mardi 11 juillet 2017

Frères musulmans à la conquête du monde

Égypte : cette frange des Frères musulmans qui a basculé dans la violence (08.09.2017)
Pierre Vermeren : «La priorité des Frères musulmans, l'Europe» (07.07.2017)
L'UOIF classée « organisation terroriste » par les Emirats arabes unis (18.11.2014)

Égypte : cette frange des Frères musulmans qui a basculé dans la violence (08.09.2017)



Mis à jour le 08/09/2017 à 21h11 | Publié le 08/09/2017 à 18h37


Placée sur la liste des organisations terroristes depuis 2015, la confrérie des Frères musulmans, qui prônait jadis la résistance pacifique, tend à se radicaliser.

Face à la violence d'État, la confrérie doit faire face à ses dilemmes d'autrefois: alors que la vieille garde réaffirme son principe de non-violence, une minorité de ses membres choisit la résistance armée. Un visage encadré d'un voile blanc, des lunettes de soleil qui glissent sur son nez perlé de sueur, Fatma * souffle à l'énoncé de la question: connaissez-vous des Frères ayant choisi la lutte armée? «On en connaît tous mais ils ne l'admettront jamais, ils ont trop à perdre», lâche-t-elle.

«L'utilisation de la violence par les Frères est une caractéristique clé de la réévaluation forcée de leurs méthodes dans le nouveau contexte égyptien»
Mokhtar Awad, spécialiste de l'extrémisme à George Washington University

À ses côtés, Ibrahim tend son téléphone où apparaît le selfie de deux jeunes hommes. 17 et 18 ans. Des voisins. Bras-dessus, bras-dessous, ils ressemblent à de banals ados. «Ils ont été tués. On les soupçonnait depuis un moment de participer à des actions violentes. C'est aussi une réalité, on a des militants extrêmes dans nos rangs.»

Depuis décembre 2015, la confrérie est officiellement placée sur la liste des organisations terroristes par l'Égypte. Une accusation portée de longue date par le régime et les anti-islamistes face à un groupe qui a toujours eu un rapport ambigu à la lutte armée. «L'utilisation de la violence par les Frères est une caractéristique clé de la réévaluation forcée de leurs méthodes dans le nouveau contexte égyptien», note Mokhtar Awad, spécialiste de l'extrémisme à George Washington University. Le chercheur rappelle que «le groupe avait abandonné la violence dans les années 1970 car elle était devenue non nécessaire. Mais si celle-ci n'est pas centrale chez les Frères musulmans qui privilégient une stratégie sociale et politique, le groupe n'a jamais été totalement pacifiste non plus.»

Un changement de discours important

Si les leaders historiques s'en tiennent à un discours de résistance pacifique, les soupçons d'une scission au sein des Frères ont été confirmés avec les prises de positions de Mohamed Mountasser, nouveau porte-parole de la «jeunesse Frère». Si les communiqués publiés par Mohamed Mountasser n'appellent pas directement à la violence, ses «incitations à la résistance» élusives constituent un changement de discours important. L'encouragement à célébrer l'appel de Kenana - appelant ouvertement à la violence contre l'État égyptien - par la nouvelle forte tête de la confrérie a même forcé Mohamed Ghozlan, porte-parole du leadership traditionnel, a rejeté publiquement cette position.

Pour les spécialistes, ces éléments prouvent qu'au moins une faction de la confrérie se laisse tenter par cette approche de la résistance «avec des éléments probants prouvant leur attache à des groupes terroristes actifs tels que Hasm ou Liwa el-Thawra», note Ahmed Youssef, analyste pour le Cairo Institute for Human Rights Studies.

