mardi 11 juillet 2017

Mathieu Bock-Côté : Multiculturalisme et guerre civile

Toutes les cultures se valent-elles ? Peut-on vivre à côté d'un cannibale si on est fait de chair ? Peut-on vivre à côté d'un nazi si on est homosexuel ou juif ou communiste ou gitan ?

Non, me direz-vous ! La réponse est non. Moi, non plus, vous me direz, je n'ai pas envie de me faire manger au petit déjeuner.

Eh bien, par contre, pour l'islamisme qui recommande en suivant le Coran et les textes fondateurs de l'islam de haïr voire de tuer les juifs, chrétiens et en général les non-musulmans, de tuer les apostats, de réduire à l'esclavage les femmes non-musulmanes,  la réponse est étonnamment oui. L'islam, qu'on se le dise et qu'on se le répète, est compatible avec la démocratie, avec la République. L'islam n'a rien à voir avec l'islamisme, ni encore moins avec le terrorisme.

Voici tout de même les textes fallacieux et assurément réactionnaires de ceux qui pensent que la réponse est non. 

Mathieu Bock-Côté : «L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir» (29.04.2016)
Bock-Côté : «La France fait un pas de plus vers le politiquement correct à l'américaine» (31.07.2017)
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Mathieu Bock-Côté: «Au Canada, la novlangue de la diversité gagne du terrain» (13.02.2018)
Mathieu Bock-Côté : «La France résiste au féminisme anglo-saxon, et heureusement !» (16.01.2018)
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Mathieu Bock-Côté : «Métamorphose du blasphème en Occident» (27.02.2018)
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Mathieu Bock-Côté : «L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir» (29.04.2016)
Par Alexandre Devecchio  Publié le 29/04/2016 à 19:36
Mathieu Bock-Côté : «L'homme sans civilisation est nu et condamné au désespoir»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l'occasion de la sortie de son nouveau livre, Mathieu Bock-Côté a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. L'intellectuel québécois y proclame son amour de la France et fait part de son angoisse de voir le multiculturalisme détruire les identités nationales.

Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Son dernier livre, Le multiculturalisme comme religion politique vient de paraître aux éditions du Cerf.


En tant que Québécois, quel regard portez-vous sur la société française?

Je m'en voudrais d'abord de ne pas dire que j'aime profondément la France et que j'hérite d'une tradition très francophile, autrefois bien présente chez nous, qui considère encore un peu votre pays comme une mère-patrie. La France, en un mot, ne nous est pas étrangère. Vous me pardonnerez ces premiers mots, mais ils témoignent de mon affection profonde pour un pays avec lequel les Québécois entretiennent une relation absolument particulière. En un mot, j'ai le sort de la France à cœur !

La pénétration de l'idéologie multiculturelle, que vous dénoncez dans votre livre, est-elle en France aussi forte que dans les pays d'Amérique ?

Le multiculturalisme prend un visage tout à fait singulier au Canada. Au Canada, le multiculturalisme est inscrit dans la constitution de 1982, imposé de force au Québec, qui ne l'a jamais signé. Il a servi historiquement à noyer le peuple québécois dans une diversité qui le privait de son statut de nation fondatrice. Pierre Trudeau, le père de Justin Trudeau, était radicalement hostile au peuple québécois, à son propre peuple, qu'il croyait traversé par une tentation ethnique rétrograde. C'était faux, mais c'était sa conviction profonde, et il voulait désarmer politiquement le Québec et le priver de sa prétention à constituer une nation.

Dans l'histoire du Canada, nous étions un peuple fondateur sur deux. Avec le multiculturalisme d'État, on nous a transformés en nuance identitaire parmi d'autres dans l'ensemble canadien. Il faut rappeler ces origines oubliées du multiculturalisme canadien à ceux qui n'en finissent plus d'idéaliser un pays qui a œuvré à oblitérer sa part française.

Je vous donne au passage ma définition du multiculturalisme, valable au-delà du contexte canadien: c'est une idéologie fondée sur l'inversion du devoir d'intégration. Traditionnellement, c'était la vocation de l'immigré de prendre le pli de la société d'accueil et d'apprendre à dire nous avec elle. Désormais, c'est la société d'accueil qui doit se transformer pour accommoder la diversité. La culture nationale perd son statut: elle n'est plus qu'un communautarisme parmi d'autres. Elle devra toutefois avoir la grandeur morale de se dissoudre pour expier ses péchés passés contre la diversité.

Retour au Canada. Au fil du temps, le multiculturalisme canadien s'est autonomisé de sa vocation antiquébécoise et en est venu à représenter paradoxalement le cœur de l'identité canadienne. Il a remplacé ce qu'on pourrait appeler l'identité historique canadienne par une identité idéologique fondée sur la prétention. Ce qui tient lieu d'identité commune au Canada aujourd'hui, et cela plus encore depuis l'arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, que la France regarde étrangement d'un air enamouré, c'est le sentiment d'être une superpuissance morale, exemplaire pour l'humanité entière, une utopie réussie représentant non seulement un pays admirable, mais la prochaine étape dans le progrès de l'humanité.

L'indépendantiste québécois que je suis a un regard pour le moins sceptique devant cet ultranationalisme canadien qui conjugue la fierté cocardière et l'esprit post-moderne.

Plus largement, au Canada, le multiculturalisme sert de machine à normaliser et à banaliser les différences les plus extrêmes, les moins compatibles avec ce qu'on appellera l'esprit de la civilisation occidentale ou les mœurs occidentales. C'est le pays du communautarisme décomplexé, c'est aussi celui où on peut prêter son serment de citoyenneté en niqab avec la bénédiction des tribunaux et du premier ministre, qui y voit une marque admirable de tolérance.

C'est le pays qui banalise sous le terme d'accommodements raisonnables un relativisme généralisé, qui peut aller très loin. C'est le pays où certains iront même jusqu'à dire que le niqab est peut-être même le symbole par excellence de la diversité canadienne, puisque son acceptation par les élites témoigne de la remarquable ouverture d'esprit de ceux qui le dirigent et des institutions qui le charpentent. Pour le dire autrement, le Canada pratique un multiculturalisme à la fois radicalisé et pacifié.

En France, le multiculturalisme semble moins agressif ...

Il domine aussi l'esprit public mais n'est pas nécessairement revendiqué par les élites, qui entretiennent, à travers la référence aux valeurs républicaines, l'idéal d'une nation transcendant sa diversité. On sait bien que la réalité est autre et que la référence républicaine s'est progressivement désincarnée et vidée de sa substance nationale depuis une trentaine d'années.

En fait, la France fait une expérience tragique du multiculturalisme. Elle se délite, se décompose sous nos yeux, et la plupart de mes interlocuteurs, ici, me confessent avoir une vision terriblement pessimiste de l'avenir de leur pays. J'ajoute, et je le dis avec tristesse, que les Français semblent nombreux, lorsque leur pays est attaqué, à se croire responsable du mauvais sort qu'ils subissent, comme s'ils avaient intériorisé pleinement le discours pénitentiel occidental, qui pousse nos nations à s'autoflageller en toutes circonstances.

Le multiculturalisme s'est imposé chez vous par une gauche qui, depuis le passage du socialisme à l'antiracisme, au début des années 1980, jusqu'à la stratégie Terra Nova, en 2012, a été de moins en moins capable de parler le langage de la nation, comme si cette dernière était une fiction idéologique au service d'une majorité tyrannique désirant écraser les minorités.

Il s'est aussi imposé avec l'aide des institutions européennes, qui sont de formidables machines à dénationaliser les peuples européens.

La droite, par ailleurs, toujours prompte à vouloir donner des gages au progressisme, a peu à peu abandonné aussi la nation, ou s'est du moins contentée de la définir de manière minimaliste en en évacuant l'histoire pour retenir seulement les fameuses valeurs républicaines.

Le multiculturalisme est la dynamique idéologique dominante de notre temps, et cela en Amérique du nord comme en Europe occidentale. Chez les élites, il suscite la même admiration béate ou la même passion militante. Il propose toujours le même constat : nos sociétés sont pétries de stéréotypes et de préjugés, elles sont fermées à la différence et elles doivent se convertir à la diversité pour enfin renaître, épurées de leur part mauvaise, lavées de leurs crimes. Pour emprunter les mots d'un autre, le multiculturalisme se présente comme l'horizon indépassable de notre temps et comme le seul visage possible de la démocratie.

La gauche européenne, en général, y voit d'ailleurs le cœur de son programme politique et idéologique.

Je note autre chose : le multiculturalisme est partout en crise, parce qu'on constate qu'une société exagérément hétérogène, qui ne possède plus de culture commune ancrée dans l'histoire et qui par ailleurs, renonce à produire du commun, est condamnée à entrer en crise ou à se déliter. Lorsqu'on légitime les revendications ethnoreligieuses les plus insensées au nom du droit à la différence, on crée les conditions d'une déliaison sociale majeure.

Mais devant cette crise, le multiculturalisme, loin de s'amender, loin de battre en retraite, se radicalise incroyablement. Pour ses thuriféraires, si le multiculturalisme ne fonctionne pas, c'est qu'on y résiste exagérément, c'est que les nations historiques, en refusant de s'y convertir, l'empêchent de transformer pour le mieux nos sociétés selon les termes de la promesse diversitaire.

Il faudra alors rééduquer les populations pour transformer leur identité et les amener à consentir à ce nouveau modèle : on cherche, par l'école, à fabriquer un nouveau peuple, ayant pleinement intériorisé l'exigence diversitaire. On cherchera à culpabiliser les peuples pour les pousser à enfin céder à l'utopie diversitaire.

C'est la tentation autoritaire du multiculturalisme, qui est tenté par ce qu'on pourrait appeler une forme de despotisme qui se veut éclairé.

Quels sont les points communs et différence avec la France ?

L'histoire des deux pays, naturellement n'est pas la même. La France est un vieux pays, une vieille culture, une vieille civilisation qui se représente généralement comme un monde commun à transmettre et non comme une utopie à exporter, même si la révolution française a eu un temps cette tentation.

En un mot, la France a des ressources inouïes pour résister au multiculturalisme même si elle ne les mobilise pas tellement le discours culpabilisateur inhibe les peuples et les convainc que l'affirmation de leur identité relève de la xénophobie et du racisme.

Mais encore une fois, il faut le dire, c'est le même logiciel idéologique qui est à l'œuvre. Il repose sur l'historiographie victimaire, qui criminalise les origines de la nation ou réduit son histoire à ses pages noires, sur la sociologie antidiscriminatoire, qui annihile la possibilité même d'une culture commune, dans la mesure où elle n'y voit qu'une culture dominante au service d'une majorité capricieuse, et sur une transformation de la démocratie, qui sera vidée de sa substance, dans la mesure où la judiciarisation des problèmes politiques et le transfert de la souveraineté vers le gouvernement des juges permet de désarmer institutionnellement un peuple qu'on soupçonne de céder au vice de la tyrannie de la majorité.

En un mot, si l'idéologie multiculturaliste s'adapte à chaque pays où elle s'implante, elle fait partout le même diagnostic et prescrit les mêmes solutions: c'est qu'il s'agit d'une idéologie, finalement, qui pose un diagnostic global et globalement négatif sur l'expérience historique occidentale.

Vous définissez aussi le multiculturalisme comme la créature de Frankenstein du marxisme. Mais cette idéologie est née dans les pays anglo-saxons de culture libérale. N'est-ce pas paradoxal ?

Je nuancerais. Le multiculturalisme comme idéologie s'est développée au cœur des luttes et contestations qui ont caractérisé les radical sixties et les radical seventies et s'est alimenté de références idéologiques venant des deux côtés de l'Atlantique. Par ailleurs, de grands intellectuels français ont joué un rôle majeur dans la mise en place de cette idéologie, née du croisement d'un marxisme en décomposition et des revendications issues de la contre-culture. Michel Foucault et Alain Touraine, par exemple, ont joué un grand rôle dans la construction globale de l'idéologie multiculturaliste. En fait, je dirais que la crise du progressisme a frappé toutes les gauches occidentales. Chose certaine, il ne faut pas confondre l'idéologie multiculturaliste avec une simple expression globalisée de l'empire américain. C'est une explication trop facile à laquelle il ne faut pas céder.

En France, vieux pays jacobin qui a fait la révolution, le multiculturalisme reste contesté malgré la conversion de la majorité de nos élites …

Il est contesté partout, il est contesté au Québec, il est contesté en Grande-Bretagne, il est contesté aux États-Unis, il est aussi contesté chez vous, cela va de soi. Sur le fond des choses, le refus du multiculturalisme repose sur le refus d'être dépossédé de son pays et de voir la culture nationale transformée en identité parmi d'autres dans une citoyenneté mosaïque. Il serait quand même insensé que la civilisation française devienne optionnelle sur son territoire, certains pouvant s'en réclamer, d'autres pas, mais tous cohabitant dans une fausse harmonie que de vrais propagandistes nommeront vivre-ensemble.

Le drame de cette contestation, c'est qu'elle est souvent inhibée, disqualifiée ou criminalisée. La simple affirmation du sentiment national a longtemps passé pour de la xénophobie plus ou moins avouée, qu'il fallait combattre de toutes les manières possibles. D'ailleurs, la multiplication des phobies dans le discours médiatique, qui témoigne d'une psychiatrisation du débat public : on veut exclure du cercle de la respectabilité démocratique ceux qui sont attachés, d'une manière ou d'une autre, à l'État-nation.

On ne sortira pas de l'hégémonie multiculturaliste sans réaffirmer la légitimité du référent national, sans redonner ses lettres de noblesse à un patriotisme enraciné et décomplexé.

Depuis quelques années, on observe également en France la percée d'un féminisme identitaire qui semble tout droit inspiré de Judith Butler. Quelle a été son influence au Québec et plus largement en Amérique du Nord ? Ce féminisme est-il une variante du multiculturalisme ?


Ce féminisme est dominant dans nos universités et est particulièrement influent au Québec, surtout dans une nouvelle génération féministe très militante qui voit dans la théorie du genre l'expression la plus satisfaisante d'une certaine radicalité théorique qui est pour certains une drogue dure. La théorie du genre, en d'autres mots, est à la mode, très à la mode (et elle l'est aussi plus généralement dans les universités nord-américaines et dans les milieux culturels et médiatiques), et il est mal vu de s'y opposer. Il faut pourtant dire qu'elle est portée par une tentation nihiliste radicale, qui entend tout nier, tout déconstruire, au nom d'une liberté pensée comme pure indétermination. C'est le fantasme de l'autoengendrement. La théorie du genre veut éradiquer le monde historique et reprendre l'histoire à zéro, en quelques sortes, en abolissant la possibilité même de permanences anthropologiques.

On peut certainement y voir une autre manifestation de l'héritage des radical sixties et de l'idéologie diversitaire qui domine généralement les départements de sciences sociales et au nom de laquelle on mène la bien mal-nommée lutte contre les discriminations - parce qu'à force de présenter toute différence à la manière d'une discrimination, on condamne toutes les institutions à la déconstruction.

Devant Judith Butler, la tentation première est peut-être de s'esclaffer. Je comprends cela. Il faut pourtant prendre son propos très au sérieux, car sa vision des choses, et plus largement, du courant néoféministe qu'elle représente, est particulièrement efficace dans les milieux qui se veulent progressistes et craignent par-dessus tout de ne pas avoir l'air assez à gauche.

Depuis les attentats de janvier 2015, le débat autour de l'islam divise profondément la France. Cette question est-elle aussi centrale en Amérique du Nord ? Pourquoi ?

Elle est présente, très présente, mais elle est l'est de manière moins angoissante, dans la mesure où les communautarismes ne prennent pas la forme d'une multiplication de Molenbeek, même si la question de l'islam radical et violent inquiète aussi nos autorités et même si nous avons aussi chez certains jeunes une tentation syrienne.

Mais la question du voile, du voile intégral, des accommodements raisonnables, se pose chez nous très vivement - et je note qu'au Québec, on s'inquiète particulièrement du multiculturalisme. Nos sociétés sont toutes visées par l'islamisme. Elles connaissent toutes, aussi, de vrais problèmes d'intégration.

Généralisons un peu le propos : partout en Occident, la question de l'Islam force les pays à se poser deux questions fondamentales : qu'avons-nous en propre, au-delà de la seule référence aux droits de l'homme, et comment intégrer une population qui est culturellement très éloignée, bien souvent, des grands repères qui constituent le monde commun en Occident ?

Cela force, à terme, et cela de manière assez étonnante, plusieurs à redécouvrir la part chrétienne oubliée de notre civilisation. Non pas à la manière d'une identité confessionnelle militante, évidemment, mais tout simplement sous la forme d'une conscience de l'enracinement.

Les musulmans qui arrivent en Occident doivent accepter qu'ils arrivent dans une civilisation qui a longtemps été le monde chrétien, et où sur le plan symbolique, l'héritage chrétien conserve une prédominance naturelle et légitime.

Cela ne veut pas dire, évidemment, qu'il faille courir au conflit confessionnel ou à la guerre des religions : ce serait désastreux.

Mais simplement dit, la question de l'islam nous pousse à redécouvrir des pans oubliés de notre identité, même si cette part est aujourd'hui essentiellement culturalisée.

Le conservatisme rappelle à l'homme qu'il est un héritier et que la gratitude, comprise comme une bienveillance envers le monde qui nous accueille, est une vertu honorable. C'est une philosophie politique de la finitude.

L'islamisme et ses prétentions hégémoniques ne sont-ils pas finalement incompatible avec le multiculturalisme qui suppose le «vivre ensemble» ?

L'islamisme a un certain génie stratégique : il mise sur les droits consentis par les sociétés occidentales pour les retourner contre elles. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres dans la société plurielle: il prétend s'inscrire dans la logique du multiculturalisme, à travers lui, il banalise ses revendications. Il instrumentalise les droits de l'homme pour poursuivre l'installation d'un islam radical dans les sociétés occidentales et parvient à le faire en se réclamant de nos propres principes. Il se présente à la manière d'une identité parmi d'autres qui réclame qu'on l'accommode, sans quoi il jouera la carte victimaire de la discrimination. C'est très habile. À travers cela, il avance, il gagne du terrain et nous lui cédons. Devant cela, nous sommes moralement désarmés.


Il faudrait pourtant se rappeler, dans la mesure du possible, que lorsqu'on sépare la démocratie libérale de ses fondements historiques et civilisationnels, elle s'effrite, elle se décompose. La démocratie désincarnée et dénationalisée est une démocratie qui se laisse aisément manipuler par ses ennemis déclarés. D'ailleurs, au vingtième siècle, ce n'est pas seulement au nom des droits de l'homme mais aussi au nom d'une certaine idée de notre civilisation que les pays occidentaux ont pu se dresser victorieusement contre le totalitarisme. Du général de Gaulle à Churchill en passant par Soljenitsyne, la défense de la démocratie ne s'est pas limitée à la défense de sa part formelle, mais s'accompagnait d'une défense de la civilisation dont elle était la forme politique la plus achevée.

Comment voyez-vous l'avenir de la France. Le renouveau conservateur en germe peut-il stopper l'offensive multiculturaliste de ces 30 dernières années ?

On dit que la France a la droite la plus bête du monde. C'est une boutade, je sais, mais elle est terriblement injuste.

Je suis frappé, quant à moi, par la qualité intellectuelle du renouveau conservateur, qui se porte à la fois sur la question identitaire et sur la question anthropologique, même si je sais bien qu'il ne se réclame pas explicitement du conservatisme, un mot qui a mauvaise réputation en France.

Je définis ainsi le conservatisme : une philosophie politique interne à la modernité qui cherche à la garder contre sa tentation démiurgique, contre la tentation de la table-rase, contre sa prétention aussi à abolir l'histoire comme si l'homme devait s'en extraire pour se livrer à un fantasme de toute-puissance sociale, où il n'entend plus seulement conserver, améliorer, transformer et transmettre la société, mais la créer par sa pure volonté. Le conservatisme rappelle à l'homme qu'il est un héritier et que la gratitude, comprise comme une bienveillance envers le monde qui nous accueille, est une vertu honorable. C'est une philosophie politique de la finitude.

L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre : il est nu et condamné au désespoir.

Réponse un peu abstraite, me direz-vous. Mais pas nécessairement: car on aborde toujours les problèmes politiques à partir d'une certaine idée de l'homme. Si nous pensons l'homme comme héritier, nous nous méfierons de la réécriture culpabilisante de l'histoire qui domine aujourd'hui l'esprit public dans les sociétés occidentales. Ce que j'espère, c'est que la renaissance intellectuelle du conservatisme en France trouve un débouché politiquement, qui normalement, ne devrait pas être étranger à l'héritage du gaullisme. Pour l'instant, ce conservatisme semble entravé par un espace politique qui l'empêche de prendre forme.

Et pour ce qui est du multiculturalisme, on ne peut bien y résister qu'à condition d'assumer pleinement sa propre identité historique, ce qui permet de résister aux discours culpabilisants et incapacitants. Il faut donc redécouvrir l'héritage historique propre à chaque pays et cesser de croire qu'en l'affirmant, on bascule inévitablement dans la logique de la discrimination contre l'Autre ou le minoritaire. Cette reconstruction ne se fera pas en quelques années. Pour user d'une image facile, c'est le travail d'une génération.

Le multiculturalisme peut-il finalement réussir le vieux rêve marxiste de révolution mondiale ? La France va-t-elle devenir les Etats-Unis ou le Canada ?

À tout le moins, il s'inscrit dans la grande histoire du progressisme radical et porte l'espoir d'une humanité réconciliée, délivrée de ses différences profondes, où les identités pourraient circuler librement et sans entraves dans un paradis diversitaire. On nous présente cela comme une sublime promesse : en fait, ce serait un monde soumis à une terrible désincarnation, où l'homme serait privé de ses ancrages et de la possibilité même de l'enracinement. L'homme sans histoire, sans culture, sans patrie, sans famille et sans civilisation n'est pas libre: il est nu et condamné au désespoir.

En un sens, le multiculturalisme ne peut pas gagner : il est désavoué par le réel, par la permanence de l'authentique diversité du monde. Il pousse à une société artificielle de carte postale, au mieux ou à la décomposition du corps politique et au conflit social, au pire. Et il est traversé par une vraie tentation autoritaire, chaque fois. Mais il peut tous nous faire perdre en provoquant un effritement de nos identités nationales, en déconstruisant leur légitimité, en dynamitant leurs fondements historiques.

