jeudi 15 février 2018

Deux des principaux mythes de l’historiographie islamique : la maison de la Sagesse à Bagdad et l'Andalousie

Il est habituel que la « Maison de la sagesse » à Bagdad et surtout « al-Andalus » – l’Espagne musulmane – soient utilisés comme exemples de la lumière apportée dans le monde par l’Islam, dans le cadre de la civilisation dite « islamique ».
Si l’on y regarde de plus près, on est amené à se poser des questions aussi bien quant la « brillance » de cette « civilisation » qu’à son caractère « islamique » ; une civilisation ne se définit pas en effet par ceux qui la dominent militairement et politiquement et qui la concentrent autour du siège du pouvoir, mais par ceux qui la font et la répandent. Prenons le premier des deux exemples, celui de la « Maison de la Sagesse » à Bagdad.
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Au 9ème siècle, une « Maison de la sagesse » (Bayt al-Hikma) aurait été crée par le calife al-Mamûn pour y rassembler des “savants” de toutes confessions et de toutes disciplines autour de la traduction et de l’étude des textes grecs. C’est du moins ce qu’écrit al-Nadim 150 ans après. Cependant, comme l’écrit Sylvain Gouguenheim, « l’enthousiasme doit être tempéré par un retour aux sources contemporaines des faits ». De plus “savant” n’a pas dans l’islam le sens que nous lui donnons. En fait « c’est du monde du ilm, c’est-à-dire de l’ensemble des sciences coraniques, qu’al-Mamun s’est entouré et qu’il a honoré, non celui de la science spéculative grecque (…). Ni philosophes, ni mathématiciens, ni physiciens ne sont évoqués ». Et Gouguenheim conclut :
« La réputation du Bayt al-Hikma est par conséquent en grande partie une légende forgée par les admirateurs des Abassides, notamment les mu’tazilites, dans le piège desquels l’historien doit s’efforcer de ne pas tomber (…). Al-Mamun s’est borné à ouvrir la bibliothèque califale aux musulmans spécialistes du Coran et d’astronomie (…). Elle n’a jamais accueilli ni chrétiens ni juifs. Loin d’être un lieu de rencontre entre les religions ou d’élaboration d’un savoir philosophique, on y réfléchissait sur la nature du Coran. (…). Des traductions y furent réalisées » mais cette maison « n’a joué aucun rôle dans le travail de traduction des textes scientifiques et philosophiques grecs, encore moins dans une quelconque et imaginaire collaboration entre les savants des trois monothéismes. De même, elle ne fut pas un lieu d’enseignement, encore moins une université (…). Après l’arrivée au pouvoir d’al-Mutawakkil en 847 et l’interdiction définitive de discuter de la nature du Coran, la “Maison de la sagesse” redevint une simple bibliothèque et son activité sembla s’évanouir dès le 9ème siècle. Elle est à l’origine d’un conte très séduisant mais reste un conte ».
Son livre Aristote au Mont Saint-Michel – fort bien documenté sur les chrétientés de l’Orient –, montre encore que, aussi longtemps que les non musulmans formaient la majorité de la population, une certaine dynamique de civilisation subsistait, parfois favorisée par la possibilité d’échanges lointains. Mais si l’on excepte ceux qui ont renié leur communauté pour se faire musulmans et jouir des privilèges attachés à cette caste sociale (voir la lettre du « penseur » Ibn ‘Arabi), force est de constater que l’apport des musulmans eux-mêmes à la civilisation faussement appelée « islamique » est négligeable.
Quant au second argument habituellement utilisé par l’historiographie islamique (spécialement à destination des Occidentaux), il concerne Al-Andalus qui aurait été, dit-on, une oasis de douceur de vivre et de bonne entente dans un monde de brutes.
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Al-Andalus aurait été, dit-on, une oasis de douceur de vivre et de bonne entente interreligieuse dans un monde de brutes.
Cette version impose d’entrée l’amnésie de l’Espagne wisigothique antérieure, dont la civilisation fut particulièrement brillante – une amnésie qui touche d’ailleurs tout ce qui constitue l’humanité avant l’imposition de l’Islam : les civilisations « pré-islamiques » sont considérées en effet par la pensée islamique comme indignes d’intérêt et sont systématiquement dénigrées dans les lieux d’enseignement et les manuels scolaires islamiques, et leurs restes font l’objet d’une destruction systématique. L’Egypte ne fait pas exception : entre la période antique des Pharaons, remise en lumière par les Européens au 19e siècle, et la prise de pouvoir islamique au 7e siècle, il ne reste presque plus rien de la magnificence de l’Egypte copte et chrétienne. Ce qui est antérieur à l’Islam ne peut qu’être « obscurantiste » (jahilyya ou, littéralement, ignorantisme) : les riches civilisations qui ont été plus ou moins rapidement détruites par l’Islam ne peuvent pas avoir existé, sinon qu’est-ce l’Islam aurait apporté de bon au monde ?
