Au Rwanda, Amnesty dénonce un « climat de peur » avant la présidentielle (10.07.2017)
Un rapport de l’ONG détaille plusieurs cas d’atteintes à la
liberté d’expression et de répression à l’encontre de journalistes et d’hommes
politiques.
Le Monde.fr avec AFP Le 10.07.2017 à 16h49
(photo)
Le président rwandais Paul Kagamé, à Kigali, le 22 juin
2017.
Les attaques répétées depuis vingt ans contre l’opposition,
les médias et les défenseurs des droits humains ont créé un « climat de peur »
au Rwanda à l’approche de la présidentielle du 4 août, a dénoncé vendredi 7
juillet Amnesty International.
L’organisation de défense des droits humains publie un
rapport intitulé « Rwanda. Un pays en proie à des attaques, des actes de
répression et des homicides depuis vingt ans va élire son nouveau président ».
Ce rapport de trente pages détaille plusieurs cas d’atteintes à la liberté
d’expression et de répression à l’encontre de journalistes, d’hommes politiques
et de défenseurs des droits humains depuis 1995, l’année suivant la prise du
pouvoir par le Front patriotique rwandais (FPR) de l’actuel président Paul
Kagamé.
« Atmosphère glaçante »
« Ceux-ci sont emprisonnés, agressés physiquement,
contraints à l’exil ou réduits au silence, parfois même tués », dénonce
Amnesty. L’ex-rébellion tutsi du FPR a chassé en juillet 1994 le régime hutu
extrémiste de l’époque et mis fin au génocide – environ 800 000 morts
essentiellement parmi la minorité tutsi – déclenché trois mois auparavant.
« Deux décennies d’attaques contre les opposants politiques,
les médias indépendants et les défenseurs des droits humains ont créé un climat
de peur au Rwanda » à l’approche de la présidentielle, assure Amnesty. « Dans
cette atmosphère glaçante, il n’est pas surprenant que les éventuels
détracteurs du régime s’autocensurent et que le débat politique soit limité à
l’approche du scrutin », poursuit l’organisation.
Parmi les cas les plus récents cités dans le rapport,
l’assassinat en mai de Jean Damascene Habarugira, un membre du parti – non
reconnu par les autorités – des Forces démocratiques unifiées (FDU), présidé
par l’opposante emprisonnée Victoire Ingabire, et la disparition en 2016
d’Illuminée Iragena, également membre de ce parti.
Harcèlement et intimidation
Amnesty rappelle que deux candidats déclarés à la
présidentielle, Diane Rwigara et Philippe Mpayimana, « se sont plaints que
leurs représentants avaient été victimes de harcèlement et de manœuvres
d’intimidation pendant qu’ils recueillaient les signatures nécessaires à la
validation des candidatures ». Quelques jours après l’annonce de sa
candidature, des photos dénudées de Mme Rwigara ont commencé à circuler sur les
réseaux sociaux, « ce que beaucoup ont considéré comme une campagne de
diffamation », selon Amnesty.
Cinq candidats d’opposition, dont quatre indépendants, ont
annoncé leur volonté de se présenter face au président sortant, autorisé à
briguer un troisième mandat en vertu d’une réforme contestée de la Constitution
rwandaise. Début juillet, la Commission électorale nationale (NEC) avait validé
la candidature du président Kagamé et celle de Frank Habineza, le président du
Parti démocratique vert, seule formation d’opposition autorisée. Mais elle
avait rejeté les dossiers, jugés incomplets, de tous les candidats
indépendants. La NEC leur avait donné cinq jours pour régulariser leur
situation.
Amnesty « exhorte l’Etat à prévenir le harcèlement visant
les candidats de l’opposition et leurs sympathisants avant le scrutin d’août »
et à « entreprendre des réformes ambitieuses qui élargiront l’espace politique
avant l’élection de 2024 ».
Selon la revue « XXI », un ordre officiel avait été donné pendant l’opération « Turquoise » de réarmer les génocidaires des Tutsi, quelques mois après les massacres.
LE MONDE Le 27.06.2017 à 10h53 • Mis à jour le 27.06.2017 à 18h04
Photo datée du 3 juillet 1994, sur laquelle des soldats français arrivent à un camp de réfugiés à Butare.
La revue XXI publie, mercredi 28 juin, une enquête sur le rôle de la France lors du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, qui affirme que les autorités françaises ont sciemment réarmé les responsables des massacres, violant ainsi l’embargo sur les armes décrété par l’Organisation des Nations unies (ONU) dans ce pays d’Afrique de l’Est.
Intitulé « Réarmez-les », l’article de Patrick de Saint-Exupéry, cofondateur de la revue, s’appuie sur le témoignage d’un haut fonctionnaire qui a pu consulter les archives sur le conflit rwandais. Lorsque l’Elysée annonça en 2015 l’ouverture de ces archives, deux hauts fonctionnaires furent en effet chargés de vérifier leur contenu.
Les archives toujours fermées
Par ailleurs, l’ancien officier de l’armée de terre Guillaume Ancel, qui a été déployé au Rwanda dans le cadre de l’opération « Turquoise », vient attester ces accusations. Joint par Le Monde, il affirme avoir vu « la réalisation d’une de ces livraisons dans la deuxième quinzaine de juillet. Alors que je revenais d’une mission d’exfiltration qui s’était mal passée, le commandant adjoint de “Turquoise” sur la base de Cyangugu m’a demandé de retenir l’attention de journalistes pour laisser passer un convoi d’armes vers le Zaïre ». « Il y avait une dizaine de camions chargés de containers, poursuit l’ancien militaire. Le soir, lors du debriefing, on m’a expliqué que nous livrions des armes pour que les génocidaires ne se retournent pas contre nous. J’étais effaré que nous fassions cela alors que nous les avions en partie désarmés et que nous savions qu’ils avaient du sang jusqu’au cou. » Guillaume Ancel qui vient de publier Vent glacial sur Sarajevo s’était fait connaître lorsqu’il avait raconté de manière romancée son expérience au Rwanda dans Vents sombres sur le lac Kivu.
L’enquête de la revue XXI relate les débats que l’ordre de réarmement a provoqués chez les officiers français, certains demandant à pouvoir exercer leur droit de retrait pour ne pas l’exécuter. Mais la directive est finalement confirmée, et l’ordre est signé par le secrétaire général de l’Elysée de l’époque, Hubert Védrine.
L’ouverture des archives sur le Rwanda, pourtant annoncée par François Hollande, n’a pas été effective en raison du « constat qu’a réalisé ce haut fonctionnaire qui a vu des documents extrêmement compromettants », expose le journaliste.