mercredi 12 juillet 2017

Excision




Après des mutilations sexuelles, réparer les corps et les âmes (08.07.2017)

Le chirurgien Pierre Foldès, inventeur de la première technique de réparation de l’excision, a opéré 6 000 femmes. Avec Frédérique Martz, il a ouvert un centre d’accueil pour les femmes victimes de violence.

Il arrive au rendez-vous en blouse et pantalon de chirurgien, sabots aux pieds, tout juste sorti du bloc opératoire. Dans l’univers feutré du centre, la carrure de demi de mêlée de Pierre Foldès ne passe pas inaperçue.

Son bureau de chirurgien est ailleurs, dans la clinique toute proche où il reçoit les futures opérées. “Ce centre, on l’a conçu tous les deux, mais c’est Frédérique qui en est la directrice”, dit l’urologue qui partage sa vie entre l’hôpital public de Saint-Germain-en-Laye (78), sa consultation privée en clinique et les formations qu’il dispense en France et en Afrique.

Aussi menue que lui est carré, Frédérique Martz assure l’accueil, elle est en train d’orienter une femme vers les aides dont elle a besoin : psychologue, assistant social, juriste… Ce matin, elles sont trois qui patientent dans le salon d’attente aux canapés blancs. Une infirmière retraitée sert le café.

« Le clitoris n’existait pas en médecine »

Frédérique Martz et Pierre Foldès se sont rencontrés en 2008, lors d’une conférence où le médecin était venu présenter la technique de réparation chirurgicale des mutilations sexuelles qu’il a inventée. Un sujet sensible et longtemps tabou malgré les soixante-cinq millions de femmes excisées dans le monde, dont beaucoup souffrent de douleurs toute leur vie, notamment lors des rapports sexuels.
Pierre Foldès était en mission humanitaire au Burkina Faso pour Médecins du monde quand une femme excisée dans l’enfance est venue consulter. « En osant braver sa famille pour me parler, cette femme a fait bouger les choses », raconte-t-il. Rentré en France, le chirurgien cherche des publications sur le clitoris. « Je n’ai rien trouvé. La médecine est centrée sur l’homme, on sait réparer la verge depuis presque deux siècles, mais le clitoris, lui, n’existait pas pour les médecins. C’était un organe nié. »

L’intervention qu’il a mise au point permet de reconstituer le clitoris, dont seule une petite partie est coupée lors d’une excision. L’essentiel, plus de dix centimètres, reste caché sous la peau. Validée par une étude publiée dans la revue The Lancet, la technique est désormais enseignée dans les facultés de chirurgie. Elle est aussi remboursée depuis 2004 par la Sécurité sociale en France, condition pour que toutes les femmes qui le souhaitent puissent y avoir recours.

Eviter la stigmatisation

Le médecin aurait pu se satisfaire d’un tel parcours. Mais il constate que « la chirurgie ne suffit pas toujours à résoudre les difficultés des femmes réparées », à restaurer leur confiance en elles et dans leurs corps.

« La souffrance est aussi morale, il manquait une prise en charge plus globale, j’assurais moi-même le suivi avec quelques correspondants, mais ce n’était pas suffisant. La somme de souffrances que racontent les patientes en consultation est inimaginable. Elles avaient besoin d’autre chose, d’écoute, de conseils, de temps . »

La rencontre avec Frédérique Martz est décisive. Elle cherche un nouveau départ après vingt-cinq ans chez un éditeur médical. C’est elle qui lui souffle l’idée d’un centre d’accueil pour toutes les femmes victimes de violences, pas seulement sexuelles. « Il fallait éviter la stigmatisation, l’excision est une violence parmi d’autres, explique-t-elle. Les femmes victimes, au-delà de la prise en charge physique, ont le même besoin qu’on les écoute et qu’on les accompagne dans leurs démarches juridiques. »
L’institut WomenSafe (qui s'appelait jusqu'ici "institut de santé génésique") a ouvert ses portes à Saint-Germain-en-Laye en janvier 2014, parrainé par l’humoriste Florence Foresti. Il a fallu convaincre, se faire reconnaître par les institutions, monter des dossiers de subvention. Financé par des fondations d’entreprise, le conseil régional d’Ile-de-France et la préfecture des Yvelines, il fonctionne avec une équipe de psychologues vacataires, des permanences d’autres associations et une vingtaine de bénévoles, médecins, avocats, infirmiers...

