mardi 11 juillet 2017

Touche pas à ma raciste ! (ces intellectuels qui soutiennent Houria Bouteldja)

« La haine raciale, n'est-ce pas un sentiment Blanc ? », nous dit Houria Bouteldja. Les tragiques événements qu'a connu fin mars la ville de Béchar dans le Sud algérien où des centaines de migrants noirs ont été physiquement attaqués viennent jeter une lumière crue sur cette fable. Ce n'est hélas pas la première fois, à tel point que le journal algérien El Watan croit bon d'avertir les lecteurs de la façon suivante : « El Watan a décidé de suspendre provisoirement l’espace réservé aux réactions des lecteurs, en raison de la multiplication de commentaires extrémistes, racistes et insultants. »



L’art de tordre les mots et les idées est devenu un sport de haut niveau qui peut mener à tout, y compris à défendre une raciste décomplexée tout en se prétendant de gauche. A preuve le texte publié dans Le Monde sous le titre : « Vers l’émancipation, contre la calomnie. En soutien à Houria Bouteldja et à l’antiracisme politique », signée de quelques étoiles filantes de l’intelligentsia (*).
Tout est parti d’un article fort documenté de Jean Birnbaum publié dans Le Monde des idées, intitulé : « La gauche déchirée par le racisme antiraciste ». L’auteur y analysait la dérive ethno-différencialiste d’une partie de la gauche ayant rompu avec l’utopie universaliste pour voir dans le Blanc l’ennemi absolu, et dans toute critique de l’islam et de ses dérives le signe extérieur d’un racisme caché.
Dans sa recension, fort logiquement, Jean Birnbaum relevait le rôle notable de Houria Bouteldja, égérie des « Indigènes de la République », auteure du livre Les Blancs, les Juifs et nous, où elle franchit la ligne jaune du racisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie avec une maestria qui n’a d’égale que la prétention de sa logorrhée. 
Liens : 
A propos de « Les Blancs, les Juifs et nous », Houria Bouteldja (La Fabrique, 2016)






"Ce livre abject défend les idées les plus réactionnaires, à commencer par un antisémitisme nauséeux (« Vous les Juifs […] je vous reconnaîtrais entre mille, votre zèle est trahison. »), une homophobie assumée, une exaltation de « la redoutable et insolente virilité islamique » (sic), et une prise de position contre le féminisme, dénoncé comme une exportation blanche : « Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes blanches. […] J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. »
Ces propos devraient suffire, lorsque l’on est communiste révolutionnaire, à s’interdire de faire tribune commune avec ceux qui les profèrent et qui sont pour nous ni plus ni moins que des ennemis politiques."
(Lutte de classe, n°181 - février 2017)



Liens : 
A propos de « Les Blancs, les Juifs et nous », Houria Bouteldja (La Fabrique, 2016)


























































































Touche pas à ma raciste ! (ces intellectuels qui soutiennent Houria Bouteldja)

L’art de tordre les mots et les idées est devenu un sport de haut niveau qui peut mener à tout, y compris à défendre une raciste décomplexée tout en se prétendant de gauche. A preuve le texte publié dans Le Monde sous le titre : « Vers l’émancipation, contre la calomnie. En soutien à Houria Bouteldja et à l’antiracisme politique », signée de quelques étoiles filantes de l’intelligentsia (*) .
Tout est parti d’un article fort documenté de Jean Birnbaum publié dans Le Monde des idées, intitulé : « La gauche déchirée par le racisme antiraciste ». L’auteur y analysait la dérive ethno-différencialiste d’une partie de la gauche ayant rompu avec l’utopie universaliste pour voir dans le Blanc l’ennemi absolu, et dans toute critique de l’islam et de ses dérives le signe extérieur d’un racisme caché.
Dans sa recension, fort logiquement, Jean Birnbaum relevait le rôle notable de Houria Bouteldja, égérie des « Indigènes de la République », auteure du livre Les Blancs, les Juifs et nous, où elle franchit la ligne jaune du racisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie avec une maestria qui n’a d’égale que la prétention de sa logorrhée.
C’était le nom à ne pas citer. On ne touche pas à Houria Bouteldja sans riposte immédiate.
Quelques soldats perdus de la lutte pour l’émancipation ont donc pris la plume pour signer dans Le Monde ce texte ahurissant d’allégeance à une dame qui a exposé son racisme au vu et au su de tous. Et de nous expliquer que le livre de la dame est « important, complexe et tiraillé », que sa pensée est « en avance sur son temps » (c’est inquiétant pour l’avenir), que ce déchaînement est « insupportable », même si les signataires susdits affirment ne pas se retrouver « dans tous ses arguments ni toutes ses positions » (sans que l’on en sache plus sur le sujet, ce qui est dommage).
Pour notre commando de chasseurs de tête, l’important n’est pas là. L’important, c’est l’attaque contre « l’antiracisme dans son ensemble », alors que « la haine qu’Houria Bouteldja suscite est à la mesure de son courage ». Voilà. On peut donc défendre une raciste au nom du combat antiraciste. On peut saluer le « courage » d’une personne attachée à son identitarisme comme une huître à son rocher.
Dernier exemple en date de ce « courage » hors norme : la réaction de la cheftaine des « Indigènes » à l’inauguration en Allemagne d’une mosquée ouverte aux femmes non voilées et aux homosexuels. Un double crime à ses yeux. L’événement a eu lieu en présence de l’Américano-Malaisienne Ani Zonneveld, l’une des rares femmes imams dans le monde. A cette occasion, Seyran Ates, avocate allemande et militante des droits des femmes, connue pour avoir prôné une révolution sexuelle de l’islam, a lancé : « Nous voulons lancer un signal contre la terreur islamiste et le détournement de notre religion ». En réponse, Houria Bouteldja a signé sur Facebook un doux commentaire significatif de son sens de la poésie et de son ancrage indéfectible dans le fondamentalisme pur et dur : « Il ne s'agit que de l'agression vulgaire d'une civilisation qui tient à préserver son hégémonie sur ses éternels indigènes… »
Généralement, les membres du fan club de Houria Bouteldja se revendiquent du combat antifasciste, au point parfois de déceler la « bête immonde » à chaque coin de rue. En temps ordinaire, ils traquent le « dérapage » verbal comme d’autres le moustique pendant une chaude nuit d’été. Ils voient le fascisme revenir chaque matin. Ils soupèsent le moindre mot de Marine Le Pen ou de l’un de ses sbires pour y déceler la dérive annonciatrice de la nuit des longs couteaux.
Au vu d’une telle obsession, on pourrait penser que ces veilleurs de la démocratie seraient les premiers à dénoncer une dérive identitaire en tout point comparable à celle du FN, sauf qu’elle est à front renversé. Eh bien non. Dès lors que la parole raciste est portée par une voix se réclamant des présumés opprimés d’hier, d’aujourd’hui et de demain, elle est parfaitement recevable.
Moralité : de même qu’il y a le bon et le mauvais cholestérol, il y a le bon et le mauvais racisme.
* Ludivine Bantigny (historienne), Maxime Benatouil (co-président de l’Union juive française pour la paix), Judith Bernard (metteure en scène et journaliste), Déborah Cohen (historienne), Thomas Coutrot (économiste), Christine Delphy (sociologue et militante féministe), Annie Ernaux (écrivaine), Fabrice Flipo (philosophe), Isabelle Garo (philosophe), Eric Hazan (éditeur et écrivain), Stathis Kouvelakis (philosophe), Philippe Marlière (politiste), Dominique Natanson (co-président de l’Union juive française pour la paix), Olivier Neveux (universitaire), Ugo Palheta (sociologue), Geneviève Rail (universitaire, Simone de Beauvoir Institute and Womens Studies, Canada), Catherine Samary (économiste), Michèle Sibony (Union juive française pour la paix), Isabelle Stengers (philosophe), Julien Théry (historien), Rémy Toulouse (éditeur).



Vers l’émancipation, contre la calomnie. En soutien à Houria Bouteldja et à l’antiracisme politique

Dans une tribune au « Monde », une vingtaine d'intellectuels réagissent à l’article « La gauche déchirée par le racisme antiraciste » publié le 10 juin.
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Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République, auteure de « Les Blancs, les Juifs et nous » (La Fabrique).