Et pour la France, permettez-moi de lui souhaiter une chose : qu'elle ne devienne ni les États-Unis, ni le Canada, mais qu'elle demeure la France.

Bock-Côté : «La France fait un pas de plus vers le politiquement correct à l'américaine» (31.07.2017)
Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 31/07/2017 à 10h36 | Publié le 30/07/2017 à 19h21
ENTRETIEN - Mathieu Bock-Côté voit dans un amendement adopté mardi dernier par l'Assemblée une étape supplémentaire vers un multiculturalisme d'inspiration nord-américaine funeste pour la liberté d'expression. Il nous met en garde contre une « dérive orwellienne » qu'il constate déjà dans son propre pays.
C'est le plus Français des intellectuels québécois. Mathieu Bock-Côté scrute avec un mélange d'admiration et de crainte notre pays. Et s'interroge sur son devenir. La France va-t-elle conserver sa culture du débat? Rester la patrie des paroles et des idées dissidentes? Ou va-t-elle se soumettre à ce que le sociologue appelle le «nouveau régime diversitaire». Nouveau régime marqué par un politiquement correct tatillon qui, selon lui, imposerait une police du langage et de la pensée.
LE FIGARO - Les députés LREM ont voté un amendement à l'article 1 du projet de loi de moralisation de la vie politique prévoyant une «peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité» en cas de manquement à la probité. La probité impliquerait «les faits de discrimination, injure ou diffamation publique, provocation à la haine raciale, sexiste ou à raison de l'orientation sexuelle» précise l'amendement. Que cela vous inspire-t-il?
Mathieu BOCK-CÔTÉ - Vous me permettrez et me pardonnerez d'être franc: j'en suis effaré. Et je pèse mes mots. Évidemment, tout le monde s'entend pour condamner le racisme, le sexisme ou l'homophobie. J'ajouterais que nos sociétés sont particulièrement tolérantes et ont beaucoup moins de choses à se reprocher qu'on veut bien le croire. Mais le problème apparait rapidement: c'est celui de la définition. À quoi réfèrent ces concepts? Nous sommes devant une tentative peut-être sans précédent d'exclure non seulement du champ de la légitimité politique, mais même de la simple légalité, des discours et des idées entrant en contradiction avec l'idéologie dominante. Il faut inscrire cet amendement dans un contexte plus large pour comprendre sa signification: nous sommes devant une offensive idéologique bien plus brutale qu'il n'y paraît.
«On l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se plient pas à l'idéologie diversitaire.»
Mathieu BOCK-CÔTÉ
Prenons l'exemple du racisme. On a vu à quel point, depuis quelques années, on a amalgamé le racisme et la défense de la nation. Pour la gauche diversitaire et ceux qui se soumettent à ses prescriptions idéologiques, un patriotisme historique et enraciné n'était rien d'autre qu'une forme de racisme maquillé et sophistiqué. Ceux qui voulaient contenir l'immigration massive étaient accusés de racisme. Ceux qui affirmaient qu'il y avait un lien entre l'immigration et l'insécurité étaient aussi accusés de racisme. De même pour ceux qui confessaient l'angoisse d'une dissolution de la patrie. Cette assimilation du souci de l'identité nationale à une forme de racisme est une des tendances lourdes de l'histoire idéologique des dernières décennies. On l'aura compris, on accuse de racisme ceux qui ne se plient pas à l'idéologie diversitaire. Quelle sort sera réservé à ceux qui avouent, de manière articulée ou maladroite, de telles inquiétudes?
Prenons l'exemple du débat sur le mariage pour tous aussi. Il ne s'agit pas de revenir sur le fond du débat mais sur la manière dont il a été mené. Pour une partie importante des partisans du mariage homosexuel, ceux qui s'y opposaient, fondamentalement, étaient homophobes. Ils n'imaginaient pas d'autres motifs à leur engagement. Comme toujours, chez les progressistes, il y a les intolérants et les vertueux. Deux philosophies ne s'affrontaient pas: il y a avait d'un côté l'ombre, et de l'autre la lumière. Doit-on comprendre que dans l'esprit de nos nouveaux croisés de la vertu idéologique, ceux qui ont défilé avec la Manif pour tousdevraient être frappés d'inéligibilité? Posons la question autrement: faudra-t-il simplement proscrire juridiquement le conservatisme moral et social de la vie politique?
Prenons aussi le cas de la théorie du genre et de ses dérivés, comme l'idéologie transgenre, qui prétend abolir la référence au masculin et au féminin dans la vie publique, et qui émerge un peu partout dans le monde occidental. C'est pour plier à ses injonctions, par exemple, que le métro de Londres cessera de dire Ladies and Gentleman pour se tourner vers un fade «hello everyone». Celui qui s'oppose frontalement - ou même subtilement - à cette idéologie peut être accusé à n'importe que moment de sexisme ou de transphobie, comme c'est déjà le cas en Amérique du nord. Faudra-t-il aussi interdire la vie politique à ceux qui en seront un jour reconnus coupables? Faudra-t-il criminaliser tôt ou tard ceux qui continuent de croire que la nature humaine est sexuée?
«Cet amendement crée un climat d'intimidation idéologique grave, il marque une étape de plus dans l'étouffement idéologique du débat public.»
Ce n'est pas d'hier qu'on assiste à une pathologisation du conservatisme, réduit à une série de phobies ou de passions mauvaises. Il est depuis longtemps frappé d'un soupçon d'illégitimité. Il y a une forme de fondamentalisme de la modernité qui ne tolère pas tout ce qui relève de l'imaginaire de la finitude et de l'altérité. Ce n'est pas d'hier non plus qu'on assiste à sa diabolisation: on le présente comme une force régressive contenant le mouvement naturel de la modernité vers l'émancipation. D'une certaine manière, maintenant, on entend le pénaliser. On l'exclura pour de bon de la cité. C'est une forme d'ostracisme postmoderne. Disons l'essentiel: cet amendement crée un climat d'intimidation idéologique grave, il marque une étape de plus dans l'étouffement idéologique du débat public. Et ne doutons pas du zèle des lobbies victimaires qui patrouillent l'espace public pour distribuer des contraventions idéologiques. On me dira que l'amendement ne va pas jusque-là: je répondrai qu'il va dans cette direction.
À mon avis, derrière cet amendement, il y a la grande peur idéologique des progressistes ces dernières années. Ils croyaient avoir perdu la bataille des idées. Ils croyaient la France submergée par une vague conservatrice réactionnaire qu'ils assimilaient justement à une montée du racisme, de la xénophobie, du sexisme et de l'homophobie. Ils se sont dit: plus jamais ça. Ils veulent reprendre le contrôle du débat public en traduisant dans le langage de l'intolérance la philosophie qui contredit la leur. Il s'agit désormais de verrouiller juridiquement l'espace public contre les mal-pensants.
LE FIGARO. - En France, le racisme n'est pas une opinion, mais un délit...
Mathieu BOCK-COTÉ. - Ce qu'il faut savoir, c'est que la sociologie antiraciste ne cesse d'étendre sa définition du racisme. Elle instrumentalise le concept noble de l'antiracisme à des fins qui ne le sont pas.
J'en donne deux exemples.
Pour elle, ou du moins, ceux qui s'opposent à la discrimination positive se rendraient coupables, sans nécessairement s'en rendre compte, de racisme universaliste, qui écraserait la différence et la diversité. Traduisons: le républicanisme est raciste sans le savoir, et ceux qui la soutiennent endossent, sans nécessairement s'en rendre compte, toutefois, un système raciste. Ils participeraient à la perpétuation d'une forme de racisme systémique.
Inversement, ceux qui soutiendraient qu'une communauté culturelle ou une religion particulière s'intègre moins bien que d'autres à la nation seront accusés de racisme différentialiste car ils essentialiseraient ainsi les communautés et hiérarchiseraient implicitement ou explicitement entre les différentes cultures et civilisation. Ainsi, une analyse sur la question ne sera pas jugée selon sa pertinence, mais disqualifiée parce qu'elle est à l'avance assimilée au racisme.
Je note, soit dit en passant, que les seuls militants décomplexés en faveur de la ségrégation raciale se retrouvent dans l'extrême-gauche anticoloniale, qui la réhabilite dans sa défense des espaces non-mixtes, comme si elle devenait légitime lorsqu'elle concerne les minorités victimaires. Mais ce racisme, apparemment, est respectable et trouve à gauche ses défenseurs militants …
Nous avons assisté, en quelques décennies, à une extension exceptionnelle du domaine du racisme: il faut le faire refluer et cesser les amalgames. En gros, soit vous êtes favorable au multiculturalisme dans une de ses variantes, soit vous êtes raciste. Multiculturalisme ou barbarie? On nous permettra de refuser cette alternative. Et de la refuser vigoureusement.
Il y a aujourd'hui une tâche d'hygiène mentale: il faut définir tous ces mots qui occupent une place immense dans la vie publique et surtout, savoir résister à ceux qui les utilisent pour faire régner un nouvel ordre moral dont ils se veulent les gardiens passionnés et policiers. Il faut se méfier de ceux qui traquent les arrière-pensées et qui surtout, rêvent de vous inculper pour crime-pensée.
LE FIGARO. - Cela rappelle-t-il le politiquement correct nord-américain? En quoi?
«Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise au nouvel ordre moral.»
Mathieu Bock-Coté
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le politiquement correct n'est plus une spécificité nord-américaine depuis longtemps. Mais pour peu qu'on le définisse comme un dispositif inhibiteur qui sert à proscrire socialement la critique de l'idéologie diversitaire, on constatera qu'il s'impose à la manière d'un nouvel ordre moral, et qu'on trouve à son service bien des fanatiques. Ils se comportent comme des policiers du langage: ils traquent les mots qui témoigneraient d'une persistance de l'ancien monde, d'avant la révélation diversitaire. Ceux qui n'embrassent pas l'idéologie diversitaire doivent savoir qu'il y aura un fort prix à payer pour entrer en dissidence. On les traitera comme des proscrits, comme des parias. On leur collera une sale étiquette dont ils ne pourront plus se départir. Populiste, réactionnaire, extrême-droite: les termes sont nombreux pour désigner à la vindicte publique une personnalité insoumise au nouvel ordre moral. Dès lors, celui qui se présente dans la vie publique avec cette étiquette est disqualifié à l'avance: il s'agit d'une mise en garde adressée à l'ensemble de ses concitoyens pour leur rappeler de se méfier ce se personnage. C'est un infréquentable: on ne l'invitera, à la rigueur, que pour servir de repoussoir. On lui donnera la parole peut-être mais ce sera pour dire qu'il dissimule ses vraies pensées en multipliant les ruses de langage. Alors nos contemporains se taisent. Ils comprennent que s'ils veulent faire carrière dans l'université, dans les médias ou en politique, ils ont intérêt à se taire et à faire les bonnes prières publiques et à ne pas aborder certaines questions. La diversité est une richesse, et ceux qui bémoliseront cette affirmation n'auront tout simplement plus droit de cité. En France, le politiquement correct a pour fonction de disqualifier moralement ceux qui ne célèbrent pas globalement ce qu'on pourrait appeler la société néo-soixante huitarde. Avec cet amendement, le pays fait un pas de plus vers le politiquement correct en le codifiant juridiquement, ou si on préfère, en le judiciarisant: désormais, il modèlera explicitement le droit.
La liberté d'expression est pourtant un droit sacré aux États-Unis protégé par la constitution? Qu'en est-il au Canada?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Nous sommes à front renversé. Pour le dire rapidement, la liberté d'expression est juridiquement bien balisée chez nous mais la vie publique est écrasée par une forme de consensus idéologique diversitaire qui rend impossible des débats semblables à ceux qu'on trouve en France. Autrement dit, le contrôle de la parole dissidente s'exerce chez nous moins par le droit que par le contrôle social. Un politicien qui, clairement, s'opposerait au multiculturalisme, par ailleurs inscrit dans la constitution canadienne, verrait sa carrière exploser. On a le droit de dire bien des choses, mais personne ne dit rien - il faut néanmoins tenir compte de l'exception québécoise, où la parole publique est plus libre, du moins en ce qui concerne la question identitaire. Je note, cela dit, que ces dernières années, on a assisté à des tentatives pour judiciariser le politiquement correct. Inversement, en France, la liberté d'expression est soumise à mille contraintes qui me semblent insensées mais la culture du débat demeure vive, ce qui n'est pas surprenant dans la mesure où elle est inscrite dans l'histoire du pays et dans la psychologie collective.
Comment ce «politiquement correct» est-il né? Quels sont les conséquences sur le débat public?
Mathieu BOCK-COTÉ. - C'est un des résultats de la mutation de la gauche radicale engagée dans la suite des Radical Sixties. Il s'institutionnalisera vraiment dans les années 1980, dans l'université américaine. On connait l'histoire de la conversion de la gauche radicale, passée du socialisme au multiculturalisme et des enjeux économiques aux enjeux sociétaux. La lutte des classes s'effaçait devant la guerre culturelle, et la bataille pour la maîtrise du langage deviendra vitale, ce qui n'est pas surprenant pour peu qu'on se souvienne des réflexions d'Orwell sur la novlangue. Celui qui maîtrise le langage maîtrisera la conscience collective et certains sentiments deviendront tout simplement inexprimables à force d'être censurés.
Mais revenons à l'histoire du politiquement correct: dans les universités nord-américaines, on a voulu s'ouvrir aux paroles minoritaires, ce qui impliquait, dans l'esprit de la gauche radicale, de déboulonner les grandes figures de la civilisation occidentale, rassemblées dans la détestable catégorie des hommes blancs morts. Autrement dit, la culture n'était plus la culture, mais un savoir assurant l'hégémonie des dominants sur les dominés: on a voulu constituer des contre-savoirs idéologiques propre aux groupes dominés ou marginalisés. C'est une logique bien bourdieusienne. Les humanités ont été le terrain inaugural de cette bataille. Ce serait maintenant le tour historique des minorités (et plus exactement, de ceux qui prétendent parler en leur nom, cette nuance est essentielle) et ce sont elles qui devraient définir, à partir de leur ressenti, les frontières du dicible dans la vie publique. Ce sont elles qui devraient définir ce qu'elles perçoivent comme du «racisme», du «sexisme», de «l'homophobie». Et on devrait tous se soumettre à cette nouvelle morale. On invite même le «majoritaire» à se taire au nom de la décence élémentaire. On demeure ici dans la logique du postmarxisme: les nouvelles minorités identitaires sorties des marges de la civilisation occidentales sont censées incarner un nouveau sujet révolutionnaire diversifié.
Mais on a oublié qu'il peut y avoir un intégrisme victimaire et un fanatisme minoritaire, qui a versé dans la haine décomplexée de l'homme blanc, jugé salaud universel de l'histoire du monde. La société occidentale est soumise à un procès idéologique qui jamais, ne s'arrête. Je vous le disais tout juste: ces notions ne cessent de s'étendre et tout ce qui relève de la société d'avant la révélation diversitaire finira dans les déchets du monde d'hier, dont il ne doit plus rester de traces. Et il est de plus en plus difficile de tenir tête à ce délire. À tout le moins, cela exigera beaucoup de courage civique.
Et en ce moment, l'université nord-américaine, qui demeure la fabrique institutionnelle du politiquement correct, est rendue très loin dans ce délire: on connait le concept de l'appropriation culturelle qui consiste à proscrire les croisements culturels dans la mesure où ils permettraient à l'homme blanc de piller les symboles culturels des minorités-victimes. On chantait hier le métissage, on vante désormais l'intégrité ethnique des minorités victimaires. On veut aussi y multiplier les safe spaces, qui permettent aux minorités victimaires de transformer l'université en un espace imperméabilisé contre les discours qui entrent en contradiction avec leur vision du monde. C'est sur cette base que des lobbies prétendant justement représenter les minorités-victimes en ont appelé, à plusieurs reprises, à censurer tel discours ou tel événement. Pour ces lobbies, la liberté d'expression ne mérite pas trop d'éloges car elle serait instrumentalisée au service des forces sociales dominantes. Ils n'y reconnaissent aucune valeur en soi et croient nécessaire de transgresser les exigences de la civilité libérale, qui permettaient à différentes perspectives de s'affronter pacifiquement à travers le débat démocratique. Ces lobbies sont animés par une logique de guerre civile.
Ce qui est terrible, c'est que la logique du politiquement correct contamine l'ensemble du débat public. Elle vient de l'extrême-gauche mais en vient à redéfinir plus globalement les termes du débat politique. Tous en viennent à se soumettre peu à peu à ses exigences. Le politiquement correct entraine un appauvrissement effrayant de la vie intellectuelle et politique. Les thèmes interdits se multiplient: la démocratie se vide des enjeux essentiels qui devraient être soumis à la souveraineté populaire dans la mesure où on ne veut voir derrière elle que la tyrannie de la majorité. On psychiatrise de grands pans de la population en l'accusant de mille phobies. On présente le peuple comme une masse intoxiquée par de vilains préjugés et stéréotypes: il faudrait conséquemment le rééduquer pour le purger de la part du vieux monde qui agirait encore en lui.
On trouve de plus en plus de spécialistes du procès idéologique. Ils patrouillent l'espace public à la recherche de dérapages - ce terme est parlant dans la mesure où il nous dit que la délibération publique doit se faire dans un couloir bien balisé et qu'il n'est pas permis d'en sortir.
J'ajouterais une chose: les gardiens du politiquement correct ne se contentent pas d'un ralliement modéré aux thèses qu'ils avancent: ils exigent de l'enthousiasme. Il faut manifester de manière ostentatoire son adhésion au nouveau régime diversitaire en parlant son langage. Bien des journalistes militants se posent aussi en inquisiteur: ils veulent faire avouer aux hommes politiques ou aux intellectuels leurs mauvaises pensées. Ils les testent sur le sujet du jour en cherchant la faute, en voulant provoquer la déclaration qui fera scandale. Ils veulent prouver qu'au fond d'eux-mêmes, ce sont d'horribles réactionnaires.
LE FIGARO. - Est-il le corollaire du multiculturalisme?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Le multiculturalisme est traversé par une forte tentation autoritaire - pour ne pas dire plus. Il est contesté - plus personne ne croit sérieusement qu'il dispose d'une adhésion populaire. Il doit alors faire taire ses contradicteurs. Il le fait en les diabolisant. Ceux qui rapportent les mauvaises nouvelles à son sujet sont accusés de propager la haine. Une information qui ne corrobore pas les récits lénifiants sur le vivre-ensemble sera traitée au mieux comme un fait divers ne méritant pas une attention significative, au pire comme un fait indésirable qui révélerait surtout la psychologie régressive de celui qui en témoigne. D'ailleurs, on le voit avec les poursuites à répétition contre Éric Zemmour: on pensera ce qu'on voudra de ses idées, mais ce qui est certain, c'est qu'il est poursuivi pour ce qu'on appellera des crimes idéologiques. Il ne voit pas le monde comme on voudrait qu'il le voit alors on travaille fort à le faire tomber. Et on se dit qu'une fois qu'on sera débarrassé de ce personnage, plus personne ne viendra troubler la description idyllique de la société diversitaire. On veut faire un exemple avec lui. Je note par ailleurs que Zemmour n'est pas seul dans cette situation: Georges Bensoussan et Pascal Bruckner ont aussi goûté aux charmes de la persécution juridique. J'en oublie. Il s'agissait d'odieux procès.
Mais on peut aussi vouloir aller plus loin. Au Québec, en 2008, une universitaire bien en vue proposait au gouvernement de donner à certaines autorités devant réguler la vie médiatique le pouvoir de suspendre pour un temps la publication de journaux proposant une représentation négative de la diversité.
Tout cela pour dire que le multiculturalisme, pour se maintenir, doit diaboliser et maintenant pénaliser ceux qui en font le procès.
Mais il faut voir que le multiculturalisme ne fait pas bon ménage avec la liberté d'expression, dans la mesure où la cohabitation entre différentes communautés présuppose une forme de censure généralisée où chacun s'interdit de juger des traditions et coutumes des autres. On appelle cela le vivre-ensemble: c'est une fraude grossière. On le voit quand certaines communautés veulent faire inscrire dans le droit leur conception du blasphème ou du moins, quand elles veulent obliger l'ensemble de la société à respecter leurs interdits moraux, comme on a pu le voir dans l'affaire des caricatures. Je dis certaines communautés: il faudrait parler, plus exactement, des radicaux qui prennent en otage une communauté en prétendant parler en son nom.
Le génie propre de la modernité, c'est le droit d'examiner et de remettre en question n'importe quelle croyance, sans avoir à se soumettre à ses gardiens qui voudraient nous obliger à la respecter. Ce sont les croyants qui doivent accepter que des gens ne croient pas la même chose qu'eux et se donnent le droit de moquer leurs convictions les plus profondes, sans que cette querelle ne dégénère dans la violence. On nous demande de respecter la sensibilité des uns et des autres, comme s'il existait un droit de ne pas être vexé et un droit de veto accordé à chaque communauté pour qu'elle puisse définir la manière dont on se la représente.
LE FIGARO. - Ce type de disposition peut-il être également utilisé par les islamistes pour interdire toute critique de l'islam?
Mathieu BOCK-COTÉ. - Naturellement. C'est tout le sens de la querelle de l'islamophobie: il s'agit de transformer en pathologie haineuse et socialement toxique la simple critique d'une religion ou le simple constat de sa très difficile inscription dans les paramètres politiques et culturels de la civilisation occidentale.
Les islamistes excellent dans le retournement de la logique des droits de l'homme contre le monde occidental pour faire avancer des revendications ethnoreligieuses. De la même manière, ils sauront user de ces nouvelles dispositions pour présenter comme autant de propos haineux les discours qui cherchent à contenir et refouler leur influence, notamment en critiquant la stratégie de l'exhibitionnisme identitaire fondée en bonne partie sur la promotion du voile islamique dans l'espace public. On cherchera à faire passer toute critique un tant soit peu musclée de l'islamisme pour une forme de haine raciale ou religieuse méritant sanction juridique et politique. Soit dit en passant, en 2015-2016, le Québec est passé bien près d'adopter une loi qui aurait entrainé une pénalisation de la critique des religions en général et de l'islam en particulier. Elle était portée par une institution paragouvernementale officiellement vouée à la défense et la promotion des droits de la personne. On voit à quel point aujourd'hui, cette mouvance s'est retournée contre les idéaux qu'elle prétend servir.
«Mais l'islamisme n'est pas l'islam, me direz-vous ? C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l'islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n'importe quelle autre religion.»
Mathieu Bock-Coté
Mais l'islamisme n'est pas l'islam, me direz-vous? C'est vrai. Mais il devrait être permis de critiquer aussi l'islam, à la fois dans son noyau théologique et dans ses différentes variétés culturelles, tout comme il est possible de critiquer n'importe quelle autre religion. À ce que j'en sais, la critique abrasive, la moquerie, l'humour, la polémique, appartiennent aussi au registre de la liberté d'expression en démocratie libérale. Il est à craindre que dans une société de plus en plus patrouillée médiatiquement par la bien-pensance progressiste, la critique de l'islam devienne tout simplement inimaginable.

