Nicole Klein : «Ils sont sortis en criant : “Allahou Akbar !” J'ai pris ma décision» (26.07.2017)
Jérôme Fourquet : «Le père Hamel, un nouveau Popieluszko pour les catholiques» (24.07.2017)
À la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray, la porte est ouverte sur l'église (24.07.2017)
Le 26 juillet 2016, après l'homélie, deux hommes entrent dans l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray (24.07.2017)
Nicole Klein : «Ils sont
sortis en criant : “Allahou Akbar !” J'ai pris ma décision» (26.07.2017)
Mis à jour le 26/07/2017 à 19h06 | Publié le 26/07/2017 à 18h09
INTERVIEW - Préfète de
Loire-Atlantique, Nicole Klein était en poste en Seine-Maritime au moment de
l'assassinat du père Hamel, le 26 juillet 2016. C'est elle qui a donné
l'ordre de tirer sur les deux islamistes.
Comment décide-t-on d'un tel
ordre? Seule?
Je pense que ces jeunes
islamistes radicaux voulaient mourir. Ils
sont sortis en criant «Allahou Akbar!». J'ai pris ma décision. Je n'en
tire aucune fierté. Le dispositif était constitué de la BRI et de la BAC. Le
directeur départemental de la sécurité publique le coordonnait, en présence du
directeur régional de la PJ. Il m'a appelée pour me demander la conduite à
tenir. J'ai jugé que les conditions étaient réunies et que nous avions les
effectifs suffisants pour agir. La procédure a été suivie. J'ai fait mon
travail.
Il n'a pas été nécessaire de
demander à Bernard Cazeneuve?
Non. Cependant, au-delà du préfet
territorialement compétent, le directeur général de la police nationale
informait le ministre. Il savait minute par minute ce qui se passait. Mais la
décision m'incombait, en tant que responsable de l'ordre public dans mon
département. C'est le rôle d'un préfet.
«Cet acte de barbarie était
insoutenable. C'est pour cela que je n'ai eu aucune hésitation»
Aurait-on pu éviter le drame?
Comment vivez-vous aujourd'hui cet épisode?
Nous avons fait un retour
d'expérience entre préfets, fin mai, à Nantes. L'un des deux terroristes, Abdel
Malik Petitjean, était inconnu de nos services, mais pas le second, Adel
Kermiche. Il
était fiché S. Son nom était cité dans les réunions de sécurité que je
présidais chaque semaine, quand nous faisions le point sur les personnes
pouvant présenter un risque. Mais aucun signe précurseur n'était remonté. Le
lieu de l'attaque était totalement improbable: une petite église en bas
d'un village, cinq personnes à la messe. Le juge avait considéré que Kermiche
pouvait bénéficier d'une liberté conditionnelle. Et il est sorti le jour dit, à
l'heure autorisée. Comment prévoir?
Cette affaire est-elle celle
qui vous laissera le plus de traces?
Indéniablement. Je suis sortie de
l'ENA en 1987, j'ai une certaine ancienneté dans la carrière de préfet et j'ai
vécu des affaires difficiles, mais cet acte de barbarie était insoutenable.
C'est pour cela que je n'ai eu aucune hésitation. D'ailleurs, fait assez rare
pour être souligné, personne n'a contesté la décision prise.
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Jérôme Fourquet : «Le père Hamel, un nouveau Popieluszko pour les catholiques» (24.07.2017)
Par Jérôme
Fourquet
Mis à jour le 24/07/2017 à 17h03 |
Publié le 24/07/2017 à 16h48
TRIBUNE - Le directeur du
département opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop expose, en exclusivité
pour Le Figaro, les résultats de son enquête sur la perception de
l'assassinat du père Hamel par les catholiques français.