TRIBUNE. Dans le supplément « Idées » daté samedi 10 juin, Jean Birnbaum consacre un article au « malaise croissant dans le mouvement social » face à « l’usage militant des notions comme la “race ou l’“islamophobie ». Il y rapporte des propos tenus ici ou là sur les Indigènes de la République et, au-delà, sur l’antiracisme décolonial et politique.
Dans ces allusions, une nouvelle fois, Houria Bouteldja est la cible privilégiée des accusations les plus insensées, qui sont autant de calomnies : racisme, antisémitisme, homophobie… Il semble décidément que ses contempteurs n’aient pas lu son livre Les Blancs, les Juifs et nous [La Fabrique, 2016], se soient arrêtés à son titre sans le comprendre ou à quelques extraits cités à contre-emploi.
La quantité de mélanine présente dans nos peaux, toute dérisoire et arbitraire qu’elle soit, nos origines, cultures, religions ou non, la longue histoire de la colonisation, créent des privilèges et des dominations, conscientes ou non
L’ouvrage de Pap Ndiaye, La Condition noire [Calmann-Lévy], paru en 2008, n’avait pas fait couler tant d’encre amère. Tout au contraire, il avait été érigé en force intellectuelle du moment. Il montrait que la couleur de peau constitue dans nos sociétés un facteur de différenciation, de disqualification sociale et de discrimination. Il contribuait par là à articuler classe et race, après des décennies marquées par l’illégitimité du sujet. L’accueil chaleureux réservé dans les médias à Pap Ndiaye pourrait-il s’expliquer parce qu’il parlait de Noirs ? Pourtant, s’il y a des Noirs, c’est nécessairement qu’il y a des Blancs. Les Blancs veulent rarement être nommés tels, n’entendent pas voir ce que renvoie ce miroir. Ce ne sont là que des constructions historiques et sociales, mais elles pèsent. Les ignorer empêche de les combattre. La quantité de mélanine présente dans nos peaux, toute dérisoire et arbitraire qu’elle...



En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/19/vers-l-emancipation-contre-la-calomnie-en-soutien-a-houria-bouteldja-et-a-l-antiracisme-politique_5147623_3232.html#kaHZilF6smurja6y.99





























Houria Bouteldja ou le racisme pour les nuls

Quand la porte-parole du parti des Indigènes de la République décerne des permis de discrimination anticommunautaires selon des critères pour le moins communautaristes. Sidérant.
Détourner un avion est spectaculaire et dangereux. Détourner des valeurs est moins spectaculaire, mais tout aussi dangereux. Tel est l'exercice auquel se livre Houria Bouteldja, égérie des Indigènes de la République, dans son dernier ouvrage, les Blancs, les Juifs et nous, petit bréviaire de l'antiracisme détourné en racialisme décomplexé.
Pour ce genre d'exercice, mieux vaut avoir des parrains. On se référera donc à Sartre. Attention ! Pas n'importe quel Sartre, mais celui justifiant les attentats de Septembre noir contre l'équipe israélienne participant aux jeux Olympiques de Munich, en 1972 (11 morts). On invoquera alors le principe selon lequel le terrorisme est, certes, une arme terrible, mais nécessaire quand les opprimés n'en ont pas d'autres, argument qui peut servir en d'autres occasions, encore plus sanguinaires. Bravo, donc, à Jean-Paul Sartre, cet homme qui a osé être "un traître à sa race", celle des Blancs - les Blancs racistes, s'entend, ce qui est une tautologie.
Evoquant cet enfer hexagonal, on administrera une leçon condescendante aux juifs
On se réclamera également de Jean Genet, qui s'est réjoui de la débâcle française en juin 1940. Genet est formidable, car "il s'en fout, de Hitler". Lui, au moins, va à l'essentiel : la primauté du conflit de race sur le conflit de classe, invariant structurel qui désigne l'ennemi, "le peuple blanc, propriétaire de la France". Evoquant cet enfer hexagonal, on administrera une leçon condescendante aux juifs. On les accusera de prétendre s'intégrer dans le royaume du "racisme républicain" où le "philosémitisme béat" est "le dernier refuge de l'humanisme blanc"On niera évidemment toute forme d'antisémitisme (comment pourrait-on penser une chose pareille ?).Mais on rappellera avec des mots choisis que "pour le Sud, la Shoah est - si j'ose dire - moins qu'"un détail"". Sans illusions, on sommera les juifs de se libérer de "l'Etat-nation français et de l'Etat-nation israélie", ce qui est tout un programme.
Pour mettre les points sur les i, on écrira : "J'appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l'Algérie, à l'islam." Dont acte. Pour défendre "nos frères", on ira jusqu'à tenir des propos d'une ambiguïté raffinée sur les droits des homosexuels et sur le féminisme, causes forcément douteuses puisque défendues par des "démocrates blancs". Pour les gays, on rappellera une formule vieille comme le monde, mais qui conserve une fraîcheur intacte : "Nos hommes ne sont pas des pédés." A contrario, on célébrera "la puissance virile de nos hommes" (des vrais, eux).
S'agissant du féminisme, on expliquera qu'il "fait partie des phénomènes européens exportés", autrement dit des marchandises avariées dont il faut se méfier. Histoire de montrer jusqu'à quelles extrémités peut conduire la logique communautariste, on évoquera le cas d'une femme noire violée par un homme noir à qui l'on demande pourquoi elle n'a pas porté plainte. Réponse de cette dernière : "Je ne pouvais pas supporter de voir un homme noir en prison." Un Blanc qui viole une Noire, c'est un crime raciste. Un Noir qui viole une Noire, c'est une affaire de famille.
Pour conclure, on fera le rappel religieux nécessaire en ce pays menacé par une "impiété collective". En effet, Allah "échappe à la raison blanche", alors que, "de sa foi, l'indigène tire sa puissance". Il sait qu'il lui faut condamner "les théories blasphématoires". On précisera même au cas où certains n'auraient pas compris : "Répétons-le autant que nécessaire : Allahou Akbar ! Détournons Descartes et faisons descendre tout ce qui s'élève."
Voilà. On aura rempli sa mission. On pourra ensuite se regarder dans la glace sans être tenté de l'essuyer, ce qui serait pourtant le seul geste salutaire.
*Les Blancs, les Juifs et nous, de Houria Bouteldja, La fabrique, 140 p., 9 €.


























La gauche déchirée par le « racisme antiraciste »

Analyse. L’usage militant de notions comme « la race » ou l’« islamophobie » suscite un malaise croissant dans le mouvement social.
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« Nedjib Sidi Moussa s’étonne que des militants anarchistes puissent reprendre tel quel un mot d’ordre comme celui de la « lutte contre l’islamophobie », alors qu’il sert d’étendard à des islamistes en France. »


De mémoire anarchiste, ce fut une soirée plus agitée que les autres. Le 28 octobre, à Marseille, la librairie Mille Bâbords fut le théâtre d’une bagarre inédite. Un débat organisé sur le thème « S’opposer au racialisme » fut interrompu, non par les habituels « nervis fascistes » mais par… d’autres libertaires !

Après avoir provoqué un tohu-bohu dans le local, une trentaine d’activistes se présentant comme des « personnes racisées » diffusèrent un tract qui mettait en garde les « anti-racialisateurs » et autres « petits gauchistes blancs de classe moyenne » « Nous saboterons toutes vos initiatives », prévenaient les auteurs dudit tract, qui venaient déjà de joindre la pratique à la théorie, puisque les tables avaient été retournées, les livres éparpillés, des boules puantes lancées et une vitrine brisée…

Encore sonnés par les gifles qu’ils venaient de recevoir, des militants protestaient : parce que nous refusons de parler de race, voilà qu’on nous traite de racistes ! A l’initiative de cette réunion se trouvaient en effet des libertaires inquiets de voir nombre de leurs camarades substituer la question raciale à la question ­sociale.

Intitulé « Jusqu’ici tout va bien », le texte censé nourrir la discussion disait ceci :
« Ironiquement, aujourd’hui, refuser les termes de “race” ou d’“islamophobie” expose à l’infamante accusation de racisme, visant à étouffer ainsi toute possibilité de débats, de critiques et de refus. Certains anarchistes en sont rendus à proscrire le slogan “Ni dieu ni maître” sous prétexte d’islamophobie et certains marxistes pensent que pour être antiraciste, il est urgent d’ajouter la race à la classe. » 
Malaise

Apparemment anecdotique, cet épisode n’en révèle pas moins le malaise que suscite, dans une partie de plus en plus large de la gauche, non seulement l’utilisation de notions comme celles de « races » ou d’« islamophobie », mais aussi des initiatives visant...

