrait mieux pour la capitale que le préfet ait encore le dernier mot sur les élus, comme c'était le cas avant 1977. Les Parisiens en âge d'en conserver le souvenir peuvent-ils sérieusement prétendre qu'ils étaient malheureux quand l'État, et non un maire, dirigeait Paris? Sont-ils plus écoutés aujourd'hui par ceux qui décident de leur sort? La décentralisation, appliquée à la capitale, se révèle une catastrophe qui les livre à l'arbitraire d'un tyranneau.
Seuls les impératifs professionnels retiennent encore de nombreux habitants de la capitale à leur ville, comme le serf reste attaché à sa terre contre son gré. Les retraités, eux, épluchent les annonces immobilières pour gagner nos belles provinces. Et ils ont raison. Parisiens, fuyons la capitale!
Retrouvez Guillaume Perrault sur Twitterhttps://twitter.com/GuilPerrault
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 27/10/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Éric Zemmour : «Derrière la campagne contre les porcs, c'est la porcherie qui flambe et que l'on nous cache» (27.10.2017)
Par Eric Zemmour
Publié le 27/10/2017 à 09h01
CHRONIQUE - Le torrent médiatique de « Balance ton porc » ne saccage pas seulement toute raison et cohérence intellectuelle. Il réduit à presque rien tout le reste de l'actualité.
C'est un torrent qui emporte tout. Qui dévaste tout, qui détruit tout, qui ravage tout. Qui envahit tout. Le torrent de la parole libérée. La parole qui dénonce, la parole qui accuse, la parole qui menace. L'incroyable tsunami de «Balance ton porc» nous plonge soudain dans le monde décrit il y a des années par l'écrivain Philippe Muray qui avait prophétisé que le temps du néopuritanisme féministe succéderait à celui de la libération sexuelle des années 1970, et qu'il s'achèverait dans une fureur répressive et inquisitoriale: «À l'envie de pénis, succédera l'envie de pénal.»
Nous y sommes. Et plus rien d'autre n'existe ni n'importe. Comme si (alors même que l'affaire Weinstein partait des Etats-Unis, et même d'Hollywood, qui n'a jamais eu la réputation d'être un monastère), la France était devenue un enfer où des «porcs» par millions harcelaient et violaient en liberté des pauvres victimes féminines, forcément victimes, qui n'avaient aucun moyen légal de se défendre. Les mêmes militantes féministes - qui, il y a quelques semaines, nous expliquaient doctement que les incessants harcèlements de rues par les migrants Porte de la Chapelle se régleraient par un élargissement des trottoirs - ne proposent nullement l'agrandissement des chambres d'hôtel où Weinstein et ses émules français reçoivent leurs proies. Il est vrai que ceux-ci sont occidentaux et riches, tandis que ceux-là sont africains et pauvres.
«Cette furie médiatique ne saccage pas seulement la raison. Elle réduit à rien tout le reste»
Mais le torrent médiatique de «Balance ton porc» ne saccage pas seulement toute raison et cohérence intellectuelle. Il réduit à presque rien tout le reste de l'actualité. Soudain, la sécession catalane devient anecdotique. On évoque à peine les efforts - largement vains d'ailleurs - d'Emmanuel Macron pour limiter les effets délétères des travailleurs détachés. Les menaces nucléaires venues de la Corée du Nord ont disparu. La défaite de Daech? On s'en moque. On a déjà oublié que les Allemands de Siemens ont racheté nos TGVLes ambitions mondiales de la Chine, proclamées haut et fort désormais par le chef du Parti communiste chinois, n'ont qu'une importance insignifiante. Le développement de sa marine, en particulier, et de son armée en général, son impérialisme économique mis en place à travers «la route de la soie», n'intéresse personne. Pas plus que le réveil programmé de la puissance militaire japonaise. Ou l'invasion continue de migrants venus d'Afrique, et qui passés par la Libye, se déversent sur les côtes italiennes, en sachant très bien qu'ils seront non seulement sauvés, mais jamais renvoyés dans leur pays.
Tout cela est insignifiant. Négligeable. Marginal. Il est vrai qu'il ne s'agit que de paix et de guerre. Un sujet bien moins important que de savoir si tel député ou ancien ministre a posé sa main sur la cuisse d'une jeune femme ou si une actrice a pleuré en comprenant qu'un producteur l'avait invité dans sa chambre d'hôtel pas seulement pour évoquer son prochain rôle. Si on était amateur de complots, on dirait que cette campagne médiatique contre les porcs est bien utile pour ne pas voir la porcherie qui flambe. Mais ce n'est pas notre genre.
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Mathieu Bock-Côté : «Mon niqab au Canada» (27.10.2017)

