Une frontière, ce n'est pas seulement une ligne sur la carte. C'est un combat qu'on enterre, un ancien ennemi qui devient un voisin. C'est la fin d'une juridiction et d'un mode de vie et le début d'une autre réglementation et d'une autre culture. C'est toujours une trace de l'histoire, une blessure qu'on a soignée mais qui peut se rouvrir. C'est l'attribut d'un monde où l'on peut distinguer entre « nous » et « eux », et où ainsi les hommes qui s'identifient peuvent se faire représenter dans le cadre démocratique.
Or, depuis près de trois quarts de siècles en Europe, les Etats-nations sont progressivement démantelés : par le supranationalisme qui leur demande de céder des pans entiers de leurs prérogatives à des organisations et tribunaux internationaux, et par le multiculturalisme qui tient pour nécessaire l'accueil massif de populations de cultures diverses. En démontrant, sur la base de l'Histoire et du Droit, que ces changements asphyxient les principes démocratiques, Thierry Baudet nous alerte vigoureusement sur la catastrophe qui approche.
Préface de Pascal Bruckner
« La frontière est la condition de l'exercice démocratique. Nous devons lire le livre de Thierry Baudet comme un programme et comme un avertissement.» (Pascal Bruckner)
L’Union européenne détruit l’Europe! (11.05.2017)
ParGil Mihaely - 11 mai 2017
Docteur en droit, Thierry Baudet vient d’être élu au
parlement hollandais. En 2015, il a publié en France Indispensables frontières.
Pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie,
un essai préfacé par Pascal Bruckner
Propos recueillis par Gil Mihaely.
Causeur. Aux élections législatives du 16 mars, votre parti
politique, le FVD (Forum pour la Démocratie), favorable à la sortie de l’euro
et de l’Union européenne, a fait élire pour la première fois deux députés dont
vous-même. Cependant, les médias étrangers se sont focalisés sur le score de
Geert Wilders, moins élevé que prévu, puis le bras de fer avec la Turquie.
Quelle est votre analyse des résultats de ce scrutin ?
Thierry Baudet. Le peuple hollandais veut de nouveaux visages,
une nouvelle énergie, et je ne suis pas le seul exemple : le leader trentenaire
des Verts a fait progresser son parti dans les urnes. Les citoyens hollandais
ont également exprimé un large rejet de l’immigration. C’était l’un des sujets
majeurs de cette campagne. Si bien que les forces politiques qui, d’une manière
ou d’une autre, remettent en cause la politique migratoire des Pays-Bas
totalisent 81 sièges sur les 150 du parlement, soit une majorité. Pour
respecter la volonté du peuple, le gouvernement devrait donc renouveler la vie
politique et stopper l’immigration.
Les Néerlandais rejettent-ils les vagues d’immigration plus
ancienne ou la dernière génération de migrants ?
On ne peut pas séparer les deux ! Si les gens sont de plus
en plus critiques vis-à-vis de l’immigration c’est parce qu’ils constatent que
ceux que nous avons accueillis il y a quelques décennies ne s’intègrent pas à
notre société. Le problème des flux plus récents – notamment de demandeurs
d’asile irakiens, afghans, égyptiens, marocains, libyens, syriens – s’ajoute
donc à un problème plus ancien en l’aggravant.
À quand remonte cette prise de conscience ?
Curieusement, les premiers à s’opposer à l’immigration, au
début des années 1980, ont été les socialistes (SP), l’aile gauche de la gauche
(ndlr : l’équivalent du parti communiste en France). Ses membres y percevaient
une menace pour la classe ouvrière alors que l’économie affrontait crises
pétrolières et déclin industriel. Ils ont cependant très vite été traités de
racistes, au point qu’au cours des années 1990 toute critique de l’immigration
est devenue impossible à gauche. Puis Pim Fortuyn – également issu de la gauche
! – s’est emparé du sujet, de même que le libéral Frits Bolkestein. Après
l’assassinat de Fortuyn en mai 2002, Geert Wilders, ancienne plume de
Bolkestein, a récupéré cette thématique.
Concrètement, avez-vous des chiffres ?
45 000 demandes d’asile ont reçu une réponse favorable en
2015 et 15 000 en 2016, mais nous ne savons pas combien de personnes déboutées
sont restées sur le territoire. Nous ne connaissons pas non plus le nombre
d’entrées dans le cadre du regroupement familial, ni les chiffres de
l’immigration clandestine, principalement somalienne, afghane et pakistanaise.