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/09/la-gauche-dechiree-par-le-racisme-antiraciste_5141086_3232.html#MjYqZSmXyD5HfHyt.99







A propos de « Les Blancs, les Juifs et nous », Houria Bouteldja (La Fabrique, 2016)






Porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR), Houria Bouteldja vient de sortir un ouvrage qui oscille entre prise de position personnelle, le Je  étant omniprésent mais aussi manifeste collectif des « Indigènes » comme le souligne le Nous du titre.
Volontairement provocateur, ce qui est dans les habitudes de l'auteure et du PIR en général, ce titre aura atteint son but : faire parler et écrire (et, accessoirement, vendre).
Ivan Segré vient d'en faire une longue analyse1 qui, outre son érudition, a le mérite de faire sourire car il ne manque pas d'humour, même sur des sujets aussi sérieux. Il fait notamment un long et passionnant développement sur le point central du titre, qui se trouve aussi être le centre de l'analyse de HB, pour ne pas dire son obsession : les Juifs.
Pour ma part, je me contenterai d'aborder certains points : la construction d'un Roman décolonial  miroir d'un Roman national qu'affectionne la droite ; l'idée centrale de responsabilité collective du Blanc ; le relativisme culturel camouflé en authenticité indigène pour finir en essayant comprendre à quoi renvoie la haine de Bouteldja pour Sartre..
Le Roman décolonial ou l'Histoire malmenée
Marx nous disait que l'histoire de l'humanité, c'était l'histoire des luttes des classes. Bouteldja nous dit que c'est l'histoire des Blancs asservissant les Autres, les colonisés. Qui est donc le Blanc ? Il est le produit de l'histoire occidentale qui commence en 1492 quand la race blanche s'auto-invente à partir de la traite des Noirs, nous explique-t-elle.
« Ils nous disent 1789. Répondons 1492 ». Loin de moi l'idée de nier l'importance symbolique de l'arrivée de Christophe Colomb sur l'île d'Hispanolia. Mais est-il bien sérieux de faire commencer l'histoire de l'humanité à cette date ? Où est donc passé l'Empire Ottoman ? Et le grand mouvement de conquête de l'Islam ? Et l'empire chinois qui faisait alors jeu égal avec l'Occident ? Et l'Inde ? Disparus.
Du coup, disparu l'esclavage oriental pratiqué dans toute l'Afrique et le Moyen-Orient arabe, toute la Méditerranée. Disparue, la traite arabe dans l'Océan indien. Pourtant, cet esclavage que l'on nomme « oriental », par opposition à l'esclavage transatlantique qui va suivre l'expansion européenne en Amérique, s'est développé à partir du VIe siècle et perdurera jusqu'au milieu du XXe siècle.
En revanche, si l'esclavage de ne fut pas l'apanage des seuls Blancs, la colonisation ne fut-elle pas l'oeuvre des Blancs sur les peuples indigènes ?
Là encore, ce n'est pas si simple car il se trouve que des Blancs ont colonisé des Blancs et que des Non-blancs ont colonisé des Non-Blancs.
Rappelons que le projet nazi de construction d'un monde nouveau passait par la colonisation de l'Est européen, Pologne et Russie en premier lieu, incluant la mise en esclavage des populations de ces régions. Par ailleurs, il y a une grande absente dans l'Histoire racontée par HB : l'Asie. Juste pour mémoire, le Japon a colonisé la Corée dès 1912, a envahi la Chine à partir de 1931, puis tout le reste de l'Asie à partir de 1941, mettant sous sa férule des peuples entiers et laissant derrière lui des millions de morts pour un projet qui présentait bien des traits communs avec le nazisme. Et terrible ironie de l'histoire, les peuples d'Asie avaient salué comme une victoire sur l'Occident, la défaite de la Russie face au Japon en 1905. Ils apprirent dans le sang que l'impérialisme asiatique n'avait rien à envier à celui des Blancs...
Enfin, cette année nous commémorons le centenaire du soulèvement des Irlandais contre la couronne britannique, parfait exemple de colonisation européenne en Europe.
Entendons-nous bien. Le but n'est pas de dire : « c'est Eux qui ont commencé, pas Nous » ou « Y'a pas que nous attention !» Mais si l'on veut analyser et comprendre des phénomènes historiques, l'esclavage, la colonisation, si l'on veut en guérir les séquelles, on ne commence pas par falsifier l'histoire pour la faire coller à un récit décolonial  binaire de Bons (les non-Blancs) et de Méchants (Les Blancs).
Il est d'ailleurs, assez paradoxal de voir combien HB se cale sur une histoire « européocentrée » dans ses repères, 1492 étant pour elle la date pivot. Or de plus en plus se développe une historiographie qui se veut globale, qui décentre le regard pour le faire porter par exemple sur l'Asie, et qui étend à l'ensemble du monde des notions que l'on pensait spécifiques à l'Europe ou l'Occident.2
« Ne prenez pas garde à mon teint noir : c'est le soleil qui m'a brûlée. » (Cantique des Cantiques)
Quant à la supériorité de la « blanchité » (sic), elle est loin d'être l'apanage des Blancs entendus comme les Occidentaux, héritiers de 1492. Là encore, si Bouteldja regardait l'Asie, elle verrait que la peau blanche est le marqueur de classes dominantes parfaitement indigènes. Il en va ainsi en Inde où les castes supérieures sont blanches et où la peau est de plus en plus foncée au fur et à mesure que l'on descend dans l'échelle des castes. Avoir un teint clair y est une véritable obsession. Même phénomène au Japon ou en Chine. Rien de colonial là-dedans. Dans des sociétés fondamentalement paysannes, le teint pâle marque celui qui ne travaille pas dehors3, alors que les paysans portent dans la couleur de leur peau, la dureté de leur vie. La couleur est ici un marqueur social : chassez la lutte des classes, elle revient au galop...
Pour finir, pointons un autre disparu  du Roman décolonial  : le stalinisme. Pas tout à fait innocent quand on sait d'une part, que nombre de mouvements de libération en ont hélas intégré les pires traits, à l'instar du FLN algérien ou, plus récemment de l'ANC sud-africaine, et d'autre part que le stalinisme fut un des premiers, dans les années 50, à travestir son antisémitisme sous le vocable de l'antisionisme.
Responsabilité collective héréditaire
Ce caviardage de l'histoire qui fait du récit décolonial  une fable-miroir du Roman national cher à la droite et l'extrême-droite ne présenterait que peu d'intérêt s'il ne dissimulait autre chose.
« Je vous le concède volontiers, vous n'avez pas choisi d'être blancs. Vous n'êtes pas vraiment coupables. Juste responsables ».
Voici la clé du raisonnement de Bouteldja : la responsabilité collective héréditaire.
Ainsi, les êtres humains ne sont-ils plus responsables de leurs actes, bons ou mauvais, mais ils se voient chargés en bloc de fautes ou de crimes, vrais ou inventés, commis par leurs ancêtres, réels ou supposés. Or, autant il convient de donner une responsabilité collective à des institutions, à une collectivité et a fortiori à un Etat, il est clair qu'étendre cette responsabilité à l'ensemble des individus qui les composent est une dérive dont les conséquences sont incalculables, même si le passé nous en a donné quelques exemples. Ainsi, s'il est du devoir de l'Etat français par la voix de ses plus hautes instances de se confronter à son passé colonialiste et, par exemple, de présenter ses excuses aux peuples qui furent soumis, comme l'ont fait d'autres pays, cette responsabilité ne retombe pas sur chaque citoyen individuellement. Même, insistons sur ce point, même si sa famille, directe ou indirecte fut compromise dans ces actes.
De plus, cette notion de responsabilité collective individuelle, prend en France une teinte spécifique. En effet, contrairement à d'autres pays européens, la France est un pays d'immigration depuis plus d'un siècle et demi. Belges, Italiens, Arméniens, Espagnols, Polonais, Portugais ont massivement précédé l'immigration coloniale puis post-décolonisation des Marocains et Algériens, les gros bataillons de l'Afrique subsaharienne étant finalement récents si l'on prend ces mouvements dans la longue durée.
Dans le récit décolonial de Bouteldja, cette immigration a elle aussi disparu « En Europe (…) le patronat ira en chercher (des bras) au Maghreb, en Afrique Subsaharienne et aux Antilles ».
Disparus de l'histoire, ces immigrés ou réfugiés européens se retrouvent au même banc des accusés que leurs camarades ouvriers, dans la catégorie Blancs : « Au-dessus de moi, il y a les profiteurs blancs. Le peuple blanc propriétaire de la France : prolétaires, fonctionnaires, classes moyennes ».
Plus de classes sociales, plus d'exploiteur ou d'exploités : La blanchité unit le chômeur et le PDG qui l'a licencié. Si c'est le propre même du racisme que de construire de fausses alliances de ce genre, n'est-ce pas justement notre but que de prendre en même temps ces discriminations collectives et de viser à unir, par la lutte des classes, ceux que le capitalisme préfère désunis ?
L'histoire n'est pas finie. Aujourd'hui, à l'immigration post-décolonisation, s'ajoutent les derniers entrants, venus ni d'Europe, ni des anciennes colonies françaises mais d'Asie, Chine ou sous-continent indien pour la plupart. Ce sont les employées chinoises4 des ongleries et des tristes salons de massage ou les Tamouls des arrière-cuisines de restaurants. Bien qu'ils soient absents du récit de Bouteldja, il faudra pourtant les intégrer dans nos raisonnements car ces mouvements de populations ne sont pas prêts de tarir avec par exemple une Chine qui annonce des millions de licenciements.
Si les classes sociales ne sont pas homogènes, si elles sont bel et bien traversées par des différences et des conflits, de genre, de races, mais aussi d'âge, de qualification.... elles n'en tracent pas moins des frontières entre ceux qui possèdent et les autres. Malgré les difficultés rencontrées, nul ne peut nier qu'il existe aujourd'hui une fraction significative de l'émigration post-décolonisation qui appartient sinon aux classes dominantes, du moins aux « classes moyennes supérieures » qui se pensent, à juste titre, comme faisant partie de ces classes dominantes. Le meilleur symbole, et non le seul, c'est la présence au sein de ce gouvernement de trois ministres issus des minorités originaires du Maghreb. Et parmi eux, l'auteur d'une loi visant à détruire le code du travail, Myriam El Khomri5.