Pour ce qui est de l’Espagne pré-islamique, certes, les Wisigoths étaient d’origine barbare, mais il y a longtemps qu’ils étaient présents dans l’Empire romain (certains d’entre eux étaient même déjà en Crimée au premier siècle). Leur intention de perpétuer la romanité se manifeste dans le changement de nom du roi Léovigild qui prit celui, romain, de Flavius ; ils y réussirent assez bien. Cordoue, ville épiscopale nantie de nombreux monastères, connaissait une grande vitalité intellectuelle. À Séville, l’école de l’érudit saint Isidore rayonnait au-delà des frontières du royaume. On pourrait multiplier les exemples.
Le Maroc faisait partie du Royaume wisigothique. À la suite d’une zizanie successorale, les Maures, séduits depuis peu par l’idéologie politique de l’Islam et appelés à la rescousse par un prétendant au trône évincé, se joignirent en 711 à la rébellion d’inspiration arienne. Peu après, en 755 à Damas, les Abbassides massacrèrent les Omeyades, dont le seul survivant, ‘Abd al-Rhaman, partit pour Cordoue et y prit le pouvoir sans ménagement. Bientôt, les trois quarts de la péninsule furent entre ses mains.
Les Omeyyades étaient relativement pragmatiques, au sens où leur fanatisme était tempéré par un certain sens de leur intérêt et parfois par quelques influences venues de la population très majoritairement chrétienne ; à Damas, ils avaient trouvé commode de garder l’administration byzantine compétente et ne poussaient guère à la conversion (seuls les dhimmi-s étaient imposables !). Leurs adversaires abbassides leur reprochèrent d’ailleurs une certaine tiédeur à l’égard des règles islamiques. À Cordoue, leur autorité se stabilise sous ‘Abd al-Rhaman III (912-961) et c’est alors qu’al-Andalus connaît une sorte « d’âge d’or » supposé, soit une soixantaine d’années. Encore n’en reste-t-il que de maigres témoins.
En réalité, sous les Omeyyades d’Espagne, la « tolérance » ne fut que très relative et intermittente ; le sort des autochtones chrétiens et juifs – les dhimmi-s – est précaire et lié au bon plaisir du maître musulman. À Cordoue, en 796 les chrétiens sont massacrés (20 000 familles fuient la ville !) et à nouveau en 817 ; en 828 c’est le tour de Tolède. En 850, le prêtre Perfectus qui osait relever des erreurs dans l’islam est décapité et le marchand Johannès emprisonné à vie pour avoir prononcé le nom de Mahomet lors d’une vente. En 851, tous les chefs de la communauté chrétienne de Cordoue sont emprisonnés ; en 852 l’administration est épurée des chrétiens et les églises postérieures à la conquête détruites ; en 976 la purge des bibliothèques, dont la bibliothèque califale, héritée des Wisigoths et riche, dit-on de 600 000 manuscrits, donne lieu à un grand autodafé – c’est la reproduction de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, puis de celle des autres villes.
Les Juifs de Cordoue sont massacrés en 1010 – du moins ceux qui n’avaient pas fui à temps vers les Royaumes chrétiens du nord –, puis ceux de Grenade en 1066. La période omeyyade s’achève dans le sang en 1030. Vers 1090 les Almoravides, nomades sahariens, prennent le pouvoir. À Valence ils massacrent les chrétiens. En 1124 ils les déportent en masse vers le Maroc puis en 1125 massacrent les chrétiens de Grenade. Ils sont chassés en 1148 par les Almohades descendus de l’Atlas marocain qui (ré)unifient l’Andalousie et le Maghreb. Ils feront fuir les chrétiens de Séville et réprimeront les musiciens, les poètes et le pauvre Averroès (contraint à l’exil et enterré avec ses livres que seules des traductions latines ont transmis !). Quant au grand penseur juif Maïmonide, il fut forcé de se convertir à l’islam mourut au Caire en 1240. Les raids vers l’Espagne chrétienne du Nord (pillage de Barcelone en 985, de Zamora en 987, Saint-Jacques de Compostelle en 997) ne cessèrent jamais. Les Almohades les intensifient jusqu’à leur chute en 1226.
Dans les entre-deux dynastiques, des chefferies turbulentes, les taïfas, occupent le terrain.
Au 13ème siècle, la Reconquista chrétienne est commencée. En 1212, une armée quasiment européenne remporte une victoire décisive à Las Navas de Tolosa. Saint Ferdinand, roi de Castille, reprend Cordoue en 1236, Jaen en 1246, Séville en 1248. Cadiz tombera en 1261.