Du reste, l’une de nos revendications est qu’une loi oblige
le gouvernement à publier un rapport trimestriel sur l’immigration avec des
chiffres, des statistiques ethniques, des données sur la criminalité, etc.
Seule une information de qualité sur l’immigration permettra un débat apaisé autour
des faits, évitant le sentiment angoissant qu’on nous cache tout !
L’immigration n’est pas toujours un problème. Malgré le
passé colonial des Pays-Bas, l’immigration indonésienne ne pose pas de
difficulté majeure…
L’origine des immigrés compte en effet beaucoup. Nous avons
un problème de djihad et d’intégration d’une partie de la communauté musulmane
qui ne se réduit pas à la dimension économique. Comment s’assurer que les
nouveaux arrivants ne sont pas en lien avec[access capability= »lire_inedits »]
des réseaux djihadistes ? Qu’ils ne contribuent pas à radicaliser la communauté
marocaine plutôt que d’entrer de plain-pied dans la communauté nationale ?
On peut éventuellement stopper les flux de l’immigration,
mais que faire des citoyens hollandais qui ne s’intègrent pas ?
Nous envisageons de proposer une loi interdisant la double
nationalité aux enfants des immigrés naturalisés. S’ils ne renoncent pas à leur
nationalité d’origine, ils ne pourront pas garder leur nationalité hollandaise.
Mais la loi marocaine rend impossible l’abandon de sa
nationalité d’origine…
Le Maroc n’a qu’à réformer sa loi. Ce n’est pas à nous de le
faire. Nous voudrions également déchoir de la nationalité néerlandaise les
binationaux condamnés pour des crimes graves. Et nous aimerions renforcer un
dispositif qui a fait ses preuves, qui permet à des binationaux renonçant à
leur nationalité néerlandaise pour rejoindre leur pays d’origine de toucher de
l’argent.
Que signifie « s’intégrer » aux Pays-Bas ? L’identité néerlandaise
renvoie-t-elle à une culture ou à une appartenance ethnique ?
C’est une culture, ouverte à tous, aussi longtemps qu’ils
s’intègrent dans notre société. Et s’intégrer, selon nous, c’est adhérer
pleinement à cinq valeurs fondamentales : notre société est libre, tolérante,
ouverte, diverse et libérale. Ces principes formulés dans notre Constitution ne
sont pas assez appliqués, aussi allons-nous présenter une proposition de loi
pour obliger toutes les mosquées et institutions islamiques à signer une charte
de valeurs qui interdira les financements étrangers. Selon ces principes, la
loi hollandaise prime sur la loi religieuse, les hommes et les femmes sont
égaux et les préférences sexuelles libres, de même que la critique et la
moquerie de tout texte religieux. Enfin, la liberté de changer de religion est
garantie et le mariage des enfants prohibé. Le vivre-ensemble ne suffit pas, il
faut un « vouloir vivre-ensemble » !
Ceci dit, vous ne vous opposez ni au port du voile ni aux
écoles islamiques…
Chaque personne est libre de s’habiller comme elle le
souhaite à la condition de ne pas se couvrir le visage dans l’espace public. Il
y a beaucoup de belles choses dans l’islam mais pour nous, la culture islamique
d’aujourd’hui ne donne pas assez de libertés aux individus. De même, dès lors
que la Constitution garantit la liberté de l’enseignement, les écoles
islamiques ne me posent aucun problème si elles adhèrent pleinement et
sincèrement aux valeurs de notre pays.
Vous avez fondé votre parti au lendemain du référendum du 6
avril 2016 sur l’élargissement de l’UE vers l’Ukraine. C’est donc votre
critique de l’UE, plus que la question migratoire, qui constitue « l’ADN » du
FVD…
Mais tout est lié ! Nous avons fait campagne contre
l’élargissement de l’UE. Notre position a gagné et… le gouvernement a fait
comme si de rien n’était au prétexte que les Pays-Bas étaient engagés par les
traités européens ! C’est pour cette raison que nous avons décidé de
transformer notre think tank en parti politique.
Quels sont vos objectifs ?
Refonder la communauté nationale et reconquérir notre
souveraineté. Autrement dit, sortir de l’UE, sortir de l’euro, retrouver le
contrôle des frontières et de la politique migratoire. Cela exige aussi de
refonder l’Europe mais pas en tant qu’entité politique. Qu’il s’agisse
d’économie, de politique et d’esthétique, l’UE détruit l’Europe !
