“Nous allons accroître notre descendance, a-t-il lancé. On nous parle de planning familial, de contrôle des naissances. Aucune famille musulmane ne peut avoir une telle approche. Nous suivrons la voie indiquée par Dieu et notre cher prophète.” (Erdogan, calife de Turquie)
Dans le Japon vieillissant, employeur cherche désespérément employé (29.07.2017)
Rachida Brakni et Mercedes Erra : "La richesse de la France, ce sont les vagues d'immigration." (28.07.2017)
Droit d'asile : la France a toujours une loi de retard (07.07.2017)
Guillaume Larrivé : «Il faut sortir du chaos migratoire» (05.07.2017)
Avramopoulos : «La situation migratoire telle qu'elle est maintenant n'est plus soutenable» (03.07.2017)
Avramopoulos : «La situation migratoire telle qu'elle est maintenant n'est plus soutenable» (03.07.2017)
Michèle Tribalat : «Une immigration illégale incontrôlable détruit toute idée de maîtrise» (15.06.2017)
Au large de la Libye, le rôle ambigu de certaines organisations humanitaires (02.02.2017)
Michèle Tribalat : «L'assimilation a été abandonnée par les élites politiques, culturelles et médiatiques de ce pays» (08.01.2016)
«Chaos migratoire» : l'analyse sans concession d'un groupe de hauts fonctionnaires (14.10.2015)
«Chaos migratoire» : l'analyse sans concession d'un groupe de hauts fonctionnaires (14.10.2015)
Voir aussi :
Immigration aux Etats-Unis
Indispensables frontières : pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent l'état de droit (Thierry Baudet, 2015)
L'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration (Rapport, 2004)
Indispensables frontières : pourquoi le supranationalisme et le multiculturalisme détruisent l'état de droit (Thierry Baudet, 2015)
L'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration (Rapport, 2004)
Dans le Japon vieillissant, employeur cherche
désespérément employé (29.07.2017)
- Par Fabrice
Nodé-Langlois
- Publié le 29/07/2017 à 08:00
L'Archipel souffre d'une large pénurie de main-d'œuvre
(151 offres d'emploi pour 100 demandes) mais n'envisage pas pour
l'heure de recourir à l'immigration massive.
Ce n'est pas un record historique mais ce ratio
spectaculaire n'avait pas été observé au Japon depuis les années 1970 : pour
151 offres d'emploi, on ne compte que 100 demandes. Autrement dit,
l'Archipel souffre d'une large pénurie de main-d'œuvre. Avec un chômage tombé à
2,8 % (pas un record historique, mais du jamais vu depuis 1994),
l'économie japonaise connaît le plein-emploi. Ce qui n'empêche pas, au passage,
la persistance de nombreux «petits boulots» précaires.
La base de la pyramide des âges, laquelle ressemble de
moins en moins à une pyramide et de plus en plus à un cerf-volant en losange,
se rétrécit
Les raisons de cette situation tiennent à la démographie du
«pays le plus vieux du monde». Inexorablement, la part de la population en âge
de travailler se réduit, au profit des seniors. Les plus de 65 ans
représentent 26 % de l'ensemble. La base de la pyramide des âges, laquelle
ressemble de moins en moins à une pyramide et de plus en plus à un cerf-volant
en losange, se rétrécit. L'an dernier, le
nombre de naissances est descendu pour la première fois sous le seuil
symbolique du million.
Pour rééquilibrer le marché de l'emploi, l'Archipel
n'envisage pas pour l'heure de recourir à l'immigration massive. Le premier
ministre, Shinzo Abe, en poste depuis cinq ans, a plutôt mis l'accent sur le
travail des femmes. Il n'a cependant pas réussi autant que souhaité à faire
revenir dans l'entreprise les mères qui s'arrêtent généralement de travailler
après la naissance de leur premier enfant. Phénomène plus récent, et
conséquence directe du vieillissement, elles sont de plus en plus nombreuses
(100.000 personnes, hommes et femmes confondus en 2016) à quitter leur
emploi pour s'occuper, non plus d'un bébé, mais d'un parent âgé.
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RACHIDA BRAKNI ET MERCEDES ERRA : «LA RICHESSE DE LA FRANCE,
CE SONT LES VAGUES D’IMMIGRATION» (28.07.2017)
Par Sabrina Champenois photos Manuel Braun pour Libération
— 28 juillet 2017 à 17:06
Elles sont deux touche-à-tout, alliages de volonté et
d’énergie. D’un côté, Rachida Brakni, fille d’Algériens, actrice, metteure en
scène, chanteuse. De l’autre Mercedes Erra, fille de Catalans, publicitaire,
présidente du musée national de l’Histoire de l’immigration, à Paris. Pour
«Libération», elles évoquent leur idée de la France, faite d’amour et
d’agacements, mais aussi leur conception de la famille et la place de la femme
dans la société.
Mercedes Erra à l'hôtel Raphaël, à Paris le 29 juin. Photo
Manuel Braun pour Libération
Voilà deux femmes puissantes. Deux «patronnes», qui
irradient - de l’énergie, de l’autorité, de la liberté. Rachida Brakni est
autant comédienne, ex-pensionnaire de la Comédie-Française, qu’actrice,
metteure en scène ou chanteuse. Mercedes Erra jongle avec les capitanats, dans
la pub (BETC), à la tête d’un musée (de l’immigration), entre autres… (lire
page suivante). Elles ont aussi en commun d’être des enfants de l’exil :
Rachida Brakni est née en France de parents immigrés algériens, Mercedes Erra
est arrivée dans l’Hexagone à 6 ans, dans le sillage d’une famille catalane
ruinée. Deux exemples rutilants de la fameuse «méritocratie républicaine». La
France est, de fait, une bénédiction, mais aussi parfois un boulet, il faudrait
qu’elle se réveille et évolue, disent la brune frémissante et la tornade
platine. Et vive l’huile d’olive !
Mercedes Erra : Je suis ravie de cette rencontre ! J’ai de
Rachida l’image d’une vie artistique très riche, multiple, diverse, avec des
passages sur scène comme de l’autre côté… Je me dis qu’elle n’a pas envie que
l’on l’enferme quelque part… J’ai bien aimé son énervement sur la déchéance, il
m’a fait du bien.
Et puis je sens une proximité avec l’importance qu’elle
accorde à la famille. Cela me parle, à moi qui ai fait pas mal de trucs, et
quatre enfants - j’en ai élevé cinq, avec celui qu’avait déjà mon mari. En
fait, ça fait six, avec lui. [Rachida Brakni opine du chef.] Pareil pour vous,
Rachida ?
Rachida Brakni : Oui ! Je dis : «J’ai trois enfants.»
D’ailleurs, Eric [Cantona, son mari, ndlr] s’occupe mieux des enfants que moi.
Moi je suis la mère nourricière, mais jouer avec eux, c’est une chose que je ne
sais pas vraiment faire. Lui y excelle, leur fait découvrir plein de choses. Il
peut les emmener marcher pendant des heures en leur montrant tous les oiseaux,
les arbres… Là, je suis partie pendant plusieurs mois, c’est lui qui est resté
à la maison pour s’occuper des enfants, et je vois bien que je ne leur manque
pas.
Mercedes Erra : Moi non plus.
Rachida Brakni : Ils ne sont pas malheureux !
Mercedes Erra : Moi non plus. Mon mari est «homme au foyer».
Pour être honnête, tout le monde croit qu’il est à la maison pour m’aider, moi
je crois qu’il l’est parce que cela lui va bien. On est très différents. Je
suis fille du devoir, du combat, du «on doit», je range tout, j’organise tout…
Lui, c’est quand même un mec du divertissement. Souvent, on m’a dit : «C’est un
retournement.» Mais je ne suis pas pour les retournements, je suis pour que
tout le monde travaille, les mecs, les nanas, parce que je pense que ce n’est
pas mal d’être indépendant. On croit que le travail est masculin, en réalité il
est féminin. Les filles travaillent tellement plus que les garçons ! Dans les
familles immigrées, c’est encore plus évident, elles ne s’arrêtent jamais.
Rachida Brakni : Bien sûr. Quand tu es l’aînée notamment, ce
qui est mon cas et avec ma mère qui travaillait - elle était femme de ménage -
tu prends en charge. Ma mère m’a toujours dit : «Ma fille, quand tu seras
grande, il faut que tu ne comptes que sur tes bras, pas sur un homme.» Elle m’a
toujours encouragée à faire des études, il n’empêche qu’à la maison, ce n’était
pas la mère qui se dit : «Tiens, comme elle fait ses études, il faut la
préserver.» On était trois enfants, j’ai une sœur qui a dix ans de moins que
moi : la nuit, c’est moi qui me levais pour lui donner le biberon. On a plus de
responsabilités… Globalement, le rapport aux enfants a changé. On nous
responsabilisait. On ne nous considérait pas comme des petites choses
auxquelles il faut faire attention, le trauma, le ceci, le cela. On nous
parlait comme à des adultes, il n’y avait rien d’infantilisant. J’aime bien ça.
Du coup, inconsciemment, c’est aussi une chose que je fais avec mes enfants. Je
ne leur parle pas comme à des petites choses, et je n’aime pas qu’on leur parle
comme à des petites choses.
Pairs, le 29 juin 2017
Entretien croisé.Rachida Brakni et Mercedes Erra à l' Hotel
Raphael.
COMMANDE N° 2017-1027Rachida Brakni à l’hôtel Raphaël, à
Paris le 29 juin. Photo Manuel Braun pour Libération
Mercedes Erra : J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie,
parce que ma mère était un cas. Née en Espagne, elle ne travaillait pas… Mes
parents sont partis pour des raisons économiques, après que mon père a fait
faillite. Ils relevaient de la bourgeoisie moyenne et quand on est arrivés en
France, c’était un peu un déclassement. On a vécu en même temps le départ et le
déclassement. Ma mère, ça la déprimait. Elle était un peu frivole, ce qui
l’intéressait, c’était les robes… Mon père, c’est un vrai courageux, rien ne
lui fait peur. Il est arrivé en France avec rien. Il a commencé peintre en
bâtiment - il avait le vertige, top pour un peintre en bâtiment ! Il a inventé
un parcours. Il a fini par diriger une petite boîte, etc. Je l’ai toujours vu très
bosseur.
Les années 60 en France, c’était très dur. Les Français
étaient un peu figés. Les enfants étaient habillés comme des vieux. Moi je suis
arrivée avec mes jupes courtes. Je disais à ma mère : «Tu peux m’habiller comme
les autres, s’il te plaît ?» Elle me disait : « Mais c’est moche ton truc, là
!» « Je m’en fous, je veux être moche comme les autres.» Mon prénom aussi m’a
gênée, longtemps. Je voulais m’appeler Martine.
Rachida Brakni : Pareil ! Dans le calendrier, il y a des
saintes. Je m’en étais trouvé une : je m’appelais Edwige ! [Rires.]
Mercedes Erra : Moi aussi, ma mère m’a beaucoup
responsabilisée… à sa façon. Je pense qu’elle pensait que les garçons avaient
quand même un handicap, donc tout m’était demandé. J’ai fini par penser qu’ils
étaient un peu limités ! Nous, les femmes, depuis des générations, on a été
habituées à faire du concret et de l’abstrait. Du coup, je trouve insupportable
cette façon de penser de certains hommes qui considèrent qu’il y a
l’intellectuel, et que le concret, c’est pour les autres.
Rachida Brakni : Vos parents parlaient français ?
Mercedes Erra : Non. Mon pèrea appris le français très vite.
Ma mère, elle, a toujours parlé une langue très particulière, comme la mère de
Pas pleurer, le roman de Lydie Salvayre. Elle mélangeait absolument tout,
c’était magnifique, et elle prenait les expressions au pied de la lettre. «La
puce à l’oreille», elle cherchait une puce, ma mère. Mais elle aimait beaucoup
le langage et ça m’a beaucoup aidée. On adorait écouter Pompidou, de Gaulle.
Elle disait : «Tu as vu comment il parle bien ?» Très vite aussi, elle a écouté
Johnny Hallyday et Barbara.
Libération : Vous avez été professeure de français,
Mercedes.
Mercedes Erra : C’est très courant. Les immigrés ont une
obsession pour la langue. Quand je suis arrivée en France, à 6 ans, on s’est
moqué de moi. Je me suis tue, j’ai recommencé à parler six mois après, mieux
que les Français. On me disait : «Mais comment tu peux avoir l’orthographe
naturelle ?»
Rachida Brakni : C’est fou comme on a besoin de
s’enorgueillir de cela ! C’est hyper important.
Mercedes Erra : Et au collège, parce que j’avais acquis le
mécanisme français, j’ai choisi latin, grec, allemand. Ma mère ne comprenait
pas.
Rachida Brakni : Mon père, idem. J’ai fait latin, et il me
demandait : «C’est quoi le latin ?» Je lui ai parlé d’étymologie, expliqué que
c’était une langue qu’on parlait avant… Lui : «Mais il y en a qui la parle
encore aujourd’hui ?» Moi : «Non, mais apparemment, dans certaines églises, il
y a des messes.» «Mais tu veux devenir prêtre ?» [Rires.]
A la maison, c’est moi qui avais la charge de tout
l’administratif. Je pense d’ailleurs que j’ai eu envie de devenir avocate parce
que je ne supportais pas les humiliations que subissait ma mère… Exemple : on
va à la Poste, on lui demande un papier, or elle ne sait pas lire, donc elle
fouille en vain dans son sac… «Madame, vous pourriez ranger votre sac !» Je
trouvais ces situations humiliantes, dégradantes. Et puis j’ai été élevée dans
l’idée qu’«il ne faut pas se faire remarquer, il faut bien travailler, il faut
qu’on n’ait rien à nous reprocher». Il y avait quand même, inconsciemment,
quelque chose qui se développait, de l’ordre de «je vais raser les murs». Moi,
très vite, je n’ai pas supporté. Je me suis dit : «Je ne vais pas raser les
murs. Je suis née ici, je suis chez moi.» Du coup, la langue est devenue un
enjeu : «Je vais parler français mieux que "Pierre Durand" ou je ne
sais qui.» Je bouffais toute la littérature ! La langue a été mon arme pour
gagner mon indépendance, et pour montrer que je suis peut-être «plus» française
que vous.
Mon père, lui, a appris très vite le français mais comme il
ne savait pas lire et était trop fier, quand il devait aller à la poste pour
faire un mandat, il se bandait la main, et disait : «Je suis désolé, je ne peux
pas écrire, j’ai eu un accident, vous pourriez me le remplir ?» Il rusait
toujours pour arriver à ses fins.
Mercedes Erra : Magnifique ! Aujourd’hui, c’est l’anglais la
langue de la domination. Quand vous le parlez moyen, il y a ces crétins qui
vous regardent comme si vous étiez un gamin. Vous avez envie de leur dire :
«Essayez de parler français là, pour voir !» Il faut faire attention, parce
qu’on humilie, très vite. Je me souviens très bien du jour de ma naturalisation.
Mon père a reçu la lettre et m’a dit : «Maintenant, tu peux faire ce que tu
veux.» Je me souviens très bien de la phrase. J’étais naturalisée.
Libération : Vos parents respectifs avaient-ils une envie
d’intégration forcenée ou bien la culture originelle avait-elle quand même sa
place ?
Mercedes Erra : Mes parents aimaient la France. Ils disaient
: «L’école, c’est formidable», «les soins, c’est gratuit». En même temps, quand
vous venez d’ailleurs, vous comparez. Ma mère, par exemple, disait : «Mais
c’est bizarre ce pays, il n’y a pas de poissonnier.» En effet, la France n’aime
pas le poisson, quand l’Espagne adore les poissons… Et puis, tout d’un coup,
elle avait des phrases très justes : «Ils sont toujours fatigués, les
Français.» Même aujourd’hui, en étant française, je me dis : «Ils sont un peu
toujours fatigués quand même.» Il y a plein de choses contre lesquelles on
grogne toujours alors qu’on a beaucoup de chance ! La France est un pays
d’avantages acquis.
Rachida Brakni : Moi, j’ai grandi dans l’idée que le bac en
poche, je devrais me prendre en main, parce que mes parents étaient venus en
France pour travailler et allaient repartir vivre en Algérie pour profiter du
pays. Mais les années passaient, et finalement, ils n’avaient plus rien à voir
avec l’Algérie. Ils ne sont pas capables de le formuler, sauf qu’aujourd’hui
encore, ils sont là. Mon père cotise tous les mois pour pouvoir être enterré en
Algérie, pour que son cercueil soit emmené là-bas, mais ma mère dit : «Pourquoi
je serais enterrée en Algérie ? Mes enfants sont ici, je veux être ici avec
vous.»
Pour la langue, c’est pareil. Ma sœur cadette ne parle pas
un mot d’arabe, alors que dans ma petite enfance, on ne parlait qu’arabe.
Aujourd’hui, quand je parle avec mes parents, je leur parle en arabe, ils me
répondent en français… En fait, eux et moi, on a grandi ensemble. Je pense que
ce processus se produit chez beaucoup d’immigrés.
Mercedes Erra : Mes parents sont repartis de l’autre côté,
ils vivent aujourd’hui près de Barcelone. Et ma mère me dit : «Je prendrais
bien la télé française, cela me manque.» Et elle fait comme vos parents, elle
me parle en français. En fait, ils parlent n’importe quelle langue, comme cela
sort. Le français est en eux.
Libération : Rachida, vous avez choisi d’aller vivre en
famille au Portugal. Que vous apporte cet exil volontaire ?
Rachida Brakni : Attention, c’est un exil confortable. Ce
n’est pas l’exil qu’ont connu mes parents, ou celui que l’on voit aujourd’hui,
des gens qui quittent des pays en guerre… J’ai vraiment la France chevillée au
corps, même s’il m’est arrivé de penser que j’aurais dû, quand j’étais au
Conservatoire, profiter de la possiblité de passer un an avec la Royal
Shakespeare Company. Mais je n’avais pas envie de quitter mon pays. Eric a
toujours voyagé, il a vécu à Barcelone, en Angleterre, et il avait envie de
partir, il disait : «Viens, on bouge…» J’ai quand même réussi à lui imposer
Paris pendant près de quinze ans !
Cela faisait plusieurs années qu’on allait chaque année au
Portugal, pour le beach soccer [football de plage ndlr]. Et puis, début 2016, a
commencé le débat sur la déchéance de la nationalité. Il a été le coup de pied
au cul qu’il fallait pour me dire : «Je me casse !» Ça m’a renvoyée à la colère
que j’avais plus jeune. En Algérie, on m’appelait «l’immigrée» ; en France, tu
as beau dire que tu es française, on te répond : «Oui, mais tu es d’où ?» Ça me
rendait teigneuse, agressive même parfois. J’avais 20 ans, j’étais dure. Il m’a
fallu des années pour trouver une forme de sérénité, grâce à la vie, aux
rencontres, à l’amour, peu importe. Et d’un coup, avec la déchéance de la
nationalité, c’est comme si on me mettait une grosse gifle dans la figure,
qu’on me remettait la tête à l’envers, et dans l’état dans lequel j’étais quand
j’avais 15 ans. Je me suis dit : «Donc, on fait une vraie différence raciale»,
et comme cela faisait un moment qu’on nous parlait de «nos ancêtres les
Gaulois»… Au bout d’un moment, les ancêtres les Gaulois, ça va ! Toute la
richesse de la France, ce sont les vagues d’immigration : les Polonais, les
Italiens, les Espagnols, tout ! J’ai dit à Eric : «C’est bon, je te suis, on
part.»
Au Portugal, on me prend pour une Portugaise, et ça, je
kiffe ! Quand je dis «disculpa…» [excusez-moi, ndlr], ils me demandent d’où je
suis, si je suis française, pas : «Ah bon, mais de quelle origine…» Non, je
suis française. Et qu’ailleurs, on me prenne pour une Française, ça me
réconcilie avec la France. Je me dis aussi que vivre à l’étranger donne un truc
à mes enfants que je n’ai pas eu : la possibilité de voyager, de s’ouvrir au
monde, aux langues. Mais vu que le Portugal commence à être envahi par les
touristes, par les Français, je pense que, dans quelque temps, on partira du
côté de Barcelone - mon mari est catalan par sa mère.
Les prix de l’immobilier commencent à flamber à Lisbonne.
Nous, on loue, on ne veut pas acheter, pour pouvoir prendre nos valises et
partir très vite. Mais ça me touche quand je vois les Portugais qui ne vont
bientôt plus pouvoir se loger dans leur propre ville. J’ai assisté au même
phénomène au Maroc et ça me désole.
Je n’ai pas envie de revenir tout de suite en France. Mais
je sais que je reviendrai. J’aime trop ce pays. Je suis d’accord avec Mercedes
: en faisant des allers-retours, en revenant en France pour le boulot, quand on
est ailleurs, on se dit : «Putain, on n’a pas conscience de tout ce qui va bien
en France !» On a beau dire que le Portugal est synonyme de croissance, les
salaires, la vie quotidienne, c’est quand même rude. Quand je discute avec mon
médecin généraliste, c’est un peu une situation à l’américaine. Il faut avoir
une grosse assurance, il faut avoir des sous, sinon, il faut attendre des mois
et des mois. Et je me dis : «Ne saccageons pas ce qu’on a en France, mais avant
tout, prenons conscience de ce que l’on a et regardons un peu à côté, parce
qu’on a quand même une chance incroyable.»
Mercedes Erra : Une amie qui a travaillé aux Etats-Unis me
racontait qu’un jour, son enfant s’est cassé le bras. A l’hôpital, le type lui
a demandé : «On le laisse en l’état, on le répare un peu ou on le répare
complètement ?»Elle ne comprenait pas la question… C’est tellement délirant de
penser que tu vas peut-être laisser le gamin avec le bras pendant, tout
simplement parce que la somme demandée est astronomique. Il faudrait que les
Français aient plus souvent conscience de leur chance. Ce pays, c’est un pays
«modéré», la température est modérée, il y a plein de choses modérées, des
avantages acquis. C’est pourquoi je dis toujours que l’immigration est une
chance pour les Français, parce qu’arrivent des gens qui ont la «gnaque» : les
Français, eux, s’endorment de temps en temps. En ce moment, au musée, il y a
une exposition sur l’immigration italienne. Ça a toujours eu lieu, elle date du
XVIIIe en France, mais les grosses vagues comme celle-là remontent plutôt au
début du XXe. Ce n’est jamais simple, c’est toujours une souffrance, et les
Italiens, on leur a tapé dessus. Mais cela donne aussi de l’énergie. Parfois,
je me dis : «Je ne vais quand même pas faire immigrer mes enfants pour leur
donner de l’énergie, mais…»
Rachida Brakni : On ne se construit pas qu’avec, on se
construit aussi contre. Je suis devenue celle que je suis par rapport à
l’histoire de mes parents. Et c’est quand même une chance, un cadeau, une
force, parce que ça oblige à se positionner…
Mercedes Erra : Et tu apprends d’entrée de jeu la relativité
et l’altérité. Tu sais que la nourriture n’est pas partout pareille, que tu vas
t’engueuler avec les gens qui cuisinent au beurre, parce que c’est quand même…
Rachida Brakni : Ce n’est juste pas possible !