Par Mathieu Bock-Côté
Publié le 27/10/2017 à 17h05
TRIBUNE - Le multiculturalisme radical vanté par Justin Trudeau réussit l'exploit de faire de ce vêtement l'étendard de la liberté individuelle et de la diversité, critique l'universitaire montréalais*, figure de la vie intellectuelle québécoise.
Le gouvernement du Québec dirigé par Philippe Couillard, vient d'adopter, le 18 octobre, une loi qui oblige ceux qui offrent ou reçoivent des services publics à le faire à visage découvert. Plusieurs voient dans cette législation, sans trop se tromper, un dispositif juridique pour limiter la présence du niqab dans l'espace public.
Le niqab est devenu un enjeu symbolique fort au Québec: est-il légitime de le proscrire ou, du moins, d'en contenir la présence dans la vie publique? Dans le contexte québécois, la loi adoptée le 18 octobre demeure minimaliste et s'inscrit dans une querelle politique s'étalant sur plus d'une décennie, pour encadrer l'expression des signes religieux ostentatoires dans la vie publique. Les partis d'opposition sont très sévères envers cette loi faiblarde, qui n'ose même pas affirmer le principe de la laïcité auxquels les Québécois sont attachés.
Depuis quelques années déjà, Justin Trudeau et une bonne partie de la classe politique canadienne voient dans leur ouverture au niqab une expression de leur supériorité morale et de la grandeur du multiculturalisme canadien
Il n'en fallut pas plus, toutefois, pour que Justin Trudeau et plusieurs représentants des provinces anglophones du Canada ne dénoncent avec une extrême sévérité la loi québécoise et se portent à la défense du niqab, à la fois au nom de la liberté religieuse et au nom du droit de la femme de se vêtir comme elle l'entend. Justin Trudeau l'a dit à sa manière: «Une société qui ne veut pas que les femmes soient forcées d'être voilées, peut-être devrait-elle se poser des questions sur ne pas forcer les femmes à ne pas porter le voile.» En d'autres mots, le niqab ne serait qu'un vêtement féminin parmi d'autres.
Chercher à l'encadrer ou le proscrire relèverait du néocolonialisme et du paternalisme. Celui qui exprime des réserves devant le niqab ne témoigne pas du simple bon sens, mais révèle bêtement ses préjugés contre la différence. La déclaration du premier ministre n'est pas surprenante. Depuis quelques années déjà, Justin Trudeau et une bonne partie de la classe politique canadienne voient dans leur ouverture au niqab une expression de leur supériorité morale et de la grandeur du multiculturalisme canadien. Trudeau pense d'ailleurs à engager une démarche pour invalider la loi québécoise.
Lors des élections fédérales de 2015, qui portèrent Justin Trudeau et le Parti libéral au pouvoir à Ottawa, les tribunaux canadiens jugèrent que, contrairement à ce que soutenait le gouvernement conservateur du moment, Zunera Ishaq, une femme d'origine pakistanaise, était en droit de prêter son serment de citoyenneté en niqab lors de la cérémonie de naturalisation en vigueur au Canada. Justin Trudeau ne fut pas le seul à applaudir cette décision de justice. Zunera Ishaq fut même présentée par certains politiciens comme unemilitante exemplaire des droits et des libertés.La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne, déclara que c'était «un honneur» de la rencontrer. Certes, ils étaient nombreux, chez les Canadiens, et surtout chez les Québécois, à se désoler de cet emballement médiatique en faveur du niqab, mais ils étaient justement invités à se réjouir que les droits des minorités ne soient pas soumis à la tyrannie de la majorité.
Il fallait un certain culot, à notre époque, pour faire du niqab l'étendard de la liberté individuelle, de l'émancipation féminine et de la diversité
Depuis, la classe politique a fait du zèle pour montrer son ouverture à l'islam le plus militant. La première ministre de l'Alberta, Rachel Notley, s'est voilée dans une vidéo pour témoigner de son respect à l'endroit de la communauté musulmane de sa province. Des ministres fédérales firent de même. On est en droit d'y voir une manifestation caricaturale du multiculturalisme, qui repose sur l'inversion du devoir d'intégration. Ce n'est plus à l'immigré de prendre le pli identitaire de la société d'accueil, mais à cette dernière de transformer ses institutions et ses mentalités pour s'accommoder à la diversité. À en croire les partisans du multiculturalisme, il faut mener sans cesse un travail de déconstruction culturelle pour permettre à la diversité de s'épanouir de manière ostentatoire.
Cela nous donne une bonne idée de la vraie nature du multiculturalisme canadien. Dans un entretien au New York Times, en décembre 2015, Justin Trudeau avait précisé sa conception du pays: le Canada serait le premier pays vraiment postnational. La formule frappait: «Il n'y a pas d'identité centrale au Canada», a-t-il déclaré. Au cœur de la citoyenneté canadienne, on ne trouve rien d'autre que le culte des droits de l'homme et le multiculturalisme qui est inscrit dans la Constitution. Le Canada prend très au sérieux l'affirmation selon laquelle nous serions tous des immigrants, ce qui, par ailleurs, le pousse à voir dans le peuple québécois une communauté culturelle parmi d'autres. On accusera les Québécois de «suprémacisme ethnique» s'ils rappellent qu'ils sont une nation et décident d'agir en conséquence.
Cet épisode politique devrait relativiser le regard enamouré que portent bien des Français sur le Canada de Justin Trudeau. Loin d'être le modèle de l'identité heureuse et de la diversité réconciliée, le Canada impose en fait le multiculturalisme au bulldozer juridique et idéologique
C'est ce que disait Justin Trudeau en 2013. Il a alors comparé la charte de la laïcité portée à l'époque par le gouvernement du Québec à… la ségrégation jadis en vigueur aux États-Unis. On devine dès lors le regard porté par les principaux promoteurs de l'idéologie canadienne sur la France, qui passe pour un contre-exemple absolu dont le modèle politique serait terriblement régressif. C'est un peu comme si la laïcité était intraduisible dans l'univers mental du multiculturalisme et des Anglo-Saxons. Devant le niqab, le Canada officiel ne veut voir qu'une manière parmi d'autres de se vêtir pour une femme. Il consent ainsi à l'instrumentalisation de sa citoyenneté par les communautarismes qui formulent leurs revendications dans le langage des droits individuels et des droits des minorités.
Cet épisode politique devrait relativiser le regard enamouré que portent bien des Français sur le Canada de Justin Trudeau. Loin d'être le modèle de l'identité heureuse et de la diversité réconciliée, le Canada impose en fait le multiculturalisme au bulldozer juridique et idéologique en ne tolérant tout simplement pas la possibilité qu'on ne s'enthousiasme pas pour lui. Il se prend même pour un modèle universel, censé inspirer la planète entière et servir de phare pour l'humanité. Il fallait un certain culot, à notre époque, pour faire du niqab l'étendard de la liberté individuelle, de l'émancipation féminine et de la diversité. Il en fallait encore plus pour diaboliser ceux qui témoignent de leur malaise devant son imposition dans l'espace public en les présentant comme des individus suspects de sentiments antidémocratiques. Le Canada l'a fait.
* Sociologue et chargé de cours à HEC Montréal. Le récent ouvrage de Mathieu Bock-Côté «Le Multiculturalisme comme religion politique» (Éditions du Cerf, 2016) a été salué par la critique.
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Quand la France se réchauffera : tout ce qui va changer dans nos vies (27.10.2017)