Le multiculturalisme comme religion politique de Mathieu Bock-Côté, Éditions du Cerf, 2016, 367 p., 24 €
On en revient à l'essentiel: la restauration de la démocratie libérale passe aujourd'hui par la restauration d'une liberté d'expression maximale, qui ne serait plus tenue sous la tutelle et la surveillance des lobbies qui participent à l'univers du politiquement correct. L'amendement dont nous parlons propose exactement le contraire. C'est très inquiétant.
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Mathieu Bock-Côté : « Macron oblige ses opposants conservateurs à élever le niveau » (20.06.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 20/06/2017 à 18h26 | Publié le 20/06/2017 à 15h56
FIGAROVOX/TRIBUNE - À rebours des pronostics, les résultats des législatives donnent malgré tout une place aux partis traditionnels. Mathieu Bock-Côté décrypte le nouveau paysage politique et appelle les conservateurs à jouer un rôle dans cette séquence politique inédite.

Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille(Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

En Marche est le parti de ceux qui se veulent intelligents et se croient seuls à l'être.
On annonçait une victoire écrasante de la République en Marche, avec une opposition atomisée, condamnée à l'insignifiance politique. Le coup d'éclat d'Emmanuel Macron culminerait dans la conquête d'un pouvoir absolu. Le résultat du deuxième tour des élections législatives oblige à nuancer ce portrait. Tous ont noté un taux catastrophique d'abstention. Et si la gauche historique est presque fauchée, l'opposition de droite évite l'humiliation. De même, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon trouvent leur place à l'Assemblée: on y trouvera donc une concurrence forte entre deux figures désirant occuper la fonction tribunitienne. C'est un peu comme si une part significative du corps électoral s'était révoltée au dernier moment contre une complète macronisation de la vie politique. Le pluralisme démocratique sera assuré dans la nouvelle assemblée, même si la victoire de LREM est indéniable et ne saurait être décrétée illégitime, quoi qu'en disent ceux qui croient avoir un monopole sur le peuple qu'ils imaginent toujours en insurrection.
Le cycle électoral engagé avec les primaires s'est donc terminé: c'est peut-être même une nouvelle époque politique qui commence en France. On peine toutefois à la caractériser. Le macronisme semble concrétiser le rêve du grand parti de la raison, rassemblant les gens qui s'autoproclament éclairés des deux bords du spectre politique, comme s'ils parvenaient à se libérer d'une polarisation désuète, ne correspondant plus au monde d'aujourd'hui. C'est le parti de ceux qui se veulent intelligents et se croient seuls à l'être. Idéologiquement, le macronisme cherche à traduire cette vision en distinguant d'un côté les progressistes et de l'autre les conservateurs. Les premiers adhéreraient à l'esprit de l'époque. Ils seraient réformistes, ouverts, mobiles, innovateurs. Les seconds, qu'ils soient de gauche ou de droite, seraient exagérément accrochés à leurs privilèges ou leurs souvenirs. Ils seraient corporatistes ou nostalgiques. On les présente comme des esprits chagrins. Cela sans compter les populistes, qu'il faudrait tenir à l'écart de la conversation civique.
Que la distinction entre progressistes et conservateurs soit essentielle n'est pas faux. Elle ne saurait toutefois se définir de manière aussi caricaturale. Ces termes ne sauraient désignent pas simplement une attitude devant le changement. Ce qui distingue les premiers des seconds, c'est le rapport aux limites. Et Emmanuel Macron, on l'aura noté ces dernières semaines, n'est pas un progressiste caricatural. Le président est plus intéressant que le candidat. Dans son désir manifeste de restaurer, ne serait-ce que sur le plan des apparences, la verticalité du pouvoir, il s'éloigne de l'histrionisme sarkozyste et de la normalité hollandienne. Autrement dit, il cherche à s'approprier symboliquement les marques d'un certain conservatisme, ou du moins, à laisser croire qu'il n'est pas étranger à la dimension hiératique du pouvoir. Si la tendance se maintient, il parviendra, pour un temps du moins, à ne pas raviver la colère de ceux qui sont attachés à la prestance des institutions. Les Français seront beaucoup moins nombreux à avoir honte de leur président.
Nous sommes dans une période de mutation où les grandes catégories politiques demeurent brouillées. C'est un changement d'époque.
Mais on passe là à côté de l'essentiel. Pour l'instant, on peine surtout à repérer les lignes de clivage idéologique fortes autour desquelles pourra prendre forme le débat politique dans les années à venir. On a beau vouloir passer du clivage gauche-droite au clivage progressistes-conservateurs, ou même au clivage plus improbable qu'on ne le dit entre mondialistes et souverainistes, cette grande transformation politique demeure pour l'instant hypothétique: à tout le moins, elle tarde à se fixer. Nous sommes dans une période de mutation où les grandes catégories politiques demeurent brouillées. C'est un changement d'époque. On ne saurait se contenter non plus d'une mise en scène d'un conflit entre un bloc élitaire et un bloc populaire, ou d'une lutte entre le centre et la périphérie, à moins de consentir à un retour explicite de la lutte des classes qui pourrait entraîner bien des débordements. Sur quelles bases se construira l'opposition au macronisme?
Assisterons-nous au retour d'une politique apaisée? Rien n'est moins sûr. Le macronisme victorieux n'est déjà plus euphorique. Certes, l'opposition en bloc et systématique à tout ce que proposera Emmanuel Macron est stérile. Le discours antisystème en est venu à tourner à vide et la faillite du Front national au deuxième tour de la présidentielle le confirme. Les Français ne sont certainement pas enthousiastes devant la nouvelle présidence. Elle ne les révolte pas non plus. Ils souhaitent manifestement qu'Emmanuel Macron soit capable de débloquer un pays que plusieurs sentent enfoncé dans l'impuissance. Ils ne rêvent pas non plus d'une grande liquidation. Il n'est pas interdit de penser non plus qu'il soit capable d'en surprendre plusieurs, si les circonstances historiques l'exigeaient. Chose certaine, devant un bouleversement politique de grande ampleur qu'ils sont très peu nombreux à avoir prévu, il n'est pas interdit d'éviter les prophéties positives ou négatives pour les prochains temps.
Il n'en demeure pas moins que le réel conserve ses droits et qu'on ne saurait soumettre durablement la politique à un mirage technocratique. La dissolution du politique dans un matérialisme avilissant prend aujourd'hui le visage de l'économisme le plus étroit. Le citoyen est réduit à la figure d'un individu qui n'est plus lié intimement à la communauté politique. Mais de l'immigration massive au multiculturalisme en passant par le terrorisme islamiste et les nouveaux enjeux sociétaux, la crise de civilisation que la France traverse avec les autres sociétés occidentales ne vient pas de se dissiper d'un coup. Elle a été étrangement absente de la dernière séquence politique. Elle s'imposera de nouveau. On ne peut durablement censurer la réalité, malgré ce que pensent ceux qui s'imaginent qu'il suffit de ne pas parler d'un problème pour le faire disparaître.
Une bonne partie de la droite, au fond d'elle-même, est progressiste.
Certains relativiseront cette crise de civilisation en disant que le monde a toujours changé et toujours changera. Dès lors, la première vertu de l'homme devient sa capacité d'adaptation à tout ce qui arrive. C'est ce que réclame la mondialisation. Comment ne pas y voir une technicisation à outrance de l'existence? Mais l'homme ne saurait habiter le monde en étant toujours en marche, comme s'il était soumis à un flux incessant et immaîtrisable. Il a aussi besoin de permanences. Il a besoin d'habiter un monde durable qui marche moins qu'il ne demeure. Qui portera ce désir de continuité? L'inépuisable question de l'identité de la droite revient alors dans l'actualité. Pour l'instant, une partie de la droite se contente d'une critique comptable du régime qui s'installe, comme si elle était heureuse de se tenir éloignée des enjeux civilisationnels qui ont marqué les dernières années. Elle rêve de moins en moins secrètement de se rallier au nouvel état des choses. Une bonne partie de la droite, au fond d'elle-même, est progressiste.
La pensée conservatrice a connu une vraie renaissance ces dernières années. Elle s'était peut-être exagérément accrochée à l'échéance présidentielle de 2017, comme si elle représentait un possible point tournant de l'Histoire. Elle s'était fait croire qu'elle avait renversé l'hégémonie culturelle de la gauche. C'était une illusion. On ne reconstruit pas en une élection un monde déconstruit pendant un demi-siècle. Il ne s'agit pas de restaurer le monde d'hier, d'ailleurs, mais de renouer avec les permanences essentielles de toute civilisation. Ce travail de discernement ne va pas de soi. Pour reprendre les mots d'un philosophe, rien n'est aussi complexe que de distinguer l'essentiel de l'anachronique. Le travail de fond devra se poursuivre, au-delà des seuls rendez-vous électoraux qui, aussi importants soient-ils, ne sauraient définir exclusivement la vie de la cité. Il s'agit de faire renaître un imaginaire, une anthropologie, de désenfouir des sentiments oubliés. Ce n'est qu'ainsi que le conservatisme redeviendra une politique de civilisation.
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Mathieu Bock-Côté : «La droite doit comprendre qu'elle ne sera jamais assez respectable pour la gauche» (27.06.2017)

Par Alexandre Devecchio
Mis à jour le 28/06/2017 à 12h40 | Publié le 27/06/2017 à 19h12
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans un entretien fleuve, l'essayiste québécois dresse l'état des lieux de la droite française après la double défaite de la présidentielle et des législatives et trace des perspectives pour l'avenir. Ses mots sonnent comme une mise en garde pour l'opposition.
Il habite à Montréal et pourtant c'est l'un des meilleurs observateurs de la vie politique et intellectuelle française. Celui que l'on surnomme «le Finkielkraut québécois» scrute avec un mélange de passion et de distance le «vieux pays». Il dresse ici l'état des lieux de la droite française après la double défaite de la présidentielle et des législatives et trace des perspectives pour l'avenir. Ses mots sonnent comme une mise en garde pour l'opposition. Il est temps pour elle d'en finir avec «la tutelle idéologique» de ses adversaires, prévient le sociologue. Il n'y aura pas de refondation politique sans refondation idéologique. En véritable insoumis, ce pourfendeur du multiculturalisme appelle la droite à ne pas se dérober face à la question de l'identité de la France. Selon lui, l'opposition pertinente sera celle qui apportera des réponses à l'angoisse de dépossession qui traverse la société française. À méditer pour éviter une guerre des chefs qui promet déjà d'être stérile.
LE FIGARO. - Dans Le JDDXavier Bertrand a dénoncé la «dérive identitaire» de la droite et de Laurent Wauquiez. Le débat s'est trop concentré sur «la France identitaire», affirme-t-il. Partagez-vous ce constat?
Mathieu BOCK-CÔTÉ. - Il fallait s'y attendre: la pression idéologique et médiatique contre ce qu'on pourrait appeler la question identitaire n'a jamais cessé, et ceux qui veulent avoir une place avantageuse dans le système médiatique ont tout avantage à partager cette vision des choses. Qui dénonce la dérive identitaire s'assure d'une place enviable dans la grande famille des respectables. Il faut faire attention au vocabulaire: qu'est-ce qu'une dérive identitaire, sinon la manière qu'a la gauche de parler de toute tentative de renouer avec une définition un peu substantielle de la nation française en réintroduisant dans la citoyenneté les mœurs, la culture, le mode de vie, la mémoire? On réduit alors la question identitaire à une forme de xénophobie ne disant pas son nom. Le terme même de dérive est porteur: il présuppose un éloignement du courant central de la démocratie. Il y aurait quelque chose de fondamentalement suspect avec le désir de réenracinement des peuples: on ne veut y voir qu'un repli sur soi, une fermeture à l'autre, une crispation frileuse devant une époque qui nous invite plutôt à embrasser la mondialisation.
Xavier Bertrand, qui n'est pas un homme sans valeur, et qui revendique sa filiation avec Philippe Séguin, tombe ici dans un piège idéologique. C'est celui dans lequel la droite tombe régulièrement depuis plusieurs décennies, soit la tentation de se soumettre aux critères de respectabilité idéologique qui viennent du camp d'en face. On accepte à l'avance qu'il y aurait des sujets sulfureux: alors on s'en éloigne et on les concède à ceux qui voudront bien s'en emparer. Mais qui détermine si un sujet est sulfureux ou non? D'une génération à l'autre, on cède toujours plus de terrain. C'est une erreur: jamais la droite ne sera assez respectable pour la gauche. Toujours, elle devra donner de nouveaux gages. Mais jamais, elle n'en fera assez. Et toujours, elle s'inhibera un peu plus. À terme, elle se coupe de ses électeurs qui eux résistent plus spontanément au politiquement correct. Ils seront tentés d'aller voir ailleurs si on s'intéresse à eux. C'est une histoire que nous connaissons bien.
«Qu'on le veuille ou non, la peur de devenir étranger chez soi hante notre époque»
Mathieu Bock-Côté
La question de l'identité est-elle un «faux débat» comme le suggère Bertrand ou une angoisse réelle qui traverse la société française?
Il faut un certain culot pour décréter que la question identitaire est un faux débat, alors qu'elle canalise une angoisse de dépossession partout présente en Occident, et qui transforme en profondeur la vie politique. Qu'on le veuille ou non, la peur de devenir étranger chez soi hante notre époque et elle n'a rien d'une panique identitaire, pour reprendre le dernier slogan à la mode qu'on veut nous faire prendre pour un concept. Elle est fondée. Une certaine sociologie militante entend pourtant faire barrage au réel: pour elle, la question identitaire ne serait qu'une thématique propre à l'extrême droite, comme on le dit dans la novlangue progressiste. Autrement dit, celui qui aborde cette question ne s'intéresse pas aux inquiétudes qui façonnent la société contemporaine non plus qu'aux effets terribles de la décomposition culturelle d'une communauté politique: il signe son allégeance au camp des proscrits, ceux dont on ne parle qu'en nous mettant en garde contre eux. Il faut pourtant revenir aux choses simples: une société qui voit ses grands symboles historiques discrédités, qui pousse l'hétérogénéité identitaire jusqu'à l'éclatement culturel, qui voit ses mœurs moquées et même agressées, qui connaît une mutation démographique significative, qui voit ses frontières moquées, qui voit sa souveraineté de plus en plus corsetée, est en droit de se questionner sur son identité et sur les transformations de ce qu'on appellera son être historique. Le système médiatique est parvenu à neutraliser politiquement cette question ces derniers mois, à la chasser de la présidentielle, mais elle resurgira. En fait, elle resurgit déjà.
Xavier Bertrand s'en prend également à Sens commun. Est-ce la droite conservatrice qui est visée?
À chaque défaite, il faut un bouc émissaire. En 2012, c'était Patrick Buisson. On l'a pendu sur la place publique. On l'a transformé en théoricien méphistophélique qui se serait infiltré au cœur du pouvoir pour faire basculer la France du mauvais côté de la force, en libérant les puissances obscures de l'identité. Il suffisait de le bannir pour que la droite lave sa réputation, à condition de ne plus recommencer. C'est ce qu'on pourrait appeler la théorie du complot vu de gauche. En 2017, c'était le tour de Sens commun, qu'on a caricaturé en mafia intégriste catholique prenant d'assaut la droite pour la soumettre à une entreprise de reconfessionnalisation de la France. Il fallait lui faire porter la responsabilité de la défaite. C'était même le bouc émissaire idéal: c'était une force militante jeune et sans leaders connus. Encore une fois, c'est la tentation de la purge qui s'exprime. On veut éliminer de la droite sa part médiatiquement infréquentable. Sauf qu'il suffit de porter attention à Sens commun pour constater que cette caricature est grossière et je me demande si ceux qui se livrent à de telles accusations y croient vraiment. On peut parfaitement être en désaccord avec Sens commun ou du moins, avec certaines parties de son programme, sans sentir le besoin de diaboliser ce mouvement, qui est aussi un vecteur de mobilisation politique pour la jeune génération. Cette jeune génération entre en politique en contestant le matérialisme ambiant et l'économicisme des générations précédentes. Elle souhaite investir des préoccupations nouvelles dans la démocratie française. Il semble bien que pour certains, ce soit impardonnable.
À travers ce mouvement, est-ce la droite conservatrice qui est visée?
Naturellement. On ne la laisse plus se définir elle-même: on la caricature, on lui prête des idées qui ne sont pas les siennes. On croit aussi lui déceler des arrière-pensées inavouables. S'il faut liquider le conservatisme et le priver de toute légitimité politique, c'est qu'on souhaite ramener la droite dans le périmètre de la respectabilité médiatique: on la souhaite gestionnaire, modérément libérale, passionnément comptable. Elle ne doit jamais remettre en question les finalités de la gauche mais seulement marcher moins vite qu'elle, comme si elle réclamait seulement le droit d'être progressiste à son propre rythme. Une bonne partie de la droite, et probablement une part dominante de ses élites, adhère à l'imaginaire du progressisme et souhaite y adhérer officiellement, d'autant qu'avec Macron il s'est affranchi, du moins pour un temps, du folklore socialiste.
«Sens commun est le bouc émissaire idéal. On veut éliminer de la droite sa part médiatiquement infréquentable»
Mathieu Bock-Côté
Cet entretien annonce le retour de la guerre des chefs à la veille de l'élection du nouveau président des Républicains. La refondation idéologique doit-elle précéder cette élection?
Alors disons-le clairement: il n'y aura pas de refondation politique de la droite sans refondation idéologique. Le travail intellectuel des dernières années n'a connu qu'une traduction politique bien partielle - évidemment, ce travail intellectuel, qui est bien amorcé philosophiquement, devra tenir compte des nouvelles circonstances, la macronie n'est pas la hollandie. Cela dit, il n'est pas certain qu'on puisse dissocier la refondation idéologique de la droite du renouveau de son leadership: en politique, les idées s'incarnent, elles doivent être portées par ceux qui sont à la conquête du pouvoir. On imagine mal un parti décider d'une doctrine pour ensuite demander à celui qui portera ses couleurs de simplement s'en emparer.
Quels doivent être les principaux chantiers d'éventuels futurs «états généraux» de la droite?
La droite doit manifestement, à chaque élection, se questionner sur l'essentiel: qui est-elle? A-t-elle une identité politique propre ou n'est-elle qu'une non-gauche? A-t-elle son propre imaginaire, son propre univers de référence? A-t-elle sa propre idée de l'homme? Elle devra répondre à ces questions. Denis Tillinac l'a un peu fait pour elle avec L'Âme française. La droite, depuis quelques années, connaît un moment philosophique, et il serait heureux qu'il se poursuive. Elle devra aussi, et peut-être surtout, faire le portrait le plus lucide qui soit de la France, tout en sachant que le nouveau pouvoir en place prétend lui aussi redresser la situation et qu'il ne saurait être rejeté en bloc, comme en témoigne l'entreprise réformatrice fort intéressante de Jean-Michel Blanquer. L'opposition au macronisme devra être subtile, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne saurait être profonde, s'il suit la pente progressiste qu'il revendique.
Qu'on me permette d'y revenir: la droite devra se demander si elle juge toujours prioritaire la question de l'identité de la France. Est-ce que les Français ont raison de craindre pour leur identité et d'associer à ce thème bien des inquiétudes contemporaines? Il y a aujourd'hui une question nationale française et ce serait une sottise d'en dénier l'importance. La question anthropologique devient aussi centrale: la politisation des questions sociétales et bioéthiques nous oblige à nous demander qui est l'homme auquel réfèrent les droits de l'homme. La technologie nous fait une promesse: tout est possible. Certes. Mais vers quelles limites se tourner pour contenir et contrer ce que j'appelle la tentation démiurgique, à l'origine de la plus funeste démesure?
Mais la politique n'est pas un séminaire de philosophie politique: c'est autour d'enjeux bien concrets que la droite devra se reconstruire. Terrorisme islamiste, immigration massive, partition implicite du territoire, décomposition scolaire, GPA, conception de l'Union européenne, politique étrangère: on pourrait multiplier les sujets essentiels. Un programme se construit par la conjugaison d'une vision et d'une lecture forte de la société. Il doit s'appuyer aussi sur certaines mesures phares appelées à servir de leviers pour redresser la société. Il doit s'exprimer dans un langage qui transgresse le novlangue médiatique et technocratique. J'ajouterais une chose: il doit moins s'adresser à des segments électoraux qu'à un peuple dans son ensemble. La segmentation abusive de l'électorat est la traduction politique de la technocratisation du lien social. À terme, cette tendance assèche la citoyenneté.
Quid des questions économiques?
Autre question: qu'est-ce que la droite peut ou doit faire de son libéralisme? Le terme semble usé aujourd'hui. Il est soumis à mille interprétations: on se chicane pour savoir à quoi il réfère. Ceux qui dénoncent le libéralisme dénoncent-ils aussi la démocratie libérale, le pluralisme politique et médiatique, les libertés individuelles, le droit de propriété? J'en serais surpris. Alors une clarification sémantique s'impose. C'est une chose de dénoncer avec raison la marchandisation de l'existence, c'en est une autre de dénoncer jusqu'à l'idée même du marché. Chose certaine, ce n'est pas se soumettre au néolibéralisme que de reconnaître dans l'endettement de l'État un problème majeur et une contrainte grave à sa souveraineté. Ce n'est pas se soumettre au néolibéralisme que de constater que certaines lourdeurs administratives ou bureaucratiques étouffent un pays et nuisent à sa vitalité. On ne parle pas aux électeurs comme à de simples consommateurs, mais le commun des mortels est en droit de redouter la paralysie bureaucratique de son pays.