Libération : Vous cuisinez à quoi ?
Mercedes Erra et Rachida Brakni [en chœur] : A l’huile
d’olive !
Mercedes Erra : Ma mère disait : «C’est très, très bon, le
beurre, mais quand même, ils vont tomber malades.» [Rires.]
Rachida Brakni : Moi je suis allergique au beurre, je ne
peux pas. Moi, c’est tout à l’huile d’olive. On nous soignait à l’huile d’olive
!
Mercedes Erra : On garde toujours les marqueurs les plus
forts, et les marqueurs de l’enfance, c’est très fortement la nourriture et ce
qui permet la cuisine, c’est-à-dire le corps gras qui permet la cuisine. Pour
nous, c’était l’huile d’olive.
Rachida Brakni : Par exemple, là, je prends un verre de vin
mais je ne mange pas de porc. Pas par conviction religieuse, c’est juste que,
chez moi, on n’en a jamais mangé : c’est culturel. Pour être honnête, je ne
crois en rien, mais j’aimerais croire en quelque chose. Mon fils m’a dit un
truc très beau. Avec sa nounou très croyante, il est allé à la messe. Du coup,
il nous a demandé : «Maman, papa, vous croyez ?» Son père et moi, on a répondu
: «Non, on ne croit pas. Mais tu as le droit, et tu choisiras, tu croiras à ce
que tu veux.» Quelques jours après, il est venu me voir : «Ça y est, j’ai
trouvé, je crois en dieu de la nature.» - J’ai dit : «Je vais croire comme toi,
je vais croire au dieu de la nature.» [Rires.]
Libération : L’Europe est très divisée, pas franchement
solidaire, face à la crise migratoire actuelle.
Mercedes Erra : Dans tous les pays, il y a une montée du
populisme… Pourquoi je m’embête à me battre pour ce musée national de
l’Histoire de l’immigration depuis six ans ? Parce que je pense qu’il faut
calmer le jeu. On dit «la France». Mais de quelle France parle-t-on ? Pour moi,
la France, c’est la France depuis deux cent cinquante ans, ouverte à
l’immigration.
Ce musée, j’ai eu un mal fou à le faire inaugurer. Hollande
l’a finalement fait, il y a trois ans, mais ce musée, tout a été fait pour le
tuer. J’étais hyper naïve, comme d’habitude. J’arrive là-bas, ils m’expliquent
que les quatre ministères ont décrété que c’était moi. D’accord, je m’occupe du
musée. Mais dès le début, j’ai compris que l’enjeu était de le fermer. J’étais
dans cet immense lieu, sans un rond, sans soutien, je me disais : «Cela ne va
pas le faire. On ne va pas y arriver.» Le mec le plus formidable de cette
histoire a été Jacques Toubon. Il m’a dit un truc incroyable un jour. Il était
président du conseil d’orientation, moi j’étais présidente du conseil
d’administration. Il m’a vue agir et m’a dit : «Tu vois, j’ai réfléchi. Je n’ai
jamais été comme toi. J’ai été bon élève, j’ai voulu bien faire. Je me suis
toujours fait avoir. Mais maintenant que je t’ai vue, c’est fini !» Donc,
pendant les conseils d’administration, j’avais Jacques Toubon qui se démenait
comme un fou pour que les choses bougent. Formidable ! Quand il est passé
Défenseur des droits, il m’a dit : «Mercedes, n’oublie pas ce que je t’ai dit,
je ne ferai que ce que je pense être bien, et personne ne m’influencera.»
J’avais aussi les journalistes contre moi : ils avaient
décrété que je dépendais du ministère de l’Intérieur, présupposaient que
j’obéissais. Donc j’étais coincée entre une mauvaise presse et un Etat qui
m’emmerdait. Alors, j’ai réfléchi, et je me suis lancée. J’ai fait les expos,
je les ai serrées dans le temps. J’ai fait la pub gratuitement, évidemment,
mais en plus j’ai utilisé mon nom pour aller faire la manche, partout, pour
qu’il y ait des gens qui m’aident. A Jean-Charles Decaux [patron de JCDecaux,
entreprise d’affichage publicitaire urbain] , j’ai dit : «J’ai fait la campagne
gratuitement, mais il faut que tu me donnes de l’espace…» Lui : «Je vais te
donner l’espace parce que c’est toi, et parce que mon père a toujours dit que
si ces Abribus étaient propres, c’était grâce à des étrangers. Et qu’on leur
doit bien cela, parce que personne ne voulait nettoyer les Abribus.»
Rachida Brakni : Lors de la finale France-Portugal de l’Euro
de foot, j’étais à Lisbonne. Le Portugal a gagné. Le lendemain, discours du
président portugais, qui dit à la télévision : «Je voudrais remercier tous les
joueurs de l’équipe du Portugal, et tous mes homologues des différents pays, du
Mozambique, de l’Angola, parce que, grâce à l’immigration, nous avons bénéficié
de ces joueurs, et ils sont Portugais.» Je me suis dit : «Putain ! Voilà !»
Mercedes Erra : Je pense qu’il faut redire les choses.
J’essaye toujours de factualiser, d’éviter d’idéologiser. J’ai fait des
campagnes que certains membres du conseil d’administration du musée ont voulu
arrêter, parce qu’ils avaient peur. Elles ne disaient pourtant que des choses
comme «un quart des Français est issu de l’immigration» ou «l’immigration fait
toujours des histoires, mais des belles aussi». Ce n’était rien, juste la
vérité, mais ça faisait peur.
Rachida Brakni : On parle de migration, mais il faudrait
également parler du sentiment de déclassement des Blancs. Les politiques jouent
avec ce type de peur. Or moi, par exemple, au Conservatoire et sachant que le
théâtre est quand même un peu un sport de riches, j’avais pour pote Grégory
Gadebois. Il est Normand, mais il était surtout déménageur. Et on avait plus de
choses en commun tous les deux qu’avec n’importe quel autre pensionnaire :
c’était social, pas racial. Il y a un immense travail de pédagogie à faire.
Gilles-William Goldnadel : « Anne Hidalgo et les migrants, la grande hypocrisie » (10.07.2017)
Par Gilles William Goldnadel
Publié le 10/07/2017 à 11:35
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Dans sa chronique, l'avocat
Gilles-William Goldnadel dénonce la mauvaise gestion d'Anne Hidalgo de l'afflux
de migrants vers la capitale. Pour elle, en proposant une loi sur le sujet, la
maire de Paris montre sa volonté de rejeter la responsabilité de cette
catastrophe humaine et sécuritaire sur l'État.
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Il est
président de l'association France-Israël. Toutes les semaines, il décrypte
l'actualité pour FigaroVox.
Je soumets cette question: y aurait-il une manière de
concours de soumission entre la première magistrate de Paris et le premier
magistrat de France? À celui ou celle qui aurait la soumission la plus soumise?
Ainsi, cette semaine, Madame Hidalgo a-t-elle proposé une
loi sur les migrants qu'on ne lui demandait pas et pour laquelle on ne lui
connaît aucune compétence particulière.
C'est le moins que l'on puisse écrire. En réalité, un esprit
chagrin soupçonnerait l'édile municipal, dépassé par des événements migratoires
dans sa ville qu'elle aura pourtant accueillis extatiquement, de vouloir faire
porter le chapeau aux autres villes et à l'État.
Les responsables socialistes comme elle ont bien raison de
ne pas être complexés. Personne ne leur a demandé raison d'une irresponsabilité
qui aura accouché d'une catastrophe démographique et sécuritaire dont on ne
perçoit pas encore toute la gravité. Dans un monde normal, ils devraient raser
les murs, mais dans le monde virtuel ils peuvent se permettre de construire sur
la comète des ponts suspendus. L'idéologie esthétique qui les porte et supporte
considère la réalité comme une obscénité.
Et les arguments les plus gênants comme des grossièretés.
C'est ainsi, que faire remarquer que toutes les belles âmes, les artistes
généreux (pardon pour le pléonasme), les citoyens aériens du monde, prêts à
accueillir l'humanité entière sans accueillir un seul enfant dans mille mètres
au carré, relève d'une insupportable vulgarité.
Madame Hidalgo s'exclame: «faisons du défi migratoire une
réussite pour la France» sur le même ton assuré que ses amis chantaient il y a
20 ans: «L'immigration, une chance pour la France». Décidément, ils ne manquent
pas d'air.
Madame Hidalgo prétend vouloir améliorer l'intégration des
nouveaux migrants. Ses amis n'ont pas réussi en deux décennies à intégrer des
populations culturellement et socialement plus aisément intégrables. À aucun
moment Anne Hidalgo n'a eu le mauvais goût d'évoquer la question de l'islam.
Madame Hidalgo n'aurait pas songé à demander aux riches
monarques du golfe, à commencer par celui du Qatar, à qui elle tresse
régulièrement des couronnes, de faire preuve de générosité à l'égard de leurs
frères de langue, de culture et de religion.
Madame le maire n'est pas très franche. Dans sa proposition,
elle feint de séparer les réfugiés éligibles au droit d'asile et les migrants
économiques soumis au droit commun. Elle fait semblant de ne pas savoir que ces
derniers pour leur immense majorité ne sont pas raccompagnés et que dès lors
qu'ils sont déboutés, ils se fondent dans la clandestinité la plus publique du
monde.
Comme l'écrit Pierre Lellouche dans Une guerre sans fin
(Cerf) que je recommande: «Aucun principe de droit international n'oblige les
Français déjà surendettés, à hauteur de plus de 2000 milliards, à financer par
leurs impôts et leurs cotisations sociales des soins gratuits pour tous les
immigrés illégaux présents sur notre sol… en 2016, l'octroi du statut de
demandeur d'asile est devenu un moyen couramment utilisé par des autorités
dépassées pour vider les camps de migrants, à Paris bien sûr, mais aussi par
exemple, à Calais, dans la fameuse «jungle» qui, avant son démantèlement,
comptait environ 14 000 «habitants». Ces derniers, essentiellement des migrants
économiques, ont été qualifiés de réfugiés politiques dans l'unique but de
pouvoir les transférer vers d'autres centres, dénommés CAO ou CADA en province.
De telles méthodes relèvent d'une stratégie digne du mythe de Sisyphe: plus ils
sont vidés, plus ils se remplissent à nouveau…»
Surtout, Madame Hidalgo n'est pas très courageuse: elle
n'ose pas dire le fond de sa pensée: Que l'on ne saurait sans déchoir dire
«Non» à l'Autre , «ici c'est chez moi, ce n'est pas chez toi».
J'ai moi-même posé la question, au micro de RMC, à son adjoint
chargé du logement, le communiste Iann Brossat: «Oui ou non, faut-il expulser
les déboutés du droit d'asile? Réponse du collaborateur: «non bien sûr».
Madame Hidalgo n'a pas le courage de dire le fond de sa
pensée soumise.
À la vérité, c'est bien parce que les responsables français
démissionnaires n'ont pas eu la volonté et l'intelligence de faire respecter
les lois de la république souveraine sur le contrôle des flux migratoires, et
ont maintenu illégalement sur le sol national des personnes non désirées, que
la France ne peut plus se permettre d'accueillir des gens qui mériteraient
parfois davantage de l'être. Qui veut faire l'ange fait la bête.
Mais le premier Français, n'aura pas démérité non plus à ce
concours de la soumission auquel il semble aussi avoir soumissionné.
C'est ainsi que cette semaine encore, le président algérien
a, de nouveau, réclamé avec insistance de la France qu'elle se soumette et
fasse repentance .
Cela tourne à la manie. La maladie chronique macronienne du
ressentiment ressassé de l'Algérie faillie. À comparer avec l'ouverture
d'esprit marocaine.
En effet, Monsieur Bouteflika a des circonstances
atténuantes. Son homologue français lui aura tendu la verge pour fouetter la
France. On se souvient de ses propos sur cette colonisation française coupable
de crimes contre l'humanité.
Je n'ai pas noté que Monsieur Macron, le 5 juillet dernier,
ait cru devoir commémorer le massacre d'Oran de 1962 et le classer dans la même
catégorie juridique de droit pénal international. Il est vrai que ce ne sont
que 2000 Français qui furent sauvagement assassinés après pourtant que
l'indépendance ait été accordée.
On serait injuste de penser que cette saillie un peu obscène
n'aurait que des raisons bassement électoralistes. Je crains malheureusement
que Jupiter ne soit sincère. Enfant de ce siècle névrotiquement culpabilisant ,
il a dans ses bagages tout un tas d'ustensiles usagés qui auront servi à
tourmenter les Français depuis 30 ans et à inoculer dans les quartiers le
bacille mortel de la détestation pathologique de l'autochtone.
Au demeurant, Monsieur Macron a depuis récidivé : accueillant
cette semaine son homologue palestinien Abbou Abbas, il a trouvé subtil de
déclarer: «l'absence d'horizon politique nourrit le désespoir et l'extrémisme»
. Ce qui est la manière ordinaire un peu surfaite d'excuser le terrorisme.
À dire le vrai, le président français, paraît-il moderne,
n'a cessé de trouver de fausses causes sociales éculées à ce terrorisme
islamiste qui massacre les Français depuis deux années.
Pour vaincre l'islamisme radical, il préfère à présent
soumettre le thermomètre.
C'est à se demander si la pensée complexe de Jupiter n'est
pas un peu simpliste.
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Droit d'asile : la France a toujours une loi de retard (07.07.2017)
Par Jean-Marc Leclerc
Publié le 07/07/2017 à 18h35
ANALYSE - Le nombre de clandestins restés en France pourrait dépasser les 250.000 d'ici quatre ans. Gérard Collomb entend proposer un nouveau projet de loi pour «sauver un système à bout de souffle».
Le droit d'asile n'a pas fini d'animer les débats. Mercredi prochain, le ministre de l'Intérieur entend présenter en Conseil des ministres un nouveau projet de loi visant à «sauver un système à bout de souffle». Une certitude : les mesures envisagées n'entreront en application qu'après l'explosion migratoire de l'été qui amènera inévitablement des dizaines de milliers d'illégaux supplémentaires sur le sol français. Autrement dit : trop tard pour endiguer la vague.
C'est le scénario des années Valls qui se répète et s'amplifie. La France fait des réformes plus ou moins cosmétiques dont les gains espérés sont immédiatement absorbés par l'ampleur des nouveaux flux. La bonne volonté n'est pas en cause, mais la capacité d'anticipation fait cruellement défaut.
Sur le fond, rien n'a vraiment changé. La loi Valls de novembre 2012 qui garantit au migrant une régularisation automatique après cinq ans de présence sur le territoire est toujours aussi attractive.
Dans le même temps, les officiels à Paris ou Bruxelles jurent, la main sur le cœur, que les authentiques réfugiés seront accueillis selon des principes d'humanité qui nous honorent, tandis que les migrants économiques, dont la vie n'est pas directement menacée, ont vocation à partir, tout aussi dignement.
Bouder la «mère patrie»
Que se passe-t-il dans les faits? Lorsqu'un migrant économique entre en France, il est quasiment certain d'y rester. Parce que le gouvernement n'a pas le pouvoir de le renvoyer ou si peu. À peine un clandestin sur dix quitte effectivement le pays des droits de l'homme. Car il faut obtenir préalablement l'autorisation du pays de provenance. Qui, généralement en état de déliquescence ou fort marri d'avoir vu son ressortissant bouder la «mère patrie», ne se montre guère enclin à distribuer les fameux «laissez-passer consulaires», sans lesquels rien n'est possible. La Chine n'en délivre aucun; le Mali, où la France se bat pourtant contre le totalitarisme islamique, le fait au compte-gouttes.
Comment les autorités comptent-elles échapper à cette arithmétique implacable, sachant que la hausse du nombre pour l'année en cours devrait encore avoisiner les 15 % ?
Le commissaire européen en charge de l'Immigration, DimitrisAvramopolous, cite, pour sa part, l'exemple du Pakistan, dont il était revenu récemment avec plein de promesses de coopération. Mais le gouvernement pakistanais n'a jamais laissé atterrir l'avion d'aide au retour affrété par l'Union européenne, invoquant des problèmes administratifs…
On peut bien sûr annoncer que la France conditionnera ses aides publiques aux pays sources pour les amener à la raison. Mais quelles garanties a-t-on que cet argent ne va pas s'évaporer sans effets sur les retours ?
Nul n'a trouvé la martingale et les pays de destination doivent composer avec la réalité des chiffres. L'an dernier, les seules demandes d'asile en France ont dépassé les 85.000. Sur ce nombre, 26.000 ont été acceptées et 59.000 rejetées. À ces 59.000 déboutés du droit d'asile, il faut ajouter les 22.000 étrangers en situation irrégulière relevant de la procédure dite de Dublin (ceux-ci doivent être pris en compte en principe par le pays de l'Union où ils ont déposé leur première demande, souvent en Grèce ou en Italie). Total : plus de 107.000 migrants traités au titre de l'asile en France en un an, dont 81.000 avaient «vocation» à partir.
Mais puisque 10 % tout au plus s'en vont effectivement, plus de 70.000 illégaux sont restés au seul titre de la demande d'asile l'an dernier. Comment les autorités comptent-elles échapper à cette arithmétique implacable, sachant que la hausse du nombre pour l'année en cours devrait encore avoisiner les 15 %?
Le seuil des 150.000 clandestins supplémentaires en deux ans pourrait bien être franchi à la fin de 2017. En comptant les recalés du droit d'asile des deux années précédentes, le nombre de ces illégaux restés en France dépassera allègrement les 250.000 en quatre ans !
La question des déboutés et des «Dublinés» conditionne toute l'économie de la réforme concoctée par Gérard Collomb et le ministre le sait. La Cour des comptes avait mis en garde l'État dès avril 2015 sur ce point, dans un rapport qui n'a pas pris une ride. L'asile coûte déjà plus de 2 milliards par an. Il ne peut être sauvé que si les déboutés repartent.
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Pascal Bruckner : « Le vrai défi d'Emmanuel Macron, c'est le chaos migratoire » (07.07.2017)
Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 07/07/2017 à 18h55 | Publié le 07/07/2017 à 18h22
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le camp de migrant de la porte de la Chapelle a été démantelé ce vendredi. Pascal Bruckner fait le point sur la situation migratoire de la France et de l'Europe, et appelle le Président de la République à conjuguer éthique et responsabilité.
Pascal Bruckner est philosophe, essayiste et romancier. Il a dernièrement publié La Sagesse de l'argent (éd. Grasset, 2016) et Un racisme imaginaire (éd. Grasset, 2017).
FIGAROVOX.- Plus de 2700 migrants ont été évacués des campements situés dans le nord de Paris. Depuis quelques mois, le chaos migratoire s'était installé porte de La Chapelle : épidémie de gale, monceaux de déchets, tensions quasiment quotidiennes avec les forces de l'ordre. Que cela vous inspire-t-il ?
Pascal BRUCKNER.- Ce que vous appelez le chaos migratoire n'a pas commencé avec la crise de 2015 ou celle que nous connaissons aujourd'hui. Il y a dix ans déjà, la France a connu l'arrivée massive d'immigrés venus d'Europe de l'est, que les catégorisations sommaires appellent Roms. Ils ont créé des bidonvilles autour de Paris et transformé la plupart de nos trottoirs en dortoirs où des familles entières mendient en exhibant nourrissons, enfants en bas âge et animaux domestiques. Parallèlement des gangs de jeunes, filles et garçons, avec un savoir-faire souvent remarquable, rançonnent touristes et passants.
Qu'ont fait les pouvoirs publics de droite et de gauche ? Très peu, sinon rien. Il eut suffi d'interdire la mendicité dans la plupart de nos villes pour couper court à ce qui est un trafic téléguidé par des mafias d'Europe centrale et orientale, incluant prostitution, brutalité, châtiments corporels envers ceux qui ne rapportent pas assez.
Comment s'étonner alors que la question des réfugiés, d'une autre importance numérique et symbolique ne soit pas traitée, y compris à Paris ? Des milliers d'Africains, de Kurdes d'Afghans croupissent dans les rues dans des conditions abjectes, indignes de notre pays et l'État se défausse sur la mairie qui reporte la faute sur la préfecture.
Cette évacuation est la 34e depuis juin 2015 à Paris. Le problème est-il insoluble?
C'est en effet le paradoxe : la France, échaudée à juste titre par les attentats de 2015 et 2016 a accueilli très peu de réfugiés en provenance du Moyen-Orient ou d'Afrique subsaharienne et pourtant nous parlons de «submersion». En chiffres, et en comparaison de l'Allemagne voire de l'Italie ou de la Grèce, c'est une goutte d'eau, à peine 30 000 je crois contre plus d'un million chez notre grand voisin. Cela vient à mon sens d'une politique de déni propre à nos gouvernants : on a fait comme si cela ne nous concernait pas, comme si le flot d'hommes et de femmes qui affluent en Europe ne touchait que l'Italie, la Grèce ou l'Espagne mais nous épargnait miraculeusement. On se consolait en expliquant qu'ils ne voulaient partir qu'en Angleterre.
Il faut prendre le problème à bras-le-corps et se féliciter, par exemple que le ministre de l'intérieur ait refusé l'édification d'un nouveau camp à Calais et évacué les jeunes hommes en détresse de la porte de la Chapelle. Mais nous ne sommes pas dans la compétition du cœur avec l'Allemagne, quoi qu'on pense de la politique d'Angela Merkel ouvrant les frontières de son pays à un million de Syriens : il faut commencer par distinguer réfugiés politiques et migrants économiques, soigner, aider les premiers et au besoin favoriser leur rapatriement chez eux s'ils en expriment l'envie mais refuser catégoriquement les autres.