Depuis trois ans, le centre a reçu près d’un millier de femmes, dont 30 % consultent pour des douleurs liées à l’excision, qui se transmettent l’adresse par le bouche-à-oreille. Les autres sont en grande majorité victimes d’abus et de coups dans leur couple, et orientées là par les services de la préfecture, de la mairie ou de santé.

« On voit resurgir des mutilations qui avaient disparu »

Il y a comme un engagement militant, presque sacerdotal chez ces deux-là. « Ils sont complètement investis, on les sent habités, confirme Florence Foresti, qui les accompagne depuis quatre ans. Ils m’ont tout de suite proposé d’assister à une intervention, je ne regrette pas, cela permet de dépasser les tabous. On est tous révoltés par la souffrance, mais eux ont un supplément de passion qui leur donne l’énergie d’agir, on a besoin de gens comme ça. »

Dans le rapport annuel de l’association, la liste des violences faites aux femmes donne une idée des ressources illimitées de l’imagination humaine : « psychologiques, sexuelles, spirituelles, mariages forcés, excisions »..., n’en jetez plus. Frédérique Martz dit qu’elle se met « parfois en apnée face à tant de souffrances. C’est comme un torrent. On a l’impression de se battre contre plus fort que soi. »
Pierre Foldès, quarante ans de métier, se sent lui « comme en début de carrière, avec l’impression qu’il y a tellement à faire ». De ses années de French doctor, il a appris que « les femmes sont les premières victimes des crises. Avec les révolutions des printemps arabes, on voit resurgir des mutilations qui avaient disparu ».

Il y a des jours sombres, comme celui où une jeune fille est revenue au centre en larmes parce qu’elle avait été à nouveau excisée à son retour au pays. Une cousine avait vendu la mèche au père, qui voulait la remarier. Des jours heureux aussi. « Celles qui passent par le centre deviennent souvent des militantes, constate Frédérique Martz. Elles protègent leurs filles coûte que coûte. »
« S ’intéresser au sexe féminin expose à des menaces »

Astou (elle n’a pas souhaité que son nom soit cité), agente immobilière de 40 ans, ne fera pas exciser ses trois filles. Elle dit « ne pas en vouloir à [sa] mère », qui l’a fait mutiler lorsqu’elle avait 3 ans au Sénégal. « Réparée » en janvier, elle est venue cet après-midi participer à un groupe de parole au centre. « C’est important de pouvoir poser des questions, de raconter ce qu’on ressent, d’écouter les autres femmes qui ont été opérées. Ce clitoris, on ne sait pas ce que c’est, comment il fonctionne, on nous l’a enlevé, on découvre ça comme un enfant. »

De Pierre Foldès et Frédérique Martz, Astou dit qu’ « ils se complètent, c’est plus facile de poser certaines questions à une femme ». L’une de ses amies, opérée en 2010, n’a pas bénéficié d’accompagnement. « Elle a été perdue, elle pensait que l’opération suffisait. En fait, cela se travaille, dans le corps et la tête. »

Prochaine étape, la création d’un réseau international de centres, qui pourrait démarrer en Suisse, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. « Il faut peser les enjeux, ne pas risquer la vie des médecins ou des femmes opérées sur place, dit le chirurgien. Dans certains pays, le fait de s’intéresser au sexe féminin n’est pas bien vu, cela expose à des menaces. » Dans le couloir blanc où s’affichent photos et témoignages de femmes, on peut lire cette phrase près du comptoir d’accueil : « Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient. »

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