1-Des églises sous protection
militaire
L'inquiétude avait déjà monté
d'un cran quelques mois auparavant quand, à la suite des attentats de novembre
2015, des militaires du dispositif Sentinelle avaient été déployés autour des
églises pour assurer la sécurité des messes de Noël. «On était un petit peu
tendu depuis Noël dernier: pour la première fois de notre vie, nos églises
étaient sécurisées» commenta l'abbé Pierre Amar. Le dispositif de sécurité fut
repris quasiment à l'identique à Pâques 2016, mais il est difficile de
sécuriser en permanence les quelque 45.000 églises catholiques de France. Au
lendemain de l'attaque
de Saint-Etienne-du-Rouvray, la sécurité fut encore renforcée. Lors des
cérémonies du 15 août à Lourdes, où convergèrent des dizaines de milliers de
fidèles, tout le périmètre fut sécurisé avec des fouilles systématiques à tous
les points d'accès et le déploiement de pas moins de 508 agents de sécurité,
policiers, gendarmes et militaires en armes appuyés par un hélicoptère
tournoyant autour du site. Cette présence visible et impressionnante ne passa
pas inaperçue et marqua les esprits. Pour de nombreux fidèles, ce déploiement,
sans doute nécessaire moins de trois semaines après le meurtre du père Jacques
Hamel, constituait une vraie rupture par rapport à un paisible passé
aujourd'hui révolu comme le décrit Odile, venue se recueillir il y a 60 ans «A
l'époque, il n'y avait qu'un garde-champêtre pour tout le sanctuaire, ça a bien
changé» . A Rocamadour, autre lieu de pèlerinage très fréquenté, des forces de
sécurité furent déployées tout comme par exemple le furent des vigiles depuis
janvier 2015 (à la suite des attentats contre Charlie Hebdo et
l'Hyper Cacher) dans le VIIème arrondissement de Paris à la Chapelle de la
médaille miraculeuse, site attirant un large public. La cathédrale de
Strasbourg n'était pas en reste.
Ces menaces réelles comme la
présence d'hommes armés autour des églises qui symbolisent la paix et la
quiétude étaient très lourdes de signification pour les catholiques français et
ce partout en France
Alors qu'à Noël 2015, 1236
églises avaient fait l'objet d'une protection, le nombre doubla quasiment avec
pas moins de 2391 églises sous surveillance pour Noël 2016 car à l'occasion de
ces différents évènements, qui se produisirent sur un laps de temps assez
courts, les lieux de culte fréquentés par les catholiques devinrent d'abord des
cibles (en avril 2015, Sid Ahmed Ghlam avait voulu s'attaquer aux églises de
Villejuif) puis essuyèrent une attaque (à Saint-Etienne-du-Rouvray en juillet
2016). Ces menaces réelles comme la présence d'hommes armés autour des églises
qui symbolisent la paix et la quiétude étaient très lourdes de signification
pour les catholiques français et ce partout en France. Nous avons ainsi pu
observer par exemple les réactions des paroissiens du centre-ville de
Compiègne, petite ville tranquille, quand ils croisèrent des parachutistes en
armes déployés autour du parvis de l'église pour la messe du 15 août 2016,
situation que de mémoire de fidèles on n'avait jamais vécue, sauf peut-être
pendant l'Occupation. Dans le même ordre d'idées, le père Fabien Lejeusne,
président du Pèlerinage de Lourdes en 2016 indiquait que ce Jubilé de la
Miséricorde «prend une signification particulière, il faut arriver à se dire
que malgré cette violence qui nous atteint sur notre sol , nous sommes appelés
au pardon». La traditionnelle prière pour la France, que font les catholiques
le 15 août, revêtit alors un sens particulier en août 2016. Il s'agissait de
prier pour le salut du pays, en proie pour la première fois depuis des
décennies à une vague d'attaques meurtrières sur son territoire.
2-Le père Jacques Hamel: un
Popieluszko français
Plus globalement, l'attentat de
Saint-Etienne-du-Rouvray, de par la cible choisie et la date où elle fut
perpétrée, renvoya à trois évènements ou périodes historiques bien précises et
symboliquement et politiquement très chargées pour les catholiques.
L'égorgement de Jacques Hamel a
ainsi saisi la communauté catholique alors que les Journées Mondiales de la
Jeunesse battaient son plein en Pologne. Ceci produisit tout d'abord un effet
de contraste entre l'horreur de cette scène et l'ambiance jeune et festive des
JMJ. Mais très vite, comme ce grand rassemblement avait lieu en Pologne, un
parallèle fut fait avec le meurtre du père Popieluszko. Ce prêtre catholique,
aumônier des ouvriers du chantier naval de Gdansk et une des figures de proue
de Solidarnosc, fut torturé et assassiné par la police politique polonaise en
1984. Sa mort eut un retentissement énorme dans le monde et notamment dans les
milieux catholiques français, dont beaucoup soutenaient le combat de leurs
coreligionnaires de l'est. En apprenant l'horrible nouvelle, de nombreux
catholiques firent immédiatement le parallèle comme par exemple Monseigneur
Lebrun, archevêque de Rouen (diocèse dont dépend Saint-Etienne-du-Rouvray) qui
était présent avec une délégation de jeunes normands en Pologne: «Avec les
jeunes des JMJ, nous prions comme nous avons prié autour de la tombe du père
Popieluszko à Varsovie, assassiné sous le régime communiste. [ ] C'est une
autre idéologie qui a tué le père Jacques Hamel, mais c'est la même foi
chrétienne qui est visée». Compte-tenu du contexte, le parallèle s'imposait de
lui-même mais il était loin d'être neutre. Pendant des décennies,
l'anticommunisme a constitué une matrice extrêmement puissante qui a structuré
la vision du monde de générations d'électeurs de droite parmi lesquels de
nombreux catholiques. Le communisme était à la fois une menace géopolitique
(avec le bloc soviétique) mais aussi une organisation bien présente en France
(par exemple dans l'agglomération rouennaise et notamment à Saint-Etienne-du-Rouvray,
mairie communiste) qui était en lutte frontale avec l'église catholique, les
deux se livrant une rude concurrence pour affirmer ou défendre leur influence
respective. Chaque camp avait ses journaux, ses troupes (le clergé versus les
militants et les cadres du Parti), ses associations de jeunesse mais aussi
caritatives (Secours catholique versus Secours populaire) et ses symboles. Deux
univers se faisaient face et pour de nombreux catholiques français, le père
Popieluszko était un martyr du combat contre le communisme.
