En France, le nombre de radicalisés a augmenté de 60 % en moins de deux ans (10.08.2017)
La drogue des djihadistes «est un mythe» (27.07.2017)
Trois parents de djihadistes français mis en examen pour «financement du terrorisme» (27..06.2017)
Les confessions d’un «faux prophète» repenti, radicalisé puis radicalisateur en prison (15.06.2017)
Attentat déjoué à Marseille : un duo singulier, des cibles précisées (15.06.2017)
Première saisie en France de Captagon, la « drogue du conflit syrien » (30.05.2017)
Déradicalisation : «Personne n'a trouvé LA bonne méthode» (13.09.2016)
Justice : un nouveau comité pour «penser» la déradicalisation (01.09.2016)
Laïcité : « Les maires financent déjà des mosquées et des écoles coraniques » (04.08.2016)
Déradicalisation : l'autorité à l'école et la fin du clientélisme, les deux vraies solutions (10.05.2016)
Un radicalisé repenti témoigne (05.05.2016)
Les différents visages de la radicalisation (02.02.2016)
La difficile lutte contre la radicalisation (05.01.2016)
Voir aussi :
Radicalisation salafiste
La politique de déradicalisation
Radicalisation dans les prisons
Radicalisation salafiste
La politique de déradicalisation
Radicalisation dans les prisons
Face à la multiplication des attentats djihadistes, quelles solutions durables pour les citoyens ? (26.05.2017)
La drogue des djihadistes «est un mythe» (27.07.2017)
En France, le nombre de radicalisés a augmenté de
60 % en moins de deux ans (10.08.2017)
Par Jean
Chichizola
Publié le 10/08/2017 à 20h24
Le fichier des
signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste
regroupe aujourd'hui 18.550 signalements.
L'attaque de
Levallois-Perret et l'agression avortée de la tour Eiffel inquiètent d'autant
plus les autorités qu'elles interviennent dans un contexte de progression
régulière du nombre d'individus radicalisés, comme le soulignait le 6 août
Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur. Ces
radicalisés sont recensés dans un outil dont l'existence a été révélée par Le Figaro , le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à
caractère terroriste (FSPRT), créé en mars 2015. Place Beauvau, on précise
qu'il rassemble aujourd'hui 18.550 signalements. Ce même fichier regroupait
11.400 cas au moment des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et
Saint-Denis. Soit une hausse de plus de 60 % en moins de deux ans. Le
fichier évolue constamment, des individus y étant inscrits et d'autres en
sortant selon une évaluation permanente des services de l'État.
Ce précieux outil est alimenté par trois sources : les
préfectures, le public et les services de police ou de gendarmerie
Aux informations
classiques (nom, lieu de résidence, casier judiciaire), cette base de données,
dont la consultation est extrêmement restreinte, ajoute des éléments plus
sensibles (comme d'éventuels contacts avec d'autres radicalisés). Ce précieux
outil est alimenté par trois sources. Dans le premier cas, les radicalisés sont
signalés par les préfectures via les états-majors départementaux de sécurité.
Créés en 2009 pour mieux répondre à l'époque «aux nouvelles formes de
délinquance, relevant à la fois des violences urbaines et du banditisme
classique - phénomènes de bandes, violences dans les établissements scolaires,
criminalité liée au trafic de drogue et d'armes», ces états-majors rassemblent
régulièrement, sous la coprésidence du préfet et du procureur de la République,
des représentants de plusieurs administrations, dont les services de police et
de gendarmerie et l'Éducation nationale.
Une vision globale
En juin 2017, et pour ne parler que des individus
recensés via les préfectures ou le public (sans les « objectifs » des
services), les radicalisés mineurs représentaient un peu plus de 16 %
Seconde source : les
individus signalés par le public via le
Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation, gérant
notamment le numéro vert de signalement. Enfin, le fichier, géré par l'unité de coordination de la lutte
antiterroriste (Uclat), accueille également des «objectifs» des services de
police ou de gendarmerie (ils étaient un peu moins de 6 000 au
1er mars 2017), ces derniers constituant les cas les plus sensibles et les
plus préoccupants. Au total, le FSPRT permet d'avoir une vision globale de la
radicalisation en France tant sur le plan géographique (avec une forte présence
dans les départements d'Île-de-France, du Nord, des Bouches-du-Rhône, du Rhône
et des Alpes-Maritimes) que sur le plan démographique. En juin 2017, et pour ne
parler que des individus recensés via les préfectures ou le public (sans les
«objectifs» des services), les radicalisés de sexe féminin représentaient
26 % des cas et les mineurs un peu plus de 16 %. Les convertis représentaient
plus de 34 % des radicalisés repérés.
Des chiffres
particulièrement inquiétants si l'on considère l'évolution de la menace. Dans
un article du numéro de juillet-août de la revue des anciens de l'École
nationale d'administration, L'ENA hors les murs, le nouveau patron de la
DGSI, Laurent Nunez, évoque, avec le tarissement des filières djihadistes, «une
stratégie de l'État islamique davantage tournée vers l'exacerbation de la
menace endogène». Une menace qui prend la forme de «djihadistes frustrés qui
conçoivent une action terroriste sur notre sol comme une alternative à un
projet entravé de départ pour la zone syro-irakienne». «Bien que privilégiant
des modes opératoires simples contre des cibles vulnérables ou symboliques»,
ajoute Laurent Nunez, ces individus «peuvent chercher à commettre des actions
de grande ampleur». Autre élément de cette menace endogène : «Les
primo-terroristes qui passent à l'acte nourrissent le caractère imprévisible de
la menace et impriment à celle-ci une cadence opérationnelle soutenue.»
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Mis à jour le 27/07/2017 à 14h19 | Publié le 27/07/2017 à 14h13
Surnommé la "drogue des djihadistes", le captagon,
une amphétamine tirée d'un ancien médicament psychotrope, n'a été consommé par
"aucun des terroristes ayant commis des attentats revendiqués par l'EI en
Europe depuis 2015", selon un rapport diffusé aujourd'hui par
l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
"L'existence d'une 'drogue des djihadistes' est un
mythe", a déclaré l'auteur du rapport, Laurent Laniel, chercheur
spécialiste des marchés des drogues illicites à l'Observatoire européen des
drogues et des toxicomanies (OEDT). Selon lui, les attentats du 13 novembre ont
créé une association entre djihadistes et captagon, et par extension la Syrie.
"Mais aucun de ces terroristes n'a consommé du captagon avant de passer à
l'acte", a-t-il souligné.
Après les attaques qui ont fait 130 morts à Paris et
Saint-Denis fin 2015, l'hypothèse que les assaillants avaient agi sous l'effet
de substances avait été rapidement émise. Mais les autopsies pratiquées avaient
démontré qu'ils n'étaient ni sous l'emprise de la drogue, ni de l'alcool.
Certaines informations laissent penser que le captagon, une
drogue censée procurer une sensation d'invulnérabilité, est consommé par des
combattants en Syrie, précise Laurent Laniel, "mais rien ne prouve que
cela concerne les combattants de l'Etat islamique, qui par ailleurs, condamne
fermement l'usage de drogue".
Vendu sous la forme d'un petit comprimé blanc estampé d'un
logo caractéristique représentant deux demi-lunes, le captagon est à l'origine
un médicament qui a été commercialisé à partir du début des années 1960 et dont
le principe actif est la fénétylline, une drogue de synthèses de la famille des
amphétamines.
"Or, la fénétylline n'est plus produite aujourd'hui,
cette substance n'existe plus", explique M. Laniel. "Ce qu'on appelle
le captagon aujourd'hui et qui est vendu sur le marché illicite, est constitué
principalement d'amphétamine et s'apparente à du speed (stimulant, NDLR)".
Ce captagon est fabriqué au Liban, et probablement aussi en Syrie et en Irak,
selon le rapport, essentiellement à destination de l'Arabie saoudite.
Fin mai, la douane avait annoncé avoir réalisé la première
saisie de captagon en France, avec 135 kg saisis en janvier et février à
l'aéroport parisien de Roissy. Elle décrivait cette substance comme "la
drogue du conflit syrien".
Jean-Paul Laborde : «Daech recrute dans le milieu criminel en Europe» (07.07.2017)
INTERVIEW - Le directeur exécutif du Comité contre le terrorisme de l'ONU décrypte l'état de la menace. Il vient de participer à un colloque à Paris sur les «facteurs de radicalisation et modes de riposte», sous l'égide de Saint-Cyr et de la SNCF.
Jean-Paul Laborde occupe un poste stratégique pour suivre l'évolution des mouvements djihadistes, en particulier celle de l'organisation État islamique. Ce haut magistrat a auparavant exercé des fonctions à la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
LE FIGARO. - L'État islamique, qui accumule les revers sur les champs de bataille, attire moins de combattants étrangers. Le flux des départs s'est-il tari?
Jean-Paul LABORDE. - Oui, sans aucun doute. Le nombre de combattants voulant partir depuis l'Europe s'est réduit comme peau de chagrin. En France, on en a dénombré cette année moins d'une dizaine. Le problème de l'État islamique est qu'il revient au stade d'une organisation terroriste habituelle parce que son territoire est quasiment réduit à néant en Irak: hormis quelques poches ultimes comme à Mossoul, il ne dispose d'emprise que sur des territoires désertiques facilement récupérables. Le soi-disant califat a donc perdu son attrait. Le délirant mirage d'un Éden islamique s'est évanoui.
Peut-on craindre en revanche une vague massive de retours vers l'Europe et la France en particulier?
Pas si sûr. Sur le terrain, nous observons plusieurs cas de figure: sur les quelque 35.000 combattants terroristes étrangers recensés sur place, 40 à 50 % sont revenus dans leur pays d'origine. C'est notamment vrai pour la Suède, où environ 150 sont déjà rentrés, ou la Russie qui a enregistré entre 800 à 1000 retours. Parmi les combattants restants, parmi lesquels se trouvent encore les Français, une partie des plus radicaux ont été tués sur place ou sont partis vers d'autres zones de combat, en particulier vers l'Afghanistan théâtre récent d'une série d'attaques meurtrières contre les services de sécurité, des sites fortement peuplés ou encore la Cour suprême. Le problème, à mon sens, n'est pas celui d'une soudaine déferlante vers la France car Daech exécute les déserteurs, les polices se sont organisées via Interpol pour intercepter ceux qui reviennent et les pays de transit comme la Turquie ont verrouillé leurs frontières. Le péril vient plutôt de combattants aguerris qui pourraient se glisser entre les mailles du filet.
Quel est leur profil?
Déterminés, expérimentés et très dangereux. Ces djihadistes savent manier les armes et les explosifs, ils connaissent les techniques de guérilla. Parmi eux peuvent aussi se trouver des ingénieurs ou des techniciens spécialisés dans la propagande et l'infiltration des réseaux sociaux. Ils seraient susceptibles de pénétrer dans nos systèmes de défense, de gestion des transports publics ou encore de protection de nos infrastructures critiques. Les services spécialisés travaillent sur cette cybermenace. Même si l'on pense que les terroristes n'ont pas encore atteint le niveau de sophistication nécessaire, rien n'indique qu'ils ne parviendront pas un jour à mener des attaques de ce type. Ils n'ont plus grand-chose à perdre et, comme chez les enfants soldats, ils sont habitués à côtoyer la mort. La peur n'a pas de sens à leurs yeux …
Dans ce panorama, certains experts disent sur les femmes sont davantage actives. Est-ce le cas?
Non, il se trouve juste que les femmes sont fortement représentées. Il y a même eu un pic à l'été 2015, quand elles formaient 40 % des départs depuis la France. La stratégie de Daech à leur égard est parfaitement étudiée. Les propagandistes qui les ont prises dans leurs filets insistent surtout sur la dignité de la femme musulmane, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes quand on connaît le sort qui leur est réservé sur place. Bien au-delà d'une idylle romanesque avec un guerrier, l'organisation terroriste fait miroiter un vrai statut de mère, de sœur mais aussi de combattante. Certaines, comme en témoignent les membres des forces spéciales irakiennes de la «Division d'or», sont de redoutables guerrières.
Les récents attentats en témoignent, Daech n'a rien perdu de son magnétisme. La lutte contre les mouvements djihadistes ne devrait-elle pas s'accentuer sur Internet?
Ce magnétisme ne va encore durer qu'un certain temps et va s'évaporer quand Daech aura perdu ses territoires. Mais l'organisation conserve des outils de propagande bien supérieurs à ceux d'al-Qaida par exemple. Grâce à des sites et des magazines diffusés dans toutes les langues, elle va continuer à convaincre des Européens de frapper là où ils se trouvent, de propager la mort dans les pays de la coalition au nom d'une idéologie violente déconnectée de l'islam et même du salafisme originel. En exportant le conflit en Europe, les djihadistes recrutent en outre dans le milieu de la criminalité dont certains membres, après avoir fait de l'argent, tentent de laver leur passé, de se défaire de leurs oripeaux de voyous en s'engageant au nom d'un «idéal». Jamais cette hypothèse n'a été autant prise au sérieux.
Les politiques publiques sont balbutiantes en matière de déradicalisation. L'ONU n'a-t-elle pas un rôle à jouer?
Bien sûr! Le Conseil de sécurité vient d'ailleurs d'adopter une résolution sur le contre-message. La méthode est de contextualiser la réponse qui ne peut être identique d'une région à une autre, d'un pays à un autre. On ne va pas désengager quelqu'un de la même manière à la campagne ou à la ville, dans un contexte de loi 1905 de séparation des Églises et de l'État, dans des pays musulmans ou encore au Royaume-Uni, où la reine est aussi à la tête de l'Église anglicane. Après avoir croisé les expériences, nous savons qu'il n'y a pas de recette miracle. Nous explorons certaines pistes…
Lesquelles?
Au départ, nous pensions que la radicalisation était liée à un manque de développement économique, d'éducation ou encore de dialogue interreligieux. Pour apporter des réponses plus concrètes, la direction exécutive que je représente au sein du Conseil de sécurité a mis sur pied une base de bonnes pratiques. Par exemple, la méthode d'éducation des imams à l'Institut international du Maroc est exemplaire au point qu'elle s'est exportée au Mali et au Niger et que des accords ont été signés pour y accueillir des religieux venus de France.
Par ailleurs, une nouvelle grille de détection des radicalisés a été mise en place sur Internet. L'enjeu est de les cibler dès la première étape, que l'on définit comme celle de la curiosité. À ce stade, il faut casser le discours. La deuxième étape, celle de la considération pour une «cause», peut être combattue en faisant appel à des repentis, des témoins qui racontent l'enfer du décor. La troisième étape, celle de l'identification au djihad et de l'isolement, nécessite déjà une intervention plus lourde des services avant que l'individu ne subisse un lavage de cerveau et passe à l'acte…
L'Europe semble encore loin de sortir de la spirale de la terreur…
Face à l'ampleur du phénomène, quand on déplore chaque jour des attentats à travers le monde comme au Pakistan il y a quelques jours, il faut rester modeste. Car le terrorisme ne décélère pas et la réponse n'est pas seulement sécuritaire. On ne vaincra ce fléau que si l'on met les États, les collectivités territoriales, les acteurs de la société civile et les entreprises autour d'une table pour développer une stratégie globale. Réduire le terrorisme n'est pas une affaire d'amateurs mais d'experts qui s'attaquent de manière scientifique aux racines du mal. Cela pourra prendre encore trois, quatre, voire cinq années. Après la Syrie et l'Irak, le foyer se déplacera vers l'Afghanistan puis, peut-être, vers l'Indonésie ou encore les Philippines: le bout du tunnel est encore loin.