Mathieu Bock-Côté - Le Nouveau régime. Essais sur les enjeux démocratiques actuels (Éditions Boréal, 24 euros, 320 pages.)
Comment se démarquer d'Emmanuel Macron?
Toute cette réflexion s'accompagnera aussi d'une méditation sur le positionnement politique de la droite. Une partie non négligeable d'entre elle est sous hypnose macronienne. Elle se veut constructive: c'est le mot de la saison. Autrement dit, elle se présente comme une composante du grand parti macronien. Elle rêve de s'y faire une place au nom de l'unité nationale. Elle s'imagine représenter le macronisme soft, raisonnable. Elle ne se reconnaît plus une différence substantielle avec la majorité macronienne, seulement une différence de sensibilité. On annonce une grande recomposition politique où le clivage gauche-droite sera remplacé par celui entre le centre et la périphérie: elle s'imagine du premier camp.
Mais que faire alors de cette part de la droite pour l'instant coincée entre LREM et le FN? La décomposition de ce dernier est une chance pour elle. La défaite du FN à la présidentielle n'était pas qu'une défaite: c'était une humiliation. Il prétendait devenir un des deux grands pôles politiques français: il ne l'est pas devenu. Son chef s'est effondré comme on le sait lors d'une confrontation télévisée qui passera à l'histoire. Son programme plus social que national a été désavoué lui aussi. La droite peut reprendre la place qui est la sienne, pour peu qu'elle ne se contente pas d'évoluer dans le très petit espace que les progressistes lui concèdent. Elle a l'occasion de renaître, de reprendre vie, de se tailler à nouveau une place, pour peu qu'elle ne se place pas sous la tutelle idéologique de ses adversaires.

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Mathieu Bock-Côté : « La renaissance conservatrice n'est pas terminée » (07.05.2017)
Par Alexandre Devecchio
Publié le 07/05/2017 à 20h51
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN- Mathieu Bock-Côté analyse les ressorts de la victoire d'Emmanuel Macron et les conséquences de son élection à la présidence de la République. Pour lui, le système politique en place ne traduit plus les aspirations profondes du pays.

Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d' Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), et de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016).

FIGAROVOX.- Emmanuel Macron, le candidat progressiste, vient de remporter l'élection présidentielle. Avec d'autres intellectuels, vous avez défendu l'idée d'une renaissance conservatrice. Votre diagnostic sur l'état de la France était-il faux?
Mathieu BOCK-CÔTÉ.- Je ne crois pas. Il ne faut pas confondre l'avortement de la campagne Fillon avec l'avortement d'une tendance lourde qui s'est développée dans la société française pour répondre à sa décomposition. L'échec de François Fillon est personnel, terriblement personnel même s'il n'est évidemment pas sans effets pour le courant politique qui a cru se reconnaître en lui. Il arrive que des accidents, comme on aime dire ces jours-ci, fassent dévier ce que l'on pensait être le cours de l'histoire, ce qui prouve bien que si on peut y reconnaître des tendances, on ne saurait en décréter un sens. Ce qui semble inévitable la veille peut nous sembler inconcevable le lendemain. Ce n'est qu'après coup qu'on peut décrire le fil des événements à la manière d'un enchaînement nécessaire où les acteurs n'étaient que les marionnettes d'un grand récit écrit d'avance.
La crise française ne vient pas de se dissiper d'un coup : la France est travaillée par des courants de fond.
Mais sur le fond des choses, la crise française ne vient pas de se dissiper d'un coup: la France est travaillée par des courants de fond qui réveillent ce qu'on pourrait appeler la peur de la dissolution de la patrie, et plus largement, de voir une certaine idée de la civilisation se dissoudre. Les questions identitaire et anthropologique sont celles à partir desquelles le conservatisme est appelé à s'inscrire durablement dans la démocratie contemporaine. C'est normal: il surgit lorsque les fondements de la communauté politique sont fragilisés, lorsque la nation doute d'elle-même. Dès lors, la politique redevient existentielle. Qui sommes-nous? Qu'avons-nous en commun? Ces questions essentielles, réveillées à la fois par la mondialisation sauvage, le terrorisme islamiste, l'immigration massive, la crise de la transmission et un individualisme qui se radicalise jusqu'au fantasme de l'autoengendrement ne disparaissent pas. Et quoi qu'on en dise, ces inquiétudes ne relèvent pas du délire réactionnaire de quelques intellectuels ayant convaincu les Français qu'ils étaient malheureux.
J'ajouterais une chose: la renaissance du conservatisme est aussi un phénomène intellectuel. C'est une philosophie indispensable qui se déploie sous cet étendard. Elle témoigne d'une forme de scepticisme devant la démesure d'une modernité qui s'emballe et néglige le besoin fondamental d'ancrages et d'enracinement. Un courant important de la pensée française a entrepris de critiquer ouvertement l'hégémonie progressiste et de se délivrer des critères de respectabilité qu'elle impose dans la vie publique. Le politiquement correct reste très puissant, naturellement, mais plusieurs ne tolèrent plus son emprise et ont le courage de le confronter. Cette philosophie politique poursuivra son déploiement d'autant qu'une jeune génération s'y reconnaît et affiche à travers elle sa dissidence avec l'esprit de l'époque.
Comment expliquez-vous la victoire de Macron au-delà des rebondissements de la campagne?
Emmanuel Macron est parvenu à concrétiser un vieux fantasme politique qui habite une bonne partie des élites françaises depuis quelques décennies: celui de la création du grand parti du «cercle la raison» qui serait presque le parti unique des élites qui se veulent éclairées - ne resteraient plus dans les marges que des oppositions radicales, idéologiquement fanatisées et socialement rétrogrades. Ce parti, c'est celui de la mondialisation heureuse, de l'Europe postnationale et de l'idéologie diversitaire, même si naturellement, diverses sensibilités s'y expriment et cohabitent. Ne faisons pas l'erreur d'y voir un néocentrisme: sur les questions identitaires et sociétales, le progressisme macronien ne s'annonce pas modéré. Il n'est pas animé par un principe de prudence. On peut s'attendre à un grand enthousiasme du nouveau pouvoir dans la promotion d'une forme de multiculturalisme à la française, dans lequel on ne verra pas un calque toutefois du multiculturalisme à la canadienne à la Justin Trudeau.
Le macronisme est une conception postpolitique du monde.
Parti unique: la formule est peut-être trop forte, me direz-vous. Voyons plus en profondeur. Quand on croit qu'il n'y a finalement qu'une seule politique possible, aux finalités indéniables, on relativise l'importance du débat politique. On bascule alors dans le domaine de la gestion et on veut surtout rassembler des administrateurs efficaces. Cette étrange aspiration n'est-elle pas celle d'une dissolution de la politique et des antagonismes philosophiques qui traditionnellement, s'y exprimaient? Le macronisme, pour ce qu'on en sait pour l'instant, est une conception postpolitique du monde. On ajoutera qu'à travers lui, un système qui se sentait fragilisé par les grands vents de la révolte est parvenu à se maintenir et même à reprendre l'offensive. Chose certaine, c'est la victoire des nouvelles élites mondialisées et de ceux qui se veulent à l'avant-garde du progrès.
Emmanuel Macron a été aidé dans cette entreprise par la décomposition du système partisan, et plus particulièrement, par celle d'un Parti socialiste depuis longtemps en crise, plus que fragilisé par la présidence Hollande et condamné à la désagrégation par la victoire de Benoît Hamon à la primaire: cette dernière marquait le triomphe d'une des tendances les plus sectaires de la gauche qui croit que tenir compte de la réalité dans la gestion d'un pays relève d'une compromission inadmissible avec l'ordre en place. La culture politique du socialisme français a quelque chose de folklorique: Emmanuel Macron vient peut-être d'en dégager le progressisme, et c'est d'ailleurs cette référence qu'il veut brandir. À tout le moins, c'est ce qu'il prétend. On verra maintenant qui à droite voudra se rallier à lui dans l'espoir d'une place, grande ou petite dans son gouvernement. On verra aussi sur quelle base ce qui restera de la droite s'opposera à lui dans les prochains temps. Reprenons une formule usée: de quoi la droite de demain voudra-t-elle être le nom?
On a vidé la présidentielle de sa substance, on l'a dépolitisée.
Le système médiatique a aussi travaillé fort pour dégager la présidentielle des thèmes de fond qui auraient dû l'habiter et la traverser: c'est un peu comme s'il avait repris le pouvoir sur la définition du réel en neutralisant les questions qu'il assimile au «populisme». On a vidé la présidentielle de sa substance, on l'a dépolitisée. On l'a réduite aux affaires. On l'a réduite au people. C'est un peu comme si l'élection s'était détachée des cinq dernières années, qu'elle ne se tenait pas dans un pays en crise majeure: il y a quelque chose dans tout cela de sidérant. L'alternative offerte au deuxième tour ne mettait pas en scène la grande querelle entre souverainistes et mondialistes, comme on dit: elle déformait les termes du débat politique en le caricaturant grossièrement. Chose certaine, avec Macron, le système médiatique a trouvé son champion. On conviendra sans problème qu'il n'est pas sans talent, même s'il demeure insaisissable pour bien des Français, qui ne savent pas trop à qui ils confient l'Élysée. Ils découvriront leur président une fois élu.
Sa vision est-elle majoritaire dans le pays? Son élection semble complètement contracyclique ...
Il ne faut pas se tromper: le système vient de réussir un coup de maître en dégageant l'élection présidentielle des tendances qui traversent le pays. Mais on notera que ce vote n'a rien d'un vote d'adhésion. C'est un vote de barrage, comme on dit, selon la terminologie du jour. Il ne faudrait pas voir dans le deuxième tour de la présidentielle un référendum consacrant le triomphe de la vision idéologique d'Emmanuel Macron. Sa majorité ira de Daniel Cohn-Bendit à Laurent Wauquiez: aussi bien dire que c'est une majorité qui se dissoudra aussitôt qu'elle sera composée. Emmanuel Macron n'en sera pas moins président et pour peu qu'il remporte sa majorité aux législatives, il aura les conditions nécessaires de légitimité pour appliquer sa vision et son programme.
Il faut dire que c'était un deuxième tour un peu étrange : chaque réserve à l'endroit de Macron était médiatiquement comprise comme une forme de sympathie inavouée pour Marine Le Pen.
Il faut dire que c'était un deuxième tour un peu étrange: chaque réserve à l'endroit de Macron était médiatiquement comprise comme une forme de sympathie inavouée pour Marine Le Pen. Ce fut une petite inquisition un peu ridicule. L'esprit de nuance n'était pas le bienvenu. Il aurait dû être possible de critiquer Emmanuel Macron d'autant que personne ne doutait un seul instant qu'il serait élu. De même, il aurait dû être possible de critiquer Marine Le Pen sans mobiliser encore une fois la mémoire de la deuxième guerre mondiale. On nous répondra peut-être qu'une élection n'est pas un moment idéal pour réfléchir car tout est emporté par la logique partisane. Ce n'est pas faux.
Mais les Français ne viennent pas de se convertir d'un coup à la mondialisation heureuse, au multiculturalisme: ils ne basculent pas d'un coup dans une société se rêvant hors-sol. Il arrive qu'un système politique, pour différentes raisons, déforme en profondeur les préférences collectives d'un pays et ne parvienne plus à traduire ses aspirations profondes. Cela provoque un sentiment d'aliénation démocratique. Mais revenons à la France d'après ce deuxième tour. D'ici quelques jours, la vie reprendra ses droits et on analysera la situation plus sereinement et on cherchera à dégager les grands antagonismes politiques du quinquennat à venir. À moins que le pays ne plonge dans une forme d'apathie civique après avoir été soumis à un deuxième tour ubuesque, offrant au pays une alternative tronquée et même parodique. Ce n'est pas impossible non plus, même si ce n'est pas le scénario le plus probable.
Alors qu'est-ce qui a manqué au camp conservateur?
Un candidat, probablement. François Fillon a manifestement été l'objet d'un surinvestissement idéologique et symbolique de la part de ses partisans: plusieurs ont voulu voir en lui le candidat qu'ils espéraient, même s'ils savaient probablement au fond d'eux-mêmes qu'il ne voulait pas porter la vague qui le portait. Sa présence aura néanmoins cruellement manqué au débat de l'entre-deux tours. Alors qu'il aurait pu assumer quelque chose comme une politique de civilisation, Fillon s'est souvent contenté de demi-mesures. Mais cela dit, on ne peut ni ne doit oublier que la division structurelle de la droite l'a encore fait perdre.
Le camp conservateur est-il divisé sur la question économique? Les libéraux conservateurs et les souverainistes sont-ils irréconciliables?
Je ne suis pas certain que je reprendrais vos termes pour décrire cette division mais il est vrai que cette campagne aura quand même rappelé l'importance des déterminants socio-économiques dans les comportements électoraux.
Le camp conservateur au sens très large n'est effectivement pas uni sur la question économique, mais il faut dire que cette désunion s'est surtout jouée sur la question de l'euro, qu'on pourrait associer à une monomanie idéologique qui ne survivra peut-être pas à cette présidentielle. C'est une chose de se préparer à un éventuel éclatement de la zone euro, c'en est une autre de faire de sa sortie le pilier d'un programme. Plusieurs ont aussi noté que le programme économique de Marine Le Pen avait quelque parenté avec celui de Jean-Luc Mélenchon et qu'il campait très loin à gauche. C'est une chose de restaurer la fonction protectrice du politique, c'en est une autre de verser dans l'irréalisme économique.
On évitera quand même de verser dans un néomarxisme rudimentaire qui croit vivre une seconde naissance avec la crise de la mondialisation.
Faisons un peu de sociologie et distinguons entre la bourgeoisie conservatrice nationale et les classes populaires: naturellement, elles n'ont pas les mêmes intérêts et n'ont pas vocation à se dissoudre l'un dans l'autre, dans une vaste classe moyenne qui accomplirait le fantasme de l'homogénéité sociale et d'une société sans clivages ni intérêts contradictoires. On a vu qu'elles n'ont pas le même comportement électoral. Faut-il pour autant parler de lutte des classes comme le suggèrent certains? Peut-être, mais on évitera quand même de verser dans un néomarxisme rudimentaire qui croit vivre une seconde naissance avec la crise de la mondialisation.
Si on tient à tout prix à parler ce langage, on dira que cette lutte des classes oppose aujourd'hui à bien des égards les sédentaires et les nomades, ou du moins, ceux qui se perçoivent comme tels. Il y a ceux qui chantent les vertus de la citoyenneté mondiale. Il y a ceux qui ne se croient pas et ne se veulent pas délocalisables. Il y a ceux pour qui le monde doit être un flux perpétuel, qui se vit sous le signe exclusif de l'adaptation, il y a ceux qui aspirent à la durée de leur monde et qui assument qu'une société ne saurait vivre sans le sens de certaines permanences. De quelle manière reconstruire un monde faisant droit aux enracinements?
La droite classique a-t-elle définitivement abandonné les classes populaires?
Cela reste à voir. Nicolas Sarkozy, en son temps qui n'est pas si ancien, a fait la preuve que la réconciliation entre la droite et les classes populaires était possible: il avait la gouaille, l'énergie, le style, qui leur plaît, et on ne tiendra pas ces facteurs pour secondaires. Mais cela ne vaut qu'un temps: pour parler au peuple, il faut parler le langage de l'identité nationale, du volontarisme politique, s'ancrer dans un bon sens décomplexé, qui tourne en dérision la bêtise de l'époque, et renouer avec la valeur travail, car le commun des mortels croit aux vertus de la société méritocratique. En France, on a peut-être trop souvent tendance à assimiler à l'ultralibéralisme des mesures de bon sens qui faciliteraient la vie de tout le monde. La droite veut-elle porter ce programme?
Même pour une partie de ses partisans, Marine Le Pen a largement perdu son débat face à Emmanuel Macron? Comment expliquez-vous un tel effondrement?
Effondrement: c'est le bon mot. On a assisté en direct à la désagrégation d'une candidature, même si Marine Le Pen a cherché à faire croire le lendemain qu'elle avait simplement misé sur une stratégie tribunicienne pour exprimer la colère du peuple. Disons qu'elle a cherché à justifier sa déroute comme elle pouvait.
Marine Le Pen a cherché à conjuguer deux attitudes inconciliables.
Dans ce débat, Marine Le Pen a cherché à conjuguer deux attitudes inconciliables. D'un côté, c'était la posture gueularde du bistro, bêtement démagogique, qui n'avait pas sa place dans un débat aussi essentiel, surtout dans un pays qui demeure accroché à une conception presque sacrée de la fonction présidentielle. De l'autre, c'était la posture techno, celle d'une candidate qui voulait prouver son sérieux avec sa position sur l'euro (d'autant que dans notre monde, l'économie est censée représenter l'expression achevée de la raison et du réel). Mais elle n'était manifestement pas à la hauteur de ses prétentions: elle était brouillonne, confuse, maladroite, incompétente, incompréhensible. Qui s'imagine aujourd'hui que Marine Le Pen est de la trempe des grands hommes d'État, comme elle aimerait le faire croire? Sa performance, comme on dit, était épouvantable. Elle est même parvenue à décevoir sa base, comme vous le notez.
On a aussi assisté à l'explosion en direct d'une ligne politique - autrement dit, il faut aller plus loin qu'une critique du style de Marine Le Pen pour comprendre sa décomposition lors de ce débat. Plusieurs ont remarqué l'absence de la question de l'immigration, qui est pourtant le moteur historique du Front national. On pourrait dire la même chose de l'identité. S'agissait-il pour elle de sujets secondaires? Marine Le Pen était dans un grand flirt mélenchoniste. Elle voulait rassembler la grande opposition au système. Elle s'est présentée devant le peuple avec un programme économique bancal. Elle n'a pas voulu chercher à ramener chez elle les électeurs de François Fillon. Elle n'a pas su transformer cette élection en choix de civilisation. On devine qu'elle sera sévèrement critiquée, notamment par ceux dans son parti qui croient que l'avenir du FN passe par une stratégie non pas d'union des indignés mais d'union des droites.
Le camp souverainiste a-t-il tout simplement un problème de leadership?
C'est le cas depuis toujours et ce l'est d'autant plus que la France a le culte de l'homme providentiel - et je m'empresse de dire que je ne vois là rien de répréhensible car la politique qui dépend souvent de l'action décisive de quelques hommes. Qu'on le veuille ou non, la politique est humaine, et les grandes synthèses s'incarnent d'abord chez un chef plutôt que dans des constructions doctrinales bancales. On trouve dans le camp souverainiste plusieurs figures de talent mais aucun chef incontesté, capable, par son charisme et son leadership naturel, de fédérer des courants qui laissés à eux-mêmes, sont appelés à s'affronter - le souverainisme français ne parvient en fait à s'unir que de manière insurrectionnelle comme on l'a vu en 2005, par exemple. On cherche le nouveau Philippe Seguin mais même lui en son temps n'était pas incontesté.
Le Front national, qui se veut le dynamiteur de l'ordre établi, est-il finalement comme l'écrit Bellamy «machine à tenir en fonction les tenants de la déconstruction»?
Mais il l'est depuis longtemps! À cause de son histoire, le FN peine à fédérer d'autres courants politiques autour de lui, ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas parvenu à élargir incroyablement sa base électorale, en s'emparant de l'espace laissé vacant par les grands partis de gouvernement qui lui ont abandonné trop longtemps de bien nombreuses thématiques comme l'identité, la sécurité, la justice sociale ou l'immigration. À certains égards, sa dédiabolisation est impossible: il sera toujours, dans les périodes de crise, ramené à ses origines. Le FN condamne le souverainisme français à une expression diminuée, rapetissée, rabougrie. Il en donne une expression déformée et limitée. Une bonne partie de l'électorat souverainiste, conservateur, identitaire ne votera pas pour lui.
On y revient : le FN est peut-être le meilleur allié du système qu'il prétend combattre.
En fait, ce qu'on appelle plus ou moins justement le populisme est paradoxal: d'un côté, il restaure la fonction tribunicienne et permet au peuple de s'inscrire dans la cité sous le signe de la protestation. Il redonne au peuple une existence politique alors qu'il se sentait exclu de la représentation démocratique. Mais au même moment, il le paralyse et le condamne à l'impuissance, en l'inscrivant dans une dynamique protestataire qui l'empêche de participer au pouvoir. On y revient: le FN est peut-être le meilleur allié du système qu'il prétend combattre.
Cette défaite des conservateurs peut-elle, malgré tout être fondatrice? À quelles conditions?
Pour le conservatisme français, 2017 est un rendez-vous historique raté. Il pouvait devenir le pôle dominant au sein de la droite, et conséquemment, dans la vie publique dans son ensemble. Ce n'est pas arrivé. Il semble pour l'instant condamné au ballottement politique et on peut deviner qu'ils seront nombreux dans la droite la plus soumise au système médiatique à vouloir lui faire porter la responsabilité de la défaite. Il ne s'agit pas de pleurer jusqu'à la fin des temps mais de constater qu'une telle défaite ne sera pas sans conséquences. Pour ce qui est d'une refondation, elle est nécessaire et va de soi: elle est presque inscrite dans la nouvelle configuration politique qui sortira des législatives. Elle exigera une grande clarté intellectuelle. Il faudra continuer de défier le politiquement correct, c'est peut-être l'essentiel. Mais on ne voit pas trop quelle forme elle peut prendre politiquement dans les circonstances actuelles. L'histoire prend son temps.
Mathieu Bock-Côté : «Au-delà du macronisme, la seule question est celle de la survie d'une civilisation en péril» (26.01.2018)
Par Vincent Tremolet de Villers
Publié le 26/01/2018 à 08h15
INTERVIEW - Figure de la vie intellectuelle québécoise, le sociologue considère que la politique d'Emmanuel Macron reste un progressisme et que la droite doit y répondre par une vision articulée et opérante de l'enracinement.
LE FIGARO MAGAZINE. - Macron est-il de droite?
Mathieu BOCK-CÔTÉ. - Depuis un an, Emmanuel Macron trouble la droite. Celui qui a rompu avec l'histrionisme sarkozyste et l'avachissement hollandien en restaurant le sens de la verticalité étatique a aussi envoyé quelques signaux favorables à l'électorat conservateur en s'emparant des thèmes qui le touchent, notamment la question de l'école, et plus récemment, celle de l'immigration, même s'il bénéficie ici de la réaction hystérique des associations antiracistes, qui fascisent le simple appel au respect des frontières.
La formule revient alors en boucle: Macron neutraliserait la droite en s'emparant de la part raisonnable de son programme. Le rêve macronien, qui est celui de la réconciliation des tendances contradictoires mais constructives de la politique française dans le grand parti présidentiel, s'accomplirait. Pour se distinguer, ce qui reste de la droite serait condamné à l'outrance, comme en aurait témoigné la campagne de Laurent Wauquiez à la direction des Républicains. C'est un classique: dès que la droite ne cherche plus à se faire adouber par ses adversaires, elle est soupçonnée de céder à une tentation extrémiste.
La réalité, selon vous, est plus complexe?
Il se pourrait qu'on saute vite aux conclusions. Car l'imaginaire macronien, quoi qu'on en pense, demeure celui d'un progressisme décomplexé, bien qu'il l'exprime avec des nuances. Il tire de cette finesse un avantage stratégique. Alors que la gauche de Mitterrand à Hollande n'en finissait plus de diaboliser ses contradicteurs, Macron donne l'impression de les respecter, ce qui suffit bien souvent pour les anesthésier, tellement ils n'y sont pas habitués.
«Il y a à droite une forme de fatalisme inavoué : on veut bien se battre contre l'esprit de l'époque, mais en se sachant battu d'avance»
Dans ce paysage politique remanié, la droite non macronisée est appelée à se questionner sur sa vocation, au-delà de son positionnement électoral circonstanciel. Ils sont nombreux à ne plus trop la croire dans ses rodomontades conservatrices et ses bravades contre le politiquement correct. C'est le traumatisme sarkozyste: l'homme élu en 2007 pour congédier Mai 68 n'a pas pris deux semaines après son entrée à l'Elysée pour se renier. De ce point de vue, il honorait une tradition malheureuse.
Il y a à droite une forme de fatalisme inavoué: on veut bien se battre contre l'esprit de l'époque, mais en se sachant battu d'avance, comme si on renonçait à renverser la tendance générale à la déconstruction. On s'oppose à la GPA, à l'immigration massive ou aux accommodements à répétition avec l'islam, tout en sachant qu'on finira par capituler en plus d'accuser de radicalisation ceux qui ne capitulent pas. Secrètement, l'homme de droite se demande si ce qu'il aime n'est pas déjà mort ou, du moins, s'il n'arrive pas trop tard pour le sauver.
Pourquoi, dès lors, se porter à la défense de formes historiques qu'on pense desséchées?
Le débat politique de notre temps porte moins sur la gestion tranquille de la cité que sur la survie d'une civilisation qui se sait en péril. Le progressisme mondialisé ne veut plus voir dans le monde des peuples mais des populations interchangeables. Notre temps est traversé par une grande peur: celle de devenir étranger chez soi. N'est-ce pas le sens de cette odieuse formule qui veut que nous soyons tous des immigrants? Mais le système médiatique censure cette peur, ou la fait passer pour monstrueuse. Le politiquement correct assimile au racisme l'expression la plus élémentaire du patriotisme.
S'il est d'usage de citer Simone Weil qui a parlé de l'enracinement comme un des besoins fondamentaux de l'âme humaine, rares sont ceux qui comprennent la portée de cette formule. L'homme a besoin d'habiter un monde qui ne se présente pas à lui comme un simple flux insaisissable ringardisant tout ce qu'il voudrait voir durer. Les traces de l'histoire que sont les traditions ne sont pas que des résidus folkloriques auxquels il serait stupide de s'attacher. Un monde humain est un monde durable. On ne l'aime que si on y sent la trace de son père et une promesse pour son fils.
La droite doit se saisir de cette thématique?
A quoi peut bien servir la droite si elle n'est pas capable de dire que la France n'a pas à changer de nature non plus qu'à se dissoudre sous la pression d'un grand récit pénitentiel pour renaître à elle-même sous le signe de la diversité heureuse? On aurait envie de citer Louis Pauwels, le fondateur tristement oublié du Figaro Magazine, qui, à sa manière, avait magnifiquement distingué la vocation de la droite de celle de la gauche en écrivant: «Je crois qu'il faut choisir son camp. Mais vous êtes passeur de frontières. Je suis gardien de frontières. Chacun sa nature.»
Auteur notamment du «Multiculturalisme comme nouvelle religion politique» (2016, Editions du Cerf).