Plus de trente ans après sa mort,
le péril communiste ne constitue plus une matrice mobilisatrice compte-tenu du
déclin du PC et de l'effondrement du bloc soviétique. On peut formuler
l'hypothèse qu'après une période de flottement (la thèse de fin de l'histoire
de Fukuyama) allant de la chute du mur de Berlin au début des années 2000, le
péril islamiste puis djihadiste occupe désormais la même place dans
l'imaginaire de nombreux Français et notamment de nombreux catholiques.
Comme la mort du père
Popieluszko avait symbolisé le combat de l'Eglise catholique dirigée par
Jean-Paul II contre le communisme, celle du père Hamel a signifié de façon très
douloureuse et horriblement concrète pour beaucoup de catholiques français que
l'islamisme leur avait déclaré la guerre
Pour reprendre les termes de
l'archevêque de Rouen, il s'agit dans les deux cas d'une idéologie qui a
désigné les chrétiens comme ses ennemis. Et dans les deux cas, la menace est à
la fois internationale avec la création de Daesh mais aussi intérieur avec la
présence de réseaux djihadistes sur notre sol. De la même façon que les
éléments les plus engagés de la droite catholique s'étaient vécus comme des
remparts à la diffusion du communisme pratiquant à leur échelle la stratégie du
containment des années 50 aux années 70 puis soutenant avec ferveur le polonais
Jean-Paul-II dans son combat spirituel et diplomatique contre l'empire
soviétique, une part des catholiques français estiment aujourd'hui qu'il faut
sonner la même mobilisation contre le péril islamiste.
Dans les années 1980, le père
Popieluszko devint une figure tutélaire. Le père Popieluszko fut béatifié comme
martyr le 6 juin 2010, et depuis sa tombe a été visité par pas moins de 27
millions de personnes. Signe de l'émoi suscité, très vite après l'annonce de la
mort du père Hamel, la question de sa béatification a été soulevée même si une
procédure en béatification ne peut être déclenchée qu'au minimum cinq ans après
la mort de la personne en question. Hormis ce sujet du délai, une autre
question se posait dans la mesure où, habituellement, les personnes canonisées
doivent avoir accompli un miracle dûment reconnu par l'Eglise. Mais selon
Monseigneur Lebrun, qui s'est dit prêt à engager rapidement une telle démarche,
une autre voie était possible car «pour les martyrs, leur fidélité à la foi
devant la mort tient lieu de miracle». C'est cet argument qui avait d'ailleurs
présidé à la canonisation du père Popieluszko.
Appuyant la démarche de
l'archevêque de Rouen, Radio Vatican reprenait opportunément une phrase venant
précisément du prêtre polonais: «Par sa mort et ses funérailles, un prêtre peut
faire davantage que par sa prédication». Comme la mort du père Popieluszko
avait symbolisé le combat de l'Eglise catholique dirigée par Jean-Paul II
contre le communisme, celle du père Hamel a signifié de façon très douloureuse
et horriblement concrète pour beaucoup de catholiques français que l'islamisme
leur avait déclaré la guerre.