En France, on a l’impression que les Pays-Bas et l’Allemagne
sont les gagnants de l’euro…
Dans l’euro, il n’y a que des perdants ! En maintenant les
taux d’intérêt artificiellement très bas, l’UE nous coûte très cher car cela
pénalise notre épargne-retraite, un bas de laine de 1 300 milliards d’euros.
Nous sommes obligés de payer pour les pays économiquement plus fragiles et
devons subir cette monnaie unique, trop forte pour la France mais trop faible
pour notre économie. Cependant, les électeurs ne voient pas forcément le lien
entre les facteurs de crise et notre appartenance à l’UE. Leur euroscepticisme
n’a pas encore de conséquences électorales.
Étant donné vos positions sur l’UE, l’immigration et le
renouvellement de la classe politique, quelles sont les différences entre votre
mouvement et le PVV de Geert Wilders ?
Notre parti est plus attractif, nous nous exprimons d’une
manière civilisée en délivrant un message positif. Si nous entendons stopper
l’immigration, ce n’est pas par xénophobie mais par patriotisme et au nom des
valeurs et idéaux positifs ! Contrairement à Wilders, nous sommes inclusifs :
si quelqu’un veut devenir 100 % hollandais, il sera le bienvenu ! En revanche,
ceux qui n’aiment pas les Pays-Bas ne sont pas obligés d’y rester…
Wilders veut interdire le Coran et désislamiser les Pays
Bas. Qu’en pensez-vous ?
C’est contre-productif. Il faut au contraire avancer des
propositions positives. C’est pourquoi nous souhaitions qu’Ahmed Aboutaleb, le
maire travailliste de Rotterdam né au Maroc, devienne ministre de
l’Intégration. Au-delà de ces divergences, nous nous distinguons de Wilders par
notre attachement à la démocratie directe. Nous voulons plus de référendums et
aimerions que les maires soient élus.
N’est-ce pas déjà le cas ?
Non… Les citoyens élisent le conseil municipal mais c’est le
roi qui nomme le maire, qu’il choisit sur une liste préparée par les partis
membres de ce que nous appelons « le cartel ».
Et concernant l’économie ?
Là aussi, je me distingue clairement de Wilders. Le PVV est
économiquement conservateur et ne souhaite pas réformer notre système social.
Nous aimerions plus de libertés pour les PME, moins d’impôts, mois de
règlements.
Quels mouvements politiques vous inspirent ?
Au niveau de la méthode, Donald Trump qui a su bouleverser
le paysage politique sans passer par les partis traditionnels et le Mouvement 5
étoiles en Italie bien qu’il soit beaucoup plus à gauche que nous. Il y a
beaucoup à apprendre de leur utilisation des réseaux sociaux en faveur d’une
démocratie directe rénovée.
Le socle de votre projet national-libéral est l’État-nation,
en tant que seul cadre possible d’exercice de la démocratie. Or, pour vos
contradicteurs, les nations sont sources d’égoïsmes, de guerres et de
violences. Si l’UE se désintègre, comment éviter le retour de la guerre entre
nations européennes ?
Je définis la nation comme une communauté imaginée dans un
territoire précis qui s’appuie sur une forme très particulière de loyauté.
L’objet de cette loyauté n’est ni une tribu ni une croyance religieuse mais un
territoire et son patrimoine. C’est cette faculté qui permet à des personnes
d’origines religieuse, ethnique et culturelle diverses de surmonter ce qui les
sépare pour se reconnaître dans un même État-nation souverain. En réalité,
c’est plutôt la négation de l’identité nationale qui nourrit des nationalismes
chauvins et belliqueux.
L’histoire guerrière de la France et de l’Allemagne démontre
plutôt le contraire…
Les tensions entre les deux pays résultaient justement des
traumatismes subis par les Français après 1870 puis par les Allemands après
1918. Ce qui s’est passé en Allemagne entre les deux guerres mondiales est la
conséquence des conditions de la paix de 1919, c’est-à-dire de l’injuste diktat
de Versailles. Or c’est exactement ce qu’on est en train de faire à la Grèce –
on la pousse à la radicalisation ! Il faut éviter ce type d’humiliation et
encourager les expressions sereines des identités nationales.
Vous avez promis de renouveler le paysage politique. À
seulement 34 ans, vous êtes encore jeune mais c’est le genre d’état qui ne dure
pas……
Si nous arrivons à refonder la démocratie aux Pays-Bas et à
restaurer un État-nation souverain, je quitterai la vie politique ! Je suis là
pour accomplir une mission, la politique n’est ni mon métier ni mon projet de
carrière.