La dualité des critères de vérité et de fausseté dans l'islam révèle une nature paradoxale : car si le Coran est contre les croyants qui trompent d'autres croyants (en vertu du fait que « Allah ne guide pas celui qui est outrancier et menteur », la tromperie aux dépens des non-musulmans, généralement appelée, en arabe, taqiyya, reçoit également l'approbation coranique et fait partie des actes légalement permis aux musulmans.
La tromperie musulmane peut être considérée comme un moyen, qui manque, certes, de noblesse, au service de la fin glorieuse que constitue l'hégémonie islamique de la chariah, considérée comme favorable aux musulmans et aux non-musulmans. En ce sens, il s'agit d'un mensonge altruiste, ce qui est autorisé. L'imam Mahmoud al-Masri a récemment donné en exemple une histoire où un musulman raconte un mensonge à un Juif pour le forcer à la conversion, et dont il parle comme d'une « magnifique tromperie ».
La taqiyya a deux utilisations principales. La plus connue consiste à masquer ses convictions religieuses par crainte de persécutions. Il s'agit là de pratiques historiques de la taqiyya au sein de la communauté chiite, dans tous les cas où leurs rivaux sunnites étaient plus nombreux et constituaient une menace. Inversement, les sunnites, loin d'être persécutés, ont toujours pratiqué quand c'était possible une forme de taqiyya au service du djihad contre les incroyants, faisant de la taqiyya une pratique non plus seulement de dissimulation, mais de tromperie active. En fait, le mensonge, qui a, dans l'islam, un fondement doctrinal, est souvent présenté comme égal, et parfois supérieur, aux autres vertus guerrières que sont le courage, la détermination, ou le sacrifice.
Qu'est-ce au juste que la taqiyya? Comment les théologiens, ainsi que ceux qui en font usage, la justifient-ils ? Comment s'inscrit-elle dans l'éthique islamique, notamment dans son rapport avec les non-musulmans ? Et, plus précisément, quelles sont les implications de la taqiyya pour toutes les relations entre musulmans et non-musulmans ?
La doctrine de la Taqiyya |
Selon la charia, c'est-à-dire l'ensemble des règles qui définissent le comportement d'un musulman dans toutes les circonstances de la vie, la tromperie est non seulement permise dans certaines circonstances mais peut être considérée comme obligatoire. Contrairement à la tradition chrétienne primitive, les musulmans contraints de choisir entre reniement de l'islam et persécution avaient la permission de mentir et de feindre l'apostasie. D'autres juristes ont décrété que les musulmans étaient obligés de mentir afin de se préserver, en se fondant sur les versets coraniques qui interdisent aux musulmans de concourir à leur propre mort.
Telle est la définition classique de la taqiyya. Construit sur un mot arabe connotant la crainte, le terme de taqiyya passe (notamment auprès des chercheurs occidentaux) pour une stratégie à laquelle on peut avoir recours en cas de persécution religieuse, ainsi que les groupes minoritaires chiites l'ont fait quand ils vivaient au sein de majorité sunnites hostiles. La taqiyya a ainsi permis fréquemment aux chiites de masquer leur appartenance religieuse face aux sunnites, non seulement en remisant leurs convictions religieuses à la clandestinité, mais en priant et en se comportant comme des sunnites.
Cependant, l'un des rares ouvrages consacrés à ce sujet, At-Taqiyya fi'l-Islam (« De la dissimulation dans l'islam ») dit clairement que la taqiyya ne se limite pas à la dissimulation par crainte de persécutions. Son auteur, Sami Mukaram, ancien professeur d'études islamiques à l'niversité américaine de Beyrouth, qui a écrit environ vingt-cinq ouvrages sur l'islam, démontre clairement la variété des applications de la taqiyya :
La taqiyya n'est donc pas, comme on le suppose souvent, un phénomène exclusivement chiite. Bien sûr, en tant que minorité dispersée au sein de communautés sunnites ennemies, les chiites ont historiquement plus de raisons de pratiquer la dissimulation.
Inversement, l'islam sunnite ayant rapidement dominé de vastes empires, de l'Espagne à la Chine, ses membres ne devaient rien à personne et n'eurent pas à faire allégeance à d'autres, ni à se cacher face à des incroyants infidèles (l'Espagne et le Portugal de la Reconquista sont les rares exceptions où les sunnites ont dissimulé leur identité religieuse). Ironiquement, les sunnites qui vivent en Occident se trouvent désormais dans la situation qui était celle des chiites, puisqu'ils vivent comme une minorité encerclée par ses ennemis traditionnels, les chrétiens infidèles. Ces derniers, à la différence des chrétiens de la Reconquista, se comportent rarement en adéquation avec cette inimitié historique, et la reconnaissent encore moins. En fait, les sunnites se retrouvent dans les circonstances générales qui ont fait de lataqiyya un élément important du chiisme mais sans risquer la menace physique qui en avait été initialement la source.