3-Du martyre des chrétiens
d'Orient au meurtre d'un prêtre normand: l'émergence du péril islamiste
Si dans le contexte des JMJ en
Pologne, le parallèle s'est immédiatement fait avec l'assassinat du père
Popieluskzo, cet évènement particulièrement marquant est rentré en résonnance
avec deux autres périodes historiques. L'égorgement d'un vieux prêtre a ainsi
fait ressurgir dans les mémoires de catholiques, le martyre des moines de
Tibhirine, affaire qui fut abondamment commentée à l'époque. Même si un flou
existe sur les auteurs de cet assassinat de groupe, membres du GIA et services
secrets algériens étant cités, il s'agissait ici aussi d'hommes d'église âgés
et pacifiques qui avaient été massacrés. Le contexte était celui de la guerre
civile algérienne et le parallèle renvoyait du coup à l'image d'une barbarie islamiste
menaçante n'hésitant pas à s'en prendre de la manière la plus abjecte à des
hommes de paix sans défense.
Cette idée d'une exposition à une
violence sans limite émanant d'islamistes fanatisés a été alimentée par un
troisième parallèle fait avec la situation tragique des chrétiens d'Orient
massacrés par les soudards de l'Etat islamique. Le père Pierre-Hervé Grosjean
écrivait ainsi dans un article sur le Padreblog, article repris par Famille
Chrétienne le 27 juillet 2016: «Un prêtre irakien m'avait dit: si vous ne les
arrêtez pas, vous aurez chez vous ce que nous vivons. Nous y sommes. L'horreur
que vivent nos frères chrétiens d'Irak ou de Syrie est survenue ici, chez nous
dans une petite ville de Normandie, à une heure trente de Paris».
Le mode opératoire, l'idéologie
des auteurs et le fait qu'ils aient été «téléguidés» depuis la zone
irako-syrienne, installaient brutalement un continuum entre ces pays en guerre,
où les minorités chrétiennes étaient massacrées par Daesh, et le cœur même de
la France où les catholiques pouvaient être égorgés. Cette attaque perpétrée au
beau milieu de l'été dans une paisible petite ville de province signa pour de
très nombreux catholiques le surgissement de la guerre et de la barbarie
djihadiste dans leur univers. Un sentiment d'horreur et d'effroi s'empara de la
communauté catholique mais la colère était également manifeste comme
l'expriment les mots du père Grosjean: «Pas d'angélisme, pas de naïveté, pas de
déni, une guerre ne se mène pas à moitié».
Ce qui se trame alors dans
l'imaginaire collectif ce sont les images des massacres et persécutions que
subissent les chrétiens d'Orient depuis plusieurs années en Irak, en Syrie mais
aussi en Égypte
Ce qui se trame alors dans
l'imaginaire collectif ce sont les images des massacres et persécutions que
subissent les chrétiens d'Orient depuis plusieurs années en Irak, en Syrie mais
aussi en Egypte de la part des islamistes avec une menace très concrète et
palpable qui a surgi brutalement sur notre sol. Pour certains catholiques, le
sort des chrétiens d'Orient constituerait alors une préfiguration de ce qui
pourrait dans un avenir proche guetter les catholiques français du fait de la
radicalisation d'une part de la communauté musulmane et de la modification des
équilibres démographiques. Nous touchons là un point essentiel. Les chrétiens
d'Orient sont aujourd'hui persécutés car ils sont minoritaires dans des pays
majoritairement musulmans. Le terme arabe de «dhimma» désigne ce régime
juridique auquel est soumis un non-musulman (appartenant à une des religions du
Livre) en terre d'islam. Moyennant le paiement d'un impôt spécifique,
l'acceptation d'un statut juridique inférieur et le respect de certaines règles
discriminantes édictées dans un «pacte» avec les autorités, les dhimmis se voyaient
accorder une certaine liberté de culte. Ce statut fut appliqué avec plus ou
moins de fermeté au cours de l'histoire. Dans un pays comme le Liban où les
tensions communautaires ont mené jusqu'à la guerre et où la question des
rapports de forces démographiques est cruciale, le leader maronite Bachir
Gemayel inventera le terme de «dhimmitude» pour désigner le statut de
sous-citoyen opprimé s'appliquant à tout chrétien vivant dans un pays
majoritairement musulman.
Ce concept a été repris en France
depuis une dizaine d'années et il a notamment été popularisé par Philippe de
Villiers qui l'emploie régulièrement. Le cheminement de ce concept est en soi
intéressant dans la mesure où sa reprise s'accompagne de l'importation en
France de la thématique de la guerre communautaire et de la nécessaire défense
des chrétiens face à la volonté de domination des musulmans.