Les Indigènes, les Juifs et quelques autres
« La haine raciale, n'est-ce pas un sentiment Blanc ? », nous dit HB. Les tragiques événements qu'a connu fin mars la ville de Béchar6 dans le Sud algérien où des centaines de migrants noirs ont été physiquement attaqués viennent jeter une lumière crue sur cette fable. Ce n'est hélas pas la première fois, à tel point que le journal algérien El Watan7 croit bon d'avertir les lecteurs de ses versions en ligne de la façon suivante : « El Watan a décidé de suspendre provisoirement l’espace réservé aux réactions des lecteurs, en raison de la multiplication de commentaires extrémistes, racistes et insultants. »
Si Bouteldja se gargarise avec Fanon, Malcom X, Baldwin et autres, l'Indigène réellement existant ne semble guère l'intéresser. Un passage de son ouvrage est assez significatif sur cette question.
Bouteldja aime Genet car il a salué la victoire d'Hitler sur la France. « Il y a comme une esthétique dans cette indifférence à Hitler. Elle est vision. Fallait-il être poète pour atteindre cette grâce ? » s'extasie-t-elle. Il aurait fallu poser cette questions aux milliers de tirailleurs sénégalais assassinés, souvent de façon effroyable, en 1940 par les Allemands au mépris des conventions sur les prisonniers de guerre8. Hitler les poursuivait de sa haine depuis l'occupation de la Ruhr en 1923 par les troupes françaises, dont de nombreuses unités africaines. Les nazis fantasmèrent un viol massif des femmes blanches par ces troupes coloniales. Cette affaire sans base aucune fut nommée par les nazis « la honte noire ». Et pendant que Genet frétillait à la victoire d'Hitler, Bouteldja frétillant en écho, il s'est trouvé un Blanc pour refuser de légitimer ces meurtres. C'était le préfet d'Eure-et-Loire, un certain Jean Moulin, qui tenta de se suicider plutôt que d'accuser les tirailleurs de crimes imaginaires. Ce épisode de l'histoire est à mon sens révélateur des vrais sentiments de Bouteldja sur les Indigènes. N'appelle-t-elle pas les Juifs « les tirailleurs sénégalais » de l'impérialisme ?
Comme je l'ai dit, je ne m'étendrai pas sur cette partie de l'ouvrage de Bouteldja finement analysée par Yvan Segré. Juste deux remarques. La première c'est que les premières codifications raciales au sens moderne du terme datent d'avant 1492 et qu'elles concernaient... des Juifs. En effet, nombre d'historiens datent de 1449 les premières mesures de Limpieza de sangre, c'est-à-dire de pureté de sang concernant les juifs convertis de gré ou de force au fur et à mesure de l'avancée de la Reconquista en Espagne. Ces lois, qui ne cesseront de se durcir, visaient à interdire à ceux qui n'étaient pas des vieux chrétiens, c'est-à-dire qui étaient des convertis, certains emplois ou fonctions, alors même qu'en théorie, le baptême est l'unique clé pour entrer dans la communauté chrétienne.
Par ailleurs, Bouteldja serait un peu plus crédible dans sa proclamation d'amour aux Juifs si elle avait un mot de regret même hypocrite pour les assassinats qui, d'Ilan Halimi à l'hyper-cacher en passant par Merah, ont frappé des civils juifs.
Il serait faux d'y voir un oubli de plus : l'idée-force d'une responsabilité collective héréditaire fait de tout Juif un « complice du sionisme » et légitime les assassinats de civils, partout dans le monde. Voilà qui explique les attentats antisémites commis sur notre sol depuis celui contre la synagogue de Copernic en 1980.
Certains Damnés de la Terre sont plus égaux que d'autres...
« Quant à nous, l'antisionisme est notre terre d'asile. Sous son haut patronage, nous résistons à l'intégration par l'antisémitisme tout en poursuivant le combat pour la libération des damnés de la Terre. » Oublions le pathos pompeux et regardons le fond. Qui sont donc ces damnés de la Terre d'aujourdhui ? Les Syriens, bombardés par Assad, affamés par le Hezbollah et les Iraniens ? Elle ne les évoque même pas. Les réfugiés qui fuyant les guerres affluent en Europe quitte à perdre la vie dans cette nouvelle épreuve ? Pas un mot.
Alors, son combat est-il celui des peuples soulevés par les Printemps arabes ? Pas un mot de compassion même convenue pour les Egyptiens ou les Tunisiens devant faire face au terrorisme.
En revanche, Bouteldja nous raconte en se pâmant son émotion devant « l'Indigène arrogant» Ahmadinejad niant l'existence d'homosexuels en Iran : « Il y a des gens qui restent fascinés longtemps devant une œuvre d'art. Là ça m'a fait pareil. Ahmadinejad, mon héros ». Il est assez farce de voir l'Iran classé chez les Indigènes, pays si fier de son empire millénaire et de n'avoir jamais été colonisé. Soyons mauvaise langue : ne serait-ce pas parce qu' Ahmadinejad fut en pointe dans le combat « antisioniste » que Bouteldja a pour lui les yeux de Chimène ? Un Indigène d'honneur en quelque sorte.
Seuls les Palestiniens trouvent grâce à ses yeux. Enfin, presque. Les Palestiniens du camp de Yarmouk en Syrie, assiégés par et l'Etat islamique et par le Hezbollah n'ont pas cette chance. Un Palestinien ou plus largement un Arabe souffrant n'a d'intérêt que s'il est opprimé par Israël, ou a minima par l'impérialisme. Autrement, c'est un détail de l'Histoire qui comme chacun sait, ne fait pas d'omelettes sans briser les œufs.
Dieu, la Famille et la Patrie...
Je ne résiste pas au florilège :
« J'appartiens à ma famille, à mon clan, à ma race, à l'Algérie, à l'Islam ».
« Le mâle indigène défendra ses intérêts d'homme. Sa résistance sera implacable : « Nous ne sommes pas des pédés ! »
« Le féminisme fait partie des phénomènes européens exportés »
« Il faudra deviner dans la virilité testostéronée du mâle indigène, la part qui résiste à la domination blanche »
«Les hommes, ces héros, les femmes ces Pénélopes loyales ».
« Non, nos hommes ne sont pas des pédés ! » Nous disent-elles. La boucle est bouclée ».
« Qui est cet être humain (...) qui dérobe corps et chevelure aux regards concupiscents ».
« Le combat consiste à faire redescendre ceux qui commettent le sacrilège de s'élever au niveau de Dieu ».
« Jusqu'au début des années 1980, sous les cieux protecteurs de la République française, le sionisme se portait comme un charme et coulait des jours heureux. Il se baladait dans les boulevards ».
Cette apologie de la famille, de la Race, de la Femme, de la virilité, c'est beau comme du Zemmour non ? Pour la dernière phrase, c'est plutôt beau comme du Drumont.
En laissant de côté le goût personnel de Bouteldja pour les hommes virils qui, après tout la regarde, penchant-nous sur sa théorie du féminisme, comme phénomène blanc exporté chez les Indigènes pour les castrer symboliquement quand ce n'est pas physiquement.
« Le droit du travail est-il universel et intemporel, un passage obligé pour prétendre à la libération, à la dignité et au bien-être ? Je ne crois pas ». « Je n'ai jamais demandé un code du travail. Je n'y ai même jamais pensé. Pour moi, le droit du travail, c'est comme du chocolat, un luxe ». J'ai bien entendu remplacé ici féminisme employé par Bouteldja par droit du travail dont nous parlons beaucoup en ce moment.
Qui, prétendant oeuvrer à la libération des plus pauvres, aurait l'outrecuidance de dire que l'amélioration des conditions de travail ce n'est pas pour les pays du Sud ? Que le syndicalisme, c'est l'affaire des Blancs. Et pourtant, le syndicalisme a été « inventé » et s'est développé sous la forme que nous connaissons d'abord en Occident.
Voici 60 ans, la stalinienne Jeannette Vermeersch, épouse de Maurice Thorez, déclarait quand le planning familial fut créé : « La maternité volontaire est un leurre pour les masses populaires et c'est une arme entre les mains de la bourgeoisie contre les lois sociales » et elle ajoutait : « Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais ».  Remplacez travailleuses par Indigènes et bourgeoisie par Blanches et le tour est joué...
Rien de nouveau sous le soleil donc.
Vous chercherez en vain chez Bouteldja la moindre phrase d'appui aux luttes des femmes en Algérie, en Tunisie, en Afrique... Quand on écarte le pathos, elle rejoint l'idéologie la plus réactionnaire : « (les Blancs) ont oublié ce qu'ils étaient avant d'avoir été engloutis par la modernité. Ils ne se souviennent plus du temps où ils avaient encore des cultures, des chants, des langues régionales, des traditions. Nous c'est différent. Nous conservons cette mémoire. D'où notre attachement à la famille et à la communauté ». Et de nous gratifier d'une série de Allahou Akbar extatiques...
Qui, écoutant un tel Credo, peut s'étonner que des islamistes aient rejoint les catholiques les plus réactionnaires dans les « Manifs pour tous » au nom de la famille et de la tradition ?
Cet attachement « au clan et à la race », c'est aussi ce qui légitime la répression contre ceux qui osent revendiquer des libertés prétendument occidentales notamment la liberté de penser, de croire... ou de ne plus croire. « Apostats » donc traîtres ils risquent au mieux l'ostracisme, au pire leur vie9. L'individu se voit ainsi assigné à une identité obligatoire. Si l'on suit ce raisonnement, pourquoi reprocher à la Grèce de refuser le multiculturalisme en arguant de son identité chrétienne orthodoxe qu'elle a dû défendre contre l'impérialisme ottoman musulman ? La constitution interdit encore aujourd’hui la construction de mosquées dans ce pays… Et je ne parle pas de l'imbécillité d'un Chevènement justifiant le manque de libertés démocratiques en Russie par les traditions de ce pays !
Sartre, Bouteldja et les Marsiens