Dans son livre «la vague», Élise Vincent, une journaliste du Monde écrit: «Le gouvernement a été débordé jusqu'à la submersion pendant ces trois ans». Pourtant, selon certains observateurs et certains associatifs la France aurait accueilli un nombre dérisoire de migrants par rapport à l'Allemagne … Durant la campagne présidentielle, Macron lui-même avait déclaré à Berlin qu'Angela Merkel avait «sauvé l'honneur de l'Europe» et que l'accueil des migrants était «un devoir» pour la France...
On fait fausse route en abordant la question sous le seul angle de la compassion, ou de la générosité en restant dans le domaine des affects. .Jamais la division weberienne entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité n'a été aussi pertinente que dans ce domaine. Dans ce débat, on n'entend que les belles âmes qui ont les mains pures mais n'ont pas de mains. Ce ne sont pas elles qui vivent à Calais depuis des années ou porte de la Chapelle. Sur le plan individuel, on ne peut empêcher, dans un pays de culture catholique comme le nôtre, les citoyens privés, les associations de venir au secours des «voyageurs d'infortune» (Erri de Luca).
Voir des femmes et des enfants s'échouer sur les plages, se noyer dans les flots, grelotter de froid n'incite à rien d'autre qu'à la solidarité, au secours. Il y a un malaise à voir des magistrats condamner des particuliers pour avoir aidé des errants, des sans foyer, les avoir convoyés d'un pays à l'autre à travers les crêtes des montagnes ou dans le coffre de leurs voitures. Cela dit, la pitié est un sentiment admirable mais jusqu'à un certain point. En aucun cas elle ne forge une politique. Or cette politique, nous l'attendons de la part des dirigeants ; elle sera sans doute ferme et peut-être dure à certains égards mais elle doit permettre à l'Europe de retrouver la maîtrise de ces flux migratoires qui peuvent à terme la submerger. C'est pourquoi il faudra inévitablement rétablir des frontières à l'Est et au Sud pour tarir le flot des nouveaux venus comme c'est déjà le cas entre l'Espagne et le Maroc, l'Europe orientale et la Turquie par un accord, que d'aucuns jugent honteux, mais qui constitue un moindre mal.
C'est désormais avec la Libye que va se jouer la partie. Les frontières ne sont pas ce qui sépare les hommes mais leur permet de vivre en bonne intelligence. Il faut des portes pour construire des ponts entre les peuples. Sinon, le monde devient une salle de pas perdus, un hall de gare sans unité ni cohérence. Il faut décourager, par des accords avec les gouvernements locaux, les candidats à l'exil plutôt que leur faire de fausses promesses qu'on ne pourra tenir. Imaginons à l'inverse que des millions d'Européens veuillent débarquer dans des bateaux de fortune en Afrique ou au Moyen Orient? Comment qualifierait-on ces personnes ? D'envahisseurs, de coloniaux, ni plus ni moins.
Peut-on vraiment reprocher à la France et aux Français de ne pas être assez généreux? Comment conjuguer éthique et responsabilité?
Deux choses pour en revenir à la réalité. Comme le souligne avec justesse le démographe Hervé le Bras, les migrants ne quittent pas leur famille pour fuir «la misère», ceux qui partent sont déjà les plus éduqués, les mieux formés et disposent d'un petit pécule pour payer leur long voyage. Les déshérités, les damnés de la terre n'ont même pas la force de quitter leur pays natal. Enfin, selon certaines prédictions et vu le boom démographique de l'Afrique subsaharienne, c'est plusieurs dizaines de millions de personnes qui sont susceptibles de débarquer sur les rivages du Vieux Monde dans les années à venir.
Sommes-nous prêts à subir ce choc démographique, culturel, linguistique et religieux? Croit-on que les hommes sont des atomes sans âme ni tradition qu'on peut transplanter, bouturer ailleurs sans problème? De plus l'immigrationnisme oublie un détail : c'est que la politique d'ouverture systématique, prônée par une certaine gauche «humaniste», participe d'une nouvelle traite qui enrichit des milliers de négriers, de passeurs pas moins cruels, rapaces que ceux des siècles passés. Vouloir accueillir tous les migrants potentiels, c'est commettre une double faute : ne pas se donner les moyens de les faire vivre décemment chez nous, faute de travail ou de logements, participer à l'exode des cerveaux, des talents qui affaiblissent encore plus les pays d'origine.
Je n'oublie pas ce que nous expliquaient il y a deux ans les autorités du Kurdistan irakien : elles maudissaient les puissances occidentales d'attirer chez elle toute la jeunesse kurde en vidant les universités et les familles. Avis aux humanistes contemporains : n'êtes-vous pas, dans votre bonne conscience, complices des esclavagistes contemporains, coupables de vider l'Afrique et le Moyen Orient de leurs enfants les plus aptes ?
Depuis son élection, Macron a été discret sur la question. Que faut-il attendre du président de la République?
Il faut attendre du président Macron qu'il parle le double langage de la dignité et de la réalité. Il ne doit pas céder au chantage de la victime, au marketing de l'affliction dont usent et abusent les médias. Mais déployer une vision de long terme de tarissement des flux tout en réclamant des pouvoirs publics un traitement humain des étrangers présents sur notre territoire. S'il réussit ce pari, il sera le héros de l'Europe.
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Guillaume Larrivé : «Il faut sortir du chaos migratoire» (05.07.2017)
Publié le 05/07/2017 à 17h19
TRIBUNE - En matière d'immigration et d'asile, Emmanuel Macron ne fait que subir, argumente le député LR de l'Yonne.
Dernier ouvrage paru: «Insoumission. Pour que vive la Nation» (Plon, 2017).
Deux mille deux cent cinquante-sept. C'est le nombre des hommes, femmes et enfants qui ont disparu en tentant de traverser la Méditerranée pour émigrer vers l'Europe depuis le début de l'année. L'effrayante comptabilité en est scrupuleusement tenue par les services des Nations unies, comme pour signifier l'incurie des pouvoirs sans pouvoir face au chaos migratoire. La Méditerranée continue à pleurer des larmes de sang. Le chemin turco-grec a été coupé mais la voie italienne reste ouverte. Près d'un demi-million de migrants, essentiellement venus d'Afrique subsaharienne, sont ainsi entrés en Europe depuis dix-huit mois.
Quelques milliers seulement ont été raccompagnés chez eux par l'Agence européenne des gardes-frontières. Les autres viennent grossir les rangs des demandeurs d'asile. Parmi eux, quelques-uns sont de vrais combattants de la liberté qui seront légitimement reconnus et accueillis comme réfugiés ; mais la plupart seront des déboutés de l'asile, devenus des clandestins errant de ville en ville, dans le labyrinthe bureaucratique et juridique d'une Europe aboulique.
À l'Élysée, à Matignon comme au Palais Bourbon, le sujet n'est pas pensé. Le président de la République à Versailles, puis le premier ministre à l'Assemblée ont répété cette semaine les mêmes banalités polies, en forme d'injonction morale: la France doit rester fidèle à sa tradition d'asile. On nous promet, à cette fin, un plan d'action sous dix jours. L'inventivité limitée des administrations centrales permet hélas d'en deviner les contours. À Paris, la technocratie va essayer de réduire tel délai et de rallonger tel crédit, en espérant que le vieux système (préfectures, Office français de protection des réfugiés et apatrides, Cour nationale du droit d'asile, centres d'hébergement) tournera plus rapidement: Sisyphe habite place Beauvau. Et à Bruxelles, dès lundi, le ministre de l'Intérieur a discrètement accepté que la France prenne une plus grande part dans ce qui est appelé «la relocalisation des migrants». Au prétexte de soulager le fardeau de l'Italie, on encouragera nolens volens les professionnels de l'immigration clandestine, qui organisent les filières des nouveaux damnés de la Terre.
Comme si elle était hypnotisée par le macronisme triomphant, la droite française s'abstient: elle n'est ni pour, ni contre, bien au contraire, puisqu'elle s'excuse de tout et ne pense plus rien. Je ne me résous pas à cette lamentable abdication de la réflexion et de l'action. Au risque de déplaire aux gardiens zélés de la doxa, j'appelle ici à la définition d'une politique d'immigration, d'asile et de nationalité conforme à l'intérêt du peuple français.
Commençons par en assumer l'objectif, qui n'est pas seulement de surmonter une crise migratoire conjoncturelle, mais bien de rompre avec des décennies d'acceptation passive d'une immigration massive structurelle. Car tout est lié: l'embolie du système d'asile et l'explosion de l'immigration illégale vont de pair avec le dérèglement de l'immigration légale. Celle-ci a été accélérée, année après année, par un amas de règles juridiques toujours plus protectrices des droits individuels et toujours plus oublieuses du droit collectif de l'État à choisir qui, en France, peut être accueilli au sein de la communauté nationale.
Pour sortir du chaos migratoire, la France devrait définir souverainement des plafonds d'immigration, c'est-à-dire des contingents limitatifs fixés annuellement, dans un nouveau cadre constitutionnel ; subordonner l'autorisation d'immigrer en France à la capacité d'intégration à la société française ; restreindre l'immigration sociale, en précisant les contours de la solidarité nationale ; organiser le retour volontaire ou contraint des clandestins dans leurs pays d'origine ; refaire de l'assimilation le critère d'accès à la nationalité française.
Cette nouvelle politique nationale d'immigration serait d'autant plus puissante si la France parvenait à entraîner plusieurs pays européens dans une voie similaire, pour renforcer hardiment les capacités techniques de gestion des frontières, mais surtout pour généraliser des mesures de diminution structurelle de l'immigration, en conditionnant à cette fin la coopération avec les pays d'origine.
Tout cela ne pourrait advenir que si la lucidité politique et l'audace juridique n'étaient plus interdites. Le songe macroniste en éloigne encore notre pays. Jusqu'à ce que le réel revienne et que la France, un jour, se réveille.
Michèle Tribalat : «Une immigration illégale incontrôlable détruit toute idée de maîtrise» (15.06.2017)
INTERVIEW - Deux ans après la crise migratoire de l'été 2015, où en sont les chiffres de l'immigration en Europe ? La démographe fait le point, et constate que l'aveuglement volontaire des élites est plus que jamais un problème.
Dernier livre paru: Assimilation: la fin du modèle français (L'Artilleur, 2017, 360 p., 9,90 euros).
Site officiel : www.micheletribalat.fr
LE FIGARO. - Deux ans après ce qu'on a appelé la crise des migrants, peut-on dire que l'alerte est derrière nous ?
Michèle TRIBALAT. - On peut avoir le sentiment que la crise migratoire est derrière nous, car on a cessé de voir les colonnes de migrants traverser l'Europe, comme c'était le cas en 2015. Les frontières ont été fermées les unes après les autres, et Angela Merkel a remis notre destin dans les mains du président turc. Si l'on s'en tient aux données de Frontex, les franchissements de frontières illégaux ont été beaucoup moins fréquents en 2016, mais seulement pour les deux derniers trimestres. Les pressions les plus importantes se font désormais sentir en Italie. D'un autre côté, de nombreux migrants se sont éparpillés, après avoir été déboutés du droit d'asile, notamment par l'Allemagne qui avait reçu le plus de demandes. À l'automne dernier, lors d'un colloque au Sénat, l'ambassadeur de Hongrie, pays qui avait vu passer le plus de migrants en 2015, relativement à sa population, à qui je demandais ce qu'il en était des demandeurs d'asile en Hongrie, me répondit: «Ils sont tous partis!» Ce qui voudrait dire que nous «gérons» encore les suites de l'afflux considérable de 2015.
Qui sont ces migrants ?
Des migrants illégaux, on ne sait pas grand-chose. Il faut qu'ils entrent dans une procédure pour qu'on apprenne quelque chose sur eux, avec retard. Le ministère de l'Intérieur publie des données sur les étrangers qui ont obtenu un titre de séjour, rien sur ceux qui essuient un refus. Ces derniers peuvent apparaître plus tard dans les statistiques lorsqu'ils ont trouvé un moyen de régulariser leur situation.
L'Ofpra donne quelques indications sur les étrangers qui déposent une demande d'asile et ceux qui obtiennent une protection. Pour cela, il faut compulser les rapports annuels de l'Ofpra. Le ministère de l'Intérieur aussi donne quelques informations sur son site. Mais, si vous cherchez en open data des données sur les demandeurs d'asile, vous trouverez un document datant de 2012 sur les places d'hébergement. Sur le site de l'Insee vous tomberez sur un document traitant des demandeurs d'asile en Bretagne en 2012 !
Il faut aller sur Eurostat pour avoir des tableaux sur les demandeurs d'asile, selon des classes d'âge et la nationalité de 2008 à 2016. Par exemple, en 2015-2016, 60 % des 160.000 mineurs non accompagnés qui ont demandé l'asile dans un pays de l'UE, l'ont fait en Allemagne et en Suède, contre 0,5 % en France. Dans l'UE, 62 % de ces mineurs ont entre 16 et 17 ans. On compte 10 garçons pour une fille en moyenne dans l'UE, mais aussi en Allemagne et en Suède (et jusqu'à 13 garçons pour une fille pour les 16-17 ans), contre 2,8 garçons pour une fille en France.
L'immigration légale (mesurable, à la différence de l'immigration clandestine) est-elle en hausse en France ?
Contrairement au récit sur la stabilité des flux - 200.000 entrées par an - et si l'on excepte les quatre dernières années du quinquennat de Nicolas Sarkozy, l'immigration a beaucoup augmenté, quelle que soit la source à laquelle on se réfère. Si l'on s'en tient aux chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur sur les premiers titres délivrés aux étrangers en provenance de pays tiers, le nombre de ces premiers titres aurait augmenté de 72 %, de 2000 à 2016, le chiffre de 2016 (228.000) étant encore provisoire.
Il y a sept ans vous aviez publié Les Yeux grands fermés pour dénoncer l'aveuglement des élites sur le phénomène de l'immigration en France. Est-ce toujours le cas?
Je dénonçais un aveuglement volontaire. Avoir les yeux grands fermés nécessite un effort pour ne pas voir ce que l'on sait parfaitement exister. C'est un exercice de déni conscient. Le livre Un président ne devrait pas dire ça a révélé que cette attitude était toujours d'actualité au plus haut sommet de l'État. Cet état d'esprit assez général a forcément des conséquences sur les orientations de la recherche. Tout chercheur sait quel type d'information lui apportera l'audience et la notoriété auxquelles il aspire et ce qu'il doit absolument éviter. Il sait aussi que les échos qu'il recevra tiendront plus à la nature des résultats qu'il met en avant qu'à la qualité de leur élaboration. Ces attentes corrompent la démarche scientifique et la privent de son carburant: la curiosité. Les médias n'ont généralement pas les compétences nécessaires pour évaluer la qualité des données qu'ils commentent. Souvent, ils se pâment devant l'épaisseur du document qu'ils n'ont pas le temps de lire, épaisseur qui atteste forcément de la qualité de la démarche. Un exemple simple pour lequel aucune compétence statistique n'était nécessaire, juste un peu de bon sens. Dans l'enquête «Trajectoires et origines» de 2008, qui a donné lieu à un gros volume de résultats, une question demandait, à ceux qui s'étaient déclarés victimes de racisme, dans quel lieu cela s'était passé pour la dernière fois, tout en indiquant que plusieurs réponses étaient possibles. Qui a relevé le caractère contradictoire de la question et, donc, les problèmes d'interprétation? Quand on sait que le questionnaire a été vu par le Conseil national de l'information statistique, cela laisse songeur.
Diriez-vous que les migrants sont une chance économique pour l'Union européenne?
Pourquoi voulez-vous que n'importe quel type d'immigration, en n'importe quelle quantité en tout temps soit forcément bénéfique pour l'UE ou pour tout pays? George J. Borjas, le grand économiste du marché du travail, vient de publier un ouvrage qui fait le point sur la question, en théorie, et en pratique s'agissant des États-Unis. Ses conclusions : l'immigration n'est pas universellement bonne ; la loi de l'offre et de la demande et son effet sur les prix s'appliquent aussi au prix du travail ; le citoyen moyen pour lequel on examine les effets économiques de l'immigration n'existe pas ; certains en bénéficient, d'autres y perdent. George J. Borjas incite tout le monde à jouer «cartes sur table» lorsqu'on débat de l'immigration.
En 2015, Hubert Védrine affirmait dans Le Figaro qu'au sujet de la crise migratoire, «les opinions publiques ont l'impression que l'on ne maîtrise rien». Est-ce toujours le cas?
Ce n'est pas seulement une impression. Une immigration illégale incontrôlable détruit toute idée de maîtrise de la politique migratoire. Comment les politiques pourraient-ils faire croire qu'ils maîtrisent quoi que ce soit quand l'immigration illégale n'a été réduite qu'en confiant notre destin à un autocrate qui finira bien par exiger la contrepartie non financière du deal - la suppression des visas pour les Turcs - et qui a des projets bien à lui sur l'avenir de l'Europe lorsqu'il recommande aux Turcs d'Europe d'avoir cinq et pas seulement trois enfants.
Le début d'une certaine fin pour l'Europe ? Pour la 1ère fois en temps de paix, le solde démographique naturel du continent est négatif
En plus de faire face au vieillissement de sa population, l'Europe doit également trouver une solution à la réduction de celle-ci : son accroissement naturel est, pour la première fois, négatif en 2015. Un constat effrayant qui ne frappe cependant pas tous les pays de la même façon.
Moins de naissances ; plus de décès
Publié le 11 Juillet 2016 - Mis à jour le 15 Juillet 2016
image: http://www.atlantico.fr/sites/atlantico.fr/files/styles/une/public/images/2016/07/rtxws8w.jpg
Le début d'une certaine fin pour l'Europe ? Pour la 1ère fois en temps de paix, le solde démographique naturel du continent est négatif
Atlantico : En 2015, le nombre de naissances dans l'Union européenne était de 5,1 millions d'enfants, et le nombre de décès s'élevait à 5,2 millions. Si la population totale augmente de 1,8 million d'habitants, c'est le fait de l'immigration. Pour la première fois dans son histoire donc, l'Union européenne voit son accroissement naturel en déficit. Pour quelles raisons la natalité est-elle si faible en Europe ?
Michèle Tribalat : Les projections d’EUROSTAT – EUROPOP2013 – anticipaient un solde naturel (naissances –décès) négatif en 2016.
Nous y sommes dès 2015. Et encore, ce solde est-il positif grâce aux deux gros contributeurs que sont le Royaume-Uni et la France. Sans le Royaume-Uni, le solde naturel négatif serait encore plus important (-310 000 au lieu de -135 000). À titre de comparaison, la seule Turquie de 79 millions d’habitants au 1er janvier 2016 a connu un solde naturel de 920 000 en 2015.
Selon les hypothèses des projections, le solde naturel devrait être au mieux de -500 000 en 2030 et au pire (sans migration) de - 1,2 million. Le problème n’est pas tant que le solde naturel soit négatif – lorsque les baby-boomers décèdent, la diminution se fait par le haut de la pyramide des âges -, c’est qu’il le soit dans un contexte de faible fécondité tel que le renouvellement des générations n’est pas assuré. En 2014, le nombre moyen d’enfants est de 1,58 pour l’UE28 alors qu’il faudrait s’approcher de 2 enfants. Mais la fécondité n’est pas uniformément basse en Europe. Elle se porte mieux dans les pays du nord de l’Europe et en France qu’en Allemagne, en Autriche ou dans les pays du Sud et l’Est : 2,01 enfant par femme en France, 1,88 en Suède, 1,81 au Royaume-Uni, mais 1,23 au Portugal, 1,32 en Espagne et en Pologne, 1,37 en Italie et 1,47 en Allemagne. Ces basses fécondités sont dues à un report de l’âge à la maternité, sans toujours une récupération suffisante après 30 ans. La fécondité s’est un peu améliorée après 30 ans en Allemagne, ce qui explique la très légère embellie (1,47 en 2014 contre 1,33 en 2006). Peut-être la politique familiale mise en place récemment commence-t-elle à porter ses fruits ? Cela s’annonce moins bien dans les pays du Sud ou de l’Est de l’Union ou le manque d’investissement des hommes dans la sphère domestique, la rareté des structures préscolaires et une mise en couple tardive dans des pays du Sud en crise ne sont guère propices à une reprise de la fécondité (cf. Lesthaeghe R., Permanyer I (2014), European Sub-Remplacement Fertility : Trapped or Recovering ?, Research Reports, n° 14-822).
>>> A lire aussi : Plus de décès que de naissances : aux racines du grand vertige européen
En quoi cette situation est-elle un défi pour l'Union européenne ? En théorie comme en pratique quelles sont les conséquences, pour un territoire, de voir sa population baisser ?
Michèle Tribalat : La population est un élément de la puissance, ne serait-ce qu’économique. Avec les projections EUROPOP2013, la Commission anticipe une faible croissance démographique entièrement due à l’immigration. Sans migration la population de l’UE28 diminuerait de 108 millions d’ici 2080. Elle augmenterait seulement de 13 millions, dans l’hypothèse migratoire la plus favorable. L’apport démographique de l’immigration étrangère serait alors de 121 millions. C’est, à 9 millions près, la population de la France et du Royaume-Uni d’aujourd’hui. Sans migrations l’Allemagne ne compterait plus guère que 50 millions d’habitants en 2080, la France 69 millions.
Ce n’est pas seulement un problème de nombre mais c’est aussi un problème de structure par âge. La population ne fait pas que diminuer. Elle se transforme. Les vieux y sont de plus en plus nombreux, les jeunes de moins en moins et la population d’âge actif diminue. En l’absence de migration, l’UE pourrait voir diminuer sa population d’âge actif de 120 millions ; à quelques millions près, c’est l’équivalent de la population d’âge actif actuelle de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France réunies. La population d’âge actif diminuerait faiblement en France et au Royaume-Uni, alors qu’en Allemagne, en Espagne, au Portugal, en Italie et en Autriche elle serait plus ou moins divisée par deux d’ici 2080 ! Des pénuries de main-d’œuvre sévères existent déjà en Allemagne. La charge des 65 ans ou plus augmentera partout, avec ou sans migration, mais encore plus sans migration et dans les pays à basse fécondité.