Par Cyril Hofstein
Mis à jour le 27/10/2017 à 14h40 | Publié le 27/10/2017 à 09h01
ENQUÊTE - D'ici à 2050, l'élévation des températures pourrait bouleverser le paysage français et nos habitudes de vie, avec des conséquences sur l'agriculture, le logement, l'énergie et le monde animal. Voici comment.
Malgré le bourdonnement incessant de la ville, de nombreux Parisiens ont ouvert en grand les fenêtres de leurs logements. Il est 4h30 du matin et il fait déjà 24 °C. Nous sommes à Paris, le dimanche 30 octobre 2050. Comme toujours depuis maintenant une vingtaine d'années, l'été s'étire toujours un peu plus et l'automne semble encore très loin. Autrefois gris et pluvieux, novembre a des allures de début septembre. Les hivers sont de plus en plus doux et les vagues de chaleur qui plombent désormais systématiquement les mois de juillet et d'août ont été une nouvelle fois particulièrement éprouvantes. La France s'est lentement habituée à l'élévation progressive de ses températures. La plupart de ses habitants se sont dotés de systèmes de climatisation pour lutter contre la fournaise et beaucoup ont bénéficié de l'aide de l'Etat pour améliorer l'isolation de leurs habitations.

Le Mont-Saint-Michel sera-t-il entouré d'oliviers en 2050? - Crédits photo : Pascal Goetgheluck pour Le Fiagaro Magazine
Le paysage de notre pays n'est plus tout à fait le même, mais sa métamorphose est subtile. La France n'est pas sous les eaux, mais l'élévation du niveau de la mer, en Camargue, en Charente, en Vendée, en Gironde, dans les Hauts-de-France et le Cotentin menace sérieusement plusieurs villes et espaces naturels du littoral. Sur l'île de Sein (Finistère) désormais à fleur d'eau, la situation est très inquiétante pour certains habitants menacés qui songent à partir. La crainte des inondations (élévation de 1 mètre du niveau des océans à l'horizon 2100 si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites d'ici là) a contraint de nombreuses municipalités côtières à modifier leurs plans d'occupation des sols (POS) et à modifier leurs règles d'urbanisme. Le paysage agricole n'est plus celui des années 2000, avec ses immenses champs à perte de vue. Des vignes toujours plus nombreuses s'épanouissent en région parisienne et en Normandie.
A cause du manque d'eau, les grandes exploitations de maïs ont peu à peu disparu des Landes et du Sud-Ouest et ont été remplacées par des parcelles plus petites où céréales et légumineuses dominent. La Beauce meurt de soif et a dit adieu à son blé fourrager. Les haies ont fait leur retour et, avec elles, le petit gibier de plaine qui avait disparu. Au sud de la Loire, les incendies de forêts sont toujours meurtriers et destructeurs et les forestiers tentent de trouver des solutions pour accompagner le développement du pin maritime dont la zone de répartition ne cesse de s'étendre.

- Crédits photo : Infographie Le Figaro Magazine
Dans les Alpes, la mer de Glace n'existe plus que sur de vieilles cartes postales et seules les plus hautes stations peuvent encore espérer avoir de la neige en hiver. Inexorablement, la France se prépare à devenir un pays méditerranéen. Bien entendu, ce scénario n'est pour l'instant qu'une projection. «Mais il est plus que probable que la France de 2050 ressemble à cela, assure le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). La conférence de Paris de 2015, ou COP21, s'est fixée pour objectif de contenir le réchauffement entre 1,5 et 2 °C d'ici à 2100 par une limitation des gaz à effet de serre. Mais si rien n'est fait, au rythme actuel, nous sommes nombreux à penser que nous ne disposons plus que de vingt à vingt-cinq ans avant d'atteindre un point de non-retour.»
De fait, si l'on en croit les très sérieuses études du Centre national de recherches météorologiques (CNRM) et de l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL), en collaboration avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), qui s'appuient notamment sur le cinquième rapport du Giec, la France doit s'attendre à l'horizon 2021-2050 à «une hausse des températures moyennes, toutes saisons confondues, comprise entre 0,6 et 1,3 °C.» Mais «en été, dans le sud-est de la France, les écarts pourraient atteindre 1,5 à 2 °C.» Parallèlement, précise le ministère de la Transition écologique et solidaire, notre pays devrait connaître «une augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été comprise entre 0 et 5 jours sur l'ensemble du territoire, voire de 5 à 10 jours dans des régions du quart sud-est. Et une diminution des jours anormalement froids en hiver sur l'ensemble de la France métropolitaine, entre 1 et 4 jours en moyenne, et jusqu'à 6 jours au nord-est du pays.»

- Crédits photo : Infographie Le Figaro Magazine
«D'ici à 2050, l'éprouvant été 2017 pourrait être un été normal dans le sud de l'Europe», avance Serge Planton, chercheur au CNRM/Météo-France. Pire encore: «Les désastres liés au changement climatique, tels que les canicules, pourraient aussi affecter deux tiers des Européens d'ici à 2100», selon une étude publiée dans la revue The Lancet Planetary Health. Tout aussi pertinent, d'après l'Institut suisse pour l'étude de la neige et des avalanches et l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, le manteau neigeux hivernal des Alpes réduirait de 30 % d'ici à la fin du siècle, et cela même si la hausse de la température mondiale est limitée à 2 °C. Dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre ne diminueraient pas, «la réduction atteindrait jusqu'à 70 %».
Particulièrement exposée, l'agriculture française sait qu'elle va devoir faire face. D'après l'Académie américaine des sciences, «chaque augmentation de 1 °C de la température moyenne dans le monde réduirait d'environ 6 % le rendement du blé. Pour le riz, la baisse serait de 3,2 % et pour le maïs, de 7,4 %.» Autre problème soulevé, et non des moindres, l'élévation des températures risque aussi de peser sur l'humidité des sols. Selon le rapport ClimSec de Météo-France, une aggravation continue des sécheresses dites agricoles semble très probable au cours du XXIe siècle sur l'ensemble du pays, avec une «accentuation rapide» du phénomène à partir des années 2050, tandis que le nord de la France pourrait être plus particulièrement touché pendant l'automne et l'hiver.