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En trois ans, 65 terroristes ont perpétré 51 attaques en Europe et aux États-Unis (07/07/2017)
Par Caroline Piquet Mis à jour le 04/07/2017 à 12:37 Publié le 04/07/2017 à 11:18
Des victimes sont évacuées rue Oberkampf, tôt le 14 novembre, après les attentats de Paris.
INFOGRAPHIE - Ce décompte mortifère a été réalisé par des chercheurs réunis autour d'un programme international sur l'extrémisme. Leurs travaux mettent à mal quelques idées reçues.
Les auteurs d'attentats perpétrés en Europe et aux États-Unis étaient dans leur grande majorité des hommes jeunes et connus des autorités. Pour la première fois, une étude universitaire a passé au peigne fin les 51 attentats perpétrés en Occident depuis la proclamation du «califat» de l'État islamique le 29 juin 2014.
Ce rapport baptisé «Djihadiste de la porte d'à côté. Radicalisation et attaques djihadistes en Occident» est le fruit d'une recherche approfondie conduite par les chercheurs Lorenzo Vidino, Francesco Marone et Eva Entenmann, dans le cadre d'un programme international sur l'extrémisme.
Ce travail d'une centaine de pages a permis de mettre en évidence un certain nombre de caractéristiques concernant ces attaques meurtrières et de battre en brèche quelques idées reçues. Voici, en quelques infographies, ce qu'on peut en retenir.
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/07/04/01016-20170704ARTFIG00088-en-trois-ans-65-terroristes-ont-perpetre-51-attaques-en-europe-et-aux-etats-unis.php
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« Pour renforcer la sécurité », il faut « diminuer la pression intolérable qui existe dans les prisons » (28.06.2017)
A force de réduire la sanction pénale à la seule peine d’emprisonnement, comme le souhaite Emmanuel Macron, la France se coupe de sanctions alternatives à l’emprisonnement qui favoriseraient davantage la réinsertion, explique dans une tribune au « Monde » Jean-Marie Delarue, ex-contrôleur général des prisons.
LE MONDE | 28.06.2017 à 17h08 • Mis à jour le 28.06.2017 à 17h09 | Par Jean-Marie Delarue (Ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2008 à 2014)
TRIBUNE. Nos prisons sont à genoux. Pour cent détenus prévus, les maisons d’arrêt en abritent aujourd’hui cent quarante. Elles sont donc la cause de conditions de vie dont notre démocratie ne s’honore pas. Elles engendrent des conditions de travail du personnel qui ne sauraient perdurer sans risques.
Surtout, en abaissant la qualité de leurs maigres prestations, elles accroissent le scepticisme sur la réinsertion possible des personnes libérées et aggravent la probabilité de récidive. En d’autres termes, si, d’ordinaire, la prison assure bien mal la sécurité revendiquée des Français, la surpopulation carcérale accroît la probabilité de la personne détenue de « mal » sortir à l’issue de sa peine.
Diverses propositions en matière de justice ont été faites durant sa campagne par le président de la République. En matière pénale, il a été prévu en particulier de mettre fin à la faculté pour le juge de l’application des peines de « convertir » les peines d’emprisonnement de deux ans et moins (un an et moins pour un récidiviste) en sanctions alternatives à l’emprisonnement. Ce qui justifie cette proposition, a-t-on expliqué, est ce raisonnement de « bon sens » qui voudrait que, lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée, elle doive être exécutée.
Les peines alternatives bien là pour punir
Mais, en premier lieu, les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale sont plus diverses qu’il n’y paraît. La conversion de la peine d’emprisonnement en semi-liberté ou placement sous surveillance électronique est ouverte tant à la juridiction de jugement (articles 132-25 et 132-26-1 du code pénal) qu’au juge de l’application des peines (article 723-1 du code de procédure pénale), qui peut aussi ordonner la « conversion » sous forme de placement extérieur (même article), tant pour les condamnés libres que pour les condamnés qui sont en cours d’exécution de peine et à qui il reste deux ans ou moins de détention à accomplir....
Trois parents de djihadistes français mis en examen pour «financement du terrorisme» (27..06.2017)
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Par Anne Jouan , Jean-Marc Leclerc Mis à jour le 27/06/2017 à 07:45 Publié le 25/06/2017 à 19:31
Valérie de Boisrolin (ici en 2016) aurait fait passer 1200 euros à sa fille et plus de 4000 euros à la mère d'un djihadiste souhaitant revenir en France.
Responsables d'une association de prévention de la radicalisation, ils sont soupçonnés d'avoir utilisé des fonds publics pour envoyer de l'argent à leurs enfants partis en Syrie.
Le gouvernement les avait mises en place dans l'urgence. Après les sanglantes attaques terroristes parisiennes de 2015 et 2016, des associations de lutte contre la radicalisation avaient fleuri un peu partout. Aujourd'hui, le constat est à l'échec. Avec des mises en cause de gravité diverse comme celle de Dounia Bouzar (notamment épinglée parce qu'elle travaille avec le «repenti» Farid Benyettou, ex-mentor ...
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/06/25/01016-20170625ARTFIG00147-terrorisme-trois-parents-de-djihadistes-mis-en-examen.php
Les confessions d’un «faux prophète» repenti, radicalisé puis radicalisateur en prison (15.06.2017)
http://www.liberation.fr/france/2017/06/15/les-confessions-d-un-faux-prophete-repenti-radicalise-puis-radicalisateur-en-prison_1576736
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Un documentaire audio sur Arte Radio montre la radicalisation en prison dans les années 90 d’un jeune détenu, chargé à son tour d’embrigader ses camarades de détention. Il explique la stratégie qu'il avait pour recruter des islamistes radicaux en milieu carcéral.
Ses mots sont abrupts. Violents. Et font écho forcément aux attentats jihadistes qui ont ensanglanté la France ces dernières années. Incarcéré à la fin des années 90, Mohamed (1) s’est radicalisé en prison au contact de «frères» salafistes jusqu’à devenir lui-même un imam autoproclamé et à exhorter d’autres détenus à la guerre sainte. C’est cette histoire que l’homme, aujourd’hui libéré et sur la voie de la réinsertion, a racontée à la journaliste Claire Robiche, qui en a tiré un documentaire audio de trente-cinq minutes, Un faux prophète, diffusé à partir de ce jeudi par Arte Radio, et dont Libération est partenaire.
«L’idée s’est déclenchée à la suite d’une rencontre un peu hasardeuse avec ce garçon, explique Claire Robiche. Je voulais décrire la rhétorique et le mécanisme d’embrigadement qui permettent d’entrer dans la tête d’une personne lambda.» Mohamed, à la fois «bavard», selon la journaliste, et doté d’un «discours très construit», permet d’appréhender avec précision les processus de radicalisation à l’œuvre en prison.
Bien sûr, cet exemple peut aujourd’hui paraître daté. L’homme, désormais âgé d’une quarantaine d’années, ne fait pas partie de la vague de jihadistes partis grossir les rangs de l’Etat islamique dans la zone irako-syrienne. Celui que les surveillants pénitentiaires surnommaient parfois «Oussama ben Laden» appartient à la génération précédente, davantage attirée par le Pakistan et l’Afghanistan. Et c’est à la fin des années 2000 qu’il commence à «décrocher», bien avant la montée en puissance de Daech. Mais pour Claire Robiche, «la façon d’embrigader les gens, elle, n’a pas tellement changé». Et les points communs avec les nombreux récits de radicalisation collectés ces dernières années sont, en effet, édifiants. La description de l’univers carcéral est tout aussi intéressante, même si l’administration a tenté, ces dernières années, de modifier sa gestion du phénomène, entre unités dédiées et autres stages de citoyenneté.
«Tu t’attaques à la structure familiale pour qu’il se sente incompris»
Quand Mohamed entre en prison, il a 18 ans et compte déjà quelques passages dans des établissements pénitentiaires pour mineurs. Le choc est rude. «Il y avait beaucoup de haine, de violence, je me trouvais plongé dans un monde d’adultes», raconte-t-il. A la recherche de repères, il fait la rencontre dans les cours de promenade de «frères» musulmans. «Il avait été initié à l’islam par son grand-père, précise la documentariste. C’était un bagage assez classique, qui s’est exacerbé en prison.» Mohamed sympathise avec un «frère» qui l’impressionne, avec son kamis, sa barbe, le khôl aux yeux.
«Il était intelligent et tenait un discours rationnel, en prenant des faits historiques, par exemple le massacre de Sabra et Chatila. On te radicalise, toi et ta haine.» Les conditions carcérales accélèrent le processus. Pendant les longues heures en cellule, l’islam devient la seule raison d’être. «On est des moines soldats, narre Mohamed. On est dans la rigueur totale, avec une vingtaine de prières par jour. Le reste du temps, on s’exerce au sport et aux arts martiaux. La guerre devient une nécessité. Car le musulman n’est pas un chrétien, il ne tend pas l’autre joue.»
Le fait d’appartenir à un groupe, une communauté, exacerbe les choses. «Prier en promenade, par exemple, ça te mène au mitard. Mais quand tu sors, imagine ce qu’en pensent les frères ! T’as leur sympathie.» Très vite, Mohamed se mue en «radicalisateur». C’est à son tour de «bouffer le cerveau» des nouveaux venus. «Tu t’attaques à la structure familiale pour qu’il se sente incompris par sa famille, pour que l’islam soit son seul repère. Et tu n’es pas clair sur les sujets comme la guerre, tu n’entres pas dans les détails», décrit-il. Autre méthode : rendre des services, comme dégoter un téléphone à un «frère». «C’est le principe de la mafia sous couvert de la radicalité islamique.»
«Tous les matons chantaient "Jean-Marie" dans les couloirs»
Mohamed revient également sur l’attitude de l’administration pénitentiaire, qu’il juge sévèrement. «Elle met de l’eau à notre moulin. Une fois, je faisais ma prosternation en cellule. Un surveillant entre, fouille, retourne tout, marche sur mon tapis de prière. Quand on abîme ton Coran, tu vis ça comme une humiliation.» Les réflexions racistes de certains agents n’arrangent pas les choses. L’homme se souvient par exemple de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 : «Tous les matons chantaient "Jean-Marie" dans les couloirs.» Et de décrire : «Ils font la misère à tous les musulmans, ça solidifie le groupe. Le seum [la colère, ndlr], il vient tout seul.» Pour lui, la fragilité de certains de ses codétenus, «des gamins envoyés en prison pour trois barrettes de shit», facilite les choses : «C’est normal que des mecs comme moi arrivent à leur monter la tête.»
Un jour, Mohamed s’est cependant «rendu compte de l’absurdité des choses». Un déclic «individuel», selon Claire Robiche. Plusieurs facteurs interviennent : les attentats contre les civils («Je n’en voyais pas l’utilité», dit Mohamed), les leaders autoproclamés qui se sentent autorisés à édicter une fatwa («Tu te prends pour Dieu ?») et les moments où «ça part en vrille», «comme quand quelqu’un légitime le viol d’une matonne, considérée comme un butin». Petit à petit, Mohamed se retire du groupe, parvient à échapper aux représailles de ses anciens «frères» qui tentent de lui mettre des «coups de lame» et finit par sortir de prison. Aujourd’hui, il travaille dans un théâtre. L’écriture est devenue son «exutoire».
(1) Le prénom de l’intéressé a été modifié et le documentaire reste très flou sur ses lieux de détention afin de protéger son anonymat.
Sylvain Mouillard
Attentat déjoué à Marseille : un duo singulier, des cibles précisées (15.06.2017)
http://www.liberation.fr/france/2017/06/15/attentat-dejoue-a-marseille-un-duo-singulier-des-cibles-precisees_1577168
«Libération» a eu accès à des éléments nouveaux dans l’enquête sur des attaques avortées avant la présidentielle. Les deux suspects, devenus inséparables après leur rencontre en prison, visaient un meeting de Marine Le Pen, des bureaux de vote et des bars.
Attentat déjoué à Marseille : un duo singulier, des cibles précisées
L’arrestation s’est déroulée sans qu’aucun coup de feu ne soit tiré. Un miracle, au regard de l’arsenal qui sommeillait dans la planque et de la savante discrétion des deux suspects. Voilà plusieurs jours que les agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sont engagés dans une traque sans retour. S’ils échouent, ils le pressentent, quelque chose de potentiellement énorme pourrait arriver. Ce mardi 18 avril, après avoir épuisé tout ce que la technologie permet en termes de surveillance téléphonique, les limiers se présentent enfin au pied de l’immeuble tant recherché. Une adresse, située dans le IIIe arrondissement de Marseille, qu’ils connaissent pour appartenir à une pointure locale du trafic d’armes.
Alors qu’ils se harnachent, prêts à monter à l’assaut, les policiers voient un homme apparaître dans le hall. Ils n’en croient pas leurs yeux, mais Mahiedine Merabet, 29 ans, l’un des deux hommes derrière lesquels ils courent éperdument, descend faire une course à l’épicerie en… claquettes. Calme, il marche le bras en écharpe, séquelle d’une récente chute à vélo. Après l’avoir appréhendé sans difficulté, les policiers s’engouffrent dans la cage d’escalier à toute vitesse. Ebahis, ils tombent cette fois sur un homme discutant tranquillement au téléphone, assis sur les marches. A son tour, il est interpellé et menotté. Il s’agit de Clément Baur, 23 ans, complice présumé de Merabet.
Les deux hommes étaient unis par un destin macabre. Ils se sont connus entre janvier et mars 2015, alors qu’ils étaient dans la même cellule, au 1er étage de la prison de Lille-Sequedin. Devenus inséparables, ils ont élaboré ensemble un projet d’attentat à la sophistication étonnante. En pénétrant dans leur antre marseillais, les policiers ont découvert 3,5 kilos de TATP, dont une partie séchait encore sur trois étagères. Baur et Merabet, qui avaient tapissé les murs de photos d’enfants syriens morts ou blessés par l’armée de Bachar al-Assad, s’étaient également procuré un pistolet-mitrailleur Uzi, un pistolet automatique Mauser, des chargeurs garnis, deux armes de poing, un sac de boulons, un couteau de chasse, une cagoule, ainsi qu’une caméra GoPro.
Petites coupures dans sa chambre
Le 12 avril, soit six jours avant l’interpellation, Mahiedine Merabet cherche à envoyer une vidéo d’allégeance à un membre de l’Etat islamique. Le jihadiste ne le sait évidemment pas, mais il vient de se jeter dans la gueule du loup. Le destinataire, qu’il croit être membre de l’organisation terroriste, n’est autre qu’un des multiples cyberpatrouilleurs de la DGSI infiltrés dans les réseaux. L’épisode donne un sacré coup d’accélérateur à la traque effrénée des deux hommes. Sur la vidéo, le Uzi saisi dans la planque apparaît à côté d’un drapeau de l’EI et d’une phrase formée avec des munitions, «la loi du talion». La séquence montre également la une du journal le Monde daté du 16 mars, consacrée à François Fillon.
Il n’en fallait pas plus pour que certains médias, peu soucieux de l’exactitude, intitulent leurs articles consacrés à l’affaire «Attentat contre François Fillon». Si la protection du candidat LR avait été renforcée - de même que celles d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen - les enquêteurs ont acquis aujourd’hui la conviction que Fillon n’était pas directement visé. En revanche, le meeting de la candidate du Front national qui se tenait le mercredi 19 avril à Marseille - à quatre jours du premier tour de l’élection présidentielle - figurait, lui, parmi les cibles de Baur et Merabet. Les deux hommes ont en outre effectué des recherches sur des bars marseillais. Enfin, il semble qu’une attaque contre des bureaux de vote marseillais le dimanche du premier tour de la présidentielle ait été envisagée. Pour se figurer les itinéraires possibles, Baur et Merabet avaient affiché une carte de la ville sur les murs de l’appartement. En garde à vue, Mahiedine Merabet, délinquant endurci et familier des interrogatoires, demeurera mutique. Clément Baur, lui, concède l’existence d’une action terroriste, même s’il en minimise au maximum la portée.