Maxime Tandonnet : L'Europe est l'un des continents où le taux de fertilité est le plus bas, avec une moyenne d'1,5 enfant par femme, qui ne suffit plus à assurer le renouvellement des générations, ce dernier se situant à 2,1 enfant. Peut-être est-ce là le défi essentiel de l'avenir. Aux Etats-Unis, il est plus élevé, autour de deux enfants et dans la plupart des pays émergents, comme au Brésil ou au Maghreb, il se situe entre 2 et 2,5. La transition démographique, c'est-à-dire la baisse de la natalité liée au progrès social, est en cours dans la plupart des régions du monde. L'Afrique subsaharienne est cependant pour l'instant laissée à l'écart de ce mouvement, ses taux de fécondité pouvant atteindre 5 enfants par femme. Pour le continent européen, l'enjeu démographique est considérable. Il porte sur le risque de vieillissement de la population qui favorise le conservatisme et freine l'innovation, le dynamisme des sociétés, leur mobilité et leur créativité. En outre, à terme, ses conséquences pour la croissance sont évidentes: des pays dont la population baisse de manière spectaculaires ne disposent plus de la main d'oeuvre dont ils ont besoin dans la compétition internationale. A l'évidence, la baisse de la population est une cause du déclin relatif des nations.
Immigration: «De 2007 à 2016, le nombre d'admis au séjour a augmenté de près d'un tiers» (17.04.2017)
Par Michèle Tribalat
Mis à jour le 18/04/2017 à 13h30 | Publié le 17/04/2017 à 16h08
FIGAROVOX/ANALYSE - La démographe Michèle Tribalat revient sur le chiffre de 200.000 entrées d'étrangers par an, brandi systématiquement dans le débat public. Derrière cette apparente stabilité se cache une envolée de l'immigration sous le quinquennat Hollande.
Michèle Tribalat a mené des recherches sur les questions de l'immigration en France, entendue au sens large, et aux problèmes liés à l'intégration et à l'assimilation des immigrés et de leurs enfants. Son dernier Statistiques ethniques : une querelle bien française est paru aux éditions du Toucan.
Le chiffre de 200 000 entrées d'étrangers en provenance des pays tiers est devenu une référence dans les discours politiques et parfois aussi dans les discours académiques. On invoque une stabilité de ce chiffre depuis le début des années 2000, l'immigration aurait ainsi tourné, dit-on, autour de 200 000 depuis. L'alternance politique n'y aurait rien changé. Bref, ce chiffre rond a du succès.
Si l'on prend les statistiques du ministère de l'Intérieur qui produit tous les ans des tableaux sur les admissions au séjour des étrangers en provenance des pays tiers, on ne constate pas cette stabilité invoquée autour de 200 000 entrées par an. Ces statistiques portent sur les premiers titres de séjour délivrés. Force est de constater que le nombre d'entrées jusqu'en 2016 ne peut être qualifié de «stable».
De 2007 à 2016, le nombre d'admissions au séjour a augmenté de près d'un tiers. Si l'indicateur conjoncturel de fécondité passait de 2 enfants par femme à 2,64 enfants en neuf ans, parlerait-on de stabilité de la fécondité en France?
Comme le graphique ci-dessous l'indique, le flux a augmenté fortement jusqu'en 2010 et a été nettement freiné ensuite. Tel est le bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Avec le quinquennat de François Hollande le flux a repris de plus belle. On avait 172 000 entrées en 2007, on en a eu 193 000 en 2012, puis 228 000 en 2016 (chiffre estimé).
(photo)
Évolution des admissions au séjour des étrangers en provenance de pays tiers de 2007 à 2016 (base 1=2007) Source: Ministère de l'Intérieur
Ceux qui tiennent à se fonder sur ces chiffres pour qualifier l'effet des politiques migratoires des deux quinquennats doivent avoir l'honnêteté minimale de présenter leur évolution réelle au fil de ces deux quinquennats.
D'ailleurs, si l'on regarde comment a évolué la proportion d'immigrés en France métropolitaine au fil des enquêtes annuelles de recensement, on retrouve un résultat similaire, même si l'année 2016 manque encore. La proportion de population immigrée s'est accrue en moyenne annuelle de 1,15 % de 2007 à 2012, mais de 1,85 % de 2012 à 2015. Elle était de 8,35 % en 2007, de 8,84 en 2012, mais de 9,34 % en 2015.
Au lieu d'aller répétant les mêmes bêtises à longueur d'antenne (et parfois de livres), revenons aux chiffres provenant de sources on ne peut plus officielles: Ministère de l'Intérieur et Insee.
Ce que révèle Magnanville des fractures françaises (21.06.2016)
Mis à jour le 21/06/2016 à 15:19
FIGAROVOX/ANALYSE - Deux policiers ont été assassinés à
Magnanville dans l'agglomération mantoise. Pour le géographe Laurent Chalard,
ces lieux sont un laboratoire de la fragmentation socio-spatiale des banlieues
françaises.
Le lundi 13 juin 2016, un jeune français issu de
l'immigration maghrébine résidant au Val Fourré à Mantes-la-Jolie, le principal
quartier difficile de l'agglomération mantoise, a assassiné un couple de
policiers demeurant dans la commune pavillonnaire de Magnanville, la plus
recherchée du secteur, avec sa voisine Buchelay. Cet évènement constitue un bon
exemple des tensions que connaissent les périphéries des grandes métropoles
françaises, qui se caractérisent par de fortes différenciations socio et
ethno-spatiales.
En effet, contrairement à ce que de nombreux chercheurs en
sciences sociales, dont les travaux ont parfois été subventionnés par les
monarchies du golfe, ont voulu nous faire croire, les processus de ségrégation
dans les grandes métropoles n'ont fait que s'accentuer au fur-et-à-mesure du
temps. L'image idyllique de territoires aux flux migratoires limités, où
cohabitent les communautés en harmonie les unes avec les autres n'a jamais
correspondu à la réalité. Elle relevait simplement d'une prise de position
idéologique, visant pour certains à prendre ses désirs pour des réalités, mais
pour la plupart à nier la réalité du terrain pour évacuer le fait que l'Etat
(l'écrasante majorité des chercheurs en France sont des fonctionnaires) n'a pas
su gérer de manière adéquate les problèmes depuis les années 1980, malgré les
sommes considérables investies. Consécutivement à ce mauvais diagnostic, les
tensions qui se faisaient jour, fruits de la fragmentation spatiale en cours,
ont été constamment sous-estimées aboutissant à la situation actuelle où, à la
surprise d'une élite politique qui se voile la face, le point de non-retour
semble atteint dans certains territoires, comme en témoigne le cas du Mantois,
qui se présente comme la juxtaposition de quatre ensembles territoriaux au
fonctionnement relativement autonome.
Le premier, de loin le plus connu du grand public, est le
grand ensemble du Val Fourré, qui correspond à la partie occidentale de la
commune de Mantes-la-Jolie, et comprend approximativement la moitié de la
population de la ville, soit un peu plus de 20 000 habitants. Construit pendant
les Trente Glorieuses, complètement déconnecté du reste du territoire communal
et mal relié par les transports en commun, ce quartier se caractérise en 2016
par un fort pourcentage de personnes d'origine étrangère, en particulier chez
les jeunes, produit d'une immigration, à l'origine liée aux besoins en main
d'œuvre de l'usine automobile Renault de Flins-sur-Seine, la plus importante du
groupe en France. Selon les chiffres des démographes Bernard Aubry et Michèle Tribalat, dans certains sous-ensembles du Val
Fourré, dénommés par l'Insee par le romantique terme d'Iris, le pourcentage de
jeunes d'origine étrangère égale ou dépasse les 90 % en 2007-2011 ! La politique
de rénovation urbaine menée par l'Etat, si elle a eu un impact certain sur le
plan urbanistique, à travers les programmes de démolition-reconstruction et
d'aménagement de l'espace public, n'est cependant pas suffisante pour résoudre
un problème d'ordre socio-économique et culturel. Le chômage y demeure
considérable et le revenu médian par unité de consommation en 2015 n'est que de
9200 euros selon le CGET, soit en-dessous de la moyenne des zones urbaines
sensibles de France.
Le deuxième ensemble territorial de l'agglomération comprend
le reste de la commune de Mantes-la-Jolie, soit le centre historique avec ses
faubourgs, mêlant habitat pavillonnaire et petits collectifs, auquel s'ajoute
la partie septentrionale de Mantes-la-Ville au profil proche. Les classes
moyennes dominent, la population étant beaucoup plus mélangée, se composant à
la fois d'anciens habitants historiques, dont ce qui reste d'une petite
bourgeoisie locale, mais aussi de personnes issues de l'immigration un peu plus
argentées que la moyenne, c'est-à-dire en phase d'ascension sociale. Cela se
traduit par un pourcentage de jeunes d'origine étrangère moindre qu'à l'échelle
communale selon les données de Monsieur Aubry et Madame Tribalat, autour de 30
% en moyenne en 2007-2011 contre 60,8 % en moyenne sur l'ensemble de la
commune, et seulement 10 % dans le secteur le plus bourgeois. Concernant les
revenus par unité de consommation, si nous n'avons pas de données pour
l'ensemble, la médiane de la ville étant à 15 000 euros en 2012, elle est donc
probablement proche de 20 000 euros, soit plus du double du Val Fourré ! La
commune de Mantes-la-Jolie se caractérise donc par de forts contrastes sociaux.
Au nord, sur l'autre rive de la Seine, la commune de Limay,
qui compte 16 000 habitants, constitue un troisième ensemble territorial
individualisé. Si son profil urbanistique ressemble à la partie centrale de
Mantes-la-Jolie, se présentant essentiellement comme une commune de petits
collectifs et d'habitat individuel, son profil social apparaît un peu moins
élevé. Ce dernier l'apparente aux classes moyennes basses, les employés et les
ouvriers représentant 60 % de la population en 2012. En effet, Limay abrite sur
son territoire un port fluvial et se situe à proximité de la centrale
électrique de Porcheville. Cependant, sa principale spécificité est
d'accueillir des classes populaires plutôt d'origine européenne, d'où le
maintien d'une municipalité communiste depuis la seconde guerre mondiale, ce
qui la différencie grandement du Val Fourré. Etant donné la fracture
géographique que constitue la Seine, Limay a tendance à vivre en vase clos.
Enfin, le dernier grand ensemble territorial de
l'agglomération, se situe au sud de l'autoroute A13, regroupant les communes
de Buchelay, Magnanville, et la partie méridionale de Mantes-la-Ville. Il se
caractérise par un profil social plus aisé, avec une part plus élevée de cadres
et professions intermédiaires, à l'exception notable du quartier des Merisiers
et du domaine de la vallée à Mantes-la-Ville. Dans les deux premières communes,
le revenu médian par unité de consommation, à peu près identique en 2012, est
supérieur à 22 000 euros et le taux de pauvreté n'est que de 6 %. L'homogénéité
sociale y est relativement importante du fait de leur caractère quasi
exclusivement pavillonnaire avec de grands lotissements, pour la plupart
construits dans les années 1970-80. Par exemple, la population de Magnanville
est passée de 685 habitants en 1968 à 6265 en 1990. Un jeune étudiant,
interrogé il y a quelques années, décrivait la ville comme «très agréable».
En 2016, l'agglomération mantoise présente donc une
ségrégation socio-spatiale certaine, qui s'est accentuée au
fur-et-à-mesure du temps car elle a pris un caractère de plus en plus ethnique.
En effet, parallèlement à sa paupérisation généralisée, le grand ensemble du
Val Fourré a vu la composition ethnique de sa population se modifier
considérablement, car il a été quitté massivement par les classes populaires et
moyennes d'origine européenne en phase d'ascension sociale, remplacées au fur
et à mesure du temps par les immigrés et leurs enfants. Le quartier est devenu
un sas avec l'étranger du fait de la politique du regroupement familial,
conduisant à une croissance naturelle élevée. A contrario, si les quartiers
pavillonnaires du sud de l'agglomération ont été plébiscités par les populations
d'origine européenne, il n'en demeure pas moins qu'un bon nombre d'entre elles,
en particulier les plus riches, ont tout simplement quitté l'agglomération
mantoise, soit pour rejoindre l'espace périurbain, soit pour se rendre en
Province.
Michèle Tribalat : "Les statistiques ethniques sont indispensables à la connaissance" (28.02.2016)
Mis à jour le 28/02/2016 à 10h26 | Publié le 26/02/2016 à 20h45
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la sortie de Statistiques ethniques, une querelle bien française, Michèle Tribalat a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. Pour la démographe, dès lors qu'il s'agit d'immigration, l'idéologie et les condamnations morales prennent le pas sur la raison.
Michèle Tribalat a mené des recherches sur les questions de l'immigration en France, entendue au sens large, et aux problèmes liés à l'intégration et à l'assimilation des immigrés et de leurs enfants. Son dernier Statistiques ethniques une querelle bien française vient de paraître aux éditions du Toucan.
Dans Statistiques ethniques, une querelle bien française vous rouvrez un débat passionnel...
Ce débat est quasi-permanent. Dans mon livre, je montre dans quelles conditions il est apparu et quelles en sont les coulisses. On peut distinguer grosso modo deux périodes. À la fin des années 1990, les plus noirs desseins ont été prêtés à ceux qui étaient favorables à une forme de statistiques ethniques. Pour des raisons bien particulières, qui n'ont pas grand-chose à voir avec une démarche scientifique, la question des statistiques ethniques a été utilisée pour mener une offensive contre l'Ined visant à le faire apparaître comme le réceptacle et le diffuseur des thèses du Front national. Dans les années 2000, le débat a muté à la faveur de l'effervescence politique autour de la question des discriminations.
Il me semblait également utile d'expliquer ce que pourrait faire la statistique publique, ce qu'elle fait réellement et ce qui lui reste à faire. En effet, l'Insee a introduit au cours des années 2000, dans ses grandes enquêtes (Emploi, logement, famille…) des questions sur le pays de naissance et la nationalité de naissance des parents. C'est parfaitement légal, d'autant que la loi Informatique et libertés de 2004, qui transposait une directive européenne de 1995, a donné plus de liberté à la statistique publique. Jugée d'intérêt public en quelque sorte, elle n'a plus à recueillir l'accord des enquêtés. Par ailleurs, la CNIL a autorisé en 2007 la collecte de ces informations sur la filiation dans les enquêtes annuelles de recensement, dernier pas à franchir pour l'Insee.
La question des statistiques ethniques est d'autant plus compliquée qu'il en existe différentes catégories. Par exemple, quelle est la différence entre statistiques ethniques et statistiques ethno-raciales ?
Une grande partie de la confusion provient du fait que ceux qui s'empoignent sur le sujet ne parlent pas forcément de la même chose. L'expression «statistiques ethniques» est un terme générique qui désigne le dépassement des informations habituelles - nationalité, pays de naissance des individus - pour relier à la migration des personnes qui ne l'ont jamais connue et sont françaises parfois dès la naissance. En collectant des informations sur la filiation, comme il le fait désormais régulièrement dans ses grandes enquêtes, l'Insee utilise une forme de statistique ethnique, celle pratiquée par la plupart des grands pays européens d'immigration, depuis plus ou moins longtemps. Sous l'appellation «statistiques ethniques» figurent aussi des données de type ethnoracial à l'anglaise ou à l'américaine qui mélangent la couleur de peau, l'ethnie et des pays ou continents d'origine. Figurent aussi des catégories plus subjectives sur le ressenti. Ainsi, dans le recensement de 2011, le Royaume-Uni a introduit une question sur l'identité nationale: «Comment décririez-vous votre identité nationale?»
Pour y voir plus clair, le débat français devrait donc dépasser l'appellation «statistiques ethniques» pour entrer dans le vif du sujet, chacun explicitant chaque fois très précisément ce qu'il entend par là.
Pourquoi cette question est-elle aussi controversée en France et pas dans les autres pays? Est-ce parce qu'elle est liée à la problématique de l'immigration, elle-même taboue?
Bien sûr, le lien à la problématique de l'immigration est important dans la mesure où c'est un sujet contentieux. Mais les conditions d'apparition de la polémique expliquent beaucoup de choses. Si l'on n'avait pas mêlé outrageusement le FN à cette question dès le départ, le débat aurait certainement été plus civilisé. Par ailleurs, en France, la passion pour l'égalité républicaine amène à suspecter toute division entre Français selon l'origine et à voir dans les statistiques ethniques une façon de masquer la question sociale. La recherche française est en grande partie fonctionnarisée. Certains attendent donc des chercheurs qu'ils se conduisent en fonctionnaires et étendent la discipline républicaine aux catégories statistiques. Il faut y ajouter la suspicion entretenue sur la statistique publique et les fichiers en raison notamment de la légende sur l'inconduite du SNS (Service national de statistique) pendant l'Occupation.
Comme souvent les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire sont évoquées. La rumeur autour «du fichier juif» refait souvent surface. De quoi s'agit-il exactement ?
La police avait lancé, en juin 1941, un fichage des juifs sous l'appellation «recensement des juifs». À la même époque, en juillet 1941, René Carmille, directeur du SNS basé à Lyon, avait procédé à un recensement AP (pour activités professionnelles), dans la zone Sud, de la population âgée de 13 à 65 ans. Les deux sont souvent malencontreusement confondus. Le recensement du SNS visait à constituer une cartothèque des hommes facilement mobilisables en prévision d'un débarquement allié. Ce fichier a servi seulement en Algérie lors du débarquement allié en novembre 1942 - René Carmille en fut remercié officiellement par le maréchal Montgomery-, mais pas en métropole en raison de l'invasion de la zone Sud. Ce recensement comportait une question n°11 - êtes-vous juif? - que René Carmille avait accepté d'introduire pour mener à bien le recensement AP, afin de préparer une remobilisation dans la zone Sud. Cette question ne fut jamais exploitée au profit de Vichy ou des Allemands. Le même René Carmille avait demandé au Commissariat général aux questions juives - et obtenu - que l'on confie au SNS le fichier juif constitué par la police de la zone Sud, afin de le stériliser, ce qu'il réussit à faire parfaitement. Le fichier fut traité à Clermont-Ferrand à partir de mars 1942 et n'aboutit qu'à la confection de tableaux statistiques globaux prêts seulement au moment de la libération de la ville en août 1944. René Carmille avait introduit la cartographie et le NIR au SNS (notre numéro de sécurité sociale actuel). S'il n'y a eu aucune codification raciale dans le NIR en métropole, la question est plus controversée s'agissant de l'Algérie, mais c'est une autre histoire que j'essaie d'expliquer dans mon livre.
En 1991, à deux mois d'écart, la question des fichiers juifs va être ravivée à deux reprises. En septembre, Serge Klarsfeld découvre un «fichier juif» au secrétariat d'État aux Anciens combattants. En novembre, Le Monde prétend que des codifications raciales figureraient dans le NIR, traité par l'Insee. Ces deux affaires vont conduire à deux expertises étendues au fonctionnement de la statistique publique pendant l'Occupation, et à deux rapports remis en 1996 (René Rémond) et 1998 (Jean-Pierre Azéma, Raymond Lévy-Bruhl et Béatrice Touchelay) faisant de René Carmille et du SNS des serviteurs zélés de Vichy. Ce n'est pourtant pas l'avis de Robert Paxton qui, contrairement aux historiens des années 1990, avait exploité, dans les années 1960, les archives du SNS confiées par René Carmille à la famille Jacquey pour qu'elles soient enterrées. Pierre Jacquey était l'adjoint de René Carmille.
Rappelons simplement que René Carmille fut arrêté en février 1944 par Klaus Barbie, torturé (sans avoir parlé), puis déporté à Dachau où il est mort en janvier 1945. Ce n'était pas un résistant de la dernière heure puisque le Service de la démographie - qui deviendra le SNS en 1941- fut créé en novembre 1940, précisément pour préparer une remobilisation secrète. Ce n'était pas non plus le genre d'homme à soutenir un antisémitisme d'État pour lequel il avait le plus grand mépris. On trouve, en annexe de mon livre, son article de 1939 - Sur le germanisme - qui ne laisse aucun doute là-dessus.
Dans les années 90 à l'instigation d'Hervé Le Bras, la question a été Lepénisée. La dispute était-elle réellement idéologique et scientifique? S'agissait-il d'un règlement de compte personnel?
Pour comprendre ce qui s'est passé à la fin des années 1990, il faut revenir à la crise du début des années 1990 à l'Ined. En 1989, Hervé Le Bras perd la rédaction en chef de la revue de l'Ined, Population. Pour se venger, il lance donc une offensive contre l'Ined et son directeur, Gérard Calot, en prétendant que l'Ined a masqué volontairement l'état réel de la fécondité en utilisant un mauvais indicateur pour prêcher une politique nataliste bien inutile. Pour que cette querelle d'indicateurs de fécondité prenne dans la presse - qui n'y comprend pas grand-chose -, il lepénise la question et sort un livre au ton sulfureux: Marianne et les lapins. Il dit avoir à lutter à l'Ined contre un «courant pétainiste», pas moins. En gros, l'Ined aurait été infiltré par le FN. Cette charge, très relayée par la presse, a conduit l'Ined au bord de la dissolution. Elle a privé Gérard Calot du renouvellement de son mandat ou, tout au moins, d'une sortie honorable. Hervé Le Bras sait donc, en cas de problème, comment mettre la presse de son côté. Ça a si bien marché qu'il reproduira la même tactique en 1998.
C'est une histoire un peu compliquée qui remonte aux projections de population étrangère réalisées sous sa direction en 1980 pour le Haut Comité de la population, projections qui se sont révélées truffées d'erreurs. Je vous passe quelques épisodes… En 1996, Hervé le Bras cherche à faire publier par Population un article traitant des projections de population étrangère réalisées dans les années 1980, dans lequel il réhabilite les projections de 1980 conduites sous sa direction, sans jamais révéler la part qu'il y a prise, ni que ces projections sont fausses. Ce qu'il sait depuis 1983, puisqu'il a été obligé de les refaire à la demande de Gérard Calot. Cet article a été finalement publié en 1997, mais il était suivi d'un article dans lequel j'exposais, à la demande de l'Ined, la paternité et les erreurs d'Hervé le Bras. Tous ceux qui étaient à l'Ined dans les années 1980, moi y compris, auraient préféré qu'on oublie cette affaire plutôt que d'y revenir, mais Hervé Le Bras n'a guère laissé d'alternative à l'Ined. Pour se couvrir, il a ensuite contre-attaqué en rééditant le scénario de 1990, en l'actualisant et en le faisant tourner cette fois autour des catégories ethniques. Le FN étant, une fois encore au cœur du scénario. Il s'en est pris notamment à une étude publiée en 1991 dont j'étais allée présenter, à sa demande et avec lui, les résultats à Genève en mars 1988. Le débat sur les statistiques ethniques a été alors irrémédiablement pollué par la manœuvre d'Hervé le Bras plaçant le FN au cœur de la dispute pour se couvrir.
