Le putsch raté du Monténégro en procès (19.07.2017)
Le putsch raté du Monténégro en procès (19.07.2017)
Par Emma de Pierrepont
Publié le 19/07/2017 à 16:05
Au total, 14 hommes sont inculpés, dont deux leaders du
parti d'opposition ouvertement pro russe, Andrija Mandic (au centre sur cette
photo, à son arrivée au tribunal) et Milan Knezevic.
Neuf mois après qu'un projet de coup d'État, sur lequel
plane l'ombre de la Russie, a été déjoué le soir du dernier scrutin législatif
au Monténégro, le procès de ses principaux suspects s'est ouvert ce mercredi
dans la capitale du petit état balkanique.
Alors que le Monténégro, le plus petit pays des Balkans,
vient d'adhérer à l'Otan en juin dernier, le procès de la tentative d'un coup
d'État, qui pourrait avoir été téléguidé de Russie, s'ouvre ce mercredi à
Podgorica, dans la capitale de cette ancienne république de l'ex-Yougoslavie.
Cet événement, qui a secoué le pays le 16 octobre 2016, jour de la proclamation
des résultats des dernières élections législatives, soulève toujours de
nombreuses interrogations. S'agissait-il d'un projet du Kremlin pour contrer
l'adhésion du Monténégro à l'Otan? D'une tentative de l'opposition prorusse
monténégrine pour contrer les velléités occidentales du gouvernement? Ou d'un
coup monté du parti au pouvoir pour se débarrasser de son opposition? Il n'est
pas certain que le procès qui vient de s'ouvrir réussira à dissiper toutes les
zones d'ombre entourant ce mystérieux putsch raté.
Sur le banc des accusés figurent plusieurs nationalistes
serbes, des Monténégrins membres du principal parti d'opposition, le Front
démocratique (FD), et deux ressortissants russes. Au total, 14 hommes sont
inculpés, dont deux leaders du parti d'opposition ouvertement pro russe,
Andrija Mandic et Milan Knezevic, qui risquent des peines pouvant aller jusqu'à
20 ans de prison pour terrorisme.
«Procès politique»
Le soir des élections législatives, le 16 octobre 2016, les
autorités monténégrines ont affirmé avoir empêché l'attaque du parlement
national par un groupuscule composé de ressortissants serbes et russes, ainsi
que par des Monténégrins appartenant à l'opposition. Toujours selon la version
officielle du procureur spécial, Milivoje Katnic, en charge de l'affaire, les
comploteurs voulaient prendre en otage dans l'enceinte du parlement le premier
ministre sortant, Milo Djukanovic, pour proclamer la victoire de son adversaire
du Front démocratique. Si l'accusation dit disposer des témoignages de membres
présumés du complot ayant collaboré contre un allégement de peine, la manière
dont les autorités judiciaires ont eu vent de ce projet de putsch reste très
floue.
Pour Andrija Mandic, leader du FD inculpé et jugé mercredi,
cette histoire est un coup monté du parti au pouvoir, le Parti démocratique
socialiste du Monténégro ( DPS), pour éliminer l'opposition. Le DPS a
d'ailleurs fini par remporter ce même soir les élections législatives à une
courte majorité. «Je présenterai en personne ma défense pour démasquer (...)
les fausses accusations fabriquées par un régime souhaitant régler ses comptes
avec le plus important parti d'opposition», promet Andrija Mandic. Il parle de
mascarade de justice et dénonce un «procès politique». Si complot de barbouzes
serbes et russes il y eut, il faudrait plutôt regarder, selon le FD, du côté
des anciennes relations de Dukanovic avec le crime organisé. L'ancien premier
ministre a souvent trempé dans des affaires de corruption et est connu pour ses
liens avec la Serbie.
Après le démantèlement du bloc soviétique dans les années
quatre-vingt-dix, Milo Djukanovic s'écarte progressivement de son ancien
mentor, le dictateur serbe Slobodan Milosevic, jusqu'à la proclamation de
l'indépendance du Monténégro en 2006. Nommé ensuite premier ministre à trois
reprises, il a engagé dès 2008 son pays dans le processus d'adhésion à l'UE et
a milité pour l'entrée de son pays dans l'OSCE et l'Otan. Son successeur depuis
ces fameuses législatives d'octobre 2016, Dusko Marokovic, n'a pour l'instant
pas dévié de cette même ligne pro-occidentale.
L'ombre de la Russie
Cette ouverture vers l'Ouest est diversement appréciée dans
ce petit pays multiculturel de 660 000 habitants, dont une partie est toujours
fortement attachée à la Russie. La relation avec l'Occident semble être le
véritable enjeu de cette affaire de putsch manqué. L'opération avortée aurait
en effet visé, selon le parquet monténégrin, à empêcher l'entrée de la
république du Monténégro dans l'Otan. Une adhésion, souvent retardée par la
Russie, qui a finalement abouti en juin dernier, quand le Monténégro est devenu
le 29e État membre de l'organisation transatlantique.
Moscou nie en bloc toute implication dans cette affaire et
refuse d'extrader ses deux ressortissants qui seront quand même jugés en
absence. Les «organes d'État russes» qu'accuse le procureur n'ont jamais à ce
jour été nommément cités. Cependant, les services secrets de plusieurs pays
membres de l'Otan ont soutenu les accusations de Podgorica et Washington
déclare détenir des «informations crédibles» sur l'implication russe dans le
coup d'État avorté. Mais, là encore, aucune preuve concrète n'a encore été présentée.
Ce procès devra clarifier les nombreuses zones d'ombre d'une
enquête partiellement convaincante. Depuis neuf mois, la Justice monténégrine
n'a toujours pas présenté les armes que s'apprêtaient à utiliser les
«putschistes» - 50 fusils et 3500 munitions, selon elle. Le procureur a
multiplié les versions contradictoires, expliquant notamment que ces armes
auraient été bloquées avant d'entrer au Monténégro.
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