Le parcours du binôme est singulier à bien des égards. Né en 1987 à Croix, dans le Nord, Mahiedine Merabet mouille un premier temps dans le trafic de stups. En octobre 2013, les policiers saisissent 1,5 kilo de cannabis et 5 600 euros en petites coupures dans sa chambre. 1 500 euros seront également exhumés dans sa voiture. A l’audience, couverte à l’époque par la Voix du Nord, Merabet joue le refrain d’une épée de Damoclès qui pesait sur ses épaules : «Je suis menacé, je dois rembourser des dettes, parce que, déjà, je me suis fait cambrioler et que les voleurs ont emporté beaucoup de cannabis et d’argent.» Les juges n’y croient guère, ils le condamnent à trois ans de prison. Incarcéré à Lille-Sequedin, Merabet s’inscrit au culte musulman et, selon le Parisien, fait l’objet d’une surveillance pour un trafic supposé de cannabis au parloir.
Le 19 janvier 2015, Merabet voit Clément Baur atterrir dans sa cellule. Le natif d’Ermont, dans le Val-d’Oise, vient d’être condamné à quatre mois de prison pour détention de faux papiers lituaniens. Contrôlé trois jours plus tôt dans un TGV reliant Bruxelles à Nice, il avait affirmé s’appeler Ismaïl Abdoulaef aux douaniers. Ceux-ci tiquent, débarquent Baur à Lille et le remettent aux policiers. L’histoire du jeune homme bascule alors dans l’invraisemblable. Aux magistrats, il explique (en français) s’appeler Ismaïl Djabrailov, être né le 1er septembre 1992 à Kizliar, en Russie, et avoir acheté des faux papiers lituaniens pour ne pas être expulsé vers le Daguestan, une république du Caucase subissant une sévère répression de Moscou. Baur, qui parle un russe châtié, est si persuasif qu’il est incarcéré à Sequedin sous ce faux nom.
Selon les enquêteurs, Clément Baur est déjà fortement radicalisé à l’époque. A 14 ans, il s’est converti à l’islam au contact de Tchétchènes à Nice - ville où réside sa mère divorcée. Doué pour les langues, il apprend le russe puis l’arabe en un rien de temps. Adolescent, Clément Baur manifestait une grande soif de spiritualité. Catholique pratiquante, sa mère l’avait emmené aux Journées mondiales de la jeunesse de l’Eglise. Une expérience qui avait plu à Baur. Son rêve ? Devenir couvreur pour participer à l’édification de lieux de culte - églises, mosquées, temples protestants. Pour cela, il intègre quelques mois les Compagnons du devoir, mais échoue rapidement. Son avocate, Charlotte Cesari, assure «ne toujours pas avoir identifié l’élément ayant fait basculer Clément Baur dans l’islam radical».
Il jongle avec les fausses identités
A la fin de l’année 2014, Clément Baur rompt brutalement avec sa famille et disparaît. Ses proches signalent à plusieurs reprises sa radicalisation, ce qui engendre la création d’une fiche S - pour «Sûreté de l’Etat». A sa mère, il dira depuis le réseau social russe VKontakte être parti en Syrie et vouloir décapiter son père. En réalité, hormis ses quatre mois d’incarcération à Lille-Sequedin, Baur gravite entre la Belgique et l’Allemagne. Il habite un temps à Liège, puis à Verviers, où il côtoie la communauté tchétchène. Il fraye même avec Francesco P.L.J., un jihadiste de la ville, ce qui lui vaut d’être visé par une enquête en Belgique. Habile, il jongle avec les fausses identités, allant jusqu’à duper I. et K., deux femmes avec lesquelles il sort plusieurs mois en 2015 et 2016. Originaires du Caucause, elles ne connaîtront jamais la véritable identité de leur compagnon, qui se dit alors koumyk, une ethnie musulmane du Daguestan.
En mars 2016, Merabet est libéré de la prison de Saint-Omer (Pas-de-Calais), où il a été transféré après Sequedin. A son tour, il est fiché S par la DGSI. Le binôme se reforme, cette fois-ci pour le pire. Baur s’établit chez son acolyte à Roubaix. Le 7 décembre, après avoir appris que Merabet cherchait à se procurer des armes, la police y mène une perquisition administrative. Ils découvrent un drapeau de l’EI, de la documentation jihadiste, ainsi qu’un homme prétendant s’appeler Arthur Kamalov. Ils ne comprendront que bien plus tard qu’il s’agit en réalité de Clément Baur.
Le lendemain, Merabet file à l’anglaise et ne recevra jamais l’assignation à résidence qui devait lui être notifiée. Le 12 décembre, il est contrôlé par les douaniers luxembourgeois en compagnie de Arzu Yuruk C., une de ses multiples conquêtes, et avec 5 000 euros. Quelques semaines plus tard, il retrouve Baur à Vandœuvre-lès-Nancy, en Meurthe -et-Moselle, lieu où semble avoir émergé l’idée plus précise d’un attentat.
«Laissez-moi respirer, je n’ai rien à vous dire»
Le 4 avril, le commissariat de Roubaix est destinataire d’un message peu commun : «Je vous donne ma pièce d’identité et ma carte [bancaire], car à cause de vous, je n’en ai plus l’utilité. Je vais bientôt me rendre, on discutera. Vous, les forces de l’ordre, que me voulez-vous ? Laissez-moi respirer, je n’ai rien à vous dire. Je vis d’amour et d’eau fraîche, je médite. Laissez-moi tranquille. Salut !» L’expéditeur s’appelle Mahiedine Merabet. Le même jour, le binôme embarque dans une voiture direction Marseille. La réservation a été effectuée par Merabet à l’aide d’un faux compte BlaBlaCar au nom de Maxime Manga. Durant la traque, la DGSI a auditionné des dizaines de chauffeurs pour retrouver la trace des fuyards.
Soucieux de leur postérité, Mahiedine Merabet et Clément Baur se filmaient durant leurs préparatifs. Sur une carte mémoire saisie dans l’appartement marseillais, les enquêteurs ont retrouvé les rushs de tutoriaux livrant les secrets de la fabrication d’explosifs.
Willy Le Devin
Première saisie en France de Captagon, la « drogue du conflit syrien » (30.05.2017)
La douane a intercepté 135 kg de ce psychostimulant principalement consommé au Moyen-Orient, une saisie record d’une valeur de près de 1,5 million d’euros.
Le Monde.fr avec AFP | 30.05.2017 à 09h06 • Mis à jour le 30.05.2017 à 11h36
Un agent des douanes présente des pilules de Captagon, avant leur incinération à Sofia, en décembre 2007.
Environ 135 kg de Captagon ont été saisis en janvier et février à l’aéroport parisien de Roissy, une première en France, a annoncé la douane mardi 30 mai. « Récemment présenté comme “la drogue du conflit syrien”, en raison des ravages qu’il cause dans ce pays, le Captagon est un psychostimulant créé à la fin des années 1950 et désormais principalement consommé au Moyen-Orient », rappelle l’institution dans son communiqué.
Le soupçon d’une production du Captagon en Syrie a été émis par l’UNODC dès 2009. Depuis le début du conflit syrien, en 2011, la production des petites pilules a également explosé au Liban voisin. Devenu célèbre depuis qu’il a été labellisé « drogue des djihadistes », le Captagon tire son nom d’un médicament commercialisé durant plusieurs décennies en Europe et aux Etats-Unis, pour le traitement de la narcolepsie.
Ses composants n’ont qu’un rapport lointain avec l’ancien médicament. A base d’amphétamine, l’utilisation du Captagon par des combattants en Syrie, et plus particulièrement par des djihadistes, fait couler beaucoup d’encre sans être pour autant étayée par des preuves solides.
Lire notre reportage : Le Liban, plaque tournante du Captagon
Les douaniers de Roissy en ont intercepté une première cargaison de 350 000 comprimés pour un poids total de 70 kg le 4 janvier, en contrôlant des moules industriels en provenance du Liban et à destination de la République tchèque.
« Une coopération avec les autorités allemandes et tchèques est alors mise en place (…) dans le but d’identifier les destinataires en République tchèque, explique la douane. Il s’avère que la cargaison est en réalité destinée à l’Arabie saoudite, en passant par la Turquie. »
Le 22 février, les agents saisissent 67 kg de comprimés de Captagon dissimulés de la même façon, dans les parois des moules en acier. « Selon les analyses réalisées en laboratoire, les comprimés sur lesquels sont inscrits les deux C caractéristiques du Captagon, contiennent de l’amphétamine et de la théophylline », précise le communiqué. La valeur de la marchandise est estimée à près de 1,5 million d’euros sur le marché illicite de la revente de drogues.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/05/30/premiere-saisie-en-france-de-captagon_5135807_1653578.html#SRDuWyD8F9HGOq4q.99
Déradicalisation : «Personne n'a trouvé LA bonne méthode» (13.09.2016)
Gérald bronner. - Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le
Figaro
France | Par Stéphane Kovacs
Mis à jour le 13/09/2016 à 19h44
INTERVIEW - Le sociologue Gérald Bronner participe au
programme de déradicalisation mis en œuvre dans le premier «centre de
réinsertion et citoyenneté» qui accueillera ses premiers pensionnaires à
Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire).
Gérald bronner est sociologue, professeur à l'université
Paris-Diderot et auteur de La Pensée extrême (PUF, 2016). Il fera partie des
intervenants dans le Centre de prévention et d'insertion par la citoyenneté
(CPIC) qui ouvrira cette semaine en Indre-et-Loire.
LE FIGARO.- Quels sont les ressorts de la radicalisation?
Gérald BRONNER.- Il existe quelques grandes constantes. Les
processus de radicalisation sont progressifs, ce qui ne signifie pas qu'ils ne
peuvent pas être rapides. Mais il faut un terrain préparatoire. La radicalisation
s'adosse à une forme de frustration: l'idée que «la vie ne m'a pas donné ce à
quoi j'avais droit». En découle une volonté de notoriété. Il y a aussi des
variables contextuelles. On observe dans les opinions publiques musulmanes
mondiales, à travers des sondages, ce thème de la frustration, de
l'humiliation, du déclassement. Il n'est pas étonnant que dans ces populations,
on trouve un certain nombre d'individus, qui restent extrêmement minoritaires,
mais qui endossent des formes de narration du monde radicales. Et il y a même
des individus qui se radicalisent sur la base d'une coïncidence, qui se disent
par exemple «si jamais je survis à cet accident, Allah, je te jure que je
reviendrais vers Toi!».
Y a-t-il des méthodes de déradicalisation qui ont déjà
fait leurs preuves?
Non, pas à ma connaissance. Beaucoup de personnes
revendiquent avoir réussi. C'est le cas de Dounia Bouzar, en France. Moi je
veux bien le croire, cependant tout le monde reconnaît que personne n'a trouvé
LA bonne méthode. Ce qui va se faire dans le centre d'Indre-et-Loire, c'est une
première mondiale…
Ce centre n'accueillera pas les plus fanatisés. Pourquoi
s'intéresser en priorité à des individus «en absolu bas de spectre»?
À l'origine, c'était des jeunes revenant de Syrie que l'on
devait accueillir. Mais les attentats de Paris ont tout changé: il n'était plus
possible de recevoir ces jeunes dans un centre fermé sur la base du
volontariat! Cependant, il ne faut pas oublier que ce centre a une dimension
exploratoire: cela va nous permettre, sur la base du volontariat de ces
individus, de tester un certain nombre de choses. Il y en aura normalement un
par région en France. Après, on pourra peut-être essaimer, tenter des méthodes
similaires en prison, pourquoi pas?
Comment pourrez-vous déterminer si un individu, censé rester
dix mois dans ce centre, est déradicalisé?
Effectivement, j'ai fermement demandé qu'il y ait un test
d'évaluation de ce que nous allons faire. J'ai proposé de mettre au point un
protocole, avec des psychologues, avec constitution d'échantillons témoins, par
exemple. Nous publierons nos résultats, qu'ils soient positifs ou négatifs. Les
choses vont être faites selon les canons de la science, mais d'un autre côté,
il ne faut pas rêver: il n'y aura pas de certitude à 100 %! Il n'est pas du
tout impossible qu'un individu sortant de ces centres se radicalise encore
davantage ensuite…
Par ailleurs, je pense que «déradicalisation» est un terme
inadéquat. Tout simplement parce qu'il pourrait signifier que l'on va retirer
des croyances du cerveau d'individus. Ce n'est pas du tout l'objectif. Ce que
je souhaite faire, c'est tout l'inverse: leur donner des outils intellectuels
pour comprendre les processus qui ont été les leurs, qui les ont conduits vers
des formes d'adhésion inconditionnelles qui peuvent être dangereuses. Mais il
n'est pas question de discuter des croyances auxquelles ils ont abouti ! Par
exemple, l'un des marchepieds de la radicalisation, ce sont les théories du
complot. Moi, je ne vais pas leur dire que telle théorie du complot est fausse,
mais je peux leur montrer que les processus intellectuels sous-jacents nous conduisent
souvent à faire des erreurs d'appréciation. En fait, je vais muscler leur
système immunitaire intellectuel. Il existe des expériences qui montrent qu'en
stimulant l'esprit critique, on peut faire reculer les croyances.
Le gouvernement a mis en place une série de discours de
contre-propagande. Est-ce efficace?
Le site Stop djihadisme me paraît plutôt bien fait, avec des
messages efficaces. Pour autant, cela ne va faire reculer des jeunes
djihadistes! C'est une goutte d'eau par rapport à tout ce qu'il faudrait faire
en la matière… De toute façon, en aucun cas un message gouvernemental peut être
considéré comme crédible par des individus radicalisés! Mais il y a d'autres
personnes pour lesquelles ces messages peuvent être utiles. Ils s'adressent surtout
aux familles, aux indécis, aux gens qui ont envie de comprendre.
Justice : un nouveau comité pour «penser» la
déradicalisation (01.09.2016)
Le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas
Par Paule Gonzalès
Mis à jour le 01/09/2016 à 19h02 | Publié le 01/09/2016 à
18h58
«Cela fait partie de la palette promise par le garde des
Sceaux pour lutter contre la radicalisation», rappelle la Chancellerie.
Mercredi, la Place Vendôme a mis en place son «conseil scientifique de lutte
contre la radicalisation violente», chargé d'évaluer les dispositifs
antiterroristes envisagés ou déjà engagés par le gouvernement. Composé d'une
douzaine d'universitaires - sociologues, psychologues, politologues, juristes
ou philosophes - ce conseil se réunira une fois par mois, pour «évaluer les
dispositifs» en place, «coordonner et harmoniser» les actions, construire «une
doctrine d'évaluation et de prise en charge unifiée de la radicalisation
violente», mais aussi pour faire des propositions, a précisé le ministère.
«Préserver la sérénité des chercheurs»
En termes moins choisis, ces chercheurs devront s'interroger
notamment sur la définition de la radicalisation, qui concerne 1400 détenus en
France - il serait temps - ou encore sur la pertinence des dispositifs actuels,
comme les cours de géopolitique dispensés dans les structures dédiées.
Plus
sérieusement, ils devraient également aborder les questions de santé et de
psychiatrie liées à celles de la radicalisation violente.