En exergue de votre livre, vous citez cette phrase de Jean-François Revel «En donnant l'assaut à un ennemi qui n'existe plus, on peut se dire qu'on remplit son devoir de défenseur de la liberté, ce qui dispense de l'accomplir face aux menaces concrètes, actuelles et réelles qui la mettent en péril, mais qui sont évidemment beaucoup plus difficiles à contrecarrer.». Pourquoi ce choix?
J'admire beaucoup Jean-François Revel qui a écrit un livre magnifique : La connaissance inutile. Cette citation s'applique fort bien au débat sur «les statistiques ethniques» dans lequel on croit pouvoir rejouer autrement une bataille depuis longtemps terminée. Faire revivre les spectres d'anciens ennemis permet de triompher à peu de frais. Si vous devez affronter Pétain et ses sbires encore aujourd'hui, c'est que vous êtes en quelque sorte un résistant. Cela vous place tout de suite du bon côté, même si le danger est inexistant. C'est ce que fait Hervé Le Bras lorsqu'il écrit, dans Marianne et les lapins (pp. 34): «je trouverai bientôt face à moi un courant que, pour faire vite, on peut qualifier de “pétainiste”». C'est aussi une manière de disqualifier l'adversaire. Qui pourrait avoir envie aujourd'hui de défendre des pétainistes? Ça fonctionne donc aussi comme une mise en garde contre toute velléité d'aller voir ce qui se trouve vraiment du côté de l'ennemi désigné. C'est une sorte de mise en quarantaine de la partie adverse.
En quoi les statistiques ethniques peuvent-elles être utiles?
On s'est longtemps contenté en France de données sur les étrangers, c'est-à-dire sur les personnes strictement de nationalité étrangère. Ce qui était manifestement insuffisant pour l'étude du phénomène migratoire au fil du temps. Des étrangers deviennent français et les enfants nés en France de parent(s) venu(s) s'installer en France sont rapidement Français, quelquefois dès la naissance. Il a donc fallu substituer à l'étude des étrangers l'étude selon la génération: immigrés (nés à l'étranger avec une nationalité étrangère) et enfants d'immigré(s). C'est ce qu'a fait, très progressivement mais partiellement l'Insee en recueillant le pays et la nationalité de naissance des parents dans certaines enquêtes. Ces statistiques sont utiles pour la connaissance du phénomène migratoire. Cela permet, par exemple, de mesurer quantitativement les populations d'origine étrangère sur deux générations. En 2012, la France métropolitaine comptait près de 4 millions d'étrangers, 5,6 millions d'immigrés, mais 12,4 millions de personnes d'origine étrangère sur deux générations, soit 6,2 %, 8,8 % et 19,6 %.
C'est suivant ce principe d'étude selon la génération qu'ont été menées les enquêtes Mobilité géographique et insertion sociale de 1992 et Trajectoires et origines de 2008, afin d'étudier les processus d'intégration dans la société française. Si l'Insee introduisait les questions sur les parents dans le recensement, il serait possible d'étudier les concentrations et la ségrégation ethniques beaucoup mieux que nous ne le faisons aujourd'hui.
Avec Bernard Aubry, nous l'avons fait pour les moins de 18 ans, encore au foyer des parents. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, en 2011, on comptait 21 % d'étrangers et 28 % d'immigrés, mais 60 % de jeunes de moins de 18 ans d'origine étrangère. Les données selon la filiation, sont produites par la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark à partir de leurs registres de population.
L'Allemagne et l'Autriche les collectent aussi à partir des Mikrozensus. Il est vrai que les définitions ne sont pas toujours les mêmes, ce qui rend les comparaisons difficiles. Mais tous ces pays ont bien compris la nécessité de raisonner par génération.
C'est suivant ce principe d'étude selon la génération qu'ont été menées les enquêtes Mobilité géographique et insertion sociale de 1992 et Trajectoires et origines de 2008, afin d'étudier les processus d'intégration dans la société française. Si l'Insee introduisait les questions sur les parents dans le recensement, il serait possible d'étudier les concentrations et la ségrégation ethniques beaucoup mieux que nous ne le faisons aujourd'hui.
Avec Bernard Aubry, nous l'avons fait pour les moins de 18 ans, encore au foyer des parents. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, en 2011, on comptait 21 % d'étrangers et 28 % d'immigrés, mais 60 % de jeunes de moins de 18 ans d'origine étrangère. Les données selon la filiation, sont produites par la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark à partir de leurs registres de population.
L'Allemagne et l'Autriche les collectent aussi à partir des Mikrozensus. Il est vrai que les définitions ne sont pas toujours les mêmes, ce qui rend les comparaisons difficiles. Mais tous ces pays ont bien compris la nécessité de raisonner par génération.
Peuvent-elles également être instrumentalisées? Que répondez-vous à ceux qui en font le cheval de Troie de la discrimination positive?
Evidemment, comme toute statistique, les statistiques ethniques peuvent être instrumentalisée. Mais c'est d'abord un élément du débat public. N'avoir aucune donnée ne résout rien et ne fait pas disparaître les problèmes. Il se trouve toujours quelqu'un pour faire des calculs de coin de table avec les moyens du bord, calculs qui finissent par trouver leur public, surtout avec la puissance de diffusion que représente internet aujourd'hui. Ce n'est pas parce que la statistique publique est muette sur un sujet que les velléités de quantification disparaissent. Je suis toujours surprise de voir l'accueil que l'on fait à mon estimation de la population musulmane, réalisée à partir de l'enquête Trajectoires et origines de 2008 et que j'ai extrapolée jusqu'en 2015-2016, en prévoyant le franchissement des 5 millions : non, ce n'est pas assez, il y en a plus! C'est le résultat me semble-t-il d'une absence totale de renseignements fiables sur longue période qui a conduit à douter : 5 millions était déjà un chiffre avancé à la fin des années 1990, sans aucune base sérieuse.
Ceux qui se méfient des arrière-pensées des partisans des statistiques ethniques n'ont pas tort. Avec la transposition des directives européennes sur les discriminations ethniques en 2004, s'est développé un lobbying pour la mise en place d'une politique de discrimination positive. Les partisans d'une telle politique ne manquent pas à gauche comme à droite. Cela a été le cas de Nicolas Sarkozy par exemple. Lorsqu'il était président, il était favorable aux quotas. Rappelez-vous, il souhaitait faire entrer la diversité dans la Constitution. L'expérience américaine devrait, au contraire, nous retenir de nous lancer à la suite des États-Unis. Les résultats ne sont guère probants et il est très difficile d'en sortir. Même dans les États où les politiques préférentielles ont été jugées illégales à l'Université, des subterfuges ont été trouvés. L'un d'entre eux est même appliqué en France par l'Éducation nationale avec le dispositif meilleurs bacheliers qui réservent des places dans les filières sélectives aux 10 % de bacheliers en tête de leur classement dans chaque lycée.
On attend des politiques, lorsqu'ils émettent un avis sur les statistiques ethniques, qu'ils nous disent ce qu'ils entendent par là et ce qu'ils comptent en faire.
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Pierre Vermeren: «Des millions de personnes attendent aux
portes de l'Europe» (25.02.2016)
HOME ACTUALITE INTERNATIONAL
Par Stéphane Kovacs Mis à jour le 25/02/2016 à 19:07 Publié
le 25/02/2016 à 18:10
Pierre Vermeren.
INTERVIEW- Pierre Vermeren est historien et spécialiste du
Maghreb. Il est aussi l'auteur du Le choc des décolonisations, de la guerre
d'Algérie aux printemps arabes (Ed. Odile Jacob, 2015).
LE FIGARO. - Plus de 100.000 migrants sont arrivés en Europe
par la Méditerranée ces deux derniers mois. À quoi peut-on s'attendre pour le
reste de l'année 2016?
Pierre VERMEREN. - Il est impossible de le dire car si le
potentiel migratoire est immense, des millions de personnes attendant aux
portes de l'Europe, les conditions d'entrée sont régies par des causes avant
tout politiques. Les pays autoritaires tiennent leurs frontières, et ce qui se
passe en Turquie a l'aval des autorités. Si les Turcs changent de pied, la
migration s'arrête. Mais cela tient aussi à l'activité des mafias et des
milices politiques (mafias italiennes, turques et balkaniques, groupes
djihadistes libyens) qui s'enrichissent de la traite humaine. Si les autorités
libyennes et les Occidentaux réduisent la poche ...
Migrants : ce qu'on ne vous dit pas (19.02.2016)
En 2015, un million de réfugiés venus de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan, d'Afrique ou comme ici du Pakistan sont arrivés en Grèce et, selon les prévisions, il y en aura autant en 2016. Cette migration, la plus grande depuis la Seconde Guerre mondiale, a fait 3625 morts ou disparus l'an dernier, et déjà 366 cette année.
Par Jean-Louis Tremblais, Olivier Michel et Cyril Hofstein
Mis à jour le 19/02/2016 à 15h20 | Publié le 19/02/2016 à 11h26
REPORTAGE - C'est un flux continu : par milliers, ils arrivent en Grèce afin d'emprunter la route des Balkans et de rejoindre l'Eldorado européen. Le contrôle des frontières? Une vue de l'esprit, inventée pour rassurer le citoyen lambda. Même l'Allemagne, qui a ouvert ses portes à un million de migrants en 2015, commence à douter. Les agressions sexuelles de masse commises le Nouvel An à Cologne ont changé la donne: le «Welcome» d'Angela Merkel n'est plus d'actualité. Quant à la «jungle» de Calais, elle illustre jusqu'à la caricature la faillite d'une politique migratoire vouée à l'échec. Choses vues et non dites.
Grèce: îles ouvertes
Les réfugiés qui ont reçu leurs autorisations administratives quittent Leros par le ferry pour rejoindre Athènes. - Crédits photo : Noel Quidu pour le Figaro Magazine
Par Olivier Michel
Quelques jours dans les îles grecques permettent de prendre la mesure d'un désastre annoncé. Un flot de migrants incessant, une police grecque débordée et Frontex paralysé. Résultat: un million de migrants supplémentaires entreront en Europe par la Grèce en 2016.
La violente tempête qui a frappé, fin janvier, les îles du Dodécanèse, n'aura pas arrêté le flot incessant de centaines de milliers de migrants fuyant la guerre dans leur pays. En 2015, un million de réfugiés venus de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan et d'Afrique sont arrivés en Grèce et, selon les prévisions, il y en aura autant en 2016. Cette migration, la plus grande depuis la Seconde Guerre mondiale, a fait 3625 morts ou disparus l'an dernier, et déjà 366 cette année.
Quatrième destination touristique de la Grèce, la petite île de Kos n'a pas échappé à la tempête, mais elle a vite retrouvé ses nuits claires et une mer lisse comme un miroir. Une météo idéale pour des passeurs sans état d'âme qui, sur la côte turque distante de 4 kilomètres, vendent aux migrants l'espoir d'une vie meilleure dans l'«Eldorado» européen. À Kos, il en arrive toutes les nuits, sur les plages de Lambi ou de Psalidi. Morts ou vivants.
La traversée entre la Turquie et la Grèce n'est pas une partie de plaisir. Mais l'arrivée des migrants (ici pakistanais et bangladais) est saluée à grand renfort de «Salam alaykoum» («Que la paix soit sur vous», en arabe) par des bénévoles anglo-saxons plus royalistes que le roi…
À notre huitième nuit de veille, ce sont 12 Pakistanais, Afghans et Bangladais, entassés sur un petit dinghy instable, qui sortent de la pénombre à coups de pagaie. À une centaine de mètres de la plage, ils sont guidés par deux jeunes volontaires une Néerlandaise et une Suédoise surexcitées, visiblement informées de leur arrivée, et qui les accueillent à grand renfort de «Salam Alaykoum».
Aussitôt débarqués, les migrants n'en reviennent pas. Ils ont droit à une salve d'applaudissements ponctuée de «Bienvenue en Europe» lancés par un petit groupe d'Irlandais très politisés et dont on se demande ce qu'ils font là et qui les a renseignés. Après quelques accolades et félicitations, les migrants reçoivent une couverture grise des Nations unies, un paquet de biscuits secs et une bouteille d'eau, avant d'appeler sur leurs portables des proches restés au pays.
Puis ils sont dirigés vers un bus qui les emmène au poste de police du port, où ils seront enregistrés, avant de se voir offrir une chambre d'hôtel et un sauf-conduit qui leur permettra de rejoindre Athènes et, plus tard, le pays européen de leur choix. Nos volontaires, très émus, peuvent aller se coucher, relayés par d'autres tout aussi «engagés» qui vont attendre jusqu'à l'aube les prochains débarquements. Par beau temps, on peut compter chaque nuit jusqu'à 350 nouveaux venus. Toutes les arrivées de migrants sur les îles grecques du Dodécanèse ne se traduisent heureusement pas par le spectacle insupportable d'enfants morts noyés. Quelques jours passés à Leros et à Kos permettent de découvrir une autre réalité, sensiblement différente de celle que l'on a l'habitude de voir ou d'entendre.
Sur les plages de Kos, il n'est pas rare de retrouver des dinghys et des centaines de gilets de sauvetage abandonnés. - Crédits photo : Noel Quidu
Malgré la promesse d'une aide de 3 milliards d'euros de l'Europe, le gouvernement du président islamiste turc Recep Tayyip Erdogan ne fait strictement aucun effort pour empêcher les migrants de rejoindre la Grèce. Le port de Kos et le camp des Nations unies de Leros ne désemplissent pas, avec pour conséquence des échauffourées répétées entre Nord-Africains ivres et réfugiés afghans ou syriens. La Croix-Rouge hellénique, Médecins sans frontières, l'UNHCR, soutenus par les ONG américaines Mercy Corps, Samaritan's Purse et des centaines de volontaires venus du monde entier essaient d'accompagner comme ils le peuvent des migrants toujours plus nombreux, même en hiver.
Il faut voir les patrouilles quotidiennes de bénévoles ramasser, sur les plages, des centaines de gilets de sauvetage abandonnés la veille par les migrants et les jeter en ville à côté de dinghys crevés sur les dépôts d'ordures. À Bodrum, le Saint-Tropez turc, les passeurs, censés être arrêtés par la police, n'ont jamais gagné autant d'argent et travaillent à flux tendu. Leurs tarifs varient selon les nationalités et la météo. «Notre passage nous a été facturé 500 dollars par personne, affirme ce Syrien, chef d'une famille de sept personnes.
Pour les gilets de sauvetage, il a fallu rajouter 50 dollars pièce avant de nous apercevoir que c'était des faux car ils prenaient l'eau.» Les Afghans et les Pakistanais paient en fonction de l'offre et de la demande. Un groupe de six jeunes Maliens ayant fui l'enrôlement de force des djihadistes de Daech à Gao, encore terrorisés par leur traversée, nous disent avoir bénéficié d'un tarif «exceptionnel», compte tenu du très mauvais temps. Les passeurs savaient qu'ils n'avaient que très peu de chances de s'en tirer et ne leur avaient demandé «que» 400 euros pour les envoyer à la mort.
(photo)
Tous les migrants n'ont pas les mêmes moyens. Les Syriens et les Irakiens arrivent avec de l'argent et des contacts en Europe, ce qui n'est pas le cas de la majorité. - Crédits photo : Noel Quidu
La police grecque dépassée
Au large, on peut parfois entendre ou voir le bateau de Frontex longer la frontière maritime gréco-turque. Celui positionné à Kos en ce moment bat pavillon finlandais. Sven-Bertil Nygard, son chef d'équipage, qui a accepté de nous recevoir, ne voudra pas nous dire quel est son programme ni combien d'heures il est censé patrouiller à la demande des autorités grecques. Tout au plus se bornera-t-il à nous expliquer que sa mission est de «surveiller les côtes et, en cas de rencontre avec un bateau de migrants, vérifier qu'il n'est pas en détresse». Et s'il l'est? «Nous embarquons les migrants et les emmenons en Grèce», répond-il, embarrassé. C'est pour cela, sans doute, que les bateaux de migrants se sabordent presque toujours à la vue d'un Frontex, car ils sont sûrs d'être secourus et d'être emmenés rapidement à leur destination.
À quai ou en ville, la police grecque est sans moyens, totalement dépassée par les flots de migrants. Elle les canalise et les accompagne au départ des ferrys pour Athènes. Au poste de police de Kos, le responsable, exaspéré par les critiques des Européens, affirme qu'il a bien reçu une machine pour identifier les migrants en prenant empreintes et photos qui rejoignent un fichier central, mais qu'il nous est interdit de la voir. Reste à espérer qu'elle fonctionne et permette de détecter les terroristes potentiels qui tenteraient de rejoindre l'Union européenne en général et la France en particulier. Qui plus est, pourquoi les policiers qui patrouillent la nuit le long des plages ne s'étonnent-ils jamais de la présence de volontaires aux gilets fluorescents qui scrutent la mer pendant des heures et pourquoi se contentent-ils de leur demander s'ils sont des touristes, avant de repartir?
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Les téléphones portables ont une importance cruciale. Cela permet aux migrants de rester en contact avec leurs proches restés au pays et d'indiquer aux éventuels candidats le meilleur chemin à suivre pour rejoindre l'Europe. - Crédits photo : Noel Quidu
Où que l'on soit, les volontaires sont là. En majorité anglo-saxons ou anglophones, ils viennent en Grèce grâce à des réseaux d'entraide souvent très engagés. Ils n'ont pour formation que leur altruisme et leur bonne volonté, et ne sont pas toujours préparés aux situations compliquées: femmes battues, polygamie, prosélytisme, alcoolisme. Certains dénoncent le menu unique offert aux réfugiés (riz, petits pois, carottes) qui «serait élaboré par des nutritionnistes à New York». D'autres voudraient que l'on nettoie les couvertures des Nations unies (2 euros pièces) abandonnées par les réfugiés, ce qui est irréalisable compte tenu du coût très élevé de la désinfection.
Ils restent en général quelques semaines, paient leur voyage et leur hébergement avec leurs économies, mais, passé un certain délai, s'approprient les migrants, puis les surprotègent jusqu'à leur empêcher tout contact avec les journalistes, accusés de tous les maux.
«Si nous sommes là, répètent-ils à l'unisson, c'est parce que Bush est entré en Irak pour s'emparer des puits de pétrole, et parce que l'Europe bombarde la Syrie. L'Europe est assez riche et assez grande pour accueillir tous les migrants sans exception. Et, si un jour nous devions fuir l'Europe, nous serions bien contents de trouver des âmes charitables.» Ne craignent-ils pas que l'arrivée massive d'étrangers dans l'Union européenne ne fasse grimper les partis extrémistes tels que le Front national en France, Ukip en Grande-Bretagne et Aube dorée en Grèce? «Non, ça n'est pas à cause des migrants qu'il y a du racisme, mais à cause des journalistes et de leurs articles alarmistes.»
Les migrants qui arrivent à Kos, Leros ou Lesbos ne fuient pas tous la guerre. Si c'est le cas pour les Syriens, Irakiens et Afghans, ça ne l'est pas pour les Pakistanais, les Bangladais, les Africains et les Nord-Africains. Ces derniers prétendent, dans un premier temps, vouloir «échapper à Daech» ou «aux régimes policiers algérien et marocain», puis finissent par avouer qu'ils n'ont pas de travail dans leurs pays rongés par la corruption. Quand on leur dit qu'il n'y a pas de travail en Europe, ils estiment que cela leur importe peu et qu'ils espèrent en trouver. Et certains d'ajouter, confiants: «On nous dit ici que l'Europe a besoin de nous, car elle vieillit.»
On peut enfin s'étonner de l'absence totale sur le terrain d'associations musulmanes, publiques ou privées. Selon les migrants que nous avons rencontrés, l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis ne souhaitent pas accueillir trop de leurs coreligionnaires, dont ils se méfient comme de la peste. Surtout des Syriens qu'ils traitent de «fous» pour avoir «osé la révolution».
En Allemagne, le peuple gronde
La “nuit de Cologne” a changé le regard des Allemands sur les migrants. Le mouvement Pegida (acronyme allemand pour «Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident») est né à Dresde mais s'est implanté dans d'autres villes de l'est du pays, comme ici, à Leipzig. - Crédits photo : © Jerome SESSINI/MAGNUM PHOTOS Jérome Sessini
Par Jean-Louis Tremblais
Depuis l'affaire de Cologne, la politique migratoire et le melting-pot à l'allemande sont de plus en plus remis en cause.
Un mois après cette «nuit de la honte», le traditionnel carnaval des femmes (Weiberfastnacht) s'est déroulé sous une surveillance policière renforcée. - Crédits photo : © Jerome SESSINI/MAGNUM PHOTOS Jérome Sessini
Cologne, le 4 février. Un jour censé être celui des femmes. Chaque année, lors de la Weiberfastnacht, ce sont elles qui inaugurent le traditionnel carnaval. La rue leur appartient: attifées et maquillées comme bon leur semble, elles y déambulent, chantent, dansent, accostent ou embrassent les hommes. Le tout dans une atmosphère très imbibée, où la bière coule à flots et où amusement rime souvent avec défoulement.
Un mois après la Saint-Sylvestre et les violences faites àplusieurs centaines de femmes (près de 1054 plaintes déposées, 454 pour délit sexuel) par des groupes de jeunes nord-africains* en plein centre-ville, les autorités sont sur le qui-vive. Vivement critiquées pour leur passivité et/ou leur incompétence du 31 janvier, elles ont tout fait pour que ces contemporaines saturnales ne dégénèrent pas. 360.000 euros ont été dépensés spécialement afin de garantir la protection des citoyennes: éclairage public porté au maximum, caméras de vidéosurveillance, «espaces sécurisés et réservés aux femmes», mobilisation de 2500 policiers et de 850 bénévoles, numéro d'urgence et hotline dédiée…
Cette psychose ne concerne pas uniquement Cologne. Car des événements similaires, avec des protagonistes identiques, se sont produits dans d'autres villes, comme Bielefeld, Hambourg, Stuttgart, et dans 12 Länder sur 16. Groggy, l'Allemagne semble découvrir les limites du multiculturalisme et du melting-pot. «Wir werden das schaffen» («Nous y arriverons»), a promis la chancelière Angela Merkel à ceux qui s'inquiétaient de la capacité du pays à intégrer le 1,1 million de migrants arrivés en 2015. Voire… Même le cardinal Reinhard Marx, président de la Conférence épiscopale allemande, se montre sceptique : «L'Allemagne ne peut accueillir tous les nécessiteux du monde.» Une chose est sûre : le choc des cultures, révélé par l'affaire de Cologne, n'étonne pas Thilo Sarrazin. Dès 2010, cet économiste, membre du SPD (Parti social-démocrate) et du directoire de la Bundesbank, avait provoqué un tollé en publiant L'Allemagne disparaît. Un best-seller vendu à 2 millions d'exemplaires où il s'interrogeait sur les bouleversements démographiques induits par l'immigration et doutait fortement de la réussite de l'intégration. Ce qui lui a valu d'être démis de ses fonctions et mis au ban du SPD.