- Crédits photo : Infographie Le Figaro Magazine
De son côté, le monde viticole est déjà très conscient de ce qui l'attend. «Car même une faible hausse des températures peut affecter grandement un vignoble, assure Alexandre Bain, vigneron à Tracy-sur-Loire (Nièvre). Tous les domaines risquent d'être concernés par le changement climatique qui peut rendre les vins plus puissants et moins complexes avec des taux d'alcool plus élevés ainsi qu'un manque d'acidité.» Selon les régions, les effets pourront être différents avec, au sud, un manque d'eau et de plus grandes sécheresses et, au nord, une multiplication des accidents météorologiques (grêle, gel, pluie). Parmi les scénarios évoqués, certains tablent sur un bouleversement des AOC, une migration de certains cépages déjà existants et la plantation de nouveaux, mieux adaptés aux températures plus chaudes ou plus résistants aux maladies de la vigne, comme l'oïdium et le mildiou, favorisées par l'élévation des températures.
Autre problème pour les cultures, des insectes nuisibles comme la chrysomèle du maïs ou la mineuse de la tomate pourraient menacer notre pays à la faveur d'hivers moins froids. La chenille processionnaire du pin, allergène et jusque-là cantonnée au sud de la France, est, elle, déjà largement présente au nord de la Loire et ne cesse de progresser, tout comme le moustique tigre, potentiellement porteur de la dengue et du chikungunya.

- Crédits photo : Infographie Le Figaro Magazine
«Comme tous les milieux naturels en France, la forêt est aussi très concernée par la question climatique, assure Myriam Le Gay, chef du département recherche, développement, innovation à l'Office national des forêts (ONF). Certaines espèces implantées depuis des centaines d'années et jusqu'alors prospères deviennent, dans certaines zones, inadaptées et vulnérables au climat actuel. C'est notamment le cas du chêne pédonculé dans la forêt de Vierzon ou des sapinières méridionales dans l'Aude. Mais le temps des arbres n'est pas celui des hommes. Si tous les experts s'accordent sur la réalité du réchauffement climatique, beaucoup d'incertitudes demeurent. Il est encore difficile de formuler des conclusions, mais il est certain, compte tenu du lien étroit que les forêts entretiennent avec le climat, que de tels changements aussi rapides ne pourront se faire sans conséquences.»

- Crédits photo : Infographie Le Figaro Magazine
En mer, sur les côtes bretonnes par exemple, balistes et sars, des poissons de Méditerranée, font désormais partie du paysage local, tout comme la blennie paon. «Inconnu en Bretagne jusqu'en 1986, selon les travaux de la station de biologie marine du Muséum national d'histoire naturelle, à Concarneau (Finistère), ce poisson semble constituer un bon révélateur de la modification du climat marin en France.» Selon l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), les chevreuils, confrontés à des printemps de plus en plus précoces, pourraient voir leur population diminuer. Autres effets inattendus: le réchauffement devrait rendre les décollages et les atterrissages des avions plus difficiles en raison du manque de portance lié à la chaleur. L'augmentation de la température des eaux et la réduction du débit des cours d'eau, dans lesquels les centrales nucléaires puisent pour se refroidir, auront aussi un impact sur leur fonctionnement.
«Dans l'idéal, si nous voulons éviter tout cela et sans jouer inutilement les Cassandre, lance Jean Jouzel, il faudrait atteindre le pic d'émissions de gaz à effet de serre en 2020, puis entre 2020 et 2050 les diviser par trois à l'échelle planétaire. C'est difficile mais ce n'est pas encore impossible. Tout le monde peut encore agir. A travers des gestes, des décisions quotidiennes et simples en matière de choix des moyens de transport, d'isolation de l'habitat, d'alimentation, etc., nous pouvons nous-mêmes influer sur une bonne moitié des émissions en France. Beaucoup d'entreprises aussi ont compris qu'elles ont une carte à jouer en termes d'innovations technologiques.» Réalité inéluctable, selon l'immense majorité des experts et scientifiques internationaux, le réchauffement climatique pourrait aussi ne pas être une fatalité.
- Crédits photo : Infographie Le Figaro Magazine

Climatosceptiques contre «climatoréalistes»
Pour l'immense majorité de la communauté scientifique, la réalité du réchauffement climatique démontré par les travaux du Giec n'est plus mise en doute, mais ses causes et ses conséquences font toujours débat. Certains spécialistes, comme le géophysicien français Vincent Courtillot et l'ancien ministre et géochimiste Claude Allègre, ne sont pas tout à fait convaincus par l'hypothèse de l'origine humaine de ce phénomène et avancent notamment l'existence de cycles d'origine naturelle pour l'expliquer. D'autres sont en désaccord sur ses conséquences socio-économiques, technologiques et environnementales, ainsi que sur la nature des actions à mener pour y remédier. Si Donald Trump a déclaré que le réchauffement climatique était un «canular inventé par les Chinois», la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, défend désormais les accords mondiaux sur le climat. De son côté, le président russe Vladimir Poutine a remis en cause la part de l'homme dans le changement du climat. L'Union européenne s'est clairement engagée contre les émissions de gaz à effet de serre, mais les Etats-Unis (à l'origine de 25 % de ces émanations), l'Australie, très dépendante du charbon, le Canada et l'Inde (troisième pollueur mondial) s'inquiètent pour l'instant davantage du coût financier de la lutte contre le réchauffement que de ses conséquences directes sur l'environnement.