De nombreux reportages ont relaté
les exactions que l'Etat islamique a fait subir aux minorités chrétiennes. Dans
les territoires sous l'emprise de Daesh, les chrétiens avaient le choix entre
se convertir, payer un lourd impôt ou mourir. Pour échapper à ce sort, beaucoup
ont fui notamment lors de la prise de Mossoul et des villes chrétiennes
avoisinantes (Qaraqosh, Amdaniya et Bartella) a l'été 2014. D'autres n'ont pas
eu cette chance et ont été tués. Ces massacres, relatés dans la presse
catholique (La Croix et La Vie notamment ont
consacré de nombreux articles et dossiers sur la situation des chrétiens
d'Orient) n'ont pas été cantonnés à la zone irako-syrienne. En février 2015,
les hommes de Daesh en Libye procédèrent à l'assassinat de 21 coptes égyptiens.
Les populations chrétiennes étaient visées mais également tous les lieux
symboliques marquant une présence chrétienne. Ainsi par exemple en mars 2015,
le groupe djihadiste avait détruit dans le nord de l'Irak l'ancien monastère
Mar Behnam datant du IVème siècle qui possédait l'une des plus anciennes
bibliothèques d'ouvrages syriaques et au mois d'août de la même année le
monastère ancestral de Saint-Eliane près de la ville syrienne de Qaryatain
subissait le même sort.
Dans ce contexte très chargé,
l'égorgement du prêtre Hamel dans son église a ravivé chez une partie des
catholiques, la crainte d'être un jour dhimmi dans son propre pays, avec tous
les risques que cela comporte. Une tribune publiée par le site Boulevard
Voltaire et intitulé: La dhimmitude ou le martyre, traduit bien cet état
d'esprit: «Le père Hamel est mort parce qu'il était prêtre et qu'il venait de
célébrer le sacrifice de la messe, avec quatre fidèles, quasiment seul, dans
l'indifférence absolue de ses concitoyens. C'est le même martyre que celui de
tous les chrétiens d'Orient lâchement abandonnés par l'Occident qui ne sait
répondre que par sa lâcheté, ses larmes de circonstance et sa considération
diplomatique. [ ] Nous avons le choix entre la dhimmitude et le courage, et
peut-être le martyre.»
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Pierre Adrian : «Ce que nous devons au père Hamel» (24.07.2017)
Par Pierre
Adrian
Mis à jour le 24/07/2017 à 20h10 |
Publié le 24/07/2017 à 16h38
TRIBUNE - Le 26 juillet 2016,
tandis qu'il célébrait la messe, le curé de Saint-Étienne-du-Rouvray était
égorgé par deux terroristes islamistes. Le jeune romancier* de 26 ans lui rend
hommage.
Dans les Pyrénées, en vallée
d'Aspe, vit un vieux prêtre. À 90 ans, le père Albert est à la retraite.
Malgré l'âge, sa faiblesse, Albert aide toujours le curé de la vallée. Ce
n'est pas grand-chose. Il passe le balai dans la sacristie, range
les armoires, célèbre une messe de temps en temps. Il tourne et retourne
les pages de son missel. Il oublie ses mots, Albert. Un paroissien l'aide. Et
puis certaines fois il n'y a personne. Je l'ai déjà vu, seul derrière son
autel, dire la messe devant des bancs vides. Le reste du temps, chapelet en
main, Albert tourne lentement dans le cloître du monastère de Sarrance.
Le temps ne compte plus vraiment. Il prie. Il termine ses jours en priant.
Il y a une vie de l'âme dans
la simplicité des actes ordinaires. Un service rendu, une messe de semaine, la
visite à un malade, une discussion à l'heure du café
Quand ils ont tué Jacques
Hamel, le 26 juillet 2016, j'ai immédiatement pensé à Albert. Je me
suis dit: en assassinant le père Jacques, c'est le vieil Albert qu'ils tuent.
Alors on imagine ces horreurs comme on peut. Moi, je voyais ces deux garçons entrer
dans la chapelle de Sarrance, là-bas dans la vallée. Je les voyais s'en prendre
à Albert. C'est son corps fragile qu'ils brutalisaient avec la même violence.
Et ce dernier cri lâché par le père Jacques: «Va-t-en, Satan!» Oui, j'ai pensé
à Albert. Mais combien étions-nous à songer au vieux prêtre de nos
vacances ou à celui qu'on croise en ville par habitude? En tuant le père
Jacques, les terroristes tuaient tous les Albert. Tous ces hommes qui ne
comptent jamais les heures pour s'occuper des autres: ce petit monde qui
commence sur notre palier et le parvis de l'église. Le 26 juillet 2016, le
meurtre faisait un tel dégât car il ne s'agissait pas que de la vie d'un homme.