Voir George Orwell, le roman d'anticipation 1984.
Les femmes et l'islam
Les politiques serviles
Le politiquement correct envers l'islam
Taqyia : l'accusation d'islamophobie, premier pas vers le totalitarisme islamique
Voir George Orwell, le roman d'anticipation 1984.
Les femmes et l'islam
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Le politiquement correct envers l'islam
Taqyia : l'accusation d'islamophobie, premier pas vers le totalitarisme islamique
La nuit de la Saint-Sylvestre, à Cologne, le parvis de la gare a été le théâtre d'agressions sexuelles de masse. Les suspects sont essentiellement nord-africains. - Crédits photo : Jérome Sessini
«Ce qui s'est produit à Cologne et ailleurs, explique-t-il, doit être interprété comme un avertissement. Il est certain que l'oppression et le mépris dont les femmes sont l'objet dans les pays musulmans jouent un rôle. C'est avec cette image de la femme que ces jeunes hommes ont été élevés. La conception européenne des rapports entre les sexes y est rarement comprise, ou alors elle est vue comme de la faiblesse. Dans bien des cas, il leur paraît inconcevable qu'une femme en vêtements sexy puisse ne pas être disponible ou vouloir rester maîtresse de la situation. Et ce phénomène est encore accentué par le faible niveau d'éducation de beaucoup d'immigrés musulmans.»
Une analyse confortée in absurdo par les stupéfiantes déclarations de l'imam de la mosquée al-Tawhid de Cologne, interviewé par la chaîne russe REN TV après les faits : «C'est la faute des femmes car elles portent du parfum et sont à moitié nues (…) Vêtues de cette façon, elles jettent de l'huile sur le feu.» Ou encore, même si c'est involontaire et maladroit, par le conseil prodigué aux Colonaises par leur mairesse, Henriette Reker: «Garder plus d'un bras de distance» avec des hommes non habitués aux mœurs occidentales!
Alice Sophie Schwarzer est la fondatrice et rédactrice en chef du magazine féministe Emma. Elle est l'une des féministes allemandes les plus connues - Crédits photo : Jérome Sessini
Des propos qui font bondir Alice Schwarzer, directrice du magazine Emma et figure historique du féminisme allemand. Cofondatrice du MLF et proche de Simone de Beauvoir, elle s'insurge contre ce qu'elle appelle la «fausse tolérance»: «Au nom du politiquement correct et de l'antiracisme, il ne faudrait pas dire que les violeurs de la Saint-Sylvestre sont d'origine arabo-musulmane. On préfère dire aux femmes allemandes de s'adapter ! C'est justement cette cécité volontaire qui a favorisé l'expansion de l'islamisme dans nos pays.
Ce qui s'est passé à Cologne, au cœur d'une ville d'un million d'habitants et sous les yeux d'une police impuissante, me fait penser aux viols collectifs de la place Tahrir au Caire, en 2011. On sait que les islamistes sont organisés et structurés. Certains agresseurs maghrébins du 31 janvier venaient de Belgique ou de France. J'ai du mal à croire que ce ne soit pas une action concertée, avec des motivations politiques et visant à sonder nos défenses. Pourquoi les investigations ne s'orientent-elles pas dans ce sens? Si on ne pose pas la question, c'est peut-être parce qu'on ne veut pas la réponse. Dans toute guerre, la violence sexuelle est une arme dont l'effet est connu: détruire les femmes et humilier les hommes.»
Immigrés économiques ou réfugiés politiques?
Dans ce contexte tendu, la pression migratoire à laquelle l'Allemagne est confrontée ne se réduit pas. Au contraire. Pour le seul mois de janvier, on recense 100.000 arrivées, soit une moyenne quotidienne de 3300 et (si le flux reste stable) un total prévisible de 1,2 million pour l'année 2016. À Cologne, les derniers chiffres font état de 500 personnes par semaine. Nous nous sommes rendus dans le plus grand centre d'hébergement de la ville, dans le quartier d'Ehrenfeld, géré par la Croix-Rouge et la municipalité. 627 migrants y sont logés dans un bâtiment en dur de trois étages, mieux gardé que Fort Knox par une société de sécurité privée. La population est majoritairement masculine (419) et très jeune (436 ont moins de 30 ans); 220 viennent des Balkans (minorités roms et sintés de l'ex-Yougoslavie, Albanais, Kosovars), 160 de Syrie, 42 du Maghreb, 32 d'Afghanistan, 20 d'Afrique subsaharienne, plus quelques Pakistanais et Bangladais. À notre connaissance, la guerre ne sévit pas dans toutes ces contrées. Immigrés économiques ou réfugiés politiques? L'administration allemande épluche donc chaque dossier avec soin, ce qui peut prendre des mois. Période pendant laquelle les demandeurs d'asile touchent entre 160 et 300 euros mensuels et bénéficient de la gratuité des transports publics.
Dans les foyers de réfugiés, la cohabitation entre les différentes nationalités ou religions est parfois difficile. Ici, deux hommes sont séparés par les vigiles du centre d'accueil. - Crédits photo : Jérome Sessini
Après avoir formulé moult demandes et essuyé autant de refus, nous y rencontrons finalement Jamal, de nationalité syrienne. La cinquantaine distinguée, parlant anglais, cet ex-journaliste réside ici depuis six mois dans une chambre pour quatre. Il a quitté Damas avec son fils de 16 ans pour éviter la conscription à ce dernier, et a suivi la filière classique via la Turquie et la Grèce. Voilà six mois qu'il attend sa carte de séjour: «Je remercie l'Allemagne pour son hospitalité. Pour nous, c'était une question de vie ou de mort. Nous sommes d'authentiques réfugiés mais ce n'est pas le cas de tous ceux qui se présentent ici et prétendent venir d'Irak ou de Syrie, même s'ils sont parfois du Maghreb… On n'est pas tous traités de la même façon par les gardiens, que je soupçonne de favoritisme. Et puis, il y a sans cesse des frictions intercommunautaires ou interreligieuses. Les gens se regroupent par origine. On se regarde en chiens de faïence. C'est éprouvant.»
Comme pour lui donner raison, des cris et des hurlements fusent du couloir. Une femme à bout de nerfs qui ne supporte plus sa voisine de chambre (les femmes sont cantonnées dans une aile séparée). Puis, deux hommes qui s'empoignent et sont difficilement maîtrisés par les vigiles. Le sang a giclé sur les murs. Le Samu doit être appelé en urgence. «C'est tous les jours comme ça», commente Jamal, résigné ou fataliste. Le «vivre-ensemble» est mal parti…
*«Nafris», ainsi qu'il est mentionné dans les procès-verbaux de la police. Sur les 59 suspects, aucun n'a la nationalité allemande. La plupart sont algériens, marocains et tunisiens - certains sont domiciliés en France; les autres, demandeurs d'asile ou sans papiers.
Pediga: la parole se libère
Ce devait être un feu de paille, prédisait-on, lorsque Pegida* fut créé en octobre 2014. Erreur de pronostic. Fondé par Lutz Bachmann, personnage au passé judiciaire chargé -en retrait depuis quelques mois-, ce mouvement est régulièrement présenté comme un groupuscule d'extrême droite par les médias. Pourtant, chaque lundi, entre 10.000 et 15.000 personnes continuent de manifester sous sa bannière à Dresde, fief de l'organisation, et dans les villes de l'Est où elle a ses filiales, comme Leipzig ou Chemnitz. Des citoyens ordinaires mais mécontents qui applaudissent des orateurs pourfendant la politique d'Angela Merkel et la «Lügenpresse» (la presse à mensonges).
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Tatjana Festerling, responsable de Pegida. - Crédits photo : © Jerome SESSINI/MAGNUM PHOTOS Jérome Sessini
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Tatjana Festerling, responsable de Pegida. - Crédits photo : © Jerome SESSINI/MAGNUM PHOTOS Jérome Sessini
Un mois après la nuit de Cologne, nous avons rencontré Tatjana Festerling, l'une de ses responsables. Cette femme énergique et combative est la cible récurrente des antifas (l'ultra-gauche radicale). Sa maison a été visée à trois reprises. Elle a perdu son emploi, collectionne les menaces de mort et doit se déplacer avec un garde du corps. «Ce qui horripile l'establishment et les médias, explique-t-elle, c'est que de plus en plus d'Allemands nous approuvent. Ils se sentent oubliés et n'ont que Pegida pour exprimer leur colère. Surtout depuis la Saint-Sylvestre. Ces agressions de masse, commises dans plusieurs villes, relèvent du terrorisme sexuel. Objectif : non seulement blesser et souiller les femmes mais également déviriliser les hommes d'Allemagne, jugés incapables de protéger leurs épouses, leurs sœurs, leurs filles. Les déviriliser pour les remplacer. Les djihadistes testent nos réactions. Lesquelles trahissent une répugnante soumission. Le gouvernement, ainsi que tous les partis installés, refusent d'ouvrir les yeux et persistent dans l'illusion suicidaire du “multiculturalisme”. Sans parler des journalistes, qui n'ont révélé l'ampleur du scandale que tardivement et sous la pression de la presse internationale. Ils ne pouvaient plus taire les faits.»
Tatjana Festerling sait que Pegida prospère surtout dans les Länder de l'ex-RDA: «Normal. À l'ouest, les gens subissent un lavage de cerveau depuis des décennies. Ils ont perdu leur conscience identitaire et la fierté de leurs origines.» Selon elle, le salut viendra plutôt de la Mitteleuropa, de ces pays qui s'opposent à la politique migratoire de l'UE: Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque, etc.
Raison pour laquelle Pegida tente désormais de mobiliser hors des frontières germaniques avec le projet «Forteresse Europe» et son appel du 6 février à manifester contre l'islamisation dans 14 pays européens. «Une opération que nous allons renouveler», prévient-elle.
Raison pour laquelle Pegida tente désormais de mobiliser hors des frontières germaniques avec le projet «Forteresse Europe» et son appel du 6 février à manifester contre l'islamisation dans 14 pays européens. «Une opération que nous allons renouveler», prévient-elle.
* Acronyme allemand de «Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident».
À Calais, la loi de la jungle
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Entre 4000 et 6000 migrants survivent dans la «jungle» de Calais. - Crédits photo : Jérôme Sessini/Magnum
Par Cyril Hofstein
La ville du Nord est devenue aujourd'hui le symbole absurde et kafkaïen de l'incapacité des États à répondre efficacement aux enjeux de la crise des migrants en Europe.
Quel âge peut bien avoir ce jeune homme en jogging et baskets qui vient de descendre du train de Paris et de poser sa valise à roulettes sur les quais de la gare de Calais-Fréthun? Quinze ans? Dix-huit ans? Il n'a que des papiers provisoires reçus en Allemagne et ne parle que l'arabe. Les seuls mots de français qu'il connaît sont: «réfugié», «Calais» et «jungle»… Quelqu'un, un plaisantin sans doute, lui a suggéré de dire qu'il venait du Koweït, pensant sans doute que cela ouvrirait des portes… Mais personne, visiblement, ne l'a prévenu qu'il n'arrivait pas ici au meilleur moment.
Le 12 février dernier, face à l'exaspération des habitants et à l'insécurité croissante dans la région, Fabienne Buccio, préfète du Pas-de-Calais, a en effet annoncé l'évacuation imminente de la partie sud de la «jungle», ce bidonville au bord de l'implosion, boueux et insalubre, où entre 4000 et 6000 migrants survivent et végètent dans l'espoir de rejoindre l'Angleterre, un pays qui ne veut pas d'eux. Cette nouvelle étape dans le démantèlement de ce camp illégal, accueillie avec scepticisme par les Calaisiens comme par les associations d'aide aux réfugiés, doit s'achever la semaine prochaine.
Devant l'entrée de la «jungle», le face-à-face entre les réfugiés et les forces de l'ordre est permanent. - Crédits photo : Jérome Sessini
Plus de 1000 personnes devraient ainsi rejoindre le centre d'accueil provisoire de 1500 places, composé de conteneurs et d'Algeco chauffés et équipés de sanitaires, installé en janvier dernier à quelques mètres seulement, ou bien être dirigées vers l'un des quelque 98 centres d'accueil et d'orientation ouvert ailleurs en France. Mais comment? Nul ne le sait vraiment pour l'instant, et tout le monde craint des heurts et des émeutes. Cette situation kafkaïenne perdure depuis mai 2014 et s'aggrave à mesure que les vagues successives de migrants arrivant de Méditerranée par l'Italie et la Grèce, via l'Allemagne ou la Suède, touchent la France et Calais, son terminus avant l'Eldorado anglais.
À la prostitution, aux trafics en tout genre, aux persécutions religieuses et aux bagarres entre communautés s'ajoutent désormais l'endoctrinement et la manipulation des plus désespérés par des associations anarchistes
Aux Afghans, aux Soudanais et aux Érythréens se sont ajoutés des Kurdes, des Syriens et des Irakiens, mais aussi des Maghrébins et des familles originaires des Balkans. Une cour des Miracles à ciel ouvert, mise en coupe réglée par les passeurs, les marchands de sommeil et les exploiteurs de misère. À la prostitution, aux trafics en tout genre, aux persécutions religieuses et aux bagarres entre communautés s'ajoutent désormais l'endoctrinement et la manipulation des plus désespérés par des associations anarchistes. Les plus acharnés, les No Border en tête, un mouvement d'ultragauche très présent dans la ville, pensent avoir trouvé ici, sous l'échangeur de l'autoroute A16, dans la boue des confins de la zone industrielle des Dunes, un combat à leur mesure contre l'autorité de l'État et utilisent les réfugiés comme de la chair à canon.
En janvier dernier, en marge d'une «manifestation de soutien» aux migrants de la «jungle», ils ont réussi à s'introduire à l'intérieur d'un ferry britannique en cisaillant les grilles du terminal d'embarquement, juste après avoir tagué «Nik la France» sur la statue dugénéral de Gaulle érigée place d'Armes, au cœur de la ville. Pourquoi? Certainement pas pour servir la cause des déracinés qui ont choisi l'exil.
Inconscient de la situation, l'espoir encore au cœur, le jeune homme suit pour l'instant le flux des voyageurs et monte les marches de la passerelle qui conduit vers la sortie, à quelques centaines de mètres seulement du terminal Eurotunnel de Coquelles. Devant les deux gendarmes blasés qui le regardent passer, il demande: «Jungle?» Un peu gênés, les deux fonctionnaires lui indiquent vaguement la direction du plus grand bidonville de France et reprennent leur faction. «J'espère qu'il a de bonnes chaussures, lance sans rire l'un d'eux. Il n'est pas arrivé.»
Comme lui, ils sont des dizaines à arriver ici chaque jour. Tous ou presque ont des billets de train en règle et un ou deux téléphones portables. Certains ont vraiment de la famille là-bas, de l'autre côté de la Manche, d'autres essayent de s'en inventer une. Mais personne ne les croit. Sauf les passeurs qui vivent ici au grand jour et paradent devant leurs belles voitures garées au centre-ville. «Ce sont eux qui tiennent Calais et contribuent à faire venir ces gens, lance une commerçante. Cela, on ne le dit jamais. Personne n'en parle. Pourtant, ils sont là. Nous n'avons rien contre les migrants. Après tout ce sont des victimes, comme nous, toutes proportions gardées… Le pire, c'est que la police ne peut rien faire contre les passeurs: ils ont des papiers en règles et profitent de l'espace Schengen. À part, peut-être, les prendre en flagrant délit. Mais c'est si rare...»
Malgré les barrières et les barbelés, certains sont prêts à tenter l'impossible pour essayer de rejoindre l'Angleterre. - Crédits photo : Jérome Sessini
On estime en moyenne, selon plusieurs sources concordantes, qu'une quarantaine de migrants parviennent à rejoindre l'Angleterre chaque jour, malgré les coûteux dispositifs de sécurité mis en place les uns après les autres depuis des mois. «À pied, la zone d'accès au tunnel sous la Manche est presque totalement inviolable, assure un policier sous couvert d'anonymat, comme l'accès au terminal ferry. Des grillages hérissés de barbelés ont été disposés aux abords de la rocade menant au tunnel sous la Manche.
Comme autour du terminal, des fonctionnaires de police et des gendarmes patrouillent en permanence. Le seul moyen possible est de monter à bord d'un camion à destination du Royaume-Uni via un ferry ou Eurotunnel. Et là, le système est bien rodé. Parfois, les chauffeurs sont complices, mais pas toujours. Le plus souvent, cela se passe la nuit, quand les camions stationnent sur les aires d'autoroute. Avec l'aide de passeurs qui monnayent leurs services jusqu'à plusieurs milliers d'euros, des petits groupes arrivent à se faufiler sous les bâches ou à forcer les portes des remorques quand les routiers se reposent ou prennent une douche. Parfois, la scène se passe juste sous les caméras de surveillance, ce qui permet au chauffeur du camion de se dédouaner en prouvant qu'il n'était pas au courant de l'effraction.
Après, la suite est une question de “chance”. Certains sont signalés à la police par les chauffeurs eux-mêmes, d'autres sont repérés par nos chiens, ou bien ils sont détectés par les appareils électroniques des portiques installés aux entrées. Beaucoup sont arrêtés et reconduits dehors, mais d'autres arrivent à passer.» Parfois, les camions peuvent être pris d'assaut. Quand il y a des travaux sur Eurotunnel limitant la circulation des trains, ou des encombrements sur l'autoroute, des grèves ou encore des camions bloqués, les tentatives de passage en force sont plus nombreuses. Passeurs et migrants sont à l'affût et la situation peut vite devenir incontrôlable. Ainsi, plusieurs routiers ont été victimes d'agressions et certains ont vu leur camion assailli et la bâche de leur remorque découpée, d'autres ont été menacés à l'arme blanche…
L'insécurité entrave l'activité économique du port de Calais et les Anglais, principaux clients des commerçants calaisiens, ne viennent plus. «Calais et ses environs portent les stigmates de cet état d'urgence permanent, constate, amer, Frédéric Van Gansbeke, président de la Fédération du commerce du Calaisis. Des milliers d'arbres ont été coupés. Nous vivons entourés de barbelés. Nos commerces périclitent. Tout le monde se retrouve pris en otage et, finalement, personne ne fait rien.»
«On va juste changer le problème de place, renchérit un patron de restaurant. C'est tout. Ils veulent évacuer le sud… Très bien. Mais il reste l'autre moitié, dans la partie nord du camp, près du lac. On va en faire quoi, de ces gens? Soit ils vont rester, soit ils iront un peu plus loin, dans la «jungle» de Grande-Synthe, ou même encore plus loin. Tout ce qu'ils veulent, c'est aller en Grande-Bretagne. Ils s'en fichent de la France. Et nous, la France se fiche de nous.»
«On va juste changer le problème de place, renchérit un patron de restaurant. C'est tout. Ils veulent évacuer le sud… Très bien. Mais il reste l'autre moitié, dans la partie nord du camp, près du lac. On va en faire quoi, de ces gens? Soit ils vont rester, soit ils iront un peu plus loin, dans la «jungle» de Grande-Synthe, ou même encore plus loin. Tout ce qu'ils veulent, c'est aller en Grande-Bretagne. Ils s'en fichent de la France. Et nous, la France se fiche de nous.»
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Michèle Tribalat : «L'assimilation a été abandonnée par les élites politiques, culturelles et médiatiques de ce pays» (08.01.2016)
«La transmission de l'islam s'est considérablement accrue, laquelle se trouve renforcée par une endogamie religieuse», souligne Michèle Tribalat.
Actualité France
Par Agnès Leclair
Mis à jour le 08/01/2016 à 19h17 | Publié le 08/01/2016 à 18h33
INTERVIEW - Démographe et ex-directrice de recherche à l'Ined, Michèle Tribalat est spécialiste de l'immigration, de l'intégration et de l'assimilation des immigrés et de leurs enfants
LE FIGARO. - La perception des discriminations par les immigrés et leurs enfants sont «des indicateurs fiables de la discrimination réelle» qui «correspondent à des injustices réellement subies et non à des situations fantasmées» selon la conclusion de cette enquête. Partagez-vous cette analyse?
Michèle TRIBALAT. - Cette conclusion est habilement rédigée. Elle commence par traiter des discriminations à partir des déclarations sur le ressenti des enquêtés, seule information recueillie dans TeO sur les discriminations. Ensuite, les auteurs relient ces observations à la situation des enquêtés et y trouvent une certaine cohérence. Ceux qui sont le plus souvent au chômage, par exemple, sont aussi ceux qui déclarent avoir vécu des expériences discriminatoires. Les auteurs valident ainsi l'équivalence entre ressenti et réalité des faits. Le problème est que se plaindre de situations discriminatoires n'équivaut pas à des discriminations réelles. Il se peut que, parmi les chômeurs, certains aient effectivement vécu des pratiques discriminatoires. Il se peut aussi que ceux qui sont au chômage soient plus prompts à expliquer leur situation par des événements extérieurs. Vient ensuite une description de situations inégalitaires à l'école, sur le marché du travail, dans l'entreprise, etc. qui entérine l'idée d'une discrimination systémique. Comme par ailleurs les auteurs disent voir «un processus d'intégration sociale» et notamment la progression de la sécularisation, ils en déduisent que les défauts d'intégration «sont à rechercher du côté de la société».
Selon l'enquête, les immigrés et leurs enfants se sentent majoritairement français mais se jugent souvent rejetés. Comment analysez-vous ce paradoxe?
Les auteurs opèrent un glissement entre «se sentent Français» et «adhérent massivement à l'identité française», question qui n'était pas posée dans l'enquête. Ils disent se sentir français. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela peut vouloir dire qu'il faut les prendre tels qu'ils sont et qu'ils n'ont rien d'autre à faire pour se sentir français que de vivre à leur manière en France. À mon avis, le glissement opéré ici rend bien compte de la doctrine actuelle, qui a répudié toute idée d'assimilation et vide l'idée d'identité française de tout contenu spécifique. Cette doctrine a été développée dans différents rapports visant à rénover la politique d'intégration remis à M. Ayrault lorsqu'il était premier ministre.