Il est pourtant trompeur d'imaginer que la minorité de Frères musulmans tentés par la lutte armée rejoigne en masse les rangs de l'État islamique. Ils sont plus enclins à ouvrir de nouveaux fronts dans la capitale et ses environs menés par ce qu'ils appellent des «comités d'opérations spéciales» et à chercher une aide logistique extérieure, notamment auprès de la brigade Qasm, à Gaza. Si ces groupes sont d'ailleurs présentés comme des émanations des Frères, rien ne prouve qu'ils en soient le bras armé pur. Ils sont plus probablement un mélange d'anciens Frères, de salafistes révolutionnaires mais aussi de militants non affiliés qui agissent par pure vengeance. Mais cet extrémisme n'en est pas moins inquiétant, met en garde Mokhtar Awad : «ils sont bien moins meurtriers que l'État islamique mais ont la capacité de mobiliser en puisant dans le réservoir important de la jeunesse islamiste en colère.»

La rédaction vous conseille :
Karli : C’est une erreur que de diviser les musulmans en 2 catégories, les intégristes violents, qui seraient une petite minorité, et les musulmans modérés. L’Islam est plus complexe que celà. Je pense à 3 catégories avec toutes les nuances et zones qui se recoupent. Il y a effectivement a) les intégristes violents, une toute petite minorité qui commet ou soutiens les attentats, et qui veulent une société islamique sans place pour ce qui n’est pas musulman. Il y a aussi une grande proportion de b) musulmans modérés, pacifiques, qui acceptent vraiment les lois de la République, ne posent pas de problèmes et sont tolérants. Mais il y a une catégorie intermédiaires pour la quelle je n’ai pas de terme précis : il s’agit de c) musulmans, non violents, respectant aussi les lois de la République, mais qui pensent de manière intégriste et qui veulent aussi une société islamique. Ils réprouvent la violence car ils estiment que de toute manière le temps et la démographie leur donnera raison à long terme et leur permettra d’établir une société islamique à la place de la société occidentale. La catégorie c) a souvent une bonne formation professionnelle et de bons revenus et constitue en fait une proportion importante de ceux que l’on considère à tort comme soi disant modérés, ils sont le vivier d’où sort la catégorie a). De part son pourcentage important, la catégorie c) est en fait plus dangereuse que la catégorie a) sur le long terme.

L'UOIF trop proche des frères musulmans.


Pierre Vermeren : «La priorité des Frères musulmans, l'Europe» (07.07.2017)

Pour Pierre Vermeren, «depuis Sayyed el Qotb, l'objectif de la confrérie est de détruire les régimes à leurs yeux faussement musulmans pour imposer le règne direct de Dieu sur terre».

Publié le 07/07/2017 à 17h49
TRIBUNE - En pleine déconfiture dans le monde arabe, les Frères musulmans concentrent leurs efforts sur l'Europe avec le soutien des pouvoirs publics turcs, explique l'historien.

Le Centre français du culte musulman (CFCM) est une instance associative créée en 2003 sous l'égide du ministère de l'Intérieur, instance qui représente le culte musulman de France, le régit dans ses différents aspects et constitue l'interlocuteur collectif des pouvoirs publics. En dépit de ses limites, cette organisation est très importante depuis quelques années. De facto, un partage à l'amiable de la présidence du CFCM s'est opéré, à tour de rôle, entre ce qu'il convient d'appeler les représentants de l'islam algérien et de l'islam marocain de France, les deux États n'étant jamais très éloignés des scrutins et des mosquées.

Cela a provoqué le courroux de plusieurs composantes du CFCM, notamment les Frères musulmans de l'UOIF, qui ont parfois boycotté les élections de l'instance. Dans le cadre de la présidence tournante du CFCM, l'arrivée à la présidence le 1er juillet 2017 d'Ahmet Ogras, un représentant de l'islam turc minoritaire, permet aux Frères musulmans de revenir par la grande porte de manière tout à fait inattendue.


Une hostilité croissante

Depuis que l'Égypte a emprisonné en 2013 la direction mondiale des Frères, de nombreux événements illustrent l'agressivité de cette organisation passée sous tutelle turco-qatarienne. Cela suscite une hostilité croissante des États arabes, comme l'atteste le récent embargo imposé au Qatar. C'est pourquoi les Frères intensifient leur contrôle sur la Turquie, ce que démontrent les suites du coup d'État de 2016. Et ils se redéploient vers l'Europe, ce qu'illustre l'activisme d'Erdogan et de son parti (AKP) auprès des musulmans de France.