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Guet-apens contre la police à Sevran: 7 jeunes écroués (28.10.2017)
Par Le Figaro.fr avec AFP
Mis à jour le 28/10/2017 à 14h05 | Publié le 28/10/2017 à 14h02
Sept jeunes hommes, dont trois mineurs, soupçonnés d'avoir participé en juillet à un guet-apens à Sevran (Seine-Saint-Denis) au cours duquel un policier avait été roué de coups, ont été mis en examen et écroués, a-t-on appris aujourd'hui auprès du parquet de Bobigny. Neuf personnes étaient en garde à vue depuis leur interpellation mardi dans plusieurs communes du département. Sept d'entre elles ont été présentées à un juge vendredi.
Les prévenus ont été mis en examen et écroués pour "tentative de meurtre en bande organisée", "association de malfaiteurs" et "violences sur personne dépositaire de l'autorité publique". Parmi eux, figure un jeune homme de 18 ans, qui avait porté plainte auprès de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) après avoir été blessé par balle par le policier lorsque celui-ci avait tiré pour tenter de faire fuir ses agresseurs. Ce motard d'une compagnie de sécurité et d'intervention (CSI) avait fait feu à huit reprises pour se dégager dans la nuit du 14 au 15 juillet.
A l'époque, le parquet de Bobigny avait rapporté que le policier blessé avait été appelé en renfort vers 00H30, avec cinq autres motards. Un équipage du commissariat de Sevran venait d'essuyer des jets de projectiles lors d'une intervention sur un feu de containers "volontairement déclenché". A leur arrivée, les six policiers de la CSI avaient à leur tour été pris à partie par une "cinquantaine d'individus", "armés de barres de fer, de blocs de pierre et de bouteilles en verre".
Cinq d'entre eux avaient pu s'échapper. Revenant sur les lieux peu après, ils avaient trouvé leur collègue au sol, "le visage en sang, le casque cassé et la visière arrachée". Un jeune homme avait été découvert à quelques pas de distance, une blessure par balle au ventre.
Police de sécurité du quotidien : Collomb lance la «grande concertation» (28.10.2017)

Par Le figaro.fr
Mis à jour le 28/10/2017 à 16h11 | Publié le 28/10/2017 à 15h43
Pour le ministre de l'Intérieur, cette «police sur mesure» permettra «davantage de coopération avec les élus, la justice, la police municipale, les associations, les sécurités privées ou encore les services sociaux».
C'est l'un des grands chantiers sécuritaires promis par Emmanuel Macron durant la campagne de l'élection présidentielle. Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a lancé samedi depuis La Rochelle la «grande concertation» sur la police de sécurité du quotidien (PSQ), «police sur-mesure», dont les premières expérimentations sont annoncées en janvier 2018. C'est «un projet de société», «son véritable but est de construire dans notre pays une société réconciliée, une société rassemblée, une société apaisée», a lancé le ministre de l'Intérieur lors de son discours.
Il a énuméré les grands axes du projet que l'exécutif s'est employé à préciser ces derniers mois. La concertation avait été annoncée lundi dernier par Emmanuel Macron lors de son discours sur la sécurité à l'Élysée après avoir été initialement prévue en septembre. Celle-ci s'achèvera le 20 décembre, la conclusion sera livrée «dans les cinq jours» afin que les premières expérimentations se déroulent «dès janvier 2018», a dit le ministre.
La concertation se fera à trois niveaux. Le premier sera celui des 250.000 policiers et gendarmes à qui seront envoyés des questionnaires. Le deuxième niveau sera local avec des réunions organisées par les préfets qui accueilleront les policiers et gendarmes, les élus locaux, les «autres acteurs de la sécurité» et des transports, les représentants de l'autorité judiciaire et des experts. Enfin, au niveau national, le ministère consultera les organisations syndicales, le conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, des organisations syndicales de policiers municipaux, des professionnels de la sécurité privée, des entreprises de transport collectif et des associations d'élus.
Une police «mieux équipée» et «plus connectée»
La PSQ sera une «police sur-mesure» avec la «déconcentration de certaines décisions» et une «association plus étroite des maires», a dit Gérard Collomb. Ce sera une police «mieux équipée» et «plus connectée» avec 30.000 véhicules qui seront livrés d'ici cinq ans, 60.000 gilets pare-balles d'ici fin 2018 et 115.000 tablettes numériques. Le ministre souhaite une «police plus partenariale» avec «davantage de coopération avec les élus, la justice, la police municipale, les associations, les sécurités privées ou encore les services sociaux». Enfin, la police de sécurité du quotidien sera une «police recentrée sur ses missions» avec une réforme de la procédure pénale.
«J'ai volontairement évoqué ces questions sans aborder la problématique des effectifs», a dit dans son discours le ministre de l'Intérieur, expliquant que «le défi (..) n'est pas seulement quantitatif mais surtout qualitatif». Il a rappelé que 10.000 postes de policiers et gendarmes seraient créés durant le quinquennat, dont 1.850 dès 2018. À l'issue de la «grande concertation», la PSQ doit être expérimentée dans une quinzaine de sites début 2018. Une trentaine de villes se sont portées candidates: Lille, Lens, Roubaix, Toulouse ou encore Aulnay-sous-Bois.
Promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, le projet est né dans le contexte brûlant du mouvement de mécontentement des policiers qui étaient descendus dans la rue après l'attaque au cocktail Molotov à Viry-Châtillon (Essonne) et de «l'affaire Théo». La PSQ ne sera pas «le retour de la police de proximité» instaurée par Lionel Jospin puis supprimée par Nicolas Sarkozy avait dit à l'Élysée Emmanuel Macron devant 500 policiers et gendarmes. Son rôle ne sera pas de «jouer au foot avec les jeunes», avait-il ajouté. L'argument avait été déjà utilisé par Nicolas Sarkozy quand il avait mis fin à la police de proximité, à partir de 2002. «Il nous dit que ce n'est pas le retour de la police de proximité d'il y a vingt ans. OK. Mais alors c'est quoi en vrai? Je suis incapable de vous le dire après avoir écouté Emmanuel Macron. Il ouvre une consultation, une concertation. En réalité, il n'en sait rien», avait réagi Guillaume Larrivé (Les Républicains).