Bouteldja voue une haine particulière à Sartre. Le première partie de son ouvrage s'intitule « Fusillez Sartre !». Ce fut le cri de guerre de l'extrême-droite pendant la guerre d'Algérie quand Sartre, dans sa fameuse préface aux Damnés de la Terre de Franz Fanon disait : « Abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé. Restent un homme mort et un homme libre ».10
Si la droite hurla, certains à gauche se contentèrent de rire à ces mâles accents meurtriers. Sartre, disaient-ils, essaie de faire oublier qu'il fit partie pendant la Seconde Guerre mondiale, de ces millions d'attentistes, ni salauds ni héros. A l'inverse de ses camarades « ulmards » Jean Cavailles ou Georges Canguihlem passés à la clandestinité ou son rival Raymond Aron qui rallia la France Libre en 1940, Sartre se contenta de vivre, d'écrire et de se faire représenter au théâtre. Pas de compromission honteuse mais pas de quoi pavoiser. En gros, Sartre aura été un de ces résistants de la 25e heure qui sont souvent ensuite les plus intransigeants.
En Algérie, on les appelle les Marsiens. Ce sont les combattants qui se sont réveillés à partir du 19 mars 1962 et qui furent dans les premiers à réclamer vengeance et à crier plus fort que les autres pour faire oublier leur attentisme.
Pourquoi Bouteldja veut-elle fusiller Sartre ? Car il n'a pas été jusqu'au bout : « Pour exterminer le Blanc qui le torture, il aurait fallu que Sartre écrive : Abattre un Israélien, c'est faire d'une pierre deux coups (…) Se résoudre à la défaite ou la mort de l'oppresseur fut-il juif. C'est le pas que Sartre n'a pas su franchir ».
Comme Sartre, Bouteldja fait partie des Marsiens. Entre auto-apitoiement, « Je suis une victime », éructations creuses « L'amour et la paix ont un prix. Il faut le payer », trémolos dans la voix « La parole des colonisés est dense. Elle est puissante. Elle ne ment pas » Bouteldja nous dit ce qu'elle est : une Indigène de salon. Qui clame son amour unique et inconditionnel de l'Algérie, qui pleure tous les jours que Dieu fait son mal du pays... mais qui a son rond de serviette chez Taddei.
Bouteldja fait partie de ces Marsiens de l'extérieur, plus algériens que les Algériens. Une race honnie par ces derniers. Car ils doivent quotidiennement vivre entre un pouvoir agonisant et la peur que revienne la décennie noire. Quand les Algériens voient la momie en fauteuil roulant qui leur sert de président sommer la France de se repentir pour la colonisation en Algérie, tout en ayant un abonnement à l'Hôpital militaire du Val-de-Grâce, c'est la colère et la honte qui les meut. Colère de voir qu'en 50 ans, ce pouvoir prévaricateur qui a confisqué l'indépendance n'a pas été capable de mettre sur pied un système médical digne de ce nom malgré la rente pétrolière, honte de voir leur président n'avoir aucune honte justement. Imagine-t-on Castro ou Giap en traitement au Jefferson Memorial Hospital ?
Mais cette Algérie humiliée n'intéresse pas Bouteldja. Un dernier exemple. Pendant qu'en France se déroulait le honteux débat sur la déchéance de la nationalité des binationaux, l'Algérie préparait une nouvelle constitution prévoyant dans son article 51 l'interdiction de la haute fonction publique et certaines fonctions électives aux binationaux11. Premiers visés, les binationaux français. Très vite des collectifs se sont montés en France pour obtenir l'annulation de cet article qui, non seulement fait d'eux des Algériens de seconde zone, mais aussi prive l'Algérie des richesses de leur formation et de leur expérience et de la possibilité des échanges entre les deux pays. A-t-on vu Bouteldja dans ce combat qui pourtant concerne au premier chef le pays de son cœur ? Je vous laisse deviner la réponse.
Repentez-vous car la fin des temps est proche (Tintin)
Non, l'Indigène fantasmé n'est pas le rédempteur du Blanc.
Passent sur nos écrans de ciné un documentaire « Merci Patron »12 qui met aux prises un ouvrier d'une cinquantaine d'année et le groupe Arnault qui l'a licencié. A la fin nous sommes contents, grâce à Robin des Rois-Fakir, le shérif de Nottingham-Arnault a rendu gorge et Klur, le prolo à l'épais accent picard, a décroché le Graal absolu : un CDI de manutentionnaire chez Carrefour. Cette victoire laisse pourtant un goût amer car pour un de sauvé, combien sur le carreau ?
La situation que nous vivons est sombre. Une partie de la société est entraînée depuis quelques années par une lame de fond conservatrice. Les anciennes solidarités ont éclaté, les nouvelles peinent à voir le jour, c'est peu de le dire.... Cela touche toutes les communautés, les immigrés récents ou anciens comme les autres. Il n'est de voir que le résultat des dernières élections législatives en Turquie et en Tunisie dans l'immigration en France : les partis conservateurs y ont fait un score très nettement supérieur à celui du pays d'origine.
Oui, l'Etat doit reconnaître les crimes qui ont été commis pendant toute la période de la colonisation. Oui, toute sa place doit être donné à ce pan de notre histoire non seulement dans l'enseignement mais dans l'espace public. Le symbolique pèse lourd sur les représentations. Mais au risque de désespérer Billancourt, cela ne changera pas fondamentalement la situation : rappelons que le discours de Chirac sur la participation de la France à la Shoah date de 1995. Est-ce que cela a réduit d'un iota l'antisémitisme ? A regarder régulièrement les réseaux sociaux et au vu des crimes commis encore récemment, on a la réponse. Même chose avec Vichy ou l'analyse du nazisme qui ont progressé à pas de géants dans l'historiographie. Mais cela n'a pas freiné pour autant la progression de l'extrême-droite en France comme en Europe. Non, l'Histoire ne vaccine pas contre les peurs... Ce serait si facile sinon !
Notre société ne souffre pas d’abord d'amnésie mais aussi d'hypermnésie. Cela ne l'aide guère à aller de l'avant. Les historiens doivent faire leur travail, l'Etat doit prendre ses responsabilités, mais il en va des sociétés comme des individus, le ressassement avec tout ce que cela comporte de fantasmes n'aide guère à avancer. L'intégration des millions d'étrangers, immigrés et réfugiés qui sont venus en France ne fut pas une partie de plaisir. Qui se souvient qu'on expulsait les mineurs polonais pendant la Grande Crise directement du carreau de la mine vers les trains ou que le plus grand bidonville de France fut celui de Champigny et qu'il était portugais. A écouter certains, le multiculturalisme c'est en gros manger du couscous en écoutant du djembé, et en avant vers l'avenir radieux ! Je caricature mais il faut être conscient qu'une société multiculturelle doit s’inventer en marchant. Et que sans espoir commun, tourné vers l’avenir, c’est mission presque impossible. 13
Oui, l'universalisme de la IIIe République fut un mensonge car il était tout sauf universel. Mais est-ce à dire que nous devons revenir à nos clans, nos tribus, nos familles ? Que nous devons retrouver la religiosité la plus puérile ? Que nous devons être réactionnaires pour être sauvés ? Que nous devons nous résigner à la concurrence de toutes les forces centrifuges ? Malheureusement cela sonne plutôt comme une guerre de tous contre tous, où les plus faibles et les plus fragiles (c'est-à-dire les plus exploités et les plus opprimés) seront les premières victimes.
« Dans cette grande sécheresse, dans ce grand assèchement, le mirage d’un monde meilleur reflue du séculier au religieux. On réislamise, rechristianise, rejudaïse, par en bas et par en haut. Des prédicateurs thaumaturges évangélisent médiatiquement la modernité. Des religions revanchardes revendiquent des droits immémoriaux.
Les pôles magnétiques perdent le Nord.
Les boussoles ne tournent plus rond.
Les fils à plomb ne tombent plus droit.
Jusqu’où ira ce grand reflux de la conviction vers la foi, de la confiance vers la croyance ? »
Daniel Bensaïd, Jeanne de guerre lasse, Gallimard 1991
Ariane Pérez, le 28 mars 2016.
1Voir ici la totalité du texte d'Ivan Segré https://lundi.am/Une-indigene-au-visage-pale
2Voir ainsi le stimulant essai, même s'il est vigoureusement discuté, de Jack Goody, mort récemment « Le Vol de l'histoire » Gallimard, 2013.http://www.laviedesidees.fr/Le-recit-du-monde.html
3Ce fut vrai en Europe jusqu'à la Révolution industrielle qui, déplaçant les anciens paysans vers les usines, allait leur donner un teint blafard.
4Sur cette nouvelle immigration très féminine voir le rapport de l'INED http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1524#inter2
5Signalons à ce propos les sorties du propre frère du président algérien Bouteflika qui a trouvé le moyen de dénoncer la présence de trois ministres d'origine marocaine dans le gouvernement français comme une preuve de plus de la haine de la France contre l'Algérie. L'unité des Indigènes semble un peu plus compliquée que ne l'entend Bouteldja. http://www.mondafrique.com/alger-colere-apres-promotion-daudrey-azoulay/
7Il faut saluer le courage du journal et des ONG qui se battent contre ce racisme souvent très violent. http://www.elwatan.com/regions/est/actu-est/ouargla-cent-le-racisme-des-algeriens-17-03-2016-316785_221.php
8Voir à ce sujet l'ouvrage de Johann Chapoutot,https://www.puf.com/content/Des_soldats_noirs_face_au_Reich
9Voir à ce sujet le nombre de pays qui punissent de mort l'apostasie : http://www.economist.com/news/middle-east-and-africa/21695542-penalties-...?
10Outre le problème posé par la responsabilité collective induite dans l'appel au meurtre de Sartre, rappelons simplement que dans la réalité, le FLN algérien assassina environ 5 Algériens pour un « colon » européen. Voir à ce propos l'article de Guy Pervillé dans l'ouvrage collectif dirigé par M. Harbi et B. Stora La Guerre d'Algérie, la fin de l'amnésie. Robbert Laffont 2004.
13Voir à ce sujet la dernière partie de l'article de Pierre Rousset consacré aux suites des attentats de Bruxelles. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37572