Les travaux devraient
également s'intéresser au traitement des personnes de retour de Syrie ou encore
à la politique menée en la matière par la protection judiciaire de la jeunesse.
«Pour préserver la sérénité des chercheurs» (sic), le
ministère n'a cependant pas donné de date butoir pour le rendu des travaux ni
l'identité de ceux qui s'y consacrent de manière volontaire. Parmi ces derniers
cependant, des chercheurs déjà impliqués dans des travaux de recherches et
ayant participé aux actions-recherche qui ont débouché sur les premières unités
dédiées en milieu carcéral.
Une des premières missions de ce comité, présidé par
Jean-Jacques Urvoas, sera donc d'évaluer les cinq unités affectées aux détenus
radicalisés actuellement en place. Il devra aussi penser et encadrer les
programmes de prévention de la radicalisation prévus dans 27 établissements
pénitentiaires. Ce conseil scientifique «vient en complément» et en appui du
comité de pilotage installé le 7 juillet et chargé de coordonner les
initiatives judiciaires de lutte contre la radicalisation.
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Comprendre le processus de radicalisation (04.07.2016)
Par Caroline Piquet et Laure Kermanac'h
Mis à jour le 18/07/2016 à 08h10 | Publié le 04/07/2016 à
22h33
VIDÉO - Avec l'aide du Centre canadien de prévention de la
radicalisation menant à la violence (CPRMW), Le Figaro a tenté de retracer le
parcours d'un individu radicalisé pour comprendre les mécanismes qui l'ont
conduit à la violence.
Comment et pourquoi un individu se radicalise? La question
est complexe et interroge de nombreux universitaires et gouvernements. Au
Canada, le Centre de prévention à la radicalisation menant à la violence
(CPRMW) a élaboré un schéma pour expliquer les mécanismes qui conduisent un
individu à se radicaliser. Ce travail découle de plusieurs recherches
universitaires et de cas concrets de radicalisation gérés par le centre
canadien. C'est à partir de ce schéma que Le Figaro a mis au point cette vidéo.
D'une durée de trois minutes, elle décrit le processus de radicalisation, «un
cheminement, non linéaire et non prédéterminé», selon le CPRMV.
Créé en mars 2015 par la ville de Montréal, cet institut est
un des rares centres de prévention de la radicalisation en Amérique du Nord.
Outre un travail de recherches, cette structure a pour mission d'accompagner
les individus radicalisés et d'aider leurs proches. Un de ses principaux
objectifs : contrer les discours haineux, quel qu'il soit. «40% des personnes
que nous traitons sont issues des mouvances d'extrême-gauche ou
d'extrême-droite; et les autres sont des extrémistes religieux», nous explique
son directeur Herman Deparice-Okomba, qui s'appuie sur une équipe
pluridisciplinaire, notamment composée de sociologues, de psychologues et de
travailleurs sociaux.
Si le schéma du CPRMW s'applique à toutes les formes
d'extrémismes, il reste néanmoins théorique. «On ne se radicalise pas de la
même manière à Dakar, à Montréal ou à Paris», prévient le Dr Deparice-Okomba, à
l'origine du schéma. «Il faut garder en tête qu'il existe autant de
radicalisations que d'individus».
Le processus de radicalisation menant à la violence
constitue un cheminement, non linéaire et non prédéterminé. Il est le résultat
d'une convergence entre un parcours individuel et un système de croyances
justifiant le recours à la violence, selon le CPRMV.
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Le terroriste réunionnais Nail Varatchia
PARIS. Soupçonné d’apologie du terrorisme et d’avoir recruté des Réunionnais pour le djihad, le Dionysien de 23 ans a été jugé hier. Son intelligence, et l'ambiguïté qu'elle peut susciter, a été au cœur débats. Il encourt 8 ans de prison. Le tribunal rendra sa décision le 28 juin.
“Le cas de M. Varatchia est emblématique du processus de radicalisation et de la propagation de ces idées. Il vient aussi démontrer que, malheureusement, toutes les parties de notre territoire sont touchées, y compris l’Outre-mer. Mais M. Varatchia est aussi quelqu’un de particulièrement intelligent et la question est de savoir si, désormais, il est sorti de cette mouvance. Moi, je n’y crois pas !”. Ce préambule aux réquisitions formulées par le procureur, hier au tribunal de Paris, résume à lui seul la teneur des débats. Comme il l’a annoncé dès le début de son procès, Naïl Varatchia, s’est montré coopératif durant cette audience, répondant à toutes les questions qui lui étaient posées sauf rares exceptions (lire par ailleurs). Des déclarations qui sont apparues particulièrement réfléchies et construites sur les ressorts de sa radicalisation, qu’il reconnaît tout en la définissant désormais comme “une erreur” : “J'étais un jeune homme qui se cherchait à l’époque”. Mais au fil de ces longs échanges, avec le président du tribunal comme avec le procureur, un sentiment ambigu a plané sur la salle d’audience. “Les rapports sur le programme de réinsertion que vous avez suivi comme votre discours laissent entrevoir une rédemption, admet le président du tribunal. Il se trouve d’ailleurs qu’un de vos co détenus, qui comparaissait hier (jeudi) dans cette même salle et qui se dit repenti, nous a dit que vous aviez eu une influence positive sur lui. Mais ce processus demande aussi une certaine reconnaissance de ses erreurs passées, et vous ne semblez pas le faire complètement. A partir de là, on peut se demander si vous n’êtes pas dans une démarche de dissimulation. Car il apparaît que vous en avez les capacités intellectuelles”.
"Créateur d'une filière"
Réponse de l'intéressé : "Je reconnais des bêtises. Je ne comprenais pas pourquoi des musulmans étaient exterminés et que personne ne réagissait. Alors oui, j'ai pu diffuser des messages en faveur d'un djihad défensif, notamment face aux massacres perpétrés par Bachar Al Assad, mais je n'ai jamais incité quelqu'un à partir combattre en Syrie. Et j'ai toujours été contre les idées de l'Etat islamique et ses attentats. Je ne vais pas admettre des choses que je n'ai pas faites." Mais pour le parquet, l'analyse de ce discours est tout autre : "Naïl Varatchia a été à l’initiative d’une filière de recrutements djihadiste à la Réunion. Et aujourd’hui, il est démontré que ses capacités intellectuelles et sa connaissance très poussée du Coran lui confèrent une influence certaine sur des esprits plus faibles, pointe le magistrat. Or, il apparaît qu'il tient encore des propos en faveur du Front Al-Nosra qui, malgré tout ce que M. Varatchia peut en dire, est bien un groupe terroriste affilié a Al Qaida, une organisation qui a revendiqué des attentats. Il le sait bien mais, pour donner le change, il critique l'Etat islamique. Pour moi, il entretient une certaine duplicité en usant de son intelligence. Il est encore dangereux." Le parquetier parisien a ensuite requis une peine de 8 ans ferme, assorti d'une période de sûreté des 2/3 du quantum, un maintien en détention et une inscription au fichier des auteurs infractions terroristes.
"Des réquisitions trop sevères" aux yeux de la défense, assurée par Mes Normane Omarjee et Gabriel Odier. Pour ce dernier : "On parle bien d'une filière, d'un réseau, et on ne doit donc pas tout imputer à M. Varatchia. Il n'est pas la tête pensante qu'on veut nous faire croire. Dans ce groupe, d'autres avaient une influence et notamment ceux qui, avant de rencontrer Nail Varatchia, avaient déjà le projet de partir et cherchaient à convaincre les autres. On parle d'un homme intelligent capable de dissimuler ses réelles intentions. Mais à ce moment-là, pourquoi créer un réseau Facebook accessible à tous pour s'exprimer. Et aujourd'hui, quand des experts, au bout de trois mois de suivi, disent qu'il peut devenir un leader positif, le parquet nous dit qu'il les a trompés. Tout est systématiquement à charge dans son cas. Il était avant tout un jeune homme de 20 ans qui a voulu se donner une image".
Pourquoi ? Me Normane Omarjee a son idée : "Il ne veut rien en parler mais il avait essuyé des reproches de la communauté musulmane de La Réunion autour d'un mariage religieux pas conforme. M. Varatchia l'a mal vécu. Tout part de là. Il part à l'étranger, apprend une autre façon de pratiquer la prière et se fait alors exclure des mosquées. Celui qui était un simple contestataire s'est créé un personnage pour ne pas perdre la face. Mais dans le fond, il n'a jamais été un terroriste. On le présente comme un prédicateur mais il a été chargé par les autres. Il était le bouc émissaire idéal. Ici, on parle des dérives d'une bande de jeunes paumés. Et il faut le juger comme tel". Le tribunal rendra sa décision le 28 juin prochain.
Etienne Mvé, envoyé spécial a Paris
Deux Réunionnaises également jugées hier
Leur situation fait que leur cas est passé au second plan. Pour autant, deux Réunionnaises étaient jugées lors de la même audience que Naïl Varatchia. Il s’agit des femmes de Nassurdine Mbae et Anthony Maurice, deux anciens élèves du prédicateur, et qui ont suivi leurs époux partis au combat en Irak et en Syrie. Le premier serait mort dans un attentat suicide dans la région de Tikrit, en Irak, en avril 2015. Ce décès n’a cependant jamais pu être prouvé. Le second se trouverait toujours dans les rangs de Daesh (Etat islamique). Personne n’a plus aucunes nouvelles de ces deux couples depuis des mois. Tous sont sous mandat d’arrêt. Les deux hommes sont passibles d’une cour d’assises spéciale. Leurs femmes, dont la justice suppose qu’elles ont un rôle moindre dans l’organisation terroriste, étaient donc poursuivies pour la même infraction délictuelle que Naïl Varatchia, à savoir “association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste”. De fait, elles étaient absentes et pas représentées hier. Le parquet a néanmoins requis 10 ans de prison à leur encontre, considérant que leur départ au Proche-Orient constituant une évidente dangerosité. Il a également demandé l’émission d’un nouveau mandat d’arrêt et leur inscription au fichier national des auteurs d’infractions terroristes.
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Le projet d’attentat vite éludé
Evoquée à plusieurs reprises, la question n’a cependant pas fait l’objet d’un développement particulier. De fait, s’il vient colorer ce dossier en filigrane, le projet d’attentat imputé à Naïl Varatchia ne lui était pas formellement reproché, pour la simple raison qu’aucun élément probant n’a pu démontrer une réelle préparation. “C’est n’importe quoi, c’est bidon”, a répondu l’intéressé, interrogé sur ces affirmations d’anciens élèves. “Ils ont dit ça sous la pression des services secrets durant la garde à vue. Ils ont fait du chantage car cette enquête a été orientée vers moi dès le départ. Ils voulaient me charger”. Pour rappel, Naïl Varatchia aurait confié à plusieurs reprises qu’il envisageait un attentat suicide dans une discothèque de Saint-Pierre tenue par un homosexuel. Devant ces déclarations, les policiers de la DGSI s’étaient inquiétés de la présence d’une photo de bombe artisanale sur son téléphone. “C’est une capture d’écran. À l’époque, je m’intéressais à tout ce qui pouvait se dire sur la Syrie et je suis tombé là dessus. J’ai enregistré cette photo comme une centaine d’autres. C’était comme ça, sur le coup, mais il n’y avait pas de projet et je n’ai jamais consulté de documentations détaillées sur le sujet. Comment j’aurais pu fabriquer une bombe juste avec une photo ?”.
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Pris à partie en détention
“Je ne préfère m’exprimer sur ce sujet”. Très coopératif durant toute l’audience, hier, Naïl Varatchia a refusé de répondre à deux reprises hier. La première fois alors qu’étaient évoquées ses conditions de détention. Le Réunionnais, qui était incarcéré dans le quartier réservé aux terroristes à la prison de Fresnes, a clairement exprimé des critiques à l’encontre de l’idéologie de Daesh, par opposition à celle prôné par le groupe auquel il se réfère, le Front Al Nosra, qu'il dit partisan d'un djihad défensif et non porté vers les attentats. Une prise de position qui lui a valu des violences de la part de co détenus. Interrogé sur ce point par le tribunal, l’intéressé, visiblement mal à l’aise, a préféré éludé.
Le second silence est intervenu plus tard dans l’audience, quand il a été questionné sur le fait que, via un réseau social consacré aux rencontres, il était en contact avec des travestis. Echanges dans lesquels il était question de relations sexuelles. “C’est n’importe quoi, je n’ai jamais écrit ces messages et je ne sais d’où ils viennent, pointe Naïl Varatchia, gêné. Tout ce que je peux dire, c’est que les services secrets s’en sont servis pour me mettre la pression lors de la garde à vue. Ils ont dit qu’ils les dévoileraient si je ne disais pas ce qu’ils voulaient entendre”. L’éventualité d’un lien avec la préparation d’un attentat à l’encontre de la communauté homosexuelle n’a pas été soulevée par le tribunal.
Déradicalisation : l'autorité à l'école et la fin du
clientélisme, les deux vraies solutions (10.05.2016)
Manuel Valls et Bernard Cazeneuve durant une conférence de
presse sur la déradicalisation - Crédits photo : ERIC FEFERBERG/AFP
Vox Politique | Par Fabrice Balanche
Mis à jour le 10/05/2016 à 13h16
FIGAROVOX/TRIBUNE - Manuel Valls a annoncé la création d'un
centre de déradicalisation «dans chaque région» d'ici fin 2017. Pour Fabrice
Balanche, le Premier ministre oublie que l'islamisme a été nourri par la
complaisance de la gauche à l'égard du communautarisme.
Fabrice Balanche, Maître de conférences à l'Université Lyon
2, chercheur invité au Washington Institute.
Malgré les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le
gouvernement français tente de maintenir un cordon sanitaire entre le
terrorisme qui frappe la France, la situation au Moyen-Orient et la complaisance
à l'égard de l'Islam politique sur la scène intérieure.
Les djihadistes qui ont frappé Paris en 2015 et ensuite
Bruxelles le 22 mars 2016, ont été formatés par l'idéologie salafiste
sponsorisée par l'Arabie saoudite, financés par des «donateurs privés» du Golfe
et soutenus militairement par la Turquie, pays par lequel ils transitent sans
problème.
Lorsque le président François Hollande a décoré de la légion
d'honneur le Prince héritier saoudien Mohamed Ben Nayef, des voix se sont
élevées pour dénoncer la remise de cette distinction dans le contexte
post-attentat. Mais le Premier ministre français est venu asséner: «La France
doit assumer sa relation stratégique avec l'Arabie saoudite». Ainsi, pour
conserver un de ses meilleurs clients en matière d'armement, la France doit
s'abstenir de toute critique à l'égard du système politique saoudien et de ses
liaisons dangereuses avec les islamistes radicaux. La responsabilité de
l'Arabie saoudite dans la promotion du salafisme est constamment éludée par la
plupart des gouvernements occidentaux, alors qu'il faudrait lui enjoindre de
désalafiser ses programmes scolaires et l'empêcher de former chaque année des
dizaines milliers d'imam radicaux qui se répandent à travers le monde, y
compris en France, pour prêcher la haine des «kafer» (les «infidèles» et plus
généralement les non-salafistes).