L'embargo qatarien est l'ultime avatar de la guerre qui oppose depuis des décennies les États arabes et l'internationale révolutionnaire des Frères. Depuis Sayyed el Qotb, l'objectif de la confrérie est de détruire les régimes à leurs yeux faussement musulmans pour imposer le règne direct de Dieu sur terre (la hakimiyya), un califat unificateur ou à défaut des Républiques islamiques.

Face à l'Égypte nassérienne, l'Arabie saoudite est devenue en 1954 le protecteur des Frères. Des dizaines de milliers de Frères ont instruit, administré et «ré-islamisé» l'Arabie saoudite, qui a financé en retour leur développement mondial. Mais en 1990, lors de la guerre du Golfe, les Frères, dont la direction se trouve en Égypte, prennent fait et cause pour Saddam Hussein. Les Saoud chassent d'un coup des milliers de Frères, coupent leur aide financière, puis structurent contre eux des mouvements «salafistes».

Durant deux décennies (1991-2011), les Frères poursuivent leur expansion mondiale grâce au soutien du Qatar. Ce minuscule et richissime État devient leur banque mondiale et la diffusion de leur pensée se fait grâce à la première chaîne de télévision internationale arabe, al-Jezira, même si une subtile stratégie d'ouverture a pu masquer ce fait. 

Quand le printemps arabe sonne en Tunisie, al-Jezira devient la caisse de résonance et de diffusion de la révolution en Égypte, en Libye, en Syrie, au Bahreïn puis au Yémen, sous la tutelle des Frères. Quand les régimes arabes comprennent la manœuvre, ils se retournent contre la petite chaîne, et les ennuis du Qatar commencent.

Car une fois parvenus au pouvoir, en coalition, en situation de monopole, ou les armes à la main, les appétences totalitaires des Frères sèment partout tension, terreur ou division. Profitant de la dynamique arabe, les Frères intensifient leur contrôle sur la Turquie (via l'AKP et son président), jusqu'au vrai-faux putsch de l'été 2016. Erdogan offre aux Frères leur plus grand trophée, la Turquie du honni Kémal Attatürk : armée laïque, intellectuels de gauche et Kurdes sont mis échec et mat par le néo-islamisme affairiste et populiste. La Turquie a même rêvé de redevenir la puissance néo-ottomane de ses anciennes provinces arabes.

L'éradication par la force

Face à ces menaces, élites et régimes arabes reprennent partout le contrôle de la situation, souvent avec grande brutalité. En juillet 2013, l'armée égyptienne sort les Frères du jeu politique. Les Émirats arabes unis et l'Égypte décrètent la Confrérie organisation terroriste. Redoutant l'éradication par la force, les Frères tunisiens, sous la houlette de leur rusé patron, acceptent un pacte constitutionnel, renonçant à la charia, à l'inégalité des femmes et acceptant la liberté de conscience. Cela leur a permis de sauver l'essentiel.

Partout ailleurs, les Frères sont en situation critique. Au Maroc, ils se heurtent au monarque. En Algérie, les élections de 2017 les ont confinés à la marginalité. En Libye, malgré leur coup de force post-électoral de 2014, ils ont échoué à s'emparer de l'État et de ses ressources. En Palestine, Israël et l'OLP ont décidé d'en finir avec la domination du Hamas à Gaza. En Syrie, leur coalition, écrasée par la guerre civile, est cantonnée à la défense d'un réduit exsangue au nord du pays.

En 2017, les Frères sont donc bloqués dans le monde arabe. Leur salut viendra de la Turquie et de l'Europe.

Grâce à sa puissance financière autocratique, Erdogan finance les organisations nationales des Frères en Europe - surtout si elles sont turques. La France est une pièce maîtresse dans ce jeu. Personnalités, associations, médias, entreprises, mosquées et compagnons de route des Frères sont parfaitement connus, souvent notabilisés. Ils agissent en toute impunité, comme si le monde arabe était un ailleurs inconnu. Aussi est-il important pour la Turquie d'entrer dans le dossier de l'islam de France, le principal en Europe après la Russie.