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Natacha Polony : «Du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» (27.10.2017)

Par Natacha Polony
Publié le 27/10/2017 à 17h45
CHRONIQUE - Comme ses voisines européennes, l'Espagne a renoncé à offrir à ses citoyens un horizon démocratique commun, pour leur imposer une pure gestion de la globalisation et de ses conséquences.
Nos politiques assistent, dans une sorte de stupeur gênée, à la dislocation d'un État européen voisin, et leur silence ne fait que souligner l'absence totale de réflexion, d'un bout à l'autre de l'échiquier, sur ce qui structure et perpétue les communautés politiques. La Catalogne et l'Espagne se déchirent, et rien. Pas un mot. Tout au plus une déclaration contrainte d'Emmanuel Macron assurant Madrid de son soutien, au nom de la solidarité entre États et de la peur diffuse d'une contagion.
Il est pourtant parfaitement aberrant de tenter un quelconque parallèle entre la configuration espagnole et nos indépendantismes tapageurs. D'abord parce que l'Espagne est une monarchie composée de multiples nations dont l'histoire n'a pu être effacée par la volonté centralisatrice du franquisme. Ensuite parce que l'actuelle catastrophe s'explique très largement par la façon dont le parti de Mariano Rajoy a volontairement mis à bas le consensus voté en 2006 dans le respect absolu de la Constitution par les Parlements catalans et espagnols.
Mais au-delà de l'analyse des responsabilités (que les médias français seraient bien inspirés de rappeler, en évoquant par exemple le mensonge effarant du gouvernement de José Maria Aznar et Mariano Rajoy en 2004, faisant accuser les Basques d'ETA des attentats de la gare d'Atocha pour espérer remporter les élections ; n'importe quel homme politique est disqualifié à vie par un tel cynisme), la question est bien de comprendre pourquoi les Catalans ne savent plus articuler leur identité catalane avec leur hispanité. Simple question d'égoïsme fiscal? L'explication est tellement tentante. Mais alors, que dire de l'Allemagne et de son obsession de ne pas payer pour les voisins européens? Car tel est bien l'enjeu: il n'est de démocratie possible que comme expression d'un «demos», d'un peuple, dans le cadre d'une loi fondamentale qui organise les modalités de cette expression. Un peuple, c'est-à-dire une communauté politique rassemblée par une volonté de dessiner un destin commun et par ce qu'Ernest Renan appelait un «legs de souvenir».
«C'est bien tout le paradoxe des sociétés libérales que de déployer un individualisme sans bornes, de détruire toute transmission culturelle au nom de la liberté de se construire soi-même, pour s'étonner ensuite de la fragilisation des liens d'appartenance»
Pourquoi une part du peuple catalan ne se reconnaît-elle plus comme une composante du peuple espagnol? Pourquoi les peuples du continent européen ne sont-ils pas effleurés par l'idée de se considérer comme un peuple européen, malgré les proclamations et les injonctions de certains de leurs dirigeants? Le sentiment de partager avec son voisin davantage qu'une promiscuité fortuite est le produit d'une histoire et d'une organisation sociale. Et c'est bien tout le paradoxe des sociétés libérales que de déployer un individualisme sans bornes, considéré comme le stade ultime de l'émancipation, de détruire toute transmission culturelle au nom de la liberté de se construire soi-même, pour s'étonner ensuite de la fragilisation des liens d'appartenance et de leur recomposition à travers des identités essentialisées. Ce n'est pas seulement un affaiblissement des États-nations que provoque cette idéologie de réduction des individus au statut de monades réduites à leur dimension économique, c'est également, en réaction, une aspiration à des liens communautaires sans lesquels l'être humain ne peut s'accomplir pleinement.
L'Espagne n'est pas seulement un État dont une part des dirigeants n'a pas tout à fait soldé le passé franquiste, et dont la Constitution porte la trace des compromis qu'il a fallu accepter pour que l'armée veuille bien permettre la transition démocratique, elle est aussi une nation qui, comme ses voisines européennes, a renoncé à offrir à ses citoyens un horizon démocratique commun, pour leur imposer une pure gestion de la globalisation et de ses conséquences économiques et humaines. Faut-il s'étonner de voir des gens se rêver enfin un horizon démocratique, l'espoir de recommencer à zéro, dans un nouveau pacte national? Ce qui n'empêche pas les illusions, puisque chacun met dans ce pacte ce qui convient à sa vision du monde, les troupes de Carles Puigdemont aspirant à s'inscrire dans un espace économique européen qu'ils plébiscitent, quand la CUP imagine une société décroissante et antilibérale.
Mais si la situation française n'a rien à voir, il n'est pas anodin que la Corse ait vu la victoire, aux élections récentes, des nationalistes, tandis que le FN faisait un score parfaitement dérisoire. La colère, le sentiment de dépossession démocratique qui minent la confiance entre les peuples et leurs gouvernants incitent à imaginer de nouveaux liens démocratiques, plus proches, plus vivants. Cette aspiration-là est noble, tant qu'elle articule les strates identitaires et n'exclut pas au nom d'une identité essentialisée.
Dans ce contexte, le rôle des politiques est d'imaginer les formes d'organisation démocratiques qui rendront aux citoyens la pleine possession de leur destin plutôt que de les enfermer dans des Constitutions et des traités dont l'unique but est de les maintenir dans le droit chemin.