S'il est si difficile de traiter les sources étrangères du
mal. Les autorités françaises pourraient au moins s'attaquer aux causes
internes. Malheureusement l'Islam radical, qu'il s'agisse des salafistes ou des
Frères musulmans, bénéficie du soutien influent au sein de l'hexagone d'un
groupe d'intellectuels islamo-gauchistes. Ces derniers ont réalisé la synthèse
entre Edward Saïd et Saïd Qutob. Pour eux, le terrorisme islamique ne serait
que la conséquence de l'autocratisme qui règne dans le monde arabe,
particulièrement l'Egypte, l'Algérie et la Syrie. Les vieux trotskystes
apportent ainsi leur expérience militante et leur bagage idéologique aux
islamistes. Le discours porte et parvient à convaincre nos politiciens soucieux
de gagner le vote «musulman» en vue des élections.
Dans une interview accordée au Monde le 2 avril 2016, la
philosophe Elisabeth Badinter dénonce la complaisance de la gauche française à
l'égard de l'islamisme: «La gauche est coupée en deux pour des raisons
idéologiques respectables et des motivations politiques qui le sont moins». Au
nom du droit à la différence, certains pensent que toutes les cultures et les
traditions se valent et par conséquent que nous n'avions rien à leur imposer.
Le port du niqab, la ségrégation et l'inégalité des sexes, le refus de se
soumettre aux lois de la République, sous prétexte que seules les lois de Dieu
sont acceptables, seraient donc licites sur le territoire. Quant aux
motivations politiques qui le sont moins, la philosophe fait bien sûr référence
à certains édiles qui promettent la construction d'une mosquée ou des repas
halal dans les cantines scolaires en échange des «voix musulmanes».
En 2012, le candidat socialiste à l'élection présidentielle,
François Hollande, a bénéficié de 86% des voix des électeurs musulmans selon
une enquête de l'IFOP. Ce survote en sa faveur lui a clairement permis de
l'emporter face à Nicolas Sarkozy. Les millions d'électeurs musulmans sont
devenus une réserve de voix indispensable pour le Parti Socialiste, depuis que
le vote populaire «gaulois» bénéficie davantage aux candidats du Front
National. Car au sein de la population française dite «de souche», le Parti
Socialiste ne compte plus que sur des fonctionnaires et les bourgeois bohèmes
des centres villes. Le même calcul a été fait par le Parti Socialiste belge qui
a obtenu en 2004, le vote des immigrés aux élections municipales, lui
permettant ainsi de l'emporter dans les grandes villes comme Bruxelles et
Anvers aux élections de 2006. La politique politicienne utilise le
communautarisme à court terme et méprise les réelles politiques d'intégration
qui exige du long terme et l'intelligence de se poser les vraies questions
quant à l'intégration des populations musulmanes. L'islamisme radical et la
ghettoïsation ne sont pas que le résultat des difficultés économiques. Les
politiques d'intégration doivent tenir compte davantage de la dimension
culturelle et se montrer ferme sur les valeurs de la République auxquelles
doivent adhérer les musulmans comme tous les autres citoyens.
La lutte contre l'islamisme doit commencer par l'école qui
fut longtemps le creuset de la nation. Depuis les années 1980, l'alliance des
«nouvelles pratiques pédagogiques» et du laxisme détruisent le système éducatif
dans les zones populaires et plus particulièrement celles où se concentrent les
populations immigrées. Dans les «banlieues de la République», selon
l'expression de l'islamologue Gilles Kepel, un enseignement au rabais est
dispensé et toute discipline bannie dans le but de désamorcer les conflits. Si
l'objectif théorique était de promouvoir une autre forme d'apprentissage pour
éviter l'échec scolaire des populations socialement défavorisées, le résultat
est aux antipodes puisque le phénomène n'a fait que s'amplifier. Car, un
enseignement inadapté ne permet pas d'accéder aux emplois de l'économie
post-industrielle. Les quartiers communautarisés sont ainsi devenus les espaces
d'une économie parallèle où le «tombé du camion», les trafics de drogue et
d'armes se côtoient.
Les prédicateurs salafistes justifient les délits de cette
jeunesse perdue, en leur faisant croire qu'elle est victime d'un système visant
explicitement à marginaliser les musulmans. Malheureusement cette victimisation
est relayée par le discours bien-pensant de la gauche. En refusant de rétablir
l'autorité de l'Etat et l'école de la République dans ces territoires en
perdition, les partis républicains font le lit du populisme d'extrême droite et
de l'islamisme radical: les deux faces de la décadence du modèle républicain
français.
Un radicalisé repenti témoigne (05.05.2016)
France | Par Paule Gonzalès
Publié le 05/05/2016 à 20h50
TÉMOIGNAGE - Rachid a été pris en charge par une association
d'aide aux détenus à sa sortie de prison.
Il en est revenu après de longues années et avoue être en
reconstruction. Rachid manie les mots avec aisance. Son embrigadement date de
l'adolescence.
«J'étais incapable de me projeter dans l'avenir. J'avais le
sentiment que notre société ne pouvait plus rien apporter ni s'améliorer. Il
fallait de nouvelles bases. Rompre et renaître. J'ai commencé par fréquenter
des salafistes. Il y avait cette idée que nous n'appartenions pas à ce pays.
Nous vivions avec l'idée de créer un État islamique régi par la loi divine et
non par la démocratie. Je ne me suis pas rendu compte avoir basculé du discours
salafiste à celui de djihadiste. Il n'y a pas de grands clivages entre les deux
discours, les codes sont les mêmes. Dans le discours djihadiste, on préfère
parler de combattants plutôt que de terroristes, la lutte armée est glorifiée.
À ce stade, j'étais encore tiraillé. Entre ce modèle héroïque et le rejet des
exactions commises. Je crois qu'à ce moment les personnes sont encore
récupérables», affirme-t-il. «Pour résoudre ce tiraillement, on trouve refuge
dans les théories complotistes. On offre sa raison à ceux dont on pense qu'ils
savent mieux que nous, à commencer sur le plan religieux. On accepte des
phrases comme “c'est un mal pour un bien”. On apprend à vivre par des concepts.
L'humain se perd. Il y a les traîtres, les mécréants et nous, l'élite,
alternative à l'ordre existant, qui apportera paix et justice à l'humanité.»
Rachid n'est jamais allé en Syrie. Pour lui et son groupe,
la France était considérée comme «une base arrière du combat djihadiste». «Il y
a cette ambiguïté de vouloir être en France parce que l'on peut y dire
librement ce que l'on veut et la haine contre ce pays. Je n'aurais sans doute
pas porté les armes sur le sol français, mais j'aurais sans doute, à l'époque, trouvé
mérité si un attentat s'y était produit.»
À la question de savoir si jamais le doute ne l'a traversé,
Rachid évoque ce «djihadisme de l'âme». «Cette lutte contre les doutes qui
traversent le corps, ces bribes de pensée qui remontent du cerveau et ces attaques
de Satan qu'il faut faire taire. Cela a aussi à voir avec la virilité. On tait
tout cela, nous n'en parlons pas.»
Ces doutes, c'est en prison que Rachid va peu à peu les
lever. Au terme de sa garde à vue, il est presque soulagé de ne plus avoir à se
cacher, d'apparaître pour ce qu'il est: un prédicateur djihadiste. «Je pensais
que je serais toujours ce personnage et que ma vie allait se construire autour
de cela. Mais non. En prison, j'ai rencontré des personnes qui n'étaient pas
dans cette optique, des gens de l'Éducation nationale mais aussi ceux qui
animaient les activités extérieures. D'autres détenus avec qui je discutais
mettaient en échec mon argumentation… Des Basques, des Corses… Cela faisait
mal. Mais je reprenais la conversation.
Les autres me reprochaient de trop me mélanger, de ne pas
être assez prosélyte. C'est pour cela que le regroupement de détenus radicaux
n'est pas une bonne chose. Cela ne fait que renforcer le groupe. On ne peut
imaginer combien il est solidaire et réconfortant.»
À sa sortie de prison, Rachid est pris en charge par une
association d'aide aux détenus. «Je ne sais pas pourquoi, je leur ai raconté
mon histoire. Pour eux, il était évident que je pouvais reconstruire une vie.
C'est cela, mais aussi les gestes de mon voisinage qui m'ont donné envie d'y
croire. J'ai pris une formation. Cela a créé une distance énorme avec mon groupe
de djihadistes, plus efficace que tous les discours. Je le fréquentais
toujours. Parfois, je me demandais si je n'allais pas dénoncer des choses à la
police. Mais, même quand j'ai commencé à avoir du dégoût, à ne plus croire à la
lutte armée, j'ai continué à adhérer à l'utopie d'un État islamique.» Rachid
mettra des années à se dégager de son groupe. De son embrigadement à celui des
jeunes aujourd'hui, il trouve «des similitudes, mais il y a moins de réflexion
et d'idéologie. Cela ressemble à un phénomène de mode», affirme-t-il, frappé
par son ampleur.
La rédaction vous conseille :
Radicalisation: «Trente jeunes peuvent déstabiliser tout un
quartier» (29.03.2016)
France | Par Stéphane Kovacs
Mis à jour le 29/03/2016 à 19h25
INTERVIEW - Alain Ruffion, psychanalyste et directeur de
l'ONG Unismed, fait partie du groupe d'experts chargé de mettre en place les
centres «de réinsertion et de citoyenneté» annoncés par le gouvernement d'ici à
l'été.
LE FIGARO.- Après les attentats, y a-t-il plus de
signalements de jeunes en voie de radicalisation?
Alain RUFFION.- Les signalements ont connu une très forte
progression après les attentats de novembre. Cela ne fait que continuer. On a
des parents très proactifs, qui vont voir eux-mêmes la police, réclament une
interdiction de sortie du territoire en 48 h… À l'opposé, on a environ un tiers
des parents dans le déni, qui se rassurent dès que leur ado leur donne des
gages de bonne conduite…
Des politiques évoquent une «centaine de Molenbeek
potentiels» en France…
Je ne pense pas que l'on puisse parler d'un quartier ou d'un
territoire en particulier. En fait, c'est assez diffus. Cela peut être des
individus ou des groupes, d'ailleurs très mobiles ; c'est toute la
problématique. Les jeunes signalés sont de tous horizons sociaux, culturels et
économiques: il n'y a pas de profil type. Les pratiques communautaristes
peuvent se concentrer sur une partie de ces quartiers et créer un terreau pour
le passage à la radicalisation. Parfois trente jeunes peuvent déstabiliser tout
un quartier… Il faudrait s'appuyer sur les collectivités locales, les parents,
les associations pour créer des réseaux de vigilance citoyenne, un maillage
afin de recréer un écosystème qui entoure les jeunes fragiles.
Unismed a été la première ONG à concevoir un programme de
«désengagement». Quels sont les outils efficaces contre la radicalisation?
Enlever le négatif ne suffit pas. Il faut pouvoir rebâtir un
autre idéal, un projet de vie qui fait sens. Par exemple à travers une action
humanitaire, et par l'inclusion économique, l'apprentissage d'un métier.
Instituer des «centres de réinsertion et de citoyenneté» avec un accompagnement
renforcé pendant dix mois, c'est une bonne optique. On se donne les moyens de
travailler sur toutes les dimensions identitaires du jeune, pour le réancrer
dans la société. Maintenant, le temps presse ! On a fait suffisamment de
rapports parlementaires, on aimerait que l'on nous donne les moyens de passer à
l'action…
La rédaction vous conseille :
Stéphane Kovacs
Les différents visages de la radicalisation (02.02.2016)
Des musulmans en pleine prière.
Par Delphine de Mallevo
Mis à jour le 03/02/2016 à 10h29 | Publié le 02/02/2016 à
19h45
VIDÉO - Chômage, déception amoureuse, passage en prison,
frustations... Les raisons qui conduisent à la radicalisation islamiste sont
diverses. Voici le parcours de plusieurs personnes radicalisées, signalées
notamment grâce au numéro vert «anti-djihad».
Les profils ci-dessous, auxquels Le Figaro a eu accès, sont
des cas de personnes radicalisées ou en voie de radicalisation de moins d'un
an, signalés aux services de police, au numéro vert «anti-djihad» et/ou aux
professionnels de la déradicalisation travaillant sous l'égide du ministère de
l'Intérieur.
Désœuvrement professionnel
R.C., né en 1987. Français né à Colombes vivant à
Gennevilliers.
Fin 2014, S., l'épouse de R.C., alerte les autorités de la
radicalisation de son mari qui s'apprête à repartir pour la Syrie - il y est
déjà allé en janvier 2014 pendant trois mois. Elle est terrifiée: il veut
l'emmener avec lui et leurs deux petites filles de 5 et 7 ans. Le profil de
R.C. est étonnant mais pas singulier chez les radicalisés. «Il ne fait pas la
prière ni le ramadan mais il affirme que le djihad remplace tout cela», dit S.
Il est «obsédé par le djihad et regarde des vidéos sur le sujet».
S. n'aurait jamais pensé que R.C. allait se convertir à
l'islam car «il n'avait pas du tout l'esprit religieux, il fumait et buvait
beaucoup et ne connaissait rien à la religion musulmane». Quand l'épouse alerte
les autorités, il est converti depuis deux ans, radicalisé depuis un an. Il
estime désormais que «le djihad est le 6e pilier de l'islam». S. attribue la
radicalisation religieuse de son mari à son «désoeuvrement professionnel et
personnel». Son activité principale consiste à fréquenter la grande mosquée de
Gennevilliers (92), lieu de culte que fréquentaient les frères Kouachi, auteurs
des attentats du 7 janvier 2015, avant d'en claquer la porte la jugeant trop
modérée. RC est très violent, «verbalement et physiquement», confie sa femme,
et «considère Mohamed Merah et Ben Laden comme ses idoles».
Quand il rentre de Syrie, elle ne le reconnaît plus du tout:
longue barbe, cheveux longs, habits en lambeaux et surtout une haine contre la
France qu'il qualifie de «pays de profanateurs et de mécréants». Il considère
la Syrie comme «le paradis». Il essaie de convaincre S. de repartir avec lui et
leurs deux petites filles en Syrie. Face à ce projet, elle dépose une main
courante en octobre 2014 à la vigie de la gare de l'Est, afin d'obtenir une
interdiction de sortie du territoire de ses deux filles de 5 et 7 ans. Il tente
de repartir à deux reprises mais échoue. La deuxième, il est même arrêté et
placé en garde à vue. Puis il est convoqué le 16 décembre 2014 par la PJ qui
lui retire ses papiers. Mais il continue à préparer son départ: il récupère les
numéros de téléphone de deux passeurs irakiens à la frontière turque. Et essaie
toujours de convaincre sa femme de partir avec lui: ils auront une maison, de
l'argent. Notamment une prime d'arrivée de 8 000 euros pour lui et 2 000 pour
elle. En Syrie, ils seraient dans la ville d'Al Bab mais devraient être séparés
durant un mois. Elle toucherait une indemnité de 400 euros mensuels et pourrait
même s'entraîner au combat si elle le désirait. Samira se sent en extrême
danger. Elle craint le jour où il va comprendre qu'elle ne partira pas avec
lui.
Début 2015, juste après les attentats contre Charlie Hebdo
et l'HyperCasher, R.C. se dit «fou de joie», les auteurs sont «ses frères».
Alors qu'elle lui demande pourquoi il a gardé le même portable depuis trois
semaines, puisqu'il en change chaque semaine soupçonnant d'être sur écoute, il lui
répond que les attentats sont «un soulagement» pour lui car ils marquent «le
début d'une grande action en France». Il lui dit qu'il est «un membre de ce
groupe» et, le 8 janvier, parle des plans de fuite des frères Kouachi vers la
Belgique. Le 18 janvier, il indique que des attaques imminentes vont être
menées en simultané à Paris et à Marseille. Selon lui, les auteurs des futures
attaques sont quasiment tous réunis dans un appartement à Gennevilliers (92).