On visait la simple inclusion des nouveaux venus tels qu'ils sont, ce qui nécessitait une transformation de la société tout entière pour qu'elle n'y soit pas rétive. L'assimilation a été abandonnée par les élites politiques, culturelles, médiatiques… de ce pays. Elle l'a été aussi dans les faits car elle nécessite l'adhésion du corps social dans son entier, élites comprises. Les prosélytes de leur propre nation, nécessaires à l'assimilation, selon la jolie formule de Paul Collier, se font rares.
Dans le domaine de l'identité religieuse, l'enquête conclut à une sécularisation progressive au fil des générations. Faites-vous le même constat?
L'affirmation générale selon laquelle la sécularisation des descendants d'immigrés progresse «comme dans la population majoritaire» est trompeuse. C'est chez les enfants d'immigrés européens que la sécularisation a eu tendance à progresser. Ce n'est pas vrai des populations originaires d'Afrique sahélienne, du Maghreb ou de Turquie. Entre 1992 et 2008, la part d'enfants de parents immigrés d'Algérie âgés de 20 à 29 ans qui se déclarent sans religion s'est effondrée: elle est passée de 30 % à 14 %. La transmission de l'islam s'est considérablement accrue, laquelle se trouve renforcée par une endogamie religieuse. On peut parler de désécularisation et les mariages mixtes sont appelés à régresser avec la désécularisation.
L'éternel débat sur l'autorisation des statistiques ethniques peut-il s'apaiser?
La France, comme la plupart des pays européens d'immigration, a progressé vers l'enregistrement des origines ethniques par filiation en recueillant le pays et la nationalité de naissance des parents dans les grandes enquêtes de l'Insee. Ces données sont essentielles pour mesurer le phénomène migratoire dans sa dimension temporelle. Il reste à les introduire dans les enquêtes annuelles de recensement de l'Insee, ce que la Cnil autorise depuis 2007. Vu l'importance prise par l'immigration étrangère en Europe, on ne peut se bander les yeux. Nos voisins l'ont bien compris. La connaissance n'est pas dangereuse.
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«Chaos migratoire» : l'analyse sans concession d'un groupe de hauts fonctionnaires (14.10.2015)
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le groupe de hauts fonctionnaires Plessis propose des solutions concrètes à la crise des migrants.
Plessis est le pseudonyme d'un groupe de hauts fonctionnaires.
La crise migratoire qui se déroule sous nos yeux, pour spectaculaire qu'elle soit, n'est que la manifestation renouvelée de l'incapacité de nos gouvernants à mettre en œuvre et assumer des politiques de maîtrise durable des flux de population qui franchissent nos frontières. Pourtant, il n'y a pas de fatalité en la matière.
Cette impuissance, assortie d'un discours médiatique moralisateur, est en décalage croissant avec les aspirations de la population qui, en butte aux désordres causés par une immigration incontrôlée depuis plusieurs décennies et inquiète des menaces terroristes, recherche protection et sécurité. Il est d'ailleurs frappant de constater que le formidable battage médiatique actuel, qui confine au harcèlement, ne convainc plus guère les Français.
L'accueil des migrants: un irresponsable appel d'air
Le phénomène migratoire, qui s'est accéléré avec l'effondrement des Etats libyen et syrien, va encore s'amplifier à la suite du formidable appel d'air que constitue l'accueil, nolens volens, de centaines de milliers de nouveaux migrants en Europe occidentale. Les déclarations du gouvernement, qui évoque l'accueil «provisoire» de seulement 24 000 «réfugiés» alors même qu'aucun contrôle transfrontalier des flux n'est possible et que les retours sont bien improbables, n'ont pour seul mérite que de confirmer l'adage selon lequel, lorsque les événements vous échappent, il faut feindre d'en être l'organisateur. En l'état actuel des choses, il est bien évident que le Gouvernement n'a ni la volonté, ni surtout les moyens, de contrôler efficacement nos 3 000 km de frontières terrestres métropolitaines, sans parler des frontières maritimes.
Une générosité de façade
La générosité affichée par nos dirigeants, et par nombre de dirigeants européens, n'est que le masque de l'impuissance. Derrière cette façade, on enrichit des trafiquants impitoyables (la traite des êtres humains rapporterait désormais plus que le trafic de drogue), on pousse des malheureux à prendre des risques insensés sur des embarcations de fortune ; on valide la stratégie de Daech de purification ethnico-religieuse, sans parler de la déstabilisation sans doute volontaire de l'Occident par l'arrivée en masse de populations de culture musulmane, sans même parler des probabilités d'infiltration d'éléments terroristes. Ajoutons que l'on vide les pays du Sud de leurs éléments les plus qualifiés et les plus dynamiques. Avec bonne conscience, les dirigeants européens se livrent à une véritable spoliation de l'avenir de ces pays, tout en imposant à leurs propres peuples de se perdre dans une bien aventureuse «dilution dans l'universel», pour reprendre l'expression d'Aimé Césaire.
«Rien n'est meurtrier comme la lâcheté ; rien n'est humain comme la fermeté.» écrivait Charles Péguy. Face aux menaces actuelles qui engagent notre responsabilité collective vis-à-vis des générations futures, il est temps d'être humains et fermes.
Une action ferme pour résoudre la crise de l'asile
Résoudre la crise de l'asile, c'est d'abord s'attaquer aux causes et définir une stratégie claire au Proche-Orient, conforme à nos intérêts : un rapprochement avec l'Iran, une concertation avec la Russie, une politique plus pragmatique à l'égard du régime de Damas.
S'agissant de populations déplacées par la guerre, la priorité est d'aider matériellement ces populations au plus près de leur pays d'origine, les pays d'accueil, en particulier le Liban, et les organisations humanitaires. Au moment même où les migrants syriens sont au cœur de l'actualité, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ne disposent pas des moyens nécessaires pour héberger et nourrir les déplacés. Il est aussi inacceptable que des pays proches, qui ne sont pas pour rien dans la guerre civile syrienne, et qui ne manquent pas d'abondantes liquidités, le Qatar ou l'Arabie saoudite, se montrent si peu accueillants.
On s'étonnera aussi du rôle joué par la Turquie qui n'aide guère l'Europe.
Lutter contre les réseaux de passeurs et délocaliser la demande d'asile
La deuxième priorité est de s'attaquer à l'économie même des passeurs. A cet égard, l'exemple australien est éloquent : aucune arrivée illégale par bateau n'est tolérée, les bateaux sont raccompagnés soit vers leur lieu de départ, soit vers des centres de rétention extraterritoriaux, mis à disposition par des pays riverains et où les demandes d'asiles sont traitées. Le résultat est sans appel : aucun mort en mer à déplorer depuis 18 mois.
S'agissant des demandes d'asile déposées en France, le dispositif actuel, largement détourné au profit d'une immigration économique ou sociale et dévoyé par des manœuvres dilatoires et des fraudes de toutes sortes, doit impérativement être revu au profit d'une procédure extrêmement rapide.
Il est parfaitement envisageable, pour l'Europe ou, à défaut, pour la France seule, de reproduire ce dispositif en concluant des accords (assortis d'une aide financière) avec des pays du Sud de la Méditerranée pour la création de ces centres. L'action de la Marine serait alors réorientée vers le raccompagnement des embarcations et de leurs passagers en direction de ces centres et vers la traque des passeurs qui est désormais un enjeu de sécurité nationale. Un dispositif européen similaire pourrait également être envisagé pour les demandeurs d'asile empruntant la route terrestre des Balkans. Ne seraient alors admises en France que les personnes s'étant effectivement vues octroyer le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève ou de la Constitution. Ce système aurait donc le mérite d'éviter d'introduire en France des demandeurs d'asile dont fort peu répondent aux critères (70 % de déboutés malgré une procédure très favorable aux demandeurs) mais qu'il est ensuite extrêmement difficile d'éloigner (moins de 5% des déboutés).
Recentrer l'asile au profit des rares authentiques réfugiés
S'agissant des demandes d'asile déposées en France, le dispositif actuel, largement détourné au profit d'une immigration économique ou sociale et dévoyé par des manœuvres dilatoires et des fraudes de toutes sortes, doit impérativement être revu au profit d'une procédure extrêmement rapide, non créatrice de droit, sous contrôle étroit des autorités et suivie d'une expulsion rapide des déboutés, sans possibilité de solliciter, sinon dans le pays d'origine, un autre titre de séjour.
Un discours de vérité sur l'immigration
Cette crise d'une ampleur exceptionnelle appelle un retournement de paradigme qui passe par un changement de discours sur l'immigration. Il est temps d'admettre que, contrairement à certaines idées reçues, la France n'a pas besoin d'une immigration supplémentaire. Et si les beaux esprits le contestent, il n'est que de demander son avis au peuple de France par référendum. Notre taux de chômage élevé, l'immense besoin en formation de nos jeunes inactifs peu qualifiés montrent bien que le pays n'a aucunement besoin d'un apport extérieur de main-d'œuvre, à l'exception de quelques travailleurs particulièrement qualifiés.
Certains secteurs d'activité emploient massivement une main-d'œuvre étrangère, souvent illégale (BTP, restauration …). Mais est-ce à la collectivité d'assumer cette charge pour que ces entreprises emploient à moindres frais?
L'immigration a d'ailleurs un coût : poids croissant sur le système de santé, sur la protection sociale, sur la politique de logement, sur les établissements scolaires, sans parler des déséquilibres sociaux, ethniques et culturels qu'elle provoque sur de nombreux territoires. Mais le coût principal de cette immigration non choisie est probablement la défiance qu'elle fait naître entre un peuple de France inquiet pour son identité et ses dirigeants qui y semblent indifférents.
La France peut bien sûr accueillir des personnes par souci d'humanité ou parce qu'elles manifestent un attachement sincère à notre pays, mais il s'agit bien là d'une faveur et non d'un droit, d'un choix et non d'une obligation.
Une politique migratoire souveraine
- Pour un contrôle démocratique sur la politique d'immigration: remettre au cœur de nos politiques la souveraineté nationale devrait conduire à fixer un quota annuel, voté par le Parlement, en fonction des besoins et des capacités d'accueil du pays. Le principe d'un tel vote devra être solennellement inscrit dans la Constitution, par voie de référendum. Sa mise en œuvre impliquerait un changement radical dans les pratiques de l'administration qui devrait, sous contrainte, mener une politique active de sélection et de priorisation des candidats.
- Simplifier le droit des étrangers: le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devrait être considérablement simplifié (plus de 1 000 pages en édition courante!), les délais et nombre de recours drastiquement réduits.
- Inciter au départ les étrangers inactifs légalement présents dont il faut rappeler qu'ils n'ont pas nécessairement vocation à rester sur notre territoire. Ainsi les allocations auxquelles ils ont droit (chômage notamment) pourraient-elles leur être versées dans leur pays : une chance de réinsertion leur serait ainsi donnée ; le poids sur nos services sociaux en serait allégé et ces fonds contribueraient au développement des pays d'origine.
- Faciliter l'éloignement forcé: en 2014, les vrais éloignements, c'est-à-dire les éloignements forcés hors de l'espace Schengen, n'ont concerné que 6 500 étrangers, chiffre dérisoire au regard des enjeux de l'immigration clandestine. Une simplification drastique des procédures et des recours est nécessaire. De même, tout statut doit être refusé aux étrangers en situation irrégulière. Cela passe par la suppression de l'AME et du droit à une scolarisation en milieu ordinaire: les enfants, qui ont d'ailleurs le plus souvent besoin d'un parcours spécifique, seraient pris en charge dans des structures ad hoc, dans l'attente d'un éloignement. Cela passe aussi par un enregistrement sérieux des entrées et des sorties des étrangers afin de rechercher, pour contrôle et expulsion, ceux restant illégalement sur le territoire.
- Réviser en profondeur l'accord de Schengen afin de permettre un contrôle réel de l'immigration irrégulière aux frontières nationales: le contrôle aux frontières de l'espace Schengen est un leurre. Sans doute faut-il fixer un principe: franchir illégalement les frontières de l'Union ne crée aucun droit.
Sans doute aussi faut-il passer à un système à deux niveaux, c'est-à-dire tout à la fois revenir à un contrôle ciblé mais durable des frontières nationales, qui passe par la constitution d'un véritable corps de garde-frontières, et qui permettra également de faire face aux vastes mouvements de populations intra-communautaires en provenance de Roumanie et de Bulgarie, et commencer à construire un véritable dispositif collectif de contrôle des frontières extérieures.
Dans cette attente, doivent être envisagées par la France une mise en œuvre des clauses de sauvegarde prévues par la convention, et sans doute une sortie temporaire du système. Contrairement à ce qui est parfois affirmé, l'expérience hongroise montre que le contrôle des frontières nationales, lorsqu'il est au service d'une politique volontaire, reste un moyen très efficace pour enrayer les flux migratoires clandestins.
- Sortir de l'angélisme dans la coopération avec les pays d'origine: il n'est pas de contrôle efficace de l'immigration à moyen terme sans une coopération bien comprise avec les pays d'origine que l'on doit inciter à s'engager contre les filières de trafic d'êtres humains, engagement auquel devraient être strictement conditionnées les aides bilatérales et européennes. L'immigration est aussi un drame du désespoir et du déracinement. Il est de la responsabilité des nations européennes d'aider aussi ces pays à trouver la voie d'un développement économique et social qui permettent à leurs populations d'envisager un avenir sur place.
-Enfin, briser l'outil d'encouragement aux migrations non maîtrisées que représente l'espoir de régularisation. D'exceptionnelles, les régularisations sont devenues, notamment sous la pression d'associations, une modalité banale d'admission au séjour en France et constituent un puissant incitatif à l'entrée et au séjour irréguliers. Dès lors, pourquoi ne pas inscrire dans la Constitution, via un référendum, que les régularisations d'étrangers en situation irrégulière sont interdites?
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L'immigration, otage des idéologies et des calculs politiciens (22.07.2015)
Publié le 22/07/2015 à 18:00
FIGAROVOX/TRIBUNE - Maxime Tandonnet déplore que le sujet central de l'immigration soit systématiquement abordé sur le mode de la polémique et de la lutte idéologique.
Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.
Un sondage CEVIPOF de février 2015 souligne que 69% pensent «qu'il y a trop d'immigrés en France». Cette enquête, parmi d'autres du même genre, ne signifie en aucun cas que les deux tiers des Français seraient hostiles aux étrangers. Elle est le résultat d'un sentiment largement partagé que le sujet de la politique migratoire, de décennie en décennie, depuis au moins une quarantaine d'années, n'est pas correctement traité et que l'Etat ne remplit pas sa mission dans la maîtrise des frontières. L'immigration donne le sentiment d'être pris en otage des idéologies et exploitations électoralistes au détriment du bien commun, et pas seulement par l'extrême droite qui en a fait ses choux gras depuis longtemps.
La droite a parfois la tentation de jouer sur les passions et la communication, en annonçant des mesures qu'elle ne met pas en oeuvre. Elle brandit des slogans comme des talismans, censés régler les difficultés: «quotas», «droit du sol», Schengen... Les mots, les phrases chocs, devraient ainsi compenser les difficultés et les obstacles rencontrés lors de ses passages au pouvoir, qu'elle n'est pas parvenue à surmonter. Elle se trompe en affirmant que les «droits sociaux» sont le facteur d'appel d'air essentiel. En réalité, les migrants viennent en Europe, non pour «toucher des allocations familiales», mais souvent poussés à risquer leur vie par des filières esclavagistes, dans l'espoir d'un travail, même illégal, qui leur permettra de multiplier par dix ou vingt leur revenu...
A gauche, la vision dominante est plus complexe. L'angélisme est en toile de fond : «l'immigration fait avancer l'humanité», comme disait Kofi Annan, elle est par définition, par dogme, par religion, «une chance pour la France» selon le titre du livre de Bernard Stasi. L'immigration est devenue une sorte d'ersatz de la la lutte des classes et de la marche vers un monde meilleur, sans frontières, d'égalité, de fraternité et de générosité. Cette image imprègne les think tanks de gauche qui voient dans les populations issues de l'immigration un nouvel électorat privilégié au détriment de la classe ouvrière. Cependant, il faut bien tenir compte de ce qui reste de l'électorat «populaire». Dès lors, sa vision de l'immigration sombre dans une étrange contradiction qui associe, depuis 1990, un vague et ponctuel discours de fermeté en surface et en profondeur, le déni du monde réel.
Le sommet de l'irresponsabilité, à droite, au centre comme à gauche, est de botter en touche et de s'en remettre à une «Europe» qui ne dispose pas elle non plus de solutions magiques, de par son ampleur géographique, ses différences de sensibilités, son mode de fonctionnement. Se défausser sur «l'Europe» en matière d'immigration n'aboutit qu'à lui faire porter le chapeau des défaillances des Etats face à un sujet aussi sensible.
Qui parle sérieusement de l'immigration dans ce pays? Il faut remonter au rapport de la Cour des Comptes de novembre 2004 sur l'accueil et l'intégration des étrangers en France, inspiré par Philippe Séguin, pour trouver un discours cohérent sur le sujet. Le rapport dénonce une profonde hypocrisie française qui consiste à laisser entrer sur le territoire des millions de personnes sur plusieurs années, sous couvert d'une bonne conscience généreuse et ouverte, sans disposer des moyens d'assurer leur accueil et leur intégration, notamment par le travail, dans une société dévastée par la crise de d'emploi, les carences dramatiques de logement et de gigantesques déficits publics. Une partie des nouveaux arrivants est ainsi reléguée dans l'exclusion, le chômage massif, l'échec scolaire, la pauvreté et les frustrations. Ce phénomène est à l'origine du drame de la ghettoïsation et de tensions explosives dans les cités dites sensibles que la société bien pensante, privilégiée, à l'abri des murs séparant «beaux quartiers» et banlieues populaires et aveuglée par sa bonne conscience, se refuse de regarder en face.
Dans une situation honnête et disons normale, débarrassée de ses oripeaux idéologiques ou politiciens, l'immigration devrait transcender le clivage droite/gauche et le petit jeu nuisible qui consiste à défaire, par idéologie et clientélisme, ce que les autres ont fait auparavant. Certes, les remèdes miracles n'existent pas en dehors des slogans mais de nombreuses mesures pragmatiques seraient de nature à améliorer la situation de l'immigration : s'inspirer des modèles allemand et britannique pour l'immigration familiale, exiger des demandeurs d'asile un véritable motif de persécution, éviter, en amont, les embarquements des migrants illégaux, assurer les reconduites à la frontière effectives des étrangers en situation irrégulière ou ayant commis des infractions graves, durcir la répression des filières criminelles et patrons employant des travailleurs clandestins, mobiliser l'aide au développement sur les créations d'emploi dans les pays d'origine, conditionner l'immigration durable en France à l'existence d'un travail et d'un logement, et en contrepartie, se donner les moyens d'accueillir dignement ceux que la France décide de recevoir sur son territoire.
Tant que l'immigration restera l'otage des idéologies et des calculs politiciens, rien ne bougera vraiment et le clivage entre l'opinion publique et «les élites dirigeantes ou médiatiques» que reflète le sondage indiqué ci-dessus, ne cessera de se creuser.
A long terme, si l'on continue dans la même voie, le risque est de deux ordres. Soit la négation subreptice et la disparition de la démocratie, à force de faire taire par le mépris un peuple «mal pensant». Soit l'arrivée au pouvoir en Europe de régimes autoritaires, nationalistes ou extrémistes qui s'en prendraient eux aussi à la démocratie et aux libertés. Une prise de conscience est désormais urgente...
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L'Union européenne et la crise de l'immigration en Méditerranée : le bal des hypocrites (23.04.2015)
Mis à jour le 23/04/2015 à 08:33
L'Union européenne et la crise de l'immigration en Méditerranée : le bal des hypocrites
Crédits photo : Carmelo Imbesi/AP
FIGAROVOX/ANALYSE - Henri Labayle dénonce le double langage et l'inconsistance de l'Union européenne face au drame de l'immigration.
Henri Labayle est professeur agrégé des facultés de droit françaises, en poste à la faculté de Bayonne, à l'université de Pau. Il dirige le CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en matière de droits fondamentaux, d'immigration et de sécurité intérieure. Il est également membre du réseau Odysseus et directeur du GDR «Droit de l'espace de liberté, sécurité, justice».
Rien ne change. Les minutes de silence au sein des institutions européennes ne se comptent plus face à la litanie des morts et des disparus lancés en Méditerranée.
Comme il y a près de vingt ans à Douvres devant les cadavres de 54 clandestins chinois, les États membres et les institutions de l'Union promettent que cette fois-ci est la dernière, qu'enfin des mesures efficaces seront prises pour faire face à l'inacceptable: des centaines de morts en quelques semaines, des milliers à venir en quelques mois si l'indifférence persiste. Faute de reconnaître son échec, l'Europe est incapable de changer d'approche en affrontant autrement la réalité. Au bal des hypocrites, le carnet de chacun est donc bien rempli.
Le double langage des États membres
L'environnement de l'Union est devenu extrêmement dangereux, troublé par une multitude de conflits. Graves autant que nouveaux, ils engendrent des mouvements de personnes quasiment impossibles à réguler, pour partie imputables d'ailleurs à l'imprudence des interventions militaires occidentales, en Irak ou en Libye.
Les populations persécutées par Daech comme par Bachar El Assad appellent la protection autant que celles fuyant la guerre en Erythrée, lorsqu'elles se jettent dans l'exode. Quoi que les politiciens prétendent aux opinions publiques nationales, cette protection leur est due et l'Union européenne n'en est pas la cause. Nous l'avions décidée bien avant, inscrite dès 1946 dans notre constitution et dans la Convention de Genève comme nos voisins depuis 1951. Notre indifférence contemporaine à la misère humaine ne peut occulter un choix qui est partie intégrante de nos valeurs. Les dévoiements tout aussi indiscutables du droit d'asile ne peuvent le masquer. N'est pas australien qui veut.
Quelle est l'attitude individuelle comme collective des États européens devant ce constat? Une fuite devant leurs responsabilités et le refus de tirer les conséquences de leur impuissance matérielle et budgétaire à garantir isolément leurs frontières respectives. Ceux qui proclament le contraire en réclamant leur rétablissement ont-ils oublié l'échouage d'un cargo turc transportant des immigrants kurdes sur une plage corse et imaginent-ils ce qu'il adviendrait demain d'une vague semblable à celle de la Sicile?