Indigènes de la République: Thomas Guénolé démontre le racisme, la misogynie et l'homophobie de Houria Bouteldja

Vendredi soir, dans l'émission "Ce soir (ou jamais !)", le politologue Thomas Guénolé s'est attaqué à "ces anti-racistes devenus racistes". Dans son viseur, Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, présente également en plateau.
"Il y a plein de choses qui ont été dites depuis tout à l'heure donc je ne sais plus où j'en suis." C'est peut-être la seule affirmation avec laquelle on pourrait tomber d'accord avec Houria Bouteljda, lors de son passage sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), le 18 mars. Une émission durant laquelle la fondatrice du Parti des Indigènes de la République a eu le plus grand mal à justifier ses prises de positions face au politologue Thomas Guenolé, bien décidé à faire la lumière sur la dérive racialiste d'une partie de la "gauche" anti-raciste. L'émission de Frédéric Taddeï, souvent décriée, a d'ailleurs cet avantage. En laissant à ses invités l'espace et le temps de poser leur réflexion, il permet souvent de faire tomber les masques.
Sur le plateau de France 2, on retrouvait donc Houria Bouteldja et Thomas Guénolé mais aussi la politiste Anastasia Colosimo, l'historien Emmanuel Debono, la vice-présidente de la Licra Sabrina Goldman, la présidente de l’association La brigade des mères Nadia Remadna, la civilisationniste et membre du collectif Marche des femmes pour la dignité Maboula Soumahoro, et le photographe Oliviero Toscani, tous réunis pour tenter de répondre à la question :" Où en est la lutte antiraciste ? A-t-elle échoué ?" Il fallait avant tout se demander ce qu'est devenue cette lutte antiraciste. Un début de réponse a été apporté par l'interpellation de Houria Bouteldja par Thomas Guenolé. 
"Je pense que ce qui a changé, c'est qu'il y a une partie de l'antiracisme, et ça me fait beaucoup de peine de dire ça, qui est devenue raciste ! Je parle de vous madame Bouteldja", entame le politologue. S'en suivent deux minutes d'une démonstration implacable, illustrations à l'appui, du corpus idéologique de la porte-parole du PIR.
Guénolé montre tout d'abord une photographie sur laquelle apparaît Houria Bouteldja, pouce en l'air et sourire aux lèvres, à côté d'une pancarte où on peut lire "Les sionistes au goulag". Il commente : "Ca signifie au sens strict que les juifs favorables à l'existence d'Israël doivent être envoyés dans des camps de concentration".
"La généralisation fondée sur la couleur de la peau, surtout pour un propos négatif, c'est du racisme madame"
Puis, la voix posée, il assène : "Par ailleurs vous êtes raciste madame !et cite un passage du dernier livre de Houria Bouteldja Les blancs, les juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire (sic) : "La blanchité est une forteresse, tout blanc est bâtisseur de cette forteresse", y écrit la militanteDécryptage de Guénolé : "'Tout blanc', c'est une généralisation fondée sur la couleur de la peau.La généralisation fondée sur la couleur de la peau, surtout pour un propos négatif, c'est du racisme madame".
Guénolé embraye sur la conception de la place de la femme par rapport à l'homme de Houria Bouteldja, dévoilée dans ce même livre avec cette citation : "Si une femme noire est violée par un noir, c'est compréhensible qu'elle ne porte pas plainte pour protéger la communauté noire"Et en matière de relations hommes-femmes, Houria Bouteldja, ne fait jamais dans la dentelle. En 2015, elle expliquait que "l'idéologie selon laquelle les couples mixtes, la rencontre entre deux cultures c'est beau, c'est pourri". Réplique de Thomas Guenolé : "Donc les noirs avec les noirs, les Arabes avec les Arabes, les blancs avec les blancs. D'un point de vue technique, pour suivre votre idée, il faudrait faire des lois raciales".
Dernier point cité par le politologue, le regard de Bouteldja sur l'homosexualité, expliqué dans son dernier ouvrage : "Comme chacun sait, la tarlouze n'est pas tout à fait un homme. Ainsi, l'Arabe qui perd sa puissance virile n'est plus un homme".  Face à cet enchaînement implacable, Houria Bouteldja, les yeux rivés sur le sol, la mâchoire serrée, semble comme K.O.
C'est Maboula Soumahoro, membre de la Marche des femmes pour la dignité, association très proche du PIR, qui va venir à son secours. Elle valorise l'apport de Houria Bouteldja sur "les définitions qui sont proposées quand elle parle des indigènes, des femmes indigènes et des blancs. Il est important par honnêteté intellectuelle de parler de cette identité blanche. On ne parle des individus blancs, on parle d'un système qu'on peut dater à la période de l'entrée de l'Occident dans les Amériques qui a amené à la colonisation du continent américain puis africain."
"Les citations sont parfaitement vraies et je les assume."
Puis la réponse de Bouteldja vient. A la démonstration du politologue, elle rétorque : "Je ne vais pas m'étendre puisqu'une partie des citations de monsieur Guénolé sont parfaitement vraies et je les assume. Simplement il va falloir lire le livre pour se faire une idée de la précision avec laquelle j'utilise un certain nombre de concepts". Comme celui de "tarlouze" peut-être, ou du dégoût des couples mixtes sans doute.
Mais, pour saisir le fond idéologique de la porte-parole du PIR, il faut remonter un peu plus haut dans l'émission, lorsque Frédéric Taddeï demande à Bouteldja ce qu'est le racisme d'Etat à ses yeux. La militante n'y fait pas mystère de sa pensée et de son projet de société :
"Il y a le clivage de classe mais aussi le clivage de race. Le clivage de race est un clivage qui n'est pas assumé, ou ne veut pas être vu, au prétexte que la race n'existant pas, on ne peut pas s'attaquer… La race n'existant pas, on ne peut pas la faire exister... Voilà. On crée du racisme en pointant du doigt l'existence des races sociales qui sont en réalité un produit de l'Histoire et du pouvoir".
Le "on" ici, n'est pas un "on" général mais bien le "on" englobant les soutiens du PIR, sa porte-parole en tête, avec un objectif limpide : opérer au sein de la gauche "anti-raciste" la substitution du concept de la lutte des classes à celui de la lutte des races. En racialisant les luttes sociales quitte à "créer du racisme". Finie donc la solidarité de la classe laborieuse et la possibilité pour les exploités de s'unir autour de revendications sociales.Seul le combat racial prévaut. Un projet de société dont l'extrême-droite la plus radicale ne rougirait pas.
Les mots sont posés. L'objectif affiché. Ceux qui soutiennent encore le combat du PIR et de ses émanations ne pourront plus dire "je ne savais pas". 