Les attaques seraient orchestrées par «des frères de Torcy», en lien avec le
Front-Al-Nosra, un groupe djihadiste de rebelles armés affiliés à al-Qaida. Le
préfet de police est immédiatement averti et le cabinet du ministre de
l'Intérieur saisi. Selon nos informations, il est à ce jour dans la nature.
Déception amoureuse
A. M., 30 ans. Marocain vivant en France dans le Haut-Rhin.
Fin 2014, une femme signale que son ami A.M. est un
djihadiste qui vient de s'installer en Afghanistan. Elle l'a reconnu sur le
réseau social Facebook, où il apparaît armé d'un sabre. Il a déjà été là-bas.
Il est de confession musulmane et, toutes les voies semblant pouvoir mener au
djihad, se serait radicalisé «suite à une déception amoureuse».
Les recalés de l'EI désignés pour les attentats suicides
C. D., Français né en 1982 dans le Xe arrondissement de
Paris
En novembre 2014, une mère d'origine tunisienne se présente
au commissariat du XIIe arrondissement de Paris pour signaler que son fils,
dont elle n'a plus de nouvelles, serait en Syrie, et ce depuis mars 2013. Elle
le dit «malade psychologiquement» mais sans savoir de quelle pathologie il
souffre. Il est connu des services de police pour violences volontaires aussi
bien sur sa famille que sur ses amis et a déjà été incarcéré. Plusieurs
services sont avisés du signalement: BC, SAT, DCPJ, DGSI et CNAPR. Il
officierait pour la police islamique de l'EI et serait considéré comme l'un des
djihadistes les plus dangereux. En février 2015, la soeur de C.D. indique son
retour imminent. Il serait blessé aux pieds et ne pourrait plus combattre, et
il aurait été désigné pour mourir en martyr lors d'un attentat suicide mais s'y
serait refusé. Un responsable associatif de la déradicalisation alerte les
autorités de son retour, «sans succès». Il n'est pas interpellé. C'est
seulement en mars 2015 qu'il est livré à la police dans des circonstances très
improvisées, par ce même responsable associatif. Les autorités rédigeront un
communiqué interne établissant que le djihadiste s'est livré seul dans un
commissariat.
C.D. est incarcéré depuis lors.
La prison, première école de la radicalisation
G. G., Français né en 1992, vivant à Pantin
Le jeune homme, fils adoptif de Liliane, purge une peine de
prison à la maison d'arrêt de Villepinte pour outrage, voies de fait et
violences. Il se radicalise au contact de son codétenu, un guyanais musulman
radical. G. se convertit et se rebaptise Abdoul. Sa mère alerte le numéro vert
«anti-djihad» au moment de sa sortie imminente de prison, car il lui confie son
intention de partir aussitôt pour la Syrie. Quelques temps après sa sortie de
prison, il est placé en garde à vue pour faits de violence et port d'arme
illégal. Au cours de sa détention, il est surpris par les policiers en train
d'effectuer sa prière. À sa sortie, sa radicalisation s'est encore exarcerbée,
ses relations s'enveniment avec sa mère, il ne veut «plus entendre parler de
l'État français».
La radicalisation, aimant des pathologies psychologiques
S., 20 ans, catholique
A.-S. D., mère de S. et C., élève seule ses enfants. Le
couple est séparé, le père souffrait de graves troubles psychologiques et
comportementaux. Tardivement, S. est diagnostiqué comme enfant précoce. De plus
en plus violent, il accuse un fort absentéisme scolaire, fait plusieurs
tentatives de suicide. Fin 2014, sa mère contacte le numéro «anti-djihad»,
affolée par le comportement de S., qui la considère comme une «mécréante». Il
lit des textes coraniques. Il délaisse son portable car cela va «à l'encontre
de la volonté de Dieu». Il fait référence à l'islam à chacun de ses propos et se
laisse pousser la barbe. Sa mère ne le reconnaît plus. Une procédure antérieure
établit que S. a été victime d'abus sexuels dans son enfance par un membre de
sa famille proche. Des travailleurs sociaux établissent que sa conversion à
l'islam est un rempart contre son lourd passif familial, que ses délires
paranoïaques, et non pas de réelles convictions religieuses, sont à l'origine
de sa radicalisation. Fin décembre, une note est rédigée par crainte qu'«il
commette un acte sur le territoire français, par mimétisme avec les agressions
successives des 20, 21 et 22 décembre 2014 à Joué-les-Tours, Dijon et Nantes,
car il présente un profil de désaxé similaire à celui des auteurs de ces
attaques».
Tous les milieux sociaux touchés
J., Française de 16 ans, fille d'une mère militaire
La mère de J. signale la dérive de sa fille qui, amoureuse
de son petit ami musulman, s'est convertie à l'islam. Elle ne boit plus
d'alcool, cesse le cannabis et porte le voile tout en acceptant de le retirer
dans certaines circonstances. Le degré de radicalisation ne semble pas élevé,
relèvent alors les spécialistes de la déradicalisation, mais elle doit être
étroitement surveillée, tout autant que son petit ami puisqu'elle présentait le
risque d'évoluer par mimétisme. La mère est d'autant plus embêtée par la
situation, qu'elle-même est militaire. La Direction de la protection de la
sécurité et de la défense (DPSD) fait chaque semaine un point avec elle.
S., 16 ans, étudiant brillant au prestigieux lycée
Charlemagne à Paris
Élève brillant et assidu, qui obtient à ce titre une «bourse
au mérite», S. veut soudain tout quitter pour devenir imam et partir pour
Médine en Arabie Saoudite. Absentéisme scolaire de plus en plus fort,
fréquentation des mosquées de l'est parisien, notes en baisse... Sa mère,
musulmane, alerte le numéro vert «anti-djihad» et va elle-même au contact des
imams que son fils fréquente pour leur ordonner d'arrêter de «laver le cerveau»
de son fils.
La difficile lutte contre la radicalisation (05.01.2016)
Pour Dounia Bouzar, qui anime le Centre de prévention contre
les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI), «il n'y a pas d'engagement dans
le terrorisme sans exaltation du groupe».
Actualité France
Par Paule Gonzalès
Publié le 05/01/2016 à 19h50
Plusieurs outils de désembrigadement, mis en place au
lendemain des attentats de janvier, cherchent à contrer ce phénomène. Avec une
efficacité pour l'instant mitigée.
Les pouvoirs publics tâtonnent toujours, mais la lutte
contre le radicalisme islamique a désormais le mérite d'exister. Avec plus ou
moins d'efficacité. Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, Manuel Valls,
le premier ministre, et Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur, ont
accéléré et renforcé le développement des premiers outils de désembrigadement.
À commencer par le fameux numéro vert à l'usage des familles désemparées par la
radicalisation de leurs enfants et leur velléité de partir en Syrie et en Irak.
Chaque préfecture est censée trier les appels et proposer des programmes de
suivi, soit à travers leur propre cellule de lutte soit à travers le Centre de
prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) animé par
Dounia Bouzar, anthropologue spécialisée dans l'analyse du fait religieux.
Depuis 2014, ce numéro vert à reçu 4 000 appels, et le CPDSI
affiche dans ses statistiques 1 059 saisines: en 2014, 325 jeunes ont été suivis. En 2015, ce chiffre
s'est élevé à 484, dont «234 passés en désembrigadement et 250 suivis en prévention
(car en rupture mais sans préparer de départ). 250 jeunes sont suivis par les
cellules de terrain préfectorales ayant saisi le CPDSI pour accompagnement
professionnel», rappelle le site. Pour Dounia Bouzar, «il y a désormais
davantage de cohérence dans la prise en charge et de confiance réciproque entre
les équipes d'éducateurs, de psychiatres, de psychologues et les policiers. De
plus, les cellules des préfectures avec lesquelles nous avons travaillé sont de
plus en plus autonomes.»
Mais Dounia Bouzar ne cesse de regretter les dix ans
de retard pris par trois gouvernements successifs qui, par peur d'être taxé
d'islamophobie, ont répugné à s'attaquer au problème naissant. Ce retard n'est
pas le seul point noir de la lutte contre le radicalisme. Si le numéro vert a
le mérite d'exister, Doumia Bouzar rappelle aussi que «80 % des appels
proviennent des classes moyennes». Difficiles, pour ceux qui sont en rupture
avec les institutions ainsi que pour les familles déjà radicalisées, de passer
par le tamis des centres de déradicalisation. C'est donc toute une partie des
personnes concernées qui échappent à ces programmes.
250 détenus au profil islamiste
Par ailleurs, les cinq quartiers des détenus les plus radicaux, annoncés en janvier dernier par Manuel Valls, ne sont pas encore
ouverts. Seule la prison de Fresnes, à l'origine de cette stratégie, regroupe
en permanence une vingtaine de détenus radicaux. Les expérimentations menées
par l'Association française des victimes du terrorisme et Dialogue citoyen,
lancées dans les prisons de Fresnes, Fleury-Mérogis, Osny et Lille-Annoeullin,
s'achèveront à la fin du mois de janvier. Chacun de ces quartiers ne devrait
cependant accueillir qu'une vingtaine de détenus, alors qu'aujourd'hui 250
détenus au profil islamiste sont derrière les barreaux. La méthode fondée sur
«les groupes de parole et la liberté d'expression» vise non seulement à
désendoctriner les radicaux, mais aussi à détecter ceux sur la voie de la
radicalisation.
Si la sociologue Ouisa Kies est optimiste sur la
méthodologie, en revanche, comme bien des professionnels, dont des juges
antiterroristes, elle reste «réservée sur la logique de regroupement». «Il n'y
a pas d'engagement dans le terrorisme sans exaltation du groupe», rappelle
Dounia Bouzar, qui redoute «le mélange des profils». D'autant, rappelle un
cadre de l'administration pénitentiaire, que «ces détenus se connaissent tous,
communiquent sans cesse. Nous sommes face à un réseau aux mailles très
serrées.» Et beaucoup de faire aussi remarquer du bout des lèvres que «ces
détenus vont aussi bénéficier de programmes de réinsertion privilégiés auxquels
n'auront pas accès le commun de la détention»…
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10 croyances toxiques qui poussent les terroristes à passer à l'acte (04.06.2017)
Voilà une liste des bénéfices que peuvent ressentir ceux qu’on prend encore trop souvent pour des victimes du "système", afin d’expliquer le terrorisme par une cause unique, simple, évidente.
04/06/2017 07:00 CEST | Actualisé 04/06/2017 10:31 CEST
Thomas Bouvatier Psychanalyste, spécialiste des dérives radicales, auteur de "Petit manuel de contre-radicalisations"
Depuis les attentats de 2015, on entend plusieurs spécialistes énumérer les raisons économiques, politiques, morales, religieuses ou sociologiques, qui poussent des individus à se radicaliser, mais jamais les bénéfices qu'ils en tirent. Pourtant, si on ignore de tels avantages, aussi puissants que toxiques, non seulement on déresponsabilise les djihadistes, on nie leur capacité de choisir, de désirer, mais on ignore aussi la force d'attraction que ces groupes ultra-radicaux exercent sur une partie de la population.
Il est plus simple de croire qu'ils se sont laissés manipuler, endormir, même s'ils affirment l'inverse. C'est vous, répondent-ils, qui vous faites laver le cerveau, pour être à ce point aveugles sur les bénéfices de la radicalisation.
Quels sont-ils?
- Justifier une haine et une violence qui se trouvait chez eux avant leur radicalisation. Tandis que le futur djihadiste retournait sa colère contre lui ou d'autres personnes, pour un oui ou un non, le groupe radical violent va justifier et encourager cette colère. Il va lui donner une cause, un visage, un nom, un ennemi sur lequel se défouler, et expliquer comment s'y prendre pour y parvenir. La conséquence est surprenante : la famille observe souvent que son enfant se sent plus cadré, plus calme, car sa haine est canalisée vers un objectif et ne part plus dans tous les sens. Elle n'en est que plus dangereuse.
- Ressentir un échantillon de toute-puissance. Le djihadiste sent réellement qu'une force incroyable soude le groupe qu'il a rejoint pour sauver son oumma fantasmée. L'accomplissement de gestes identiques, la communion dans la prière, les entraînements – où les corps sont traversés ensemble par l'adrénaline – donnent à chacun l'impression de former une entité invincible. De même, partager la même cause, des points de vue semblables sur le monde, chanter ensemble des propos exprimant une foi intime, tout cela finit par donner l'illusion d'être habité par un même souffle divin. On ne cesse de s'en émerveiller, surtout quand on s'aperçoit qu'à force de vivre des réalités psychiques similaires, on finit par avoir des rêves aux contenus tout aussi similaires, comme une confirmation au plus profond de soi de Son existence. Il en résulte le sentiment de ne plus s'appartenir, d'être plus fort, fort de tous ceux qui composent ce "nous". Mais en devenant "nous", le "Je" n'est plus. C'est le paradoxe de cette promesse fusionnelle : pour se renforcer il faut se détruire. Ce qui est impossible, tant qu'on reste en vie. Entre deux états de communion, le radicalisé tâche alors de taire ses doutes qui lui sont propres, ses cauchemars, ses lapsus, ses actes manqués, ses pensées et ses désirs, qu'il juge honteux au regard de la foi. Il nie les tensions au sein de son groupe, nées de la confrontation de personnes aux caractères différents. Il se force à ne pas s'agacer de voir un de ses "frère" devenir autoritaire, plaintif ou narcissique. Il efface tout cela d'un trait au cours de ses épisodes d'union sacrée. Et quand des différences internes se font trop fortes, il accuse alors le diable. Satan seul permet de continuer de croire à l'absolu, car il justifie son imperfection. Un tel manichéisme entre pourtant en contradiction flagrante avec une croyance qui se déclare strictement monothéiste.
- Avoir une deuxième famille. Le futur djihadiste trouve dans son groupe une nouvelle famille, dont il devient un frère, une sœur, mais aussi une mère ou un père (abou). Une famille beaucoup plus unie, protectrice, prometteuse et plus forte que celle qu'il a connue plus jeune. La radicalisation est un troc de racines, où on perd la réelle pour une autre, illusoire.
- Consolider son identité. Le radicalisé étend son identité à celle de son groupe glorieux, et fait rejaillir sur lui les caractéristiques de son chef. On n'hésite pas alors à devenir catégorique, vif, emporté, ou serein, selon la personnalité du modèle à imiter. Si, vue de l'extérieur, l'identité du djihadiste a l'air forte, elle est rigoureusement encadrée à l'intérieur du groupe, où toute divergence la menace de destruction.
- Recevoir de l'amour. Au début, le radicalisé est abreuvé de compliments et de ce qu'il considère comme des marques pures d'affection, de compassion et de bienveillance. Alors qu'il est absolu au début, cet "amour" devient conditionné par la suite, à la source d'une culpabilisation constante et d'une demande sacrificielle de plus en plus grande pour justifier l'authenticité de son engagement. On reconnaît ici le rapport qu'entretiennent les pervers narcissiques avec leurs victimes, notamment dans les couples fusionnels.
- Identifier ses souffrances à celles du groupe. L'individu en voie de radicalisation est soulagé de pouvoir confondre ses souffrances avec celle de sa communauté. Sa douleur n'est plus de son fait. Là où régnait l'impression d'être perdu et impuissant face à ses démons intérieurs, la cause est désormais claire, partagée par une confrérie robuste, tandis que la voie de la guérison est devant soi.