On tuait la simplicité. On tuait la normalité. Ces hommes de Dieu qu'on ne
voit plus, le père Jacques a sans doute permis par sa mort qu'on leur donne
enfin une valeur. Celle des hommes simples qui ramènent l'âme à son quotidien.
Car il y a une vie de l'âme dans la simplicité des actes ordinaires. Un service
rendu, une messe de semaine, la visite à un malade, une discussion à l'heure du
café… C'est cette normalité-là qu'on a frappée. Même si on n'aime pas bien ce
mot-là: normalité.
Un auteur qui aurait un peu
d'ambition écrirait une pièce de théâtre sur la mort du père Jacques, ce huis
clos aux gestes sacrés. Souvenez-vous du Dialogues des Carmélites.
Georges Bernanos y raconte la mort qui guette les religieuses de Compiègne
pendant la Révolution. Tout y est, quand il écrit: «Ainsi chaque prière, fût-ce
celle d'un petit pâtre qui garde ses bêtes, c'est la prière du genre humain.»
La prière du père Jacques était déjà celle du genre humain. Elle était cette
fidélité aux petites choses qui bâtissent les grandes: «Cette simplicité de
l'âme, ce tendre abandon à la Majesté divine qui est chez lui une inspiration
du moment, une grâce, et comme l'illumination du génie, nous consacrons
notre vie à l'acquérir, où à le retrouver si nous l'avons connu, car c'est un
don de l'enfance qui le plus souvent ne survit pas à l'enfance…» Bernanos,
toujours.
La fraîcheur d'un vieil homme
assassinée par la sécheresse de deux gamins
Il y avait chez le père Hamel,
comme souvent chez ces vieux prêtres en service, de l'affection et de la
fragilité. Et plus encore, ce qui avait déjà quitté ses jeunes assassins.
Il y avait l'esprit d'enfance. Voilà ce qui manque et ce qu'on abattait le 26
juillet 2016. Une joie d'enfant dans la plus quotidienne des vies. La
simplicité dans cet amour à distribuer autour de soi. La mort d'un enfant est
révoltante. Injuste, incompréhensible. J'ai ressenti la mort du père
Jacques de la même manière. Récemment, en regardant Stalker, le
film d'Andreï Tarkovski qui ressort dans les salles, j'ai été frappé par
ces mots: «La faiblesse est grande, et la force insignifiante. Quand un arbre
pousse, il est tendre et souple. Et quand il est sec et dur, il se meurt. La
dureté et la force sont les compagnons de la mort. La souplesse et la faiblesse
expriment la fraîcheur de la vie. C'est pourquoi ce qui a durci ne peut pas
vaincre.» L'attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray tient dans ce mystère. La
fraîcheur d'un vieil homme assassinée par la sécheresse de deux gamins. Et
Tarkovski ne reprend rien d'autre que cette phrase énigmatique de la deuxième
lettre de saint Paul aux Corinthiens: «Car lorsque je suis faible, c'est alors
que je suis fort.» Au Rouvray, qui oubliera le père Jacques désormais? Par sa
mort extraordinaire, il a rappelé la vie de ces hommes ordinaires.
Il y a quelques jours, je suis
allé pour la première fois à Saint-Étienne-du-Rouvray. Un dimanche de début
d'été dans cette petite France des périphéries. La porte de l'église était
grande ouverte. On entendait les bruits du dehors. Un chien qui aboie. Une
voiture qui passe vitres ouvertes, l'autoradio brisant un peu du silence de
l'office. La
sœur Danièle, rescapée du 26 juillet, animait les chants devant quelques
dizaines de fidèles. Je n'étais pas le seul, à venir ici me recueillir. En
tuant le père Jacques, les terroristes ont fait de Saint-Étienne un lieu de
pèlerinage. Cette
église semblable à mille autres est devenue un bastion d'amour. C'est ce
qui me marquait, d'ailleurs, dans l'église et au cimetière de Bonsecours,
où est enterré Jacques Hamel. Le mot «amour», partout. En réalisant leur triste
forfait, les pauvres avaient déjà perdu. Ils touchaient ce mystère qui les
dépasse. Le ministère d'un prêtre et celui de centaines d'autres. Jour après
jour, ces hommes poursuivent le même dessein que le curé de campagne de
Bernanos quand il écrit dans son journal: «On me répète: “Soyez simple!” Je
fais de mon mieux. C'est si difficile d'être simple! Mais les gens du monde
disent “les simples” comme ils disent “les humbles”, avec le même sourire
indulgent. Ils devraient dire: les rois.» Le père Jacques, Albert dans sa
vallée, et tous les autres… Vous savez, c'est leur simplicité qui nous sauve.