Alexandre Devecchio : «Houria Bouteldja ou la grande misère de l'antiracisme»

ANALYSE - Pour les sentinelles de l'antiracisme, les minorités ethniques sont forcément victimes, tandis que les Français et les juifs sont forcément coupables.

Défendre le racisme au nom même du combat contre le racisme, un paradoxe absurde, une équation impossible? Pas pour les nouvelles sentinelles de l'antiracisme et les intellectuels engagés dans la lutte contre la «domination postcoloniale des Blancs».

Ceux qui habituellement traquent les moindres dérapages des Onfray, ceux qui poursuivent Zemmour devant les tribunaux, s'érigent ici en avocat de l'égérie des Indigènes de la République.

En témoigne la tribune publiée ce lundi dans Le Monde sous le titre: «Vers l'émancipation, contre la calomnie. En soutien à Houria Bouteldja et à l'antiracisme politique», signée par un collectif de militants associatifs, d'universitaires et de sociologues. Ceux qui habituellement traquent les moindres «dérapages» ...

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Bouvet : « Que des universitaires défendent Houria Bouteldja est un crime contre l'esprit »

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Bouvet : « Que des universitaires défendent Houria Bouteldja est un crime contre l'esprit »
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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - En réaction à un article de Jean Birnbaum sur les dérives de l'antiracisme, une vingtaine d'intellectuels a pris la défense, dans une tribune du Monde parue le 20 juin, de Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République citée par Birnbaum. Laurent Bouvet réagit à cette affaire.



Laurent Bouvet est professeur de Science politique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il a publié L'Insécurité culturelle chez Fayard en 2015. Son dernier livre, La gauche Zombie, chroniques d'une malédiction politique, est paru le 21 mars 2017 aux éditions lemieux. Il est l'une des principales figures du Printemps Républicain.

FIGAROVOX.- Dans un article du Monde du 10 juin dernier, Jean Birnbaum analysait le malaise d'une partie de la gauche face à certaines dérives de l'antiracisme. Il citait notamment Houria Bouteldja, porte-parole du parti des Indigènes de la République, auteur du très controversé «Les Blancs, les Juifs et nous». En réaction à cet article, une vingtaine d'intellectuels a signé une tribune parue dans Le Monde du 20 juin pour prendre la défense de Houria Bouteldja. Que vous inspire cette tribune et comment expliquez-vous qu'une militante ouvertement raciste, qui semble faire l'unanimité contre elle, même au sein de la gauche, soit encore défendue par certains intellectuels?
Laurent BOUVET.- Cette tribune est le énième signe d'un dévoiement du combat antiraciste dans une partie de l'extrême-gauche et de la gauche (c'est vrai en France comme ailleurs). Cette fois, il s'agit principalement d'universitaires et de chercheurs qui défendent l'essayiste Houria Bouteldja comme une militante antiraciste et féministe. Or celle-ci, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, tient de longues dates, dans ses interventions publiques comme dans ses livres, des propos ouvertement racistes, antisémites et homophobes.


Mais elle le fait au nom de la «domination postcoloniale des Blancs», d'un «racisme d'État» en France ou encore d'une «intersectionnalité des luttes» des «dominés» de toute nature (sociale, raciale, religieuse, de genre…). Pour ses défenseurs, cela est donc légitime car il ne saurait y avoir de racisme de la part des «dominés» ou des «oppressés». Leur lutte est en effet à leurs yeux toujours légitime, quel qu'en soit le moyen, puisque menée au nom de «l'émancipation» de ces dominés ou oppressés.
C'est d'abord ce systématisme, qui sur le fond, pose problème. C'est une absurdité intellectuelle autant qu'historique. À la fois parce que le racisme comme le sexisme, l'antisémitisme comme l'homophobie, ne sont fonctions ni d'une origine sociale (les plus riches…) ni d'une origine géographique (l'Europe…) ni d'une origine ethno-raciale (les «Blancs»…) ni d'une origine religieuse (les Chrétiens…), ni d'un genre particulier (le «mâle hétérosexuel»…), et parce qu'en renvoyer toujours et uniquement la responsabilité historique et à des groupes aussi larges n'a aucun sens. Ne pas comprendre ni reconnaître que dans notre histoire commune, humaine, l'émancipation de l'individu, quelles que soient son origine ou ses différentes appartenances «identitaires», est avant tout le produit de ce que l'on appelle la Modernité occidentale, celle qui, en Europe sur plusieurs siècles, a conduit à «l'invention» des droits de l'Homme, à l'abolition de l'esclavage ou encore à forger les outils intellectuels et politiques de la lutte anticoloniale ou du féminisme entre autres, c'est commettre une grave faute au regard de la réalité des faits. Et c'est la commettre au nom d'une croyance ou d'une «vérité» qui leur serait supérieure.


Que des universitaires, des chercheurs, des savants se commettent dans une telle déformation de la réalité au nom de leur vision politique et militante du monde est un crime contre l'esprit.
Politiquement, ils participent d'ailleurs à une dérive identitaire délétère pour la société. Plus encore, ils desservent le combat antiraciste ou le combat féministe qu'ils prétendent être le leur. En aggravant et en figeant, au nom de cet essentialisme identitaire qu'ils mettent sans cesse en exergue (nous ne pouvons être que ce que notre identité culturelle et sociale nous assigne comme place et rôle dans la société), les différences entre individus et groupes sociaux, ils participent à une fragmentation et au délitement de la société. Et accessoirement au triomphe d'autres promoteurs de ce «tout identitaire» qui eux s'appuient sur d'autres critères qu'ils jugent positifs que sont les racistes d'extrême droite par exemple. Ils se renvoient le ballon, ils sont les deux faces d'une même médaille, les deux pinces d'une même tenaille dont nous ne cessons de subir la pression.
Qui sont les Indigènes de la République, et que défendent-ils?
C'est un mouvement à la fois groupusculaire et très radical qui prétend défendre toute personne («indigène») issue de l'immigration et venant d'un pays colonisé par la France dans le passé. Ces «indigènes» étant traités comme au temps de la colonisation dans le cadre de leur immigration et de leur installation en France: racisme, «islamophobie», discriminations en tous genres… La dimension sociale est parfois mise en avant, comme c'est le cas dans le dernier livre d'Houria Bouteldja, pour expliquer que les situations de chômage ou de précarité vécues par les descendants d'immigrés sont avant tout dues à leur origine.