Mathieu Bock-Côté : «La chasse aux statues ou le nouveau délire pénitentiel de l'Occident» (29.08.2017)

Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 29/08/2017 à 17h35 | Publié le 29/08/2017 à 12h03
FIGAROVOX/TRIBUNE - À la suite des événements de Charlottesville, Bill de Blasio, le maire de New York, a envisagé publiquement de déboulonner la statue de Christophe Colomb, parce qu'elle serait offensante pour les Amérindiens. Mathieu Bock-Côté décrypte cette nouvelle guerre contre le passé.


Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d' Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), et deLe multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016).

Dans la suite des événements de Charlottesville, Bill de Blasio, le maire de New York, a envisagé publiquement de déboulonner la statue de Christophe Colomb, parce qu'elle serait offensante pour les Amérindiens. A l'en croire, cette statue serait susceptible de susciter la haine, comme la plupart des symboles associés à l'expansion européenne et à la colonisation des Amériques, apparemment. Au Canada, un syndicat d'enseignants ontarien proposait de rebaptiser les écoles portant le nom de John A. MacDonald, un des pères fondateurs du pays. En Grande-Bretagne, on en a trouvé pour proposer d'abattre la statue de Nelson, à qui on reproche d'avoir défendu l'esclavage. On trouvera bien d'autres exemples de cette chasse aux statues dans l'actualité des dernières semaines.
Certains n'y verront qu'une nouvelle manifestation du péché d'anachronisme, qui pousse à abolir l'histoire dans un présentisme un peu sot, comme si les époques antérieures devaient être condamnées et leurs traces effacées de l'espace public. Mais il y a manifestement autre chose qu'une autre manifestation d'inculture dans cette furie épuratrice qui excite les foules, comme si elles étaient appelées à une mission vengeresse. Comment expliquer cette soudaine rage qui pousse une certaine gauche, au nom de la décolonisation intérieure des États occidentaux, à vouloir éradiquer la mémoire, comme si du passé, il fallait enfin faire table rase? Nous sommes devant une poussée de fièvre épuratrice particulièrement violente, qui témoigne de la puissance du réflexe pénitentiel inscrit dans la culture politique occidentale contemporaine.
On peut comprendre que dans un élan révolutionnaire, quand d'un régime, on passe à un autre, une foule enragée s'en prenne au statuaire du pouvoir. Il arrive qu'on fracasse des idoles pour marquer la déchéance d'un demi-dieu auquel on ne croit plus. Lors de la chute du communisme, l'euphorie des foules les poussa à jeter par terre les statues et autres monuments qui représentaient une tyrannie dont elles se délivraient. Il fallait faire tomber les monuments à la gloire de Lénine pour marquer la chute du communisme. Rien là de vraiment surprenant. Quelquefois, il faut détruire pour créer.
La manie pénitentielle, on le voit, frappe partout en Occident.
Mais sommes-nous dans une situation semblable? Le cas du sud des États-Unis, à l'origine de la présente tornade idéologique, est assumérent singulier. La mémoire qui y est associée ne s'est pas toujours définie exclusivement à partir de la question raciale, ce qui ne veut pas dire que celle-ci ne soit pas centrale et que la mouvance suprémaciste blanche ne cherche pas à exercer sur cet héritage un monopole. On ne saurait toutefois l'y réduire. Surtout, des Américains raisonnables et nullement racistes sont choqués que des militants d'extrême-gauche détruisent des statues en dehors de toute légalité. Ils acceptent difficilement que toute mention de l'héritage du sud soit assimilé au racisme. Comment ces Américains toléreraient-ils, par exemple, qu'on censure un film comme «Autant en emporte le vent», comme cela vient d'arriver dans un cinéma de Memphis, qui l'a déprogrammé pour des raisons idéologiques?
La question des statues qui perpétuent le souvenir des généraux ou des soldats confédérés aux Etats-Unis est complexe. Mais la manie pénitentielle frappe partout en Occident. Elle pousse à démanteler des statues, à réécrire les manuels scolaires, à prescrire certaines commémorations pénitentielles, à multiplier les excuses envers telle communauté, à pendre symboliquement certains héros des temps jadis désormais présentés à la manière d'abominables salauds et à censurer les représentations du passé qui n'entrent pas dans la représentation caricaturale qu'on s'en fait aujourd'hui.
Cette vision de l'histoire, terriblement simplificatrice, prend la forme d'un procès qui vise d'abord les héros longtemps admirés. Des grands personnages, on ne retient que les idées qui heurtent les valeurs d'aujourd'hui. L'Occident en vient à se voir avec les yeux de ceux qui le maudissent. Tôt ou tard, on s'en prendra aux statues du général de Gaulle, de Churchill, de Roosevelt et de bien d'autres: d'une certaine manière, Napoléon a déjà été victime d'une telle entreprise lorsqu'on a refusé en 2005 de commémorer la victoire d'Austerlitz. Il ne s'agira plus seulement de réduire en miettes la statue de tel ou tel général qui a servi la cause de l'esclavagisme: tous finiront par y passer d'une manière ou d'une autre, comme si nous assistions à une nazification rétrospective du passé occidental, désormais personnifié par un homme blanc hétérosexuel auquel il faudrait arracher tous ses privilèges. À son endroit, il est permis, et même encouragé, d'être haineux.
L'Europe ne sait plus quoi faire de son passé colonial, que plusieurs sont tentés d'assimiler à un crime contre l'humanité. Ses procureurs croient n'accuser que leurs pères, alors qu'ils excitent la tentation victimaire de certaines populations immigrées qui n'hésitent pas ensuite à expliquer leur difficile intégration dans la civilisation européenne par le système postcolonial qui y prédominerait. L'histoire de l'Europe serait carcérale et mènerait directement au système concentrationnaire. Dans le cadre américain, c'est l'arrivée même des Européens qu'il faudrait désormais réduire à une invasion brutale, que certains n'hésitent pas à qualifier d'entreprise génocidaire. On invite les jeunes Américains, les jeunes Canadiens et les jeunes Québécois à se croire héritiers d'une histoire odieuse qu'ils doivent répudier de manière ostentatoire. On les éduque à la haine de leur propre civilisation.
Chacun s'enferme dans une histoire faite de griefs, puis demande un monopole sur le récit collectif, sans quoi on multipliera à son endroit les accusations de racisme.
Nous sommes devant une manifestation de fanatisme idéologique s'alimentant à l'imaginaire du multiculturalisme le plus radical, qui prétend démystifier la société occidentale et révéler les nombreuses oppressions sur lesquelles elle se serait construite. Chaque représentation publique du passé est soumise aux nouveaux censeurs qui font de leur sensibilité exacerbée le critère à partir duquel ils accordent ou non à une idée le droit de s'exprimer. Comment ne pas y voir une forme de contrôle idéologique marquée par une intolérance idéologique décomplexée? On y verra une illustration de la racialisation des rapports sociaux dans une société qui se tribalise au rythme où elle se dénationalise. Chacun s'enferme dans une histoire faite de griefs, puis demande un monopole sur le récit collectif, sans quoi on multipliera à son endroit les accusations de racisme. Il faudra alors proposer une représentation du passé conforme au nouveau régime de la «diversité».
Ce qui est frappant, dans ce contexte, c'est la faiblesse des élites politiques et intellectuelles, qui ne se croient plus en droit de défendre le monde dont elles avaient pourtant la responsabilité. On le constate dans le monde académique. Très souvent, les administrations universitaires cèdent aux moindres caprices d'associations étudiantes fanatisées, pour peu que celles-ci fassent preuve d'agressivité militante. En juillet, le King's College de Londres a décidé de retirer les bustes de ses fondateurs «blancs» parce qu'ils intimideraient les «minorités ethniques». Encore une fois, l'antiracisme racialise les rapports sociaux. C'est un nouveau dispositif idéologique qui se met en place et qui contribue à redéfinir les contours de la respectabilité politique. Ceux qui s'opposent au déboulonnage des statues controversées sont accusés d'être complices des crimes auxquels elles sont désormais associées.
Nos sociétés n'ont pas à se reconnaître dans le portrait avilissant qu'on fait d'elles. Elles doivent raison garder. Il faudrait voir dans ces statues tout autant de couches de sens à la fois superposées et entremêlées: elles témoignent de la complexité irréductible de l'histoire, qui ne se laisse jamais définir par une seule légende, et ressaisir par une seule tradition. C'est pour cela qu'on trouve souvent des statues et autres monuments commémoratifs contradictoires au sein d'une ville ou d'un pays. Ils nous rappellent que dans les grandes querelles qui nous semblent aujourd'hui dénuées d'ambiguïté, des hommes de valeur ont pu s'engager dans des camps contraires. Ils illustrent des valeurs et des engagements qui ne se laissent pas réduire aux idéologies auxquelles ils se sont associés. L'histoire des peuples ne saurait s'écrire en faisant un usage rageur de la gomme à effacer et du marteau-piqueur.
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Mark Lilla : «Le ressentiment est la passion majeure de notre époque» (25.08.2017)

Par Eugénie Bastié
Mis à jour le 25/08/2017 à 18h40 | Publié le 25/08/2017 à 18h31
FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'universitaire américain, publie un nouvel essai, où il appelle à la constitution d'un bloc libéral contre les dérives identitaires de droite comme de gauche. Après le drame de Charlottesville, il revient sur la réémergence de la question raciale aux États-Unis.

Mark Lilla est historien des idées et professeur à l'université Columbia. Il publie «The Once and Future Liberal: After Identity Politics» (Harper Collins, 2017).

LE FIGARO. - Le président Trump a provoqué la stupeur en renvoyant dos à dos contre-manifestants et néonazis après l'attaquede Charlottesville. Qu'avez-vous pensé de cette déclaration?
Mark LILLA. - Les Américains sont moralement et politiquement simplistes et ont tendance à penser que la bonne manière d'agir est toujours évidente. Par conséquent, je me retrouve souvent dans la position d'argumenter que les choses sont plus complexes. Mais il arrive parfois dans la vie qu'on se retrouve face à des situations d'une clarté morale absolue, etCharlottesville en faisait partie. Tout ce que le président avait à faire était de condamner les suprémacistes blancs, puis de retourner au travail. La chose la plus dérangeante, selon moi et beaucoup d'autres, n'est pas le fait que ces équivoques aient révélé son racisme. C'est que Donald Trump dira tout ce qui, à un moment précis, lui paraîtra à son avantage, mais qu'il semble n'avoir aucune boussole. Au moins, les racistes ont des points de vue et des arguments ; Trump n'en a aucun, ce qui fait de lui un démagogue de génie. Il est l'homme sans qualités.
«Les jeunes surtout pensent au moi comme quelque chose qu'ils bricolent comme une page Facebook, en cliquant sur « j'aime » ou « j'aime pas » sur des qualités diverses»
Entre la création du mouvement Black Lives Matter et la résurgence d'une extrême droite rebaptisée sous le nom d'«alt-right», on a le sentiment que la question de la «race» est devenue centrale aux États-Unis. Identitaires de droite et de gauche se nourrissent-ils mutuellement?
Ils se nourrissent en effet mutuellement, mais ils ont des conceptions bien différentes de l'identité. Les «alt-right» - qui se rapprochent de penseurs français comme Alain de Benoist ou Renaud Camus - pensent la race et l'identité comme des fatalités. Ils veulent éveiller en vous votre identité prédéterminée. La gauche identitaire au contraire pense l'identité comme quelque chose de fluide et de construit par les individus: mon identité est tout ce que j'affirme haut et fort qu'elle est. Les jeunes surtout pensent au moi comme quelque chose qu'ils bricolent comme une page Facebook, en cliquant sur «j'aime» ou «j'aime pas» sur des qualités diverses (blanc, noir, lesbienne, gay, etc.). L'alt-right utilise l'identité pour se galvaniser comme une troupe de combat. Le fait que les gens de gauche s'appuient sur des affinités électives empêche le développement de toute vraie solidarité entre eux.
Dans votre dernier livre, paru récemment, vous appelez à la constitution d'un bloc libéral contre les politiques identitaires. Pourquoi selon vous la gauche libérale a-t-elle échoué ces dernières années?
La gauche a échoué parce qu'elle a cessé d'être «républicaine» au sens français du terme. Le libéralisme américain, depuis le New Deal jusqu'au début des années 1970, avait deux composantes: une solidarité sociale parmi les citoyens et une protection égale devant la loi. On parlait de droits, mais aussi de devoirs. Ronald Regan a offert une vision très différente, antipolitique, de la nation considérée comme une simple agglomération d'individus - des individus qui pouvaient être dans des familles, des églises et des associations civiles, mais plus des citoyens dans une République avec un destin partagé et un gouvernement pour aider à l'accomplir. Dans les années 1980, la gauche américaine a eu besoin d'offrir une nouvelle vision politique du destin national pour contrer le libertarianisme reaganien: à la place ils ont proposé leur propre vision libertarienne, basée sur les identités individuelles. Ainsi, pendant les quarante dernières années, la politique américaine a été dominée par deux formes concurrentes de libertarianisme et a perdu toute vision politique qui ferait appel à l'imagination américaine. Il y a eu un vide, en quelque sorte. Et c'est dans ce vide que Donald Trump s'est engouffré.
«Économiquement, technologiquement, socialement, nous vivons dans un état de révolution permanente, qui va de plus en plus vite, et pas seulementben Occident, mais partout dans le monde»
Vous avez écrit un essai sur la mentalité réactionnaire. Pourquoi a-t-elle tant de succès aujourd'hui? Diriez-vous que l'islam radical participe aussi de cette mentalité réactionnaire?
La mentalité réactionnaire se nourrit d'une vision apocalyptique de l'histoire. Le temps est déchiré: un passé glorieux a fini en cataclysme et nous vivons maintenant dans un âge de ténèbres. Les réactionnaires n'ont que deux options: ils peuvent soit retourner au passé, soit créer un futur qui ressemble au passé mais qui soit plus résistant. Mais ils ne peuvent pas vivre dans le présent.
La pensée réactionnaire est tentante à chaque fois que la vie devient soudainement troublée - et dans notre modernité «liquide», tout est toujours troublé. Économiquement, technologiquement, socialement, nous vivons dans un état de révolution permanente, qui va de plus en plus vite, et pas seulementben Occident, mais partout dans le monde. Il est donc logique que des gens qui sentent leurs manières de vivre brusquement transformées se tournent vers des réactionnaires démagogues, qui pointent du doigt des boucs émissaires (les Juifs, les immigrés, les intellectuels, l'Occident) et promettent de simplifier encore une fois les choses comme avant. L'islamisme radical joue ce rôle auprès des musulmans qui se sentent dépaysés, aussi bien dans des pays musulmans qu'en Occident. Le ressentiment est la passion majeure de notre époque.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 26/08/2017. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Mathieu Bock-Côté: Comment être de droite dans un système médiatique de gauche? (11.09.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 11/09/2017 à 18h28 | Publié le 11/09/2017 à 18h18
FIGAROVOX/TRIBUNE - « droite dure», «sectarisme»: les critiques pleuvent sur Laurent Wauquiez jusqu'à l'intérieur de son propre camp. Pour Mathieu Bock-Côté, il est temps pour la droite de se libérer du carcan idéologique et politiquement correct que lui imposent les médias.

Figure de la vie intellectuelle québécoise, Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d' Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), et de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016).