Les réseaux islamistes français et la Turquie d'Erdogan ontété des acteurs importants du djihad syrien. Après des années de guerre, les services d'Erdogan sont devenus de fins connaisseurs de l'islam radical français. Des milliers de jeunes Européens et Maghrébins ont transité par son pays vers ou en provenance de la Syrie. En dépit des retombées dramatiques sur Europe, la plupart de nos responsables politiques feignent d'ignorer tout cela. 

Mais depuis l'été 2016, la nature autocratique et brutale du pouvoir d'Erdogan est patente. En 2015, celui-ci a tenu l'Europe à sa merci en ouvrant les vannes migratoires pour la déstabiliser. En 2017, Erdogan maintient la pression migratoire grâce à ses amis libyens. Après avoir négocié des milliards d'euros avec Bruxelles, il a battu la campagne électorale en Europe (attitude contestée en Allemagne) et réclame la libre circulation pour ses citoyens. Bien qu'il ait envoyé des dizaines de milliers d'opposants en prison et bombardé les alliés kurdes des Européens, Erdogan conspue nos alliés germaniques et exige de ses émigrés qu'ils ne s'intègrent pas en Europe.

L'arrivée d'Ahmet Ogras, un de ses fidèles de l'AKP à la tête du CFCM, avec le soutien de l'UOIF, a donc peu de chances de résoudre les problèmes de l'islam de France.

* Pierre Vermeren est professeur d'histoire du Maghreb contemporain à l'université Panthéon-Sorbonne. Il a récemment publié Le Choc des décolonisations. De la guerre d'Algérie aux printemps arabes (Odile Jacob, 2015).

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 08/07/2017.

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L'UOIF classée « organisation terroriste » par les Emirats arabes unis (18.11.2014)

L'UOIF, qui revendique 250 associations membres, est l'une des principales organisations structurant le paysage musulman français.
Le Monde.fr avec AFP | 18.11.2014 à 12h22 • Mis à jour le 18.11.2014 à 13h07

L'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, dit dans un communiqué avoir découvert avec « stupeur et colère » sa présence sur une liste d'« organisations terroristes » établie par les Emirats arabes unis.

Cette liste, publiée samedi par cet Etat participant à la coalition internationale contre les djihadistes menée par Washington, recense 83 groupes, situés pour la plupart en Syrie. Parmi eux : Al-Qaida, l'Etat islamique (EI), la confrérie des Frères musulmans et ses diverses déclinaisons dans le monde...

UNE « QUALIFICATION AUSSI INSULTANTE QUE RIDICULE »

« Plusieurs autres organisations musulmanes occidentales sont également injustement listées », poursuit le communiqué, qui cite le Conseil des relations américano-islamiques (CAIR), l'ONG internationale Islamic Relief ou encore la Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE), toutes proches ou issues des Frères musulmans.

« Cette qualification, aussi insultante que ridicule, porte atteinte non seulement aux musulmans de France et à leurs institutions représentatives, mais aussi à notre pays et à son image dans le monde », estime l'UOIF, qui « étudie toutes les voies et se réserve le droit d'agir afin d'obtenir réparation ».

CONDAMNATION DE L'EI

L'UOIF, qui revendique 250 associations membres dont des gestionnaires de mosquées, est l'une des principales organisations structurant le paysage musulman français avec la Grande Mosquée de Paris (liée à l'Algérie), le RMF et l'UMF (de sensibilité marocaine) ou encore le CCMTF, le Comité de coordination des musulmans turcs de France.

Si elle ne participe plus aux instances dirigeantes du Conseil français du culte musulman (CFCM), l'instance représentative de la première communauté musulmane d'Europe (4 ou 5 millions de membres), l'UOIF organise chaque année au Bourget (Seine-Saint-Denis) un événement présenté comme le plus gros rassemblement musulman du monde occidental, avec plus de 150 000 visiteurs.

Ces dernières semaines, l'organisation française a condamné à plusieurs reprises les agissements de l'EI, signant un « appel des musulmans de France » à son encontre et s'érigeant contre la « déportation de chrétiens en Irak ».






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