- Avoir un sens dans sa vie. Aussi délirantes soient-elles, les promesses d'Al Bagdadi donnent un sens à la vie du djihadiste. C'est pour elles qu'il se lève le matin, s'implique quotidiennement, à chaque moment de la journée, jusqu'à parfois quitter son patelin pour partir en Syrie. À l'inverse des dépressifs qui s'accusent d'être des "ratés" parce qu'ils n'arrivent pas à atteindre de telles promesses, l'individu radicalisé trouve dans un groupe branché à Dieu une énergie hors du commun pour les réaliser.
- "Sauver" les membres de sa famille originelle. Les djihadistes sont persuadés que la mort en martyr permet d'emmener au paradis des personnes de sa famille. Un radicalisé, atteint du syndrome du sauveur, cherche ainsi à racheter ceux de ses proches qui se sont égarés dans la drogue ou le "péché". Que ses parents souffrent de son départ et de ses actions n'a aucune importance au fond, car c'est aussi pour eux qu'il se ceinture d'explosifs.
- Jouir du prestige. À une autre échelle, celui ou celle qui s'explose dans la foule, qui part se battre au front ou qui s'attaque aux forces de l'ordre, et apporte ainsi à ses frères et sœurs les preuves de son combat contre l'"autre" (cet obstacle à la communauté parfaite), celui-là est aussitôt auréolé de gloire, halo dont profitent tous ceux qui le connaissent et qui louent son geste.
- Ressentir moins d'angoisse. Convaincus de détenir une vérité solide, absolue, les djihadistes peuvent en ressentir un mieux-être. La définition des objets, des individus, de la nature et de l'univers, est définitive. En cas de doute, il est constamment rappelé à l'ordre.
Voilà la liste, non exhaustive, des bénéfices que peuvent ressentir ceux qu'on prend encore trop souvent pour des victimes du "système", afin d'expliquer le terrorisme par une cause unique, simple, évidente.
Il y a bien des avantages pour un individu à se radicaliser. Le principal est d'organiser sa radicalité, qu'importe le prix à payer. Lui qui croit devenir plus libre, le voilà sous étroite surveillance avec des choix restreints. Lui qui croit se singulariser, le voilà dans l'obligation de ressembler aux membres de son groupe. Lui qui croit vivre plus, le voilà en train de préparer sa mort en ne pensant qu'à l'au-delà. Lui qui veut être supérieur, le voilà à se soumettre. Lui qui pense incarner une image, un absolu, il connaît toujours des doutes. Car ce diable, à l'existence si pratique pour les croyants absolutistes, trouve à s'immiscer partout. La seule manière de l'éliminer consiste alors à se tuer.
Pourquoi un intellectuel, un diplômé ou un bourgeois peuvent aussi devenir des jihadistes (09.06.2017)
Comment l’attaquant de Notre-Dame, Farid I., doctorant, ancien journaliste, a-t-il pu finir par se radicaliser au point de se filmer devant un drapeau de Daech et de vouloir assassiner un policier?
09/06/2017 14:56 CEST | Actualisé 09/06/2017 18:48 CEST
Thomas Bouvatier Psychanalyste, spécialiste des dérives radicales, auteur de "Petit manuel de contre-radicalisations"
AFP
Un policier a été attaqué sur le parvis de Notre-Dame de Paris par un homme muni d'un marteau, qui a été blessé par un tir de riposte, le 6 juin 2017.
Nous avons du mal à accepter qu'un jihadiste puisse être diplômé, scientifique ou avocat. Et pourtant, Farid I., doctorant, a fini par se filmer devant un drapeau de Daech avant de vouloir assassiner un policier devant Notre-Dame.
En 2007, deux jihadistes ont foncé dans l'aéroport de Glasgow, avec leur Jeep remplie de bonbonnes de gaz, mais ils n'ont réussi qu'à blesser légèrement un passant. L'un d'eux était médecin au Royal Alexandra Hospital, l'autre titulaire d'un doctorat d'ingénieur aéronautique.
Quant aux membres de la funeste secte de l'Ordre du Temple Solaire, ils comptaient parmi eux un chef d'orchestre de renommée internationale, un médecin charismatique et de nombreux bourgeois diplômés. Étudier à l'université n'empêche pas de croire que des extra-terrestres ont construit les pyramides d'Egypte, ni de penser qu'on peut faire voler des tables avec la force de son esprit, ou qu'on va se réincarner sur une planète lointaine peuplée d'êtres purs.
Si l'effort de réflexion, que demandent le parcours éducatif et l'obtention de diplôme, n'est pas là pour nous empêcher de basculer dans les croyances les plus occultes ou dans la barbarie, à quoi sert-il? Cette question doit nous pousser à changer notre manière de voir les jihadistes. On imagine trop souvent ces derniers comme des jeunes défavorisés, en échec scolaire et au casier judiciaire bien rempli. Mais quand on regarde le profil des individus qui se radicalisent dans le monde ces vingt dernières années, force est de constater qu'ils viennent d'horizons culturels, professionnels et sociaux variés.
Sur quelle base commune pouvons-nous donc travailler pour lutter contre la radicalisation?
Mettons d'abord que les jihadistes ont tous un désir d'absolu et qu'ils veulent détruire ce qui y fait obstacle, quitte à se sacrifier entièrement.
Ensuite, que leur capacité de réflexion s'emploie activement à concrétiser ce projet destructeur. Hitler, Staline, Pol Pot ou Al Baghdadi causent d'autant plus de souffrances qu'ils peuvent être de brillants stratèges. Et pourtant, que d'erreurs de jugement dans leur raisonnement... Cela a l'air contradictoire? C'est le paradoxe des dictateurs et des radicalisés: leur qualité cognitive est soumise à leur immaturité émotionnelle. Intelligence et bêtise se trouvent ainsi dramatiquement liées, l'une étant au service de l'autre.
Être obsédé par la vérité, par exemple, brandir son nom à tout bout de champ et s'en estimer le seul détenteur, soi ou ses proches, c'est nier toute réflexion à venir et donc promouvoir l'idiotie. Utiliser des arguments sociologiques, historiques ou religieux pour s'estimer la victime absolue d'un système entièrement coupable, comme le font les jihadistes et leurs sympathisants, c'est refuser toute responsabilité individuelle et s'enfermer dans un manque flagrant de discernement.
Un jihadiste peut devenir un champion de la rhétorique, démonter les raisonnements de ses interlocuteurs avec un certain brio, mais il finira par utiliser encore et encore les mêmes outils clivants, dans le but unique d'écraser sa victime et de se rehausser, tout en étant persuadé de flirter avec les sommets de la perspicacité. Il ne pense souvent qu'à ça, sa supériorité intellectuelle.
De manière générale, il est fréquent de confondre pensées en boucle et réflexion.
La réflexion est un raisonnement constructif et dynamique, toujours en exercice, qui tâche de répondre à une question nouvelle, qui ne cesse de s'enrichir d'une autre information, d'une autre question et ainsi de suite.
La pensée obsessionnelle, en revanche, est close. Certitude, elle ne fait que justifier une émotion négative qui trouve son origine dans un ou plusieurs traumatismes anciens et qu'on préfère cacher. Par exemple, penser tout le temps à son injustice, comme le fait le futur radicalisé, ce n'est pas réfléchir, mais c'est être assailli par une angoisse ancienne dont il va justifier l'existence en lui donnant une expression victimaire, communautaire, religieuse puis militaire. Confondant la souplesse de la réflexion avec la mécanique de la pensée en boucle, l'individu en voie de radicalisation finit par se croire très intelligent et distribue à tout va ses raisonnements expéditifs.
"Ouvrez enfin les yeux!", disent les vidéos de propagande. "Réveillez-vous!". Dans une espèce d'Eurêka inversé, le jihadiste en devenir a l'impression de tout comprendre : qui sont les vrais coupables, les vrais innocents et comment fonctionne le "système". Il se sent plus clairvoyant que tous ceux qu'il appelle dorénavant "les endormis", alors qu'il réduit sa capacité intellectuelle à des formules chocs, fermées comme des poings.
On commet donc une bêtise, ou on en dit une, quand nos capacités intellectuelles sont prises en otage par un désir d'absolu, quel qu'il soit : faire plusieurs choses à la fois par exemple, critiquer ce qui fait obstacle à sa volonté de jouir sans effort, réifier l'autre, ou faire de grandes généralités, ce qu'on peut difficilement éviter. L'important est de finir par laisser la place au doute, à la question, à l'inconnu, pour continuer à avancer et s'enrichir. La réflexion est décuplée quand elle est libérée d'un tel désir d'absolu. Elle peut s'ouvrir à d'autres choses qu'à son ambition démesurée, ou à la douleur de ne pas l'atteindre, qui chacun agissent comme un astre brillant ou sombre, autour duquel gravitent des pensées binaires.
Farid I., doctorant, ancien journaliste, capable d'esprit critique, a finalement choisi la facilité, la lumière artificielle. Cela a probablement permis à ses obsessions de se stabiliser et de s'organiser autour du prêt-à-penser salafiste distribué en kit sur Internet, mais cela s'est fait au détriment de son intelligence. Pour vivre dans l'illusion d'une vérité totale, il lui a suffi de répéter mot pour mot ce que disent les vidéos de Daech avant de passer à l'acte.
C'est l'antithèse du thésard. Plus besoin de chercher, il a trouvé. Quoi ? Tout. C'est-à-dire la preuve qu'il ne sert plus à rien de réfléchir et donc de vivre
Face à la multiplication des attentats djihadistes, quelles solutions durables pour les citoyens? (26.05.2017)
Et si quelque chose d’essentiel n’avait pas été exploré dans la lutte contre les dérives radicales?
26/05/2017 07:00 CEST | Actualisé 26/05/2017 07:00 CEST
Thomas Bouvatier Psychanalyste, spécialiste des dérives radicales, auteur de "Petit manuel de contre-radicalisations"
DARREN STAPLES / REUTERS
Le public observe une minute de silence en hommage aux victimes de l'attaque de Manchester Arena, sur la place Sainte-Anne dans le centre de Manchester, le 25 mai 2017.
Face à la multiplication des attentats djihadistes en Europe, que peuvent faire les citoyens?
Pour certain il est tentant de fuir, changer de continent, s'installer en Amérique du Nord, en Thaïlande ou en Australie, mais le risque est partout le même: le djihad est un mondialisme. D'autres cherchent une place confortable dans le déni, ou trouvent des excuses aux terroristes, relativisant leur action au regard d'autres problèmes sur Terre, mais ils n'en restent pas moins des mécréants passifs. D'autres encore se convertissent à l'islam en s'identifiant à la victimologie islamiste, comme cela se fait de plus en plus après chaque attentat, mais ils seront toujours dans la ligne de mire des djihadistes, car tout ce qui n'est pas l'islam de Daech ou d'Al Qaida est à détruire. D'autres enfin, après la minute de compassion pour les victimes, continuent d'affirmer que c'est la faute de la colonisation, du chômage, du racisme ou des ghettos, mais les djihadistes depuis les années 90 se recrutent dans toutes les classes sociales et dans des pays qui n'ont jamais connu l'islamophobie ou la colonisation, comme l'Arabie Saoudite. Sans compter que les nations anciennement colonisées sont aussi touchées. Quelques-uns, pour finir, montrent les dents, adoptent les discours radicaux de l'extrême droite, ou se radicalisent eux-mêmes dans des groupes fascistes, mais c'est exactement ce que recherchent les djihadistes: cliver la population et continuer à frapper au cœur du brassage, dans les concerts, les terrasses de cafés, le métro, la rue.
Pour ces individus, tout ce qui n'est pas total, absolu, radical, n'a pas de valeur.
Alors, quelles solutions pour les citoyens? Faire face, résister aux simplifications, comprendre la rhétorique et le fonctionnement de nos ennemis, trouver la parade.
Ce n'est pas la première fois que la France est confrontée à des idéologies mortifères. Qu'avons-nous appris? La lutte contre le djihadisme doit passer par l'action armée et policière, mais aussi par la formation dans les mairies, les préfectures, les entreprises, les associations et bien sûr les écoles.
En tant que psychanalyste, j'ai tenté d'enseigner pendant deux ans à des acteurs sociaux, publics et privés, ce qu'est la psychologie du djihad et le contenu narratif de la propagande djihadiste. Ce n'était pas la bonne formule. A chaque fois, un ou deux individus prenaient la parole pour traiter l'intervenant d'islamophobe, voire d'agent du "système". Et ce n'était pas toujours le fait d'islamistes, mais aussi de personnes d'extrême gauche, dont certains ne voyaient aucun inconvénient à promouvoir les droits d'un transgenre et la défense d'un djihadiste, tous deux vus comme les victimes d'un système ultra-libéral qui serait lui le véritable terroriste. Dans ce type de formations, nombreux sont ceux qui arrivent avec une vérité absolue qu'ils cherchent à imposer au groupe. Quand on leur parle de démocratie ou de république, ils rejettent ces termes au nom des atteintes aux libertés et des crimes de la France. Comme si un pays devait être parfait ou ne pas être. Comme si un Français devait être irréprochable ou se taire à jamais. On sent bien la démarche intellectuelle derrière: se victimiser pour culpabiliser l'autre et légitimer sa propre haine, quelle que soit la cause dans laquelle elle se drape. Pour ces individus, tout ce qui n'est pas total, absolu, radical, n'a pas de valeur. Si on leur explique que l'exploitation économique, la colonisation, les massacres au nom d'une religion ou l'esclavagisme n'ont pas été inventés par l'Occident, ils s'en désintéressent. Si on leur parle des meurtres de masses musulmanes par les Mongols musulmans comme Tamerlan, de la révolte des esclaves noirs dès les Abbassides, de la situation des Coptes ou du génocide des Arméniens, cela ne les concerne pas. C'est bien cela qui doit nous faire changer d'angle. Nous sommes face à une pensée radicale qui n'accepte que l'absolu, jamais la remise en question, et qui se fait porte-parole d'une propagande mortifère.
Certains continuent d'affirmer que c'est la faute de la colonisation, du chômage, du racisme ou des ghettos, mais les djihadistes se recrutent dans toutes les classes sociales.
Si on ne comprend pas le fonctionnement d'une telle pensée, ainsi que sa rhétorique bien spécifique, on ne peut pas saisir la structure et l'endoctrinement des groupes radicaux en général. Il s'agit d'une guerre des caricatures et elle ne peut pas se gagner par une propagande opposée, sous peine de tomber soi-même dans un autre absolu, une autre radicalité. Pour qu'un contre-discours soit efficace, il doit se situer dans un champ différent de celui occupé par de tels adversaires. Il faut les attirer dans un espace où leur matraquage n'a pas de prise; là où on admet qu'on est incomplet, faillible; là où le paradis est perdu et l'inconnue acceptée, une inconnue aussi essentielle que dans une équation mathématique –ce qui nous a permis d'aller sur la lune, et plus de la promettre; là où apparaissent réflexion, découverte, et non une image qu'on doit incarner. C'est pour cela qu'une formation efficace doit s'interroger sur sa propre radicalité, et l'accepter, car on l'est tous plus ou moins, c'est un fait, et mieux vaut juste l'être moins que plus. Une formation efficace doit s'occuper de toutes les formes de radicalisations, le plus objectivement possible, en cultivant l'interrogation. Même si l'islamisme nous préoccupe, que les attentats sont commis par des salafistes guerriers, nous devons toujours associer l'étude de leurs groupes à celle des nazis, des fascistes, des ultragauchistes violents, des sectes, des gangs qui, à leur échelle, participent tous au morcellement du vivre ensemble.
Pour qu'un contre-discours soit efficace, il doit se situer dans un champ différent de celui des adversaires, dans un espace où leur matraquage n'a pas de prise. Là où on admet qu'on est incomplet, faillible.