Ainsi, Laurent Wauquiez jouera un double rôle dans la campagne à la direction des Républicains: il sera à la fois le favori des militants et la cible préférée des médias. Cela en dit beaucoup sur la configuration du débat public en France. Voyons pourquoi.
Les militants républicains seront heureux d'entendre un discours qui se veut «vraiment de droite», selon la formule du jour. D'une année à l'autre, ils sont toujours à la recherche d'un leader décidé à rompre avec les codes de la respectabilité médiatique et qui ne demande plus à la gauche une permission d'exister dans son ombre. Ils ont cru le trouver de deux manières différentes en 2007 avec Nicolas Sarkozy et en 2017 avec François Fillon. Chaque fois, la déception est vite venue même si les deux hommes n'étaient pas sans mérites. Mais la transgression était surtout de façade. Sarkozy comme Fillon se sont soumis à une règle apparemment implacable: pour chaque coup de menton à l'endroit de ses sympathisants, un leader de droite doit envoyer ensuite un signal d'accommodement au système médiatique. On transgresse rhétoriquement avant de se soumettre politiquement. On déclare qu'on assumera clairement ses convictions avant de les neutraliser. Certains se demandent s'il en sera de nouveau ainsi.
Les médias ont depuis longtemps décidé qu'un homme de droite n'était respectable qu'à condition de ne pas l'assumer complètement et de se tenir à distance de son propre camp.
Quant aux médias, ils ont décidé depuis longtemps qu'un homme de droite n'est respectable qu'à condition de ne pas l'assumer complètement et de se tenir à distance de son propre camp, comme s'il n'y était pas vraiment à l'aise.
C'est évidemment le parti médiatique qui décide des critères distinguant la droite respectable et celle qui ne l'est pas. C'est lui qui renifle les idées pour savoir si elles sont sulfureuses ou non. Wauquiez entend s'emparer de la question identitaire? Le système médiatique l'a concédé depuis longtemps au seul Front national. Celui qui à droite veut la ressaisir est accusé, selon la formule consacrée, de chasser sur ses terres. Le système médiatique piège les conservateurs dans sa représentation du débat idéologique: la gauche est naturellement légitime alors que la droite doit toujours se justifier d'exister. Elle évolue sous la surveillance constante de gardiens de la circulation distribuant des contraventions médiatiques pour dérapages idéologiques.
À bon droit, pourtant, le commun des mortels aura l'impression d'avoir déjà joué dans ce film. Les figures autorisées du progressisme bon chic bon genre dénoncent depuis des années la supposée hégémonie idéologique de la droite, en accumulant les Unes consacrées aux néo-réactionnaires, dont on annonce sans cesse le retour, à la manière d'une invasion barbare qu'il faudrait toujours repousser; ou d'une tentation mauvaise hantant la vie politique française qu'il faudrait refouler de toutes les manières possibles, principalement en l'associant aux pires heures de notre temps, que nous serions toujours à la veille de rejouer. Il n'en demeure pas moins que le logiciel diversitaire domine encore l'esprit public. Mais le conservatisme est à ce point inadmissible pour la gauche médiatique qu'il lui suffit d'entendre certains intellectuels en faire directement ou indirectement la promotion pour qu'elle décrète la république en péril et se propose pour la sauver.
Entre le conservatisme et le fascisme, la différence serait davantage de dégrés que de nature. La droite, en d'autres mots, serait toujours sur le point de céder à sa tentation pour l'extrême-droite.
En fait, dans l'esprit de la gauche idéologique, dont les catégories sont normalisées dans une bonne partie du système médiatique, le conservatisme, fondamentalement, ne serait que l'antichambre du fascisme. Entre les deux, la différence serait davantage de degrés que de nature. La droite, en d'autres mots, serait toujours sur le point de céder à sa tentation pour l'extrême-droite. On peut le dire autrement: le fascisme serait un conservatisme radicalisé, désinhibé. Il existe une variante à ce récit: on réduira la droite à une tentation réactionnaire seulement occupée à freiner la marche de l'histoire pour préserver ou restaurer les privilèges des anciens dominants.
La grande chance de la gauche, c'est qu'une bonne partie de la droite voit aussi le monde ainsi. La droite vit toujours au seuil d'une inquiétude: qu'une frange assez importante de ses élites la largue parce qu'elle quitterait le périmètre bien balisé de l'humanisme médiatique. Pour cela, elle refoule dans les marges ceux qui ne veulent pas se soumettre à cet ordre idéologique qui pourtant l'étouffe.
On se rappellera alors la distinction féconde entre la droite de conviction et la droite de situation.
La première est fondamentalement à droite: elle a son propre imaginaire, sa vision du monde, son anthropologie. Elle ne se définit pas qu'à la manière d'une non-gauche. Elle conçoit la cité à partir d'une philosophie politique propre, qui résiste à la déconstruction de l'héritage. On peut y voir le parti de la continuité historique et de l'enracinement.
La seconde est à droite circonstanciellement: c'est généralement une ancienne gauche déclassée, qui n'a pas su ou voulu suivre le rythme de plus en plus féroce du progressisme, mais qui y demeure philosophiquement fidèle. Sa politique, c'est l'adaptation à la modernité. Elle ne croit pas nécessaire de mener une lutte idéologique contre la gauche mais veut seulement la modérer et lui rappeler le principe de prudence: lorsqu'elle se décide à la lutte idéologique, c'est généralement contre son propre camp qu'elle se tourne, comme si elle y trouvait ses vrais ennemis.
Il s'agit de marquer clairement une volonté d'insoumission à l'ordre idéologique dominant qui continue de reposer sur le refoulement systématique du conservatisme.
Entre ces deux droites, l'entente n'est pas impossible, à condition qu'elle tourne à l'avantage de la seconde. La droite conservatrice peut fournir des votes, elle peut même fournir de temps en temps une rhétorique, mais elle ne saurait définir une politique.
Or cet équilibre désavantageux pour les conservateurs, et qui ne date pas d'hier, est peut-être en train de s'effondrer. Car la présidence Macron, qui bénéfice du soutien de la droite autoproclamée constructive, offre la chance d'une refondation qui ne soit pas qu'un repositionnement. Nous avons assisté ces dernières années à une renaissance intellectuelle du conservatisme. Des ouvrages majeurs ont montré de quelle manière le fondamentalisme de la modernité menaçait les fondements mêmes des sociétés occidentales. Mais cette renaissance intellectuelle ne pourra se traduire politiquement que lorsque les leaders de la droite ne chercheront plus à donner des gages à ceux qui les menacent sans cesse de diabolisation médiatique. Ils devront se délivrer de l'hypnose progressiste.
Il ne s'agit pas de transgresser pour transgresser, ou de provoquer pour provoquer, mais de marquer clairement une volonté d'insoumission à l'ordre idéologique dominant qui continue de reposer sur le refoulement systématique du conservatisme, dans lequel on ne veut voir qu'une série de phobies. Cela exige non seulement du courage mais aussi, une résolution ferme à ne pas penser le devenir des sociétés occidentales sous le signe d'un sens de l'histoire qui les pousserait toujours plus loin sur le chemin du multiculturalisme et de l'individualisme radical.
La chose est attendue depuis longtemps par l'électorat de droite. Il n'est pas insensé de croire que cette espérance puisse aujourd'hui aboutir ou du moins, fonder une proposition politique nécessaire dans la recomposition à venir.
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Mathieu Bock-Côté : «Vive le Québec libre !» (23.07.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Publié le 23/07/2017 à 21h04
TRIBUNE - Cinquante ans après le discours du général de Gaulle à Montréal, l'intellectuel * rappelle que ce voyage historique demeure une balise essentielle dans l'inconscient collectifdes Québécois.
Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle, du haut du balcon de l'hôtel de ville de Montréal,prononçait un discours qui fit le tour du monde. La formule est restée: «Vive le Québec libre!» L'homme qui incarnait la grandeur de la France prenait fait et cause pour le combat québécois et lui assurait une visibilité internationale. Tout au long de son passage au Québec, de Gaulle fut accueilli dans un enthousiasme populaire exceptionnel. C'était l'heure des retrouvailles franco-québécoises. Alors qu'on avait oublié depuis longtemps son existence, ou qu'on la réduisait à une forme de survivance folklorique, une vieille nation française faisait ainsi connaître au monde sa renaissance. De Gaulle fit connaître le Québec au monde en révélant son désir d'indépendance et en l'appuyant explicitement.
L'époque s'y prêtait. C'était celle de la Révolution tranquille des années 1960. Après deux siècles de résistance contre de nombreuses tentatives d'assimilation ayant fait suite à la Conquête anglaise de 1760, le peuple québécois entendait reprendre en main ses destinées. Les slogans politiques de l'époque témoignent de cet état d'esprit animé par un désir de reconquête et d'émancipation nationale. Maîtres chez nous, dirent d'abord ceux qui voulaient sortir les francophones de l'assujettissement économique. Égalité ou indépendance, ajoutèrent ceux qui voulaient établir des rapports d'égal à égal entre le Canada anglais et le Québec français. On est capable, claironnaient les indépendantistes, pour répondre à ceux qui prétendaient que, sans une tutelle extérieure, les Québécois étaient condamnés au désordre ou à la misère. Ces derniers voulaient cesser d'être traités comme des étrangers chez eux.
Pour de Gaulle l'indépendance du Québec était l'aboutissement naturel d'une histoire remontant à la fondation de la Nouvelle-France.
Certains ont voulu voir dans le «Vive le Québec libre!» une «folie gratuite», selon la formule de Pompidou. Dans La Dette de Louis XV, le remarquable ouvrage qu'il a consacré à la question, Christophe Tardieu a rappelé qu'il n'en était rien. De Gaulle n'a pas cédé à un élan d'enthousiasme spontané. Au contraire: il suffit de consulter les notes consignées par Alain Peyrefitte dans C'était de Gaulle pour voir à quel point son appui à l'indépendance s'inscrivait dans une vision globale de l'histoire du monde et, plus particulièrement, de celle du Québec. Lui-même précisera et confirmera sa vision des choses, en conférence de presse, en novembre de la même année. Pour de Gaulle l'indépendance du Québec était l'aboutissement naturel d'une histoire remontant à la fondation de la Nouvelle-France. Il n'avait pas tort.
Le Québec devrait-il devenir un pays indépendant, oui ou non? Cette question a marqué le débat politique québécois du milieu des années 1960 jusqu'au début des années 2000. Certains cherchèrent une solution mitoyenne en essayant d'obtenir pour lui un statut particulier dans la fédération canadienne. Ils se butèrent au refus obstiné du Canada anglais qui refusait de parler sur un pied d'égalité avec les francophones. Le Canada n'a pas voulu faire de compromis avec le Québec. Les souverainistes, d'abord sous la direction de René Lévesque en 1980, puis de Jacques Parizeau, en 1995, ont organisé deux référendums. On se souvient surtout des résultats du second. 49,4 % des Québécois se prononcèrent à ce moment pour l'indépendance et, parmi eux, 61 % des Québécois francophones. Le vote massif des anglophones et des communautés issues de l'immigration a permis de leur faire barrage. Les Québécois ne se sont pas remis de cette défaite.
Si le «Vive le Québec libre!» n'a pas fait naître le mouvement souverainiste, il a certainement rajouté une dimension essentielle à la lutte québécoise: celle de l'appui français. Lors des deux référendums, et plus particulièrement au moment du deuxième, l'appui de la France aux souverainistes était un élément essentiel de leur stratégie. Si jamais les Québécois décidaient de se constituer en État indépendant, ils savaient qu'ils pouvaient compter sur le soutien de la France. À gauche comme à droite, chez les européistes comme chez les eurosceptiques, la cause du Québec trouvait ses défenseurs. Elle rassemblait même Alain Juppé et Philippe Seguin, les frères ennemis du chiraquisme. Chez les gaullistes, le soutien au souverainisme québécois symbolisait même la grandeur de la France.
La commémoration du Québec libre oblige les Québécois à se poser une question cruciale : comment expliquer l'échec de l'indépendance ?
La commémoration du Québec libre oblige les Québécois à se poser une question cruciale: comment expliquer l'échec de l'indépendance? Les souverainistes ont candidement sous-estimé l'hostilité d'Ottawa qui a multiplié les manœuvres troubles, et parfois illégales, pour les vaincre, en plus de miser sur une politique d'immigration intensive pour diminuer démographiquement le poids des Québécois francophones. Il faut aussi constater que leur soumission pendant plus de deux siècles à une domination que plusieurs diraient coloniale a laissé des séquelles plus profondes qu'on ne le croyait dans la psychologie collective des Québécois. Certains, manifestement, ne se croyaient pas capables de s'affranchir d'une tutelle qu'ils s'imaginaient à la fois bienveillante et correctrice de leurs travers. Souvent, ils désiraient l'indépendance mais la croyaient trop risquée.
Aujourd'hui, l'indépendance continue d'obtenir environ 40 % dans les sondages mais elle décline. Le souverainisme régresse. Même la France est tentée de laisser tomber sa relation privilégiée avec le Québec pour renouer pleinement avec Ottawa, comme s'il fallait clore le cycle gaullien. Pourtant, le Canada n'a rien d'un pays hospitalier pour les Québécois. D'ailleurs, le Québec n'est toujours pas signataire de la Constitution canadienne adoptée en 1982. Dans le Canada, les Québécois sont condamnés à la minorisation démographique, d'autant plus que le multiculturalisme d'État pratiqué par Ottawa les réduit au statut de communauté ethnique parmi d'autres. Le Canada a toujours refusé de reconnaître dans sa Constitution le Québec comme nation. Quant au bilinguisme officiel, c'est une doctrine de façade qui masque une véritable hégémonie anglophone et transforme le français en bibelot folklorique. Il n'est pas interdit de croire que le souverainisme pourrait renaître dans un tel contexte.
L'échec de l'indépendance est un rendez-vous manqué avec l'histoire. Mais on aurait tort d'enterrer cette aspiration.
Le «Vive le Québec libre!» demeure encore aujourd'hui un moment fort de l'épopée gaullienne. Il témoigne de la conviction profonde du général de Gaulle du rôle de la France dans la promotion d'un monde fondé sur la reconnaissance des peuples et faisant la promotion du respect des petites nations. Il demeure aussi une balise essentielle dans la conscience collective des Québécois. Il suffit qu'ils se tournent vers cette déclaration pour se rappeler qu'il y a au cœur de leur histoire une promesse non tenue. L'échec de l'indépendance est un rendez-vous manqué avec l'histoire. Mais on aurait tort d'enterrer cette aspiration. Surtout, la cause du Québec témoigne toujours de l'aspiration des nations à s'inscrire dans le monde en leur propre nom. On demeure en droit de croire qu'un jour, le «Vive le Québec libre!» sera considéré comme une déclaration prophétique.*Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au «Journal de Montréal» et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'«Exercices politiques» (VLB éditeur, 2013), de «Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois» (Boréal, 2012) de «La Dénationalisation tranquille» (Boréal, 2007), de «Le Multiculturalisme comme religion politique»(éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
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L'hommage de Mathieu Bock-Côté à Max Gallo (21.07.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Publié le 21/07/2017 à 17h04
FIGAROVOX/TRIBUNE - Depuis Montréal, Mathieu Bock-Côté rend hommage à l'historien Max Gallo, « un homme qui vouait une passion charnelle à la France ».

Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d' Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille(Boréal, 2007), et de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016).

Il y a des hommes si robustes et imposants qu'on en vient à croire que rien ne peut les arracher à l'existence. Les années passent et leur vigueur demeure, même si on sait bien qu'ils sont comme nous de simples mortels. Quand la faucheuse passe, on peine à y croire. C'est probablement le sentiment qu'inspire au plus grand nombre le décès de Max Gallo. Historien, écrivain, homme politique, il en était venu à jouer un rôle bien particulier dans la vie publique française: il était de ceux qui rendent l'histoire au commun des mortels. Ce dernier ne demande qu'à se passionner pour elle, pour peu qu'elle ne soit pas confisquée par des spécialistes qui transforment les débats propres à leur discipline en discussions ésotériques, qui n'ont plus grand-chose à voir avec l'amour du passé. À travers le roman historique, Max Gallo cultivait le vieil art de l'histoire populaire.
D'un livre à l'autre, il s'agissait pour Max Gallo d'expliciter les époques dans lesquels il se plongeait et de dévoiler les grandes passions mettant les hommes en mouvement. L'œuvre de Max Gallo n'est pas celle d'un historien enfermé dans une spécialité au point de se laisser hypnotiser par elle. C'est malheureusement la tentation des historiens de notre temps, qui ont voulu faire de l'histoire une science sociale comme une autre, au point de la désenchanter, trop souvent, en la condamnant à l'aridité. Au contraire: pour lui, l'histoire se peignait comme une grande fresque. Il voulait faire revivre de grandes époques, et pour cela, il faisait revivre les grands hommes à travers lesquelles elles s'incarnent. Il cherchait à entrer dans leur tête, à percer leur psychologie et leur mentalité. Pour comprendre l'action des grands hommes, il faut voir le monde comme ils le voient.
Cette réflexion sur les grands hommes tranchait avec l'esprit de l'époque. La tentation intellectuelle des dernières décennies a été de relativiser leur rôle, certains allant même jusqu'à le nier.
Cette réflexion sur les grands hommes tranchait avec l'esprit de l'époque. La tentation intellectuelle des dernières décennies a été de relativiser leur rôle, certains allant même jusqu'à le nier. L'illusion déterministe a voulu congédier l'action humaine et sa capacité à influencer le cours des choses, et même, quelquefois, à le faire basculer. Le biographe, lui, voit le monde autrement. Sans tel homme, sans telle femme, le cours de l'histoire aurait été tout autre. Que serait le vingtième siècle sans de Gaulle, sans Churchill? Que serait l'histoire de la France sans Napoléon, pour le meilleur et pour le pire? Sans prétendre qu'elle s'y réduise, c'est peut-être à travers l'action des grands hommes que la liberté humaine se révèle le mieux. Ce n'est pas sans raison que pendant longtemps, on a cru à la nécessaire éducation du Prince.
Max Gallo était l'héritier d'une tradition historique essentielle, mais souvent moquée par les modes idéologiques qui se sont succédées depuis quelques décennies: l'histoire nationale. Il s'agit de raconter à un peuple son histoire, ou si on préfère, sa grande aventure, en chantant ses belles pages, sans négliger ses pages moins glorieuses aussi. L'éducation historique est essentielle au développement du sentiment national et d'appartenance collective: elle donne à l'homme le sentiment de participer à quelque chose qui le dépasse. On a souvent caricaturé l'histoire nationale à la manière d'une simple histoire patriotique pour les esprits simplets et militants. Pour cela, on a cru devoir opposer au récit glorieux d'hier un récit humiliant, enseignant la haine de soi. Il fallait voir dans la nation une mystification collective et transgresser ses grands symboles.
La mutation diversitaire de l'histoire l'a transformée en instrument de déconstruction nationale, chaque communautarisme faisant sécession mentalement de la nation.
En fait, on a assisté, en quelques décennies, à un étrange retournement. La mutation diversitaire de l'histoire l'a transformée en instrument de déconstruction nationale, chaque communautarisme faisant sécession mentalement de la nation pour se présenter comme la victime d'une majorité dont il faudrait désormais contester et abolir les privilèges. La gauche radicale a vu dans la dénationalisation des pays occidentaux le stade suprême de la décolonisation: le multiculturalisme permettrait à la démocratie de s'affranchir du culte de la patrie. Cela aurait pu être la triste devise des dernières décennies: qui apprend l'histoire apprend à détester son pays. On a ainsi voulu couper le lien entre les peuples occidentaux et leur héritage historique. On croyait engendrer des hommes libres alors qu'on fabriquait des individus déculturés.
Max Gallo n'a pas cédé à cette manie: mieux, il l'a combattue. Fier d'être Français, écrivait-il, en pleine vague pénitentielle. Il rappelait ainsi que le patriotisme n'est pas une pathologie, et qu'un peuple se dissoudra inévitablement si on l'enferme dans un présentisme débilitant, où il n'est plus possible de mettre quoi que ce soit en perspective. La fierté nationale n'a rien d'un patriotisme cocorico, comme on le voit dans les stades lors des grandes compétitions sportives. Il s'agit surtout d'assumer l'histoire de sa nation et de vouloir la poursuivre, en lui assurant la maîtrise de ses destinées. Et pour cela, le récit national est une part essentielle de l'identité nationale. Il faut pouvoir en admirer les grands hommes, les grandes périodes, les grands événements. On ne construit rien de grand sans admiration. Cela, Max Gallo le savait aussi.
On ne saurait raconter l'histoire d'un peuple en la confondant avec celle d'une faction ou avec le déploiement d'une seule idée. Chacun embrasse à travers son histoire les grandes contradictions qui définissent la condition humaine. D'une certaine manière, la nation est une médiation vers l'universel. Au fil du temps, Max Gallo était passé d'une conception un peu aride de la République à une passion charnelle pour la France. Cela témoignait aussi d'une évolution de sa philosophie politique personnelle. Ce qui l'intéressait, c'était l'âme de la France. À travers elle, chose certaine, c'est une des pages les plus intéressantes de l'histoire humaine qui s'écrit. On se désolera que Max Gallo ne soit plus là pour nous raconter la suite des choses. On ne doutera pas que son œuvre aura donné à ceux qui la fréquentaient le désir de poursuivre l'histoire de France et peut-être même, celui de la raconter.
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Mathieu Bock-Côté : «La présidence Trump, une radicalisation de la guerre culturelle qui divise l'Amérique» (30.01.2018)

Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 30/01/2018 à 17h40 | Publié le 30/01/2018 à 17h11
TRIBUNE - Un an après l'entrée en fonction de Donald Trump à Washington, il serait temps de ne plus se focaliser sur les errements de l'homme et d'étudier les attentes de ses électeurs, explique le chroniqueur*.
Alors qu'on souligne ces jours-ci le premier anniversaire de la présidence de Donald Trump, jamais l'animosité médiatique à son endroit n'a cessé. Celui qui a gagné la course à la présidence à la surprise de tous et contre la volonté de l'establishment est la cible d'un procès en légitimité permanent, sa simple présence à la Maison-Blanche étant apparemment un scandale. Le parti médiatique veut y voir une aberration historique et fait tout ce qu'il peut pour miner sa présidence. Dans le cours de l'histoire, Trump président serait une régression caricaturale permettant à la vieille Amérique de revenir sous sa forme hideuse. Il devrait être possible d'effacer l'accident politique que fut son élection à n'importe quel moment et d'un coup l'oublier. De la remise en question récurrente de sa santé mentale à celle de sa complicité présumée avec la Russie, il s'agit d'empêcher Trump de normaliser sa présidence, en laissant entendre qu'à n'importe quel moment, elle pourrait exploser. L'objectif est simple: le disqualifier moralement.
Entre la Maison-Blanche et le parti médiatique, la guerre se mène ouvertement
D'ailleurs, entre la Maison-Blanche et le parti médiatique, la guerre se mène ouvertement. À la différence des hommes politiques qui cherchent à composer avec une presse hostile, et même à l'amadouer, Trump a décidé de l'affronter, et sans trop de subtilité. On l'a encore vu ces jours-ci avec la création des «Fake News Awards». L'entreprise, terriblement bâclée, n'était pas inintelligible pour autant: il s'agissait de démontrer, pour reprendre les mots de Steve Bannon,  le stratège déchu du trumpisme, que le parti médiatique  est le principal «parti d'opposition» à la présidence. Plus encore, il fallait montrer comment les médias orientent l'information de telle manière à construire un récit systématiquement négatif de la présidence. On peut rejeter le trumpisme sans contredire cette lecture de la situation. Trump mise d'ailleurs sur Twitter pour communiquer directement avec la population américaine, en croyant se déprendre du filtre médiatique. Mais il se complaît dans une logorrhée absolument étrangère à la dimension sacrée de la parole présidentielle. L'homme semble immaîtrisable et ses outrances verbales appliquées à la politique étrangère font craindre pour la paix du monde, comme on a pu le voir dans l'affaire nord-coréenne.
Allons plus loin. Que Trump soit un personnage grossier, il est difficile de ne pas en convenir. Un aventurier mégalomane comme lui n'aurait probablement jamais dû se retrouver à la tête de l'empire de notre temps. On peut aussi croire qu'il faut avoir une personnalité hors norme  et particulièrement polémique pour tenir tête à un système qui a d'abord voulu empêcher son élection et qui maintenant cherche à l'éjecter. Mais si les médias condamnent Trump à cause de son style aussi erratique que hargneux, ils cherchent surtout à neutraliser à travers cela, l'insurrection populiste et populaire qu'il a menée victorieusement, à travers une stratégie ouvertement insurrectionnelle qui se voulait au service des Américains ordinaires oubliés. De la lutte contre l'immigration massive  à celle contre ce qu'il juge être les excès du libre-échange en passant par celle pour la souveraineté nationale, Trump engage ouvertement un combat contre l'idéologie dominante: c'est à tout un système qu'il s'oppose dans ce qui semble être une révolte contre la mondialisation. Ce programme n'apparaît, aux yeux des élites américaines, qu'à la manière d'une forme de nativisme primaire, seulement bon pour plaire à ceux que Hillary Clinton avait qualifiés de «basket of deplorables».
«Il y a chez Trump une culture de la transgression qui plaît aux électeurs qui se sentent aliénés culturellement par le politiquement correct ambiant»
Un président aussi contesté pourrait se sentir bien seul, d'autant qu'il est en querelle constante avec son propre parti, qui le voit comme un intrus dans son propre camp. Il n'en demeure pas moins que la base de Trump lui demeure fidèle, d'autant qu'elle le suit dans son insurrection. Longtemps, elle s'était sentie méprisée et humiliée, sans vrai champion politique, sans héraut résolu à porter son drapeau. Tout au long des années 1990, il y a eu plusieurs révoltes populistes aux États-Unis, notamment celles de Ross Perrot en 1992 et de Patrick J. Buchanan en 1992 et en 1996, mais elles ont toutes avorté, généralement parce qu'elles s'inscrivaient à l'extérieur du système partisan américain, ou dans ses marges. La singularité de l'insurrection trumpienne, c'est qu'elle est venue bouleverser de l'intérieur le système partisan américain. Le peuple s'est invité dans un jeu où il avait normalement le rôle de spectateur. Il a bouleversé  les termes du débat politique. Le système cherche naturellement à se recomposer.
Il y a chez Trump une culture de la transgression qui plaît aux électeurs qui se sentent aliénés culturellement par le politiquement correct ambiant. Même arrivé au pouvoir, Trump se croit encore dans l'opposition, ce en quoi il n'a pas complètement tort, car la vision de l'Amérique qu'il prétend incarner n'existe dans l'espace public qu'à travers un récit d'épouvante. La présidence Trump correspond à une radicalisation de la guerre culturelle qui divise l'Amérique depuis trente ans et qui n'est pas à la veille de s'éteindre, comme on l'a vu avec la guerre des statues. L'Amérique diversitaire qui demeure culturellement hégémonique ne tolère pas que l'Amérique traditionnelle lui résiste. La comparaison entre Donald Trump et Richard Nixon s'impose, même si le premier est un leader charismatique  et le second fut un politicien de métier mal aimé: les deux sont exécrés pour avoir incarné politiquement la résistance à ce qui se faisait passer pour le sens de l'histoire. Contre l'ennemi déclaré du progressisme, qui parvient à sortir des marges et à mobiliser les classes populaires, tout est permis. Il ne faut rien ménager contre le bois mort de l'humanité, surtout quand il fait obstacle à l'avenir radieux. Au-delà de son personnage inquiétant, la présidence de Trump pose une question centrale: dans quelle mesure est-il possible de gouverner contre l'esprit de son temps?
* Sociologue, chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur à Radio-Canada. Le récent essai de Mathieu Bock-Côté  «Le Multiculturalisme comme religion politique» (Éditions du Cerf, 2016)  a été salué par la critique.