Ce refus s'est traduit d'abord, en Méditerranée. Sous couvert de soulager l'Italie qui avait lancé à grands frais l'opération de sauvetage «Mare nostrum» après une première catastrophe, les États membres lui ont substitué l'opération conjointe «Triton». Elle a divisé les coûts par trois et couvert une zone moindre, aux seules fins de surveillance de la frontière commune. Les 4 avions et 21 bateaux alloués par une vingtaine d'États, dont certains ne sont pas membres de l'Union, illustre bien le peu d'enthousiasme étatique à défendre la frontière commune avec Frontex, noté d'ailleurs par le Sénat …
L'opération n'illustre d'ailleurs pas les clichés habituels. Si la Roumanie (tenue à l'écart de Schengen) ou la Slovénie et la Lettonie répondent présentes, tel n'est pas le cas de la Hongrie, pourtant consommatrice de crédits de l'Union dans ce registre, ou de l'Irlande et du Royaume Uni. Certes, le refus de ces derniers de participer à l'espace Schengen est connu mais on sait tout autant qu'une partie importante de ces demandeurs de protection se retrouvera en fin de compte à Calais, dans l'espoir d'un passage … En attendant, c'est un navire islandais, le Tyr, qui est au rendez vous du canal de Sicile.
Passé les mots de l'émotion, le cynisme l'emporte donc largement. L'opposition à Mare Nostrum était ouvertement menée au moyen d'un argument glaçant de réalisme: sécuriser le passage en sauvant les naufragés serait un appel d'air au commerce des passeurs…
Les attitudes individuelles ne sont guère plus glorieuses. Les envolées françaises sur le droit d'asile, tradition de notre pays, et les déclarations martiales du chef de l'État appelant à régler des «questions devenues insupportables» ne dissimulent pas le double langage.
Celui par exemple des résistances de la diplomatie française lorsqu'il fallut, en 2014, réglementer le cadre de la surveillance des frontières maritimes extérieures conformément aux grands principes. Pas davantage que n'est infirmé le bien fondé des remarques de la Cour des comptes et du Sénat sur le projet en discussion relatif au droit d'asile qui prétend faire mieux en n'octroyant aucun moyen nouveau.
D'autant que le couplet habituel sur une France «terre d'asile» appelle modestie: quatrième État européen à enregistrer des demandes d'asile (62.000), nous sommes devancés par l'Allemagne (plus de 200.000), la Suède et l'Italie, en 2014. Et pour ce qui est de leur acceptation, nous ne dépassons pas 15.000 dossiers … trois fois moins que l‘Allemagne, autant que les Pays Bas qui sont bien moins sollicités, 20% qui se situent largement au-dessous de la moyenne européenne.
C'est bien là que le bât blesse: comment l'Union européenne peut-elle sérieusement prétendre à une solidarité quelconque quand l'essentiel de la pression pèse sur un dixième de ses membres, 3 États seulement ? Que font les autres ?
L'inconsistance de l'Union européenne
Elle n'est que le prolongement de la volonté de ses maîtres, les États. Mais il ne faut pas se tromper de cible. Ce n'est pas l'Union qui transforme la Méditerranée en «vaste cimetière» comme le prétend le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme. Ce sont les assassins de Daech, les soldats syriens et les passeurs de toutes nationalités qui redonnent une actualité contemporaine au trafic d'esclaves.
L'Union européenne, ici, compose avec l'impuissance individuelle de ses membres et leur aveuglement à ne pas s'engager plus avant dans la gestion commune d'un défi majeur, bien au delà du pauvre mémorandum en 10 points établis par le Conseil des ministres. Doubler l'appui financier accordé à Frontex établira-t-il un barème morbide de l'action européenne, évaluée au cadavre? Combien en faudra-t-il encore pour aller de l'avant?
Agir au plan extérieur, d'abord, est impératif. En soutien financier évidemment des pays limitrophes des foyers de violence, à l'appui des pays de transit notamment et y compris au moyen de programmes de réinstallation de réfugiés vers les États membres de l'Union européenne. Tout ou quasiment reste à faire. Le coût budgétaire de l'immigration mal régulée, pour chaque État membre, ne justifie-t-il pas cet effort? Quand assimilera-t-on le fait qu'empêcher le départ, au besoin avec des incitations financières, est toujours plus simple que d'obtenir un retour hypothétique?
Agir aussi contre le crime, ceux des passeurs qui trouvent un théâtre d'opération dans une Libye désertée par son État et que Daech menace désormais d'investir en lançant sur la mer des milliers de réfugiés. Comme hier au large de la Somalie à propos de la piraterie que l'opération Atalanta avait mis à mal, l'Union doit accepter ici de se vivre comme une puissance, ce que nombre de ses membres refusent encore. Si d'aventure, la France n'était pas intervenue au Mali et ne soutenait pas les efforts des pays africains contre Boko Haram, quelle serait la situation migratoire aujourd'hui, au Sud de la Méditerranée ?
En l'espèce, bien loin d'une intervention en bonne et due forme, trop risquée, ou même d'un blocus des côtes libyennes, c'est sans doute de l'usage de la force contre les trafiquants qu'il sera question désormais, comme hier à propos de la piraterie. On le devine dans le mémorandum des ministres.
Au plan interne, remédier aux carences de la solidarité entre les États membres et faire face aux besoins des demandeurs de protection est maintenant une nécessité à laquelle il est douteux que les États se résolvent, malgré son évidence. La preuve est faite que l'attitude de fermeture prévalant jusqu'ici n'empêche rien et l'accueil des demandeurs de protection est un devoir pour l'Union, on l'a dit. Répartie sur l'ensemble des Etats, rapportée aux 500 millions d'habitants de l'UE, cette charge de quelques dizaines de milliers de demandeurs n'est pas insupportable si elle est gérée équitablement et rigoureusement de manière à éviter le fameux «appel d'air».
Étudier, comme l'Italie l'envisage, la possibilité d'employer ici la «protection à titre temporaire» en cas «d'afflux massif de personnes déplacées» que l'on a créée à la suite des guerres de Yougoslavie et du Kosovo mérite l'attention. Déjà évoquée à propos de la crise syrienne, le jeu de cette législation aurait pour principal mérite de soulager la pression qui s'exerce sur les pays limitrophes en ouvrant la voie à un partage de la charge au sein de l'Union.
Derrière en effet, un programme de réinstallation d'urgence devrait être envisagé malgré le blocage évident qu'il suscite chez les États. Il imposerait à l'immense majorité d'entre eux de s'impliquer. Une répartition des bénéficiaires identifiés entre les États membres contraindrait l'Union à donner enfin une réalité au principe de la répartition des charges et au principe de solidarité inscrit dans les traités. Mais en connaît-elle seulement le sens ?
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Naufrage de 800 migrants: le scénario de la catastrophe se dessine
Immigration en Méditerranée : que peut-on vraiment faire ? (20.04.2015)
FIGAROVOX/CHRONIQUE- Ancien conseiller au ministère de l'Intérieur puis à l'Elysée sur l'immigration, Maxime Tandonnet revient sur les tragédies qui se succèdent au large de la Méditerranée.
Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est haut fonctionnaire, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République et auteur de nombreux ouvrages, dont Au coeur du Volcan, Flammarion, 2014. Il tient un blog.
800 migrants embarqués sur les plages libyennes en direction de l'Italie seraient morts noyés dans la nuit du 19 avril. Face à ce drame humanitaire, l'Europe est totalement désemparée. Il est question de l'arrivée de 10 000 personnes en une semaine sur les îles italiennes, en particulier Lampedusa et d'un millier de morts depuis le début de l'année. Les arrivées par la voie maritime sont emblématiques et spectaculaires, mais ne reflètent sans doute qu'une minorité des migrations irrégulières en Europe.
Cette situation soulève la question des filières d'immigration illégale. Le rapport annuel d'Europol de 2004 souligne que «l'opération complexe consistant à déplacer entre divers pays des groupes humains importants demande un niveau d'organisation et de perfectionnement que seul le crime organisé peut atteindre». Initié par des groupes criminels, le trafic de migrants prend la forme de réseaux aux ramifications multiples dans le monde entier (agences de voyages, associations, entreprises, et même certaines administrations ou ambassades). Il est facilité par la corruption et les trafics de faux documents. Le revenu global de cette activité est évalué à 40 milliards de dollar chaque année (Rapport United Nations, drugs and crime 2013). Les victimes de ce trafic sont des personnes qui ne sont pas forcément les plus déshéritées, mais qui, sous l'influence des passeurs qui leur ont promis l'Eldorado, ont vendu leurs biens ou se sont lourdement endettés pour financer un voyage entre 20 000 euros pour les destinations les plus lointaines et 5 000 pour la seule traversée de la Méditerranée.
Des nombreux signes montrent l'inquiétude des Européens face à ces phénomènes. L'Europe est un continent ouvert, qui n'a rien d'une forteresse et accueille officiellement, régulièrement, environ 1,4 millions de migrants extra-européens chaque année (rapport Sopemi). 20 millions d'étrangers non européens vivent dans ses Etats-membres (Eurostat). Cependant, ses capacités d'accueil sur le marché du travail, le logement, les services publics sont limitées. L'afflux d'immigrants illégaux inquiète les populations européennes comme le soulignent tous les sondages d'opinion. Elles s'interrogent sur les difficultés des Etats à combattre ces phénomènes, et sur le risque d'une déstabilisation des modèles politiques, économiques et sociaux de l'Europe liée à des arrivées excédant les capacités d'accueil et d'intégration du continent, notamment sur son marché du travail ou du logement. La montée des votes protestataires dans toute l'Europe en est la conséquence dramatique. Une ouverture totale des frontières, dans un contexte de misère, de désœuvrement, de guerres et de dictatures qui poussent des milliers de personnes à vouloir quitter à tout prix leur pays, provoquerait sans doute une catastrophe politique sur le continent.
Que peut-on faire? La suppression pure et simple de la libre circulation en Europe (Schengen) ne réglerait probablement rien. Laisser l'Italie seule face à la catastrophe humanitaire en l'enfermant dans des frontières étanches n'apporterait aucune solution à terme : d'abord, elle est une nation soeur de la France dont l'histoire se confond avec la sienne, et ensuite, rien ne pourrait empêcher les populations migrantes accumulées dans ce pays de se répandre tôt ou tard en Europe. Nous voyons bien qu'il est quasiment impossible de bloquer totalement les passages vers la Grande Bretagne qui n'appartient pas à l'espace de libre circulation. L'alternative la plus souvent invoquée, consistant à créer un «corps de gardes-frontières européens» est un autre leurre, un éternel serpent de mer destiné à détourner l'attention des vrais problèmes. Il est totalement utopique de songer à recruter les centaines de milliers de fonctionnaires européens nécessaires pour contrôler les 90 000 kilomètres de frontières communes et à les diriger depuis Bruxelles au prix d'une gigantesque et sans doute inefficace bureaucratie.
L'Europe a créé au début des années 2000 une structure européenne commune, dite Frontex, siégeant à Varsovie, qui est chargée de coordonner les moyens de surveillance des côtes européennes en organisant des patrouilles maritimes et aériennes avec les moyens militaires et civils des Etats européens. Elle n'a pas répondu à toutes les attentes placée en elle. En l'absence d'accord avec les pays d'embarquement, les navires qui interviennent sous le label Frontex ne peuvent pas ramener les migrants interceptés sur le lieu de leur départ. Ils les débarquent sur les côtes italiennes. Frontex est devenu un outil essentiel et indispensable de sauvetage de vies humaines mais dont l'impact sur la lutte contre l'immigration illégale est limité. Une fois les personnes arrivées sur le sol italien, leur retour dans le pays d'origine est une opération complexe à mettre en oeuvre, notamment en raison de la difficulté à connaître leur identité et pays d'origine. Cette impuissance de l'Europe ne fait qu'encourager les trafics.
Faute de solution miracle, les moyens d'actions concrets pour relever ce défi, sur la base d'expériences réussies, ne manquent pas et n'attendent que la volonté politique... Un accord entre l'Espagne et le Sénégal pour lutter contre les embarquements sauvages a permis en 2006 de mettre fin au dramatique afflux de dizaines de milliers de migrants africains dans les îles Canaries qui provoquait un grand nombre de noyades chaque année. Toute amélioration de la situation en Méditerranée passe par la stabilisation politique de sa rive Sud, notamment la Libye, sans laquelle rien n'est envisageable. En matière de maîtrise de l'immigration, l'action internationale, en amont, est la clé de la réussite. C'est avant le départ qu'il faut intervenir. L'Europe, avec ses Etats, doit engager un effort massif de développement économique et social des pays qui l'entourent et en faveur de leur stabilisation. La coopération est la clé de voûte de toute action en profondeur. De cette priorité absolue dépend l'avenir de l'Europe. La mobilité, la circulation des personnes dans le cadre de visas à entrée multiples doit être favorisée pour éviter que les mouvements de populations s'effectuent dans un cadre illégal.
Enfin, le trafic des personnes humaines et de migrants doit être considéré comme un crime d'esclavagisme, réprimé bien plus sévèrement qu'il ne l'est aujourd'hui, et faire l'objet d'une traque internationale sans répit au même titre que le trafic de drogue et le terrorisme.
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Guillaume Larrivé : «Valls ne prend aucune décision structurelle»
Guillaume Larrivé: «Valls ne prend aucune décision
structurelle» (02.04.2015)
Par Charles Jaigu Mis
à jour le 02/04/2015 à 22:57 Publié le 02/04/2015 à 18:32
INTERVIEW - Le Député Guillaume Larrivé est l'un des
spécialistes des questions migratoires à l'UMP.
LE FIGARO. - Le gouvernement durcit le contrôle migratoire.
Que pensez-vous de cette évolution?
Guillaume LARRIVÉ. - Il faut regarder la réalité en face: la
gestion des flux migratoires est l'un des défis les plus difficiles à relever.
Mais autant la droite s'y était attelée, autant, depuis 2012, le gouvernement
laisse filer. L'année dernière, notre pays a officiellement, accueilli 207.870
immigrés légaux en 2014. Mais il faut y ajouter les 60.000 demandeurs d'asile
dont 80 % sont déboutés et se maintiennent illégalement sur le territoire
national.
Des directives aux ...
Michèle Tribalat : «Les politiques sont désemparés face à
l'immigration» (02.09.2014)
Par Wladimir Garcin
Publié le 02/09/2014 à 18:40
Policiers et immigrés clandestins à Calais, le 5 août.
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Interrogé sur la question migratoire,
Bernard Cazeneuve a répondu que «la France ne peut pas accueillir tout le
monde». Une déclaration qui sonne comme une prise de conscience bien tardive, pour
la démographe Michèle Tribalat.
Michèle Tribalat a mené des recherches sur les questions de
l'immigration en France, entendue au sens large, et aux problèmes liés à
l'intégration et à l'assimilation des immigrés et de leurs enfants. Son dernier
livre , «Assimilation : la fin du modèle français» est paru aux éditions du
Toucan.
FigaroVox: Bernard Cazeneuve, interrogé sur la question
migratoire, a répondu qu'il était «agacé par une gauche de posture, qui manque
de maturité et qui ne raisonne pas en termes d'efficacité. On peut brandir les
grands principes, mais la France ne peut pas accueillir tout le monde». En tant
que démographe, cette déclaration vous paraît-elle légitime?
Michèle TRIBALAT: Franchement, il n'est pas nécessaire
d'être démographe pour approuver une déclaration de bon sens. Le seul problème
réside ici dans le flou de l'expression «tout le monde». Le monde entier ne se
précipite pas à nos portes. On est donc conduit à comprendre que la France ne
peut pas accueillir tous ceux qui souhaitent y venir, ce qui suppose de dire
non à certains d'entre eux. Ce gouvernement, comme d'autres avant lui, doit
composer avec des contraintes contradictoires, dont une impatience et même une
hostilité de l'opinion publique vis-à-vis de l'immigration étrangère, aggravée
en temps de crise, et une mobilisation de politiques, d'intellectuels et
d'associations au nom des droits de l'homme.
Nos engagements en matière de droits de l'homme nous
obligent à accorder des droits étendus aux étrangers qui limitent grandement ce
que peuvent faire les gouvernements. Ces engagements réduisent la marge de
manœuvre des pays aussi bien dans que hors Schengen. En outre, bien des aspects
de la politique migratoire ont été communautarisés. La Cour de justice
européenne veille au respect des directives européennes que nous avons
acceptées. La prochaine loi sur l'immigration comporte d'ailleurs un volet sur
l'asile qui transpose des directives européennes de 2013.
L'immigration
étrangère étant désormais fondée sur des droits, toute volonté de la réduire
passe par le durcissement des conditions d'exercice de ces droits, sous la
surveillance des Cours de justice internes et européennes mais aussi des
associations mobilisées en faveur des droits de migrants. Le gouvernement
actuel du Royaume-Uni, hors Schengen et non soumis à la plupart des directives
européennes sur le sujet, s'est engagé à réduire considérablement
l'immigration, ce qu'il n'a pas réussi à faire. Pour l'instant, l'hostilité qui
accueille le plan européen proposé par Bernard Cazeneuve concerne surtout le
renforcement de Frontex. Attendons-nous à une fronde plus étendue quand
l'Assemblée nationale va débattre du prochain projet de loi sur l'entrée et le
séjour des étrangers. La mesure qui vise à introduire un titre de séjour d'une
durée intermédiaire entre la carte de résident de 10 ans et le titre de séjour
d'un an (ou le visa de long séjour valant titre de séjour d'un an) va se
trouver prise dans la contradiction évoquée plus haut : jugée laxiste et incitative
par une opinion publique exaspérée et probablement par la droite aussi et
conspuée par des politiques et des militants de gauche qui ne souhaitent pas,
même pour des raisons pragmatiques (accueil décent en préfecture et
désengorgement des files d'attente), que l'on revienne sur l'élimination des
titres de séjour de durée intermédiaire, consacrée par la loi de 1984.
Cette phrase fait écho à celle de Michel Rocard en 1989, qui
avait déclaré que «nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde».
Est-ce que depuis, la dynamique de l'immigration légale ou illégale s'est
inversée, est restée stable ou a progressé?
Pour ce qui est de l'immigration illégale, que nous ne
pouvons pas mesurer, elle serait à la hausse aux frontières maritimes grecques
et italiennes et à Ceuta et Melilla, d'après Frontex. Ces arrivées de
clandestins, pour spectaculaires qu'elles soient, ne sont pas la source
principale des séjours irréguliers en France ou même en Europe, lesquels
s'expliquent surtout par la poursuite du séjour après dépassement de la durée
de validité du visa ou du titre de séjour non renouvelé. En 1989, lorsque
Michel Rocard fait sa déclaration, nous sommes encore dans une période de
relative stagnation. La population immigrée ne s'accroît guère globalement,
même si la population d'origine européenne rend des points à celle qui ne l'est
pas. Les flux migratoires ne sont pas très élevés et la proportion d'immigrés
stagne. Cette stagnation, aura duré près d'un quart de siècle. Avec les années
2000, la France connaît un nouveau cycle migratoire. La proportion d'immigrés
s'accroît en moyenne annuelle comme durant les Trente Glorieuses et la crise
économique n'a pas vraiment d'effet sur une immigration peu connectée à la
conjoncture économique.
Cette tendance à la hausse ne concerne pas que la population
immigrée au sens strict. Entre 1999 et 2011, c'est-à-dire en 12 ans, la population
d'origine étrangère sur deux générations a augmenté de 2,4 millions (de 9,8
millions à 12,3 millions), dont un peu moins de la moitié seulement est
composée d'immigrés, les autres étant nés en France. 2,4 millions, cela
correspond à un taux d'accroissement de 25 % en douze ans. C'est plus, en
valeur absolue, que l'accroissement du reste de la population qui s'est fait,
sur la période, au rythme de 4,4 %.
Le poids démographique de l'immigration reste souvent un
impensé politique dont profite depuis 30 ans le Front National. Comment
expliquez-vous cet aveuglement?
L'impensé est facilité par le désordre statistique qui
favorise l'usage de tel ou tel indicateur, choisi en fonction de ses propres
partis pris.
Si vous voulez montrer l'inanité des inquiétudes des Français à l'égard
de l'immigration vous aurez recours au solde migratoire global de la France,
positif mais très faible parce que le départ de plus en plus massif de jeunes
Français masque, en partie, l'arrivée conséquente d'étrangers.
Vous pourrez
aussi avoir recours aux données fournies par l'Insee à Eurostat, que l'Insee
refuse d'ailleurs de diffuser en France parce qu'elles ne sont pas de bonne
qualité, mais qui sont néanmoins exigées par le règlement européen de 2007. Ces
données ont été corrigées récemment et semblent un peu moins farfelues que
celles affichées sur le site d'Eurostat il y a peu, mais ne sont toujours pas
satisfaisantes. Mettre en évidence le poids de l'immigration étrangère dans la
démographie française, c'est compliqué. Je viens d'actualiser, pour l'année
2011, une estimation déjà réalisée en 1999 sur l'apport démographique de
l'immigration depuis 1960 : 9,7 millions de personnes manqueraient à l'appel en
2011 sans cette immigration. C'est 3,4 millions de plus qu'en 1999. L'effet du
nouveau cycle migratoire des années 2000 y est très visible et explique, en
2010, près de la moitié des naissances dues à l'immigration depuis 1960.
L'aveuglement provient aussi de la volonté d'invalider les
perceptions communes et de ne pas braquer un peu plus une opinion publique déjà
remontée. Les politiques ont conscience de leur relative impuissance pour
infléchir la politique migratoire compte tenu du filet de contraintes dans
lequel ils se sont mis progressivement dans un contexte de mondialisation qui
favorise la circulation. Ils sont également sensibles au discours très en vogue
en Europe sur la nécessité d'une immigration massive pour contrer le déclin
démographique. Ce postulat n'est guère débattu alors qu'il devrait l'être,
notamment en France dont l'avenir démographique n'est pas aussi sombre que
celui de l'Allemagne.
Bernard Cazeneuve est en pleine tournée des capitales
européennes pour réclamer un renforcement des contrôles aux frontières de
l'Europe. Est-ce selon vous la bonne solution?
M. Cazeneuve est légitimement préoccupé par les flux
incontrôlés qui arrivent de la méditerranée et remontent jusque chez nous. Il
voudrait que Frontex soit plus efficace et prenne le relai de l'opération Mare
Nostrum qui a eu tendance, paradoxalement, en augmentant la surveillance en
mer, à encourager les traversées périlleuses et les trafics. Sauf à sortir de
Schengen ou à le renégocier, ce qui ne semble pas à l'ordre du jour, le
ministre français n'a d'autre alternative que de rencontrer ses collègues
européens pour tenter d'infléchir la politique européenne qui n'a guère
anticipé ce qui arrive, le budget de Frontex ayant même été réduit.