Or, face à des individus obsédés à l'idée de personnifier un symbole, celui du rebelle, du sauveur, du souffre-douleur, du savoir total, on a encore trop tendance à vouloir tendre une autre image, celle d'une République idéale, d'une démocratie totale, d'une déradicalisation efficace, l'image d'Epinal d'un vivre ensemble qu'ils arrivent très bien à déchirer au nom de son imperfection.
Alors disons-le haut et fort: Non, nous ne sommes pas la patrie des Droits de l'Homme, mais nous pouvons les respecter davantage. Non, nous ne sommes pas la représentation de la Démocratie, mais nous pouvons l'améliorer. La République est imparfaite? Justement, nous pouvons la perfectionner. Les citoyens doivent comprendre qu'on se bat contre le même problème depuis les Lumières: cet obscurantisme qui consiste à penser encore comme un enfant mal autonomisé, préférant rester dans une vision totale, noire ou blanche, ne supportant pas ce qui vient faire obstacle à la satisfaction de ses désirs, croyant que ce qui n'est pas avec lui est forcément contre lui, prêt à obéir à un chef tant que ce dernier promet tout ce qu'il veut entendre, dépendant de ce chef pour savoir comment penser, qui voir, quoi croire, qui aimer, que dire, comment se nourrir et s'habiller. Il y a bien des bénéfices à se radicaliser, mais ils sont terriblement toxiques, d'où l'intérêt de les expliquer en détail dans les formations, dès le plus jeune âge, mais aussi de promouvoir les avantages qu'il y a à être plus autonome.
Nous ne sommes pas les enfants de la République, nous en sommes les adultes. Nous sommes forts de nos manques et de nos équations.
Dire à des écoliers et des citoyens qu'ils sont les enfants de la République, tout en soulignant les crimes de celle-ci, c'est les placer dans une famille indigne contre laquelle il devient essentiel de se soulever. Mais nous ne sommes pas les enfants de la République, nous en sommes les adultes, ou les futurs adultes.
Face aux attentats djihadistes en Europe, on doit faire face, comprendre la rhétorique et le fonctionnement de nos ennemis, et cela passe par le questionnement de notre propre radicalité, afin de ne pas donner prise aux absolutistes de tous genres. Nous sommes forts de nos manques et de nos équations. En voyant les dégâts d'une radicalisation qui propose seulement de régresser à l'état enfantin et clanique, nous comprenons l'urgence qu'il y a de devenir plus autonomes.
Laïcité : « Les maires financent déjà des mosquées et des écoles coraniques » (04.08.2016)
- Crédits photo : CHARLY TRIBALLEAU/AFP
Vox Politique | Par Alexis Feertchak
Publié le 04/08/2016 à 10h48
FIGARO/ENTRETIEN - Face à l'explosion qui menace la République, il faut un pacte extrêmement rigoureux entre l'Islam et l'Etat, argumente Elisabeth Schemla, qui a de longue date mis en garde contre les ravages de l'islamisme.
Journaliste et écrivain, Elisabeth Schemla a été grand reporter, rédatrice en chef du Nouvel Observateur et directrice-adjointe de la rédaction de L'Express. Elle est aujourd'hui conseillère municipale de Trouville. Elle a notamment publié Islam, l'épreuve française (éd. Plon, 2013).
Le Premier ministre a déclaré dans le JDD qu'«il nous appartenait de bâtir un véritable Pacte avec l'islam de France». Cette formule qui consacre l'établissement d'un pacte pour une catégorie particulière de Français ne signifie-t-elle pas que le pacte républicain qui s'adresse à l'ensemble du peuple est sévèrement fragilisé?
Que le pacte républicain soit fragilisé est une évidence nationale. Nous sommes au bord d'une explosion, notamment après l'égorgement du prêtre Jacques Hamel qui dévoile sans ambiguité, au delà de l'horreur, la guerre de religion que nous livrent les jihadistes. Erodée par le multiculturalisme, l'égalitarisme, la faiblesse de l'autorité, le triomphe absolu d'Internet qui atomise tout et chacun, la faillite de l'école primaire, enfin la montée de l'extrême droite, la République est de moins en moins un idéal et une ambition communs au peuple français dans sa très grande diversité. Le ciment craque. La boussole républicaine n'indique plus les quatre points cardinaux. Compte tenu de la place et du rôle de l'islam dans cet affaiblissement, la façon dont il l'utilise à son profit, la question qui se pose vraiment est de savoir si cela justifie un pacte particulier au sein de la République.
La réponse est oui.
Nous sommes au bord d'une explosion, notamment après l'égorgement du prêtre Jacques Hamel qui dévoile, au delà de l'horreur, la guerre de religion que nous livrent les jihadistes.
On constate chaque jour que le CFCM, tel qu'il a été mis sur pied, est gravement défaillant. A cause du système des grands électeurs, entre autres, dans lequel ne figurent ni les femmes ni les jeunes, la représentativité cultuelle de l'ensemble des musulmans pratiquants n'est pas respectée. Il faut donc réformer structurellement le CFCM, en remettant tout à plat, maintenant que les mosquées ont acquis droit de cité.
Ensuite, il faut obliger les organisations cultuelles musulmanes à renoncer au crime d'apostasie - puni de mort dans l'islam- dont nos dirigeants successifs, prétendument républicains, ont fini par accepter qu'il figure dans les statuts du CFCM. Chevénement avait cédé, Sarkozy a confirmé, Hollande a laissé filer. L'interdiction pour un musulman de se convertir à une autre religion est inacceptable dans un état de droit comme le nôtre, contraire au principe de la liberté de conscience. C'est un point symbolique mais central. Remarquons au passage que nos politiques ont été les premiers à briser eux-mêmes le pacte républicain...
Et puis, il n'y a guère d'autre façon de bâtir un islam français - expression qui a elle seule hérisse tant de musulmans - que de passer par un accord spécifique, extrêmement rigoureux. D'un côté la République n'avait pas prévu qu'elle se retrouverait un siècle après la loi de 1905 confrontée à une nouvelle religion, prosélyte et conquérante. Elle n'est donc pas préparée à cette donne. De l'autre, l'islam n'avait pas envisagé qu'il devrait se transformer de culture de majorité en culture de minorité, de se contextualiser. Ce double défi mérite un pacte. Plus: s'il était enfin mis en route, il contribuerait fortement à apaiser les tensions, à faire que s'éloigne le spectre d'une guerre civile.
Enfin, la structuration d'un islam français ne peut pas reposer uniquement sur la représentation cultuelle. De grandes organisations représentatives laïques doivent en faire partie intégrante. Sinon, nous nous rendons coupables du pire des amalgames: considérer que toute femme, tout homme, tout enfant d'origine culturelle musulmane est un musulman pratiquant, c'est à dire gommer la laïcité, voire l'agnosticisme de nombre d'entre eux. Un problème se résout hic et nunc, sinon, échec assuré.
Quand on considère les influences politiques qui peuvent peser sur certaines organisations représentant la communauté musulmane en France, comme l'UOIF, marquée par les Frères musulmans et le Qatar, l'Etat ne prend-il pas le risque aujourd'hui de faire le jeu de l'islamisme politique?
Ne pas faire le jeu de l'islamisme politique, c'est d'abord exiger sans faillir des contreparties à l'institutionnalisation d'un islam français.
On négocie par réalisme avec un adversaire quand il est aussi fort et puissant que vous. C'est loin d'être le cas de l'islamisme politique en France aujourd'hui. Gardons notre sang-froid. Il y a le terrorisme islamiste, il y a une incontestable islamisation de la France qu'il faut regarder et traiter avec calme. La rationalité française, la laïcité même sont dans une impasse, elles sont arrivés au bout. Nous devons élaborer une façon de penser, de discourir, de proposer radicalement nouvelle, ouverte aux autres expériences. Par ailleurs, plus rapidement et prosaïquement, ne pas faire le jeu de l'islamisme politique, c'est d'abord exiger sans faillir des contreparties à l'institutionnalisation d'un islam français, tel que je l'évoquais plus haut. C'est aussi mettre en place - et c'est la responsabilité de l'Etat - toutes les mesures de première nécessité, si vous me permettez cette expression. Elles sont dans toutes les bouches aujourd'hui, ce qui est déjà un sérieux progrès. Par exemple, il est invraisemblable que l'on n'ait pas créé un institut de formation des imams digne de ce nom, dans lequel langue, histoire, système institutionnel et culture français seraient enseignés. Nous avons la chance d'avoir une terre concordataire, legs napoléonien. Que n'y a-t-on depuis longtemps installé une telle école? Au lieu de ça, la France est allée signer avec l'Algérie, minée par l'intégrisme, la formation d'imams!
Manuel Valls a également écrit qu' «il fallait reconstruire une capacité de financement française» sans apporter davantage de précision. Un financement public de l'islam de France pourrait-il s'inscrire dans la tradition de notre pays?
Si le Coran gagne les coeurs, l'argent est évidemment au coeur. Le but de la France n'est pas de contrebalancer les financements étrangers qui exportent chez elle une idéologie religieuse, un fondamentalisme sociétal et le terrorisme. Le but doit être de tarir ces sources.
Mais qu'est-ce que Valls appelle «une capacité de financement française»? Redonner vie à la Fondation pour l'islam de France créée par Villepin, chargée de d'assurer et superviser une collecte transparente des fonds, pourquoi pas. Mais que les fonds d'Arabie Saoudite, du Qatar, de Turquie ou d'ailleurs soient transparents, qu'est-ce que cela change vraiment concernant la propagande coranique et l'islamisation des esprits? Pas grand chose. Voudrait-on nous faire croire que nous sommes prêts à renoncer à nos contrats mirobolants d'armements au cas où la Fondation refuserait tel ou tel fonds à tel ou tel pays du Golfe? Si telle était l'intention, nos gouvernants auraient déjà supprimé l'exonération fiscale dont bénéficie le Qatar pour ses avoirs en France.
Il y a une formidable hypocrisie. Lorsque des maires partout en France financent indirectement des mosquées, des centres culturels et des écoles coraniques, sans aucune contrepartie, ils contournent la loi de 1905.
Si financer français signifie que c'est l'Etat qui doit payer, Hollande rejette cette suggestion de son Premier ministre, sans état d'âme. Probablement sous la pression de son camp qui y voit une grave atteinte à la loi de 1905. Ce qui est tout à fait exact, mais d'une formidable hypocrisie. L'Etat, c'est nous, contribuables. Il n'y a pas de différence entre notre contribution par l'impôt à la vie de la nation, de la Région ou de la commune. Par conséquent, lorsque tant et tant de maires partout en France financent indirectement, grâce à notre involontaire participation financière, la création de mosquées, de centres culturels et d'écoles coraniques associés, sans aucune contrepartie, ils ne contournent allègrement la loi de 1905. Et personne ne semble s'en offusquer. Nous n'avons pas vu des populations laïques se révolter contre cet état de fait. La multiculturalisation des esprits a gagné elle aussi.
Sans doute une taxe sur l'énorme marché du halal qui représente 5 milliards d'euros annuels serait-elle plus judicieuse pour établir un financement français permettant de payer les salaires des imams, des aumôniers, la formation des imams, etc... Cette taxe pourrait être versée, encaissée, supervisée par la Fondation. L'argument selon lequel le halal est entre les mains d'entreprises privées, ce qui serait un empêchement, n'est pas convaincant.
N'est-il pas paradoxal qu'en réaction aux attentats, Manuel Valls en appelle à refonder l'islam de France alors que, dans le même temps, il déclare avec constance qu'il ne faut pas commettre d'amalgame entre islam et terrorisme?
Je ne vois pas là de paradoxe. L'islam en tant que doctrine religieuse, tel qu'il est interprété par les hommes, par conséquent un nombre certain de musulmans - mais pas tous les musulmans, tant s'en faut! - pose beaucoup de problèmes en France, et à la France. Il est normal de vouloir mettre ces problèmes sur la table, de réunir tous les acteurs autour d'une table. Et puis, cette notion d'amalgame, de stigmatisation relève de l'argutie et commence à indisposer sérieusement.
C'est moi républicaine, laïque, qui suis «amalgamée», «stigmatisée». Je le suis, stigmatisée, quand je croise une femme en niqab ou burka dans la rue, quand un homme refuse de me serrer la main, quand je vois une fillette la tête couverte qui déserte soudainement les cours.
C'est moi républicaine, laïque, qui suis «amalgamée», «stigmatisée». Je le suis, stigmatisée, quand je croise une femme en niqab ou burka dans la rue, quand un homme refuse de me serrer la main, quand je vois une fillette la tête couverte qui déserte soudainement les cours de dessin, de danse ou de musique, quand je constate que la loi du Coran, pour certains, transcende et doit s'imposer aux acquis constitutionnels, institutionnels, législatifs pour lesquels nous nous sommes tant battus.
Les plus vives critiques de la laïcité à la française considèrent que celle-ci entrave la liberté de religion, pourtant reconnue par la loi de 1905. La France a-t-elle sous-estimé par son histoire laïque voire anticléricale cette liberté fondamentale?
Une entrave à la liberté de religion? C'est une plaisanterie! Qui est entravé dans l'exercice de sa religion aujourd'hui en France? A l'exception des radicaux salafistes et autres, même chez les musulmans vous n'entendez pas pareil son de cloche. Ils sont de plus en plus nombreux au contraire à comprendre l'intérêt de notre modèle, quoiqu'il doive s'adapter. C'est à gauche que règnent ceux qui dénoncent ainsi «l'intégrisme laïque», le «laïcisme», au nom de la diversité culturelle. Ce sont les partisans d'une «laïcité ouverte» à la Jospin que j'ai entendu me dire en 1989: «Et que voulez-vous que ça me fasse que la France s'islamise?». Cette idéologie dominante est responsable, coupable de l'état des lieux. Adepte du «il est interdit d'interdire», c'est elle qui a porté les coups les plus durs à la laïcité. Avec une parfaite bonne conscience.
Ce sont les partisans d'une laïcité ouverte à la Jospin que j'ai entendu dire en 1989 : « Et que voulez-vous que ça me fasse que la France s'islamise ? ». Cette idéologie est coupable de l'état des lieux.
Après l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, les responsables de l'Eglise catholique ont encouragé la poursuite du dialogue interreligieux. Mais beaucoup d'entre eux, notamment monseigneur Rey, ont fait état de difficultés dans ce dialogue avec l'islam, en l'absence d'autorité ecclésiale. Le respect tant de la laïcité que de la liberté de religion ne se heurte-t-il pas à une spécificité particulière dans le cas de l'islam?
Le dialogue interreligieux est une nécessité absolue. Les passerelles, la découverte et l'apprentissage de l'autre, d'autant plus que les uns et les autres procèdent tous d'Abraham, sont indispensables. En jetant un regard rétrospectif sur le dialogue entre les catholiques et les juifs après Pie XII et la Seconde guerre mondiale, l'espoir est au rendez-vous avec l'islam, malgré les difficultés et même si cela ne se fera pas en un jour. On ne songe jamais assez à ce qu'il a fallu de conciles, de synodes déterminants, de volontés papales successives et réitérées, d'actions de prélats et de prêtres, pour que se résorbe progressivement, en une soixantaine d'années, l'antisémitisme catholique français. Les nombreuses initiatives de dialogue interreligieux patinent assez souvent. Mais comment pourrait-il en aller autrement en France alors même que le culte n'est pas organisé comme il le devrait et que tout le monde a préféré faire l'autruche jusqu'à présent? Les conditions ne sont pas les meilleures. D'où l'urgence de procéder à cette réforme qui fournira des interlocuteurs reconnus et investis aux autres autorités religieuses.