Nous, les gens du monde.
* Son premier roman, La
Piste Pasolini (éditions des Équateurs, 2015) a reçu le prix des
Deux-Magots et le prix François-Mauriac de l'Académie française en 2016. Le
nouveau roman de l'auteur, Des âmes simples, est paru en janvier
dernier aux éditions des Équateurs.
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À la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray, la porte est ouverte sur
l'église (24.07.2017)
Mis à jour le 24/07/2017 à 19h35 |
Publié le 24/07/2017 à 19h21
REPORTAGE - Dans la petite ville
normande, la mosquée Yahia jouxte l'église, où le père Hamel fut tué il y a un
an. Une proximité géographique qui s'accompagne d'un échange continu entre les
deux communautés.
Sans l'église
Sainte-Thérèse-du-Madrillet, l'autre entité de la paroisse de
Saint-Etienne-du-Rouvray, au sud de la ville, la mosquée Yahia, seule mosquée
de cette agglomération de 30.000 habitants, n'existerait pas. Pas question
pourtant de parler de paroisse-mosquée, ce qui n'a strictement aucun sens, mais
le bâtiment de cette mosquée sans minaret, inaugurée en mars 2000, jouxte
aujourd'hui l'église très modeste, construite dans les années 1950.
C'est en effet dans un bâtiment
de la paroisse, à côté de l'église, que tout a commencé: «La paroisse prêtait
ces espaces comme salle de prière» se souvient un fidèle, «notamment pendant le
ramadan». Avant que l'association musulmane n'achète une surface pour
construire une vraie mosquée. Ce terrain appartenait au diocèse. Il l'avait
d'abord cédée à l'Opac (office public d'aménagement et de construction) du
département de la Seine-Maritime pour 1 franc symbolique en 1996 afin de
permettre aux familles de la cité voisine de l'utiliser comme terrain de jeux
pour leurs enfants.
Deux ans plus tard, en 1998,
l'Opac cédait ce terrain dans les mêmes conditions à l'Association culturelle
musulmane de Saint-Étienne-du-Rouvray, qui avait essuyé plusieurs refus en
d'autres lieux de la ville. Mais la possibilité d'y construire une mosquée fut
alors facilitée par la décision du diocèse de vendre à l'association culturelle
musulmane une bande de terre permettant effectivement l'accès à la future
mosquée.
Ce sont les
bonnes relations entre les deux communautés, catholique et musulmane, qui
permirent ce dénouement. Elles l'ont toujours été, grâce notamment aux
religieuses - dont certaines étaient à la messe le jour du drame - très actives
socialement dans le quartier, notamment auprès des familles musulmanes. Un
exemple: lors du ramadan, la porte qui sépare la cour de l'église de celle de
mosquée est ouverte pour faire face à l'affluence. C'est même l'imam qui a la
clé.
Comment la mosquée a-t-elle été
financée? «Nous avons demandé à tous nos fidèles de nous donner un mois de
salaire sur une année pour construire un lieu de culte digne, et nous avons
organisé de nombreuses quêtes», assure le président de la mosquée, marocain
d'origine, Mohammed Karabila, par ailleurs président du conseil régional du
culte musulman (CRCM) de Haute-Normandie. Ce responsable n'a d'ailleurs pas de
mots assez durs pour commenter l'assassinat «abject» du 26 juillet 2016,
même s'il considère qu'il est l'affaire de «terroristes qui n'ont rien à voir
avec l'islam», et que tout est fait depuis, pour «renforcer
nos relations avec nos frères catholiques».
Quant aux fidèles, ils sont près
de 500 hommes à venir avec ferveur, cinq fois par jour. En ce moment, ils
se lèvent à 4 h 15 pour le premier office et se couchent à plus de
minuit pour le dernier. Le vendredi ils sont plus de 1500! Un an plus tard, ils
apparaissent toujours révoltés par cet assassinat: «Nous dénonçons et détestons
l'idéologie sectaire qui a conduit ces jeunes à tuer. Seule la connaissance de
la religion permet de se prémunir de ce mal», explique un converti de 45 ans,
Loïc. «Tout cela est le résultat d'une politique pourrie! On n'est pas d'accord
avec cet acte. Un vrai musulman condamne ce meurtre», lance Oussa, 20 ans.
Abdel renchérit: «L'islam nous interdit de tuer un insecte, on ne peut pas tuer
un innocent.» La communauté musulmane reste traumatisée, explique-t-il, parce
qu'«elle fut montrée du doigt au début» mais, constate-t-il, «les relations
avec les voisins se sont finalement améliorées depuis».
