Des enfants près d’Agadez, dans le nord du Niger, en avril 2017.
La question démographique, épée de Damoclès du développement africain (18.07.2017)
La question démographique, épée de Damoclès du développement
africain (18.07.2017)
Pour l’Institut de recherche pour le développement, le
continent ne sortira de la pauvreté qu’en donnant aux familles africaines le
choix du nombre d’enfants qu’elles désirent.
Par Jean-Paul Moatti et Jean-Marc Châtaigner
LE MONDE Le 18.07.2017 à 17h54
La réponse du président Macron à la question d’un
journaliste ivoirien lors du sommet du G20 (« Comment le G20 va-t-il sauver
l’Afrique ? »), soulignant que le taux de fécondité élevée en Afrique
subsaharienne constituait un obstacle majeur au développement durable de ces
pays, a suscité une avalanche de critiques sur les réseaux sociaux. Aux yeux de
certains, elle serait la marque d’une vision condescendante, voire
néocolonialiste et raciste, des réalités africaines.
Pourtant, les travaux scientifiques convergent de façon
indiscutable pour estimer que l’Afrique n’a connu pour l’heure « qu’une
transition démographique tardive et limitée »*. Les spécialistes du sujet,
comme Serge Michaïlof ou Michel Garenne, n’hésitent pas à parler de « bombe
démographique » pour s’alarmer de la situation au Sahel. Certes, l’Afrique
n’est pas une et homogène : l’épidémie du VIH a annulé les gains d’espérance de
vie à la naissance obtenus après les indépendances en Afrique australe et il
existe bien une sous-fécondité relative en Afrique centrale.
Tragédies humanitaires
Mais c’est bien la pression démographique qui explique qu’en
dépit de phases significatives de croissance, le PIB par tête stagne en Afrique
subsaharienne depuis les années 1960, alors que, dans le même temps, il est
passé de 3 000 à 8 000 dollars (en dollars constants 2005) à l’échelle du
monde. C’est elle qui fait que le sous-continent concentre 34 des 48 pays
qualifiés de « moins avancés » par les Nations unies du fait d’un revenu par
tête inférieur à 1 035 dollars en 2016.
Le Niger, classé au dernier rang de l’indice du
développement humain du Programme des Nations unies pour le développement
(PNUD), qui comptait 3,4 millions d’habitants à l’indépendance en 1960, atteint
en 2015 pratiquement 20 millions d’habitants. La projection actuelle est de 72
millions d’habitants pour 2050. Le président Macron n’a fait que rappeler cette
évidence que la conjonction de cette explosion démographique avec les
conséquences irréversibles du réchauffement climatique et l’épuisement des
terres arables pourrait provoquer des tragédies humanitaires sans précédent,
auxquels l’aide internationale serait difficilement en mesure de répondre, et
des mouvements massifs de population qui affecteront en premier lieu les pays
africains eux-mêmes.
N’en déplaise aux nostalgiques du néomarxisme à la Samir
Amin qui, dans les années 1970, dénonçaient le « sous-peuplement » de l’Afrique
et le « malthusianisme » de toute forme de contrôle des naissances, comme aux
idéologues néoconservateurs qui se réjouissent de la suspension unilatérale par
l’administration Trump de l’ensemble des programmes internationaux de planning
familial soutenus par les Etats-Unis, replacer la question démographique au
cœur de l’agenda universel des Objectifs du développement durable (ODD), adopté
par l’ONU en septembre 2015, doit constituer une priorité.
Choisir le nombre d’enfants
Sur le plan international, la recherche pour le
développement a démontré l’importance du « dividende démographique » comme
condition sine qua non de la sortie de la pauvreté pour des centaines de
millions de personnes. L’absence ou la faiblesse, dans de nombreux pays
africains, de la transition démographique vers une pyramide des âges augmentant
la proportion des jeunes adultes productifs par rapport à celle des jeunes
enfants et des personnes âgées, les empêche de tirer les dividendes d’une
croissance forte et durable.
Les investissements induits, en particulier dans les
secteurs sociaux (éducation et santé), dépassent largement les capacités
financières internes et même externes disponibles, dans des temps
incompressibles (construction de maternités, de classes d’écoles, formation des
personnels médicaux et des maîtres). C’est d’ailleurs le même souci de
préserver et de renforcer ce « dividende », menacé par la mortalité prématurée
due aux grandes pandémies infectieuses, qui justifie, du point de vue éthique
mais aussi d’efficacité macroéconomique, l’accès aux médicaments essentiels et
à une couverture maladie universelle qui figurent désormais parmi les cibles
des ODD.
Lire aussi : « C’est aux femmes africaines de décider combien elles veulent d’enfants, quand et avec qui »
Contrairement à la caricature faite des propos d’Emmanuel
Macron, il ne s’agit pas de forcer les familles africaines à avoir moins
d’enfants, mais bien de leur donner la possibilité de choisir le nombre
d’enfants qu’elles souhaitent (130 millions de femmes africaines ne disposent
aujourd’hui d’aucun moyen moderne de contraception), dans des conditions qui ne
mettent pas en danger la vie des mères (une femme africaine risque deux cent
fois plus de mourir en couches qu’une femme occidentale) et de leur permettre
de soigner et d’éduquer leurs enfants dans des conditions décentes. Les
déclarations du président Macron suggèrent que la France devrait être à
l’initiative d’un véritable programme international d’action associant les pays
partenaires et leurs bailleurs de fonds en lien avec les ODD. Il lui appartient
désormais de traduire ses justes convictions en la matière dans notre politique
d’aide publique au développement.
* L’Afrique face à ses défis démographiques. Un avenir
incertain, de Benoît Ferry (direction), coédition AFD – CEPED, Karthala, Paris,
2007.
Jean-Paul Moatti, président-directeur-général de l’Institut
de recherche pour le développement (IRD).
Jean-Marc Châtaigner, directeur général délégué de l’IRD.