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Mathieu Bock-Côté: «Au Canada, la novlangue de la diversité gagne du terrain» (13.02.2018)

Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 14/02/2018 à 17h49 | Publié le 13/02/2018 à 17h25
FIGAROVOX/TRIBUNE - Notre chroniqueur montréalais, figure de la vie intellectuelle québécoise*, analyse les changements du vocabulaire en Amérique du Nord et l'idéologie qui les motive.
La nouvelle a fait le tour du monde: le Canada vient de changer la version anglaise de son hymne national pour le rendre «non genré». La formule «in all thy sons command» s'efface pour faire place à «in all of us command». Officiellement, pour atténuer la portée de ce changement, on laisse croire qu'il s'agit d'un simple retour à la version originelle de l'hymne national, Ô Canada. Mais personne n'est dupe. Ceux qui, depuis des années, militaient pour une réécriture de l'hymne national le faisaient explicitement au nom de la «lutte contre le sexisme». Sans surprise, c'est sous le gouvernement de Justin Trudeau que leur combat vient d'aboutir: le premier ministre canadien vante cette réforme en l'inscrivant sous le signe du combat pour l'égalité entre les sexes.
Le Canada confirme ainsi sa réputation de pays modèle dans la poursuite des idéaux diversitaires. Étape par étape, il se délivrerait de sa vieille peau pour renaître à la manière d'un pays neuf, exempt de discriminations. Cela n'a pas empêché quelques sceptiques dans le pays d'y voir une autre simagrée politiquement correcte, qui amènera inévitablement les militants les plus ardents à pousser leur avantage pour modifier d'autres symboles collectifs jugés anachroniques. À terme, cette entreprise de réingénierie symbolique est inarrêtable: on trouvera toujours un lobby pour se sentir heurté et exiger qu'on remplace un mot par un autre ou qu'on déboulonne une statue associée à une période de l'histoire dans laquelle nous ne nous reconnaissons plus.
Le hasard a voulu que dans les jours entourant l'adoption de la nouvelle version du Ô Canada, Trudeau lui-même donne un exemple extrême du politiquement correct. Animant une assemblée citoyenne en Alberta, une province de l'ouest du pays, il a repris une jeune femme à cause de l'utilisation d'un mot jugé suspect. Elle avait utilisé le banal terme «mankind», qui signifie humanité. Le premier ministre s'est empressé de la corriger en disant qu'elle devrait utiliser le terme «peoplekind», parce qu'il serait plus inclusif. La vidéo est devenue virale dans le monde anglo-saxon en suscitant à la fois hilarité cruelle et exaspération bien sentie. Trudeau a même dû chercher à faire croire qu'il s'agissait d'une blague, mais naturellement, personne ne l'a cru.
Le langage a perdu sa fonction descriptive : c'est désormais un champ de bataille où s'imposent de nouveaux rapports de pouvoir
Faut-il effacer du vocabulaire toute trace du masculin, comme le souhaitaient il y a quelques mois certains écologistes français voulant remplacer la référence au patrimoine par celle au matrimoine? Certes, le mouvement n'est pas nouveau: en quelques années, au Québec, les aveugles sont devenus des non-voyants et les nains, des personnes de petite taille. Le langage a perdu sa fonction descriptive: c'est désormais un champ de bataille où s'imposent de nouveaux rapports de pouvoir. Un homme politique peut payer cher l'utilisation d'un mot frappé d'interdiction ou simplement désuet, car il témoigne ainsi, peut-être même sans le savoir, de son appartenance au monde d'hier, ce qui est impardonnable. Cette dynamique idéologique n'est pas sans susciter un immense malaise chez le commun des mortels, qui sent qu'on ne peut plus rien dire, pour reprendre la formule convenue.
Dégageons-nous du cas canadien pour réfléchir de façon plus large. Fondamentalement, nous sommes dans une logique qui se veut purificatrice. Ses adeptes se représentent un monde trop blanc, trop masculin, trop occidental, et se donnent pour mission de le déconstruire, ou même de l'anéantir, pour que les groupes historiquement marginalisés soient rendus visibles dans les représentations publiques. Tel est l'enjeu de l'écriture inclusive, qui faisait polémique il y a quelques mois et qui continue de progresser à l'abri de la controverse. En d'autres mots, ce qui reste du monde d'hier est un scandale.
On devine le sort qu'on pourrait réserver à La Marseillaise en France, si on la faisait passer dans le tordeur «inclusif». Notre temps révèle ainsi son incapacité à s'inscrire dans l'histoire autrement que sur le mode du procès de ce qui l'a devancé. L'époque pense l'émancipation comme un arrachement au déjà-là et veut abolir ce qui, dans la tradition, ne confirme pas ses préjugés ou ne l'annonçait pas comme une promesse.
Le vingtième siècle nous l'a appris, l'idéologisation du langage est souvent le symptôme d'une tentation totalitaire
Le vingtième siècle nous l'a appris, l'idéologisation du langage est souvent le symptôme d'une tentation totalitaire. Elle n'est pas étrangère à l'orthodoxie diversitaire et néoféministe qui partout s'impose en Occident. On ne relit pas 1984de Orwell sans y retrouver avec effroi plusieurs des traits les plus caractéristiques et détestables de notre temps. Les adeptes de la novlangue contrôlent le sens des mots, en discréditent de plus en plus, et surtout, surveillent ceux qui n'adoptent pas avec un enthousiasme ostentatoire le nouveau vocabulaire. Les contrôleurs de la circulation médiatique guettent leurs éventuels «dérapages» pour distribuer les contraventions idéologiques à ceux qui s'écartent du corridor de la pensée correcte. L'intellectuel doit toujours être vigilant pour ne pas heurter le nouveau catéchisme: ici, c'est La pensée captive du grand écrivain polonais Czeslaw Miloscz qu'il faut relire.
En réinventant les mots, en les javélisant, on croit laver le langage du passé. Il faut voir dans cette conversion zélée une manifestation d'adhésion au nouveau régime. La chose se constate dans les termes utilisés pour parler de la «diversité» avec des termes comme «populations racisées», «ateliers non-mixtes» ou «populations perçues comme non-blanche». Qui parle la novlangue diversitaire s'y soumet. Univers étouffant qui empêche de nommer la réalité, qu'on censurera par tous les moyens possibles. Univers parallèle qui nous condamne à évoluer dans un monde fantasmé où il suffirait de changer le sens des mots pour faire naître un monde meilleur.
Sociologue, chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur à Radio-Canada. Parmi les ouvrages de Mathieu Bock-Côté, signalons «Le Multiculturalisme comme religion politique» (Éditions du Cerf, 2016), salué par la critique, et «Le Nouveau Régime - Essais sur les enjeux démocratiques actuels»(Les éditions du Boréal, 2017).
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Mathieu Bock-Côté : «La France résiste au féminisme anglo-saxon, et heureusement !» (16.01.2018)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 16/01/2018 à 19h08 | Publié le 16/01/2018 à 18h21
FIGAROVOX/CHRONIQUE - Pour notre chroniqueur montréalais, figure de la vie intellectuelle québécoise*, voir des Françaises prendre la défense des hommes et critiquer un climat d'intimidation à leur encontre est la preuve que le génie national de la France n'a pas disparu.
La publication de la tribune sur «la liberté d'importuner» patronnée par Catherine Deneuve a suscité un choc culturel au-delà des seules frontières françaises. Le monde anglo-saxon a voulu y voir une preuve de plus du caractère archaïque de la civilisation française, qui maquillerait derrière l'éloge de la galanterie et des jeux du désir entre l'homme et la femme une culture sexiste et misogyne. Pour l'Amérique officielle, la France est moins une énigme qu'un scandale. De même qu'outre-Atlantique on ne comprend pas sa conception de la laïcité, de même on s'exaspère contre sa manière d'organiser les rapports entre les sexes.
Et pourtant, certaines voix, en Amérique du Nord, ont confessé leur soulagement suite à la publication de cette lettre, tout en rappelant leur dénonciation virulente des agressions sexuelles et en se désolant avec raison de certaines tournures indéniablement maladroites qu'on y trouvait. Ils y virent l'occasion de témoigner de leur inquiétude devant certains débordements du mouvement #metoo.
Ne faisait-il pas souffler un vent glacial de puritanisme en étendant exagérément la définition de la «violence sexuelle» pour y confondre pêle-mêle le viol, le harcèlement, la drague maladroite ou le simple «regard offensant», pour reprendre le terme étonnant d'une étude menée à l'université Laval de Québec sur ce sujet. Celle qui est désirée sans désirer elle-même est-elle de ce simple fait victime d'agression? Questionner le mouvement #metoo peut valoir à qui s'y risquait une accusation de complicité avec la «culture du viol». La nouvelle morale sexuelle semble être le fruit d'un croisement du puritanisme américain et du féminisme scandinave.
Le féminisme universitaire
Il faut aller au-delà de la présente polémique pour comprendre à quel point #metoo est un révélateur de la radicalisation du néoféminisme nord-américain et, plus encore, du féminisme universitaire. Ce dernier se veut à l'avant-garde d'une offensive contre le «patriarcat» qui aujourd'hui, plus que jamais, ferait sentir ses effets et aliénerait les femmes. Les rapports entre les sexes s'écriraient encore à l'encre de la domination et l'heure serait venue de décoloniser les femmes. Sur les campus nord-américains, on plaide, par exemple, pour la création d'environnements non mixtes, pensés comme autant d'abris contre la «domination patriarcale». On milite pour la création de «safe spaces» où les femmes pourraient se préserver contre les discours critiques du féminisme, qui pourraient heurter leur estime d'elles-mêmes. Il faudrait partout dépister et condamner les «privilèges masculins».
C'est la force d'une idéologie hégémonique de dissuader la moquerie et d'obliger chacun à se soumettre par un geste ostentatoire d'adhésion
C'est ainsi que dans une tribune publiée dans les pages du quotidien québécois Le Devoir, une professeure de littérature a voulu faire de #metoo l'acte fondateur justifiant de nouvelles revendications féministes. «Ça veut dire de ne pas avoir peur d'indiquer à un collègue que son cours est organisé autour des réalités masculines, historiquement dominantes ; de lui rappeler que la domination historique n'est pas inévitable: l'histoire est sans cesse soumise à la réécriture. En d'autres mots: ça implique de dire à voix haute ce qui, jusqu'à maintenant, se disait tout bas, entre femmes seulement. Il n'enseigne que le cinéma, la littérature, la dramaturgie ou la peinture des hommes ; il m'a coupé la parole et a fait comme si je n'avais rien dit ; il a rejeté du revers de la main la proposition de conférencière que je lui ai soumise.»
On me pardonnera cette citation un peu longue: c'est qu'elle est représentative du discours néoféministe. Elle dévoile son arrière-fond sociologique, qui inscrit dans un même système de domination le viol, le fait qu'on étudie plus d'œuvres d'hommes que de femmes dans certains cours de littérature et la simple interruption à tort ou à raison d'une collègue dans un échange. L'agression sexuelle, le refus d'un enseignement de la littérature selon un principe de parité des œuvres d'hommes et de femmes et l'absence de courtoisie relèveraient d'une même logique. Il est étonnant qu'on puisse avancer de telles considérations quasi paranoïaques sans susciter l'hilarité. Mais c'est la force d'une idéologie hégémonique de dissuader la moquerie et d'obliger chacun à se soumettre par un geste ostentatoire d'adhésion. Ceux qui se contenteraient d'assister à son déploiement en silence seront considérés comme suspects.
Le néoféminisme entend soumettre la culture à ses obsessions, quitte à réécrire les grandes œuvres, comme on l'a vu à Florence avec le sort réservé à l'opéra Carmen. Fallait-il s'en surprendre? Toujours dans la foulée de #moiaussi, des personnalités culturelles québécoises, parmi lesquelles on trouvait des auteurs, des humoristes et des comédiens, ont plaidé pour un contrôle idéologique des productions artistiques, pour qu'elles promeuvent une éthique féministe, en soutenant notamment que «la création est un acte libre, mais elle vient avec la responsabilité de favoriser le vivre-ensemble, d'inclure plutôt que d'exclure, de veiller à ne pas marginaliser les voix déjà marginalisées, de susciter la réflexion plutôt que la déconsidération et l'invisibilisation». En arriverons-nous à un embrigadement de la culture au service des bonnes mœurs? Que faire dès lors des œuvres de Woody Allen, de Milan Kundera, d'Alfred de Musset ou de tous ceux qui ont illustré les ambiguïtés du désir et la part d'opacité dans le cœur humain? Faudra-t-il les proscrire?
Une civilisation sensible aux nuances de l'âme
Revenons-en à la France. Est-ce que la remise en question des excès de #metoo pouvait vraiment venir d'ailleurs? L'Amérique officielle dénonce la France, la fustige, la sermonne et rêve de l'humilier en la poussant à faire pénitence pour qu'elle se délivre de sa différence. Mais pour ceux qui l'aiment, le pays de Marivaux témoigne de la possibilité d'une civilisation sensible aux subtilités du cœur humain, qui refuse l'indifférenciation sexuelle comme la guerre des sexes et comprend qu'un désir absolument transparent à lui-même serait condamné à s'affadir. Le rapport entre les sexes serait d'une infinie tristesse s'il était sans mystère. La galanterie française relève moins de l'hypocrisie que d'une civilisation sensible aux nuances de l'âme. Dans l'univers du politiquement correct mondialisé, la résistance anthropologique de la France est une nécessité vitale.
Sociologue, chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur à Radio-Canada. Le récent essai de Mathieu Bock-Côté Le Multiculturalisme comme religion politique  (Éditions du Cerf, 2016) a été salué par la critique.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 17/01/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Mathieu Bock-Côté: «Finkielkraut, voilà l'ennemi !» (14.12.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 15/12/2017 à 18h26 | Publié le 14/12/2017 à 15h46
TRIBUNE - Ayant déclaré dimanche que «les non-souchiens brillaient par leur absence» lors de l'hommage rendu à Johnny, Alain Finkielkraut a déclenché la polémique. Pour Mathieu Bock-Côté, l'indignation médiatique est avant tout un prétexte pour faire du philosophe un paria.

Figure de la vie intellectuelle québécoise, Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d' Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), et de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016).

