L’appel à sanctionner l’utilisation du viol comme arme de guerre (18.06.2017)
L’appel à sanctionner l’utilisation du viol comme arme de
guerre (18.06.2017)
A la veille de la Journée internationale pour l’élimination
de la violence sexuelle en temps de conflit, Denis Mukwege, gynécologue et Prix
Sakharov 2014, réclame une action de l’Europe.
LE MONDE | 18.06.2017 à 06h41 • Mis à jour le 18.06.2017 à
17h02 | Par Denis Mukwege (Prix Sakharov 2014, Fondateur et Directeur médical
de l’hôpital de Panzi)
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Un refuge accueille des femmes victimes de viols ou de
mariages forcés, à Kaboul (Afghanistan), le 20 mars.
En zone de conflits, forces armées et bandes organisées
violent femmes et filles, mais aussi hommes et garçons, dans le but de
déplacer, punir et terroriser les populations civiles.
L’utilisation à grande échelle des violences sexuelles, tout
comme celle des armes chimiques et des mines antipersonnel, est bon marché et
terriblement efficace. Les violences sexuelles incluent viols collectifs, viols
publics et l’insertion forcée d’armes et autres objets divers. Les victimes
peuvent aussi bien être des vieillardes que des enfants et parfois même des
nourrissons.
Lire aussi : RDC :
les couacs de la Monusco pour assurer la sécurité du docteur Mukwege
Après vingt ans de conflit armé violent, la République
démocratique du Congo (RDC) peut témoigner des conséquences dévastatrices,
parfois fatales, de l’utilisation du viol comme arme de guerre. De ces actes
odieux découlent un traumatisme physique et psychologique à vie, la destruction
des liens familiaux et la diffusion de maladies, alors que des communautés
entières sont marquées profondément et à jamais.
L’utilisation du viol comme arme de guerre ne connaît pas de
frontières. D’après les Nations unies (ONU) et certains observateurs
indépendants, les violences sexuelles font parties de l’arsenal utilisé par les
autorités syriennes pour obtenir informations et « confessions ».
Attirer l’attention
Au Myanmar, l’armée viole des femmes devant leur famille
afin de provoquer le déplacement de villages entiers de la communauté Rohingya.
Alors que l’emploi des violences sexuelles comme méthode de combat a suscité de
plus en plus d’attention ces dernières années, celle-ci demeure faible et ces
attaques ne font que rarement la « une » des journaux.
Lire aussi : Docteur
Mukwege : « L’alternance est possible en RDC, sans esprit de revanche »
Au fil du temps, de nombreux types d’armes ont été interdits
ou régulés afin de limiter pertes civiles et souffrances inutiles. En avril
1997, la Convention sur l’interdiction des armes chimiques est entrée en
vigueur, non seulement interdisant l’utilisation des armes chimiques, leur
fabrication et leur stockage, mais exigeant aussi la destruction des arsenaux
existants sous la supervision d’experts internationaux.
Quelques mois plus tard, fin 1997, la communauté internationale
prit la décision d’interdire également l’utilisation des mines antipersonnel
avec la Convention d’Ottawa. Le déminage intégral devrait être achevé en 2025
et un monde sans mines antipersonnel serait alors à la portée de tous.
Lire aussi : Ces Congolais
qui rêvent de voir « l’homme qui répare les femmes » devenir président
Quelles leçons tirer de ces processus pour mettre fin à
l’utilisation des violences sexuelles, une autre méthode cruelle de combat
largement répandue dans les zones de guerre du monde entier ?
Le processus d’interdiction des mines antipersonnel a montré
que le premier pas pour mettre fin à l’utilisation de ces dernières a été
d’attirer l’attention sur le problème. Dans les années 1980 et 1990, les
chirurgiens et les organisations médicales sur le terrain ont été les premiers
à exprimer leur préoccupation à ce sujet. Ils ont réussi à réunir différents
acteurs et à créer une campagne mondiale contre ces armes cruelles.
Conventions juridiquement contraignantes
La deuxième étape pour l’élimination des mines antipersonnel
et des armes chimiques a été de renforcer les normes au travers de moyens
légaux et institutionnels. Les Etats ont développé des conventions
juridiquement contraignantes, aujourd’hui reconnues de manière quasi universelle,
et créé un régime de vérification.
La troisième phase a vu les Etats commencer à intérioriser
l’interdiction des armes chimiques et des mines et modifier leur comportement
en conséquence. Aujourd’hui, l’emploi de ces armes est extrêmement rare, il cause
l’indignation mondiale et fait des pays qui les utilisent des parias sur la
scène internationale. Ainsi, lorsque la Syrie a employé des gaz toxiques en
avril, les Etats-Unis ont immédiatement réagi par des bombardements aériens et
le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu une réunion d’urgence.
Il n’existe pas de réponse similaire en ce qui concerne les
violences sexuelles. En mai, le président de la République des Philippines,
Rodrigo Duterte, a encouragé ses soldats à violer des femmes, allant jusqu’à dire
qu’il en porterait la responsabilité. La réponse de la communauté
internationale n’a pas été à la mesure de la gravité de la situation face à une
telle déclaration de la part d’un chef d’Etat.
Néanmoins, les victimes sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer
pour attirer l’attention sur ce problème mondial si souvent négligé. Leur
donner une tribune et écouter ce qu’elles ont à dire est une première étape
cruciale pour éliminer les violences sexuelles en zone de conflit.
Dans un second temps, les gouvernements devront s’impliquer
et développer des mécanismes pour s’attaquer au problème. Les pays européens
ont la possibilité, la capacité et le devoir d’unir leurs efforts pour faire
respecter l’interdiction d’utiliser les violences sexuelles, par exemple au
travers de sanctions par l’Union européenne. L’engagement de tous est
nécessaire pour marquer le début d’un monde où le viol comme arme de guerre
n’est plus toléré.
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/18/l-engagement-de-tous-est-necessaire-pour-que-le-viol-comme-arme-de-guerre-ne-soit-plus-tolere_5146384_3232.html#lvKzul6ERYPzGcIk.99