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Carles Puigdemont, l'idéologue prêt à tout pour l'indépendance (27.10.2017)

Par Adrien Jaulmes
Mis à jour le 28/10/2017 à 11h17 | Publié le 27/10/2017 à 19h34
PORTRAIT - S'il peut donner l'impression d'un homme irrésolu, le président de la Generalitat a toujours été un militant déterminé de la cause indépendantiste.
Carles Puigdemont a cessé ses allers-retours entre Barcelone et sa villa de Gérone dans le nord de la Catalogne. L'homme qui menace de mettre fin à cinq siècles d'histoire commune entre l'Espagne et la Catalogne ne quitte plus la Maison des Canons, le palais gothique qui sert de résidence aux présidents de la Généralité, le gouvernement autonome catalan, dans le centre historique de Barcelone. Ce palais est relié avec le Palau, le siège du gouvernement catalan par un pont au-dessus de la rue: le président n'a même plus besoin de fouler le sol pour se rendre à son travail. Et peut-être échappe-t-il par là même à tout contact avec la réalité.
Avec sa frange qui évoque plus un vieux chanteur folk qu'un politicien retors, ses manières affables, Puig­demont peut donner l'impression d'un personnage irrésolu, sorte de Hamlet catalan
L'issue de la crise catalane repose sur les épaules d'un homme mystérieux. Presque inconnu voici quelques années encore, et dont aujourd'hui le monde entier cherche à évaluer la personnalité, Carles Puigdemont reste une énigme. Ses atermoiements de ces dernières semaines ont pu le faire passer pour un personnage hésitant. Après avoir défié Madrid en organisant un référendum illégal le 1er octobre, puis tenu les résultats de cette consultation comme un mandat politique pour conduire la Catalogne à l'indépendance, Carles Puigdemont n'a depuis cessé de louvoyer. Après avoir annoncé le 10 octobre l'indépendance catalane pour la suspendre aussitôt, semant la confusion jusque dans les rangs de ses partisans, il a multiplié depuis des interventions confuses, appelant au dialogue, tout en refusant toutes les ouvertures du gouvernement espagnol, pour finalement refuser d'appeler à des élections qui constituaient pourtant une solution acceptable pour toutes les parties.
Avec sa frange qui évoque plus un vieux chanteur folk qu'un politicien retors, ses manières affables et un peu réservées, Puigdemont peut donner l'impression d'un personnage irrésolu, sorte de Hamlet catalan hésitant à franchir le pas de l'indépendance. Il a d'ailleurs souvent été présenté comme un aimable amateur. Selon ses notices biographiques, ce fils de pâtissier né dans une famille sans tradition politique aurait commencé des études de philologie avant de se consacrer au journalisme, de devenir sur le tard élu local et d'arriver un peu par hasard à la tête de la Généralité.
Mais Puigdemont est peut-être beaucoup plus déterminé qu'il n'y paraît. Son parcours n'est hésitant qu'en apparence. Sa carrière suit en fait un itinéraire plus linéaire: celui d'un indépendantiste dont la vie entière a été consacrée à une cause dont il est resté le défenseur inflexible. Carles Puigdemont naît le 29 décembre 1962 à Amer, un petit village près de Gérone, dans une région qui constitue l'un des bastions de l'indépendantisme.

Tout sauf un exalté
Deuxième enfant d'une fratrie de huit frères, sa famille possède une pâtisserie localement réputée, et très impliquée dans la politique locale: son arrière-grand-père et son oncle ont été maires de la ville. Le jeune Carles grandit dans les dernières années du franquisme, baigné dans la martyrologie catalane. Il porte le prénom de son grand-père, réfugié en France pendant le grand exode des Républicains espagnols et qui disparaît sans laisser de traces pendant l'occupation nazie en 1943. Il milite adolescent dans les Juventuts nacionalistats, un mouvement de jeunesse nationaliste catalan. Il entame des études en philologie catalane à l'université de Gérone, partie intégrante de la politique linguistique qui sert de base au mouvement indépendantiste.

Sa carrière de journaliste est aussi celle d'un militant. Il collabore, puis dirige les journaux et des médias largement subventionnés par la Generalitat, El Punt, avant de fonder l'Agence de nouvelles catalanes et le site anglophone Catalonia Today. En 1993, une année sabbatique l'emmène à l'étranger, mais toujours pour s'imprégner des expériences nationalistes et indépendantistes dans plusieurs régions européennes.

«Carles Puigdemont apparaît soudain comme le personnage qu'il a sans doute toujours été : un idéologue déterminé, prêt à tout pour parvenir à l'objectif de sa vie, celui de l'indépendance»

Mais il est tout sauf un exalté. Puigdemont incarne les valeurs traditionnelles de la société catalane, goût du travail, rigueur, attachement à la famille. Il représente une nouvelle génération d'indépendantistes, qui va donner au mouvement séparatiste catalan ses caractéristiques actuelles: celle de militants maîtrisant les techniques de communication modernes, rompus aux réseaux sociaux, et convaincus de la nécessité d'apparaître devant l'opinion internationale et notamment européenne, drapés dans le manteau inattaquable d'un mouvement pacifiste, proeuropéen et libre-échangiste. Le tout en se présentant avec beaucoup d'habileté comme la victime de forces rétrogrades, celle de la vieille Espagne qui n'aurait abjuré que du bout des lèvres les démons du franquisme.

Son entrée en politique s'explique alors beaucoup mieux. Devenu en 2011 maire de Gérone, ville dont il a milité pour le changement de son nom espagnol de Gerona pour sa version catalane de Girona, il prend la tête de l'association des maires indépendantistes. Il devient président de la Généralité en janvier 2016 grâce au soutien de l'aile dure des nationalistes, notamment la CUP (Candidature de l'unité populaire), groupe d'extrême gauche antisystème, qui ne partage avec le Parti démocratique européen catalan (PDECAT) de Puigdemont que l'idéal de l'indépendance.