La simple présence d'Alain Finkielkraut dans l'espace public semble aujourd'hui faire scandale. À gauche de la gauche, on a cessé d'écouter ses arguments mais on scrute sans cesse ses propos à la recherche de ce que le système médiatique nomme un dérapage, ou du moins, pour trouver quelques propos controversés qui justifieront sa mise au pilori pour quelques jours. L'objectif, c'est de faire du philosophe un paria, de le discréditer moralement, de le transformer en infréquentable, qui ne sera plus convoqué dans le débat public qu'à la manière d'un repoussoir, sans cesse obligé de se justifier d'exister.
Celui qui s'est imposé au fil des décennies à travers une critique subtile et mélancolique de la modernité et de sa tentation démiurgique est transformé en commentateur ronchon contre lequel on justifiera toutes les moqueries. On ne prend pas la peine de le lire et on attend simplement le moment où on pourra le lyncher pour de bon. Pour les patrouilleurs zélés du politiquement correct, qui distribuent sans cesse les contraventions idéologiques, Alain Finkielkraut n'est plus le bienvenu dans le débat public.
C'est à la lumière de cette aversion de plus en plus revendiquée pour Alain Finkielkraut qu'on peut comprendre la tempête médiatique qui le frappe ces jours-ci. On le sait, dans le cadre de son émission hebdomadaire sur RCJ, où il répond aux questions d'Elisabeth Lévy, le philosophe est revenu sur l'hommage national rendu à Johnny Hallyday en cherchant à décrypter une passion qui lui était étrangère. Finkielkraut a aussi noté, comme d'autres, que la communion populaire autour de Johnny Hallyday révélait aussi les failles de la communauté nationale. En gros, Johnny Hallyday était plébiscité par la France périphérique, qu'il aura longtemps fait rêver d'Amérique et d'aventure, mais ignoré par la France issue de la diversité, ou si on préfère le dire moins pudiquement, par celle issue de l'immigration. Il a pour ce faire employé ironiquement le terme «sous-chien» inventé par Houria Bouteldja pour qualifier «les Français de souche» et donc celui de «non souchien» pour ceux qui ne le sont pas. Cette ironie n'a pas été comprise, elle était peut-être malheureuse, plus largement on peut partager ou non son analyse, la trouver pertinente ou insuffisante: telle n'est pas la question.
Nous ne sommes pas dans une controverse honnête et loyale, dans une correction bienveillante mais dans une volonté délibérée de nuire.
Nous ne sommes pas dans une controverse honnête et loyale, dans une correction bienveillante mais dans une volonté délibérée de nuire. Les ennemis de Finkielkraut n'allaient pas se priver de fabriquer un scandale artificiel de part en part pour lui faire un mauvais procès en racisme. On l'a d'un coup décrété double maléfique des Indigènes de la République. Les enquêteurs de la police de la pensée et les milliers de délateurs qui les alimentent et les applaudissent sur les réseaux sociaux étaient extatiques: enfin, ils tenaient leur homme. Enfin, ils avaient devant eux le dérapage de trop. Enfin, Finkielkraut venait de tomber dans un piège dont il ne sortirait pas.
Il ne vaut même pas la peine de revenir sur le fond du propos tellement il suffit d'un minimum de jugement et de bonne foi pour savoir qu'il n'a jamais tenu le moindre propos raciste dans son commentaire de l'hommage à Johnny Hallyday et qu'il s'est contenté de reprendre de manière moqueuse et au deuxième degré le vocabulaire de ceux qui le conspuent. Que ce qu'il a dit ne diffère en rien du jugement, sur le sujet, d'un Laurent Joffrin ou de Dominique Bussereau.
Cela dit, la tempête Finkielkraut du moment est intéressante pour ce qu'elle révèle du dérèglement de la vie publique, et cela, pas seulement en France mais à la grandeur du monde occidental. D'abord, on y voit l'importance du buzz comme phénomène médiatique. Une petite phrase arrachée à son contexte et mise en circulation sur internet peut déclencher une marée d'indignation, chacun s'ajoutant alors à la meute en expansion des indignés, qui veulent à tout prix envoyer un signal ostentatoire de conformité idéologique au politiquement correct.
Une société allergique au pluralisme politique et idéologique
On s'indigne, on hurle, on exige une punition exemplaire contre celui qui vient de transgresser le dogme diversitaire et la vision irénique du vivre-ensemble. On assiste même au retour de la gauche pétitionnaire à grande échelle. C'est ainsi qu'on a vu une pétition circuler sur internet pour que Finkielkraut soit viré de l'Académique française. Ceux qui la signent ont alors le sentiment gratifiant d'avoir eux-aussi pu cracher sur le philosophe jugé galeux. Les médias sociaux ont redonné vie à la foule lyncheuse. Disons-le autrement: elles transforment en action vertueuse la lapidation virtuelle. Il s'agit d'écraser symboliquement le dissident, de provoquer sa mort sociale.
Il faut être progressiste ou se taire. Il faut chanter les louanges du multiculturalisme et ne jamais noter les lézardes sociales qu'il engendre ou se fermer la gueule.
On y revient, la tentation lyncheuse qui s'exprime sur les médias sociaux correspond à une réhabilitation de l'ostracisme dans une société de plus en plus allergique au pluralisme politique et idéologique. Il faut être progressiste ou se taire. Il faut chanter les louanges du multiculturalisme et ne jamais noter les lézardes sociales qu'il engendre ou se fermer la gueule. Il faut tweeter dans le sens de l'histoire ou se tenir éloigné de son clavier. Et si on pense autrement, si on critique, si on se moque, si on ironise, même, on sera accusé d'être un provocateur, un polémiste, même, et d'avoir bien cherché sa mauvaise réputation. On se fera coller une sale étiquette qu'il faudra porter à la manière d'un symbole d'infamie.
Alain Finkielkraut ose aller dans l'espace public pour penser notre temps
Il y a là une forme d'intolérance primitive qui se maquille en tolérance supérieure. On ne se surprendra pas, alors, que les réflexes d'autocensure se développent autant chez tant d'intellectuels qui redoutent d'avoir à subir à leur tour une pluie de crachats, pour peu que quelques esprits mal tournés ne comprennent pas ce qu'ils ont voulu dire et lancent contre eux une campagne de diffamation.
L'ensauvagement de la vie publique qui se révèle à travers l'effrayante muflerie des réseaux sociaux témoigne purement et simplement d'une régression de la vie démocratique. Et c'est en bonne partie parce qu'il ose braver cet environnement toxique qu'Alain Finkielkraut est admirable. Nous sommes devant un philosophe de grande valeur, nous le savons. Mais il arrive souvent que les meilleurs philosophes n'aient pas un caractère à la hauteur de leur intelligence. Ce n'est pas le cas d'Alain Finkielkraut, qui fait preuve d'un courage civique exemplaire et qui ose aller dans l'espace public pour penser notre temps tout en sachant qu'il n'en sortira pas indemne. Il croit à la discussion, à l'affrontement des idées, et il a toujours le souci, comme on le constate chaque samedi à Répliques, de donner la parole au camp adverse. Ceux qui lui répondent par des injures et qui en appellent à son exécution publique ne nous disent finalement qu'une chose: ils ne sont pas à la hauteur du défi qu'il leur lance.
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Mathieu Bock-Côté : «Être de droite aux yeux de la gauche» (11.12.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 11/12/2017 à 16h49 | Publié le 11/12/2017 à 16h06
FIGAROVOX/CHRONIQUE - L'essayiste s'interroge sur la diabolisation médiatique de Laurent Wauquiez dont le bonapartisme conservateur est placé en dehors du champ républicain.
La victoire massive de Laurent Wauquiez n'a surpris personne: elle était annoncée et prend même la forme d'un plébiscite d'acclamation. L'homme s'est présenté comme le seul capable de marquer une opposition franche au macronisme et promet d'amener la droite à renouer avec son propre imaginaire. Wauquiez prétendait incarner une droite ne se contentant pas de désaccords gestionnaires avec le macronisme mais lui opposant une autre philosophie politique.
Au fil de sa campagne, il s'est surtout démarqué par son désir d'incarner une forme de bonapartisme conservateur qui rappelle l'ancien RPR, notamment en assumant sans gêne la question identitaire. À plusieurs reprises, il a résumé sa vision ainsi: il ne faut pas que la France change de nature. La vocation de la droite serait justement de défendre le droit de la France de persévérer dans son être historique contre ceux qui ne voudraient y voir qu'un espace administratif neutre traversé par un flux insaisissable régulé exclusivement par les droits de l'homme.
Et c'est justement ce que lui reprochent les médias et, plus particulièrement, les journalistes de gauche, qui sont souvent de gauche avant d'être journalistes. Bien souvent, ils décrivent moins la réalité qu'ils ne décrient ceux dont ils parlent tellement le vocabulaire qu'ils utilisent pour analyser leur politique est chargée. Ils révèlent ainsi le dispositif idéologique qui inhibe souvent la droite française en la poussant à se penser dans des catégories faites pour la neutraliser.
La droitisation en procès
C'est ainsi que Wauquiez a été présenté comme le représentant inquiétant d'une droite décomplexée, sans qu'on ne se rende compte de la portée de cette expression. En creux, on comprend que la seule droite légitime est celle qui serait complexée et qui consentirait à se placer sous la surveillance idéologique de la gauche, pour éviter de succomber à ses pires travers. Laissée à elle-même, la droite canaliserait les pulsions que la civilisation travaillerait à refouler. Tel est le sens de la fameuse méfiance à propos de la droitisation.
La gauche médiatique trace le cercle de la respectabilité républicaine
Si la gauche médiatique conserve un pouvoir immense, c'est bien celui de déterminer les critères de respectabilité pour ceux qui veulent évoluer dans l'espace public: c'est elle qui distingue entre la droite humaniste et la droite dure, entre le conservatisme et l'ultraconservatisme, entre ceux qui sont fréquentables et ceux qui ne le sont pas. Ces catégories ne sont pas là pour décrire le réel mais pour décrier les opposants. C'est la stratégie de l'étiquetage idéologique et, souvent, elle fonctionne. Une bonne partie de la droite a intériorisé ces critères et s'y plie avec zèle.
Le primat de l'économique, le rejet de l'identité
Pour se faire bien voir du camp d'en face, elle ne cessera de s'inquiéter des dérives de son propre camp: le système médiatique lui accordera le privilège de la conscience morale, elle sera la gardienne de l'âme de la droite. C'est la gauche médiatique qui décidera à quelle condition la droite est légitime et à quel moment elle ne l'est plus. Elle trace le cercle de la respectabilité républicaine et se donne ensuite le droit de décréter qui en sort ou pas. Naturellement, c'est elle aussi qui décrète ce qui fera scandale ou non en distinguant ce qui relève de l'audace et du dérapage.
La droite a abandonné progressivement la question identitaire et la question civilisationnelle au populisme
C'est dans cet esprit, aussi, que la médiasphère progressiste distinguera entre les thèmes politiques respectables et ceux qui seraient sulfureux et dangereux. La droite, pour demeurer médiatiquement admissible, devrait s'en tenir aux premiers et désavouer les seconds.
Concrètement, elle devrait consentir au primat de l'économique et à une forme de pensée gestionnaire assez rudimentaire et rejeter la question identitaire, réservée à l'extrême droite et à ceux qui seraient tentés par elle. Mais cette répartition des thèmes et des rôles est piégée et insensée. C'est justement parce que la droite a abandonné progressivement la question identitaire et la question civilisationnelle au populisme que ce dernier est parvenu à croître, en se présentant comme le principal vecteur des angoisses populaires devant la décomposition de la communauté politique et du lien social sous la pression du multiculturalisme et de la mondialisation.
Être autre chose qu'une non-gauche
Une étrange logique est à l'œuvre. À partir du moment où le Front national s'est emparé de ces thèmes, ils lui appartiendraient à jamais. La droite n'est plus autorisée à récupérer le territoire idéologique et politique qu'elle aura d'abord concédé à la fois par peur et par bêtise: il appartiendrait pour toujours à la droite populiste et qui s'y aventurera se soumettrait à sa domination idéologique. Il ne sera plus permis, pour les partis de gouvernement, de s'inquiéter pour les fondements historiques et identitaires du pays et de parler d'identité ou d'immigration. C'est ainsi qu'on disqualifie moralement des besoins fondamentaux de l'âme humaine comme l'enracinement et l'aspiration à la continuité historique. On les présente comme autant de symptômes d'une pathologie régressive, celle du repli sur soi qui pousserait à la crispation identitaire.
Quoi qu'on pense de la sincérité de Laurent Wauquiez, c'est ce dispositif médiatique qui a cherché à présenter sa campagne de manière plus qu'inquiétante et qui l'inscrit sous le signe du procès permanent. La droite, à moins de se contenter d'être un non-gauche, doit sans cesse se justifier d'exister et faire la preuve de sa compatibilité avec la démocratie et la République. Elle doit s'en tenir au petit espace comptable qu'on lui réserve et donner des gages de respectabilité à répétition, en espérant se faire décerner un certificat d'humanisme.
Si elle joue le rôle pénitentiel qu'on lui réserve dans ce dispositif médiatique, elle est condamnée à perdre. On comprend dès lors que Wauquiez soit traité comme un voyou par la médiasphère progressiste: il transgresse tous les codes sur lesquels repose son hégémonie. Reste à voir s'il ne s'agissait que de la transgression d'une saison.

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Mathieu Bock-Côté : «Métamorphose du blasphème en Occident» (27.02.2018)
Par Mathieu Bock-Côté
Mis à jour le 27/02/2018 à 20h56 | Publié le 27/02/2018 à 19h02
TRIBUNE - Notre chroniqueur, figure de la vie intellectuelle québécoise*, décrit l'autocensure qui règne à l'université et dans les médias en Amérique du Nord.
Le 17 février dernier, le quotidien montréalais Le Devoir rendait public un inquiétant rapport produit par le collège d'enseignement général et professionnel (cégep) de Maisonneuve. Le rapport de cet établissement de Montréal, qui accueille des jeunes gens de 17 et 18 ans, nous apprenait que de plus en plus de professeurs développent des réflexes d'autocensure pour éviter de heurter les croyances religieuses ou culturelles des étudiants. Ils s'interdisent ainsi d'enseigner certaines œuvres. Il faut dire que sur les 7000 étudiants fréquentant ce cégep, la moitié sont issus de l'immigration récente et plusieurs ne sont pas nécessairement familiers avec la civilisation occidentale. Dans ce rapport, les termes étaient pesés, les mots nuancés: l'époque craint les amalgames. Si on aborde la question de l'islam, on cherche à la neutraliser, en critiquant plus largement ce qu'on appellerait en France les communautarismes.
«Sur le Vieux Continent, certains enseignants, dans certains territoires, affirment avoir du mal à aborder l'histoire de la Shoah»
Mathieu Bock-Côté
La première réflexion qui vient à l'esprit, lorsqu'on pense à ces professeurs, c'est que notre époque réinvente le blasphème. Alors qu'on s'imagine la parole publique absolument libre, les interdits idéologiques se multiplient. Telle communauté, et pas seulement ses représentants les plus radicaux, n'acceptera pas qu'on caricature son Dieu, tel lobby idéologique n'acceptera pas qu'on remette en question le grand récit victimaire par lequel il s'inscrit dans l'espace public. L'esprit de libre examen des dogmes, qui fonde la modernité, butte ici sur le fanatisme de ceux qui ne tolèrent tout simplement pas qu'on ne voit pas le monde comme eux et qu'on ne croit pas à ce qu'ils croient. C'est un nouveau commandement: les minorités, tu ne vexeras pas.
Cette situation qui frappe la société québécoise peut sembler banale dans certains lycées européens. Sur le Vieux Continent, certains enseignants, dans certains territoires, affirment avoir du mal à aborder l'histoire de la Shoah face à des élèves arborant un discours complotiste ou victimaire. Le fait est néanmoins révélateur d'une chose simple: partout où elle s'installe, la société diversitaire s'accompagne d'une régression des libertés. C'est la littérature qui finira par en payer le prix: on ne lira plus les œuvres pour s'y éduquer sur le cœur humain mais pour dépister les préjugés qu'on croira y trouver. Pour reprendre la formule convenue, c'est l'ère du soupçon. Le temps viendra où on jugera une œuvre en fonction de sa concordance avec la nouvelle morale diversitaire. Des censeurs se demanderont si les personnages font la promotion de bonnes valeurs. Et ils trieront dans les livres à partir de ce critère.
«En ne reprenant pas les bons mots sur les bons sujets, chacun peut rapidement rejoindre le camp des parias et des infréquentables»
Mathieu Bock-Côté
Dans sa classe, en Amérique du Nord, le professeur sait qu'il est surveillé. On le guette. C'est un aspect de la nouvelle culture universitaire nord-américaine où des groupuscules, s'autoproclamant représentants de minorités souvent improbables, réclament le droit d'interdire certains professeurs ou encore de proscrire telle conférence sur leur campus. Dans les universités, de jeunes militants d'extrême gauche se croient tout permis. On le voit avec le sort réservé au professeur Jordan Peterson à l'université de Toronto, célèbre dans le monde anglo-saxon, et à qui des activistes reprochent ses réserves devant le mouvement trans et le féminisme radical. Il est aujourd'hui la cible d'une campagne de diffamation à grande échelle. Le phénomène, qui frappe au premier chef les universités américaines, franchit ainsi la frontière nord des États-Unis et touche à la fois le Canada et le Québec. On ne voit pas pourquoi, d'ici quelque temps, il ne traverserait pas l'Atlantique.
Le même état d'esprit domine désormais la vie publique en Amérique comme en Europe. Quiconque s'y aventure sait qu'il peut «déraper» à tout moment. En ne reprenant pas les bons mots sur les bons sujets, chacun peut rapidement rejoindre le camp des parias et des infréquentables. Le formatage de la parole publique est tel que bien des hommes politiques considèrent explicitement les médias comme un terrain miné et surveillé où on doit se condamner à un langage aseptisé pour éviter les soucis. Trop souvent, les journalistes questionnent les hommes politiques non pas pour savoir ce qu'ils pensent, mais pour vérifier s'ils adhèrent aux dogmes qui fondent l'idéologie dominante. Ils rêvent de les piéger et de leur coller une étiquette qui ne les lâchera plus.
Une intelligentsia qui fait l'autruche
Allons à l'essentiel: l'intelligentsia progressiste veut croire au vivre-ensemble multiculturel, même lorsque le réel le désavoue et révèle une société où la diversité se traduit par la fragmentation sociale et identitaire. Cette intelligentsia est prête à se mentir pour croire encore. On pense à ce passage cruel de Hiéroglyphes, le livre autobiographique d'Arthur Koestler racontant son engagement communiste. «Je réagis au choc brutal de la réalité sur l'illusion, d'une façon caractéristique du vrai croyant. J'étais étonné, éberlué, mais les pare-chocs élastiques que je devais à l'éducation du Parti se mirent aussitôt à opérer. J'avais des yeux pour voir, et un esprit conditionné pour éliminer ce qu'ils voyaient. Cette censure intérieure est plus sûre et efficace que n'importe quelle censure officielle.»
Il est fascinant de voir à quel point le politiquement correct est un système délégitimant l'expression de la réalité. Pour lui, l'insécurité n'existe pas: n'existe qu'un sentiment d'insécurité. L'identité nationale ne se dilue pas: elle se recompose. Même si les événements inquiétants se multiplient, le système médiatique tarde à écrire le récit du délitement du vivre-ensemble.
«On se souvient du déni qui a entouré les agressions sexuelles massives de Cologne le 31 décembre 2016»
Mathieu Bock-Côté
On se souvient du déni qui a entouré les agressions sexuelles massives de Cologne le 31 décembre 2016 et du grand malaise entourant les révélations sur le mauvais sort des femmes dans un quartier de Paris, La Chapelle-Pajol, en 2017. Avec une obstination militante, bien des journalistes ne veulent y voir que des faits divers, sans portée politique. Et, dans certains pays, on se tournera vers les tribunaux pour faire taire ceux qui ne pensent pas comme il faut.
C'est le propre d'une utopie au pouvoir que de se radicaliser au rythme où elle est désavouée par le réel. Elle s'en coupe, se réfugie dans ses slogans et diabolise ceux qui témoignent contre elle. Elle traite en parias ceux qui ne font plus semblant de croire à la version officielle du grand récit diversitaire. Mais un jour, la vérité éclate, comme si les efforts exigés pour répéter le catéchisme multiculturaliste étaient trop exigeants et n'avaient plus aucun sens. Une question d'une incroyable simplicité surgit alors, et elle nous vient de professeurs québécois: le plus grand blasphème de notre temps ne consiste-t-il pas à dire que la «diversité» n'est pas nécessairement une richesse?
* Mathieu Bock-Côté est sociologue, chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur à Radio-Canada. Parmi les livres de Mathieu Bock-Côté, signalons «Le Multiculturalisme comme religion politique» (Éditions du Cerf, 2016), salué par la critique, et «Le Nouveau Régime. Essais sur les enjeux démocratiques actuels» (Les Éditions du Boréal, 2017).

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Mathieu Bock-Côté : «Mon niqab au Canada» (27.10.2017)
Par Mathieu Bock-Côté
Publié le 27/10/2017 à 17h05
TRIBUNE - Le multiculturalisme radical vanté par Justin Trudeau réussit l'exploit de faire de ce vêtement l'étendard de la liberté individuelle et de la diversité, critique l'universitaire montréalais*, figure de la vie intellectuelle québécoise.
Le gouvernement du Québec dirigé par Philippe Couillard, vient d'adopter, le 18 octobre, une loi qui oblige ceux qui offrent ou reçoivent des services publics à le faire à visage découvert. Plusieurs voient dans cette législation, sans trop se tromper, un dispositif juridique pour limiter la présence du niqab dans l'espace public.
Le niqab est devenu un enjeu symbolique fort au Québec: est-il légitime de le proscrire ou, du moins, d'en contenir la présence dans la vie publique? Dans le contexte québécois, la loi adoptée le 18 octobre demeure minimaliste et s'inscrit dans une querelle politique s'étalant sur plus d'une décennie, pour encadrer l'expression des signes religieux ostentatoires dans la vie publique. Les partis d'opposition sont très sévères envers cette loi faiblarde, qui n'ose même pas affirmer le principe de la laïcité auxquels les Québécois sont attachés.
Depuis quelques années déjà, Justin Trudeau et une bonne partie de la classe politique canadienne voient dans leur ouverture au niqab une expression de leur supériorité morale et de la grandeur du multiculturalisme canadien
Il n'en fallut pas plus, toutefois, pour que Justin Trudeau et plusieurs représentants des provinces anglophones du Canada ne dénoncent avec une extrême sévérité la loi québécoise et se portent à la défense du niqab, à la fois au nom de la liberté religieuse et au nom du droit de la femme de se vêtir comme elle l'entend. Justin Trudeau l'a dit à sa manière: «Une société qui ne veut pas que les femmes soient forcées d'être voilées, peut-être devrait-elle se poser des questions sur ne pas forcer les femmes à ne pas porter le voile.» En d'autres mots, le niqab ne serait qu'un vêtement féminin parmi d'autres.
Chercher à l'encadrer ou le proscrire relèverait du néocolonialisme et du paternalisme. Celui qui exprime des réserves devant le niqab ne témoigne pas du simple bon sens, mais révèle bêtement ses préjugés contre la différence. La déclaration du premier ministre n'est pas surprenante. Depuis quelques années déjà, Justin Trudeau et une bonne partie de la classe politique canadienne voient dans leur ouverture au niqab une expression de leur supériorité morale et de la grandeur du multiculturalisme canadien. Trudeau pense d'ailleurs à engager une démarche pour invalider la loi québécoise.
Lors des élections fédérales de 2015, qui portèrent Justin Trudeau et le Parti libéral au pouvoir à Ottawa, les tribunaux canadiens jugèrent que, contrairement à ce que soutenait le gouvernement conservateur du moment, Zunera Ishaq, une femme d'origine pakistanaise, était en droit de prêter son serment de citoyenneté en niqab lors de la cérémonie de naturalisation en vigueur au Canada. Justin Trudeau ne fut pas le seul à applaudir cette décision de justice. Zunera Ishaq fut même présentée par certains politiciens comme unemilitante exemplaire des droits et des libertés.La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne, déclara que c'était «un honneur» de la rencontrer. Certes, ils étaient nombreux, chez les Canadiens, et surtout chez les Québécois, à se désoler de cet emballement médiatique en faveur du niqab, mais ils étaient justement invités à se réjouir que les droits des minorités ne soient pas soumis à la tyrannie de la majorité.
Il fallait un certain culot, à notre époque, pour faire du niqab l'étendard de la liberté individuelle, de l'émancipation féminine et de la diversité
Depuis, la classe politique a fait du zèle pour montrer son ouverture à l'islam le plus militant. La première ministre de l'Alberta, Rachel Notley, s'est voilée dans une vidéo pour témoigner de son respect à l'endroit de la communauté musulmane de sa province. Des ministres fédérales firent de même. On est en droit d'y voir une manifestation caricaturale du multiculturalisme, qui repose sur l'inversion du devoir d'intégration. Ce n'est plus à l'immigré de prendre le pli identitaire de la société d'accueil, mais à cette dernière de transformer ses institutions et ses mentalités pour s'accommoder à la diversité. À en croire les partisans du multiculturalisme, il faut mener sans cesse un travail de déconstruction culturelle pour permettre à la diversité de s'épanouir de manière ostentatoire.
Cela nous donne une bonne idée de la vraie nature du multiculturalisme canadien. Dans un entretien au New York Times, en décembre 2015, Justin Trudeau avait précisé sa conception du pays: le Canada serait le premier pays vraiment postnational. La formule frappait: «Il n'y a pas d'identité centrale au Canada», a-t-il déclaré. Au cœur de la citoyenneté canadienne, on ne trouve rien d'autre que le culte des droits de l'homme et le multiculturalisme qui est inscrit dans la Constitution. Le Canada prend très au sérieux l'affirmation selon laquelle nous serions tous des immigrants, ce qui, par ailleurs, le pousse à voir dans le peuple québécois une communauté culturelle parmi d'autres. On accusera les Québécois de «suprémacisme ethnique» s'ils rappellent qu'ils sont une nation et décident d'agir en conséquence.
Cet épisode politique devrait relativiser le regard enamouré que portent bien des Français sur le Canada de Justin Trudeau. Loin d'être le modèle de l'identité heureuse et de la diversité réconciliée, le Canada impose en fait le multiculturalisme au bulldozer juridique et idéologique
C'est ce que disait Justin Trudeau en 2013. Il a alors comparé la charte de la laïcité portée à l'époque par le gouvernement du Québec à… la ségrégation jadis en vigueur aux États-Unis. On devine dès lors le regard porté par les principaux promoteurs de l'idéologie canadienne sur la France, qui passe pour un contre-exemple absolu dont le modèle politique serait terriblement régressif. C'est un peu comme si la laïcité était intraduisible dans l'univers mental du multiculturalisme et des Anglo-Saxons. Devant le niqab, le Canada officiel ne veut voir qu'une manière parmi d'autres de se vêtir pour une femme. Il consent ainsi à l'instrumentalisation de sa citoyenneté par les communautarismes qui formulent leurs revendications dans le langage des droits individuels et des droits des minorités.
Cet épisode politique devrait relativiser le regard enamouré que portent bien des Français sur le Canada de Justin Trudeau. Loin d'être le modèle de l'identité heureuse et de la diversité réconciliée, le Canada impose en fait le multiculturalisme au bulldozer juridique et idéologique en ne tolérant tout simplement pas la possibilité qu'on ne s'enthousiasme pas pour lui. Il se prend même pour un modèle universel, censé inspirer la planète entière et servir de phare pour l'humanité. Il fallait un certain culot, à notre époque, pour faire du niqab l'étendard de la liberté individuelle, de l'émancipation féminine et de la diversité. Il en fallait encore plus pour diaboliser ceux qui témoignent de leur malaise devant son imposition dans l'espace public en les présentant comme des individus suspects de sentiments antidémocratiques. Le Canada l'a fait.
* Sociologue et chargé de cours à HEC Montréal. Le récent ouvrage de Mathieu Bock-Côté «Le Multiculturalisme comme religion politique» (Éditions du Cerf, 2016) a été salué par la critique.

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