Bien évidemment, la «doctrine» du PIR conduit à une essentialisation identitaire tant des victimes dominées, que des bourreaux dominants. Chacun appartenant, en raison simplement de son origine, à tel ou tel groupe. Sans aucune possibilité d'en sortir. Ainsi, les soutiens de H. Bouteldja dans Libération écrivent-ils en défense de celle-ci: «Houria Bouteldja évoque ses propres déchirements comme indigène et Blanche ou, plus précisément, «blanchie»». Pour le dire autrement, ces gens sont obsédés par la race, par l'origine. Ils ne voient et conçoivent l'individu qu'au travers de ce prisme.
S'ils étaient laissés à eux-mêmes, dans leur réduit militant d'obsédés de la race qui multiplient ateliers «non mixtes» et manifestations des «racisé.e.s» et de «non blancs», le dommage serait très limité. Mais comme ils sont systématiquement relayés par une presse complaisante avec leur vision du monde (on peut citer Mediapart notamment), par des élus de l'extrême gauche (comme l'élu municipal de Saint-Denis Madjid Messaoudène qui leur ouvre les portes des salles de sa ville) ou par des universitaires et chercheurs qui partagent leur critique de la France et de l'État (ceux de la tribune précitée ou encore très souvent à Paris 8 Saint-Denis), ils sont devenus visibles dans l'espace public. Et leurs idées prennent du poids au sein d'une jeunesse précaire notamment. Même s'ils ont visiblement bien plus de difficultés à convaincre dans les quartiers sensibles que dans les amphis de Paris 8 ou les manifestations parisiennes.
À quel moment l'antiracisme a-t-il basculé dans les dérives actuelles?
Il est difficile de dater précisément un tel basculement. C'est un processus long qui s'est amplifié ces dernières années dans les grandes sociétés multiculturelles occidentales. Il y a plusieurs éléments à prendre en compte.
Pierre-André Taguieff avait déjà parfaitement repéré l'ambiguïté du combat antiraciste (qui partage avec le racisme des éléments communs dans la manière d'essentialiser l'individu) tel qu'il était mené dans les années 1980, par SOS Racisme notamment, dans son livre de 1988 La Force du préjugé.
Pour ma part, j'y ajouterai un élément de contexte plus général que j'appelle le tournant identitaire tel qu'il s'est dessiné aux États-Unis notamment à la fin des années 1960 et au début des années 1970 lorsque les considérations autour de critères identitaires minoritaires (race, sexe, orientation sexuelle, religion, pays d'origine, langue minoritaire…) sont devenues de plus en plus importantes dans les mobilisations politiques et sociales au nom d'un rattrapage historique, d'une reconnaissance de droits ou de valorisation de traits spécifiques de l'identité. Toutes les spécificités ont connu cette évolution, cette «identitarisation» si l'on veut qui est venue selon les cas remplacer, compléter ou transformer le rapport essentiellement social, de classe notamment, qui surdéterminait jusqu'ici les combats politiques, à gauche mais aussi à droite d'une certaine manière.


Ces dernières décennies, en France, il faut y ajouter la dérive plus marquée encore de toute une partie de la gauche, politique, intellectuelle et médiatique. L'abandon d'un projet de transformation ambitieux du capitalisme a conduit à un double effet. Premier effet, le maintien délétère, auprès de nos concitoyens, d'une sorte de geste «de gauche» principalement économiste voire économiciste, tendant soit à un «réformisme» social-libéral, en fait d'acceptation des injonctions à la libéralisation, notamment dans le cadre européen, soit à un anti-capitalisme rhétorique mais parfois très virulent (justifiant notamment un certain degré de violence sociale) dont le seul réel enjeu politique est le maintien d'un niveau élevé de dépenses publiques assurant notamment à la gauche partidaire, syndicale et associative, la permanence de ressources et d'un électorat suffisamment importants pour continuer de compter historiquement.
Le second effet est l'indulgence manifestée au sein de ces deux options d'abord économicistes envers les exigences identitaires les plus marquées, voire les plus caricaturales, issues des revendications de minorités organisées, d'activistes, d'entrepreneurs identitaires… qui ont servi à la fois de relais et d'excuse à l'abandon du projet de transformation du capitalisme. Si bien que la gauche, toutes tendances confondues, est devenue très largement aveugle aux enjeux de l'identité commune, majoritaire, celle d'une société, d'une nation et d'un peuple en proie à de transformations considérables dues à la mondialisation et à la construction européenne.


Cette identité-là a elle-même ainsi été «identitarisée» selon le processus d'essentialisation décrit plus haut, en devant une identité culturelle particulière, celle des «petits Blancs», des «Français de souche», des «Occidentaux» voire des «chrétiens», parmi d'autres. Certes majoritaire (donc toujours déjà coupable envers les minorités) mais surtout captée, dans son principe même, dans son essence…, par l'extrême droite. La boucle infernale de la politique française pendant 30 ans était bouclée: le FN était le parti par définition selon cette logique identitaire de la majorité occidentale, blanche, chrétienne…qui compose la France (qualifiée de «moisie» au regard d'une histoire bien évidemment avant tout raciste, coloniale et esclavagiste), donc tout ce qui pouvait de près ou de loin avoir à faire avec la Nation, les frontières, l'intégration à une culture nationale commune, par l'école notamment, la fierté d'être Français, etc. devenait mécaniquement d'extrême-droite.
Le piège identitaire a broyé la gauche française à partir des années 1980 bien plus encore que ses échecs économiques - qui doivent être évalués eux au regard de ses succès. L'antiracisme, c'est cette histoire-là. Et pour dire les choses simplement, tant que la gauche n'en sortira pas, même dans ses marges, elle n'aura aucune chance de peser sur le destin du pays, quelle que soit son orientation économique.
Comment ces mouvements islamistes sont-ils parvenus, comme le rappelle Jean Birnbaum, à noyauter certains milieux d'extrême-gauche pourtant libertaires, au point de voir l'idéologie de la lutte des races prendre peu à peu le pas sur celle de la lutte des classes?
Aujourd'hui la complaisance dont je parlais plus haut est surtout marquée envers l'islam, considérée par toute une partie de la gauche, pas seulement de l'extrême-gauche, comme la religion par excellence des opprimés et des dominés. Les damnés de la terre sont aujourd'hui d'abord et avant tout les musulmans, et non plus les travailleurs, les prolétaires ou les ouvriers, pour cette gauche, et notamment les musulmans qui vivent dans les pays européens, issus de l'immigration et venus de pays anciennement colonisés. C'est ce qui a permis ces dernières années, alors que partout on assiste à une radicalisation de toute une partie de l'islam, sous des formes qui peuvent être plus ou moins violentes, cette interpénétration étonnante entre l'islamisme et le gauchisme.
On trouve désormais des exemples de cette collusion chaque jour, dont quelques-uns seulement sont médiatisés. Ainsi, le cas de la députée Danièle Obono de la France Insoumise dont on a parlé récemment, qui est de longue date proche du Parti des Indigènes de la République. On peut aussi citer cette affaire en cours à Saint-Denis d'un élu de la majorité municipale, Madjid Messaoudene dont je parlais plus haut, qui s'en prend à une principale de collège de la ville, Véronique Corazza, car celle-ci a simplement souligné le jeu trouble de cet élu avec les islamistes dans sa commune.
Jean Birnbaum rappelle que les Indigènes n'ont pas d'implantation réelle dans les quartiers ni de réelle force militante et ne doivent leur poids qu'à quelques universitaires adeptes de la culpabilisation postcoloniale. Cette querelle d'intellectuels est-elle représentative de ce qui se passe sur le terrain, à La Chapelle-Pajol ou dans les «territoires perdus de la République»?
C'est exactement ce que je soulignais plus haut: s'ils n'avaient pas de relais politiques, universitaires et médiatiques, personne ou presque n'entendrait parler de ces extrémistes de l'identité.


La responsabilité des intellectuels, au sens large, mais des universitaires et des chercheurs au sens plus étroit, est très importante. Car ils apportent la caution de leur savoir, de leur légitimité académique à ces dérives. Ils légitiment des constructions purement instrumentales et politiques au nom d'un savoir qui serait désormais au cœur des sciences sociales. Le détournement de la notion d'intersectionnalité des luttes en est un exemple frappant.
La bataille se joue aussi dans ce monde académique où l'on trouve des militants très radicaux sous les habits du chercheur ou du professeur. On a vu les dégâts que cela pouvait causer après les attentats terroristes notamment lorsque des sociologues en particulier sont intervenus pour disculper les terroristes de toute responsabilité à raison de leur origine sociale, de la laïcité qui contraindrait l'islam ou même de «l'islamophobie» qu'ils auraient subie dans la société française, et notamment de la part de l'État.
Les mêmes sont à l'œuvre pour expliquer qu'il ne se passe rien ou qu'on ne comprend jamais ce qui se passe lorsque des femmes par exemple, puisque vous citez La Chapelle-Pajol, se font harceler ou attaquer dans certains quartiers davantage que dans d'autres. Ce déni du réel qu'on avait vu aussi à l'œuvre à Cologne en Allemagne sur le même sujet pose de lourds problèmes. D'abord parce qu'il ne permet jamais de traiter efficacement les problèmes qui se posent et qui empoisonnent la vie de certains de nos concitoyens, ensuite parce qu'il paralyse tout débat au sein de la gauche et dans le monde intellectuel. Laissant la place libre aux entrepreneurs identitaires et aux tenants des visions les plus fausses autant que les plus extrémistes. On est donc perdant sur tous les tableaux.
J'espère que la prise de conscience, même tardive, de journalistes comme Jean Birnbaum pourra permettre d'avancer un peu et de faire reculer ce cancer identitaire qui a envahi le débat public.

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