Plus que l'otage de ces encombrants alliés, avec lesquels il a peu de points communs, Carles Puigdemont apparaît soudain comme le personnage qu'il a sans doute toujours été: un idéologue déterminé, prêt à tout pour parvenir à l'objectif de sa vie, celui de l'indépendance de la Catalogne. Contre une telle conviction, demi-mesures et négociations n'ont que peu de prise. Au rendez-vous de l'histoire, les hésitations de Puigdemont n'auraient ainsi été que des manœuvres visant à laisser à l'Espagne la responsabilité apparente de la rupture.

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Catalogne : «Un risque d'affrontements dans les prochaines semaines»

Par Yohan Blavignat
Mis à jour le 28/10/2017 à 13h57 | Publié le 27/10/2017 à 18h01

FOCUS - Le parlement catalan a prononcé l'indépendance de la Catalogne, à laquelle le gouvernement a riposté en destituant le gouvernement catalan et en convoquant des élections anticipées le 21 décembre. Selon la chercheuse Barbara Loyer, Madrid et Barcelone sont désormais «dans une impasse».

Après plusieurs années de tensions avec Madrid, la Catalogne a franchi le Rubicon. Le parlement catalan a déclaré, ce vendredi, l'indépendance avant que le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, ne destitue le gouvernement catalan. Des élections anticipées seront par ailleurs organisées en Catalogne le 21 décembre prochain.

En quelques heures, le destin d'une région historiquement tiraillée entre ses volontés d'indépendance et ses racines espagnoles a basculé. Pourtant, la déclaration du parlement catalan revêt des enjeux politiques et géopolitiques complexes, et augure d'un bras de fer avec Madrid duquel il n'y aura qu'un seul vainqueur.


● La déclaration d'indépendance de la Catalogne est-elle symbolique?
La résolution adoptée par le parlement catalan constitue «la République catalane, comme État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social». En principe, la situation est claire: la Catalogne se proclame comme un État à part entière au même titre que l'Espagne ou la France. Seulement, aucun État européen ne semble prêt à reconnaître la Catalogne comme entité indépendante. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a indiqué que cette déclaration ne «change rien» pour l'Union européenne, et Washington a affiché son soutien à Madrid.

«Madrid n'a pas pris la mesure de l'ampleur de la grogne en Catalogne et ils ont été pris au piège»
Barbara Loyer, directrice de l'Institut français de géopolitique à Paris 8

Toutefois, comme le souligne Barbara Loyer, directrice de l'Institut français de géopolitique à Paris 8, cette résolution «n'a rien de symbolique». «La feuille de route des autorités catalanes est assez claire. Ils se sont inspirés du modèle slovène - la Slovénie est devenue indépendante en 1991. Madrid n'a pas pris la mesure de l'ampleur de la grogne en Catalogne et ils ont été pris au piège», analyse la chercheuse. Selon elle, les dirigeants favorables à l'indépendance n'ont pas agi à l'aveugle et ont étudié depuis «plusieurs années les modalités que devrait prendre la République autonome de Catalogne. En cela, ce n'est absolument pas symbolique mais réel».

● Comment sortir de l'impasse?
Quelques heures après la déclaration d'indépendance du parlement catalan, le gouvernement espagnol a démis de ses fonctions le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, et dissous la Generalitat. Pour Barbara Loyer, «Madrid et Barcelone ont opté, depuis le début de la crise, pour l'option la plus radicale». «Jusqu'en 2010, une négociation avec la Catalogne était possible pour lui accorder plus d'autonomie, mais le gouvernement espagnol n'a pas répondu aux attentes des Catalans et leurs velléités d'indépendance se sont accrues. Aujourd'hui, le risque est de ne pas pouvoir revenir en arrière», analyse-t-elle.


Dans les rues de Barcelone, des centaines de personnes se sont rassemblées pour célébrer cette déclaration d'indépendance. «Une partie des Catalans pensent que c'est acté. Le risque est là car Madrid ne va pas laisser faire», poursuit la chercheuse. Selon elle, «le risque d'affrontements est important dans les prochaines semaines car la société civile est fragmentée». «Je ne vois pas comment il est possible de sortir de cette impasse», indique-t-elle.
● Comment Madrid peut-elle reprendre la main?
Après avoir destitué le président de la région, Carles Puigdemont, et ses conseillers, le gouvernement espagnol va tenter par tous les moyens de reprendre la main dans ce dossier. Seulement, la tâche sera difficile tant une frange de la population catalane se satisfait de cette déclaration d'indépendance. «Une marge de négociation entre Madrid et Barcelone est possible, mais la marge de manœuvre est mince», tempère Barbara Loyer, spécialiste des relations Espagne-Europe.

«L'enjeu est que le parlement espagnol permette aux autorités catalanes d'organiser un véritable référendum d'autodétermination
Barbara Loyer, directrice de l'Institut français de géopolitique à Paris 8

Selon elle, «l'enjeu est que le parlement espagnol entérine une réforme de la Constitution afin de permettre aux autorités catalanes d'organiser un véritable référendum d'autodétermination. Cela permettra de connaître le nombre de personnes favorables à l'indépendance». Le 1er octobre dernier, un vote organisé par le gouvernement régional de Catalogne avait recueilli 90% de scrutins favorables à l'indépendance sur plus de deux millions de votants - soit seulement 42% des inscrits sur les listes électorales. «Je n'ai pas de boule de cristal, mais si Madrid et la Catalogne campent sur leurs positions, sans véritable référendum, il y a un risque d'affrontements importants. Et personne ne sait sur quoi cela peut déboucher», conclue Barbara Loyer.

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