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Les formulations de la taqiyya
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Le verset 3:28 du Coran est souvent considéré comme le premier qui admet la tromperie envers les non-musulmans :
Muhammad ibn Jarir at-Tabari (mort en 923), auteur d'un commentaire du Coran, qui fait autorité, explique ainsi le verset 3:28 :
Toujours à propos de ce verset du Coran, Ibn Kathir (mort en 1373), qui est une autre grande autorité coranique, écrit :
Il en veut pour preuve une citation d'Abu Darda, proche compagnon de Mahomet, enjoignant d'« arborer un large sourire face à certaines personnes tandis que notre cœur les maudit ». Un autre compagnon, connu sous le nom d'Al-Hasan, a dit que
« la pratique de la taqiyya est acceptable jusqu'au jour du jugement » (c'est-à-dire jusqu'à la fin des temps)
D'autres savants importants, comme Abu 'Abdullah al-Qurtubi (1214-73) et Muhyi 'd-Din ibn al-Arabi (1165-1240), ont étendu la taqiyya jusqu'à l'appliquer à de nombreuses actions. En d'autres termes, les musulmans peuvent se conduire comme des infidèles ou même pire, par exemple en se prosternant et en adorant des idoles et des croix, en portant de faux témoignages, ou même en montrant les faiblesses d'autres musulmans à l'ennemi infidèle — tout est permis sauf tuer un autre musulman :
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La tromperie dans les exploits guerriers de Mahomet |
Mahomet — qui constitue [pour le musulman] l'exemple de l'être humain parfait, dont la conduite doit être imitée dans les moindres détails — avait une conception pragmatique du mensonge. Il est notamment bien connu qu'il permettait de mentir dans trois situations : pour réconcilier entre deux parties, ou plus, qui sont en conflit, pour calmer sa femme, et à la guerre. Selon un manuel de droit arabe consacré au djihad tel qu'il est défini par les quatre écoles du droit islamique,
De plus, selon Mukaram, cette tromperie est classée comme taqiyya :
Plusieurs ulémas estiment que la tromperie fait partie intégrante de l'art de la guerre. Ibn al-'Arabi déclare, par exemple :
Ibn al-Munir (mort en 1333) écrit :
Quant à Ibn Hajar (mort en 1448), il conseille aux musulmans d'adopter
Cette conception musulmane de la guerre comme tromperie renvoie à la bataille du Fossé (627), qui opposa Mahomet et ses disciples à plusieurs tribus non musulmanes, connues sous le nom de Al-Ahzab. Parmi ces derniers, Na'im ibn Mas'ud se rendit dans le camp musulman et se convertit à l'islam. Quand Mahomet s'aperçut que les Ahzab n'étaient pas au courant de la conversion de Mas'ud, il lui conseilla de retourner auprès d'eux et de les décider à lever le siège. C'est à cette occasion que Mahomet est censé avoir émis l'adage célèbre, « car la guerre est tromperie ». Mas'ud retourna auprès des Ahzab sans qu'ils sachent qu'il avait changé de camp et, de son côté, il donna des informations fausses à ses anciens amis et alliés. Il s'efforça également de générer des querelles entre les différentes tribus jusqu'à ce que, pleines de méfiance les unes envers les autres, elles finissent par se séparer et lever le siège, sauvant ainsi les musulmans de la destruction dans cette période encore embryonnaire [de l'islam].
Plus récemment, des complices de l'attentat du 11-Septembre, tel Khalid Sheikh Muhammad, ont invoqué, dans leur défense, comme raison de leur rôle dans la conspiration, l'argument du prophète selon lequel « la guerre est tromperie ».
On trouve une autre expression encore plus puissante de la légitimité qu'il y a à tromper des infidèles, dans l'anecdote suivante. Un poète, Ka'b ibn Ashraf, avait offensé Mahomet, lequel s'était exclamé « Qui tuera cet homme qui a blessé Allah et son prophète ? ». Un jeune musulman nommé Muhammad ibn Maslama s'était porté volontaire, à condition que pour s'approcher de Ka'b afin de l'assassiner, il ait la permission de lui mentir. Mahomet lui donna son accord. Ibn Maslama alla voir Ka'b et commença à dire du mal de l'islam et de Mahomet. Il continua ainsi jusqu'à ce que ses paroles soient assez convaincantes pour que Ka'b se fie à lui. Ibn Maslama ne tarda pas alors à se présenter avec un autre musulman et à tuer Ka'b qui ne se méfiait plus.
Mahomet a pris d'autres positions qui font de la tromperie une action positive, comme lorsqu'il dit :
ou encore :
et
Bref, les premières sources historiques de l'islam attestent clairement de l'importance suprême de lataqiyya comme d'une forme islamique de guerre. De plus, les premiers musulmans sont souvent décrits comme capables de se sortir de situations difficiles grâce au mensonge, notamment en reniant ou en insultant l'islam et Mahomet avec l'approbation de ce dernier - son seul critère étant que leurs intentions (niya) soient pures (18). Au cours des guerres contre les chrétiens, à chaque fois que les chrétiens avaient le pouvoir, la pratique de la taqiyya devint même plus totale. Ainsi que l'affirme Mukaram :
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