Le système islamique ne domine plus alors que la région de Grenade dont l’émir, un Nasride, prête serment de vassalité au roi de Castille. Ce qui lui assurera deux siècles d’une tranquillité favorable à la prospérité et aux arts (le fameux Alhambra date seulement de cette époque *). Les choses se gâtent à la fin du 15ème siècle car l’émir Boabdil supporte mal son statut de vassal. Après avoir tenté l’habituel recours aux chefferies maghrébines (en vain, car elles sont occupées par l’avance ottomane), il attaque en 1483 Lucena, une place forte chrétienne. Battu et fait prisonnier, il est libéré contre une rançon et la libération de 7 000 esclaves chrétiens. Il est toujours aussi peu fiable et la pression espagnole s’accentue. Il finit par livrer Grenade en 1493 et part mourir au Maroc. À s’en tenir aux faits, l’histoire du prétendu havre de paix d’al-Andalus est pleine « de bruit et de fureur ». Aussi, à la question « Y a-t-il un modèle andalou ?», Alain de Libera, et d’autres avec lui, peut-il répondre :
« Non. Il y a plutôt un mythe andalou »
(source légèrement complétée et retouchée : Philosophie magazine n°4, oct. /nov. 2006)
 * La salle d’apparat de l’Alhambra servait en particulier pour les « parties fines » organisées par les Rois de Grenade, l’orchestre étant composé des meilleurs musiciens chrétiens recrutés dans la contrée... et dont on avait d’abord crevé les yeux.
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La « tolérance islamique » à Cordoue et le martyre de Sainte Nathalie (+ 852)
Parmi les multiples histoires relatives à la « tolérance islamique », on trouve ce récit relatant des événements survenus à Cordoue en 852. Dans cette ville, afin de garder la vie sauve, beaucoup de chrétiens durent feindre de devenir musulmans. C’est ce que firent Aurèle et sa femme Nathalie, ainsi que leurs cousins Félix et sa femme Liliose. Or un jour, ils rencontrèrent un chrétien, juché sur un âne, le visage tourné vers la queue de la bête. Il avait été mis à nu et les deux bourreaux qui l’escortaient le fouettaient jusqu’au sang, tandis qu’un crieur public dénonçait ses crimes religieux, et que les passants le tournaient en ridicule.
Aurèle et Nathalie, dès lors, cessèrent de feindre et pratiquèrent ouvertement leur foi. Nathalie et Liliose parurent dans les rues sans le voile que les femmes devaient porter sur leur visage selon les obligations musulmanes. Un moine quêteur, saint Georges, fut, comme eux, arrêté et tous cinq furent décapités.
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Le mythe andalou peut encore nous donner de beaux films, comme celui de Youssef Chahine, mais il est en perte de vitesse. Son grand prêtre, Jean Daniel, reconnaît aujourd’hui que « l’esprit de Cordoue » n’a vraiment soufflé que pendant soixante années (sans d’ailleurs nous dire lesquelles). C’est bien peu pour un paradis qui a duré huit siècles. Et même Guy Sorman, qui professe à l’égard de l’Islam un optimisme que nous aimerions partager, a soigneusement évité de tomber dans le piège (Cf. « Les enfants de Rifaa », p.97).” - [page web ici]
Voir aussi le livre de Bat Ye’or, Face au danger intégriste – juifs et chrétiens sous l’islam, Berg Intern. éd., 2005. Extraits ici dont celui-ci :
(p.52) En Espagne les révoltes de muwallads (néo-convertis) furent quasi permanentes contre les Arabes immigrés qui s’étaient taillés de larges domaines exploités par les Chrétiens, serfs ou esclaves. Les extorsions fiscales et les expropriations allumaient des foyers insurrectionnels continuels de muwallads et de mozarabes (Chrétiens dhimmis) sur toute la péninsule hispanique. Les chefs rebelles étaient exécutés par crucifixion et les insurgés passés au fil de l’épée. Durant toute l’époque de l’émirat hispano-omeyyade jusqu’au Xe siècle, ces conflits ensanglantèrent l’Espagne et alimentèrent des haines religieuses endémiques. Une lettre de Louis le Pieux aux Chrétiens de Mérida en 828 évoque leur situation sous Abd al-Rahman II et le règne précédent : usurpations de leurs biens, augmentation injuste des tributs exigés, suppression de la liberté (esclavage ?), oppression par « de lourdes et iniques contributions ». Ibn Hafsoun, décédé en 918, chef de la rébellion muwallad au sud de l’Andalousie, soulevait les paysans contre, disait-il, le gouvernement qui leur enlevait leurs biens en les soumettant à de lourds tributs et contre les Arabes qui les accablaient d’humiliations et les traitaient en esclaves”

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