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Le 26 juillet 2016, après l'homélie, deux hommes entrent dans l'église
de Saint-Étienne-du-Rouvray (24.07.2017)
Mis à jour le 24/07/2017 à 20h38 |
Publié le 24/07/2017 à 19h51
VIDÉO - Jan De Volder, historien
belge de l'Université catholique de Louvain, a reconstitué les faits relatifs à
l'assassinat du père Jacques Hamel.
Que s'est-il passé le
26 juillet 2016 entre 9 heures et 10 h 30 dans l'église de
Saint-Étienne-du-Rouvray? Un historien belge de l'Université catholique de
Louvain, Jan De Volder, a reconstitué les faits dans un excellent petit
livre, Martyr, Vie et mort du père Jacques Hamel*. C'est le récit
le plus fiable qui a été fait de cet événement - vérification faite auprès
de témoins. Quant à la vidéo que les deux agresseurs, Adel Kermiche et Abdel
Malik Petitjean, ont tournée en obligeant un fidèle, Guy
Coponet, à tenir la caméra avant de lui donner trois coups de couteau
devant sa femme - il s'en sortira en cautérisant l'une des plaies avec sa
main et en faisant le mort -, elle est sous séquestre de la police.
Très ponctuel, le
père Jacques Hamel, commence cette messe de semaine à 9 heures. De
nombreux habitués, une quinzaine de personnes, sont en vacances. Sont donc
seulement présents trois sœurs de Saint Vincent de Paul, un couple, Janine et
Guy Coponet, qui fête ce jour-là son 87e anniversaire.
Un peu après l'homélie, un des
deux assaillants, en polo bleu, entre dans l'église. Le prêtre fait signe à
l'une des sœurs de l'accueillir. Il veut savoir «quand l'église est ouverte» et
«d'autres choses encore». Elle l'invite à revenir «dans 10 minutes quand la
messe sera finie».
«Ce qui me frappe ce sont les
sourates qui nous parlent de la paix. Les chrétiens aussi veulent la paix»
Sœur Hélène, 83 ans, s'adressant
aux deux islamistes
Il revient effectivement, par la
porte de la sacristie, tout de noir vêtu, accompagné d'un autre individu en
noir également. Voici le récit de Jan De Volder: «D'emblée, les jeunes,
violents, ne cachent pas leurs intentions. Ils lancent des cris en arabe, parmi
lesquels on reconnaît le bien connu «Allahou Akbar». Puis, en français, ils
crient que les chrétiens sont les ennemis des musulmans puisqu'ils ne
soutiennent pas la lutte islamique.» Ils renversent violemment tout ce qu'il y
a sur l'autel. Le père Hamel leur demande de se calmer. Mais «un des deux prend
le fragile prêtre par les mains et le somme de se mettre à genoux. Le père
Jacques ne se rend pas, il essaie de résister. Alors qu'il cherche à se
protéger, le prêtre prend un premier coup de couteau. La petite assemblée
ahurie entend son cri: “Satan,
va-t'en! Va-t'en, Satan”. Puis «un deuxième coup de couteau, à la gorge,
achève la vie terrestre du vieux prêtre».
«Quand vous serez à la
télévision, vous direz aux autorités: tant qu'il y aura des bombardements en
Syrie, il y aura des attentats en France»
Un des islamistes qui a assassiné
le père Hamel
C'est à ce moment qu'une des
sœurs, Danièle, parvient à sortir pour prévenir la police. Une fois les deux
meurtres accomplis, car les deux islamistes pensaient avoir tué Guy Coponet,
les deux jeunes prêchent depuis l'autel en demandant aux trois femmes si elles
ont peur de mourir, si elles connaissent le Coran. Sœur Hélène, 83 ans,
infirmière qui a beaucoup aidé dans cette ville, lui répond: «Ce qui me frappe
ce sont les sourates qui nous parlent de la paix. Les chrétiens aussi veulent
la paix.» Réponse d'un des islamistes: «Nous aussi on veut la paix! Quand vous
serez à la télévision, vous direz aux autorités: tant qu'il y aura des
bombardements en Syrie, il y aura des attentats en France. Tous les jours.»
Entendant la police aux alentours, les jeunes chantent alors des prières en
arabe et se dirigent vers la sortie. En ouvrant la porte, ils crient «Allahou
akbar». Ils sont immédiatement abattus par les forces d'intervention.
* Éditions du Cerf.
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